94.441 Initiative parlementaire Exploitation sexuelle des enfants. Meilleure protection (Goll) Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 23 août 1999

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Conformément à l'art. 21quater, al. 3, de la loi sur les rapports entre les conseils, nous vous soumettons le présent rapport et le transmettons parallèlement au Conseil fédéral pour avis.

La commission vous propose d'approuver le présent projet d'arrêté fédéral.

23 août 1999

Au nom de la commission: Le président, Jean-Nils de Dardel

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2000-0856

Condensé Depuis quelques années, le problème des enfants victimes d'abus sexuels soulève de nombreuses discussions au sein de l'opinion publique. De plus en plus, de tels cas font l'objet de procédures judiciaires. Dans ce contexte, l'audition d'enfants devenus victimes d'infractions contre l'intégrité sexuelle constitue un problème particulier. Des enquêtes ont mis en évidence que certains facteurs, tels la longueur de la procédure, les auditions répétées, les doutes émis envers les affirmations des enfants et des interrogatoires inadaptés peuvent entraîner chez l'enfant un nouveau traumatisme (victimisation secondaire).

Le 16 décembre 1994, la conseillère nationale, Madame Christine Goll, a déposé une initiative parlementaire visant, par des dispositions de procédure, à atténuer le plus possible les traumatismes que peuvent entraîner les procédures judiciaires pour les enfants victimes de délits sexuels. Le 3 octobre 1996, le Conseil national a donné suite à la plupart des obje ctifs visés par ladite initiative.

Bien que le droit en matière de procédure pénale relève (encore) de la compétence législative des cantons, la Confédération peut, dans le domaine de l'aide aux victimes, édicter des dispositions de procédure, constituant des normes minimums pour les cantons. La loi sur l'aide aux victimes d'infractions contient déjà des dispositions de procédure spéciales pour les victimes d'infractions contre l'intégrité sexuelle. Ces dispositions ont été complétées dans le présent projet d'arrêté fédéral par des dispositions spéciales pour les enfants victimes d'infractions contre l'intégrité sexuelle. Ainsi, lors de procédures pénales, des règles minimales seront garanties dans tous les cantons, non seulement lorsque des enfants seront appelés à témoigner ou seront constitués partie civile mais aussi en vue d'atténuer les traumatismes psychiques que pourraient subir les victimes lors de telles procédures.

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Rapport I

Partie générale

1

Rappel des faits

1.1

Initiative parlementaire

Le 16 décembre 1994, Madame Christine Goll, conseillère nationale, a déposé une initiative parlementaire visant d'une part à modifier le Code pénal et, d'autre part, que la loi sur l'aide aux victimes d'infractions soit complétée par des dispositions de procédure pour une meilleure protection des victimes de délits sexuels, notamment dans les cas d'exploitation sexuelle d'enfants. L'auteur de l'initiative demande que les dispositions suivantes soient insérées dans la législation fédérale: 1.

Le délai de prescription pour les abus sexuels commis sur des enfants de moins de 16 ans doit être supprimé.

2.

Il y a lieu de renoncer à interroger la victime plusieurs fois sur le déroulement des faits.

3.

L'interrogatoire doit être enregistré à l'aide de moyens techniques (vidéo).

4.

La confrontation entre la victime et l'auteur de l'acte doit être évitée dans le cadre de la procédure.

5.

L'audition d'un enfant victime d'une exploitation sexuelle doit être menée par des personnes au bénéfice d'une formation spéciale.

6.

Les autorités judiciaires et les organes chargés de l'enquête appelés à traiter les cas d'enfants victimes d'une exploitation sexuelle doivent recevoir une formation spécifiques.

7.

Il convient d'améliorer l'information des victimes sur leurs droits.

8.

Les conditions-cadres pour le droit à un dédommagement et à une réparation du tort moral doivent être améliorées.

9.

Il y a lieu d'introduire des règles en matière d'administration des preuves qui excluent une «complicité» de la victime à la décharge de l'auteur de l'acte.

L'auteur de l'initiative motive sa démarche par le fait que les rapports établis par des groupes de travail d'experts sur l'exploitation sexuelle des enfants auraient clairement mis en évidence que la révision en vigueur en 1992 des dispositions du Code pénal en matière d'infractions contre l'intégrité sexuelle se répercute de façon négative sur les personnes ayant été victimes d'abus sexuels dans leur enfance. C'est ainsi que des praticiens du droit, des conseillers et des thérapeutes confirment que la révision de la loi diminue la protection de l'intégrité sexuelle des enfants.

Par ailleurs, l'auteur de l'initiative demande notamment la suppression de l'abaissement du délai de prescription pour les abus sexuels commis sur des enfants qui avait été ramené de dix à cinq ans (cf. ch. 1). Cet objectif a été en partie atteint

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avec la suppression de l'art. 187, ch. 5 du code pénal1 et le délai de prescription a été rétabli à dix ans.

Les ch. 2 à 9 de l'initiative exposent les mesures qui devraient être entreprises afin d'améliorer les procédures policières et judiciaires, de renforcer le droit des victimes et d'éviter tout autre traumatisme. Sur ces points, l'auteur de l'initiative a précisé que, à l'heure actuelle, il fallait faire face à une absence de chiffres et d'évaluations quant aux effets que pourraient déployer le nouveau droit. Les milieux spécialisés ont toutefois de plus en plus connaissance de cas où l'insuffisance de la base légale en matière d'exploitation sexuelle des enfants peut entraîner des répercussions négatives sur les personnes concernées. En conséquence, il convient d'adapter la législation aux nouveaux enseignements tirés de cas concrets.

1.2

Décision du Conseil national

Le 3 octobre 1996, le Conseil national a décidé par 78 contre 74 de ne pas donner suite au premier chiffre de l'initiative parlementaire. Parallèlement, il a approuvé par 157 voix contre 0 la proposition d'abrogation de l'art. 187, ch. 5 CP de la Commission des affaires juridiques (96.435 Iv. pa. [CAJ-CN] Délits sexuels sur des enfants, adaptation du délai de prescription au délai général de prescription de dix ans)2. Le 12 décembre 19963, le Conseil des Etats a approuvé la modification qui est entrée en vigueur le 1er septembre 19974.

Par ailleurs, le même jour, sur proposition d'une minorité de la Commission des affaires juridiques, chargée de l'examen préalable, le Conseil national a décidé par 85 voix contre 71 de donner suite aux ch. 2 à 9 de l'initiative parlementaire5. La majorité de la commission avait proposé au conseil de ne pas donner suite à ces mêmes chiffres. Elle a toutefois estimé que les propositions en vue d'améliorer la position des victimes dans les procédures judiciaires et policières méritaient d'être examinées. Etant donné qu'il s'agissait de propositions qui, en grande partie, concernaient le droit de procédure cantonal, la commission avait donc approuvé un postulat priant le Conseil fédéral d'examiner les exigences mentionnées sous les ch. 2 à 9 de l'initiative et de présenter un rapport en la matière. En date du 13 juin 1996, le Conseil national a transmis le postulat6.

2

Constitution d'une sous-commission

Suite à la décision du Conseil national, la Commission des affaires juridiques a décidé le 27 octobre 1997 d'instituer une sous-commission et de la charger d'examiner les questions soulevées par les ch. 2 à 9 de l'initiative parlementaire.

Composée des conseillers nationaux suivants: M. Tschäppät (président), M. Ruf, M. Seiler, Mme Stamm Judith et Mme Vallender, la sous-commission a consacré plusieurs séances à l'examen approfondi de la problématique de l'amélioration de la 1 2 3 4 5 6

Code pénal suisse; RS 311.0.

BO 1996 N 1783.

BO 1996 N 1177 ss.

RO 1997 2465 s.

BO 1996 N 1783.

96.3199; cf. BO 1996 N 909.

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position de mineurs victimes d'abus sexuels. Elle a ensuite élaboré un projet de modification de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions.

3

Auditions

La sous-commission a d'abord décidé de procéder à des auditions afin de circonscrire les aspects juridiques et psychologiques relevant de l'interrogatoire de victimes mineures de délits sexuels dans le cadre d'une procédure juridique. Les auditions ont été effectuées sous la forme d'un congrès d'une journée. Ont participé à ces auditions: une représentante du service-conseil de l'aide aux victimes du canton de Fribourg, un pédopsychiatre dans le domaine médico-légal du canton de Zurich, un représentant du groupe de protection des enfants, des juges d'instruction des districts du canton de Zurich, un juge à la cour cantonale et chargé de cours en matière de droit pénal à l'université de Berne, une avocate chargée la défense d'accusés de Berne, une avocate de Genève, représentant régulièrement les victimes mineures de délits sexuels et une agente chargée des interrogatoires d'enfants victimes d'abus sexuels auprès de la police du canton de Berne. C'est dans un climat très positif et constructif que ces auditions se sont déroulées. Elles ont abouti aux résultats suivants:

3.1

Aspects psychologiques

Dans un premier temps, les auditions portaient sur l'analyse des effets que peuvent entraîner d'une part les abus sexuels et, d'autre part, les procédures pénales pour les enfants sur le plan psychologique. Les points suivants ont été mis en évidence: ­

D'un point de vue psychologique, il est très difficile de se prononcer de façon uniforme sur les conséquences pour l'enfant d'abus sexuels ainsi que d'une procédure pénale résultant de ces actes.

­

Il existe ­ même si cela est très rare ­ des cas où des enfants qui ont été victimes d'abus sexuels ne développent pas de symptôme. Dans ce contexte, la thèse d'après laquelle des enfants qui ont subi des abus sexuels et qui n'ont pas de réaction immédiate, mais en ont une des années après, ne repose pas sur des résultats de recherche fiables.

­

Par ailleurs, il existe des enfants qui révèlent des réactions traumatiques aiguës qui régressent en l'espace de quelques jours, voire de quelques semaines.

­

Enfin, un abus sexuel peut déclencher chez l'enfant un stress posttraumatique, pouvant se traduire entre autres par des phases où l'enfant revit l'acte, par des cauchemars intenses ou des comportements visant à éviter tout rappel de l'événement en question. Dans le dernier cas, les symptômes sont considérablement amplifiés par des stimuli qui ont d'une façon ou d'une autre un rapport direct avec le traumatisme, par exemple, par la confrontation avec le coupable. Le stress post-traumatique se manifeste souvent à retardement et peut soit devenir chronique, soit durer des mois, voire des années.

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­

Concrètement, la réaction de l'enfant dépend de son âge, de son sexe et de certains facteurs inhérents à sa personnalité d'une part et du degré de l'abus subi, de la durée, de la périodicité ainsi que de ses relations avec l'auteur de l'abus d'autre part. Le soutien de l'enfant par les personnes les plus proches joue également un rôle important.

­

Souvent, ce n'est pas uniquement l'acte, mais la réaction de l'entourage (famille, proches) suite à ce qui est arrivé qui peut être traumatisant (ou causer de nouveaux traumatismes) pour l'enfant, par exemple si ses affirmations sont mises en doute ou parce que la violence de la réaction de son environnement renforce son traumatisme originel. Dans le cas rares où l'enfant ne montre pas de réaction suite à l'abus, la réaction de l'entourage peut déclencher le traumatisme.

­

Un tel traumatisme (ou un nouveau traumatisme) peut également être dû aux démarches lors de l'ouverture de la procédure pénale, par exemple, par des interrogatoires répétés ou inadaptés, par la confrontation de l'enfant avec le prévenu ou par des doutes émis envers ses affirmations.

­

Même si l'on part du principe qu'un interrogatoire détaillé dans le cadre d'une enquête pénale peut aider l'enfant à surmonter l'événement dans le sens d'un «debriefing», il convient toutefois de prendre en compte qu'il existe de grandes différences entre un interrogatoire dans le cadre d'une enquête ou d'une procédure pénales et un «debriefing». La participation à l'interrogatoire dans le cadre de l'enquête n'est pas volontaire. Généralement, l'enfant ne dispose d'aucun contrôle sur le déroulement, ses affirmations peuvent être mises en doute ou il peut y avoir absence d'empathie.

­

Enfin, aux aspirations de l'enfant à la sécurité, à la clarification de la situation, à la conclusion de l'affaire, à la paix, au respect de sa sphère privée et à la discrétion, s'oppose la réalité du procès, synonyme de beaucoup d'insécurité et de doutes. De plus, un procès exige beaucoup de temps et signifie toujours, même si les mesures de prévention les plus sévères sont prises, une certaine atteinte à la vie privée.

­

Concernant l'évaluation des affirmations de l'enfant, il convient de relever que les enfants sont généralement aussi crédibles que les adultes. Il n'arrive que très rarement que des enfants inventent par eux-mêmes de quelconques affirmations. Cependant, comme des adultes, ils peuvent être influencés par des manipulations ou des suggestions et leurs affirmations peuvent de ce fait être modifiées. Par conséquent, les affirmations des enfants doivent aussi être examinées de façon critique. L'analyse scientifique basée sur une méthode empirique démontre que les descriptions inventées se distinguent qualitativement des descriptions des faits réellement vécus. Il arrive probablement davantage que les enfants ne disent rien, bien qu'un abus se soit produit, que le contraire.

3515

Au vu de ces considérations, la sous-commission est parvenue à la conclusion qu'il est urgent de réglementer de façon uniforme et au niveau fédéral l'interrogatoire des victimes mineures de délits sexuels, comme les ch. 2 à 5 de l'initiative parlementaire le prévoient. Ainsi, il sera garanti que, dans toute la Suisse, en se fondant sur une réglementation minimale uniforme, on tente d'éviter ou dans la mesure du possible d'atténuer une victimisation secondaire pour les enfants victimes d'abus sexuels.

3.2

Aspects juridiques

La deuxième partie des auditions a été consacrée à l'examen des conditions devant être remplies sur le plan juridique pour que les enfants victimes d'abus sexuels ne subissent pas de traumatismes supplémentaires ou du moins en subissent le moins possible par une procédure pénale, tout en garantissant les droits de la défense.

3.2.1

Classement de la procédure

Un premier problème juridique est posé par le fait que les autorités doivent obligatoirement dénoncer les délits sexuels commis sur des enfants.

Des infractions contre l'intégrité sexuelle des enfants constituent des délits poursuivis d'office. Si un magistrat soupçonne un tel délit, il est en principe soumis à l'obligation de le dénoncer, voire d'ouvrir une procédure. Dans les faits, il est toutefois important que les services rendus attentifs à de tels délits (autorités scolaires, police, parquets, médecins, psychologues et services d'accueil et de conseil des victimes) disposent d'une certaine marge de manoeuvre afin qu'ils puissent informer les personnes concernées sur les conséquences de l'ouverture d'une procédure, procéder à une évaluation et prendre une décision concernant la marche à suivre. Si une procédure a lieu, il est indispensable que tout soit bien préparé et planifié, notamment en vue de protéger la victime et de la ménager le plus possible.

Dans certains cas, il peut être recommandé, à titre exceptionnel, de renoncer à une procédure et ce, dans l'intérêt de la victime, notamment lorsque la charge que lui imposerait la procédure est trop importante et que sa protection peut être assurée d'une autre manière. Citons à titre d'exemple le cas des enfants qui se rétractent, en raison des menaces proférées à leur encontre par l'auteur du délit. L'auteur étant par la suite libéré, la protection de l'enfant ne peut plus être garantie.

Les auditions ont mis en évidence que d'importantes différences en ce qui concernent le classement de la procédure existent d'un canton à l'autre. Ce n'est que dans certains cantons que la procédure peut être classée pour des motifs d'opportunité 7.

7

L'art. 116, al. 1 du code de procédure pénale du canton de Genève prévoit p. ex.

que le parquet peut abandonner une procédure à tous les stades de procédure, lorsque les circonstances le justifient.

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Au vu de ces considérations, la sous-commission est parvenue à la conclusion qu'il y a lieu d'édicter une réglementation uniforme qui définit les conditions permettant de renoncer à une procédure et qui prévoit à quelles autorités reviendra la compétence de décider en la matière.

3.2.2

Interrogatoires réitérés

A l'heure actuelle et compte tenu des résultats de diverses enquêtes, les victimes de délits sexuels sont soumises, jusqu'à l'inculpation formelle de l'auteur, à jusqu'à dix interrogatoires. En vue d'éviter au maximum des traumatismes supplémentaires, le nombre d'interrogatoires devrait, dans le meilleur des cas, être limité à un seul. Pour des raisons techniques de procédure, cela ne sera possible qu'exceptionnellement.

Généralement, un deuxième interrogatoire est inévitable pour ne pas entraver les droits de la défense. Dans l'hypothèse où un deuxième interrogatoire n'est autorisé qu'à titre exceptionnel (cf. ch. 2 de l'initiative parlementaire), le premier interrogatoire risque en outre d'être reporté au maximum afin de pouvoir disposer d'éléments aussi complets que possible. S'agissant de la valeur significative et de la crédibilité du premier interrogatoire, il importe néanmoins que celui se produise aussi rapidement que possible après la dénonciation du cas. Une réglementation a donc été édictée, permettant dans la plupart de cas, de ne procéder qu'à deux interrogatoires.

Dans les cas idéaux (p. ex. lorsque l'auteur a admis le délit) il serait néanmoins possible de renoncer au deuxième interrogatoire.

En vue de garantir les droits de la défense tout en limitant les interrogatoires à deux, il convient de prendre en compte les points suivants: Aussi bien lors des procédures comportant une audience principale que lors de procédures sans audience principale, le premier interrogatoire devrait être effectué sur enregistrement vidéo aussi rapidement que possible après l'acte. Il conviendra de veiller à laisser le moins de temps possible s'écouler entre l'acte et l'interrogatoire, sinon le nombre de problèmes ira croissant, parce que liés au souvenir et à l'influence que l'enfant pourrait subir. L'interrogatoire doit être mené par un professionnel et avoir lieu dans une pièce aménagée et adaptée aux besoins de l'enfant.

Le deuxième interrogatoire auquel on ne pourra renoncer qu'à titre exceptionnel, aura lieu ultérieurement dans le même cadre que le premier. A cette occasion, les parties présentes au procès (autorités chargées de l'enquête, parquet, défense, expert chargé de vérifier la crédibilité des affirmations, représentants de la victime) disposent du droit de poser des questions. Néanmoins,
il conviendra d'éviter de mettre en présence la victime et le prévenu qui devra se tenir dans une autre pièce. Le fait que le prévenu puisse faire poser des questions au moins une fois est déterminant. Ces questions seront transmises à l'enfant par le spécialiste chargé de l'interrogatoire.

Aussi bien au cours du premier que du deuxième interrogatoires, le spécialiste procédant à l'interrogatoire consignera dans un rapport toutes les observations spéciales complémentaires. Les enregistrements vidéo avec le rapport pourront constituer une base de jugement pour le tribunal. Les enregistrements montrent la façon dont l'interrogatoire s'est déroulé et mettent, le cas échéant, en évidence le caractère suggestif de certaines questions, ce qui, en règle générale, ne devrait pas être le cas

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lorsque l'interrogatoire est mené par un professionnel. En principe, à n'importe quel stade de la procédure, il faudra éviter toute confrontation entre la victime et le prévenu.

L'investissement relativement important pour mener à bien et de façon correcte les deux interrogatoires est justifiée, notamment si l'on considère les conséquences que peut avoir un interrogatoire qui n'est pas correctement effectué. Ainsi, des questions suggestives peuvent mettre en doute la crédibilité de la victime de façon injustifiée et menacer l'ensemble de la procédure. Par ailleurs, pour les petits cantons, ne disposant vraisemblablement ni des moyens ni des personnes spécialisées pour procéder à de tels interrogatoires, il est nécessaire qu'ils puissent d'un commun accord, par voie de concordat, mettre en place les infrastructures adaptées.

La commission est consciente que toute réglementation qui tente de prescrire des normes au niveau du nombre des interrogatoires ne peut pas être adaptée à tous les cas. Par exemple lorsque des abus sexuels ont été commis pendant des années, il se peut que deux interrogatoires ne soient pas suffisants. Le texte législatif a donc été formulé en ajoutant «d'une manière générale», de façon que, dans des cas motivés, on puisse s'écarter du modèle prévu des deux interrogatoires maximum. La commission estime néanmoins que de telles divergences ne sont justifiées que dans certains cas, qui doivent demeurer des exceptions.

4

Droit actuel

L'analyse du droit de procédure pertinent met en évidence qu'il faut s'attacher d'une part à prendre particulièrement en compte le rapport entre le droit fédéral et le droit cantonal et, d'autre part, la garantie des droits de la défense.

4.1

Rapport entre le droit fédéral et le droit cantonal

Aux termes de l'art. 64bis, al. 2 de la Constitution fédérale8, le droit de procédure pénale incombe aux cantons. Certes, il est prévu, dans le cadre de la révision de la constitution, de déclarer que la législation relevant de ce domaine incombe à la Confédération9. Même si cette disposition devait être approuvée, un avant-projet de procédure pénale fédérale ne pourrait être mis en consultation, au plus tôt, qu'au début du siècle prochain.

En revanche, la Confédération peut, en vertu de l'art. 64ter10 de la Constitution fédérale, édicter des règles minimales sur la protection des victimes d'infractions contre la vie et l'intégrité corporelle11. Le 1er janvier 1993, la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions [loi sur l'aide aux victimes (LAVI)]12 est entrée en vigueur. En vertu de cette loi, l'aide aux victimes doit être dispensée par voie de conseil, par l'amélioration de la position de la victime durant la procédure et par une indemnisation ou une réparation de l'Etat. Est considérée comme victime confor8 9 10 11 12

Constitution fédérale suisse; RS 101 Projet de révision de la constitution, projet C Réforme de la justice, art. 114, al. 1.

Cf. message du 25 avril 1990 du Conseil fédéral relatif à la loi fédérale sur l'aide aux victimes d'infractions; FF 1990 II 909 ss, ch. 123.

Approuvé par le peuple le 2 décembre 1984.

RS 312.5.

3518

mément à la LAVI, toute personne qui a subi, du fait d'une infraction, une atteinte directe à son intégrité corporelle, sexuelle ou psychique (victime) et ce, indépendamment du fait que l'auteur du délit ait été découvert ou que le comportement de celui-ci soit ou non fautif (cf. art. 2, al. 1 LAVI). Des personnes mineures peuvent donc être des victimes en vertu de la LAVI. Toutefois, elles ne peuvent faire valoir dans tous les cas les droits dont elles bénéficient, mais elles requièrent au cas par cas le soutien d'un représentant légal. Des dispositions particulières en faveur des mineurs victimes d'infractions ne sont pas prévues par la LAVI. En revanche, des dispositions spéciales en matière de procédure et de droits des victimes de délits sexuels (cf. art. 187 à 200 CP) 13 sont prévues dans la LAVI.

Les dispositions de la LAVI concernant la procédure pénale (cf. al. 3 «Protection et droits des victimes dans la procédure pénale», art. 5 à 10 LAVI) constituent des prescriptions fédérales minimales qui sont en partie directement applicables et en partie requièrent une concrétisation dans la législation cantonale en matière de procédure pénale14. Les cantons peuvent également compléter les dispositions de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions en étendant la protection des victimes, notamment celles des victimes mineures. Le canton du Tessin a fait usage de cette possibilité et, dans sa réglementation de la procédure pénale, il a prévu que, pendant la durée du procès, l'interrogatoire des enfants mineurs devait avoir lieu dans une pièce séparée, reliée par des moyens audiovisuels à la salle du tribunal15. Cette même disposition prévoit que lors de l'enregistrement d'un témoignage sur vidéo on peut renoncer à faire comparaître la victime devant le tribunal.

Les effets de la LAVI seront évalués durant les six premières années à compter de son entrée en vigueur (1993­1998). Les cantons doivent livrer tous les deux ans un rapport au Conseil fédéral, dans lequel ils rendent compte de l'utilisation des subsides fédéraux pour la mise en place de l'aide aux victimes et fournissent des statistiques. A la fin de la phase d'évaluation (le rapport final sera prêt à la fin de 1999), une révision partielle de la LAVI tenant compte des résultats de l'évaluation aura vraisemblablement lieu.

4.2

Rapport entre la protection des victimes et les droits de la défense

Une amélioration de la position des victimes dans la procédure pénale ne doit restreindre les droits de l'accusé garantis par le droit de procédure pénale et par la CEDH16. Notamment, la présomption d'innocence et la recherche de la vérité en tant qu'objets de la procédure pénale ne doivent pas être entravées. D'une manière générale, l'art. 4 de la Constitution fédérale et l'art. 6, al. 3, let. d, de la CEDH prévoient que l'accusé a le droit au moins une fois au cours de la procédure de poser des questions à la victime, lorsque cela se passe dans le cadre de la procédure pénale et, notamment lorsqu'elle est citée à comparaître comme témoin. En principe, les affirmations des témoins que l'accusé n'a pu interroger ne peuvent être utilisées devant le tribunal. Aussi bien le Tribunal fédéral que la Cour européenne des droits de 13 14 15 16

Cf. plus bas, ch. 5.1 Message; FF 1990 II 909 s.

Art. 90 Code de procédure pénale du canton du Tessin.

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales; RS 0.101.

3519

l'homme ont néanmoins reconnu que ce principe doit être atténué lorsque l'intégrité psychique de la victime subirait une nouvelle fois une déficience du fait de la confrontation avec le prévenu17.

4.3

Révision de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions

Compte tenu des résultats des auditions et de l'examen de la situation juridique, il a été décidé de n'attendre ni l'harmonisation du droit de procédure pénale au niveau fédéral, ni la révision de la LAVI prévue après la phase d'évaluation, mais de procéder elle-même à une révision partielle de la LAVI, afin de concrétiser aussi rapidement que possible les objectifs de l'initiative parlementaire. L'éventualité de réglementer l'amélioration de la protection des victimes mineures de délits sexuels au moyen d'une loi autre que celle de la LAVI a été examinée. On est toutefois parvenu à la conclusion que, pour une telle démarche, la base légale constitutionnelle ferait défaut aussi longtemps que les cantons seront compétents en matière de procédure pénale.

Sur la base des résultats des auditions, il a été demandeé à l'Office fédéral de la justice d'élaborer un projet de révision partielle de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions, qui s'orienterait aux principes suivants: ­

Eviter d'une manière générale que la victime soit confrontée avec le prévenu pendant toute la durée de la procédure.

­

Limiter le nombre des interrogatoires à deux pendant la durée de la procédure.

­

Confier l'interrogatoire à une personne spécialisée dans une pièce séparée.

­

Enregistrer l'interrogatoire sur vidéo.

­

Rédiger un rapport où le résultat des observations sera consigné par la personne spécialisée.

­

Réglementer la possibilité d'abandonner la procédure.

­

Encourager la formation spécialisée au sein des centres de conseil pour les victimes en fonction des besoins particuliers des enfants qui ont été victimes d'infractions contre l'intégrité sexuelle.

4.4

Décision de la commission

A sa séance du 31 août 1998, la Commission des affaires juridiques du Conseil national a examiné de façon approfondie le projet élaboré par la sous-commission sur la base des propositions de l'Office fédéral de justice. Accueillant favorablement l'orientation du projet, elle a néanmoins modifié quelques formulations et introduit quelques précisions, notamment en matière procédurale. Elle a ensuite décidé de charger le Conseil fédéral de la mise en oeuvre de la consultation.

17

ATF 106 Ia 397s.; décision de la Cour européenne des droits de l'homme dans le cas Kostovsky, Pays-Bas, du 20 novembre 1989, no 166; cf. Gomm/Stein/Zehnter, commentaires sur la loi sur l'aide aux victimes d'infractions, Berne 1995, N 22 ss sur l'art. 5 de la LAVI, (en allemand seulement).

3520

4.5

Résultats de la procédure de consultation

Comme la modification de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions empiète sur les droits de procédure cantonaux, la commission a chargé le Conseil fédéral de procéder à une consultation auprès des cantons, du Tribunal fédéral et du Tribunal militaire de cassation. Il a été décidé de s'en tenir à ces organes, afin d'accélérer la consultation. 24 cantons18, le Tribunal fédéral, six organisations, une ville et un particulier se sont prononcés sur l'avant-projet. A l'exception d'un canton, l'ensemble des organes consultés ont approuvé quant au fond les orientations de l'avantprojet. La proposition de la minorité d'étendre ladite protection à toutes les personnes mineures n'a cependant été saluée que par deux cantons et deux organisations.

D'une façon générale, les modifications proposées de la loi sur l'aide aux victimes d'infractions ont été bien accueillies par la grande majorité des organes consultés.

Cependant, de nombreuses propositions ont été faites sur le contenu exact des différentes dispositions légales. Deux éléments ont notamment été remis en question, à savoir le fait de fixer une limite d'âge et le fait de distinguer les délits d'ordre sexuel des autres types d'infractions. Les critiques formulées ne vont cependant pas toutes dans le même sens et proposent des solutions différentes. Par ailleurs, un seul élément a suscité de vives critiques, à savoir la disposition prévoyant le classement de la procédure (art. 10quater). Huit des organes consultés ont salué la disposition, neuf se sont prononcé de façon positive quant au principe mais ont émis certains réserves ­ parfois importantes ­, et cinq autres l'ont rejeté.

Réunie le 23 août 1999, la commission a pris acte des résultats de la consultation.

Elle s'est réjouie du fait que les réactions aient été positives dans l'ensemble, tant pour l'avant-projet lui-même que pour l'unification proposée de la procédure, et elle a constaté qu'aucun élément du projet n'avait fondamentalement été remis en question. Elle a pris acte du fait que les avis étaient partagés quant au classement de la procédure, mais elle considère, eu égard aux divergences de vue entre les différents organes consultés, qu'il serait difficile d'adapter le projet de sorte à ce que tous soient satisfaits, et qu'une telle adaptation ne s'imposait pas.

Lors du vote final, la commission a adopté le projet à l'unanimité.

4.6

Mise en oeuvre des objectifs visés par l'initiative parlementaire

L'arrêté fédéral proposé atteint les objectifs visés sous les ch. 2 à 6 de l'initiative parlementaire.

Concernant le ch. 1, le Conseil national n'a pas donné suite (cf. ch. 1.2).

Les objectifs visés sous le ch. 7 ont été en partie atteints (cf. ch. 6.4). Par ailleurs, la commission estime que l'objectif visant à une meilleure information des victimes doit être pris en compte dans le cadre de la révision de la LAVI, une fois la phase d'évaluation achevée et lorsqu'il apparaîtra clairement par quels moyens l'information peut être améliorée.

18

Soit tous les cantons sauf LU et NW.

3521

Le ch. 8 (amélioration des conditions-cadres pour les prétentions d'indemnisation et de réparation morale) se rapporte à l'art. 16 de la LAVI qui prévoit que la victime doit introduire ses demandes d'indemnisation et de réparation morale devant l'autorité dans un délai de deux ans à compter de la date de l'infraction. La commission estime que ce délai de péremption est trop court. Notamment dans le cas des enfants qui, souvent n'ont le courage de dénoncer le délit contre l'intégrité sexuelle que des années après, ce délai signifie souvent la perte de l'indemnisation et de la réparation morale. C'est pourquoi la commission estime judicieux d'introduire des délais de péremption différents pour les adultes et pour les enfants. Dans le cadre de la prochaine révision de la partie générale du Code pénal, il est prévu de modifier les délais de prescription pour les droits que l'Etat peut faire valoir par rapport aux auteurs des délits. La commission aimerait éviter qu'il résulte des contradictions entre le délai de péremption en vertu de la LAVI et le délai de prescription en vertu du Code pénal, qui pourraient créer des problèmes en cas de recours de l'Etat contre l'auteur du délit. Elle estime donc que l'adaptation nécessaire du délai de péremption pour les enfants victimes de délits sexuels devrait avoir lieu dans le cadre de la révision partielle de la LAVI, à la suite de la phase d'évaluation.

Le ch. 9 vise l'introduction de règles en matière d'administration des preuves excluant une «complicité» de la victime à la décharge de l'auteur de l'acte. Sur ce point, la commission estime qu'un délit sexuel sur des enfants de moins de 16 ans n'est jamais excusable et ce, indépendamment du comportement de la victime. Toutefois, il convient de ne pas partir du principe que le comportement de la victime ne doit pas pris en compte lors de l'appréciation de la culpabilité. Notamment, le comportement de jeunes adolescents ayant presque atteint de l'âge 16 ans, doit pouvoir être pris en compte au moment de l'appréciation de la culpabilité de l'auteur de l'acte. Toute autre réglementation en matière d'administration de preuves irait à l'encontre du principe de la recherche matérielle de la vérité et de celui de la culpabilité. Au vu de ces considérations, la commission renonce à proposer une réglementation qui s'inscrirait dans le droit fil de l'initiative parlementaire (cf. ch. 9).

3522

II

Partie spéciale

5

Loi sur l'aide aux victimes d'infractions

5.1

Droit en vigueur

La troisième section de la LAVI (art. 5 à 10) réglemente la protection et les droits des victimes dans la procédure pénale. En vertu de l'art. 5, al. 1, les autorités protègent la personnalité de la victime à tous les stades de la procédure pénale. Ainsi, le tribunal peut ordonner le huis clos, lorsque les intérêts prépondérants de la victime l'exigent. Lorsqu'il s'agit d'infractions contre l'intégrité sexuelle, le huis clos est prononcé à la demande de la victime (cf. art. 5, al. 3). Par ailleurs, les autorités doivent éviter de mettre en présence le prévenu et la victime lorsque celle-ci le demande (cf. art. 5, al. 4). En présence de délits sexuels, une confrontation ne peut être ordonnée contre la volonté de la victime que si le droit du prévenu d'être entendu l'exige de manière impérieuse (cf. art. 5, al. 5). Au cours de l'interrogatoire, la victime peut se faire accompagner d'une personne de confiance lorsqu'elle est interrogée en tant que témoin et peut refuser de déposer sur des faits qui concernent sa sphère intime (art. 7, al. 1 et 2). De plus, les victimes de délits sexuels peuvent exiger d'être entendues par des personnes du même sexe qu'elle. Cette règle s'applique également à la phase de l'instruction (cf. art. 6, al. 3).

S'agissant de ces dispositions, il n'est pas opéré de distinction entre le fait que la victime soit adulte ou mineure. Elles s'appliquent également à des infractions contre l'intégrité sexuelle commises sur des enfants.

5.2

Systématique

Il a été décidé d'inscrire ­ une nouvelle section 3bis qui viendrait à la suite des dispositions générales sur la protection et les droits des victimes d'infractions dans la procédure pénale (cf. 3e section). Cette nouvelle section prévoit des dispositions spéciales sur la protection de la personnalité dans le cas de victimes de moins de 16 ans. Ainsi, à l'intérieur de la loi, il sera clairement mis en relief que des dispositions spéciales s'appliqueront aux enfants de moins de 16 ans. Cette systématique est plus transparente pour les autorités chargées d'appliquer la loi que de procéder à des modifications des dispositions actuelles. Cela vaut également pour les victimes, les personnes de confiance qui les accompagnent ou leurs proches qui désireraient s'informer de leurs droits sur la base du texte législatif.

Par souci de transparence, la commission a veillé à clairement mentionner dans les nouvelles dispositions qu'elles s'appliquaient à des enfants de moins de 16 ans, parallèlement aux dispositions du code pénal sur les infractions contre l'intégrité sexuelle (cf. art. 187 CP).

En vue de garantir une terminologie uniforme dans la loi, la formulation de l'art. 5 de la LAVI a été adaptée aux nouvelles dispositions.

3523

5.3

Minorité

Une minorité de la commission propose que la révision porte le titre de «Amélioration de la protection de victimes mineures». Elle voudrait ainsi introduire dans les dispositions prévues, au sens de la convention sur la protection des enfants, une protection jusqu'à l'âge de 18 ans. Le Code pénal connaît déjà différentes dispositions visant à protéger non seulement les enfants de moins de 16 ans, mais aussi des mineurs. Par exemple, l'art. 188 prévoit que celui qui, profitant de rapports d'éducation, de confiance ou de travail ou de liens de dépendance d'une autre nature, aura commis des actes d'ordre sexuel sur un mineur âgé de plus de 16 ans sera puni de l'emprisonnement. Les art. 195 (encouragement à la prostitution) et 213 (inceste) prévoient la majorité comme limite de la punissabilité. Enfin, la majorité en tant que limite de protection s'inscrit dans le droit fil du projet du Conseil fédéral, visant à introduire le début du délai de prescription au moment où la victime aura atteint l'âge de la majorité.

La majorité de la commission rejette cette extension du champ d'application des nouvelles dispositions, estimant qu'une interdiction absolue de mettre en présence l'auteur de l'acte avec la victime n'est pas justifiée dans tous les cas lorsque la victime est proche de la majorité.

6

Commentaires des différentes dispositions de l'arrêté fédéral

6.1

Art. 10bis (nouveau): Confrontation de la victime avec le prévenu

L'al. 1 pose le principe que les autorités doivent éviter la mise en présence de la victime avec le prévenu, lorsque la victime est un enfant de moins de 16 ans. En vertu du droit actuel, une telle confrontation peut être évitée que si la victime en fait la demande (art. 5, al. 4, LAVI). Cette nouvelle disposition est applicable à des infractions contre l'intégrité sexuelle.

Aux termes de l'al. 2, cette même réglementation est également applicable à d'autres infractions dont les circonstances entraîneraient un grave traumatisme psychique pour la victime de moins de 16 ans, si elle était mise en présence du prévenu. Il s'agit ici notamment de problèmes de maltraitance au sein d'une même famille.

Cette précision a par ailleurs été demandée dans le rapport sur les enfants maltraités en Suisse19.

L'al. 3 prévoit qu'une confrontation directe de la victime et du prévenu peut être ordonnée même dans les cas mentionnés aux al. 1 et 2, lorsque le droit du prévenu d'être entendu ne peut être garanti d'une autre manière. Ici, il convient de préciser que le droit d'être entendu du prévenu peut être garanti dans la plupart des cas au moyen d'instruments ou de mesures adaptés: citons, à titre d'exemple, l'utilisation de systèmes vidéo, l'aménagement d'une pièce séparée pour procéder à l'interrogatoire avec des moyens de communication adéquats, l'utilisation de moyens techniques modernes permettant au prévenu ou à ses défenseurs de suivre simultanément les affirmations de la victime, sans pour autant être présent dans la même 19

FF 1995 IV 53 ss; cf. également l'avis du Conseil fédéral du 27 juin 1995; FF 1995 IV 1 ss, 10.

3524

pièce. Souvent, le droit d'être entendu peut être également respecté par des moyens traditionnels, par exemple par la consultation du procès-verbal de l'interrogatoire avec possibilité de poser des questions complémentaires ou par la participation de la défense à l'interrogatoire de la victime. S'agissant de l'identification de l'auteur de l'acte par la victime, l'utilisation d'un miroir servant à l'identification des suspects peut s'avérer judicieuse.

6.2

Art. 10ter (nouveau): Audition des enfants victimes d'infractions

L'al. 1 prévoit que les mineurs ne doivent pas être, en règle générale, interrogés plus de deux fois. Cette disposition se fonde sur la constatation qu'un interrogatoire sur les circonstances de l'acte peut être traumatisant pour un enfant victime d'infractions. Certes, tous les enfants ne réagissent pas de la même façon. Ces réactions dépendent pour la plupart de la personnalité de l'enfant et des circonstances dans lesquelles s'est déroulé l'évènement traumatisant. Parfois, dans les cas d'abus sexuels par exemple, le traumatisme de l'enfant ne remonte pas uniquement à l'abus en tant que tel, mais il est renforcé par les suites liées à l'événement (réaction de l'entourage, mise en doute de la véracité des affirmations, placement chez des personnes étrangères à la famille par suite de l'abus, rupture des relations entre la victime et l'auteur). Les interventions policière ou juridique ne constituent qu'un aspect de cette victimisation secondaire, mais sur elles seules le législateur peut exercer une influence. Afin d'éviter ou de réduire au maximum un nouveau traumatisme par un interrogatoire, il est donc recommandé de ne procéder dans la mesure du possible qu'à un seul interrogatoire. Dans la plupart des cas, notamment lorsque le prévenu n'est pas encore connu lors du premier interrogatoire, il sera indispensable de procéder à un second interrogatoire pour assurer les droits de la défense. Il ne peut être complètement exclu que, lors de circonstances particulières, plus de deux interrogatoires deviennent nécessaires. C'est la raison pour laquelle la disposition a été formulée de façon nuancée («en principe»).

L'al. 2 réglemente les conditions du premier interrogatoire. Il importe particulièrement que ce premier interrogatoire soit effectué avec soin et de façon adaptée, afin que la crédibilité de l'enfant ne soit pas remise en question par des circonstances extérieures à l'enfant. Les souvenirs de l'enfant peuvent être très rapidement influencés ou modifiés. Le premier interrogatoire doit être rapide, ciblé et effectué par un professionnel. Habituellement, l'enquête est effectuée à ce stade par la police. Il est donc essentiel que tout soit mis en oeuvre pour que les affirmations de l'enfant soient consignées de façon optimale et que toute répétition devienne dans la mesure du possible inutile. C'est
la raison pour laquelle le deuxième alinéa prévoit d'enregistrer l'interrogatoire sur vidéo. Il devra être effectué par un professionnel, disposant de l'expérience nécessaire au bénéfice d'une formation spéciale permettant d'interroger des enfants. Il est également prescrit qu'une personne spécialement formée assiste à l'interrogatoire pour encadrer l'enfant victime d'infractions. Il peut s'agir d'un psychologue ou éventuellement d'un assistant social. Cette personne se tiendra à l'arrière-plan pour observer l'enfant, pour veiller à la conformité de l'interrogatoire et pour transmettre d'éventuelles questions complémentaires. Il est important que l'interrogatoire ait lieu dans des locaux aménagés dans la mesure du possible pour les enfants. Les deux personnes présentes à l'interrogatoire consignent dans un rapport les conditions de l'enregistrement qui n'apparaissent pas sur 3525

l'enregistrement vidéo, sans toutefois apporter de jugement sur les affirmations de l'enfant ou sur leur crédibilité. La documentation de l'interrogatoire devra être aussi exacte que possible, afin d'augmenter les chances de ne pas devoir procéder à un second interrogatoire ou d'en réduire la durée le plus possible.

L'al. 3 réglemente les conditions d'un deuxième interrogatoire qui sera, dans la mesure du possible, le dernier. Les principes énoncés pour le premier interrogatoire sont également applicables au suivant. C'est au cours du deuxième interrogatoire au plus tard que les parties (le prévenu et la défense, éventuellement des personnes ayant déposé une plainte civile) ont la possibilité d'exercer leurs droits. Les autres participants se tiennent dans une pièce voisine depuis laquelle ils peuvent suivre l'interrogatoire sur vidéo ou de l'autre côté d'un miroir et où ils peuvent transmettre leurs questions à la personne qui interroge. Dans la mesure du possible, le deuxième interrogatoire devra être mené par la même personne que celle qui a procédé au premier interrogatoire.

Une confrontation de la victime avec le prévenu doit être évitée d'une manière générale à chaque interrogatoire. Les règles prévues pour le déroulement des interrogations (enregistrement sur vidéo, rapport d'observation, droit des parties de poser indirectement des questions) devraient en principe suffire, également pour les cantons connaissant le principe de l'immédiateté. Les dispositions de procédure de la LAVI priment, en tout état cause, les dispositions de procédures cantonales.

Art. 10quater (nouveau): Classement de la procédure

6.3

L'art. 10quater, al. 1, prévoit le classement à titre exceptionnel de la procédure pénale. Les investigations peuvent mettre en évidence qu'il est dans l'intérêt de l'enfant de ne plus poursuivre une enquête ­ à condition toutefois que les mesures nécessaires soient prises pour assurer la sécurité de l'enfant. Pour de tels cas, une disposition doit être édictée permettant de classer la procédure pour des motifs d'opportunité. Cette disposition s'adresse particulièrement aux cantons ne connaissant par le principe d'opportunité limité. L'autorité judiciaire compétente doit procéder à une pesée des intérêts en présence et ne peut qu'à titre exceptionnel procèder au classement de la procédure lorsque les intérêts de l'enfant l'exigent impérativement. Ces intérêts doivent être évalués avec beaucoup de discernement lorsque les circonstances de l'acte sont plus graves: plus l'acte est grave, plus le principe de la légalité devra être appliqué strictement20. Par ailleurs, le classement de la procédure pose comme préalable, dans ces conditions, l'approbation de la victime ou de ses représentants légaux.

Quant à la question de savoir si les autorités compétentes doivent être soutenues par une commission multidisciplinaire dans leur décision de classer la procédure pour des motifs d'opportunité, de façon à mieux assumer la responsabilité de la décision, il conviendra de laisser cette compétence aux cantons. En tout état de cause les autorités judiciaires doivent avoir la compétence de prendre la décision de classement, les autorités policières ne pouvant décider d'elles-mêmes si elles veulent procéder ou non à la dénonciation de l'auteur.

20

ATF 109 IV 50

3526

En vertu de l'al, 2, il est possible de déposer auprès du Tribunal fédéral un recours en nullité contre la décision de classement arrêtée en dernière instance. Cette démarche permet de garantir que le Tribunal fédéral rende une décision dans le cadre de son plein pouvoir d'examen.

6.4

Art. 18: Complément concernant les dispositions sur l'aide à la formation et l'aide financière de la Confédération

Déjà, à l'heure actuelle, l'art. 18, al. 1, de la LAVI permet à la Confédération d'encourager la formation de personnes chargées de l'aide aux victimes en allouant des aides financières. Bien que l'octroi de ces aides soit possible dans le droit actuellement en vigueur, il convient désormais de préciser clairement que ces cours de formation peuvent être spécialement axés sur les problèmes des enfants victimes d'infractions contre leur intégrité sexuelle, de façon à motiver l'organisateur des cours à porter une attention toute particulière sur cet aspect dans les offres des différentes formations. L'octroi d'une aide financière par la Confédération pourra éventuellement dépendre de la prise en compte de cet aspect.

En bénéficiant d'une meilleure formation dans ce domaine, les personnes chargées de l'aide aux victimes seront davantage à même de les informer sur les possibilités juridiques dont elles disposent, comme le préconise le ch. 7 de l'initiative parlementaire. En outre, la création d'une nouvelle section (3bis) portant sur les victimes de moins de 16 ans contribue à une meilleure information.

6.5

Art. 5: Adaptation de la terminologie

Par souci de clarté et de façon à stipuler que dans le nouvel art. 10bis (cf. ch. 6.1) il ne s'agit pas de la sauvegarde formelle d'un droit d'être entendu, mais d'une mise en présence de la victime et du prévenu qui ne peut être autorisée que si le droit d'être entendu ne peut être garanti d'une autre façon, la formulation de l'art. 5, al. 4 et 5 (. . . «Une confrontation peut être ordonnée lorsque le droit du prévenu d'être entendu . . . l'exigent de manière impérieuse») a été légèrement modifiée pour devenir «lorsque le droit d'être d'entendu du prévenu ne peut être garanti d'une autre manière . . .» Concrètement, les al. 4 et 5 de l'art. 5 sont déjà à l'heure actuelle interprétés dans ce sens. En vue de garantir une terminologie uniforme, il conviendra d'adapter en conséquence l'art. 5, al. 4 et 5. En outre, il convient de préciser que dans ces deux alinéas les expressions «mettre en présence» et «confrontation», figurant déjà dans le texte actuel, ont la même signification.

7

Conséquences financières et effets sur l'état du personnel

Pour la Confédération, les modifications prévues de la LAVI ne devraient entraîner ni de conséquences financières, ni d'augmentation au niveau de l'effectif du personnel, hormis une augmentation éventuelle de l'aide au financement et à la formation, ce qui n'est pas impératif.

3527

En revanche, pour les cantons, les dispositions qui prévoient pour les interrogatoires l'aménagement spécifique de locaux ainsi que la formation spécialisée des personnes chargées de l'interrogatoire, il faudra s'attendre à des dépenses supplémentaires difficiles à évaluer à l'heure actuelle. Certains cantons, plus importants, disposent déjà de l'infrastructure correspondante. Les cantons confrontés avec peu de cas d'infractions contre l'intégrité sexuelle de mineurs ont la possibilité de se regrouper par voie de concordat de façon à aménager et à utiliser d'un commun accord l'infrastructure nécessaire. Cette solution peut éventuellement s'appliquer également pour le personnel spécialement formé.

Enfin, les dispositions sur la marche à suivre des interrogatoires (art. 10ter nouveau de la LAVI) devraient contribuer à l'obtention de témoignages irréprochables sur le plan de la qualité et utilisables pour la procédure pénale. Le raccourcissement de la procédure qui s'ensuivra devrait compenser au moins en partie le surcroît de dépenses engagées par les cantons.

8

Constitutionnalité

La compétence de la Confédération pour édicter des dispositions de procédure dans le domaine de l'aide aux victimes (dispositions qui constituent des normes minimums) se fonde sur l'art. 64ter de la constitution.

3528