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Rapport du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire en vue de l'introduction d'un article 58bis dans la Constitution fédérale (suppression de la justice militaire).

(Du 11 décembre 1918.)

Le 8 août 1916, la direction du parti socialiste suisse a remis à la Chancellerie fédérale, sous la forme d'un projet définitif, une demande due à l'initiative populaire en vue de l'introduction d'un article 58bis dans la Constitution fédérale. Aux termes de cette requête, l'article en question devrait avoir la teneur suivante: « La justice militaire est supprimée. Les délits visés par le code pénal militaire seront déférés, pour l'instruction et le jugement, à la justice ordinaire du canton dans lequel ils ont été commis.

«La procédure à suivre est fixée par le code de procédure en vigueur dans le canton.

«Le jugement rendu en dernier ressort par le tribunal du canton peut être déféré au Tribunal fédéral par un pourvoi en cassation.

«Les arrêts infligés comme peine displicinaire ou d'ordre ne peuvent excéder dix jours. La peine ne peut être aggravée ni par une réduction de l'alimentation ni par leretrait de la lumière du jour.

«Le droit de porter plainte contre une peine disciplinaire est garanti; l'exercice de ce droit ne peut entraîner aucune punition. » L'examen des listes de souscription par le bureau fédéral de statistique a établi la validité de 118.996 signatures. Conformément à l'article 5 de la loi fédérale du 27 janvier 1892 sur le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la cons-

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titution fédérale, cette initiative a été transmise le 27 octobre 1916 à l'Assemblée fédérale (F. F. 1916, IV;J92-94) qui, par arrêté des 28/29 mars 1917, a décidé sa prise en considération. Le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale auront ·donc à se prononcer sur cette initiative populaire.

La requête des pétitionnaires doit être scindée en deux .parties qui, au point de vue juridique du moins, n'ont aucune relation entre elles: Les trois premiers alinéas de l'article constitutionnel proposé tendent à la suppression des tribunaux militaires ·«t, partant, de la procédure pénale militaire, pour les remplacer par la justice pénale ordinaire. Ce postulat sera examiné en premier lieu.

En revanche, les 4e et 5e alinéas de l'initiative tendent à la revision de questions spéciales du droit disciplinaire militaire actuellement en vigueur. On demande, d'une part, la .réduction du maximum de la peine des arrêts et la suppression de toute aggravation des peines, soit par la réduction de l'alimentation, soit par le retrait de la lumière du jour, «J;, d'autre part, une meilleure garantie concernant le droit de recours contre les peines disciplinaires. Ces questions seront traitées en second lieu.

II.

L'initiative demande d'abord la suppression totale de la justice militaire, c'est-à-dire des tribunaux militaires et de leurs compétences pénales. Il y a lie a de rechercher avant tout les motifs qui ont provoqué cette demande et engagé «nsuite un nombre considérable de citoyens à appuyer ce postulat du parti socialiste.

Pendant la période qui a précédé la guerre mondiale et îa mobilisation de l'armée suisse, la justice militaire n'a pas . beaucoup fait parler d'elle. Peu nombreuses étaient les personnes au courant de son activité et il était rare que la population s'en occupât; il fallait pour cela des affaires à sensation. A partir de 1914, la situation a subitement changé.

.Le champ d'activité de la justice militaire s'agrandit soudain et l'on put constater l'existence de nombreuses difficultés d'ordre organique et d'ordre juridique dont on ne s'était pas suffisamment rendu compte jusqu'alors. Les dispositions f pénales pour l'état de guerre publiées par l'ordonnance du ' Conseil fédéral du 6 août 1914 (Recueil officiel, tome XXX, p. 370) ont notamment fait pénétrer profondément dans la population civile le champ d'action de la justice militaire.

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Aussi est-il compréhensible que l'activité de la justice militaire ait été plus critiquée une fois qu'elle a eu une pareille emprise sur la vie publique.' Le peuple reconnut en particulier avec une certaine stupeur la plus ' grande sévérité des jugements des tribunaux militaires comparés à ceux de la justice civile. Et, ce qui est psychologiquement compréhensible, la critique s'attaqua d'abord aux tribunaux eux-mêmes. On ignorait et l'on ignore encore dans bien des milieux qoe le code pénal militaire de 1851 contraint souvent le juge à des arrêts qui ne sont plus compatibles avec les idées actuelles. La critique aurait dès lors été mieux inspirée en s'en prenant tout d'abord à un code pénal suranné et non pas aux juges ou à la procédure militaires. Aussi, consciente de la situation, l'autorité est-elle intervenue sans tarder en vua de l'adoucissement du code pénal par voie d'ordonnance. L'ordonnance du Conseil fédéral du 12.octobre 1915 (Recueil officiel, tome XXX, p. 323 et suiv.) a adouci les comminations de peine pour un grand nombre de délits. L'arrêté du Conseil fédéral du 29 février 1916 (Eecueil officiel, tome XXXII, p. 65 et suiv.) a prévu, pour certains délits de peu d'importance, l'exécution de la peine sous le régime militaire. Enfin, l'ordonnance du 12 mai 1916 (Eecueil officiel,» tome XXXII, p. 185 et suiv.) a introduit la grâce conditionnelle. -- Toutes ces réformes du droit en vigueur ont incontestablement eu des résultats bienfaisants et aussi quelque peu tempéré avec le temps chez bien des personnes l'âpreté des critiques adressées à la juridiction militaire. Mais une législation par novelles ne sera jamais qu'un raccommodage insuffisant. La rénovation totale du droit pénal militaire s'est fait impérieusement sentir et le Conseil fédéral a ordonné en mai 1916 l'élaboration d'un nouveau code pénal militaire. Nous n'avons ici que quelques mots à dire, de ce travail législatif qui fut immédiatement entrepris. Il faut cependant en parler parce qu'il est en intime connexion avec le sort de l'initiative contre la justice militaire. S'il est donné au pays un nouveau code pénal militaire qui corrige les défauts ,du droit en vigueur, la jurisprudence militaire prend une tout autre figure et l'on enlève tout fondement aux critiques qui se sont fait en. tendre depuis 1914, parfois non sans
raison. En effet, un code pénal militaire moderne, qui tiendrait intelligemment compte des exigences spéciales de la communauté militaire, devrait convaincre même les milieux les plus étrangers à la justice militaire que le complètement indispensable du droit militaire matériel doit se trouver dans l'administration de la

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justice militaire. Nous reviendrons plus loin sur cette question. -- Depuis lors les travaux préparatoires du nouveau code pénal militaire ont été menés à bonne fin. Un avantprojet, avec exposé des motifs, rédigé par le professeur Hafter, major de la justice militaire, à Zurich, a été publié en trois livraisons, de 1916 à 1918 et discuté en deux lectures dans une commission présidée par le chef de notre département de justice et police. Nous l'avons soumis aux Chambres par notre message du 26 novembre 1918 (Feuille fédérale de 1918, vol. V, p. 349).

Les critiques dont était l'objet la justice militaire nous ont contraints d'attirer déjà l'attention sur cet état de choses.

On se tromperait cependant en admettant que l'antipathie pour les tribunaux militaires n'était déterminée que par l'insuffisance du code pénal militaire en vigueur et par la sévérité des peines qu'il prévoit. Il y a encore d'autres motifs en jeu, des facteurs dont la complète modification est parfois impossible parcs qu'ils sont inséparables des institutions militaires.

Il résulte des conditions spéciales de la communauté militaire, bien connues de chacun, que certains actes qui ne peuvent pas être commis dans la vie civile et qui ne sont dès lors concevables que sous le régime de la communauté militaire, doivent déployer des effets de droit pénal et être punis.

Ce sont les délits purement militaires: la désobéissance, la mutinerie, les délits commis par les hommes de garde, la violation des devoirs du service, le refus de servir, la désertion, etc. Durant la longue mobilisation de notre, armée, nombre d'hommes ont commis des délits de ce genre et ont été punis par les tribunaux, des hommes jusqu'alors parfaitement intègres et honorables, qui n'auraient vraisemblablement jamais eu affaire au juge pénal dans la vie- civile. Chacun comprendra que ces hommes qui, pour des motifs militaires, ont été privés de leur liberté par un tribunal et qui ressentiront peut-être durant toute leur vie les conséquences de la peine qu'ils ont encourue, ne soient pas favorablement disposés à l'égard des tribunaux militaires. Eux aussi et ceux qui les entourent sont devenus des adversaires des tribunaux militaires. Et ils trouvent de l'appui parmi les civils qui ont été traduits depuis 1914 devant ces tribunaux. Cette soumission des civils à la
juridiction militaire est devenue un des principaux arguments de la critique. Nous examinerons plus loin en détail la question de la ligne de démarcation entre la justice pénale militaire et civile. Nous relevons seulement dès à

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présent que les ordonnances de 1914 ont étendu, de telle façon le cercle des civils soumis aux tribunaux militaires qu'on a dû reconnaître à bref délai l'impossibilité de maintenir ce système. Il convient toutefois d'ajouter que cette mesure a été prise à une époque où le danger de guerre était imminent et que, lorsque la situation de notre pays s'est éclaircie, le Conseil fédéral, par son ordonnance du 9 juillet 1915 (Recueil off., tome XXXI, p. 232 et suiv.), puis, plus complètement encore, par celles des 12 et 22 février 1916 (Recueil off., tome XXXII, p. 44 et suiv. et p. 60 et suiv.), a notablement restreint le champ d'application de la juridiction militaire en faveur des tribunaux civils. La première de ces ordonnances ne soumet plus au droit militaire les fonctionnaires, employés et ouvriers des entreprises publiques de transport, de l'administration militaire, des ateliers militaires de la Confédération, etc. que pour les délits de service. Les deux autres ordonnances, de février 1916, ont ensuite enlevé à la juridiction militaire les contraventions aux dispositions sur le ravitaillement en céréales et en pain, sur les interdictions d'exportation et sur les autres mesures d'économie de guerre, puis le délit de renseignements au profit de puissances étrangères. Tous ces délits et contraventions ont été placés dans la compétence du juge civil. Il était en effet au plus haut point inopportun et, avec l'organisation actuelle, réellement impossible de laisser aux trîb anaux militaires la compétence de juger ces affaires dont le nombre s'est, avec le temps, accru dans une énorme proportion.

En examinant les causes du succès considérable qu'a obtenu l'initative contre la justice militaire, il ne faut enfin pas non plus oublier que, comme chacun peut le remarquer, la mauvaise humeur provoquée par la rigueur .des temps se manifeste très facilement par des démonstrations .antimilitaristes et que tout mouvement contre les institutions militaires peut compter aujourd'hui sur un grand nombre d'adhérents. Ceux-ci, dans la règle, ne sont guère au clair sur les conséquences nationales et internationales d'un mouvement de ce genre. Aussi est-il d'autant plus du devoir de l'Etat d'intervenir énergiquement et dignement, en vue d'établir exactement la situation. Il n'est naturellement guère possible de
convertir les personnes pour lesquelles l'initiative contre la justice militaire n'est qu'un moyen de combat antimilitariste. Mais à ceux qui veulent entendre, on peut montrer que la suppression de la juridiction militaire crée-

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rait une situation des moins satisfaisantes pour ne pas dire intenable.

III.

La juridiction militaire spéciale existe depuis des siècles.

Il faut remonter bien en arrière dans l'histoire avant de trouver une ordonnance qui, renonçant à la justice militaire, renvoie les soldats devant les juges civils. On trouve notamment des renseignements à ça sujet dans l'ancien droit de guerre fédéral du 15e au 17e siècle, mais dans des circonstances tout à fait spéciales: Les soldats qui faisaient la guerre à l'étranger furent souvent, mais non pas toujours,, punis à leur domicile, pour les délits qu'ils avaient commis, par leurs magistrats civils et non pas par la justice militaire de campagne. On les renvoyait dans leurs foyers ou l'on attendait qu'ils fussent de retour. Dans sone rapport sur les «Grundzüge eines Militärgesetzbuches» (2 édition, Berne 1878), Hilty a réuni des notes de ce genre prises dans les recès fédéraux (pages 12 et suiv.). Cette façon de procéder s'explique évidemment par le fait que l'on ne voulait pas sojjmettre les mercenaires suisses à la juridiction des armées étrangères, mais bien à la justice de leur pays. Toutefois, cette règle de la juridiction civile du pays natal se modifia par la suite et petit à petit ladite juridiction fut déléguée aux officiers suisses qui servaient également dans les.

troupes mercenaires. Dès le début du 18e siècle, on voit s'établir peu à peu, pour ces armées de mercenaires suisses à l'étranger, une législation et juridiction pénales militaires suisses au sens moderne: En 1704 parut un «Droit suisse de la guerre » « Schweizerisches Kriegsrecht, wie selbiges von. den löblichen Kantonen in alle Fürstendienste den Herren.

Offizieren mitgegeben und allezeit praktiziert wird». En 1734 parut à Paris une édition complétée de la Carolina à l'usage des conseils de guerre des troupes suisses, rédigée par Vogel, grand juge des gardes suisses du roi. Enfin, depuis1817, fut appliqué aux Suisses au service étranger le code G-ady, réputé très sévère et qui porte le nom de son auteun Nicolas Gady de Fribourg, maréchal de camp en ,France (voir le rapport d'Hilty, page 14 et suiv., 42 et suiv., et Jos.

Köhler: «Militärstrafrecht der Schweizer. Soldtruppen im Archiv für Militärrecht», III, page 174 et suiv.).

Le développement du droit pénal militaire pour les troupes suisses au service étranger a pour pendant celui du droit militaire dans l'intérieur de la Suisse, le code militaire

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de nos propres troupes. Jci aussi, on a prévu occasionnellement le renvoi des délits militaires devant les magistrats civils (notes d'Hilty, page 13 et suiv.)- Toutefois, le défensional fédéral du 1668 pose déjà tout à fait clairement le principe de la juridiction militaire à l'égard des soldats et la législation postérieure n'a nulle part la tendancedé renoncer à la juridiction spéciale des militaires. Elle a subsisté sous la république helvétique -- procédure pénale militaire du 27 juillet 1799 --; elle a également subsisté dans les codes pénaux militaires de 1818, de 1837 et de 1851. Autant que nous le voyons dans la nouvelle procédure .pénale militaire de 1889, personne non plus n'a songé à s'en défaire «omplètement. Son champ d'application et la question de savoir si, pour certains délits déterminés, le soldat ne devrait pas lui être enlevé pour être renvoyé devant les tribunaux civils, sont des questions spéciales qui seront examinées plusloin.

Il est ainsi établi que la juridiction militaire est unô' institution vieille de quelques siècles. C'est uniquement pour le démontrer que l'on a donné ici quelques renseignements, historiques qui pourraient facilement être complétés par la comparaison de la législation d'autres pays. A la vérité, le fait qu'elle a atteint un âge honorable ne saurait être une raison suffisante pour conserver cette juridiction spécialesi les manières actuelles de voir la faisaient paraître inopportune, inutile, voire dangereuse. On s'est débarassé d'autres juridictions spéciales, telles que l'ecclésiastique, parce qu'elles ne convenaient plus à la vie publique moderne, souvent aussi parce qu'elles créaient des privilèges injustifiés. Mais il serait tout à fait erroné de croire que l'Etat moderne ne peut plus tolérer de tribunal spécial et que l'égalité de droit exige le renvoi de tous les procès à un seul et même type d^ juge. On a supprimé les juridictions spéciales qui enlevaient certaines personnes à leur juge naturel dans le but de leur accorder un privilège ou un avantage. Mais, d'autre part, l'Etat moderne, tout en tenant compte du principe de l'égalité de. droit, a créé d'autres juridictions spéciales lorsque lea différentes modalités de la vie l'exigeaient. On a institué des tribunaux de commerce, des tribunaux de prud'hommes: et des tribunaux spéciaux, parce
qu'on sentait vivement le besoin de faire régler par des spécialistes certaines modalités de la vie. Nous allons examiner si les mêmes considérations ne militent j>as également en une notable mesure en.

faveur de la juridiction militaire.

88 IV.

La procèditi e pénale militaire en vigueur étant le plus vivement prisa à partis,, il convient tout d'abord d'en indiquer briè·yement les grandes lignes. Elle est exposée dans l'organisation .judiciaire et procedura pénale pour l'armée fédérale du 28 juin 1889. La première partie de la loi traite de l'organisation de la justice militaire et la seconde de la procédure. Les articles U à 15 et 29 à 35, qui traitent de l'organisation de la juridiction militaire, ont été revisés par une novelle, la loi fédérale du 23 décembre 1911 modifiant l'organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale. Cette organisation est des plus simples: A chaque division de l'armée est attaché un tribunal de division, incorporé à l'étatmajor de la division et vivant avec celle-ci. Ce tribunal exerce la juridiction sur toutes les troupes de la division et, le cas échéant, sur d'autres troupes se trouvant dans le rayon de la.

division. Le for est ainsi déterminé, non par le lieu où le ·délit a été cçmimis, mais par l'appartenance à un certain rayon divisionnaire. Ce n'est pas le for usuel du lieu o.ù le délit a été commis, comme dans le droit pénal ordinaire, c'est le for dit personnel. -- Depuis la mobilisation, fonctionnent aussi, dans la mesure nécessaire, les tribunaux supplémentaires prévus par la loi, dénommés tribunaux territoriaux, dans la règle dans les arrondissements divisionnaires (territoriaux) des divisions qui sont à la frontière. Sont soumis à leur juridiction : la population civile, en tant qu'elle peut encore être déférée à la justice militaire, les internés, etc. ainsi que les troupes qui ne sont pas attribuées à un tribunal de division. Pour les tribunaux territoriaux, fait règle le for dit territorial, c'est à dire que leur compétence est déterminée par le lieu où le délit a été commis. Toutefois l'organisation interne des tribunaux divisionnaires et territoriaux est identique. Dans les divisions bilingues, les juges sont choisis parmi les militaires sachant les deux langues nationales en question (dans la 23 division, français et allemand; dans la 5e, allemand et italien). Ainsi tout accusa a la garantie d'être envoyé devant des juges sachant la langue qu'il parle. Nous insistons sur ce point parce qu'en adoptant l'initiative populaire, cette garantie disparaîtrait, comme d'autres
d'ailleurs dont il sera parlé plus loin. Pour ce qui concerne les officiers de la justice militaire (grand juges, auditeurs, juges d'instruction, greffiers), leurs postes sont occupés à double dans les tribunaux bilingues.

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Au demeurant, aux termes de l'arrêté du Conseil fédéral du 5 août 1914, la compétence des tribunaux militaires est, durant la présente mobilisation de guerre, fixée par le département militaire suisse. Celui-ci ne s'est toutefois écarté des principes que nous venons d'exposer que lorsqu'en s'y tenant rigoureusement il en serait résulté de graves inconvénients, notamment pour ce qui concerne la langue.

Au dessus des tribunaux divisionnaires et territoriaux se trouve, comme instance de recours, le tribunal militaire de cassation (art. 17 à 19 de l'organisation judiciaire militaire).

H y a lieu de relever avant tout la composition éminemment démocratique des tribunaux. Outre le grand juge, président du tribunal, qui est officier de la justice militaire, en font partie comme juges trois officiers efc trois sous-officiers ou soldats appartenant aux troupes de l'arrondissement de division. Ces juges conservent leur incorporation militaire.

Cette organisation subsiste même si le prévenu est officier.

On ne saurait dès lors prétendre que la composition actuelle des tribunaux favorise d'une manière quelconque dans l'armée une justice de classe. Aucun autre pays n'a été si loin que le droit suisse sur ce point dans l'application des idées démocratiques.

En corrélation intime avec ces notions fondamentales de l'organisation judiciaire, il faut noter encore l'exclusion de toute influence des commandants militaires sur la désignation et l'activité du personnel des tribunaux militaires. Dès que le chef militaire qui exerce le commandement sur le lieu du délit a ordonné une enquête et transmis le dossier au juge d'instruction militaire, il n'a plus à s'immiscer dans la marche du procès (organisation judiciaire et procédure, pénale art. 108 et suiv., notamment art. 112, 2e alinéa).

Nous ne connaissons pas les justiciers (« Gerichtsherrn ») du code allemand de procédure pénale militaire et les écrivains étrangers ont reconnu que c'est dans la procédure pénale militaire suisse que le chef militaire se tient le plus loin du procès (Hauck dans la «Deutsche Juristenzeitung» IX. p. 1013).

Ce que nous venons de dire de la caractéristique la plus notable de la composition des tribunaux nous paraît suffisant. Nous ne saurions non plus entrer dans les détails de la procédure et nous nous contentons d'en esquisser
les principaux éléments. On peut dire tout d'abord que, parmi les personnes qui ont eu, depuis la mobilisation, beaucoup à s'occuper de la justice militaire, bien peu se sont plaintes de l'insuffisance du code de procédure. On a critiqué certaines insFeuille fédérale suisse. 70' Année. Vol. V.

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69:> titutions et il est vrai que diverses dispositions, sur lesquelles nous reviendrons, ont certainement besoin de modification. Mais en faisant abstraction des détails, les personnes compétentes sont unanimes pour reconnaître que l'organisation judiciaire et procédure pénale de 1889 est une des meilleures procédures pénales de la Suisse.

La procédure est dominée surtout par le principe de la forme orale. A l'encontre de nombre de procédures suisses, le juge ne prononce pas sur le vu de documents écrits sans se soucier de la personnalité de l'accusé. Au contraire, l'état de fait qui doit servir de base au jugement est établi dans les débats par l'interrogatoire de l'accusé, par la production de documents écrits et d'autres objets se rapportant au délit, par les dépositions des témoins et au besoin des experts, à peu près comme devant les cours d'assises (organisation judiciaire et procédure pénale art. 144 et auiv.). Cette manière de procéder nous amène ensuite nécessairement à reconnaître un autre principe celui de l'immédiateté d'après lequel le juge établit les faits en s'en tenant aussi immédiatement que possible aux circonstances, en examinant personnellement les moyens de preuves, en procédant à une visite des lieux, etc. Comme toute procédure moderne, il est évident que la nôtre admet le principe de la libre appréciation des preuves; elle dit en effet à son article 158, 1er alinéa: «Le tribunal apprécie librement les preuves, d'après la conviction qu'il a puisée dans le cours des débats ». Le juge n'est dès lors lié à aucune règle probatoire comme on en trouve encore dans les droits cantonaux.

La publicité des débats est aussi garantie en principe (art.

65). On peut ensuite considérer comme un autre avantage de notre procédure la disposition qui prescrit qu'à la fin des débats, non seulement le jugement est communiqué oralement mais que « le contenu essentiel des motifs est indiqué » à l'audience (art. 164, 2e alinéa). Ainsi, à la fin des débats, le prévenu n'entend pas seulement la sentence du tribunal, mais encore les motifs qui l'ont dictée. Cela ne supprime naturellement pas la rédaction écrite du jugement avec exposé des motifs (art. 161).

Ainsi, le procès, dégagé des entraves qui se trouvent en1 grand nombre dans les procédures surannées, se déroule avec une rapidité extraordinaire,
avantage que n'ont pas certaines procédures cantonales et qu'on ne saurait trop apprécier.

La justice militaire travaille vite. S'il arrive exceptionnellement qu'un procès militaire traîne en longueur, cela est dû

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aux circonstances spéciales du cas particulier et la loi elle: même ne saurait en être rendue responsable.

Ce que nous venons de dire devrait suffire pour établir la valeur de l'organisation judiciaire et procédure pénale militaire de 1889. Nous avons exposé en quelques mots quelques-uns de ses principes fondamentaux. Il nous reste encore à examiner si, ; sous d'autres rapports, la loi n'aurait pas des défauts capables de justifier l'initiative populaire. Une question se place ici au premier plan, c'est celle de l'étendue de la juridiction militaire, tout particulièrement à l'égard des civils. Voici la situation à l'heure actuelle: L'article 1er de l'organisation judiciaire énumère les personnes qui sont soumises à la juridiction militaire, dans l'idée que les personnes auxquelles est applicable le droit péna] militaire matériel -- dans la règle le code pénal militaire -- doivent aussi être jugées par les tribunaux militaires. L'article en question prescrit qu'en premier lieu les militaires sont soumis à la juridiction militaire. Viennent ensuite certaines catégories de civils pour lesquels il faut distinguer entre le temps normal de paix et les périodes de mobilisation de l'armée en vue du service actif. En tout cas, sont soumis au droit militaire, à teneur de l'article 1er, les personnes employées en permanence par un militaire au service ou par un corps de troupes, tels que les écuyers, les domestiques d'officiers (n° 6), puis les civils qui se rendent coupables d'espionnage ou d'embauchage (n° 11), en outre les fonctionnaires et employés de l'administration militaire pour les délits de nature à compromettre la défense nationale (n° 3) et les personnes attachées à l'armée pour une fonction spéciale de service, telle que service de la poste, du télégraphe et de construction de chemins de fer, service d'hôpital, administration des casernes etc., mais seulement pour les actes qui concernent ces services (n° 7). En temps de service actif, notamment en temps de guerre, le cercle des civils soumis à la juridiction militaire s'agrandit. Viennent s'y ajouter: les individus de condition civile qui détournent ou cherchent à détourner un militaire de ses devoirs militaires essentiels (n° 10), puis les prisonniers de guerre et les internés (n° 9) et enfin «en temps de guerre; tout individu qui suit l'armée
ou qui commet un délit contre des personnes appartenant à l'armée ou concernant des choses destinées à son usage» (n° 8). IL y a lieu d'ajouter pour être complet qu'aux termes de l'ordonnance du Conseil fédéral du 6 août 1914, les règles établies pour le temps de guerre sont applicables durant la

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présente mobilisation. Ainsi le n° 8 de l'article 1er de l'organisation judiciaire militaire est applicable à l'heure présente.

Nous ajoutons encore que toutes ces personnes soumises au droit militaire, soldats et civils, qui se rendent coupables de délits non prévus dans le code pénal militaire sont renvoyées devant la justice civile (art. 6 de la loi). Pour de plus amples détails, prière de consulter A. Stoos, «Kommentar der Militärstrafgerichtsordnung », puis surtout Engster, «Die persönliche und sachliche Zuständigkeit der schweizerischen Militärgerichte» (Rastatt 1913) et Hafter, avant-projet de code pénal militaire, avec exposé des motifs (Berne 1916), page 3 et suiv.

Deux reproches principaux ont été adressés à cette organisation: D'abord que le cercle des civils soumis à la juridiction militaire est trop étendu et ensuite qu'il n'est pas admissible d'appliquer sans autre, pendant les temps où nous vivons depuis le mois d'août 1914, les dispositions du droit de gnerre, en étendant le cercle des civils qui y sont soumis.

Notre projet de. code pénal militaire propose la réorganisation de cet ordre de choses. Dans les dispositions concernant l'application personnelle et matérielle de la loi, il demande avant tout de ne pas soumettre sans nécessité les vivils au d/roit militaire. Il distingue à ce propos trois situations: le temps en dehors du service actif, le service actif en temps de paix et enfin le temps de guerre (temps de danger immédiat de guerre ou de guerre déclarée). Sur cette base, le projet prévoit qu'en dehors du service actif aucun civil ne sera plus soumis au droit pénal militaire, ni au droit matériel ni à la procédure (art. 2).

Ce n'est qu'en temps de service actif que, suivant le projet il y a lieu d'étendre quelque peu le champ d'application du droit militaire. Mais cette extension ne se fait que dans la_ mesure où, en cas de danger imminent, les intérêts du pays exigent aussi une protection plus grande des intérêts militaires. Ainsi l'article 3 du projet soumet au droit pénal militaire en temps de service actif les internés résidant en Suisse, puis les civils au service de la troupe ou de personnes appartenant à l'armée. Il y soumet également les civils qui commettent certains délits déterminés contre les intérêts militaires, l'armée et ceux qui en font partie (art. 3
n° 4). Le n° 3 dudit article prévoit enfin la juridiction militaire à l'égard des fonctionnaires, employés et ouvriers de l'administration militaire, des chemins de fer et des autres entreprises

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publiques de transport, mais seulement «sur décision du Conseil fédéral et dans la mesure fixée par lui ».

Enfin la .question du temps de guerre est réglée par l'article 4. Lorsque le pays se trouve en guerre ou, en danger de guerre imminent, il est nécessaire que, dans certains domaines, le pouvoir civil cède le pas au pouvoir militaire. Aussi doiton soumettre au droit militaire une série de nouveaux délits commis par des civils (art. 4, n° 2). Il n'est pour le
En comparant au code en vigueur la nouvelle organisation proposée par le projet, on se rend clairement compte des importantes restrictions qu'il apporte, pour ce qui concerne les personnes, au champ d'action du droit pénal militaire et., partant, de la juridiction militaire. Nous citons parmi les plus importantes la .suppression de la disposition de l'article 1er, n° 8, qui, en temps de guerre ou de mobilisation, soumet à la juridiction militaire tout individu qui commet un délit contre des personnes appartenant à l'armée ou concernant des choses destinées à son usage.

Lorsque le projet de nouvelle organisation aura été consacré par la loi, les cas de civils déférés à la justice militaire seront ainsi plus rares. Cela mettra à néant un des motifs invoqués par les partisans de l'initiative.

Redisons-le encore: Si le peuple a le sentiment que la mesure dans laquelle les civils sont soumis au droit pénal et à la juridiction militaires est trop étendue, c'est un motif suffisant pour modifier certaines dispositions de la loi. Mais il serait imprudent et déraisonnable de vouloir, pour cela, jeter par dessus bord tout l'appareil de la justice militaire.

V.

Le mieux est l'ennemi du bien. Toute justification de l'organisation judiciaire et procédure pénale en vigueur et de la justice militaire est peine perdue si l'initiative offre au pays une compensation suffisante.

Il est donc nécessaire d'examiner plus en détail les divers postulats de l'initiative populaire.

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L'initiative vise au maintien d'un droit pénal militaire matérial spécial; aussi peut-on admettre gué les pétitionnaires sont d'accord sur la revision du code pénal militaire. Ils désirent en revanche qu'à l'avenir «les délits visés par le code pénal militaire soient déférés, pour l'instruction et le jugement, à la justice ordinaire du canton dans Je,quel ils ont été commis. » Cette proposition implique donc le retour à la diversité des procédures cantonales dans un 'domaine où règne depuis de nombreuses années l'unité de droit. L'organisation simple et claire de la juridiction par laquelle se distingue le droit militaire doit être remplacée par la fâcheuse multiplicité des juridictions cantonales. Au point de vue fédéraliste, dont ne s'occupent d'ailleurs certainement pas les chefs du mouvement de l'initiative, il y aurait lieu d'examiner s'il y a un avantage quelconque à déférer aux juges des cantons les cas incriminés par le code pénal militaire. Personne ne peut répondre affirmativement à cette question, car .on ne saurait prétendre qu'il soit question ici de la sauvegarde de particularités cantonales quelconques. Il n'est pas du tout non plus dans les intentions des auteurs de l'initiative de combattre l'idée de l'unité du droit. Ils veulent écarter la justice militaire et comme il n'existe, du moins dans les instances inférieures, aucune autre juridiction fédérale, ils sont obligés d'avoir recours à la juridiction ordinaire des cantons.

Il est vrai que lorsqu'on en sera arrivé là, la solution proposée par l'initiative populaire s'imposera pour les détails, savoir: compétence des autorités de ^procédure pénale du canton dans lègue! le délit a été commis (principe territorial) et marche du procès suivant la procédure cantonale. Autrement dit: on en arrivera à la procédure à appliquer à teneur des articles 143 et suivants de la loi fédérale sur l'organisation judiciaire fédérale, dans les causes pénales qui doivent être jugées d'après les lois fédérales et qui sont déférées aux tribunaux des cantons. Il résulte encore expressément du texte de la pétition que les jugements rendus en dernier ressort par les tribunaux des cantons peuvent être déférés au tribunal fédéral par un. pourvoi en cassation. Ceci est conforme également aux dispositions des articles 145, n° 1, d, 160 et suivants de la loi
sur l'organisation judiciaire.

A l'heure qu'il est, des procès de ce genre instruits en vertu du code pénal fédéral sont déférés, toujours en plus grand nombre, aux tribunaux des cantons. Le juge du canton où le délit a été commis n'a pas seulement à juger les atteintes aux voies

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de communication prévues aux articles 67 et suiv. du code pénal fédéral ou les infractions à la loi sur le commerce des denrées alimentaires (art. 49), etc., mais aussi, en vertu des décisions prises par le Conseil fédéral ensuite de la mobilisation, les nombreuses plaintes relatives aux violations des dispositions prises en vue d'assurer le ravitaillement
En présence de cette situation, peut-on demander que ce qui est resté à la justice militaire, le jugement des causes du droit militaire proprement dit, lui soit encore enlevé, dételle sorte que la juridiction militaire ne soit plus nécessaire.

La réponse ne peut décidément être que négative.

Il ne faut d'abord pas oublier que le renvoi aux tribunauix des cantons des affaires du droit pénal fédéral ordinaire n'est qu'un pis-aller, parce qu'on ne peut pas déférer tous ces procès au tribunal fédéral et qu'il n'existe pas d'instance fédérale inférieure. Nous avons dans les tribunaux divisionnaires et territoriaux des premières instances fédérales.

Mais le caractère particulier des affaires pénales militaires interdit avant tout leur renvoi devant les tribunaux ordinaires des cantons.

Nous avons constaté plus haut qu'un grand corps de troupes, la division par exemple, représente une communauté .particulière d'un grand nombre d'hommes et que, lorsqu'un délit vient à être commis dans cette communauté, le for du délit est déterminé par l'appartenance de l'auteur à la division et non pas par le lieu où le délit a été commis. Ainsi le prévenu est envoyé devant un juge qui connaît ses particularités et la langue qu'il parle. Pendant que les troupes sont sur pied et encore moins durant la guerre, la division n'a pas de lieu de stationnement fixe; elle passe d'un canton dans un autre et, à la démobilisation, ceux qui en font partie se répandent dans toutes les régions du pays. Si, par exemple, des hommes appartenant aux troupes bernoises de la 3e division commettent un délit pendant un service qu'ils accomplissent
dans le canton du Tessin, ils seront renvoyés suivant le droit en vigueur devant le tribunal de leur division. Si par contre l'initiative était acceptée, le procès devrait être jugé par les tribunaux tessinois. Pour les affaires toutes simples, cela ne présenterait pas de grandes difficultés. 'Mais dès

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qu'il s'agira de causes plus importantes, dans lesquelles la procédure probatoire est difficile et compliquée par l'audition d'un grand nombre de témoins, on ne peut se représenter comment le procès pourrait se dérouler. On arriverait certainement bientôt à la conviction que le renvoi devant le juge cantonal du lieu du délit serait le meilleur moyen de faire traîner, et combien, les procès en longueur.

Il peut aussi fort bien arriver qu'une division suisse se trouve pendant une guerre sur territoire étranger. Les tribunaux du lieu du délit ne pourraient entrer en ligne de compte, ni pour les soldats suisses appartenant à la division, ni pour les étrangers ennemis qui se rendent coupables d'un délit contre notre armés. Devra-t-on alora conduire le soldat suisse, qui a peut-être commis un délit grave, aux tribunaux de son canton comme cela se faisait pour les anciens mercenaires, ou faudra-t-il attendre que la division soit heureusement rentrée au pays, ou bien encore l'homme devra-t-il rester impuni? C'est précisément par égard à de pareilles circonstances que le droit militaire applique depuis des siècles le principe que le droit pénal et la juridiction pénale suivent la troupe. -- Dans le «Zürcher Volksrecht » du 20 mars 1916, l'auteur d'un article recommandant l'initiative contre la justice militaire a .aussi traité le cas des délits commis à l'étranger, mais sans être à même de dire ce qu'il faudrait faire dans ces cas-là après l'adoption de l'initiative. Il pense que le Conseil fédéral, qui, en temps de guerre, serait armé des pleins pouvoirs, trouverait le moyen, de résoudre la question. Est-ce que cela veut dire qu'on devrait alors ressortir la juridiction militaire spéciale des dessous où on l'aurait reléguée?

La suppression de la justice militaire aurait cependant encore d'autres inconvénients. Nous avons déjà dit plus haut que l'organisation judiciaire est de plus en plus portée à constituer des tribunaux spéciaux lorsqu'il est nécessaire de faire apprécier par des experts certains cas particuliers. Ces conditions se rencontrent dans la grande majorité des causes qui viennent aujourd'hui devant les tribunaux militaires. Pour les apprécier et les juger comme il convient, il faut être familiarisé avec les idées et les règlements militaires, avec le service des ordres et la marche du service,
ce gui n'est jamais le cas ou n'est plus le cas pour la grande majorité des juges civils. Le juge civil qui doit juger de la désobéissanccj des violations des devoirs du service, de la mutinerie, de la révolte et d'autres délits purement militaires, se trouve-

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rait toujours devant des faits qu'il ne saurait apprécier à leur iuste valeur. Il en résulterait gue tout mse consciencieux, en présence de ces nombreux cas douteux, devrait recourir à des experts au courant des affaires militaires, savoir à des militaires.

Il est même à prévoir qu'avec le temps il s'établirait une véritable procédure par préavis, dans le mauvais sens du terme, et le juge, auquel son devoir impose de se faire une idée personnelle, s'en tiendrait aveuglément à la manière de voir des experts militaires. Si l'on compare à ce système la composition actuelle des tribunaux militaires, on ne saurait douter de quel côté se trouve l'organisation la plus raisonnable, la plus pratique et souvent la plus favorable à l'accusé. Devant le juge militaire, le prévenu sait que ses déclarations seront bien comprises, tandis que la plupart de juges civils ne peuvent pas lui fournir cette garantie.

Ainsi, l'espoir en une juridiction plus douce dont se bercent sans doute les partisans de l'initiative ne serait pas souvent réalisé. Un tribunal n'a nulle part tiré avantage d'une compréhension défectueuse ou de malentendus. -- Et enfin cette manière de faire compliquerait la procédure et la retarderait, car toute demande de préavis et toute audition d'experts dans l'instruction principale prolongeraient inévitablement les opérations.

Il y a encore d'autres objections: Dans un article sur la réforme de la justice militaire (« Schweiz. Militärzeitung » 1917, n° 33), le major de la justice militaire Huber a attiré l'attention sur le fait que, pour nombre de délits du droit militaire, il n'existe pas de ligne de démarcation bien déterminée entre les délits et les simples fautes disciplinaires. Or si l'exercice de droit pénal disciplinaire demeure encore au pouvoir militaire -- l'initiative ne voulant rien y changer -- les commandants de troupes, pour ne pas être obligés de déférer les soldats à la justice civile qui ne leur inspire pas grande confiance, seront facilement tentés de cacher les délits aux autorités civiles et d'augmenter mal à propos leur pouvoir disciplinaire. Le coupable sera ainsi enlevé à la justice 'et en revanche puni d'autant plus sévèrement par voie disciplinaire, procédé qui est loin d'offrir autant de garanties que le renvoi devant les tribunaux. -- Suivant le droit en vigueur,
il est loisible au chef de régler disciplinairement les cas de violation des devoirs du service, de désobéissance, de menaces sans gravité etc. ou de les renvoyer à la justice militaire en ordonnant une

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enquête (art. 109 à 112 de l'organisation judiciaire et procédure pénale militaire). Si en revanche l'exercice du droit pénal militaire passait à la juridiction civile, suivant le principe de l'intervention d'office admis dans toutes les procédures pénales cantonales, la police et le ministère public devraient procéder d'office contre l'auteur sur le lieu du délit. Même en admettant que, dans la pratique, les commandants militaires et les offices civils cherchent et trouvent le moyen de s'entendre, il serait impossible d'éviter de nombreux et fâcheux conflits entre les deux pouvoirs.

A l'heure présente, les rapports entre la justice militaire et les commandants qui ordonnent l'enquête s'effectuent sans encombre. Les relations entre le ministère public intervenant d'office et de son propre chef et les commandants militaires seraient en revanche dès le début embarrassées ou pour 10 moins mises en danger. Cela prouve à son tour que la communauté militaire demande absolument une juridiction à elle.

Dans nombre de cas, il ne serait pas possible, précisément dans ce domaine, d'arriver à une fructueuse coopération des pouvoirs civils et militaires.

Ajoutons enfin que la suppression de la justice militaire causerait un notable surcroît de travail à la justice civile, au moins à toute mobilisation importante et de longue durée.

Cela aussi ferait traîner les opérations en longueur et les jugements s'en ressentiraient.

VI.

Le deuxième partie, savoir les 4e et 5e alinéas de la pétition, requièrent une réorganisation partielle du droit disciplinaire militaire. Si la demande de la suppression des tribunaux militaires doit être écartée comme inacceptable et inexécutable, ce second postulat nous conduit dans une voie dans laquelle le Conseil fédéral est déjà entré de lui-même.

La législation disciplinaire militaire a besoin d'une rénovation et cela même dans d'autres sens que le prévoit l'initiative populaire. Les' gens informés l'ont déjà reconnu depuis longtemps et nous rappelons ici que le 9 octobre 1894 le Conseil fédéral a déjà soumis à l'Assemblée fédérale un projet de loi sur les articles de discipline que les Chambres adoptèrent mais qui fut refusé par le peuple dans la votation du 4 octobre 1896.

Aujourd'hui, il ne s'agit plus, comme en 1894/96, de l'institution d'une loi disciplinaire mais, à l'instar du système

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actuel, d'ajouter au code pénal militaire un deuxième titre traitant du droit pénal disciplinaire.

Nous renvoyons à ce propos aux articles 179 et suivants du projet -- dispositions concernant les fautes de discipline -- ainsi qu'à l'exposé des motifs «contenu dans le message (F.féd.,V. 349). Nous ne «aurions traiter ici toute la question de la législation disciplinaire. Il s'agit seulement, d'une part de comparer le postulat formulé par l'initiative avec le droit présentement en vigueur et, d'autre part, de lui opposer les solutions proposées dans le projet de nouveau code pénal militaire.

L'initiative demande en premier lieu ceci: «Les arrêts infligés comme peine disciplinaire ou d'ordre ne peuvent excéder dix jours. La peine ne peut être .aggravée _ni par une réduction de l'alimentation ni par le retrait de la lumière du jour. » On peut en effet ne pas être satisfait des modalités des arrêts, la plus importante des peines disciplinaires que prévoit le code actuel (art. 167 et suiv.). Il n'est guère nécessaire d'examiner en détail la question des arrêts au quartier ou en chambre, soit la consigne (art. 168, 3) qui n'est pas une peine d'arrêts proprement dits. Il suffit de dire que son trait caractéristique est de priver l'homme puni de ses heures de liberté pendant un certain temps. La loi en vigueur prévoit un maximum de trente -jours. Le projet a renoncé à cette peine.

On attache en revanche une plus grande importance, tout en en critiquant les modalités, aux peines d'arrêts proprement dits qui représentent régulièrement une limitation sensible de la liberté. Le code en vigueur (art. 168 à 170) fait des distinctions subtiles. Pour les sous-officiers et sofdats., il connaît les arrêts à la salle de police, de vingt jours au plus, et les arrêts à la prison, avec le même maximum et la faculté de mettre le prisonnier de deux jours l'un au régime du pain et de l'eau. Pour les officiers, l'article 170 prévoit les arrêts simples jusqu'à trente jours; les arrêts de rigueur dans lesquels l'officier ne fait pas de service et où son épée lui est ôtée, de vingt jours au maximum; enfin, avec le même maximum, les arrêts forcés dans une chambre close ou quartier, avec une sentinelle à la porte. --'Le projet introduit une première simplification en ne prévoyant pour tous les grades que deux sortes d'arrêts, les arrêts simples et les arrêts de rigueur. Ces deux peines se distinguent ainsi qu'il suit:

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Les arrêts simples (art. 183) sont subis dans un local spécial désigné comme local d'arrêts. La peine est caractérisée notamment par le fait que celui auquel elle est infligée est séparé de sa troupe pendant la nuit et les heures de liberté.

En revanche, il fait le service comme les autres. Les arrêts simples ne doivent d'ailleurs avoir aucun autre effet. -- L'avant-projet s'efforce de différencier nettement cette forme adoucie de la forme plus sévère des arrêts de rigueur (art.

184). Là l'isolement est obligatoire et le trait caractéristique de ces arrêts est d'exclure de tout service pendant leur durée celui qui en est frappé et de le séparer totalement de sa trouve.

Le projet établit certaines règles communes aux deux sortes d'arrêts.

Nous attirons notamment l'attention sur l'article 185, 1er alinéa, à teneur duquel il est interdit d'aggraver les peines en suspendant leur exécution jusqu'après le service. Cette règle a pour 'but de mettre fin à un système qui compte un grand nombre de partisans. Mais on n'a pas seulement voulu supprimer l'aggravation de la peine qui consiste à la faire subir «après le service»; l'article 191 du projet prévoit encore que «toute peine disciplinaire non prévue par le présent chapitre et toute aggravation de peine sont interdites». Cette disposition exclut évidemment la «réduction de l'alimentation » autorisée par l'article 168/5 du code en vigueur ; elle exclut aussi le régime de l'obscurité («retrait de la lumière du jour »). Ce régime serait aussi une des aggravations qu'interdit l'article 191. En outre, l'article 186 du projet prescrit encore que «tous les locaux d'arrêts doivent être secs, éclairés par la lumière du jour, suffisamment aérés et conformes aux exigences de l'hygiène ».

En se plaçant toujours au point de vue du projet, il ne reste plus qu'à examiner la demande des pétitionnaires de fixer à toute peine d'arrêts un maximum de dix jours.

C'est la question la plus discutée. Suivant l'idée que l'on se fait de l'essence et des fonctions de la législation disciplinaire militaire, notamment de la peine des arrêta, on aboutit à différentes solutions. Nous allons exposer les divers points de vue.

Le code actuel va, nous l'avons déjà dit, soit jusqu'à vingt jours, soit jusqu'à trente (art. 168, n° 3 à 5 et art. 170)-, La loi sur les articles de discipline
soumise au peuple en 1896 prévoyait comme maximum: pour les arrêts au quartier ou en chambre, dix jours (art. 6, 2e al.), pour les arrêts simples, vingt jours (art. 7) et, pour les arrêts forcés, trente jours

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(art. 8, 3e al.)- Dans son mémoire sur «la réforme de la justice militaire», que nous avons déjà cité, le major Huber est récemment intervenu en faveur de l'augmentation du maximum des arrêts. Il écrit aux pages 19 et suivantes: «Le code pénal militaire actuel et, dans une mesure encore plus forte, le projet laissent déjà, pour un même état de fait, le choix entre l'emprisonnement et une peine disciplinaire suivant les circonstances du cas particulier. Or, si le maximum de la peine disciplinaire n'était que de 20 jours d'arrêts, ou même si, comme le demandent les pétitionnaires, il devait être encore réduit, nombre de cas ne pourraient pas être réglés disciplinairement parce que la peine serait trop douce et qu'ainsi le prestige de l'autorité militaire ne serait pas suffisamment rétabli. -- Si les manières de voir développées ci-dessus sont exactes, il en déco'.lierait d'abord l'obligation d'agrandir notablement le cadre des peines disciplinaires afin de pouvoir remplacer par des peines de ce genre une grande partie des peines actuelles d'emprisonnement. » Le major Huber réclame donc avant tout une extension du pouvoir disciplinaire aux dépens du règlement des affaires pénales par les tribunaux. Mais un pareil déplacement du domaine du droit criminel et du droit disciplinaire éveille des scrupules dans deux sens: On peut se demander d'abord si vraiment des cas délits assez graves pour entraîner une peine privative de la liberté de plusieurs semaines peuvent être réglés par voie disciplinaire. En outre, même si l'on parvient à perfectionner les modalités 'des peines disciplinaires, on ne pourra souvent pas accommoder ce mode de peine à l'exécution d'une peine privative de liberté de longue durée. Cela ne se serait possible que si l'on pouvait créer des établissements permanents pour les militaires aux arrêts. Or cette condition n'a aucune chance d'être réalisée. -- Aussi ne nous est-il pas possible de donner notre adhésion à une extension du droit disciplinaire qui, grâce à l'élévation de la mesure de la peine des arrêts, augmenterait les possibilités de punir. Il ne faut pas non plus oublier que, diaprés tous les indices, le désir populaire est de diminuer le maximum des peines d'arrêts et non pas de l'augmenter. Il faut encore examiner si, d'accord avec l'initiative, on peut, d'une manière générale,
descendre jusqu'à dix jours.

Le projet du nouveau code pénal militaire adopte le postulat de l'initiative pour ça qui concerne les arrêts simples et prévoit pour cette peine-là, à son article 183, 2e alinéa, une durée de un à dix jours. En revanchej pour les arrêts de rigueur, l'article 184, 2e alinéa, prévoit une durée de trois

702 jours au moins et de vingt jours au plus. H est de toute nécessité qu'à ce point de vue aussi, une différence nette soit établie entre les deux sortes d'arrêts. La solution adoptée par le projet doit, notamment aussi en fixant les limites des peines, établir nettement que les arrêts de rigueur sont une cerne exceptionnelle, réservée aux auteurs des .fautes de discipline les plus graves. C'est ce qu'indiqué également le minimum fixé à trois jours.

2. Un accueil encore plus favorable est réservé au dernier des postulats des pétitionnaires: «Le droit de porter plainte contre une peine disciplinaire est garanti; l'exercice de ce droit ne peut entraîner aucune punition. » Pour pouvoir bien juger de ce postulat, il faut considérer d'un côté les dispositions en vigueur aujourd'hui et d'autre part notre projet de nouveau code disciplinaire: Le système actuel est à la fois insuffisant et peu clair.

Les articles 196 et 197 du code pénal militaire et les §§ 47 et suiv. du règlement de service traitent des plaintes.

L'erreur principale de ces dispositions est de ne pas distinguer suffisamment entre les différentes sortes de plaintes du droit militaire et de ne pas les régler chacune pour son compte. Dans le § 48 du règlement de service, on peut notamment distinguer trois catégories de plaintes: Les plaintes « d'ime portée générale », c'est à dire sans doute les plaintes qui ne sont pas dirigées directement contre les ordres et les décisions d'un supérieur déterminé, les réclamations d'ordre général, par exemple au sujet de la nourriture, du service sanitaire, ou des chicanes cherchées à un soldat par ses camarades, etc.; Les plaintes portées contre un chef à raison d'une peine qu'il a prononcée (recours de droit pénal), complétées par les prescriptions des articles 196 et 197 du code pénal; enfin Les plaintes portées contre un chef à raison de faits d'autre nature, par exemple ensuite de mauvais traitements.

Bien qu'il soit possible d'établir des règles communes, déterminées, pour ces trois catégories de plaintes, il est cependant nécessaire de fixer la forme spéciale de chacune d'elles. C'est tout particulièrement le cas pour le recours de droit pénal, la seule plainte du reste qui soit visée expressément par l'initiative. Dans le nouveau code pénal, elle doit, en tant que voie de recours contre les décisions infligeant des peines disciplinaires, fai,, e l'objet de dispositions spéciales et en partie dif-

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férentes des règles sur les autres plaintes. Il résultera de ce système que le règlement de service ne devra plus contenir que les dispositions relatives aux deux autres catégories de plaintes.

Et il y aurait lieu d'examiner jusqu'à quel point il faudrait y apporter des modifications et des compléments. Au demeurant, le général a publié le 20 janvier 1916, en complément des dispositions du règlement de service sur les plaintes, des directions sur F« exercice du droit de plainte ». On en a partiellement tenu compte dans les articles 207 et suivants du .projet, qui traitent du recours en matière disciplinaire.

On a ainsi déjà pris des mesures en rue de la réalisation de ce postulat des pétitionnaires et il ne reste plus qu'à exposer de quelle manière le projet s'efforce d'arriver à la garantie du droit de plainte en -matière disciplinaire.

Les principes essentiels posés à cet égard par les articles 207 à 212 sont les suivants: Le point de départ est la règle formulée à l'article 207, 1er alinéa, suivant laquelle toutes les fois qu'une peine disciplinaire a été prononcée, un recours peut être introduit par celui qui a été puni. L'article 208 désigne exactement les instances de recours. Comme le demande la marche du service et en vue de donner en même temps la meilleure garantie légale, l'article 209 prescrit la forme écrite.

Cette forme d'introduction du recours garantit suffisamment qu'il parviendra au juge compétent.

.Quant au règlement du recours, les articles 211 et 212 prescrivement textuellement: Art. 211. «Le chef compétent pour statuer sur le recours donnera à celui qui a prononcé la peine la possibilité de s'expliquer. Il pourra aussi entendre le recourant.

Si c'est le département militaire fédéral qui est instance de recours, il se fera adresser un rapport écrit par l'instance qui a prononcé la peine. » Art. 212. «La décision de l'instance de recours sera communiquée aux intéressés par écrit, avec indication des motifs. » C'est à dessein que dans notre exposé nous n'avons touché que les points qui, conformément aux postulats des pétitionnaires, ont pour objectif la garantie du droit de recours.

Quant à la forme du droit de recours dans son ensemble, nous renvoyons au texte complet des articles 207 à 212 du projet et à notre message du 26 novembre 1918 (F. f. V. 349). Il

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sciemment, ont formulé un recours contraire à la vérité ou y a pourtant lieu de mentionner encore que, dans le chapitre, service, nous avons introduit de délit suivant (art. 69): 1. «Celui qui, dans le dessin d'intercepter une plainte ou un recours disciplinaire d'un subordonné ou d'un inférieur, ou une dénonciation pénale, l'aura retenue ou fait disparaître, celui qui aura joint à une plainte ou à un recours disciplinaire un rapport sciemment inexact, sera puni de l'emprisonnement.

2. Le délit sera puni disciplinairement, s'il est de .peu de gravité».

Ces règles représentent évidemment une nouvelle et sérieuse garantie et, une fois que toutes ces dispositions auront padsé dans les lois, on ne pourra certes plus se plaindre des restrictions apportées au droit de recours. Et par une ordonnance judicieuse et complète de ces dispositions, on réalisera en même temps la seconde partie du postulat qui demande que l'exercice du droit de porter plainte n'entraîne aucune punition. En garantissant au recourant que suite sera donnée à sa plainte et en punissant comme des délits l'interception des plaintes et les préavis sciemment inexacts, la loi empêche d'autre part par cela même qu'une punition soit .infligée à un recourant dans l'exercice de ses droits. Suivant les dispositions du projet, le recours est un moyen de droit ouvert à quiconque est puni, même si ,la peine paraît justifiée. -- Une autre question est de savoir si l'on doit punir ceux qui, sciemment ont formulé, un recours contraire à la vérité ou attribuable à des mobiles peu honorables. La discipline militaire exige une réponse affirmative et le postulat des pétitionnaires ne saurait évidemment aller jusqu'à demander l'exclusion d'une peine dans les cas de ce genre. Parmi d'autres lois, le code pénal militaire allemand crée à son § 152 un délit spécial d'« abus du droit de plainte ». Nous n'estimons pas nécessaire que notre code en fasse autant, tant. Celui qui formule une plainte mensongère, attribuable à des motifs déshonorables, qui n'observe pas les prescriptions de service, est puni, suivant le cas, pénalement ou disciplinairement, en conformité des dispositions du projet qui traitent de la violation des devoirs du service (art. 72). Il devrait être clair qu'ainsi on ne touche pas au principe qu'aucune peine ne peut être infligée à qui exerce son droit de recours.

Le code pénal militaire en vigueur déclare à son article 197 que «si la plainte n'est pas fondée, la peine qui fait l'ob-

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jet de la réclamation pourra être aggravée». L'initiative est «videmment dirigée contre cette disposition qui ne 'doit plus «e retrouver dans le nouveau code.

VII.

Nous récapitulons pour terminer les résultats de notre «tude, en exposant le point de vue auquel nous nous plaçons ·à l'égard de l'initiative populaire: 1. Un examen objectif de la procédure pénale militaire en vigueur en fait voir la valeur. Mais en considérant sana prévention les conditions particulières de la communauté militaire, on se rend compte aussi de la nécessité d'une justice militaire séparée. Ce par quoi les pétitionnaires voudraient la remplacer, savoir la remise aux tribunaux ordinaires des cantons et à leur procédure des affaires judiciaires militaires, ' nous mettrait dans des conditions par trop fâcheuses, pour ne pas dire intenables. Inévitablement, l'exercice de la justice subirait de grands retards et l'on verrait s'élever entre les autorités de la justice civile et les organes militaires des conflits difficiles à apaiser. » Aussi les tribunaux militaires et la juridiction .militaire doivent-ils subsister. En revanche, notre enquête a démontré la nécessité d'une revision partielle de la procédure pénale militaire.

C'est ce que fait dans la mesure du nécessaire le projet de* nouveau code pénal militaire. L'article 1er de l'organisation judiciaire et procédure pénale pour l'armée fédérale de 1889 indique les personnes qui «sont soumises à la juridiction militaire de la Confédération et à sa législation pénale militaire ». On a dit que les « conditions personnelles et matérielles » du droit pénal militaire doivent aujourd'hui être autrement délimitées, qu'il y a lieu notamment de réduire les cas où les civils sont soumis au droit militaire. C'est la voie suivie par les articles 2 et suivants de notre jprojet.

Les règles posées dans ces articles ne s'occupent il est vrai ·que de la soumission au droit pénal ma~bériel. Mais on ^en-i tend que la soumission à la juridiction militaire en est le corollaire: Toute personne a laquelle le droit pénal militaire est matériellement applicable est, dans la même mesure, soumise à la juridiction des tribunaux militaires. C'est ce qui est dit au dernier chapitre du projet (art. 216 et suiv.).

«. Quant au postulat des pétitionnaires au sujet du droit disciplinaire militaire, il faut en admettre l'idée maîtresse.

Feuille fédérale suisse. 70e année. Vol. V.

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Le livre deuxième du projet de code pénal militaire supprimeles aggravations aux peines d'arrêts par la réduction de la nourriture et la privation de la lumière du jour. Le droit de recours contre les peines disciplinaires est sérieusement garanti. Pour ce qui concerne les arrêts simples, le maximum a été fixé à dix jours en conformité du désir des pétitionnaires. Le projet prévoit toutefois un. maximum de vingt jours pour les arrêts de rigueur.

Quant au sort réservé à l'initiative populaire, nous renvoyons à l'article 121, 6e alinéa, de la constitution fédérale et à la loi fédérale du 27 janvier 1892, sur la manière de procéder pour les demandes d'initiative populaire (Recueil .officiel, tome XII, pages ^42 et suiv.). L'initiative a été> présentée « sous la forme d'un, projet rédigé de toutes pièces ».

Si l'Assemblée fédérale puis le peuple et les Etats l'adoptent, les propositions des pétitionnaires seraient immédiatemejat applicables. Si ce n'était pas le cas, l'Assemblée fédérale aurait à décider si elle veut simplement proposer le rejet au peuple ou si elle entend lui soumettre un contreprojet rédigé par elle.

Mais en tel contre-projet ne saurait être rédigé que sï l'on était persuadé de la nécessité d'introduire dans la constitution des dispositions concernant la justice militaire.

Or les considérations que nous avons exposées n'aboutissent pas à ce résultat. Nous avons cherché à démontrer qu'il ne peut pas être donné suite à la demande de la suppression de la justice militaire. Et si l'on entend conserver les principes de l'organisation actuelle, il est évident qu'il n'est pas nécessaire de l'énoncer dans un article constitutionnel. On pourrait 'toutefois se demander s'il ne devrait, pas êtoe inséré dans la constitution des prescriptions restreignant davantage que ce n'est le cas dans la législation actuelle le champ d'application de la juridiction militaire. Il est clair qu'il y aurait à envisager en tout premier lieu la question de la soumission des civils au droit et à la juridiction militaires. Mais nous avons dit que le projet de code pénal militaire prévoit déjà dans ce domaine, en tant que le permettent les intérêts du pays, des restrictions que ne connaît pas le droit en vigueur. Vu les modifications qu'apportera le projet à ses articles 2 et suivants et 216 et suivants, il ne nous paraît tout au moins pas nécessaire d'introduir« encore un article spécial dans la constitution.

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Les mêmes considérations font aussi règle pour ce» qui concerne l'autre question, celle de l'introduction d'un article constitutionnel sur les modalités due droite disciplinaire militaire -- .arrêts, droit de recours (4 et 5 alinéas de l'initiative). -- Sur tous les points sauf un, le projet du nouveau code pénal militaire a admis les postulats des pétitionnaires. Dès qu'il sera mis en vigueur, il aura été fait droit aux requêtes · concernant la suppression des aggravations des peines dis- · ciplinaires, la garantie du droit de recours et l'exclusion de toute .peine à ceux qui font usage de ce droit. Là non plus, un nouvel article constitutionnel n'aurait pas de raison d'être.

Nous avons dès lors l'honneur de vous prier de bien vouloir, en application de l'article 10 de la loi fédérale du 27 janvier 1892, sur le mode de/ procéder pour les demandes d'initiative jpopulaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, décider de rejeter l'initiative et de soumettre à la votatîon du peuple et des cantons une proposition de rejet sans contre-projet de l'Assemblée fédérale.

Berne, lei 11 décembre 1918.

An nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, CALONDEK.

1;

·.

..

Le chancelier de la Confédération1; SCHATZMANN.

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Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire en vue de l'introduction d'un article 58bis dans la Constitution fédérale (suppression de la justice militaire). (Du 11 décembre 1918.)

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