13.105 Message portant approbation et mise en oeuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées du 29 novembre 2013

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons, en vous demandant de l'approuver, un projet d'arrêté fédéral portant approbation de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et mise en oeuvre de cette convention (loi fédérale relative à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées et modifications du code pénal, du code de procédure pénale, du code pénal militaire et de la procédure pénale militaire).

Nous vous proposons simultanément de classer l'intervention parlementaire suivante: 2011 M 08.3915

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ratification (N 24.11.09, Gadient; E 2.3.11)

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

29 novembre 2013

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ueli Maurer La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2013-1510

437

Condensé Par le présent message, il est proposé d'approuver la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ce texte vise à opposer une lutte globale à la grave violation des droits humains que constituent les disparitions forcées. Le projet comprend en outre les dispositions nécessaires à la mise en oeuvre de la convention.

Contexte Dans le monde entier, des autorités font «disparaître» des personnes jugées gênantes. Rien que dans le cadre de l'ONU, plus de 50 000 affaires dans lesquelles pèsent des soupçons de disparition forcée ont été signalées durant les 20 dernières années.

Or, des milliers de cas restent non élucidés, laissant les proches aux prises avec l'incertitude sur le sort de la personne recherchée. La Suisse abrite elle aussi des parents de personnes qui ont été victimes de ce crime à l'étranger. La Convention internationale du 20 décembre 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées est le premier instrument juridique international contraignant à traiter de cette problématique. Par «disparition forcée», la convention entend toute privation de liberté commise sur mandat ou avec l'assentiment d'un Etat, suivie du déni de la reconnaissance de ladite privation et du refus de communiquer l'endroit où la personne en question est détenue.

Contenu du projet Le présent projet propose d'approuver la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. La convention entend combattre ce crime gravissime et le poursuivre avec rigueur, objet qui est en parfaite harmonie avec les convictions de la Suisse. Aussi a-t-elle activement collaboré à sa rédaction, avant de le signer le 19 janvier 2011. Si l'ordre juridique suisse satisfait déjà dans une large mesure aux principales exigences de la convention, certaines dispositions doivent toutefois être modifiées pour qu'elle puisse être correctement mise en oeuvre, ce que le présent projet s'attache également à faire. Il s'agit notamment de créer une nouvelle infraction qui sanctionne la disparition forcée comme une infraction en soi et de créer les bases légales qui permettront d'instaurer un réseau entre la Confédération et les cantons, grâce auquel les personnes privées de liberté pourront être localisées rapidement. La Suisse renonce en revanche à se doter d'un registre central.

438

Table des matières Condensé

438

1

Présentation de la Convention 1.1 Contexte 1.1.1 Phénomène de la disparition forcée et définition 1.1.2 Genèse de la Convention 1.1.3 Rapport avec les instruments internationaux existants 1.2 La Convention en un coup d'oeil 1.2.1 Incrimination de l'infraction 1.2.2 Prévention 1.2.3 Mise en oeuvre 1.3 Résultats de la procédure de consultation 1.3.1 Position des cantons 1.3.2 Position des autres participants à la consultation 1.4 Classement d'interventions parlementaires 1.5 Appréciation

441 441 441 442 443 444 444 444 444 445 445 446 446 446

2

Commentaires article par article 2.1 Interdiction et définition de la disparition forcée 2.2 Punissabilité de l'infraction 2.3 Compétence juridictionnelle et coopération internationale 2.4 Privation de liberté, droit à être informé et à porter plainte 2.5 Protection des données, conduite de la procédure et formation 2.6 Protection des victimes 2.7 Protection particulière des enfants 2.8 Dispositions institutionnelles 2.9 Dispositions finales

447 448 448 450 455 460 461 463 465 466

3

Présentation de la législation d'application 3.1 Contexte 3.2 Dispositif proposé 3.2.1 Sanction explicite des disparitions forcées dans le Code pénal 3.2.2 Institution d'un réseau 3.2.3 Adoption d'une loi d'application (nLA) 3.3 Appréciation de la législation d'application 3.4 Commentaire au sujet de la modification du droit pénal 3.5 Commentaire des dispositions de la loi d'application

467 467 467

4

Déclaration relative aux compétences du Comité

479

5

Conséquences de la Convention et de la loi d'application

480

6

Relation avec le programme de législature et avec les stratégies nationales du Conseil fédéral

480

467 467 468 468 469 474

439

7

Aspects juridiques 7.1 Constitutionnalité 7.2 Forme de l'acte

480 480 481

Arrêté fédéral portant approbation et mise en oeuvre de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (Projet)

483

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

491

440

Message 1

Présentation de la convention

1.1

Contexte

1.1.1

Phénomène de la disparition forcée et définition

La notion de disparition forcée désigne un phénomène d'envergure mondiale: un Etat ordonne à un de ses organes ou à une organisation dans son giron d'arrêter la personne jugée gênante et de la détenir dans un endroit tenu secret. Alors que les indices sont nombreux et que des témoins peuvent confirmer ces agissements, les acteurs de l'Etat nient vis-à-vis des proches que la victime a été arrêtée. Dès lors, son sort est dissimulé à sa famille, si bien qu'en quelque sorte, elle «disparaît», ce qui la soustrait à la protection de la loi. Ni elle, ni ses proches n'ont la possibilité de recourir en justice contre cette privation de liberté. Par ailleurs, la personne disparue est souvent torturée, voire tuée. Les exemples historiques sont légion: en Allemagne, en 1942, le gouvernement nazi ordonna la déportation secrète d'opposants supposés au régime. La disparition forcée devint tristement célèbre dans les années 1970 et 1980 en Amérique du Sud, lorsque les dictatures militaires firent enlever, arrêter, détenir et souvent tuer leurs opposants. Aujourd'hui encore, ce phénomène est d'actualité, en particulier dans le contexte de renversements politiques et de conflits armés internes. Récemment, ces crimes se sont multipliés dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme», des terroristes supposés étant transférés dans des lieux de détention secrets au-delà des frontières. Le groupe de travail de l'ONU sur les disparitions forcées ou involontaires (Groupe de travail disparitions forcées) a ainsi été informé de plus de 50 000 affaires de cette nature de par le monde, nombre d'entre elles n'étant toujours pas élucidées.

La Convention internationale du 20 décembre 2006 pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées1 (convention) est le premier instrument juridique international contraignant à traiter de cette problématique. Elle ne vise pas toutes les constellations dans lesquelles une personne peut être amenée à disparaître.

Aux fins de celle-ci, on entend par «disparition forcée» uniquement les privations de liberté commises sur mandat ou avec l'assentiment d'un Etat, suivi du déni de sa reconnaissance et du refus de communiquer l'endroit où la personne est détenue. En ce sens, il s'agit d'une violation grave des droits de la victime, puisqu'elle enfreint des droits humains
élémentaires, notamment le droit d'être protégé contre les privations de liberté arbitraires, le droit à un procès équitable et, souvent, le droit à la vie et le droit d'être protégé contre la torture ou autres traitement inhumains ou dégradants. La disparition forcée inflige de surcroît d'intolérables souffrances aux familles: être plongé, souvent de longues années durant, dans l'incertitude sur le sort d'un proche, constitue une atteinte grave à l'intégrité psychique.

1

International Convention for the Protection of All Persons from Enforced Disappearance (ICCPED)

441

1.1.2

Genèse de la convention

La présente convention est l'aboutissement de dizaines d'années d'efforts de l'ONU dans la lutte contre les disparitions forcées. Dès l'année 1978, l'Assemblée générale de l'ONU a en effet déposé une résolution2 faisant état de ses préoccupations au sujet de nombreux cas, récurrents, de disparitions forcées, à la suite de quoi la Commission des droits de l'homme d'alors a formé le «Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires», dont les activités perdurent jusqu'à aujourd'hui. Sa mission est d'aider les proches de victimes présumées dans leurs recherches et de rendre des rapports réguliers. Après plusieurs années de négociations, l'Assemblée générale de l'ONU a par ailleurs adopté en 1992 une Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées3. Si celle-ci n'a pas de caractère contraignant, elle a permis de lancer les travaux dont résulte le présent instrument juridique, qui, lui, en est doté.

Le projet d'une nouvelle convention a été lancé en 2001, la Commission des droits de l'homme mandatant à l'initiative de la France un groupe de travail ad hoc. La délégation suisse a participé activement aux négociations avec notamment deux objectifs en ligne de mire: d'une part s'efforcer d'élaborer un texte conforme au droit international public, de l'autre viser un acte qui soit aussi compatible que possible avec l'ordre juridique suisse. Une des questions qui a fait l'objet des plus vives discussions était de savoir quelle serait la nature juridique de la convention et quelle forme revêtirait l'organe de traité. La Suisse avait proposé de ne pas rédiger une convention autonome au sujet des disparitions forcées, mais de l'ajouter en tant que protocole additionnel au Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques4 (Pacte II de l'ONU), ce qui aurait permis d'attacher les nouvelles dispositions à certains droits pertinents déjà garantis par cet acte et d'exploiter les synergies existantes. Si nombre d'Etats ont apporté leur soutien à cette proposition, les pays sud-américains, la France et les organisations émanant de la société civile en particulier s'y sont montrés opposés, au motif qu'une nouvelle convention aurait une plus grande visibilité. A titre de compromis, cet instrument a été conçu comme un accord autonome,
doté d'un organe de traité (un comité) qui lui est propre, mais les Etats parties sont tenus d'organiser une conférence au plus tôt quatre ans et au plus tard six ans après l'entrée en vigueur de la convention, ce qui doit permettre de surcroît d'évaluer le fonctionnement dudit comité et de se ménager la possibilité, au besoin, de confier ses tâches à une autre entité (art. 27 de la convention).

Les négociations ont été relativement rapides, puisque le groupe de travail a achevé sa mission le 23 septembre 2005, après avoir soumis son projet au Conseil des droits de l'homme créé dans l'intervalle. Le 20 décembre 2006, l'Assemblée générale de l'ONU adoptait le présent accord, qui est entré en vigueur le 23 décembre 2010 après la 20e ratification. Entre-temps, il a été signé par 93 Etats et ratifié par 405, au rang desquels l'on compte, outre de nombreux pays d'Amérique latine, l'Allemagne, la France, l'Italie, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne et les Pays-Bas. Alors que l'Allemagne renonce à introduire une nouvelle infraction sanctionnant la disparition

2 3 4 5

442

Adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 20 décembre 1978 (Rés. 33/173) Adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU le 18 décembre 1992 (Rés. 47/133) RS 0.103.2 Etat en octobre 2013

forcée comme une infraction en soi, la France a édicté une disposition en ce sens et l'Autriche a élaboré un projet de loi poursuivant le même objectif.

1.1.3

Rapport avec les instruments internationaux existants

Avant que cette convention ne voie le jour, le droit international s'était déjà saisi de la question des disparitions forcées: ­

Des garanties protégeant contre la disparition forcée peuvent être implicitement déduites à partir de différents droits fondamentaux, notamment à partir du droit à la liberté et à la sûreté, du droit à un procès équitable, du droit de ne pas être soumis à la torture et à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et du droit à la vie. Cependant, ces dispositions ne tiennent pas compte du fait que les proches sont également victimes en la circonstance. De plus, étant donné que les conventions internationales pertinentes ne prévoient pas de droit fondamental protégeant explicitement contre les disparitions forcées, les organes chargés de s'assurer du respect de ces droits fondamentaux ne travaillent pas tous de la même manière, si bien qu'une protection uniforme ne peut être assurée.

­

Avant l'entrée en vigueur de la convention, certains accords internationaux portaient déjà sur la problématique des disparitions forcées: d'une part, la Déclaration de l'ONU de 19926, citée plus haut, de l'autre, une convention de l'Organisation des Etats Américains (OAS), intitulée «Convention interaméricaine sur la disparition forcée de personnes»7 entrée en vigueur en mars 1996 et ratifiée depuis par 14 pays8. Cependant, la Déclaration de l'ONU n'étant pas contraignante et le second, à caractère régional, ne liant qu'un petit nombre d'Etats, ces deux instruments n'avaient pas de portée contraignante universelle.

­

Notons encore que la disparition forcée a été explicitement sanctionnée par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 19989 (Statut de Rome), qui la qualifie de crime contre l'humanité. Ce texte se limite toutefois aux infractions commises dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile et en connaissance de cette attaque, si bien qu'elle n'offre aucune protection contre des cas isolés de disparition forcée.

En résumé, les dispositions existantes n'étaient pas suffisantes; la présente convention comble donc une lacune importante, dans la mesure où elle s'applique aux cas isolés et appréhende ce phénomène dans toute sa complexité, en tenant compte des multiples violations des droits humains qu'il entraîne ­ pour les personnes qui en sont directement victimes comme pour leurs proches.

6 7 8 9

Cf. note 3.

Adoptée le 6 septembre 1994 par l'Assemblée générale de l'OAS.

Etat en octobre 2013 RS 0.312.1

443

1.2

La convention en un coup d'oeil

1.2.1

Incrimination de l'infraction

La convention prévoit le principe d'une interdiction absolue de la disparition forcée.

Les Etats parties s'engagent à enquêter sur les cas de disparition forcée et à traduire les responsables en justice. Ils s'assurent en particulier que la disparition forcée constitue une infraction grave au regard de leur droit pénal et qu'elle soit réprimée par des peines appropriées. De plus, ils veillent à sanctionner également la complicité ainsi que la tentative et à fixer un régime de prescription approprié pour la poursuite.

Afin d'éviter que les auteurs de pareils crimes restent impunis à l'étranger, la convention prévoit d'étendre la compétence pénale. Les Etats parties s'engagent à poursuivre ou à extrader tout auteur de disparition forcée, s'il se trouve sur leur territoire, quels que soient le lieu où le crime a été commis et la nationalité de son auteur. S'il est avéré qu'une personne est menacée de disparition dans son pays, elle ne peut y être renvoyée.

1.2.2

Prévention

La convention s'articule également autour d'un autre axe prioritaire: la prévention.

Les Etats parties doivent en effet définir dans quelles conditions les ordres de privation de liberté peuvent être donnés légalement, désigner les autorités habilitées à en émettre et arrêter les modalités de la procédure. Ils sont en outre tenus de veiller à ce que les registres et dossiers officiels contiennent certaines informations minimales.

Les Etats parties s'engagent par ailleurs à fournir aux proches des personnes privées de liberté un accès à un minimum d'informations à leur sujet. Pour consolider ces conditions-cadre, la convention exige enfin des Etats parties qu'ils prennent des mesures pour former le personnel concerné, prévenir toute entrave ou obstruction aux recours et s'assurer du respect du devoir d'information.

Pour terminer, la convention prévoit qu'outre leur droit à obtenir réparation, les personnes concernées ont également le droit de savoir la vérité sur le sort des victimes de disparition forcée et le lieu où elles se trouvent. Compte tenu de la vulnérabilité particulière des enfants, un article leur est réservé; celui-ci impose l'aménagement de procédures légales visant à réviser une procédure d'adoption et, le cas échéant, à annuler toute adoption qui trouverait son origine dans une disparition forcée.

1.2.3

Mise en oeuvre

La convention est structurée en plusieurs parties: la première décline son essence même, la criminalisation et la prévention de la disparition forcée. S'ensuivent une deuxième partie portant sur la mise en oeuvre et une troisième détaillant les dispositions finales. Est en outre institué un comité indépendant, composé de dix membres élus par les Etats parties. Il auditionne les proches de disparus et demande aux Etats parties des renseignements ou l'organisation d'une visite sur place. De plus, il peut traiter des communications individuelles ou des requêtes étatiques pour autant que

444

les Etats parties aient explicitement reconnu cette compétence dans une déclaration ad hoc.

Contrairement à d'autres conventions relatives aux droits humains, les Etats parties ne sont pas tenus de rendre un rapport régulier. Ils doivent en revanche soumettre un rapport unique, destiné à faire état de la mise en oeuvre (deux ans après la ratification). Le comité est en outre habilité à demander aux Etats membres des informations sur la mise en oeuvre de la convention.

1.3

Résultats de la procédure de consultation

Le 19 décembre 2012, à la demande du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation relative à la ratification et à la mise en oeuvre dans le droit national de la convention, pour la clore le 8 avril 2013.

Durant cette période, le DFAE a reçu au total 48 prises de position10, rédigées respectivement par l'ensemble des cantons, deux conférences cantonales, cinq partis politiques, deux associations faîtières, le Ministère public de la Confédération et douze organisations et par d'autres milieux intéressés. Enfin, parmi les destinataires de la procédure de consultation, cinq ont expressément renoncé à se prononcer.

Dans leur écrasante majorité (42), les participants à la consultation se félicitent de l'intention du Conseil fédéral de ratifier la convention, ou adhèrent au moins à ce principe. En revanche, une minorité d'entre eux (6) jugent ce projet inutile et disproportionné, tout en ne s'opposant pas sur le fond aux objectifs poursuivis par ce texte.

1.3.1

Position des cantons

La Confédération a sondé les cantons une première fois entre septembre et décembre 2009, avant la signature de la convention. Dans le cadre de cette consultation préalable, de nombreux cantons ont émis un avis favorable à la signature de la convention, malgré les modifications législatives et les dépenses qu'elle impliquerait. Les autres cantons, reprenant pour beaucoup d'entre eux l'appréciation de la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP), se sont prononcés en défaveur de la signature, en raison notamment du surcoût présumé qu'entraîneraient les trois éléments suivants: la tenue d'un registre central, alors en discussion, le droit des proches à être informés et à porter plainte et les conséquences éventuelles du principe de non-refoulement introduit en cas de menace de disparition forcée. Dans l'ensemble, ils jugeaient que les coûts étaient disproportionnés par rapport au bénéfice.

La mise en oeuvre de la convention telle qu'elle est proposée ici a intégré les remarques des cantons. A cette occasion, la CCDJP a été associée à l'élaboration du modèle du réseau (cf. ch. 3.2.2).

Dans leurs réponses de consultation, 21 cantons ont finalement explicitement salué la ratification de la convention ou ne s'y sont pas opposés, certains d'entre eux 10

www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2012 > Département fédéral des affaires étrangères

445

faisant remarquer qu'ils étaient réticents lors de la consultation préalable, mais qu'ils se sont ralliés au projet après la prise en considération de leurs préoccupations dans la loi d'application proposée. Enfin, cinq cantons la considèrent superflue, arguant que l'arsenal juridique suisse est suffisant; dès lors, ils la rejettent.

La quasi-totalité des cantons se félicitent de la création d'une nouvelle infraction tout comme de l'instauration d'un réseau entre la Confédération et les cantons. Seul un canton y est expressément opposé. S'agissant de la formulation concrète de l'infraction et de sa place dans la systématique, les avis divergent. Quant à la protection des données et de la personnalité dans le cadre du réseau envisagé et sa mise en oeuvre concrète, certains cantons appellent de leurs voeux des modifications mineures.

1.3.2

Position des autres participants à la consultation

Les partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale qui se sont exprimés dans le cadre de la procédure de consultation sont tous favorables à la ratification de la convention (PDC, PEV, PLR et PS), à l'exception de l'UDC. Il en va de même de toutes les associations faîtières, organisations et autres milieux intéressés. Dans leur écrasante majorité, ils saluent tant la création d'une nouvelle infraction que celle du réseau.

1.4

Classement d'interventions parlementaires

Plusieurs députés ont déposé des interventions11 soulignant l'importance déterminante de la convention et appelant le gouvernement à ne pas tarder à la signer et à la ratifier. Le 1er mars 2010, plusieurs parlementaires et représentants d'organisations non gouvernementales ont par ailleurs remis à l'Exécutif une pétition ayant recueilli 9000 signatures, laquelle réclamait une adhésion immédiate à la convention. La motion Gadient du 18 décembre 200812, qui «chargeait le Conseil fédéral de prendre les dispositions nécessaires pour que la Suisse puisse ratifier le plus rapidement possible la convention» a été adoptée d'abord par le Conseil national le 24 novembre 2009, puis par le Conseil des Etats le 2 mars 2011. Avec le présent message et la ratification proposée, cette motion peut être classée.

1.5

Appréciation

Le Conseil fédéral estime que la disparition forcée est un crime grave et est convaincu que les efforts engagés sur la scène internationale pour les combattre méritent le 11

12

446

Question Müller Geri du 8 décembre 2008 (08.5416 «Convention contre la disparition forcée»), interpellation Rielle Jean-Charles du 17 décembre 2008 (08.3862 «Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées»), motion Gadient Brigitta du 18 décembre 2008 (08.3915 «Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ratification»), question Rechsteiner Paul du 11 décembre 2009 (09.1174 «Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées») 08.3915 «Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Ratification»

soutien de la Suisse. Aussi a-t-il décidé, après avoir consulté les cantons, de signer la convention le 19 janvier 2011.

En Suisse, aucun cas de disparition forcée n'a été dénoncé à ce jour; cependant, ici comme ailleurs vivent des proches de personnes victimes de ce crime à l'étranger.

Dès lors, cette convention a aussi dans cette perspective un sens pour la Suisse. Il n'en reste pas moins que le but premier sous-tendant la ratification est de contribuer à la lutte mondiale contre les disparitions forcées. Or, puisque les Etats ne peuvent mener à leur terme les poursuites engagées que s'ils s'accordent mutuellement l'entraide judiciaire, il est crucial que la convention soit ratifiée par un maximum de pays.

Pour la Suisse, la signature de cet accord est en droite ligne avec les convictions politiques qu'elle affiche et avec sa tradition humanitaire. A l'inverse, si elle refusait de la ratifier, son positionnement sur la scène internationale en pâtirait, puisque cela mettrait à mal sa réputation et sa crédibilité d'acteur engagé en faveur des droits humains et l'empêcherait d'inviter d'autres Etats à lutter contre les disparitions forcées.

Le contenu de la convention est dense et détaillé. Il ressort de l'historique des négociations que quelques-unes des dispositions s'expliquent par l'engagement important de certains pays ­ et des organisations représentant les victimes ­ ayant par le passé été confrontés au phénomène des disparitions forcées. De ce fait, elles ne sont pas adaptées à la Suisse. Pour parer à cette difficulté, le Conseil fédéral suggère une approche pragmatique de la mise en oeuvre de l'accord, d'une part pour remplir son objectif premier, qui est de protéger contre les disparitions forcées, d'autre part, pour cadrer au mieux avec les structures et réalités helvétiques.

2

Commentaire des dispositions de la convention

Le système juridique suisse offre déjà actuellement d'importantes garanties en matière de privation de liberté. Toutefois, bien que la Suisse soit en parfaite harmonie avec l'objectif premier de la convention, sa législation ne permet pas encore de répondre en tout point à la nature complexe de la disparition forcée. Aussi, quelques dispositions doivent être adaptées. Consultés à titre préalable au sujet de la convention, les cantons ont fait valoir qu'ils craignaient que sa ratification ne mobilise des ressources humaines et financières jugées disproportionnées; ces réserves ont donc été prises en considération lors des travaux relatifs à la mise en oeuvre.

Les considérations présentées ci-après suivent la structure de la convention, les articles étant groupés par thématique. Elles abordent d'une part le contenu de la convention, de l'autre les mesures à prendre pour rendre le droit suisse compatible.

Il résulte de l'analyse qu'il y a lieu d'adapter la législation à deux égards: d'abord, en sanctionnant la disparition forcée comme une infraction en soi, ensuite, en modifiant la tenue des registres et les droits des proches à être informés à et à porter plainte (cf. ch. 3.2.1 et 3.2.2).

447

2.1

Interdiction et définition de la disparition forcée

Art. 1 et 2

Interdiction et définition

L'art. 1 de la convention dispose que nul ne sera soumis à une disparition forcée, et ce, même dans des circonstances exceptionnelles, à l'instar de l'état de guerre ou d'instabilité politique intérieure notamment. Cette interdiction absolue constitue l'essence de la convention. L'art. 2 définit la notion de disparition forcée, qui vaut pour l'ensemble de l'accord. Elle s'articule autour des quatre éléments suivants: (1) une personne est privée de liberté, (2) l'acte est commis par des agents de l'Etat ou par des personnes qui agissent avec l'autorisation, l'appui ou l'acquiescement de l'Etat, (3) toute information sur le sort de la personne ou sur l'endroit où elle se trouve est refusée et, (4) les auteurs soustraient la personne à la protection de la loi.

Il convient de préciser que ces normes s'appliquent à toute disparition forcée, qu'elle soit isolée ou s'inscrive dans une pratique systématique. La convention va donc nettement plus loin que les exigences du Statut de Rome, qui se limite aux infractions commises dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile (crimes contre l'humanité). En ce sens, une nouvelle disposition pénale, en plus de celle sanctionnant les crimes contre l'humanité en application du Statut de Rome, est nécessaire (cf. ch. 3.4 au sujet de l'art. 185bis P-CP).

Art. 3

«Disparition forcée» sans implication de l'Etat

L'art. 3 de la convention porte sur les cas de disparition forcée commis par des acteurs indépendants de l'Etat agissant sans son implication. Il prévoit que les Etats parties prennent les mesures appropriées pour les sanctionner. Cette constellation n'est cependant pas considérée comme disparition forcée au sens de la convention.

Le droit suisse est déjà compatible sur ce point: les dispositions réprimant l'enlèvement et la séquestration (art. 183 et 184 du code pénal [CP]13) garantissent déjà que ces agissements font l'objet de poursuites pénales.

2.2

Punissabilité de l'infraction

Art. 4, 5 et 7

Pénalisation et sanction

L'art. 4 de la convention oblige les Etats parties à condamner la disparition forcée telle qu'elle est définie à son art. 2. Comme expliqué plus haut, l'art. 264a, al. 1, let. e, CP, introduit à la suite de la mise en oeuvre du Statut de Rome, ne satisfait pas cette exigence.

En analysant plus en détail la législation en vigueur, on observe par ailleurs que le droit pénal, dans sa forme actuelle, couvre certains des éléments constitutifs de la disparition forcée. Ainsi, le titre 4 du code pénal protège-t-il la liberté des personnes, y compris lorsque les infractions sont commises par des agents publics. A l'inverse, la protection qu'offre le droit suisse n'est pas suffisante au regard d'autres éléments importants, notamment le refus d'admettre que la personne a été privée de liberté ou l'intention de la soustraire à la protection de la loi. Si le code pénal, au titre 18 13

448

RS 311.0

(infractions contre les devoirs de fonction et les devoirs professionnels et, notamment à l'art. 312, abus d'autorité) couvre en partie le refus de communiquer toute information sur le sort réservé à une personne disparue, elle n'appréhende que très partiellement les éléments caractéristiques énoncés dans la convention, d'autant qu'il concerne seulement l'utilisation des pouvoirs d'une autorité suisse.

De plus, l'art. 312 CP ne protège que très indirectement les droits des proches, alors que c'est un élément central de l'infraction de disparition forcée. Dans la plupart des cas, l'auteur s'accommode des grandes souffrances psychologiques qu'il leur inflige, par exemple pour briser des mouvements de résistance ou réprimer l'opposition au sein de la population. La convention précise d'ailleurs clairement que les proches des personnes disparues sont aussi des victimes de l'infraction, dès lors qu'elles ont subi un préjudice direct du fait de la disparition forcée (art. 24, par. 1, de la convention).

La notion de disparition forcée employée dans la convention suppose ainsi que deux biens juridiques doivent être mieux protégés par le code pénal suisse. D'une part, il s'agit de protéger pénalement le droit de chaque individu à être reconnu comme sujet de droit envers l'Etat, quel que soit l'ordre juridique concerné (suisse ou étranger). Toute personne doit pouvoir bénéficier d'une protection minimale de la loi en cas de privation de liberté, celle-ci ne doit donc en aucun cas pouvoir être refusée.

D'autre part, il s'agit de garantir les droits des proches découlant de leurs liens avec le disparu, à commencer par le droit de connaître son sort. Dès lors, pour que la Suisse soit en conformité avec la convention, une nouvelle infraction s'impose, sans compter que cette modification législative aura valeur de signal.

L'art. 5 de la convention réserve, quant à lui, les normes internationales applicables aux situations constituant des crimes contre l'humanité. La mise en oeuvre de la convention par la Suisse ne modifie donc en rien les règles adoptées dans ce domaine par la Suisse pour mettre en oeuvre le Statut de Rome.

S'agissant de la peine, la nouvelle disposition prévue dans le CP (cf. ch. 3.4 au sujet de l'art. 185bis P-CP) correspond aux exigences de l'art. 7, qui exige des peines appropriées. En outre les règles générales sur la fixation de la peine (art. 47 à 48a CP) s'appliquent.

Art. 6

Responsabilité pénale, spécialement du supérieur hiérarchique

Outre la répression des variantes usuelles de participation et de réalisation (instigation, complicité et tentative; art. 6, par. 1, let. a), la convention traite également de la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques (art. 6, par. 1, let. b), disposant que ceux-ci doivent pouvoir être tenus pour pénalement responsables si (a) ils étaient au courant des agissements ou auraient dû l'être, (b) s'ils exerçaient un contrôle effectif sur les activités auxquelles la disparition forcée est liée et (c) s'ils n'ont pas pris toutes les mesures qui étaient en leur pouvoir pour combattre ce crime et pour poursuivre pénalement les auteurs de ce crime.

La législation suisse est déjà compatible sur ce point, puisque lorsque le champ de responsabilité des supérieurs et la disparition forcée sont en lien étroit, ceux-ci se trouvent, aux yeux du droit suisse, dans une position de garant, en raison des devoirs de surveillance qui leur incombent. Cela correspond au cas de figure de la commission par omission que sanctionne l'art. 11 CP.

449

Art. 8

Prescription

Aux termes de l'art. 8, par. 1, de la convention, les Etats parties garantissent que le délai de prescription applicable à cette infraction est approprié, autrement dit, qu'il soit adapté à l'extrême gravité du crime et à son caractère continu. La nouvelle disposition pénale permet de tenir compte du caractère continu de l'infraction et de l'expliciter. La convention n'exige pas en revanche que la disparition forcée soit une infraction imprescriptible. En vertu des règles générales sur la prescription (art. 97, al. 1, let. b, CP), la durée de la prescription pour la nouvelle disposition proposée est de 15 ans. Pour tenir compte du fait qu'il s'agit d'un crime continu, elle commence à courir à partir du moment où les agissements coupables ont cessé (art. 98, let. c, CP).

L'art. 8, par. 2, de la convention porte sur le droit des victimes de disparition forcée à un recours effectif pendant le délai de prescription (cf. ch. 2.4).

2.3

Compétence juridictionnelle et coopération internationale

Art. 9

Compétence juridictionnelle

L'art. 9 de la convention entend garantir que les auteurs de disparition forcée font l'objet de poursuites pénales et décrit, avec cet objectif en ligne de mire, trois constellations dans lesquelles les Etats parties doivent établir leur compétence pour les juger. A cet égard, il reprend largement les exigences de l'art. 5 de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants14 (convention contre la torture), que la Suisse a déjà ratifiée. Au vu de ces trois constellations, la situation juridique en Suisse se présente comme suit: ­

La première constellation (art. 9, par. 1, let. a, de la convention) correspond au principe de territorialité ainsi qu'au principe du pavillon, que le droit suisse connaît déjà à l'art. 3, al. 1, CP ainsi qu'à l'art. 97, al. 1, de la loi fédérale du 21 décembre 1948 sur l'aviation15 et à l'art. 4, al. 2, de la loi fédérale du 23 septembre 1953 sur la navigation maritime sous pavillon suisse16.

­

La deuxième constellation (art. 9, par. 1, let. b et c, de la convention) correspond au principe de la personnalité active et passive (l'auteur ou la victime sont suisses); dans ce deuxième cas, la convention permet toutefois à l'Etat partie de décider s'il juge approprié d'établir sa compétence. Le droit suisse connaît également ces deux principes; néanmoins, l'art. 7, al. 1, CP prévoit deux conditions supplémentaires: l'auteur doit se trouver en Suisse (ou il est remis à la Suisse en raison de cet acte) et l'acte être aussi réprimé dans l'Etat où il a été commis (principe de la double incrimination). De plus, l'art. 6 CP permet également de poursuivre les infractions commises à l'étranger que la Suisse s'est engagée à poursuivre en vertu d'un accord international. Cet article prévoit toutefois, lui aussi, les deux conditions de la double incrimination et de la présence de l'auteur en Suisse.

14 15 16

450

RS 0.105 RS 748.0 RS 747.30

­

La troisième constellation (art. 9, par. 2, de la convention) correspond au principe de l'universalité restreint: l'Etat partie doit établir sa compétence si un auteur présumé se trouve sur son territoire et ne peut être remis ni à un autre Etat, ni à une juridiction pénale internationale. Ici également, l'art. 6 CP couvre cette situation, néanmoins toujours sous réserve de la double incrimination.

Il convient de rappeler que la condition de la double incrimination n'exige pas que les faits en question tombent, dans l'Etat où ils ont été commis, sous le coup d'une disposition pénale incriminant explicitement la disparition forcée. Il suffit que le comportement en cause soit punissable (par ex. qu'il constitue, au regard du droit pénal de l'Etat concerné, un enlèvement ou un abus de pouvoir).

Pour garantir que le droit suisse respecte pleinement les obligations découlant de la convention, des mesures législatives sont prévues. La nouvelle infraction de disparition forcée pourra ainsi être poursuivie indépendamment de son incrimination dans l'Etat où elle a été commise (ch. 3.4 au sujet de l'art. 185bis P-CP).

Art. 10

Mesures provisionnelles

L'art. 10 de la convention concerne les mesures en vue d'assurer la présence de l'auteur présumé aux fins de poursuite pénale ou d'extradition. Les Etats parties disposent d'une certaine liberté d'appréciation en la matière, mais sont tenus, d'après l'art. 10, par. 1, d'arrêter des mesures pour éviter que la personne visée ne s'enfuie. Lorsque la Suisse entame une procédure d'extradition, la règle consiste à placer la personne en détention (art. 47, al. 1 de la loi du 20 mars 1981 sur l'entraide pénale internationale [EIMP]17) et ce n'est qu'à titre exceptionnel et dans des cas dûment justifiés que les autorités s'en écartent18.

L'obligation d'établir les faits, ancrée à l'art. 10, par. 2, de la convention, constitue elle aussi, en Suisse, un principe général dans toute procédure pénale (cf. notamment les art. 6 et 139 du code de procédure pénale [CPP]19). Lors d'une arrestation aux fins d'extradition, des mesures provisoires sont par ailleurs possibles, comme par exemple la saisie d'objets et de valeurs pouvant servir de moyens de preuve ou la perquisition des lieux (art. 45 EIMP). En outre, dans le cadre de l'entraide judiciaire, des mesures provisoires peuvent également être prises très rapidement (art. 18 EIMP).

Enfin, l'art. 10, par. 3, de la convention offre une protection consulaire à l'auteur présumé d'une infraction. D'autres instruments déjà ratifiés par la Suisse prévoient également pareille clause. Ces droits minimaux classiques figurent par exemple à l'art. 36 de la convention de Vienne du 24 avril 1963 sur les relations consulaires20, qui dispose que la personne incarcérée doit être informée de ses droits et peut communiquer avec le représentant compétent de son Etat (et notamment recevoir des visites).

Dès lors, le droit suisse est conforme aux exigences de l'art. 10 de la convention sur ce point.

17 18 19 20

RS 351.1 Cf. notamment ATF 109 IV 159 RS 312.0 RS 0.191.02

451

Art. 11

Principe «aut dedere, aut iudicare»

L'art. 11 de la convention consacre la maxime «aut dedere, aut iudicare», établie de longue date au niveau international. Il impose à l'Etat requis soit d'engager une procédure d'extradition, soit d'entreprendre des poursuites pénales s'il n'extrade pas l'auteur présumé de l'infraction. Cette disposition a pour objectif d'éviter que l'auteur de l'infraction reste impuni.

Cela n'entraîne aucune nouveauté pour la Suisse. Lorsqu'elle est saisie d'une demande d'extradition, elle a dans un premier temps besoin d'informations de l'Etat requérant. On distingue à cet égard trois cas de figure: la Suisse entame une procédure d'extradition, ou elle refuse l'extradition et ouvre elle-même des poursuites pénales, ou encore, sur demande de l'Etat dans lequel l'infraction a eu lieu, elle la réprime à la place dudit Etat si l'extradition n'est pas accordée (art. 85 à 93 EIMP).

Concrètement, l'extradition n'est pas autorisée notamment dans trois situations21: premièrement, lorsque les normes minimales de protection des droits de procédure reconnus, entre autres, dans la Convention européenne des droits de l'homme22 (CEDH) et le Pacte II de l'ONU ne sont pas garantis en relation avec l'art. 13, par. 6, de la convention, deuxièmement, si la personne recherchée doit être extradée dans un pays où elle est menacée de torture ou d'autres traitements ou châtiments cruels et inhumains (art. 25 de la Constitution [Cst.]23) ou, troisièmement, lorsque la personne recherchée est de nationalité suisse et ne consent pas à son extradition (art. 7 EIMP).

L'art. 11, par. 3, de la convention, relatif à un procès équitable, se retrouve dans de nombreux instruments internationaux24. L'ordre juridique suisse offre déjà cette protection aux art. 29, al. 1, et 30, al. 1, Cst. et la concrétise notamment par le code de procédure pénale (cf. art. 3 CPP) ainsi que par l'EIMP (cf. notamment les art. 2, 37 et 38 EIMP).

Art. 12

Droit de dénoncer et obligation d'enquêter

L'art. 12 de la convention porte sur le droit de dénoncer et l'obligation incombant aux Etats d'enquêter. Les règles sur la procédure pénale en Suisse sont conformes aux exigences de la convention. Elles assurent notamment que les procédures pénales aient lieu sans délai (art. 5, al. 1, CPP) et que les autorités pénales recherchent, d'office, tous les faits pertinents (art. 6, al. 1, CPP).

Art. 13

Extradition

L'art. 13, par. 1, de la convention exige la «dépolitisation» de l'infraction de «disparition forcée», cela afin d'éviter que les Etats parties puissent refuser une demande d'extradition au motif qu'il s'agirait là d'une infraction à caractère politique. La Suisse a d'ailleurs déjà ratifié plusieurs accords comprenant pareille clause25.

Notons encore que cette disposition s'applique directement et, partant, l'emporte sur 21 22 23 24 25

452

Cf. également l'art. 13, al. 6, de la convention et l'art. 2 EIMP.

Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, RS 0.101.

RS 101 Cf. notamment les art. 9 et 10 du Pacte II de l'ONU et les art. 5 et 6 CEDH.

Cf. notamment l'art. 1 ss de la Convention européenne du 27 janvier 1977 pour la répression du terrorisme (RS 0.353.3) et l'art. 14 de la Convention internationale du 9 décembre 1999 pour la répression du financement du terrorisme (RS 0.353.22).

le droit interne26, ce qui correspond à l'art. 1, al. 1, EIMP, qui établit la primauté du droit international, à moins qu'une autre obligation d'entraide judiciaire ne résulte des dispositions du droit national.

La Suisse n'assujettissant pas l'extradition à l'existence d'un traité, ce n'est pas l'art. 13, par. 4, mais l'art. 13, par. 5, de la convention qui s'applique. Celui-ci prévoit que les Etats parties reconnaissent le crime de disparition forcée comme susceptible d'extradition entre eux. Ici encore, les textes suisses sont conformes, puisque ces dispositions s'appliquent directement et, partant, l'emportent sur le droit interne27. Relevons encore que la portée de l'exception du «délit politique» en Suisse au sens de l'art. 3, al. 1, EIMP, est limitée à plusieurs égards, et que la jurisprudence du Tribunal fédéral en la matière est restrictive, en particulier dans l'application du principe de la proportionnalité28.

L'art. 13, par. 6, de la convention est une clause standard concernant les modalités d'extradition dans le cadre de l'entraide judiciaire internationale en matière pénale; il prévoit que l'extradition est subordonnée au droit de l'Etat partie requis ou par les traités d'extradition applicables. L'ordre juridique suisse a réglé cette question, soumettant l'extradition aux conditions fixées dans les traités bi- et multilatéraux en vigueur, ainsi qu'aux dispositions ad hoc de l'EIMP. Ces conditions assurent une protection contre les procédures qui ne garantissent pas à la personne poursuivie une protection minimale.

L'art. 13, par. 7, de la convention est une clause usuelle de non-discrimination. Il prévoit que s'il y a des raisons de croire que le but déguisé de la demande d'extradition est de poursuivre une personne pour des considérations de sexe, de race, de religion, de nationalité, d'origine ethnique, d'opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, l'Etat requis peut refuser de coopérer. Cette disposition permet également d'éviter que celui-ci ne prête son concours à des procédures ne garantissant pas à la personne poursuivie une protection minimale. Grâce à elle, la requête peut être analysée non plus seulement en fonction de la nature de l'acte, mais aussi en fonction du mobile de la demande; les demandes abusives peuvent ainsi être écartées.

Art. 14 et 15

Coopération internationale en matière d'entraide judiciaire

L'art. 14 par. 1, de la convention statue une obligation habituellement contenue dans les instruments internationaux régissant l'entraide judiciaire internationale pour ce qui a trait aux modalités de la coopération. Cette disposition n'a pas d'impact supplémentaire en termes de mise en oeuvre pour la Suisse. L'art. 14, par. 2, prévoit que l'entraide judiciaire est subordonnée aux conditions prévues par les traités d'entraide judiciaire applicables ou par le droit interne de l'Etat partie requis. En application du droit suisse, l'octroi de l'entraide judiciaire peut être, totalement ou partiellement, soumis aux conditions de l'art. 80p EIMP. Le principe de la spécialité prévu à l'art. 67 EIMP protège la personne concernée par la demande d'entraide judiciaire.

L'art. 15 de la convention précise par ailleurs que les Etats parties s'engagent à

26

27 28

Cf. ATF 137 IV 33, spéc. consid. 2.2.2 p. 40 s. Pour la doctrine en vigueur, cf. Robert Zimmermann, La coopération judiciaire internationale en matière pénale, 3e édition, 2009, ch. 737, p. 693 et jurisprudence citée.

Cf. note 26.

Cf. Robert Zimmermann (cf. note 26), p. 567 ss.

453

coopérer y compris pour porter assistance aux victimes de disparition forcée (cf.

ch. 2.6 au sujet de l'aide aux victimes).

Art. 16

Garantie de non-refoulement

L'art. 16 de la convention institue l'interdiction explicite d'expulser, refouler, remettre ou extrader une personne vers un Etat dans lequel le risque de disparition forcée existe. Le droit suisse applique déjà cette règle. Distinguons à cet égard trois éléments: ­

Extradition et expulsion: il résulte de l'art. 2, let. a, EIMP, qu'une demande d'extradition est jugée irrecevable s'il existe des motifs sérieux de croire que le pays requérant ne respecte pas les principes de procédure fixés dans la CEDH et le Pacte ONU II. Selon la let. d du même article, il en va de même si la procédure à l'étranger présente d'autres défauts ou manques graves, y compris le fait qu'il n'existe aucune procédure à l'étranger dans le cas d'espèce. A noter encore que l'appréciation dépend non seulement des règles de droit qui président au déroulement de la procédure à l'étranger, mais aussi de leur application dans la pratique29. Dès lors, indépendamment de la ratification de la convention, la Suisse ne peut pas extrader une personne susceptible d'être victime de disparition forcée. Quant à l'expulsion de Suisses et de Suissesses, elle est strictement interdite par l'art. 25, al. 1, Cst.

­

Refoulement et remise: les notions de refoulement et de remise mentionnés à l'art. 16 de la Convention correspondent en droit suisse aux termes d'exécution du renvoi ou dexpulsion et comprennent le retour forcé d'une personne de nationalité étrangère. L'art. 25, al. 3, Cst. dispose qu'il est strictement interdit de refouler une personne sur le territoire d'un Etat dans lequel elle risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains. Cette interdiction du refoulement découle également de l'art. 3 CEDH et de nombreux traités bi- et multilatéraux (voir notamment aussi l'art. 3 de la convention contre la torture). Compte tenu du caractère absolu de l'art. 3 CEDH, cette interdiction ne souffre aucune exception ou restriction, même si la personne en question est accusée d'un crime30. Cette interdiction est par ailleurs complétée par d'autres dispositions: l'art. 25, al. 2, Cst. (aux termes duquel «les réfugiés ne peuvent être refoulés sur le territoire d'un Etat dans lequel ils sont persécutés ni remis aux autorités d'un tel Etat»), sachant que ce principe du non-refoulement au regard du droit des réfugiés comprend également les atteintes à la liberté. Il est en outre ancré à l'art. 33 de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés31 et à l'art. 5, al. 1, de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi)32 et a valeur de droit international coutumier à caractère contraignant33. Le droit en vigueur interdit donc déjà le refoulement d'une personne dans un Etat où elle est menacée de disparition forcée.

29 30

31 32 33

454

FF 1976 II 465, ad art. 2 à 4 EIMP Cf. par ex. CourEDH dans l'affaire D. Soering c. Royaume-Uni du 7.7.1989, série A, n° 161, ch. 89 et CourEDH dans l'affaire Chahal c. Royaume-Uni du 15.11.1996, CourEDH 1996-V, ch. 79 ss RS 0.142.30 RS 142.31 A titre d'exemple: ATF 111 Ib 68 consid. 2a, p. 70.

­

2.4

Détermination des «motifs sérieux»: l'art. 16, par. 2, de la convention indique de quelle manière déterminer les «motifs sérieux» figurant à l'al. 1, autrement dit, comment savoir si une personne est menacée de disparition dans le pays en question: les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat concerné, d'un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l'homme ou de violations graves du droit international humanitaire. Cette disposition correspond à l'art. 3, par. 2, de la convention sur la torture, déjà ratifiée par la Suisse. Les autorités qui sont chargées du renvoi des étrangers se fondent sur l'art. 3 CEDH (principe de non-refoulement), la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme précisant qu'il y a lieu de prendre en considération le «risque réel» d'être soumis à des traitements inhumains34, donc contraires à l'art. 3 CEDH, ce risque se rapportant au «danger objectif» d'y être soumis.

Privation de liberté, droit à être informé et à porter plainte

Art. 17, par. 1 et 2, let. a à e et art. 21

Légalité de la privation de liberté

L'art. 17, par. 1, de la convention établit l'interdiction absolue des détentions secrètes. L'al. 2 détaille les conditions dans lesquelles la privation de liberté doit s'inscrire. Ainsi, les Etats parties doivent entre autres garantir que la privation de liberté soit prévue par la loi, que les détenus soient autorisés à communiquer avec leur famille ou leur conseil et que les autorités habilitées par la loi puissent accéder aux lieux de privation de liberté. L'art. 21 prévoit en outre que la procédure de libération se déroule selon une procédure donnée, laquelle protège notamment l'intégrité physique de la personne concernée.

Le droit suisse répond déjà à ces exigences. En effet, la teneur de l'art. 31, al. 1, Cst., est la suivante: «nul ne peut être privé de sa liberté si ce n'est dans les cas prévus par la loi et selon les formes qu'elle prescrit». L'al. 2 ajoute que les autorités ont un devoir d'information, que le détenu peut exiger l'examen de sa détention et faire valoir son droit à informer ses proches de sa privation de liberté. Précisons encore que l'art. 8, al. 2, de la loi fédérale du 20 mars 2009 sur la Commission de prévention de la torture35 stipule même que la Commission a accès à tout moment et sans préavis, à tous les lieux de privation de liberté. Il en va de même du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), dont les membres sont élus par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe.

Le droit de se faire représenter, qui découle du droit d'être entendu, implique le droit de pouvoir communiquer avec son conseil (art. 29, 2, Cst. et art. 5 et 6 CEDH). Ces garanties minimales prévues dans la Constitution sont précisées dans la législation: ­

34 35

Le droit de la procédure pénale garantit, en particulier, le droit de se faire assister d'un conseil juridique et une obligation pour l'autorité d'informer immédiatement les proches d'une personne arrêtée, sous réserve d'exception prévue par la loi (voir art. 127 et 214 CPP).

CourEDH, EZAR 933 n°1 § 111 = EuGRZ 1989, 314; EZAR 933 n°3 § 113 RS 150.1

455

­

La procédure pénale militaire du 23 mars 1979 (PPM)36 prévoit le droit de faire appel à un défenseur (art. 109 PPM). De plus, la personne provisoirement arrêtée est habilitée à aviser ou faire aviser ses proches immédiatement et à informer un défenseur de son arrestation provisoire et des motifs de celle-ci (art. 55, al. 3, PPM). S'agissant de la procédure disciplinaire qui peut être engagée en droit pénal militaire, dans le cadre de laquelle la personne visée encourt, entre autres, un arrêt de dix jours au plus à titre de sanction (cf. art. 190 du code pénal militaire du 13 juin 1927 [CPM]37), les détails sont réglés aux art. 200 et 206 ss CPM.

­

Le nouveau droit de la protection de l'adulte garantit à la personne placée à des fins d'assistance le droit de faire appel à une personne de confiance et prévoit en particulier que la personne concernée ou l'un de ses proches peut demander sa libération en tout temps (voir les art. 432 et 439 du code civil [CC]38).

­

Le droit des étrangers et le droit d'asile prévoient plusieurs types de privation de liberté: la rétention (art. 73 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers [LEtr]39); la détention en phase préparatoire (art. 75 LEtr); la détention en vue du renvoi ou en vue de l'expulsion (art. 76 LEtr); la détention en vue du renvoi ou en vue de l'expulsion en cas de non-collaboration à l'obtention des documents de voyage (art. 77 LEtr); la détention pour insoumission (art. 78 LEtr) ainsi que la rétention à l'aéroport ou la détention dans un centre de détention sur la base de l'art. 22 LAsi. En droit des étrangers, le droit de l'étranger en détention de communiquer avec son mandataire et les membres de sa famille est garanti (art. 81, al. 1, LEtr). En droit d'asile, la garantie minimale prévue à l'art. 31, al. 2, Cst. s'applique en cas de rétention dans les aéroports; la garantie du droit de communiquer avec un conseiller juridique ou avec un représentant légal a fait l'objet d'une délégation législative (art. 17, al. 4, LAsi) que le Conseil fédéral a concrétisée (art. 7a, al. 2, de l'ordonnance 1 du 11 août 1999 sur l'asile40).

Ajoutons qu'en Suisse, le droit dont disposent les étrangers de communiquer avec leurs autorités consulaires repose en particulier sur l'art. 36 de la Convention de Vienne sur les relations consulaires et sur les art. 81 LEtr et 214, al. 1, let. b, CPP.

Quant à l'accès aux lieux de privation de liberté, il est autorisé aux autorités habilitées par la loi.

Art. 17, par. 2, let. f

Recours sur la légalité de la privation de liberté

L'art. 17, par. 2, let. f, de la convention exige des Etats parties qu'ils prévoient, dans leur législation, un droit de recours devant un tribunal contre la privation de liberté.

Ce droit de recours doit non seulement être garanti à la personne privée de liberté, mais également, en cas de soupçon de disparition forcée, à toute personne ayant un intérêt légitime, par exemple ses proches, afin de remédier à l'incapacité de la personne privée de liberté d'exercer ses droits, précisément en raison de la disparition forcée. Le tribunal saisi doit statuer dans les plus brefs délais sur la légalité de la 36 37 38 39 40

456

RS 322.1 RS 321.0 RS 210 RS 142.20 RS 142.311

privation de liberté et ordonner la libération, si celle-ci est illégale. En Suisse, la situation juridique est la suivante: ­

Garanties de procédure dont jouissent les personnes privées de liberté: En droit suisse, les personnes privées de liberté jouissent de garanties de procédure très conséquentes. L'art. 31, al. 3, Cst., prévoit en particulier le droit pour toute personne mise en détention préventive d'être aussitôt traduite devant un juge, qui prononce le maintien de la détention ou la libération. Ces garanties sont concrétisées dans les différentes lois de procédures (cf. par ex.

les art. 220 à 228 CPP pour la détention provisoire dans le cadre d'une procédure pénale, les art. 55, 59 et 108 PPM pour la procédure pénale militaire ou les art. 44 et 46 à 48 EIMP pour la procédure d'extradition). Par ailleurs, la personne détenue peut communiquer en tout temps et sans surveillance avec son défenseur (voir notamment art. 223, al. 2, CPP). Dans le volet civil également, le nouveau droit de la protection de l'adulte prévoit une protection juridique complète. Conformément à l'article 439 CC, la personne concernée peut former un recours écrit auprès du tribunal compétent contre des mesures qui ont été ordonnées dans le cadre d'un placement à des fins d'assistance. Le recours ne doit pas être motivé (art. 450e CC). Ce contrôle de la légalité de la privation de liberté par une autorité judiciaire est aussi prévu pour les cas de détention administrative et est exercé dans ce contexte par les tribunaux cantonaux avec une possibilité de recourir au Tribunal fédéral. Le droit de recours au Tribunal administratif fédéral est, quant à lui, prévu à l'encontre des décisions de l'Office fédéral des migrations basées sur l'art. 22 LAsi concernant la rétention à l'aéroport.

­

Droit de recours des proches: le droit suisse offre à la personne concernée mais aussi à ses proches un recours dans le cadre d'un placement à des fins d'assistance (art. 450 CC). Le concept de proche doit être compris dans un sens large. Il s'agit d'une personne qui connaît bien la personne concernée et qui, de par ses qualités et, le plus souvent, de par ses rapports avec celle-ci, paraît apte à en défendre les intérêts. Outre les parents, les enfants et le conjoint/partenaire, le curateur, le médecin, le prêtre, le travailleur social ou une personne de confiance peuvent s'opposer au placement de la personne concernée à des fins d'assistance. Les proches disposent d'un droit de recours mais aussi du droit de déposer à tout moment une demande de libération en faveur de la personne concernée (art. 426, al. 4, CC).

En dehors de cette procédure de droit civil, les lois régissant les différentes procédures pouvant mener à une privation de liberté ne prévoient pas de droit de recours spécifique pour les proches. Néanmoins, s'ils soupçonnent qu'un de leur proche a été privé de liberté dans le cadre d'une disparition forcée, ceux-ci pourront, sur la base de la nouvelle infraction de disparition forcée qui sera introduite, adresser une dénonciation directement au ministère public (art. 301 en relation avec l'art. 12, let. b, CPP). L'autorité de poursuite pénale a alors l'obligation d'établir si ces soupçons sont justifiés et notamment de vérifier si la privation de liberté présumée était illégale. Si, par méconnaissance des plaignants, la dénonciation n'est pas soumise à l'autorité cantonale compétente, elle doit lui être transmise (art. 39 CPP).

Rappelons que la disparition forcée implique un refus d'admettre que la personne a été privée de liberté et, plus généralement, un refus de toute information sur son sort. Outre le fait de priver la personne disparue de la protec457

tion de la loi, ce comportement porte gravement atteinte aux intérêts des proches, peut-être même à leur intégrité psychique, violant ainsi des biens juridiques que la nouvelle disposition pénale (art. 185bis P-CP) vise précisément à protéger. Ainsi, les proches sont des lésés directs et doivent être considérés comme des personnes lésées au sens de l'art. 115 CPP, ce qui leur permettra d'invoquer les droits accordés à la partie plaignante dans une procédure pénale, y compris le droit de recourir devant un juge. Le message du 23 avril 2008 relatif à la modification de lois fédérales en vue de la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale41 contient une affirmation identique, lorsque la disparition forcée a lieu dans le cadre d'un crime contre l'humanité.

Dans ce domaine, le droit suisse est compatible avec la convention.

Art. 17, par. 3

Obligation de tenir un registre et des dossiers

L'art. 17, par. 3, de la convention prévoit que les Etats parties assurent l'établissement et la tenue à jour d'un ou de plusieurs registres officiels et/ou dossiers officiels des personnes privées de liberté, qui sont, sur demande, rapidement mis à la disposition de toute autorité judiciaire ou de toute autre autorité ou institution compétente habilitée par la législation de l'Etat partie. La finalité de cette disposition est double: permettre aux autorités d'informer rapidement de l'endroit où se trouve une personne recherchée et d'élucider son sort («droit à la vérité», en particulier aussi pour les proches). Dans ce but, la convention énumère les données devant être inscrites impérativement soit dans les registres, soit dans les dossiers, sans préciser quelles informations doivent figurer dans les registres et quelles informations dans les dossiers personnels. L'analyse de la situation juridique en Suisse permet de dresser le tableau suivant: ­

Tenue des dossiers: A ce jour, les dossiers sont tenus, pour l'essentiel, à l'échelle cantonale et de manière décentralisée, c'est-à-dire directement dans les différentes institutions. D'ailleurs, la consultation technique réalisée en amont de la signature de la convention a mis au jour des différences d'un canton à l'autre. On peut toutefois supposer que les données de base, énumérées à l'art. 17, par. 3, de la convention, se trouvent aujourd'hui déjà dans les dossiers. Ajoutons que, dans un souci de transparence maximale, la loi d'application ­ ci-après projet de loi ­ prévoira l'obligation, pour les autorités, d'enregistrer ces données une fois la convention entrée en vigueur (cf. ch. 3.5 au sujet de l'art. 3 du projet de loi).

­

Tenue des registres: En Suisse, il n'existe pas à l'heure actuelle de registre unique répertoriant l'ensemble des privations de liberté; on peut toutefois extraire certaines informations des registres existants (casier judiciaire informatisé VOSTRA, système d'information commun aux domaines des étrangers et de l'asile SYMIC, etc.). Dans d'autres domaines, le droit de protection de l'adulte notamment, les autorités sont tenues de fournir toutes les informations à une autorité centrale, dès lors qu'une plainte est déposée. Il n'existe pas non plus de système spécifiquement consacré à la recherche de personnes disparues. Tout individu sans nouvelles d'un proche peut néanmoins s'adresser à différents services: au niveau cantonal, il s'agit entre

41

458

FF 2008 3461, ici 3520

autres des postes de polices locaux, au niveau fédéral, du Service de recherche de personnes disparues ­ organe spécialisé de l'Office fédéral de la police (fedpol) ­ ainsi que de divers organes non étatiques, à l'instar du Service de recherches de la Croix-Rouge suisse. Si les organes publics et les institutions privées coopèrent de manière informelle, cette collaboration n'est pas institutionnalisée.

Dans ce domaine, la Suisse doit prendre des mesures, puisque les autorités fédérales et cantonales compétentes sont tenues d'examiner si ces données fondamentales sont saisies dans leurs dossiers et, le cas échéant, leurs registres (cf. ch. 3.5 au sujet de l'art. 3 du projet de loi), En revanche, il n'y a là aucune obligation de créer de nouveaux registres.

Art. 18 et 20

Accès aux informations sur la détention

La convention (art. 18) exige des Etats parties qu'ils garantissent à toute personne ayant un intérêt digne de protection (par ex. un individu craignant que l'un de ses proches ait été victime d'une disparition forcée) un accès à certaines informations précises concernant les circonstances de la privation de liberté (notamment la date, l'heure et le lieu ainsi que le nom de l'autorité qui l'a ordonnée). L'art. 20, par. 1, de la convention admet toutefois quelques exceptions à cette règle, pour autant que la personne soit sous la protection de la loi et que le refus de l'accès aux informations réponde à des conditions strictes, notamment pour protéger la vie privée ou la sécurité de la personne détenue ou le bon déroulement d'une enquête pénale en cours.

Dans ce cas, la convention (art. 20, par. 2) exige qu'un droit à un recours judiciaire soit garanti. A l'heure actuelle, en Suisse, le droit d'être informé se décline comme suit: ­

Dans le domaine de la procédure pénale, l'art. 214 CPP oblige les autorités à informer les proches de la détention, sauf si le but de l'instruction l'interdit ou si la personne concernée s'y oppose expressément. En revanche, dans celui de l'exécution des peines, les autorités ne sont pas tenues d'informer de leur propre initiative les proches ou qui que ce soit d'autre. Les demandes d'informations peuvent être refusées, si une information est susceptible de porter atteinte à la vie privée de la personne détenue ou à son droit à l'autodétermination. Le droit pénal n'a prévu aucune voie de recours qui permette aux proches de contester ce refus.

­

L'accès aux informations dans le cas d'un placement à des fins d'assistance fait déjà l'objet d'une réglementation légale. Si la personne concernée souhaite garder secrets certains faits, le tribunal peut limiter les droits de partie des autres personnes participant au procès, ce qui peut impliquer une restriction du droit d'être entendu des proches; toutefois, cela est admis par la convention (art. 20, par. 1). De plus, les proches pouvant être partie à la procédure judiciaire (art. 439 CC), un droit à être informé conforme à la convention est garanti.

­

Quant au droit des étrangers, il oblige les cantons à veiller à ce qu'une personne désignée par le détenu étranger en Suisse soit informée (art. 81, al. 1, LEtr). On ne saurait toutefois en déduire un droit à être informé.

Le droit en vigueur ne satisfait dès lors pas à toutes les exigences de la convention: si une personne privée de liberté en vertu du droit pénal, du droit de procédure 459

pénale, du droit militaire ou du droit des étrangers ne souhaite pas informer ses proches, la législation suisse respectera ce choix et n'offrira aux proches aucune voie de droit pour que ce refus puisse faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Dans ce domaine, il y a donc lieu de prendre des mesures législatives (cf. ch. 3.5 au sujet des art. 6 et 7 du projet de loi).

2.5

Protection des données, conduite de la procédure et formation

Art. 19

Protection des données

L'art. 19 de la convention porte sur l'utilisation des données personnelles; cette disposition prévoit d'utiliser les données collectées dans le cadre de la recherche d'une personne disparue uniquement aux fins de recherche de la personne disparue.

Elle interdit autrement dit que les données collectées ne soient utilisées à d'autres fins notamment pour poursuivre une autre infraction pénale. L'art. 19 précise également que l'utilisation des données doit à tout instant respecter les droits de l'homme, les libertés fondamentales et la dignité humaine. L'ensemble des autorités fédérales et cantonales et notamment les nouveaux organes de coordination qui doivent être mis en place par la Confédération et les cantons sont tenus de respecter cette disposition.

Les exigences ancrées dans le droit suisse de la protection des données sont conformes à la disposition conventionnelle. L'art. 13, al. 2, Cst. proscrit l'emploi abusif des données personnelles. Pour les autorités fédérales, la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD)42 étaye ce principe: l'art. 4, al. 3, prévoit que les données personnelles ne doivent être traitées que dans le but qui est indiqué lors de leur collecte ou qui est prévu par une loi. Les règles relatives au traitement des données (détaillées aux art. 4 et 16 à 25 LPD) garantissent qu'aucune atteinte injustifiée ne soit portée aux droits fondamentaux lors du traitement des données. S'agissant du service fédéral de coordination à naître, la loi d'application telle qu'elle est proposée mentionne explicitement les exigences relevant de la protection des données (cf. ch. 3.5 au sujet de l'art. 9 du projet de loi). Pour ce qui est des autorités cantonales, elles sont soumises aux législations cantonales édictées à ce sujet.

Art. 22

Entrave ou obstruction à la procédure

L'art. 22 de la convention exige des Etats parties qu'ils préviennent et répriment l'entrave ou l'obstruction des recours qu'elle prévoit, le manquement à l'obligation d'enregistrement des privations de liberté et le refus injustifié de fournir des informations. Le droit suisse est déjà compatible sur ce point, puisque l'art. 29 Cst.

institue des garanties minimales, au rang desquelles figure l'interdiction du déni de justice et du retard injustifié, concrétisées dans la législation correspondante. Par ailleurs, des normes disciplinaires et pénales notamment s'appliquent à cet égard (cf.

en particulier l'art. 312 CP, lorsque l'acte est commis intentionnellement dans le dessein de nuire à autrui).

42

460

RS 235.1

Art. 23

Formation

L'art. 23 de la convention, à visée préventive, exige que les personnes pouvant être amenées à intervenir dans la garde ou le traitement de personnes privées de liberté dans l'exercice de leur fonction reçoivent une formation ad hoc. La mise en oeuvre du modèle de réseau permet de garantir que les services cantonaux et fédéraux compétents soient informés au sujet de la convention et de son contenu. De plus, avec l'introduction de la nouvelle norme pénale, l'infraction «disparition forcée» sera intégrée aux cursus de formation correspondants. Par ailleurs, en application de l'art. 23, par. 2, de la convention, la nouvelle infraction sanctionnera explicitement les ordres ou instructions donnés par des représentants de l'Etat et prescrivant ou autorisant une disparition forcée.

2.6

Protection des victimes

Art. 24

Aide aux victimes

L'art. 24 de la convention porte sur les victimes de disparition forcée. En comparaison avec d'autres instruments portant sur les droits humains, les exigences qu'elle impose en matière de protection des victimes sont très poussées. On retiendra d'abord la définition très large de la notion de victime et l'importance des droits qui lui sont accordés. Ce choix s'explique notamment par l'histoire des pays sudaméricains; la disparition forcée y était élevée au rang de pratique systématique et ils ont un travail de mémoire à effectuer. Les exigences d'associations de proches de victimes et de victimes de disparition forcée ont pu ainsi s'imposer au cours des négociations.

Par «victime», l'art. 24, par. 1, de la convention entend non seulement la personne qui a elle-même subi la disparition forcée, mais aussi toute personne physique ayant subi un préjudice direct du fait d'une disparition forcée. Cet accord permet ainsi de combler une lacune du droit international, qui n'accordait pas jusqu'alors la protection nécessaire aux proches de personnes disparues.

Avec l'introduction du nouvel art. 185bis CP, les personnes disparues sont en principe considérées en droit suisse comme des victimes au sens de la loi du 23 mars 2007 sur l'aide aux victimes (LAVI)43 et comme des lésés et des victimes au sens des art. 115, al. 1, et 116, al. 1, CPP. Aucun problème ne se pose dès lors à cet égard.

Pour ce qui est des autres victimes, la convention est généreuse, puisqu'elle inclut toute personne ayant subi un préjudice direct du fait de la disparition forcée. Les tenants de cette version ont fait valoir au cours des débats que le but était de laisser une certaine marge d'appréciation aux autorités nationales, afin qu'elles ne doivent pas se limiter aux seuls conjoint et enfants. En droit suisse, la LAVI et le CPP disposent qu'outre la personne qui a subi une atteinte directe à son intégrité physique ou psychique, ses proches ­ c'est-à-dire le conjoint, les enfants, les père et mère ou d'autres personnes ayant des liens analogues avec la victime ­ ont également droit à l'aide aux victimes (art. 1, al. 2, LAVI et art. 116, al. 2, CPP). Avec la nouvelle infraction de disparition forcée, les proches concernés pourraient être considérés comme des personnes lésées voire, dans certains cas, comme des victimes. Il en 43

RS 312.5

461

résulte que la notion de proches est certes définie plus étroitement en droit suisse que dans la convention; cependant, la réglementation suisse garantit que toutes les personnes proches d'une victime de disparition forcée puissent bénéficier de l'aide aux victimes.

L'art. 24, par. 2 et 3, de la convention impose aux Etats parties de prendre les mesures nécessaires pour permettre à toute victime de savoir la vérité sur les circonstances de la disparition forcée. La législation suisse répond déjà à ces exigences, puisque les autorités sont soumises à l'obligation d'enquêter en matière pénale et que les personnes concernées et les proches jouissent du droit d'être informés (cf. ch. 2.3 et 2.4).

Conformément à l'art 24, par. 4, l'Etat partie doit garantir à la victime le droit d'obtenir réparation et d'être indemnisée rapidement. Le par. 5 précise ce que la convention entend par le «droit d'obtenir réparation»: la restitution, la réadaptation, la satisfaction et la garantie de non-répétition. Alors que le terme de «restitution» désigne ici en particulier le retour à la situation légale qui était celle de la victime avant sa disparition (droit à la liberté, retour au domicile, restitution des biens, etc.), la réhabilitation porte davantage sur les prestations médicales et psychologiques.

Quant à la satisfaction, elle comprend des prestations matérielles et immatérielles.

Dans l'ensemble, en Suisse, les victimes jouissent de droits étendus, valables pour les infractions subies sur sols suisse et étranger. La non-répétition est garantie, dans l'ordre juridique helvétique, par la poursuite pénale, la possibilité d'assurer un contrôle judiciaire sur les activités de toutes les autorités, la séparation des pouvoirs, la conclusion de conventions internationales et la surveillance exercée sur l'exécution de ces conventions. S'agissant des autres aspects invoqués, il y a lieu de distinguer en fonction du lieu où l'infraction a été commise et du domicile de la victime: ­

44 45

462

Victime d'une infraction commise en Suisse: si une personne est victime de disparition forcée en Suisse, cette infraction est imputable à l'Etat. Pour obtenir réparation au sens de la convention, la victime pourra dès lors se fonder sur la loi du 14 mars 1958 sur la responsabilité (LRCF)44 ou sur les lois cantonales ad hoc. De plus, la LAVI s'appliquera également; celle-ci disposant que toute personne ayant subi, du fait d'une infraction commise sur sol suisse, une atteinte directe à son intégrité physique, psychique ou sexuelle, peut prétendre aux conseils et au soutien fournis par les centres de consultation, de même qu'à de l'aide immédiate et à plus long terme (art. 12 à 16 LAVI), à une indemnisation (art. 19 à 21 LAVI) et à une réparation morale (art. 22 et 23 LAVI). Les victimes bénéficient en outre des droits de protection particuliers prévus par le CPP (pour un catalogue partiel des droits de la victime, cf. art. 117 CPP). Les proches de la victime ont également droit à l'aide aux victimes. Citons encore les mesures de protection offertes par le CPP aux personnes exposées, en raison de leur participation à la procédure, à un danger sérieux menaçant leur vie ou leur intégrité corporelle (art. 149 et 150 CPP). Les mesures de protection résultant de la loi fédérale du 23 décembre 2011 sur la protection extraprocédurale des témoins45, entrée en vigueur le 1er janvier 2013, s'appliquent elles aussi.

RS 170.32 RS 312.2

­

Victime d'une infraction commise à l'étranger: si une personne domiciliée en Suisse (au moment de l'infraction et au moment du dépôt de la demande d'aide aux victimes; cf. art. 17 LAVI) subit une infraction commise sur sol étranger, elle ne peut prétendre aux prestations prévues par la LRCF et par les lois cantonales ad hoc. S'agissant de la LAVI, les prestations des centres de consultation (conseils, aide immédiate et à plus long terme cf. plus haut) lui sont accordées, mais il n'y a ni indemnisation, ni réparation morale (art. 3 LAVI). Il en va de même pour les proches. Les prestations sont fournies en Suisse. La LAVI étant subsidiaire, l'aide n'est accordée que lorsque l'Etat sur le territoire duquel l'infraction a été commise ne verse aucune prestation ou verse des prestations insuffisantes (art. 4 et 17, al. 2, LAVI). Les victimes bénéficient également des droits de protection particuliers prévus par le CPP (pour un catalogue partiel des droits de la victime, cf. art. 117 CPP). La protection offerte à la victime en vertu du CPP devient effective si l'auteur est arrêté sur territoire suisse et y est jugé.

Quant aux personnes subissant une infraction commise sur sol étranger et non domiciliées en Suisse, la LAVI ne prévoit aucune prestation, ce que la convention ne semble d'ailleurs pas exiger. Les droits des victimes visent en premier lieu l'Etat dont ils sont la victime.

L'art. 24, par. 6, de la convention exige des Etats parties qu'ils prennent les mesures appropriées concernant la situation légale des personnes disparues dont ils ne sont pas encore parvenus à élucider le sort. Si l'ordre juridique suisse ne comporte pas de statut propre aux personnes disparues au sens de la convention, une déclaration d'absence peut être envisagée (art. 35 à 38 CC).

L'art. 24, par. 7, de la convention impose par ailleurs aux Etats parties de garantir le droit de former des associations ayant pour objet de contribuer à l'établissement du sort des personnes disparues ainsi qu'à l'assistance aux victimes. La liberté d'association est pleinement garantie par l'art. 23 Cst. et concrétisée par les art. 60 à 79 CC. Les associations au sens de l'art. 24 de la convention peuvent dès lors être formées à tout moment en Suisse. A cet égard, la Suisse n'a donc aucune mesure à prévoir.

2.7 Art. 25

Protection particulière des enfants Protection particulière des enfants

L'art. 25 de la convention comble une autre lacune du droit international, puisqu'il offre une protection spécifique aux enfants dans le contexte de la disparition forcée.

Il exige premièrement des Etats parties qu'ils répriment la soustraction d'enfants et prévoient une procédure visant à réviser la procédure d'adoption, deuxièmement, qu'ils prennent des mesures pour rendre à leur famille d'origine les enfants victimes de disparition forcée. L'art. 25, par. 5, de la convention précise en outre que l'intérêt supérieur de l'enfant est une considération primordiale pour toutes les réglementations le concernant.

Afin de protéger spécifiquement les enfants, la convention exige notamment que les Etats répriment la soustraction d'enfants soumis à une disparition forcée ainsi que la

463

falsification, la dissimulation ou la destruction de documents attestant leur véritable identité.

L'ordre juridique suisse satisfait déjà ces exigences, puisque différentes dispositions du CP peuvent s'appliquer en cas de soustraction d'enfants: l'art. 183, al. 2, CP protège spécifiquement les personnes de moins de 16 ans contre l'enlèvement. En outre, l'art. 220 CP protège l'exercice de l'autorité parentale, en incriminant le fait de soustraire ou de refuser de remettre un mineur au titulaire du droit de garde.

Enfin, l'art. 219 CP couvre les cas où une personne met en danger le développement physique ou psychique d'un mineur, en violation de son devoir d'assistance ou d'éducation. Quant aux documents attestant de la véritable identité d'une personne, ils doivent être considérés comme des titres, dont la falsification ou la dissimulation (y compris la suppression) est réprimée par les art. 251 à 254 CP. Les documents étrangers tombent également dans cette catégorie (art. 255 CP).

Aux termes de l'art. 25, par. 4, de la convention, dans les Etats parties qui reconnaissent le système d'adoption ou d'autres formes de placement d'enfants, des procédures légales doivent exister, qui visent à réviser la procédure d'adoption ou de placement d'enfants et, le cas échéant, à annuler toute adoption ou placement d'enfants qui trouve son origine dans une disparition forcée.

L'art. 268a CC impose aux autorités de mener à bien une instruction minutieuse avant de pouvoir prononcer une adoption. Selon les art. 269 CC, une adoption peut être attaquée devant le juge si, sans motif légal, les consentements requis n'ont pas été demandés. L'action en annulation est par conséquent ouverte, entre autres, aux parents biologiques auxquels l'enfant a été enlevé illégalement. L'intérêt supérieur de l'enfant étant la considération primordiale, la loi suisse fixe des délais péremptoires pour la contestation de l'adoption: six mois à compter de la découverte du vice, mais dans tous les cas dans les deux ans suivant l'adoption. Par analogie avec les art. 256c, 260c et 263 CC, l'action en annulation peut toutefois être intentée après expiration de ce délai pour de justes motifs46. Une adoption qui trouve son origine dans une disparition forcée entre dans cette catégorie. Le droit suisse veille donc, comme l'exige l'art. 25,
par. 5, de la convention, que l'intérêt supérieur de l'enfant soit la considération primordiale: une action intentée pour annuler une adoption peut être rejetée si celle-ci porte une atteinte sérieuse au bien de l'enfant. Ici encore, le droit suisse est donc compatible avec la convention.

Un autre texte s'applique par ailleurs en matière d'adoptions internationales: la Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale47. Or, à l'art. 4, let. c, ch. 2, et let. d, ch. 3, cette convention précise que le consentement à l'adoption doit être donné librement et dans les formes légales requises. Ainsi, une adoption qui trouve son origine dans une disparition forcée entraîne un motif d'annulation de l'adoption.

Sur ce point également, le droit suisse satisfait aux exigences de la convention.

46 47

464

Cf. ATF 112 II 296 RS 0.211.221.311

2.8

Dispositions institutionnelles

Art. 26 à 28

Institution d'un comité

Les art. 26 à 28 de la convention prévoient l'institution d'un Comité des disparitions forcées (comité). Il est composé de dix experts indépendants, élus par les Etats parties selon une répartition géographique équitable. L'art. 26 règle les détails du vote, de la durée de fonction des membres et des moyens dont ceux-ci disposent.

L'art. 27 dispose que les Etats parties se réuniront au plus tôt quatre ans et au plus tard six ans après l'entrée en vigueur de la convention, afin d'évaluer le fonctionnement du comité et de procéder, au besoin, à des mises au point fondées sur les premières années d'exercice (cf. ch. 1.1.2). Aux termes de l'art. 28, le comité est tenu de coopérer avec tous les organes, bureaux, institutions spécialisées et fonds appropriés des Nations Unies, ainsi qu'avec toutes les institutions, agences et bureaux nationaux et internationaux pertinents, en veillant à travailler en coordination notamment avec les organes conventionnels relevant des pactes de l'ONU.

Art. 29

Obligations des Etats

L'art. 26, par. 9, de la convention exige des Etats parties qu'ils coopèrent avec le comité. S'agissant du mécanisme de surveillance, il est assez minimal en comparaison avec d'autres accords onusiens, puisqu'il ne prescrit pas de rapports réguliers.

En vertu de l'art. 29, chaque Etat est uniquement tenu de présenter, dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur de la convention à son égard, les mesures qu'il a prises pour la mettre en oeuvre. Le comité est par ailleurs habilité à étudier ce rapport et à émettre, au besoin, des recommandations, de même qu'à demander aux autorités des renseignements complémentaires (art. 29, par. 4). Une forme de rapport ad hoc est donc en quelque sorte instaurée ici.

Art. 30 à 36

Saisine du comité

Les art. 30 à 34 de la convention règlent la saisine du comité. On distingue les saisines applicables à tous les Etats parties (art. 30, 33 et 34) et celles pour lesquelles ceux-ci doivent avoir préalablement déclaré qu'ils reconnaissaient sa compétence spécifique (art. 31 et 32). Quant à l'art. 35, il précise que le comité est compétent uniquement pour les cas ayant débuté postérieurement à l'entrée en vigueur de la convention à l'égard de l'Etat concerné; c'est le principe de la non-rétroactivité.

L'art. 36 ajoute que le comité a l'obligation d'informer au préalable les Etats parties au sujet desquels il prévoit de rédiger des observations dans son rapport annuel. Les saisines se déclinent sous trois formes: ­

Saisine obligatoire (art. 30, 33 et 34): l'art. 30 permet à tout individu ayant un intérêt légitime à saisir, en urgence, le comité d'une demande de recherche. Si celle-ci n'est pas dépourvue de fondement, abusive, en cours d'examen par une autre instance ou incompatible avec la convention et qu'elle a préalablement été soumise à l'autorité nationale compétente, le comité demande à l'Etat partie concerné de lui fournir des renseignements sur la situation de la personne recherchée. Le comité est par ailleurs habilité à collaborer avec lui et à lui transmettre des recommandations pour élucider le cas. De plus, il informe l'auteur de la demande des démarches entreprises auprès de l'Etat. Cette saisine obligatoire vise donc un objectif humanitaire: 465

retrouver la personne disparue dans les meilleurs délais et informer ses proches.

Si le comité dispose de renseignements crédibles selon lesquels un Etat partie porte gravement atteinte aux dispositions de la convention, l'art. 33 l'autorise à y effectuer une visite dûment annoncée. Enfin, l'art. 34 précise que s'il a des raisons fondées de soupçonner un Etat partie de pratiquer la disparition forcée de manière généralisée et systématique, il peut en avertir l'Assemblée générale. Le comité dispose dès lors de compétences inédites sous cette forme au sein du système onusien.

­

Procédure facultative de communication individuelle (art. 31): si l'Etat partie a déclaré le comité compétent à cet égard, il peut recevoir les communications présentées par les personnes concernées ou leurs proches. Contrairement à la saisine obligatoire, l'aspect déterminant de cette procédure n'est pas le volet humanitaire, mais la responsabilité internationale de l'Etat en question. L'art. 31, par. 2, de la convention, détaille les modalités, en établissant notamment l'irrecevabilité de communications anonymes et abusives. La convention exige en outre que le cas ne soit pas en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête et que tous les recours internes efficaces disponibles aient été épuisés. Si la communication est jugée recevable, le comité est compétent pour l'examiner. Il soumet alors la demande à l'Etat partie concerné pour avis; le cas est ensuite examiné à huis clos par le comité. Celui-ci informe alors l'auteur de la demande et l'Etat partie de ses conclusions. Dans cette procédure comme dans la précédente, le comité a le droit de demander à l'Etat concerné de prendre des mesures conservatoires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée.

­

Procédure facultative de requête étatique (art. 32): sous réserve également que l'Etat partie ait déclaré le comité compétent à cet égard, il peut recevoir les communications présentées par les Etats. Cela lui permet d'examiner des communications par lesquelles un Etat partie prétend qu'un autre Etat partie ne s'acquitte pas de ses obligations au titre de la convention. A noter que les deux Etats doivent avoir rendu la déclaration visée à l'art. 32.

2.9

Dispositions finales

La troisième et dernière partie (art. 37 à 45) décline les dispositions finales. Aux termes de l'art. 37, aucune des dispositions de la convention ne porte atteinte aux dispositions plus favorables à la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Les art. 38 à 40 règlent l'adhésion à la convention et sa ratification ainsi que leur notification, l'art. 39 disposant que le texte entrera en vigueur le trentième jour après la date du dépôt du vingtième instrument de ratification ou d'adhésion. En l'espèce, ce fut le 23 décembre 2006. Pour tout Etat qui ratifiera la convention ou y adhérera passé cette date, elle entrera en vigueur le trentième jour après la date de dépôt de son instrument de ratification ou d'adhésion. L'art. 41 de la convention dispose que celle-ci s'applique sans limitation à toutes les unités constitutives des Etats fédéraux. En cas de litige portant sur l'application ou l'interprétation de la convention, il appartient à un tribunal arbitral ou, si les parties ne parviennent pas à se mettre d'accord sur l'organisation de ce dernier, à la Cour 466

internationale de Justice à La Haye de trancher (art. 42, par. 1). Les Etats parties pourront, au moment de signer ou de ratifier la convention, déclarer qu'ils ne se considèrent pas liés par cette disposition (art. 42, par. 2). A ce propos, l'art. 43 prévoit que les dispositions du droit international humanitaire, y compris celles des conventions de Genève et des protocoles additionnels s'y rapportant, demeurent intactes. Notons encore que tout Etat partie peut proposer des amendements au texte de la convention, qui sont ensuite soumis pour adoption aux autres Etats parties par le Secrétaire général des Nations Unies. Tout amendement doit être approuvé à une majorité des deux tiers (art. 44). La convention ne prévoit pas de modalité de dénonciation, mais les Etats parties peuvent émettre des réserves dans la mesure où cellesci ne sont pas contraires à l'objet et au but de la convention.

3

Présentation de la législation d'application

3.1

Contexte

Il résulte du présent rapport que la Suisse doit procéder à certaines modifications législatives ponctuelles si elle entend ratifier la convention, celles-ci portant pour l'essentiel sur la sanction explicite du crime de disparition forcée et la mise en oeuvre des droits d'information et de recours accordés aux proches.

3.2

Dispositif proposé

3.2.1

Sanction explicite des disparitions forcées dans le code pénal

Comme expliqué plus haut, la convention va sensiblement plus loin que l'art. 264a CP, rédigé dans le but de sanctionner les disparitions forcées en application du Statut de Rome. Cette disposition se limite donc aux infractions commises dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile (crimes contre l'humanité). Or, la convention couvre un éventail de cas plus large. Il s'agit donc d'ajouter au code pénal une infraction qui atteigne le but de protection qu'elle vise en sanctionnant les disparitions forcées comme une infraction en soi.

Notons que des modifications analogues dans le code de procédure pénale, le code pénal militaire et la procédure pénale militaire sont nécessaires.

3.2.2

Institution d'un réseau

Outre les aspects relevant du droit pénal, l'objectif de protection que poursuit la convention implique de prendre des mesures en vue de garantir que les personnes soupçonnant qu'un de leurs proches a été victime de disparition forcée puissent recevoir des renseignements rapides et fiables.

Comme expliqué précédemment, la Suisse ne dispose pas à l'heure actuelle de registre central permettant de localiser rapidement les personnes privées de liberté. Il s'agit dès lors de déterminer si elle devrait s'en doter. Le Conseil fédéral s'est déjà saisi d'une question similaire lorsqu'il a répondu à la motion Burkhalter du 12 décembre 2005 (05.3773) intitulée «Banque de données centralisée répertoriant 467

les personnes en détention», même si celle-ci s'inscrivait dans un contexte différent, à savoir celui de la poursuite pénale. Il avait alors fait valoir que, selon ses estimations d'alors, un tel registre entraînerait des coûts d'investissements de l'ordre de 1,1 million de francs et des coûts annuels d'environ 700 000 francs. Il précisait en outre que les coûts annuels à la charge des cantons atteindraient environ 2,6 millions de francs. Le Conseil fédéral avait jugé ce rapport coûts-bénéfice peu avantageux et le projet fut abandonné. Dans le contexte qui nous intéresse, d'autres types de privation de liberté devraient également figurer dans le registre central (en particulier les mesures de protection à l'égard des adultes et la détention administrative), si bien que la facture s'alourdirait encore sensiblement. Or, les services chargés actuellement des recherches estiment que seules deux douzaines de requêtes sont déposées chaque année au sujet de personnes privées de liberté. Dès lors, la création d'un tel registre semble disproportionnée, tant du point de vue technique que pratique.

La convention mentionne explicitement «la tenue d'un ou de plusieurs registres officiels et/ou dossiers officiels» (art. 17, par. 3). Aussi l'objectif de protection qu'elle vise peut également être rempli si les données sont enregistrées dans différents endroits. Dès lors, la mise au point d'un réseau ­ composé des services cantonaux et fédéral de coordination ­ doit être privilégiée. Si un soupçon de disparition forcée plane et qu'il est nécessaire de déterminer dans quel endroit une personne se trouve, le service fédéral de coordination prend contact avec ses homologues cantonaux et, au besoin, avec les services fédéraux compétents en matière d'exécution de privations de liberté. Ceux-ci font les vérifications nécessaires dans les registres ou auprès des autorités compétentes et lui indiquent dans les meilleurs délais si la personne recherchée se trouve dans un des lieux de privation de liberté du canton. Le cas échéant ils indiquent également le lieu de détention et l'autorité qui l'a ordonnée, de même que l'état de santé de la personne. Cette solution permet de garantir que les informations circulent avec efficacité et fiabilité entre les différentes structures que compte la Suisse.

3.2.3

Adoption d'une loi d'application

L'institution du réseau de même que l'introduction des droits d'information accordés aux proches et d'une voie de recours doit reposer sur une base légale explicite.

Cependant, étant donné qu'il est impossible de satisfaire ces exigences en les intégrant dans une loi existante, on ne saurait faire l'économie d'une loi d'application séparée qui serve d'ancrage juridique pour le réseau.

3.3

Appréciation de la solution retenue

L'introduction d'une infraction à part entière pour les disparitions forcées met en oeuvre l'exigence incombant à la Suisse de sanctionner explicitement ce crime.

L'écrasante majorité des participants à la procédure de consultation s'est prononcée en faveur de la création de cette nouvelle infraction.

La présente loi d'application est un texte concis, qui jette les bases sur lesquelles fonder le réseau entre la Confédération et les cantons tout en dessinant le cadre dans lequel pourra s'inscrire le traitement des données, sans pour autant aller au-delà des

468

exigences qu'impose la mise en oeuvre de la convention. Cette solution a rencontré un franc succès auprès des participants à la procédure de consultation.

Le Conseil fédéral estime donc que cette législation d'application représente un compromis garantissant avec force pragmatisme que l'accord sera mis en oeuvre de façon conséquente tout en tenant compte des réalités helvétiques.

3.4

Commentaire des modifications du droit pénal

Art. 64, al. 1bis, phrase introductive, CP A l'instar de l'enlèvement ou de la séquestration, la disparition forcée doit également être mentionnée dans la liste des infractions qui entraînent une mesure d'internement à vie, si les autres conditions de l'art. 64, al. 1bis, CP sont remplies.

Art. 185bis CP Comme exposé précédemment (cf. ch. 2.1 et 2.2), la mise en oeuvre de la convention implique l'introduction d'une nouvelle disposition dans le CP réprimant la disparition forcée.

La nouvelle disposition proposée, l'art. 185bis CP, incrimine explicitement la disparition forcée. Partant, elle protège fondamentalement deux biens juridiques: d'une part, elle assure que les individus privés de liberté par l'Etat continuent de bénéficier de la protection de la loi et en particulier des garanties de procédure. D'autre part, elle assure aux proches d'une personne privée de liberté de pouvoir connaître le sort de celle-ci (droit qui découle du respect de la sphère privée et des liens familiaux), afin de leur éviter les souffrances psychologiques liées à l'incertitude et au désespoir qu'implique une disparition forcée. Dès lors, il convient également de les considérer comme des victimes de ce crime. C'est du reste ce qu'affirme déjà le message du 23 avril 2008 relatif à la modification de lois fédérales en vue de la mise en oeuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale. Les proches doivent donc bénéficier des droits procéduraux qui résultent de ce statut48.

D'un point de vue systématique, la nouvelle disposition doit être intégrée dans le titre 4 du CP. En effet, une disparition forcée se caractérise essentiellement par une atteinte illégale à la liberté, doublée de la dissimulation du sort de la personne privée de liberté. Elle partage ainsi avec la séquestration et l'enlèvement (art. 183 CP) l'élément de la privation de liberté. D'autres infractions du même titre combinent également la restriction de la liberté de mouvement avec un autre élément (traite d'êtres humains, prise d'otage). Malgré la proximité de cette infraction avec les crimes contre l'humanité, il n'est pas opportun de l'intégrer au titre 12bis du CP, car il manque précisément l'élément de l'attaque généralisée ou systématique contre la population civile pour que ce soit un crime contre l'humanité. Bien que plusieurs participants à la procédure de consultation aient préconisé de l'insérer dans le titre 12bis, le Conseil fédéral maintient son intention de l'intégrer dans le titre 4.

48

FF 2008 3461, ici 3520

469

Puisque le code pénal contient déjà une disposition sanctionnant les disparitions forcées comme un crime contre l'humanité, la formulation de la nouvelle infraction reprend la structure de cette disposition, et établit une distinction entre deux variantes, qui se basent sur les quatre éléments constitutifs décrits ci-dessous. Si ces éléments ne sont pas identiques en tout point avec la définition des disparitions forcées qu'en donne l'art. 2 de la convention, il importe, pour favoriser la cohérence du code, que les deux infractions de disparition forcée formulées aux art. 264a CP et 185bis P-CP ne divergent pas, sauf en ce qui concerne l'attaque systématique contre une population civile. Aussi la formulation a-t-elle été maintenue dans toute la mesure du possible.

L'infraction de la disparition forcée comprend principalement quatre éléments: (a) une personne est privée de liberté, (b) l'Etat ou une organisation politique en a donné le mandat ou a donné son assentiment, (c) toute information sur le sort de la personne ou sur l'endroit où elle se trouve est refusée et, enfin, (d) les auteurs ont l'intention de soustraire la personne à la protection de la loi. La disparition forcée constitue le plus souvent une infraction commise par plusieurs personnes. La disposition proposée vise donc à punir aussi bien celui qui participe à la privation de liberté que celui qui participe au refus de fournir des informations, les auteurs respectifs devant avoir connaissance de l'autre volet de l'infraction.

Elément constitutif «privation de liberté»: Par analogie avec le texte de la convention, la notion de privation de liberté ancrée à l'art. 185bis P-CP doit être comprise comme un terme générique couvrant les notions plus détaillées de la convention (arrestation, détention, enlèvement), par ailleurs également mentionnées dans le Statut de Rome (art. 7, al. 2, let. i).

Elément constitutif «implication de l'Etat»: Une disparition forcée, en tant que violation des droits de l'homme, présuppose une implication de l'Etat. Celle-ci peut intervenir sous la forme d'un mandat ou d'un assentiment. On distingue différentes constellations: ­

Implication de l'Etat: En général, les fonctionnaires (ou des tiers mandatés par l'Etat) agissent sur instructions d'un supérieur hiérarchique ou avec son approbation. Selon cette acception, le supérieur hiérarchique incarne la participation de l'Etat. Un fonctionnaire qui agit de sa propre initiative et sans mandat tombe aussi sous le coup de la norme pénale, car le pouvoir ou la marge de manoeuvre dont il bénéficie en raison de sa fonction et qui lui permettent d'initier une disparition forcée impliquent qu'il incarne dans une certaine mesure la volonté de l'Etat. Dès lors, on peut dire qu'il agit au nom de l'Etat. Quant à la notion d'assentiment, elle est suffisamment large pour englober les notions d'autorisation ou d'acquiescement. La convention (ainsi que le Statut de Rome) mentionnent encore l'appui. Or celui-ci implique toujours un assentiment, au moins par dol éventuel. Cette constellation est donc également couverte par la nouvelle disposition proposée.

­

Implication d'organisations politiques: Les disparitions forcées peuvent également survenir dans un contexte politique où l'autorité de l'Etat est fragilisée. Afin d'éviter qu'une lacune ne se produise dans ce contexte, il y a lieu d'ajouter que le mandat ou l'assentiment peut également émaner d'une organisation politique. Il s'agit à cet égard principalement d'inclure les entités non étatiques qui exercent un pouvoir de facto ou qui contrôlent un territoire déterminé. Cela correspond à l'interprétation donnée à la notion d'orga-

470

nisation politique, utilisée dans le Statut de Rome en lien avec l'attaque systématique ou généralisée lancée contre une population civile. Cette extension aux organisations politiques n'est pas à proprement parler exigée par l'art. 2 de la convention, mais elle permet de tenir compte dans une juste mesure de son art. 3. Dès lors, la mise en oeuvre dans le droit suisse inclura également les organisations politiques, d'autant que cela permet de garder une formulation analogue à celle du Statut de Rome. Les activités des simples groupes criminels tomberont, quant à elles, toujours sous le coup des dispositions existantes du CP.

Elément constitutif «refus d'informations»: Le refus d'informations est le véritable trait caractéristique de la disparition forcée. Il consiste en un refus de fournir toute indication sur le sort de la personne disparue ou sur l'endroit où elle se trouve.

L'incertitude qui en résulte peut être lourde de conséquences pour les proches (et nourrir un climat de terreur au sein de la population lorsqu'il s'agit d'une pratique systématique). De plus, en l'absence de toute information, la personne disparue est soustraite à la protection de la loi, notamment parce que ni les proches ni le système judiciaire ne peuvent établir si elle a été privée de liberté, et si oui, dans quelles circonstances. Enfin, la disparition forcée entraîne une conjuration du silence, dont l'effet est délétère sur la punissabilité: toute trace de la personne disparue ayant été dissimulée, son sort ne pourra plus guère être établi dans un procès pénal. Ce refus porte ainsi gravement atteinte aux droits des proches de connaître le sort des victimes, mais également à la protection de la loi dont doit bénéficier tout individu.

Relevons encore les points suivants: ­

Contenu des informations (lieu où se trouve la personne disparue et «sort»): La notion de sort ne comprend pas seulement la mort de la personne disparue, mais également tout ce qui lui arrive d'essentiel, en particulier son arrestation et les circonstances de celles-ci. Le «déni de la reconnaissance de la privation de liberté», mentionné explicitement dans la convention, participe donc de ce refus de toute indication sur le sort de la personne disparue.

­

Qualification du refus d'informations: Le refus d'informations doit être qualifié pour que le cercle des auteurs potentiels puisse être défini avec précision. Le caractère répréhensible du refus peut découler, d'une part, d'une violation d'une obligation légale, portant ainsi atteinte à un intérêt public ou privé protégé par la loi. C'est également cette solution qui a été retenue pour la mise en oeuvre du Statut de Rome en droit allemand49. D'autre part, le refus est également punissable lorsqu'il intervient sur mandat de l'Etat, révélant ainsi un lien de l'auteur avec le pouvoir étatique. L'auteur participe à une activité criminelle qui se caractérise précisément par l'abus de ce pouvoir.

Elément constitutif «soustraction à la protection de la loi»: La privation de liberté suivie du refus de toute indication sur le sort de la personne ou sur l'endroit où elle se trouve a pour conséquence que cette personne est soustraite à la protection de la loi. Cette soustraction doit correspondre à une intention de l'auteur, que celui-ci soit impliqué dans la privation de liberté elle-même ou dans le refus d'informations sur le sort de la personne ou sur l'endroit où elle se trouve.

49

Cf. § 7, al. 1, ch. 7, du Völkerstrafgesetzbuch (Allemagne).

471

Il faut distinguer entre deux variantes, selon que la privation de liberté respecte, dès son commencement, les conditions légales ou non. Dans la première hypothèse, il y a soustraction à la protection de la loi dès qu'une privation de liberté, qui à l'origine était conforme aux procédures légales, ne l'est plus, car elle se prolonge au-delà de la durée prévue par les normes légales nationales ou internationales (en ce sens, la version française du texte légal parle de «période prolongée»). C'est par exemple le cas lorsque la détention n'est délibérément pas communiquée au tribunal dans le délai exigé par la loi. L'expression «pendant une période prolongée» doit donc être comprise non pas comme une indication objective d'une durée relativement longue, mais comme une durée outrepassant les délais fixés dans la loi applicable à la privation de liberté en question. Toutefois, l'élément constitutif n'est pas réalisé dans les cas où la privation de liberté suit le processus légal (cf. notamment les art. 215, 219, 224 et 225 CPP), même si pendant un bref laps de temps initial, la privation de liberté n'est pas encore approuvée par un juge. Dans la deuxième hypothèse, lorsque la privation de liberté est d'emblée illégale, la soustraction à la protection de la loi est réalisée dès le départ.

Sanction: La peine de 1 à 20 ans proposée dans le nouvel art. 185bis CP correspond à la peine prévue pour une prise d'otage (art. 185 CP) ainsi que pour la variante aggravée de la séquestration ou de l'enlèvement (art. 184 CP). La peine minimale d'un an correspond également aux cas de moindre gravité des crimes contre l'humanité (art. 264a, al. 3, CP).

L'infraction de disparition forcée est en elle-même déjà très grave: son intention est de nier l'existence d'une personne; de plus, elle est lourde de conséquences, car elle soustrait de fait la personne visée à toutes les garanties qu'offre un Etat de droit.

Cette intention ainsi que le refus de toute information sur son sort sont les éléments caractéristiques de la disparition forcée qui la distinguent de l'enlèvement ou de la séquestration (art. 183 CP). Elle représente donc une forme aggravée.

L'introduction d'une variante atténuée ne paraît pas nécessaire. Les règles de la partie générale du CP (notamment l'art. 48, let. a, ch. 4, et d, CP) suffisent dans ce
contexte. Notons que le Parlement avait renoncé, pour la même raison, à une clause d'atténuation à l'infraction de crime contre l'humanité (art. 264a, al. 1, let. e, CP).

Une forme qualifiée de cette infraction ne s'impose pas davantage, l'art. 264a, al. 1, let. e, CP prévoyant déjà une infraction qualifiée lorsque la disparition forcée est commise dans le cadre d'un crime contre l'humanité.

Principe de l'universalité: Comme exposé précédemment, les règles générales sur la juridiction pénale ne sont pas en pleine conformité avec les exigences de la convention. La condition de la double incrimination représente en effet une restriction.

Même si elle constitue une facette importante du principe de la légalité, il ne se justifie pas de maintenir cette restriction pour les disparitions forcées, qui représentent une infraction très grave perpétrée régulièrement dans différentes régions du monde. A l'instar de quelques autres infractions, comme la prise d'otages (art. 185 CP) et la mutilation d'organes génitaux féminins (art. 124 CP), le projet de loi prévoit à l'art. 185bis, al. 2, P-CP une clause spécifique excluant la condition de la double incrimination pour la poursuite des infractions commises à l'étranger. La Suisse sera ainsi compétente pour poursuivre ces infractions commises à l'étranger selon le principe de l'universalité, pour autant que l'auteur se trouve en Suisse et qu'il ne soit pas extradé. La nouvelle disposition précise que le principe «ne bis in idem» et celui de l'imputation trouvent application (art. 7, al. 4 et 5, CP).

472

Compétences juridictionnelles: La nouvelle infraction relèvera de la juridiction cantonale, conformément aux règles générales prévues par la Constitution en matière de poursuite pénale en Suisse (art. 123, al. 2, Cst.). Quelques-uns des participants à la procédure de consultation ont proposé de confier la compétence au Ministère public de la Confédération, en arguant notamment que c'est de cet organe que relèvent les crimes contre l'humanité. Comme énoncé plus haut, les disparitions forcées qualifiées de crime contre l'humanité seront à l'avenir aussi punissables par l'art. 264a CP. Or l'art. 185bis P-CP jette désormais les bases qui permettront à l'avenir de sanctionner également des cas isolés de disparition forcée ne s'inscrivant pas dans le cadre d'une attaque systématique. Le Conseil fédéral juge opportun de les confier à la compétence des cantons. De plus, dans l'hypothèse où des reproches étaient adressés à l'endroit d'autorités de notre pays, compte tenu de la répartition des compétences, l'option la plus simple est que le canton concerné procède luimême à l'enquête. S'il devait s'agir d'un malentendu, le canton concerné pourrait alors aisément tirer l'affaire au clair. Même lorsqu'il s'agit d'infractions commises à l'étranger, les cantons disposent de l'expérience requise pour les poursuivre. Il leur arrive d'ailleurs aujourd'hui déjà d'être compétent pour poursuivre des délits commis à l'étranger, comme, par exemple, le meurtre d'un Suisse à l'étranger. C'est la raison pour laquelle c'est l'option qui a été retenue pour la mise en oeuvre de la convention contre la torture, qui relève de la compétence des cantons.

Art. 260bis, al. 1, let. fbis, CP Par sa nature et sa gravité, la disparition forcée est semblable à une prise d'otage (art. 185 CP); il s'impose dès lors de l'insérer dans le catalogue des infractions pouvant faire l'objet d'actes préparatoires délictueux au sens de l'art. 260bis, al. 1, CP. On y retrouve d'ailleurs également l'infraction d'enlèvement ou de séquestration, dont la disparition forcée constitue une variante qualifiée.

De plus, les disparitions forcées sont des crimes planifiés par excellence et qui impliquent que les auteurs agissent en commun. L'incrimination des actes préparatoires délictueux permet de couvrir par exemple des mesures préparatoires pour l'enlèvement
ou la détention des personnes disparues (par ex. l'instauration de centres de détention secrets). Sont également visées les mesures organisationnelles prises pour pouvoir dissimuler le fait que la personne disparue a été privée de liberté.

Art. 269, al. 2, let. a, et art. 286, al. 2, let. a, CPP A l'instar de l'art. 185 CP (prise d'otage), il convient de citer l'art. 185bis P-CP dans la liste des infractions permettant d'ordonner une surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (art. 269, al. 2, CPP) ou une investigation secrète (art. 286, al. 2, CPP).

Art. 151d et art. 171, al. 1, let. ibis, CPM Il est prévu qu'une infraction identique à la nouvelle disposition du CP réprimant la disparition forcée soit également introduite dans le code pénal militaire (CPM), sous la forme de l'art. 151d. De plus, à l'instar du CP (art. 260bis, al. 1), le catalogue des infractions pouvant donner lieu à des actes préparatoires délictueux (art. 171b, al. 1, CPM) sera complété par une référence à la disposition réprimant la disparition

473

forcée, soit à l'art. 151d CPM. Sur ces différentes modifications, nous renvoyons donc aux explications fournies plus haut au sujet du CP.

Art. 70, al. 2, PPM Comme pour le code de procédure pénale, il convient de citer dans le CPM le nouvel art. 151d CPM dans la liste des infractions permettant d'ordonner une surveillance de la correspondance par poste et télécommunication (art. 70, al. 2, PPM). Une adaptation n'est par contre pas nécessaire en ce qui concerne l'investigation secrète, régie par l'art. 73a PPM, car cette dernière disposition renvoie à la liste de l'art. 70 PPM susmentionné.

3.5

Art. 1

Commentaire des dispositions de la loi d'application (loi fédérale relative à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées) Objet

Le projet de loi relative à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées règle la mise en oeuvre de la convention, ce qu'énonce explicitement l'art 1.

Art. 2

Définition

La description des personnes considérées comme disparues au sens de cette loi détermine son champ d'application. Cette description permet par ailleurs de distinguer la notion de disparition qui prévaut dans ce texte de sa signification en langage courant, tout en énonçant les quatre caractéristiques cumulatives qui fondent son essence: ­

Tout d'abord, la personne doit être privée de liberté, cette formulation couvrant toutes les formes de privation de liberté, en particulier celles qui relèvent de l'exécution de mesures, notamment pénales, de mesures de procédure pénale, de la protection de l'enfant ou de l'adulte ou encore de procédures administratives ou militaires. Au vu de l'objectif de protection de la convention, la notion doit se référer aux privations de liberté en milieu fermé.

­

La disposition précise ensuite que la privation de liberté doit résulter d'une action de l'Etat, autrement dit d'une autorité suisse.

­

Le troisième élément constitutif est le refus de délivrer la moindre indication quant au sort qui est réservé à la personne ou sur l'endroit où elle se trouve.

­

Enfin, la personne est soustraite à la protection de la loi.

Etant donné qu'il ne s'agit pas dans cet article d'une condition de la punissabilité, la description de l'art. 2 du projet de loi se différencie de l'infraction ancrée à l'art. 185bis P-CP à deux égards: d'une part, le champ d'application de la présente loi se limite aux privations de liberté imputables à une autorité suisse, de l'autre, la

474

disposition ne vise pas l'intention d'une autorité de soustraire un individu à la protection de la loi pendant une période prolongée.

Art. 3

Obligation de tenir des dossiers et de renseigner

L'art. 3 du projet de loi établit l'obligation de saisir dans les dossiers officiels les données citées à l'art. 17, par. 3, de la convention, qui énumère les données suivantes: ­

l'identité de la personne privée de liberté;

­

la date, l'heure et l'endroit où la personne a été privée de liberté et l'autorité qui a procédé à la privation de liberté;

­

l'autorité ayant décidé la privation de liberté et les motifs de la privation de liberté;

­

l'autorité contrôlant la privation de liberté;

­

le lieu de privation de liberté, la date et l'heure de l'admission dans le lieu de privation de liberté et l'autorité responsable du lieu de privation de liberté;

­

les éléments relatifs à l'état de santé de la personne privée de liberté;

­

en cas de décès pendant la privation de liberté, les circonstances et les causes du décès et la destination des restes de la personne décédée;

­

la date et l'heure de la libération ou du transfert vers un autre lieu de détention, la destination et l'autorité chargée du transfert.

L'enregistrement de ces données est une condition indispensable au respect des droits à l'information des proches. Le renvoi à l'art. 17, par. 3, de la convention a pour vocation de favoriser la transparence, afin que les autorités fédérales et cantonales concernées puissent prendre les mesures préventives nécessaires. La notion de «privation de liberté» est à interpréter au sens exposé dans les considérations relatives à l'art. 2 du projet de loi. Parallèlement, l'art. 3 du projet de loi dispose que ces autorités sont tenues de communiquer ces données au service de coordination compétent si la demande est formulée.

Art. 4

Réseau

L'art. 4 du projet de loi règle la mise en place du réseau et énonce l'obligation, pour la Confédération et les cantons, de nommer chacun un service chargé de la coordination. Sur le plan fédéral, il semble judicieux, pour exploiter les synergies, de confier cette tâche au Service de recherche des personnes disparues, au sein de l'Office fédéral de la police. Comme mentionné plus haut, ce service traite aujourd'hui déjà les demandes relatives aux personnes disparues; il dispose à ce titre d'une expérience dans la recherche de personnes et a tissé un solide réseau avec les autres services de recherche. Le service fédéral de coordination n'est toutefois pas cité dans la loi ­ mais désigné par le Conseil fédéral ­ afin de préserver une certaine flexibilité sur le plan organisationnel. Le texte n'entre pas non plus dans le détail en ce qui concerne les services cantonaux de coordination; il appartient en effet aux cantons d'arrêter leur organisation concrète ainsi que leur structure administrative. S'agissant du réseau, il faut veiller à ce que le service cantonal de coordination soit en mesure de fournir rapidement à son homologue fédéral les informations exigées à l'art. 5, al. 4, du projet de loi.

475

La loi délègue à l'al. 3 au Conseil fédéral la compétence de régler les autres détails ayant trait au fonctionnement du réseau, c'est-à-dire en particulier les modalités de collaboration avec les cantons, les délais et les moyens de communication. C'est d'ailleurs à partir de ces éléments que se dégagera le détail des obligations des services cantonaux de coordination. Compte tenu de la rapidité nécessaire pour entreprendre les recherches d'une personne disparue, le Conseil fédéral fixera les délais de traitement les plus brefs possibles. La loi précise enfin que les cantons doivent être impliqués dans ce processus, ce qui satisfait une exigence formulée à maintes reprises au cours de la procédure de consultation.

Art. 5

Demande d'information

L'art. 5 du projet de loi constitue la base légale sur laquelle repose le dépôt d'une demande d'information. Aux termes de l'al. 1, pour qu'un individu soit recherché à travers le réseau, la demande doit émaner d'un de ses proches, qui est sans nouvelles de lui et qui craint une disparition forcée. On retiendra l'interprétation large du proche qu'en donne la convention: entrent dans cette catégorie, outre les membres de la famille, d'autres personnes ayant un intérêt légitime à obtenir les informations recherchées du fait du rapport étroit qui les lie à la personne disparue, soit, par exemple, un représentant légal. La demande peut également émaner de proches résidant à l'étranger. La demande doit par ailleurs être motivée, de façon à ce que le service fédéral de coordination puisse exclure les demandes abusives. Les détails sont réglés à l'al. 2.

Art. 6

Recherche au sein du réseau

L'al. 1 précise que la demande peut être lancée au sein du réseau dès lors que des indices laissent présumer que la personne recherchée est privée de liberté. Le service fédéral de coordination indique à cette fin à ses homologues cantonaux le nom, la date de naissance et la nationalité de l'individu recherché. Si les circonstances entourant la demande l'exigent il prend également contact avec les services fédéraux compétents en matière d'exécution de privations de liberté.

L'al. 2 prévoit que les services cantonaux de coordination, ou, le cas échéant, les services fédéraux compétents, indiquent sans délai au service fédéral de coordination s'ils détiennent la personne recherchée ou non. Dans l'affirmative, ils lui indiquent également le lieu de détention, l'autorité qui a ordonné la privation de liberté ainsi que l'état de santé de la personne (al. 3). Cette obligation étendue répond à une préoccupation soulevée par de nombreux participants à la procédure de consultation.

Comme énoncé précédemment, c'est au Conseil fédéral que revient la compétence de fixer les délais, avec le concours des cantons. Au vu des objectifs de protection de la convention, la recherche doit se limiter aux institutions dans lesquelles la privation de liberté s'effectue en milieu fermé.

L'al. 4 précise encore que le service fédéral de coordination décide immédiatement de l'opportunité de lancer une recherche et en informe l'auteur de la demande, ceci afin de tenir compte de l'intérêt des proches à ne pas prolonger l'incertitude.

L'auteur peut en outre exiger du service fédéral de coordination qu'il notifie par une décision formelle son refus d'engager une recherche. Cela permet de couvrir l'hypothèse de l'inaction du service et, partant, de son absence de décision. Notons encore que ladite décision doit être motivée et qu'elle est sujette à recours conformément aux dispositions de la procédure fédérale.

476

Art. 7

Transmission d'informations

L'art. 7 du projet de loi constitue l'essence même du dispositif destiné à mettre en oeuvre les droits à l'information des familles et des proches. Cette disposition se réfère à cet égard aux appréciations du droit en vigueur qui respectent les droits de la personnalité des individus privés de liberté et protègent notamment leur droit de s'opposer à la transmission d'informations à leur sujet.

Aussi le projet de loi prévoit-il que le service fédéral de coordination informe la personne recherchée de la recherche et s'assure qu'elle autorise la communication de ces informations à l'auteur de la demande. Si tel est le cas, ce dernier reçoit les renseignements. Si, en revanche, elle n'a pas donné son consentement ou que des motifs au sens de l'art. 214, al. 2, CPP le justifient (cf. plus bas), la loi crée la base légale permettant d'informer l'auteur de la demande que la personne recherchée n'est pas disparue au sens où l'entend la convention.

Cette mesure va plus loin que la réglementation en vigueur, dans la mesure où il est alors possible de déduire que la personne recherchée fait éventuellement l'objet d'une privation de liberté. Néanmoins, la mise en oeuvre de la convention nécessite au minimum une telle mesure afin de ne pas laisser dans l'incertitude les personnes soupçonnant qu'un de leurs proches a disparu.

Au cours de la procédure de consultation, cette mesure a été diversement accueillie: si certains participants l'ont jugée délicate du point de vue de la protection de la personnalité et ont exigé qu'à moins que la demande n'aboutisse, le service de coordination formule systématiquement la même réponse ­ à savoir que la personne recherchée n'est pas disparue au sens de la convention et qu'aucune autre information ne peut être transmise ­, d'autres se sont félicités que le droit de la personne détenue à refuser son consentement soit réservé et ont jugé suffisante la base légale soumise.

Le Conseil fédéral estime que la réglementation proposée à l'art. 7 du projet de loi est adéquate. En effet, elle permet d'une part de prendre en considération, grâce à la réponse nuancée, le droit des proches à recevoir des informations sur le sort réservé à la personne recherchée, comme l'exige la convention, tout en tenant compte, autant que faire se peut, de la protection de la personnalité. D'autre
part, la loi d'application crée une base légale sur laquelle fonder la transmission d'informations, qui respecte les impératifs constitutionnels. Enfin, lorsque planent des soupçons de disparition forcée qui ne peuvent être écartés en raison du refus de la personne recherchée à donner son consentement, il est également dans l'intérêt de l'Etat de donner une certaine assurance aux proches afin de prévenir des procédures supplémentaires.

L'art. 7, al. 3, du projet de loi prévoit également, en conformité avec l'art. 20, par. 1, de la convention, que la transmission d'informations puisse être refusée lorsque le but de l'instruction pénale l'interdit. Cette hypothèse est celle prévue à l'art. 214, al. 2, CPP. Elle constitue une exception au principe selon lequel les proches doivent être informés immédiatement d'une arrestation. La décision appartient à l'autorité cantonale de poursuite pénale qui est compétente et lie le service fédéral de coordination.

L'art. 7, al. 3, précise enfin que le service de coordination informe les auteurs des demandes par voie de décision.

477

Art. 8

Protection juridique

En vertu de l'art. 8 du projet de loi, la protection juridique est régie par les dispositions générales de la procédure fédérale, aux termes desquelles les décisions du service fédéral de coordination peuvent faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif fédéral. Les exigences de la convention ­ garantir le droit à un recours effectif ­ sont dès lors satisfaites.

La procédure devant le Tribunal administratif fédéral est régie par la loi du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA)50, (cf. art. 37 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral51). En principe, les parties ont le droit de consulter le dossier; cependant, l'art. 27 PA, qui permet à l'autorité de refuser la consultation de pièces si des intérêts privés importants exigent que le secret soit gardé, s'applique dans certaines constellations pour empêcher que le proche auquel l'information sur la personne privée de liberté a été refusée ne prenne connaissance grâce à son droit de consulter le dossier du lieu où se trouve cette personne52.

Les décisions du Tribunal administratif peuvent faire l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral (cf. art. 86, al. 1, de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral, LTF53). Dans ce cas également, la loi autorise le Tribunal à prendre connaissance d'un moyen de preuve hors de la présence des parties si la sauvegarde d'intérêts publics ou privés prépondérants l'exige (art. 56, al. 2, LTF).

Art. 9

Système d'information du service fédéral de coordination

L'art. 9 du projet de loi énonce les conditions auxquelles le service fédéral de coordination peut traiter les données personnelles: il doit exister un lien avec la personne privée de liberté et cette opération doit être indispensable à la mission dudit service.

L'al. 2 renvoie à l'art. 18 de la convention, qui dresse déjà une liste de ces données.

L'art. 9 du projet de loi fournit en outre la base légale permettant de constituer un fichier au sens de l'art. 3, let. g, LPD. Sur la base de ce fichier, le service de coordination de la Confédération communique les demandes de recherche aux services cantonaux de coordination et, au besoin, aux services fédéraux compétents en matière d'exécution de privations de liberté. Ces derniers se limitent quant à eux à informer le service fédéral de coordination s'ils ont trouvé la personne recherchée et à fournir les données visées à l'art. 6, al. 2, du projet de loi. Si elle a pu être localisée, les autres services de coordination cantonaux reçoivent l'information selon laquelle la recherche est terminée. La communication de données personnelles est donc réduite au minimum.

Enfin, le Conseil fédéral est autorisé à régler d'autres modalités, en particulier définir le catalogue des données qui sont nécessaires, en sus de celles prévues à l'art. 18 de la convention, pour trouver une personne qui aurait fait l'objet d'une disparition forcée. Il est également chargé de fixer le délai de conservation des données et les mesures de sécurité à prendre pour éviter, en particulier, l'accès non autorisé aux données.

50 51 52 53

478

RS 172.021 RS 173.32 Cf. ATF 125 I 257.

RS 173.110

4

Déclaration relative aux compétences du comité

La Suisse doit décider si elle souhaite, parallèlement à la ratification de la convention, faire une déclaration selon laquelle elle reconnaît au comité les compétences prévues aux art. 31 et 32. A ce jour, 16 pays l'ont fait pour la procédure des communications individuelles et 17 pays pour les requêtes étatiques54. Outre quelques pays d'Amérique latine et le Mali, il s'agit notamment de l'Allemagne, de la France, de l'Autriche, de l'Espagne, de la Belgique et des Pays-Bas. L'entrée en vigueur de la convention étant récente, le comité n'a clos aucune procédure à ce jour.

Le Conseil fédéral estime qu'on ne saurait promouvoir le respect des droits de l'homme sans instituer des instruments de contrôle efficaces. Aussi la Suisse a-t-elle reconnu au cours des dernières décennies les procédures de communication individuelles de trois conventions fondamentales de l'ONU, à savoir celles du comité contre la torture (CAT), du comité pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) et du comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes (CEDAW). Elle est en revanche plus réservée à l'égard d'instruments qui concernent les droits économiques, sociaux et culturels, jugeant que ceux-ci ont principalement valeur de programme et ne fondent pas de droits justiciables.

La procédure facultative devant le Comité des disparitions forcées (CED) ne porte pas sur la justiciabilité de droits sociaux motivant une telle réserve. Cette procédure est davantage comparable au mécanisme du CAT, que la Suisse a déjà ratifié; elle ne saurait d'ailleurs faire double emploi avec d'autres procédures internationales d'enquête et de règlement de même nature, à l'instar du CAT. En effet, aux termes de l'art. 31, par. 2, let. c, de la convention, le comité déclare irrecevable toute communication si elle est en cours d'examen devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement de même nature (interdiction de cumul). Même si la pertinence et l'impact de la procédure en question peuvent paraître relativement limités au regard de son application en Suisse, sa reconnaissance par le plus grand nombre d'Etats parties, y compris la Suisse, contribue à l'amélioration de la protection des droits de l'homme dans le monde. En reconnaissant la procédure de dépôt de communications entre Etats, la Suisse
disposerait en outre, à l'échelle internationale, d'un fondement juridique lui permettant d'intervenir concrètement lorsque d'autres Etats parties portent atteinte aux dispositions de la convention. Un seul participant à la procédure de consultation s'est prononcé explicitement contre cette reconnaissance.

Le Conseil fédéral propose dès lors que la Suisse, lors de la ratification de la convention, déclare reconnaître la compétence du comité concernant la procédure facultative des communications individuelles et la procédure facultative de communication entre Etats. Comme pour d'autres instances relevant du domaine de la protection des droits de l'homme, la représentation de la Suisse devant le comité est confiée à l'Office fédéral de la justice55.

54 55

Etat en octobre 2013 Cf. art. 7, al. 9, de l'ordonnance du 17 novembre 1999 sur l'organisation du Département fédéral de justice et police (RS 172.213.1)

479

5

Conséquences de la convention et des actes d'application

La convention n'entraîne de conséquences financières directes ni pour la Confédération, ni pour les cantons. Les coûts relatifs au Comité des disparitions forcées sont pris en charge dans le cadre du budget général des Nations Unies.

La présente stratégie de mise en oeuvre de la convention renonçant à l'institution d'un registre central, il n'y a pas de frais d'infrastructure notables. En revanche, la création du réseau entraînera une certaine charge administrative supplémentaire. Au niveau de la Confédération, le Service de recherche des personnes disparues, organe de l'Office fédéral de la police, devrait être en mesure de s'acquitter des tâches qui lui ont été confiées dans ce contexte ­ coordonner la mise en place et l'exploitation du réseau, de même que traiter les demandes elles-mêmes ­ avec un besoin de personnel additionnel marginal, vraisemblablement l'équivalent d'un poste à 50 %.

Au niveau des cantons, certains mesures administratives devront être prises afin d'instaurer les services cantonaux de coordination. Cela dit, compte tenu du nombre limité de demandes attendues, les cantons ne devraient pas avoir à supporter une hausse significative de leurs charges. Par ailleurs, quelques-uns des cantons devront procéder à des ajustements pour s'assurer que les données visées à l'art. 17, par. 3, soient systématiquement saisies. La Confédération et les cantons auront à déterminer sous quelle forme ils entendent garantir la confidentialité lors de l'échange de données personnelles liées aux personnes détenues. La loi d'application prévoit en ce cas que la Confédération règle les détails avec les cantons.

6

Relation avec le programme de législature et avec les stratégies nationales du Conseil fédéral

Le projet était déjà annoncé dans le message du 23 janvier 2008 sur le programme de la législature 2007 à 201156 de même que dans l'arrêté fédéral du 18 septembre 2008 sur le programme de la législature 2007 à 201157. Cependant, la procédure de consultation n'a pu être organisée qu'entre le 21 décembre 2012 et le 8 avril 2013.

Aussi le projet est-il à nouveau annoncé dans le message du 25 janvier 2012 sur le programme de la législature 2011 à 201558 ainsi que dans l'arrêté fédéral du 15 juin 2012 sur le programme de la législature 2011 à 201559.

7

Aspects juridiques

7.1

Constitutionnalité

Le projet repose sur l'art. 54, al. 1, Cst., aux termes duquel les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération. L'art. 184, al. 2, Cst. habilite pour sa part le Conseil fédéral à signer et à ratifier les traités internationaux. En vertu de l'art. 166, al. 2, Cst., l'Assemblée fédérale est quant à elle chargée d'approuver les 56 57 58 59

480

FF 2008 639, ici 694 et 714 FF 2008 7745, ici 7751 FF 2012 349, ici 366, 423 et 481 FF 2012 6667, ici 6671

traités internationaux, à l'exception de ceux dont la conclusion relève de la seule compétence du Conseil fédéral en vertu d'une loi ou d'un traité international (art. 24, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement60; art. 7a, al. 1, de la loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration61). Un traité de droit international public conclu par la Confédération est contraignant pour cette dernière, si bien qu'elle doit répondre, sur le plan du droit international, des éventuelles violations des dispositions conventionnelles. Au niveau interne, le caractère contraignant des traités internationaux s'applique de la même manière à la Confédération et aux cantons.

La conclusion d'un traité international n'a pas d'incidence directe sur la répartition des compétences internes: pour l'exécution des dispositions conventionnelles, la Confédération et les cantons restent compétents en fonction de leurs domaines de compétences, définis par la Constitution fédérale. La Confédération a néanmoins pour obligation, en vertu de l'art. 49, al. 2, Cst., de veiller à ce que les cantons respectent et mettent en oeuvre le droit fédéral.

En ratifiant la convention, la Suisse s'engage à sanctionner pénalement la disparition forcée et à prendre des mesures de prévention idoines. La répartition des compétences entre le gouvernement fédéral et les cantons restent inchangée. La Confédération est habilitée à édicter les dispositions légales nécessaires: en vertu de l'art. 123, al. 1, Cst., la Confédération est compétente pour la législation en matière de droit pénal, en vertu de l'art. 122, al. 1, Cst., pour la législation en matière de droit civil et en vertu de l'art. 121, al. 1, Cst., pour la législation sur les étrangers.

7.2

Forme de l'acte

La convention n'est pas dénonçable, de plus, sa mise en oeuvre nécessite l'adoption d'une loi. L'arrêté d'approbation de la convention est donc sujet au référendum en matière de traités internationaux en vertu de l'art. 141, al. 1, let. d, ch. 1, Cst.

Aux termes de l'art. 141a Cst., les modifications constitutionnelles ou législatives liées à la mise en oeuvre d'un traité international respectivement soumis ou sujet au référendum peuvent être intégrées à l'arrêté portant approbation dudit traité. Les normes légales proposées dans le projet sont liées à la mise en oeuvre de la convention et résultent directement des exigences que celle-ci prévoit. Le projet de loi peut donc être intégré à l'arrêté d'approbation.

60 61

RS 171.10 RS 172.010

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482