14.039 Message relatif à la loi sur les valeurs patrimoniales d'origine illicite du 21 mai 2014

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons le projet de loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées à l'étranger, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous proposons simultanément de classer l'intervention parlementaire suivante: 2011 M 11.3151

Bloquer les avoirs de potentats renversés (N 16.3.11, Leutenegger Oberholzer; E 22.12.11)

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

21 mai 2014

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Didier Burkhalter La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2014-0136

5121

Condensé La problématique des valeurs patrimoniales d'origine illicite de «personnes politiquement exposées» (PPE) fait l'objet d'une attention croissante dans le monde, notamment depuis les événements du Printemps arabe. En tant que place financière importante, la Suisse a réagi à cette situation et développé, depuis les années 1980, une politique proactive de restitution de ces valeurs. Le projet de loi ci-joint poursuit des objectifs de politique étrangère, en particulier la préservation de la réputation de notre place financière et la lutte contre l'impunité. Cela garantira notamment la cohérence avec notre politique d'aide au développement.

Contexte La Suisse a été confrontée à la problématique des valeurs patrimoniales illicites de potentats dès la fin des années 1980. Notre pays a accumulé une grande expérience dans ce domaine durant les 25 dernières années et a pu restituer près de 1,8 milliard de francs aux Etats concernés. Le système développé par la Suisse repose sur deux piliers: celui de la prévention et celui de la répression. Ce système permet de restituer de manière aussi rapide et transparente que possible aux Etats d'origine les valeurs patrimoniales d'origine criminelle déposées en Suisse. Une telle issue est dans l'intérêt de notre pays et de la réputation de sa place financière. La politique suivie par la Suisse fait l'objet d'un large soutien au plan interne. Elle est en outre saluée sur le plan international, où elle est appelée à inspirer le développement de nouveaux standards.

Suite aux événements du Printemps arabe survenus au début 2011, le Conseil fédéral a immédiatement réagi en bloquant les avoirs tunisiens et égyptiens déposés en Suisse. Des blocages similaires ont également été annoncés par d'autres pays, en particulier au sein de l'UE. Faute de base légale formelle en la matière, le Conseil fédéral a dû réagir dans l'urgence en vertu des prérogatives que lui confère la Constitution pour sauvegarder les intérêts du pays (art. 184, al. 3, Cst.). Dans le contexte de la crise ukrainienne, le Conseil fédéral a à nouveau dû recourir à cette disposition en février 2014 pour prononcer un blocage d'avoirs. Cette façon de faire n'est pas satisfaisante sous l'angle des principes de l'Etat de droit et ne garantit pas suffisamment la légitimité démocratique de ces mesures. L'adoption
d'une nouvelle loi permettra de renforcer la sécurité juridique, la prévisibilité et la transparence.

En adoptant la motion Leutenegger Oberholzer (11.3151), l'Assemblée fédérale a donné mandat au Conseil fédéral de préparer une base légale formelle pour le blocage de fonds de potentats. Par ailleurs, la prorogation des blocages des avoirs tunisiens et égyptiens implique que le Conseil fédéral présente un projet de loi fédérale à l'Assemblée fédérale d'ici le 19 juillet, respectivement le 9 août 2014 en vertu de la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration. A défaut, le blocage de ces avoirs perdra automatiquement sa validité.

La loi sert à défendre et à promouvoir les intérêts et les valeurs de la Suisse dans le monde. Elle poursuit des objectifs de politique étrangère et ne constitue pas un projet portant sur la régulation de la place financière suisse. Elle n'est pas liée aux

5122

réformes en cours dans le domaine de la fiscalité internationale ou de l'échange d'informations à des fins d'entraide internationale administrative. Elle n'est pas exigée en raison de standards internationaux contraignants, même si cela pourrait évoluer à l'avenir.

La loi est destinée à s'appliquer à des situations exceptionnelles. Les cas justifiant d'y recourir concernent de brusques renversements de régimes dont les dirigeants se sont enrichis indûment. Seuls de tels cas de figure justifient le recours à un blocage préventif, car ils permettent d'entrevoir une issue positive à d'éventuelles demandes d'entraide judiciaire. Cela n'est pas le cas lorsque des régimes autocratiques et corrompus sont encore au pouvoir, l'entraide ne produisant alors aucun résultat faute de volonté réelle de la part de ces régimes.

Contenu du projet Le projet de loi consiste à reprendre, dans une seule loi, le droit actuel et la pratique en matière de recouvrement des avoirs d'origine illicite. Il couvre les trois principales mesures concernées, à savoir le blocage, la confiscation et la restitution.

Il prévoit également un soutien ciblé à l'Etat d'origine en vue d'une clarification judiciaire rapide de la provenance des valeurs patrimoniales. Ces mesures sont mises en oeuvre dans le cadre d'une procédure relevant du droit administratif, dont le contrôle judiciaire est assuré par le Tribunal administratif fédéral et, en dernier ressort, le Tribunal fédéral. Les droits des PPE et de leurs proches sont ainsi garantis devant les tribunaux suisses.

La voie choisie est complémentaire à l'entraide judiciaire. Ce n'est en effet qu'en cas d'échec de la procédure d'entraide que les procédures de confiscation et de restitution prévues par le projet ci-joint peuvent être actionnées. Par ailleurs, la loi proposée n'implique pas la condamnation pénale préalable de la PPE ou de ses proches puisque seule l'origine illicite des valeurs patrimoniales concernées est requise. Pour rendre le système plus efficace en pratique, l'origine illicite des valeurs est présumée à certaines conditions.

Outre la reprise du droit existant et de la pratique, le projet ci-joint intègre deux nouveautés législatives. La première permet d'étendre les possibilités de blocage en vue de confiscation aux situations où l'Etat d'origine n'est pas en mesure
de satisfaire à certains standards en matière de droits de l'homme requis par la loi sur l'entraide pénale internationale. La seconde nouveauté permet aux autorités suisses de transmettre à l'Etat d'origine certaines informations destinées à l'aider à déposer des demandes d'entraide correctes d'un point de vue formel et suffisamment étayées.

Le contenu matériel de la loi du 1er octobre 2010 sur la restitution des avoirs illicites (LRAI) est largement repris par le projet de loi. L'entrée en vigueur de celui-ci entraînera l'abrogation de la LRAI, ce qui évitera une fragmentation du droit en vigueur.

5123

Table des matières Condensé

5122

1

5126 5126

2

Présentation du projet 1.1 Contexte 1.1.1 Développement de la problématique et importance croissante pour la Suisse 1.1.2 Développements récents: le Printemps arabe et la crise ukrainienne 1.1.3 Dispositif suisse actuellement en vigueur 1.1.4 Limites des possibilités d'action du Conseil fédéral sur la base de l'art. 184, al. 3, Cst.

1.2 Dispositif proposé 1.3 Développement de la solution retenue 1.4 Comparaison avec le droit étranger, notamment européen 1.5 Mise en oeuvre 1.6 Classement d'interventions parlementaires

5126 5128 5131 5133 5134 5136 5139 5144 5144

Commentaire des dispositions 2.1 Structure et contenu du projet 2.2 Coordination avec d'autres projets législatifs 2.3 Commentaire détaillé des dispositions de la loi 2.3.1 Section 1 Dispositions générales 2.3.2 Section 2 Blocage de valeurs patrimoniales 2.3.3 Section 3 Mesures de soutien 2.3.4 Section 4 Confiscation de valeurs patrimoniales 2.3.5 Section 5 Restitution de valeurs patrimoniales 2.3.6 Section 6 Protection juridique 2.3.7 Section 7 Entraide entre autorités suisses, traitement des données et rapport 2.3.8 Section 8 Dispositions pénales 2.3.9 Section 9 Dispositions finales

5145 5145 5146 5146 5146 5151 5171 5177 5184 5188

3

Conséquences 3.1 Conséquences pour la Confédération 3.2 Conséquences pour les cantons 3.3 Conséquences pour l'économie

5198 5198 5199 5199

4

Relations avec le programme de législature et les stratégies nationales du Conseil fédéral 4.1 Relations avec le programme de législature 4.2 Relations avec les stratégies nationales du Conseil fédéral

5200 5200 5200

Aspects juridiques 5.1 Constitutionnalité et légalité 5.2 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 5.3 Forme de l'acte à adopter

5201 5201 5203 5206

5

5124

5191 5193 5196

5.4 5.5 5.6

Frein aux dépenses Délégation de compétences législatives Conformité à la législation sur la protection des données

Loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées à l'étranger (Loi sur les valeurs patrimoniales d'origine illicite, LVP) (Projet)

5206 5206 5206

5207

5125

Message 1

Présentation du projet

1.1

Contexte

1.1.1

Développement de la problématique et importance croissante pour la Suisse

La question des avoirs de potentats acquiert depuis une vingtaine d'années une notoriété internationale croissante. Le terme de «potentat» mérite quelques commentaires à titre introductif. Dans le langage courant, il désigne un dirigeant qui exerce un pouvoir absolu ou, en tout cas, excessif. Ce terme est donc connoté négativement et parfois associé à l'idée de pillage des ressources de l'Etat par le dirigeant concerné. Il ne s'agit pas d'un terme juridique qui ferait l'objet d'une définition légale et le droit suisse ne l'utilise pas. Dans le contexte de la problématique du recouvrement d'avoirs illicites, sont visés par le terme de «potentat» les dirigeants étrangers qui abusent de leur pouvoir pour s'approprier des valeurs patrimoniales par des actes de corruption ou d'autres crimes et les détourner ensuite vers des places financières étrangères. Les valeurs en question sont en majeure partie des fonds publics qui devraient servir à améliorer les conditions de vie de la population dans l'Etat d'origine. C'est dans ce sens qu'il faut entendre le terme «potentats» lorsqu'il est utilisé dans le présent message. Il ne serait cependant pas justifié, pour les raisons qui viennent d'être mentionnées, d'ancrer le terme de «potentat» dans le projet de loi ci-joint et de lui donner une définition légale. Il se justifie bien plutôt de recourir, dans la loi, au seul terme qui soit utilisé généralement et qui fasse l'objet d'une définition internationalement reconnue, à savoir celui de «personne politiquement exposée» (PPE), tout en précisant qu'il ne s'agit que des personnes politiquement exposées à l'étranger. Il est vrai que les deux termes ne sont pas synonymes car une PPE n'est pas nécessairement un «potentat». En revanche, il découle du champ d'application du projet de loi ci-joint que toutes les personnes communément considérées comme des potentats sont des PPE. Le projet de loi ci-joint n'est pas destiné à s'appliquer indistinctement à toutes les PPE: les différentes mesures qu'il prévoit ne pourront en effet être actionnées que lorsque le Conseil fédéral aura ordonné un blocage préventif d'avoirs en vertu de l'art. 3 à l'égard d'un pays donné, tout en ayant spécifiquement et nommément désigné les PPE visées en vertu de l'art. 5.

C'est dans ce sens que le présent message fait un usage occasionnel
du terme «potentat», étant entendu que la seule définition légale de référence reste celle de PPE.

D'après certaines estimations de la Banque mondiale et tout en gardant à l'esprit la difficulté d'établir des chiffres précis, les fonds détournés dans les pays en développement et en transition par la corruption de fonctionnaires atteindraient chaque année entre 20 et 40 milliards de dollars américains, somme correspondant à 20 à 40 % de l'aide allouée à travers le monde au titre de la coopération au développement1.

1

Voir le rapport intitulé «Stolen Asset Recovery (StAR)» Initiative: Challenges, Opportunities, and Action Plan, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime / Banque mondiale, juin 2007, p. 1 (www.unodc.org/pdf/Star_Report.pdf).

5126

C'est en 1986, lors de la chute du dictateur philippin Ferdinand Marcos, que la Suisse a été confrontée pour la première fois au problème des avoirs de potentats. A l'époque, le Conseil fédéral avait réagi en quelques heures, sur la base des prérogatives que lui confère la Constitution (Cst.)2 en matière de politique étrangère, en ordonnant de geler à titre conservatoire tous les avoirs du régime Marcos confiés à des intermédiaires financiers suisses. Suite à la procédure pénale engagée, environ 685 millions de dollars américains de fonds gelés ont été restitués aux Philippines.

La restitution de fonds publics étrangers d'origine illicite porte aussi le nom d'«Asset Recovery». Cette expression est fréquemment utilisée dans une acceptation large qui englobe l'identification et la remise de valeurs patrimoniales dans le cadre d'enquêtes pénales et de procédures d'entraide internationale en matière pénale.

Dans le contexte du présent message, l'expression «Asset Recovery» ne vise qu'un type particulier d'investigations internationales menant au blocage, à la confiscation et éventuellement à la restitution de valeurs patrimoniales, soit celui des cas impliquant des avoirs d'origine illicite de potentats ayant été renversés.

La problématique des avoirs de potentats et de leur restitution aux Etats d'origine revêt une grande importance pour la politique étrangère de la Suisse, et ce pour plusieurs raisons. En tant qu'Etat donateur engagé dans la coopération internationale au développement, la Suisse tient à ce que l'attribution de l'aide financière respecte les principes de la transparence et de la bonne gouvernance et que tout soit mis en oeuvre pour garantir, dans la mesure du possible, l'absence d'abus. Par ailleurs, la politique étrangère suisse s'engage depuis des années en faveur du renforcement de l'état de droit et soutient la lutte contre la corruption et l'impunité. Enfin, la réputation et l'intégrité sont plus que jamais des facteurs clés dans la concurrence mondiale que se livrent les places financières. Notre pays n'a aucun intérêt à voir sa place financière utilisée abusivement pour dissimuler des fonds qui auraient dû profiter à la population de l'Etat d'origine.

Le Conseil fédéral a rappelé, à plusieurs reprises, que la Suisse doit, dans l'intérêt de sa réputation, être en mesure de
restituer aux Etats d'origine de manière aussi rapide et transparente que possible les valeurs patrimoniales d'origine illicite déposées en Suisse. Dans ses efforts pour défendre la réputation du pays et l'intégrité de sa place financière, la Suisse mise sur un dispositif reposant sur deux piliers, qui s'applique également au domaine de l'Asset Recovery: la prévention et la répression. La loi du 10 octobre 1997 sur le blanchiment d'argent (LBA)3 constitue l'un des instruments les plus importants de la prévention du blanchiment d'argent. Le Conseil fédéral a d'ailleurs transmis à l'Assemblée fédérale le 13 décembre 2013 le message concernant la mise en oeuvre des recommandations du Groupe d'action financière (GAFI), révisées en 20124. Le projet de loi contient entre autres des modifications de la LBA pour y inclure les PPE nationales et d'organisations internationales ainsi que des précisions sur les devoirs de diligence des intermédiaires financiers concernant l'identification de l'ayant droit économique d'une relation d'affaire. Le second pilier, soit celui de la répression, s'appuie sur le code pénal (CP)5 et sur la loi du 20 mars 1981 sur l'entraide pénale internationale (EIMP)6, laquelle permetla collaboration avec d'autres Etats en vue de la saisie et de la restitution de valeurs patri2 3 4 5 6

RS 101 RS 955.0 FF 2014 585 RS 311.0 RS 351.1

5127

moniales qui ont été obtenues par des actes punissables. Finalement, le dispositif est complété par la loi du 1er octobre 2010 sur la restitution des avoirs illicites (LRAI)7, qui permet la restitution d'avoirs de PPE lorsque l'Etat concerné est défaillant et que, pour cette raison, l'entraide pénale ne peut pas aboutir.

Globalement, le système des deux piliers ­ prévention et répression ­ s'est avéré efficace. Au cours des quinze dernières années, la Suisse a pu restituer environ 1,8 milliard de francs. La Banque mondiale évalue entre 4 et 5 milliards de dollars américains le montant des fonds restitués à l'échelle mondiale pendant cette période.

A noter que d'après les estimations, la Suisse se classe septième au classement des places financières internationales de grande envergure.

Les avoirs indûment acquis doivent être restitués en toute transparence et investis dans des programmes et projets qui profitent à la population. Outre l'importance que ce processus revêt pour le développement économique de l'Etat d'origine, il en va aussi de la contribution à la justice et au respect des principes de l'Etat de droit qu'il représente. Les PPE qui ont abusé de leur pouvoir doivent assumer la responsabilité de leurs actes. Ceci correspond à l'engagement général de la Suisse en matière de lutte contre l'impunité. Une situation dans laquelle la clarification juridique de l'origine des valeurs patrimoniales bloquées est paralysée pendant des années en raison des conditions régnant dans l'Etat d'origine, empêchant par là la restitution des fonds, n'est pas dans l'intérêt de la Suisse. De plus, les affaires d'avoirs de potentats sont souvent relayées des années durant dans la presse internationale. Les cas d'avoirs de potentats représentent ainsi un problème pour la Suisse.

1.1.2

Développements récents: le Printemps arabe et la crise ukrainienne

La problématique du blocage et de la restitution des avoirs de potentats a pris une importance significative avec les événements du Printemps arabe. Les pays affectés par un changement de régime, en particulier la Tunisie et l'Egypte, soupçonnent les présidents déchus Ben Ali et Moubarak d'avoir détourné à grande échelle des fonds publics et d'autres valeurs patrimoniales. Le Conseil fédéral a immédiatement réagi, début 2011, aux transitions politiques engagées en Afrique du Nord et a spontanément bloqué les fonds déposés en Suisse par les présidents déchus Ben Ali et Moubarak, en vertu des prérogatives que lui confère l'art. 184, al. 3, Cst. Cette disposition prévoit que le Conseil fédéral peut adopter les ordonnances et prendre les décisions nécessaires lorsque la sauvegarde des intérêts du pays l'exige. Une autre ordonnance de blocage adoptée par le Conseil fédéral en février 2011 visait les avoirs du dictateur libyen destitué Kadhafi. Elle fut remplacée peu après par la reprise des sanctions prononcées par l'ONU. En ordonnant le blocage immédiat des fonds, le Conseil fédéral a souligné l'engagement de la Suisse en faveur de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption et l'impunité. Le blocage était destiné en premier lieu à permettre d'engager les procédures en matière d'entraide judiciaire avec les pays concernés. D'autres pays, à commencer par les Etats membres de l'UE, lui ont emboîté le pas quelques jours plus tard.

Les premières demandes d'entraide judiciaire en provenance de Tunisie et d'Egypte ont été déposées auprès des autorités suisses très peu de temps après que le blocage 7

RS 196.1

5128

des fonds a été ordonné. Certaines de ces demandes ont pu être exécutées. En parallèle, le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert ses propres enquêtes en Suisse. Il enquête dans le cas de la Tunisie comme dans celui de l'Egypte, notamment sur des soupçons de blanchiment d'argent. Dans le cadre de ces procédures, le MPC a également demandé l'entraide judiciaire des pays concernés et l'a, en partie, déjà obtenue.

A ce jour, les sommes bloquées en Suisse représentent quelque 60 millions de francs dans le cas de la Tunisie et quelque 700 millions de dollars américains dans le cas de l'Egypte. Ces chiffres correspondent aux sommes bloquées sur la base des ordonnances édictées par le Conseil fédéral, des procédures pénales engagées en Suisse et des procédures d'entraide judiciaire. En ce qui concerne la Libye, quelque 100 millions de francs sont bloqués dans le cadre de la reprise des sanctions de l'ONU par la Suisse. Les montants des valeurs patrimoniales concernées par ces blocages sont cependant susceptibles de varier en fonction de l'évolution des procédures pénales en cours en Suisse et dans ces pays, de sorte qu'ils valent avant tout comme ordres de grandeur.

Les expériences faites par la Suisse montrent que la mise en place de relations d'entraide judiciaire fiables et d'un partenariat solide avec l'Etat requérant est une condition indispensable à la réussite de la restitution. Compte tenu de la complexité des questions touchant à la criminalité financière et économique, la Suisse a en outre proposé aux Etats concernés une aide ciblée, par exemple sous forme de rencontres d'experts, d'ateliers internationaux dans la continuité des Séminaires de Lausanne8 ou de détachements d'experts en criminalité financière. Ces mesures ont permis d'accomplir des progrès notables, tels que l'exécution des premières demandes d'entraide judiciaire. Il demeure néanmoins encore d'importants défis. Les pays en phase postrévolutionnaire se trouvent dans une situation souvent difficile et confuse.

Cela se répercute également sur l'activité de la justice et des institutions publiques en général. Une telle situation peut considérablement entraver les efforts de la justice pour diligenter ses enquêtes. En application des dispositions pertinentes de l'EIMP, l'exécution des demandes d'entraide judiciaire
exige en outre que les procédures de l'Etat d'origine respectent les standards des droits de l'homme établis par la Convention européenne du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)9, le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU)10, ainsi que d'autres garanties minimales reconnues par le droit international.

La Suisse n'est pas le seul pays confronté aux défis décrits ci-dessus. D'autres pays qui ont reçu une demande d'entraide judiciaire de la Tunisie, de l'Egypte ou d'autres pays du Printemps arabe sont également concernés car leurs places financières sont soupçonnées d'abriter des avoirs d'origine illicite provenant des pays en question. A cela viennent s'ajouter les attentes élevées de la population des pays d'origine quant au montant des fonds à restituer et aux délais nécessaires pour résoudre les différents cas. C'est pourquoi il est essentiel dans les contacts avec les Etat d'origine de communiquer des perspectives réalistes sur l'ampleur et la durée des procédures.

8

9 10

Depuis 2001, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) organise à intervalles réguliers à Lausanne des séminaires internationaux d'experts sur le thème de la restitution des avoirs de potentats indûment acquis («Asset Recovery»).

RS 0.101 RS 0.103.2

5129

La question de la restitution des fonds indûment acquis joue un rôle important dans les relations bilatérales entre les pays européens et les Etats concernés. Le Conseil fédéral constate que les Etats dotés de places financières importantes (comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis) mais aussi les grands sommets de coopération internationale (comme le G8 [G7] ou l'UE) accordent aujourd'hui une importance croissante à la restitution des avoirs d'origine illicite (cf. à cet égard les commentaires relatifs au ch. 1.4). Les événements du Printemps arabe ont engendré dans ce domaine une dynamique tangible. Il y a de fortes chances que cette évolution ait des répercussions sur les normes et pratiques internationales en matière de restitution de fonds indûment acquis.

Parmi les développements récents sous l'angle de l'Asset Recovery, il faut bien sûr citer le cas de l'Ukraine suite à la destitution du président Ianoukovitch au mois de février 2014. Si le changement de pouvoir qui a eu lieu dans ce pays est sans commune mesure avec l'onde de choc qui a balayé une grande partie du monde arabe dès le printemps 2011, il n'en demeure pas moins que ses conséquences sont importantes au plan régional et qu'elles affectent également la Suisse, ne serait-ce qu'en raison de la position géographique de notre pays, de l'exposition de sa place financière et de ses liens économiques avec l'Ukraine. Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral a décidé d'adopter un blocage immédiat des avoirs de l'ancien président ukrainien et de son entourage au vu des forts soupçons de corruption pesant contre ces personnes. Le blocage des avoirs ukrainiens ne revêt aucun caractère accusatoire ni confiscatoire. Le but de cette mesure est simplement de sécuriser les avoirs éventuellement placés en Suisse et de permettre aux autorités ukrainiennes d'adresser des demandes d'entraide à la Suisse pour en éclaircir l'origine. Ce faisant, la Suisse a agi en étroite coopération avec d'autres places financières, notamment celles de l'Autriche et du Liechtenstein. Elle a également coordonné ses mesures avec l'UE dès que celle-ci a adopté ses propres mesures de gel des avoirs ukrainiens. L'expérience acquise lors du printemps arabe, notamment quant à la coopération bilatérale en matière d'entraide judiciaire, sera précieuse pour faire avancer
les procédures pénales pouvant éventuellement mener à la confiscation des avoirs ukrainiens bloqués.

La longue expérience de la Suisse dans le traitement des cas d'avoirs de potentats et les possibilités de solutions développées par notre pays ont suscité un grand intérêt à l'étranger. Depuis deux ans, l'implication beaucoup plus forte de la Suisse dans les forums organisés sur la question, en marge de l'UE ou encore du G8 [G7], illustre cela. Au mois de novembre 2013, les Etats requérants et requis ayant une certaine expérience pratique dans le domaine de l'Asset Recovery ont été chargés par la Conférence des Etats Parties à la Convention des Nations Unies du 31 octobre 2003 contre la corruption (CNUCC)11, à élaborer des lignes directrices s'inspirant des bonnes pratiques en la matière («best practices»)12. La Suisse a lancé le processus devant mener à l'élaboration de ces lignes directrices lors du 8e séminaire de Lausanne en janvier 2014, conformément à l'appel lancé dans ce sens par la Conférence des Etats Parties. En date du 18 décembre 2013, l'Assemblée générale des Nations Unies a recommandé13 à son tour l'élaboration de ces lignes directrices sur la base 11 12 13

RS 0.311.56 Résolution 5/3 de la Conférence des Etats Parties facilitant la coopération internationale en matière d'Asset Recovery, § 36.

Résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies du 18 décembre 2013, A/RES/68/195, § 39.

5130

des bonnes pratiques existantes. Ces démarches contribueront à renforcer l'efficacité des efforts en matière de recouvrement d'avoirs par le biais d'une coordination accrue au plan international. Dans le même temps, elles constituent un pas important vers le renforcement du «level playing field» entre les places financières, c'est-à-dire un environnement dans lequel tous les acteurs de l'industrie financière doivent suivre les mêmes règles et ne subissent ainsi pas de désavantage concurrentiel.

1.1.3

Dispositif suisse actuellement en vigueur

La Suisse a un intérêt fondamental à empêcher que des fonds d'origine illicite se retrouvent sur sa place financière. Elle a adopté un dispositif efficace et internationalement reconnu pour lutter contre la criminalité financière transnationale. Toutefois, cela ne l'empêche pas d'être elle aussi confrontée à des cas où des PPE placent en Suisse des valeurs patrimoniales d'origine illicite.

Depuis vingt ans, la politique suisse en matière de lutte contre la criminalité commise par des PPE ne cesse de se développer et de s'améliorer. Aujourd'hui, elle forme un système cohérent qui repose sur les deux piliers de la prévention et de la répression. Ce système intègre les six composantes suivantes: Prévention de la corruption La lutte contre la corruption dans les Etats avec lesquels la Suisse coopère occupe une place importante dans la politique extérieure et la politique de développement suisses. Des mesures concrètes sont mises en place, par ex. dans le cadre de programmes de bonne gouvernance. Tous les traités de coopération contiennent une clause de lutte contre la corruption.

Identification de la partie contractante et de l'origine des fonds La législation suisse sur le blanchiment d'argent vise aussi à empêcher que des fonds issus d'actes criminels ne se retrouvent sur la place financière helvétique. Les règles strictes de la législation sur le blanchiment d'argent obligent les banques suisses et tous les autres prestataires de services financiers non seulement à identifier les parties au contrat («Know Your Customer»), mais également à déterminer les ayants droit économiques («Know Your Beneficial Owner»). La législation suisse sur le blanchiment d'argent instaure des obligations de clarification supplémentaires dans les relations avec des PPE. Les banques suisses se sont imposées dès 1977 des obligations de diligence très strictes.

Communication et blocage Les banques et les autres intermédiaires financiers sont tenus d'informer le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent (MROS) lorsqu'ils ont le soupçon fondé que des valeurs patrimoniales proviennent d'actes criminels. Dans ce cas, l'intermédiaire financier doit immédiatement bloquer les comptes concernés pendant cinq jours, afin de permettre au MROS d'examiner l'affaire et d'empêcher la disparition des fonds. Le secret
bancaire suisse ne protège pas contre la poursuite des infractions pénales, aussi bien au niveau national que dans le cadre de l'entraide judiciaire. Des mesures complémentaires permettent d'éviter que les valeurs patrimoniales puissent être soustraites avant le dépôt, par les autorités étrangères, d'une demande formelle d'entraide judiciaire.

5131

Le GAFI a procédé entre 2009 et 2012 à une révision de ses recommandations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

La Suisse a approuvé en février 2012 les 40 recommandations révisées du GAFI.

Leur mise en oeuvre dans le droit suisse est en cours. Il est notamment prévu d'accorder dorénavant au MROS davantage de temps pour ses contrôles, de manière à accroître l'efficacité du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Selon le projet de loi sur la mise en oeuvre des recommandations du Groupe d'action financière (GAFI), révisées en 2012, pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, le blocage des fonds interviendrait à partir du moment auquel le MROS transmettrait le dossier aux autorités de poursuite.

Entraide judiciaire Lorsqu'un Etat dépose une demande d'entraide judiciaire qui répond aux exigences de l'EIMP ou aux traités bilatéraux ou multilatéraux applicables, la Suisse peut, en cas d'issue positive de la procédure d'entraide, fournir à l'Etat requérant des informations sur les comptes suspects qui peuvent être utilisées comme moyens de preuve dans les procédures pénales. De telles procédures d'entraide contribuent à rendre possible des jugements de confiscation dans l'Etat requérant.

Situation de défaillance dans l'Etat d'origine La LRAI a été adoptée pour résoudre les cas d'avoirs d'origine illicite de PPE déposés en Suisse lorsque les Etats d'origine de ces avoirs sont dans l'incapacité de mener une procédure pénale qui réponde aux exigences de l'EIMP en raison d'une situation de défaillance. La LRAI institue une possibilité de blocage, de confiscation et de restitution pour résoudre de tels cas. Pour ce faire, elle met en place une procédure de nature administrative garantissant pleinement les droits des PPE concernées et pouvant, le cas échéant, faire l'objet de recours devant le Tribunal administratif fédéral et le Tribunal fédéral.

Restitution de valeurs patrimoniales La restitution de valeurs patrimoniales à l'Etat d'origine suppose en principe que leur provenance illicite ait été établie au préalable dans le cadre d'une procédure judiciaire. La Suisse recherche avec les Etats concernés les moyens de restituer ces avoirs. Son souci est d'éviter qu'après leur
restitution, ces fonds ne repartent dans le circuit des flux financiers criminels. La décision de restituer des valeurs patrimoniales saisies est en principe prise sur la base de l'EIMP puisque la remise, en tant que telle, constitue aussi une mesure d'entraide aux termes de cette loi. Si l'origine illicite des fonds est manifeste, la Suisse a même la possibilité de les restituer sans attendre une décision de confiscation entrée en force et exécutable de la part de l'Etat concerné, comme ce fut le cas pour l'ancien président nigérian Sani Abacha.

En se fondant sur la législation en vigueur, la Suisse a pu restituer ces vingt dernières années environ 1,8 milliard de francs aux Etats d'origine.

5132

1.1.4

Limites des possibilités d'action du Conseil fédéral sur la base de l'art. 184, al. 3, Cst.

Comme le montrent les considérations qui précèdent, le blocage provisionnel d'avoirs de potentats s'est, par le passé, appuyé sur les compétences constitutionnelles du Conseil fédéral pour sauvegarder les intérêts du pays (art. 102, ch. 8, de l'ancienne constitution, puis art. 184, al. 3, Cst.). Le blocage provisionnel ordonné par le Conseil fédéral à l'égard de l'Ukraine au mois de février 2014 s'est à nouveau fondé directement sur la Cst., faute de base légale formelle lui permettant d'agir en ce sens.

Dans le cas des blocages ordonnés en 2011 à l'égard des PPE et de leurs proches de Tunisie et d'Egypte, le Conseil fédéral a décidé, en date du 18 décembre 2013, de les proroger pour une nouvelle période de trois ans. La prorogation est destinée à donner plus de temps pour les mesures d'instruction judiciaire dans ces deux pays et, ainsi, de prendre en compte les bouleversements politiques particuliers qu'ils connaissent.

Le recours quasi-systématique aux dispositions de la Cst. pour bloquer les avoirs de potentats suite à des bouleversements politiques majeurs et pour prolonger la durée de tels blocages n'est pas satisfaisant sous l'angle des principes de l'Etat de droit. Ce constat est généralement partagé, aussi bien au niveau juridique que politique. Il a fait l'objet de plusieurs interventions parlementaires suite aux événements du Printemps arabe, dont la motion Leutenegger Oberholzer du 16 mars 2011 (11.3151).

L'adoption de cette motion par les Chambres oblige le Conseil fédéral à préparer une base légale formelle pour le blocage de fonds de potentats (cf. ch. 1.6 ci-après).

Suite notamment à la gestion de la crise de Swissair en 2001, de la crise financière en 2008 ou encore de l'affaire Tinner en 2008 et 2009, l'Assemblée fédérale a adopté une modification du cadre juridique en matière de sauvegarde de la démocratie, de l'Etat de droit et de la capacité d'action dans les situations extraordinaires14, modification à laquelle le Conseil fédéral s'est rallié dans une large mesure15. La modification de la loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA)16 qui en a résulté restreint la possibilité, pour le Conseil fédéral, de recourir à l'art. 184, al. 3, Cst.

Les conséquences concrètes des changements apportés à la LOGA sont les suivantes: la prorogation
d'une ordonnance basée sur l'art. 184, al. 3, Cst. est liée à l'obligation de présenter, dans les six mois suivant l'entrée en force de la prorogation, un projet de base légale formelle destiné à remplacer l'ordonnance (cf. art. 7c, al. 3, LOGA). La présentation d'un projet de loi spécifique à la Tunisie et à l'Egypte permettrait de remplir cette exigence mais n'est pas souhaitable: il serait en effet inopportun d'adopter une ou plusieurs lois au sens formel dont le champ d'application cible spécifiquement un pays; de plus, cette façon de faire entraînerait une

14

15

16

Initiative parlementaire «Sauvegarde de la démocratie, de l'Etat de droit et de la capacité d'action dans les situations extraordinaires», Rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 5 février 2010, FF 2010 1431 ss.

Initiative parlementaire «Sauvegarde de la démocratie, de l'Etat de droit et de la capacité d'action dans les situations extraordinaires», rapport de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 5 février 2010, avis du Conseil fédéral du 21 avril 2010, FF 2010 2565 ss.

RS 172.010

5133

fragmentation des bases légales applicables en matière d'Asset Recovery, ce qui n'est pas souhaitable.

Le projet de loi ci-joint remplit cette exigence. Faute de loi, les ordonnances sur la Tunisie et l'Egypte deviendraient caduques (cf. art. 7, al. 4, let. a, LOGA). Le blocage des avoirs des PPE ordonné sur cette base perdrait alors automatiquement sa validité.

1.2

Dispositif proposé

Le dispositif proposé consiste à reprendre dans une loi, qui constituerait la nouvelle base légale formelle, le droit en vigueur et la pratique actuelle en matière de blocage, de confiscation et de restitution de valeurs patrimoniales d'origine illicite appartenant à des PPE. Le dispositif s'applique dans la mesure où une procédure d'entraide n'est pas déjà pendante. La codification dans une seule loi permet d'améliorer notablement la concentration et, partant, la transparence du dispositif suisse. Le nouveau projet de loi couvre l'ensemble de ces étapes procédurales, lesquelles sont représentées sommairement dans le tableau ci-dessous en relation avec l'entraide judiciaire.

Les étapes relevant de l'entraide judiciaire sont présentées de façon très simplifiée, la phase initiale de la remise des moyens de preuve (p. ex. des documents bancaires originaux) n'étant volontairement pas distinguée de la phase subséquente de la remise de valeurs patrimoniales effectuée sur la base d'un jugement exécutoire:

Perte de pouvoir des PPE dans l'Etat d'origine

Conseil fédéral: blocage préventif (art. 3)

Mesures de soutien (art. 11-13)

Procédure d'entraide (EIMP)

Restitution (art. 74a EIMP)

Conseil fédéral: blocage si échec de l'entraide judiciaire (art. 4)

Confiscation TAF (art. 14)

Restitution

La pratique suisse en la matière a été développée ces 25 dernières années dans le cadre de la politique étrangère suisse. Les mesures constituant cette pratique doivent être distinguées des mesures préventives, notamment dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d'argent. Elles revêtent par ailleurs un caractère complémentaire aux domaines du droit pénal et de l'entraide judiciaire, qui ne seront pas affectés par la présente loi.

Le nouveau texte législatif ne crée en soi aucune nouvelle obligation juridique à charge des administrés. Il porte sur l'ensemble des possibilités d'action dont disposent les autorités suisses pour contribuer à la restitution en toute transparence à l'Etat concerné des avoirs d'origine présumée illicite de PPE. Ces activités s'inscrivent dans le contexte général de la politique étrangère et de la défense des intérêts de la Suisse dans le monde. Elles visent notamment à compléter et soutenir les procédures d'entraide judiciaire internationale en matière pénale.

5134

Les principaux domaines thématiques abordés sont les suivants: ­

blocage préventif à titre conservatoire des valeurs patrimoniales de PPE;

­

mesures ciblées de soutien à l'Etat d'origine en vue d'une clarification judiciaire rapide de la provenance des valeurs patrimoniales;

­

possibilité de confiscation judiciaire en Suisse, lorsque l'entraide judiciaire n'aboutit pas en raison de la situation de défaillance de l'Etat d'origine (reprise du contenu matériel de la LRAI).

Dans la mesure où le projet de loi se contente de codifier la pratique en cours, il n'a pas d'effet sur l'accélération du traitement et de la résolution des cas d'avoirs de potentats. Les expériences démontrent pourtant que le facteur temps joue ici un rôle déterminant. Il est dans l'intérêt de la Suisse que les avoirs de potentats puissent être restitués rapidement aux Etats d'origine et puissent y être investis en faveur de la population, contribuant ainsi à un développement économique durable. Les deux nouveautés proposées permettent de contribuer à une telle accélération de la procédure.

La première innovation permettra de transmettre à l'Etat d'origine certaines informations qui l'aideront à déposer des demandes d'entraide judiciaire et qui serviront à accélérer de telles procédures. Cette nouvelle possibilité de transmission s'appuie sur les expériences de la Suisse acquises jusqu'ici, notamment sur les enseignements tirés des affaires liées au Printemps arabe. Le seul objectif de cette transmission d'information est donc de soutenir l'entraide judiciaire entre l'Etat d'origine et la Suisse. L'expérience a en effet montré que, dans les cas d'avoirs présumés de potentats en lien avec un changement de régime politique, les autorités judiciaires des Etats d'origine ont souvent du mal à étayer convenablement leurs demandes d'entraide judiciaire. Ces problèmes sont généralement dus à un manque d'expérience et de connaissances spécialisées nécessaires à élucider des états de fait complexes relevant du droit pénal. Or, les autorités suisses ne peuvent pas entrer en matière sur des demandes insuffisamment étayées. C'est ainsi que l'entraide judiciaire se retrouve dans une impasse, ce qui risque d'entraîner des retards considérables, voire l'échec de l'entraide judiciaire. Compte tenu de l'origine douteuse des valeurs patrimoniales concernées, mais aussi des attentes importantes dans les Etats requérants, un tel développement nuit aux intérêts tant de la Suisse que des Etats d'origine. Compte tenu de la situation exposée ci-dessus, la loi introduit la possibilité de communiquer dorénavant certaines informations à l'Etat d'origine en dehors de l'entraide judiciaire proprement dite; ces informations pourront contenir des indications sur l'existence de relations bancaires en Suisse. Les conditions et
l'étendue de la transmission d'informations doivent être définies de manière claire et précise dans le projet de loi. L'Etat d'origine devra utiliser ces informations exclusivement pour adresser une demande d'entraide judiciaire à la Suisse ou, et cela constituera certainement le cas le plus courant dans la pratique, pour compléter une demande déjà déposée. Une telle disposition est prévue à l'art. 13. Cette norme, qui vient compléter les dispositions du droit de l'entraide judiciaire, se justifie par des motifs de politique étrangère.

La seconde innovation matérielle proposée concerne la possibilité de confisquer des valeurs patrimoniales d'origine présumée illicite dans le cadre d'une procédure administrative devant les tribunaux suisses. La LRAI prévoit certes déjà cette possibilité de confiscation, mais uniquement lorsque la coopération judiciaire ne peut aboutir en raison d'une situation de défaillance de l'Etat d'origine. Cela est cepen5135

dant insuffisant. Les expériences qui ont été faites à ce jour dans les cas de restitution liés au Printemps arabe montrent en effet que l'avancement des procédures d'entraide judiciaire peut aussi se heurter à des difficultés liées à la situation insatisfaisante qui prévaut en matière de droits de l'homme, même temporairement, et aux incertitudes quant aux évolutions futures dans les pays concernés. Des contacts réguliers entre les autorités suisses et les autorités de ces pays sont alors indispensables pour apprécier au mieux la situation sur place et les perspectives en matière de coopération judiciaire. L'exécution d'une demande d'entraide judiciaire présuppose en effet que l'Etat requérant (dans le cas présent, les Etats d'origine des valeurs patrimoniales bloquées) satisfasse à certains standards relatifs aux garanties procédurales en matière de droits de l'homme. Ces standards requièrent quant à eux une certaine stabilité institutionnelle ainsi que le respect des principes de l'Etat de droit.

Les pays qui se trouvent dans une phase de transition postrévolutionnaire ne sont pas toujours en mesure de remplir ces conditions. Il existe dès lors un risque considérable que les efforts menés pour restituer les valeurs patrimoniales concernées par la voie de l'entraide judiciaire échouent. Ceci signifierait que les valeurs patrimoniales en question pourraient à nouveau se retrouver dans le pouvoir de disposition des personnes qui les avaient, très vraisemblablement, soustraites ou acquises de manière illicite au détriment de l'Etat d'origine. Un tel dénouement ne serait pas seulement contraire aux efforts fournis pour sauvegarder l'intégrité et la réputation de la place financière suisse; l'échec de la restitution aboutirait aussi à un résultat choquant eu égard à l'engagement de la Suisse dans le domaine de la coopération au développement et dans la lutte contre l'impunité. Enfin, il ne faut pas non plus sousestimer les conséquences d'un échec pour les autorités compétentes et pour la population de l'Etat d'origine. Le Conseil fédéral estime par conséquent pertinent et nécessaire d'introduire aussi nouvellement la possibilité d'une confiscation en vue d'une restitution lorsqu'il s'avère que l'entraide judiciaire est exclue faute de standards satisfaisants en matière de respect des droits de l'homme
dans l'Etat d'origine.

Cette disposition garantit que les avoirs peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire par le biais d'une procédure irréprochable sur le plan de l'état de droit et restitués à leur Etat d'origine s'ils sont de provenance illégale. Les conditions d'application de la nouvelle possibilité de confiscation sont clairement définies et strictement encadrées.

Le projet de loi s'inscrit dans le contexte de la politique étrangère suisse. Il sert à défendre et à promouvoir les intérêts et les valeurs de la Suisse dans le monde. Par l'élaboration d'une loi sur le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs de potentats, la Suisse affirme sa détermination à poursuivre la lutte contre l'impunité et l'enrichissement personnel illicite ainsi qu'à protéger l'intégrité et la réputation de sa place financière en procédant à la restitution systématique des avoirs de potentats déchus. Une telle loi figurera parmi les textes législatifs les plus avancés au monde puisqu'elle réglementera intégralement les questions relatives à l'Asset Recovery. La Suisse saisit ainsi l'opportunité d'établir elle-même des standards importants et de sauvegarder par là de manière proactive les intérêts du pays, au lieu de devoir réagir sous l'effet des développements internationaux.

1.3

Développement de la solution retenue

En mars 2011, le Conseil fédéral a chargé un groupe de travail interdépartemental d'examiner les ordonnances de blocage adoptées début 2011 et les mesures qui y 5136

figurent et de lui soumettre ensuite un rapport à ce sujet. Sur la base de ce rapport et des recommandations qui y sont énoncées, le Conseil fédéral a confié au DFAE le 11 mai 2011 le mandat d'élaborer une base légale formelle permettant le blocage à titre conservatoire des avoirs de PPE. Le groupe de travail interdépartemental, qui avait déjà préparé le rapport à l'intention du Conseil fédéral, s'est attelé à l'élaboration du projet législatif en été 2011.

Lors de la mise en oeuvre du mandat du Conseil fédéral, la question s'est posée de savoir sous quelle forme et dans quel cadre les nouvelles dispositions légales doivent être édictées.

Après avoir évalué toutes les options, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que l'élaboration d'un texte législatif global sur le blocage, la confiscation et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite constituait la solution la plus pertinente. L'élaboration d'une seule loi pour régler toutes les questions allant du blocage à la restitution permet d'éviter la fragmentation des bases légales et d'accroître la transparence du droit applicable. Cette solution tient compte de l'importance croissante que revêt la thématique des avoirs de potentats. La codification de la pratique en vigueur répond aux exigences du principe de légalité et renforce la sécurité du droit. Elle assure aussi la légitimité démocratique souhaitable dans ce domaine. Elle offre enfin l'occasion à la Suisse d'émettre un signal fort vers l'étranger, d'exprimer sa volonté claire de poursuivre activement la lutte contre les avoirs de potentats d'origine illicite.

D'autres options ont été écartées, après examen, par le groupe de travail interdépartemental. Ce fut notamment le cas de l'intégration des nouvelles dispositions dans un texte législatif déjà existant. Il n'existe en effet aucune loi fédérale qui, de par son objet, pourrait entrer en ligne de compte. Pour cette raison, l'idée d'intégrer de nouvelles dispositions dans l'EIMP a en particulier été abandonnée. Le blocage à titre conservatoire doit être considéré comme une étape préalable à l'entraide judiciaire et doit dès lors être distinct de cette dernière, sur le plan systématique comme sur le plan de la durée. Contrairement à l'EIMP, son objectif est d'abord motivé par des considérations de politique étrangère. C'est
pourquoi il doit être réglementé séparément de l'EIMP, sans affecter les dispositions de celle-ci.

La possibilité de réunir les dispositions du projet de loi ci-joint avec celles de la LRAI (parfois aussi appelée Lex Duvalier), entrée en vigueur le 1er février 2011, a été abandonnée pour des raisons de systématique. La LRAI s'intéresse elle aussi à la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales indûment acquises, mais en se limitant à un aspect très spécifique qui est celui des Etats défaillants. Dans le projet ci-joint, les dispositions pertinentes de la LRAI sont reprises et celle-ci sera abrogée (cf. les commentaires ci-après sous ch. 2.1 et 2.3 concernant l'art. 31).

Une autre option envisageable mais finalement non retenue consisterait à créer une loi fédérale ayant pour seul objet le blocage, à titre conservatoire, des valeurs patrimoniales de PPE. Une telle loi aurait cependant une portée très restreinte. Après la LRAI, ce serait la seconde loi suisse à réglementer un aspect particulier de l'Asset Recovery. Une telle approche sectorielle engendrerait en outre une fragmentation excessive et préjudiciable à la sécurité du droit.

Le 22 mai 2013, le Conseil fédéral a décidé d'envoyer en consultation l'avant-projet de loi fédérale sur le blocage et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite liées à des personnes politiquement exposées (LBRV). La procédure de

5137

consultation a pris fin le 12 septembre 2013 et les résultats sont présentés en détail dans le rapport de consultation17.

L'avant-projet a suscité un grand intérêt comme l'attestent les 65 prises de position soumises par les cantons, institutions et organisations intéressées lors de la procédure de consultation. La grande majorité d'entre elles (47) a salué de façon générale le projet, les buts qu'il poursuit et les moyens qu'il met en oeuvre, ou a du moins exprimé un soutien de principe. Seule une minorité de participants (10) a rejeté le projet dans son ensemble.

Tous les cantons qui se sont déterminés durant la consultation accueillent favorablement le projet. Cela concerne en particulier les cantons qui hébergent des grandes places financières, à savoir ZH, GE et TI. C'est également le cas d'une majorité des associations faîtières de l'économie qui oeuvrent au niveau national, y compris dans le secteur bancaire. Le projet est en revanche mal accueilli parmi plusieurs organisations défendant les intérêts des banquiers privés ou tournées plus spécifiquement vers la place financière genevoise.

Parmi les partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale, l'avant-projet a fait l'objet aussi bien d'un soutien clair (PS, les Verts et PEV) que d'un rejet (UDC, PLR et PDC). Certains partis ayant déclaré rejeter le projet ont néanmoins exprimé leur soutien à la politique du Conseil fédéral en matière d'Asset Recovery. On notera par ailleurs que plusieurs partis n'ont pas pris part à la consultation (PBD, Parti vert'libéral, Lega, MCR, notamment).

Parmi les Tribunaux de la Confédération, seul le TPF s'est déterminé sur le fond. Le TF, le TAF et le TFB ont annoncé qu'ils renonçaient à formuler des observations.

Pour prendre le plus largement en compte les commentaires formulés lors de la procédure de consultation, le projet de loi a été retravaillé de manière substantielle.

Cela concerne notamment les quatre points suivants:

17

­

De nombreux participants ont critiqué le fait que le projet contienne un trop grand nombre de notions juridiques indéterminées, lesquelles octroient un pouvoir d'appréciation important aux autorités chargées d'appliquer la loi.

Cela concerne notamment l'art. 3, qui énonce les conditions d'un blocage préventif de valeurs patrimoniales. Pour répondre à ces critiques, des nouvelles définitions légales ont été ajoutées aux art. 2, let. c, et 15, al. 2; de plus, les art. 3, al. 1, let. c, et 4, al. 1, let. c, précisent désormais clairement dans quels cas les valeurs patrimoniales appartenant à des personnes morales peuvent faire l'objet d'un blocage.

­

Les représentants des milieux bancaires et financiers ont insisté sur la nécessité d'octroyer à une seule autorité fédérale la compétence de recevoir les déclarations de valeurs patrimoniales en vertu du projet de loi ci-joint et en vertu d'autres obligations légales (principalement la LBA). Pour prendre en compte ces préoccupations légitimes, le projet de loi prévoit à l'art. 7, al. 1 que le MROS sera compétent pour recevoir les communications de valeurs patrimoniales. Cela revient à créer un «guichet unique» destiné à faciliter la tâche des intermédiaires financiers.

www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2013 > Département fédéral des affaires étrangères.

5138

­

La proposition de prévoir dans le projet de loi la possibilité de transmettre, dans des cas particuliers et à des conditions étroitement définies, des informations relatives aux avoirs bloqués en Suisse à l'Etat d'origine (art. 13) a reçu un accueil très controversé dans la procédure de consultation. De l'avis du Conseil fédéral, cette disposition constitue toutefois une innovation centrale du projet de loi de nature à rendre le système plus effectif. L'art. 13 a donc été maintenu, mais retravaillé de manière substantielle. L'adaptation la plus importante concerne le canal de transmission: il a été décidé que les informations seraient transmises à l'Etat d'origine exclusivement par le MROS et non plus par le DFAE. Il s'agit d'un canal de transmission sûr et confidentiel qui a fait ses preuves dans le cadre de la coopération internationale en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. D'autres adaptations significatives, qui sont commentées en détail dans le ch. 2 du présent message, ont été apportées à l'art. 13 pour répondre aux craintes que cette disposition a suscité en consultation.

­

Différents participants à la procédure de consultation ont identifié un besoin de renforcer la transparence et la prévisibilité de la politique du Conseil fédéral en matière de blocage et de restitution d'avoirs de potentats. C'est la raison pour laquelle il est proposé de renforcer l'information aux Chambres fédérales. A cette fin, l'art. 24 prévoit l'obligation pour le DFAE de transmettre chaque année un rapport sur les mesures prises en application de la présente loi aux commissions parlementaires compétentes.

1.4

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

UE: Au moment des événements du Printemps arabe, le Conseil européen a ordonné le blocage des valeurs patrimoniales de personnes et d'organisations originaires de Tunisie, d'Egypte, de Libye et de Syrie. Ces mesures s'inscrivent dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) sur la base du Traité sur l'Union européenne (TUE, art. 29) et du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE, art. 215). Il s'agit de la même base légale que celle invoquée habituellement par l'Union européenne (UE) pour prononcer des sanctions internationales. Dans le cas présent, ces mesures poursuivent néanmoins un autre objectif: elles ne constituent pas des mesures de coercition en droit des gens, mais tendent à faciliter l'entraide judiciaire en vue de la restitution des valeurs patrimoniales indûment acquises. Dans le jargon de l'UE, ce type de mesures conservatoires porte aussi le nom de sanctions ­ contrairement à ce qui prévaut en Suisse. Plus récemment, le Conseil européen a adopté par voie de règlement18, une série de sanctions consistant principalement dans le gel d'avoirs ukrainiens.

Les règlements et décisions qui se fondent sur cette base légale ont directement force obligatoire pour les Etats membres de l'UE et ne requièrent aucun acte national d'ordre législatif ou administratif de mise en oeuvre. L'art. 215, par. 2, TFUE constitue une base légale explicite pour l'adoption de sanctions à l'encontre de personnes 18

Règlement (UE) No 208/2014 du Conseil du 5 mars 2014 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Ukraine, JO L 66 du 6.3.2014, p. 1.

5139

physiques ou morales, de groupes ou d'entités non étatiques. L'adoption d'une mesure est du ressort du Conseil de l'UE. Les Etats membres de l'UE fournissent les informations susceptibles de légitimer l'adoption d'une sanction. La préparation des décisions de sanctions (notamment le blocage des valeurs patrimoniales à titre conservatoire) est traitée confidentiellement afin de ne pas compromettre le succès de ces mesures.

Les règlements de l'UE sur lesquels se fonde le blocage des valeurs patrimoniales de personnes et d'organisations originaires de Tunisie19, d'Egypte20 et de Libye21 prévoient la possibilité pour les États membres de communiquer les informations, notamment financières, reçues dans le cadre de l'exécution des mesures restrictives, conformément à leur droit national, aux autorités compétentes de l'Etat concerné (Tunisie, Egypte, ou Libye respectivement) et d'autres États membres lorsque cela est nécessaire pour faciliter le recouvrement d'avoirs détournés.

Au moment de la publication du règlement, l'UE informe22 les personnes ou les entités visées par la sanction, par lettre ou par publication dans le Journal officiel de l'UE. Les sanctions de l'UE ont toutes une durée de validité limitée et doivent être réévaluées quant à leur prorogation lorsque la situation politique du pays évolue.

Une levée des sanctions peut être ordonnée, par ex. lorsque de nouvelles informations sont communiquées ou que d'autres doivent être rectifiées.

L'UE n'a pas la compétence requise pour confisquer des valeurs patrimoniales bloquées suite à une décision de sanction. La confiscation et la restitution relèvent de la compétence des Etats membres, conformément aux règles de procédure nationales en matière de droit pénal et d'entraide judiciaire internationale. L'appareil législatif de l'UE ne comporte ainsi aucune base légale spécifique pour le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales de PPE.

Etats membres de l'UE: En ce qui concerne les Etats membres de l'UE, la situation juridique en Allemagne, en France, au Luxembourg, en Espagne, en Belgique et au Royaume-Uni a été examinée dans le cadre du projet ci-joint. Indépendamment de la mise en oeuvre des règlements de l'UE imposant des sanctions, des valeurs patrimoniales peuvent être bloquées suite aux soupçons communiqués par
les banques, ou dans le cadre de demandes d'entraide judiciaire internationales en matière pénale ou de procédures pénales engagées au niveau national.

Au Royaume-Uni, qui est avec la Suisse la place financière la plus importante d'Europe, une éventuelle confiscation se fonde généralement sur une condamnation pénale («conviction based») mais peut aussi intervenir en l'absence d'une ordonnance de condamnation («non-conviction based»). Dans le système juridique anglo19

20

21 22

Art. 9, par. 3, du Règlement (UE) No 101/2011 du Conseil du 4 février 2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie, JO L 31 du 5.2.2011, p. 1.

Art. 9, par. 3, du Règlement (UE) No 270/2011 du Conseil du 21 mars 2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Égypte, JO L 76 du 22.3.2011, p. 4.

Art. 13, par. 3, du Règlement (UE) No 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye, JO L 58 du 3.3.2011, p. 1.

Les personnes ou entités concernées peuvent notamment demander l'autorisation d'utiliser les fonds bloqués pour couvrir des besoins essentiels ou pour procéder à certains paiements. Elles peuvent aussi déposer une demande de réexamen de la décision par laquelle elles ont été incluses sur une liste de sanctions, en y joignant les pièces justificatives requises.

5140

saxon (common law) qui repose sur le principe du précédent jurisprudentiel (décisions judiciaires de principe), ce dernier cas de figure est aussi connu sous le nom de «civil forfeiture»; la confiscation du produit du crime peut aussi s'effectuer en l'absence d'une condamnation pénale et avec des exigences de preuve allégées. En cas de confiscation pénale, l'Etat qui demande l'entraide judiciaire doit prouver que la personne visée par le blocage des avoirs a fait l'objet d'une condamnation entrée en force. Selon le droit en vigueur, le blocage de valeurs patrimoniales à titre conservatoire dans le cadre d'une procédure administrative n'est autorisé qu'en cas de soupçons portant sur des liens avec le terrorisme. En octobre 2013, le Ministère de l'intérieur (Home Office) a adopté et rendu publique une nouvelle stratégie sur la lutte contre la criminalité organisée (Serious organised crime strategy). Cette stratégie, qui contient un passage sur le blocage des valeurs patrimoniales d'origine illicite, prévoit d'adapter en 2014 la législation pénale (Proceeds of Crime Act 2002).

Dans ce contexte, il est notamment question d'envisager d'abaisser le degré de preuve exigé pour prononcer un blocage de valeurs patrimoniales: un soupçon qualifié suffirait en lieu et place de preuves concrètes d'activités criminelles. Il est également question d'envisager une extension des possibilités de blocage à d'autres situations que celles liées au terrorisme. Ces mesures, qui n'en sont qu'au stade de projet et qui seront ensuite soumises à l'examen parlementaire, seraient applicables à toutes les valeurs patrimoniales d'origine illicite et pas seulement aux avoirs de potentats. Elles permettraient néanmoins, si elles étaient adoptées, de faciliter le blocage et la confiscation d'avoirs de potentats. Quant aux mesures de soutien, il existe au Royaume-Uni diverses possibilités relevant de l'assistance administrative internationale. L'Etat requérant peut bénéficier de mesures de soutien pour réaliser des enquêtes ou formuler des demandes d'enquête judiciaire, ainsi que des mesures de formation (par ex. par l'intermédiaire de la Banque mondiale). Une task force chargée spécifiquement de traiter et de coordonner la confiscation et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite en lien avec les événements du
Printemps arabe a été créée par décision du Premier Ministre britannique. En 2013, un conseiller régional de cette task force a pris ses fonctions au Caire, d'où il est chargé de prêter une assistance directe aux autorités égyptiennes pour leur permettre de faire avancer les procédures d'entraide judiciaire ouvertes au Royaume-Uni. Enfin, il vaut la peine de signaler que sur demande de l'avocat général, le cadre juridique britannique actuel concernant plus spécifiquement la remise de valeurs patrimoniales illicites à d'autres Etats a fait l'objet d'un réexamen général durant le second semestre 2013. Cet exercice, destiné à déboucher sur une série de recommandations, a été jugé nécessaire compte tenu du fait que la politique de sanctions de l'UE est perçue comme étant lourde et insuffisamment flexible. Dans ce contexte, le cadre législatif suisse, notamment le projet de loi ci-joint, fait figure de modèle et est cité comme source d'inspiration. Le Royaume-Uni cherche en particulier lui aussi des solutions pour introduire dans sa législation des mesures administratives de blocage des avoirs des potentats.

En résumé, il s'avère que les Etats européens ne disposent encore d'aucune disposition de droit national qui leur permettrait de bloquer les valeurs patrimoniales de PPE dans le cadre d'une procédure administrative. Il existe certes d'autres possibilités juridiques permettant de bloquer et de restituer des fonds présumés indûment acquis. L'exemple du Royaume-Uni démontre cependant que les choses évoluent rapidement et que de nouveaux instruments législatifs et autres sont en cours d'examen, voire déjà partiellement en place. Il est vraisemblable que les standards

5141

nationaux de certains pays de l'UE continueront à se renforcer dans un proche avenir, à l'image de ce que fait la Suisse.

Etats-Unis: Par le passé, il est arrivé au président des Etats-Unis d'ordonner des blocages de fonds, comparables aux mesures édictées par le Conseil fédéral en application de l'art. 184, al. 3, Cst., sous la forme d'«Executive Orders»23. C'est ainsi que des valeurs patrimoniales de PPE originaires de Libye et de Syrie notamment ont été bloquées en lien avec les événements du Printemps arabe.

Le droit américain prévoit divers instruments permettant la confiscation de valeurs patrimoniales. Outre la confiscation pénale, des confiscations en l'absence de condamnation pénale (dites «non-conviction based forfeiture» ou «civil forfeiture», cf. explications sur la situation juridique au Royaume-Uni) sont prononcées de plus en plus souvent. Cette mesure vise la valeur patrimoniale et non la personne. L'Etat bénéficie à cet égard d'un allègement du fardeau de la preuve. Cet instrument permet uniquement la confiscation des valeurs patrimoniales mais pas la restitution aux Etats d'origine. Pour mettre au jour les avoirs de potentats, la régulation des marchés financiers mise sur les règles de diligence et de communication24 imposées aux instituts financiers qui traitent avec des PPE.

Les autorités américaines ont la possibilité de mettre en place des mesures de soutien pour les Etats d'origine (programmes spécifiques de formation, conférences, conseils juridiques, etc.)

Mis à part les possibilités évoquées ci-dessus, il n'existe pas aux Etats-Unis de base légale spécifique qui réglemente le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales d'origine présumée illicite liées à des PPE.

Autres places financières importantes: Le Liechtenstein ne dispose d'aucune base juridique spécifique permettant la restitution «d'avoirs de potentats» par la voie administrative. Le Tribunal princier de première instance peut cependant, sur la base d'une demande d'entraide d'une autorité judiciaire étrangère, exécuter un jugement rendu dans la juridiction de cette autorité, respectivement une décision de confiscation rendue dans le cadre d'une procédure d'entraide25. Ceci n'est possible qu'à la condition que le jugement, l'amende ou la décision de confiscation ait acquis force de chose
jugée dans l'Etat demandeur. Selon le droit Liechtensteinois, des valeurs patrimoniales peuvent être confisquées soit en tant que produit d'un enrichissement illégitime (art. 20 CP), soit en tant que valeurs patrimoniales provenant d'une activité punissable (art. 20b CP). Une fois que les valeurs patrimoniales ont été attribuées à l'Etat du Liechtenstein de façon exécutoire en vertu des dispositions susmentionnées26, le Gouvernement peut alors, dans un second stade de la procédure et sur la base de l'art. 253a du code de procédure pénale (CPP)27, conclure avec l'Etat demandeur une convention de partage fixant une clé de répartition pour la restitution des valeurs patrimoniales qui font l'objet de la procédure. Après la conclusion de 23 24

25 26 27

A la différence toutefois qu'aux Etats-Unis, cette compétence est réglée dans une loi.

Ces dispositions ont été introduites en 2001 avec le Patriot Act. Depuis, les Etats-Unis considèrent l'accueil de fonds provenant de la corruption dans des pays étrangers comme une infraction préalable au blanchiment d'argent.

Loi liechtensteinoise du 15 septembre 2000 sur l'entraide judiciaire internationale en matière pénale, art. 64, al. 4.

Loi liechtensteinoise du 15 septembre 2000 sur l'entraide judiciaire internationale en matière pénale, art. 64, al. 7.

RS 312.0

5142

cette convention, les valeurs patrimoniales concernées peuvent être transférées sur un compte bancaire désigné par l'Etat demandeur.

Une base légale spéciale28 permet aux autorités de poursuite pénale de Hongkong de communiquer des soupçons à des services situés hors de Hongkong, dès lors qu'il s'agit de lutter contre des crimes (dont la corruption fait partie). Il peut également s'agir d'informations bancaires. Le blocage et la confiscation de valeurs patrimoniales d'origine criminelle dans le cadre d'une procédure administrative n'est pas possible. Pour ce faire, il est nécessaire d'engager soit une procédure pénale, soit une procédure d'entraide judiciaire. Dans le cadre de l'entraide judiciaire, les décisions de confiscation étrangères qui ne reposent pas sur une condamnation pénale (non-conviction based forfeiture) peuvent être exécutées. Ce n'est pas le cas en revanche pour les procédures engagées au plan national, qui doivent être fondées sur un jugement pénal.

Singapour ne dispose d'aucune base légale particulière pour réglementer le blocage administratif des fonds, même en ce qui concerne le blocage et la restitution des avoirs de potentats. A cet égard, Singapour se contente pour le moment d'appliquer à la lettre les éventuelles mesures de l'ONU. Singapour dispose d'une base légale spécifique29 pour la coopération au titre de l'entraide judiciaire en matière pénale.

Celle-ci est cependant appliquée de manière plutôt restrictive. Ces derniers temps, Singapour s'est montrée intéressée par la pratique suisse vis-à-vis des avoirs de potentats et a activement cherché le contact.

La situation juridique du Canada mérite enfin une mention particulière. En réaction aux événements du Printemps arabe, le Canada a adopté en mars 2011 une loi intitulée Freezing Assets of Corrupt Foreign Officials Act. Cette loi introduit la possibilité de bloquer à titre conservatoire les avoirs de PPE. L'Etat concerné doit adresser à cette fin aux autorités canadiennes une demande écrite pour obtenir le blocage de valeurs patrimoniales déterminées et rendre vraisemblable que les PPE se sont approprié ces fonds de façon illicite. Il n'est en revanche pas exigé à ce stade que l'appropriation illicite des fonds soit prouvée30. La loi ne contient pas de dispositions visant la cession, la confiscation ou le transfert
des valeurs patrimoniales saisies, mesures qui sont réglées par d'autres lois. Les mesures de blocage à titre conservatoire n'ont pas pour but de punir les personnes visées mais d'assurer la conservation des valeurs patrimoniales. La restitution d'avoirs bloqués s'inscrit dans un processus distinct. Elle nécessite une décision de confiscation («forfeiture order») et il faut établir que ces avoirs sont imputables à un comportement délictueux. Les mesures de soutien incluent le détachement d'experts. Le Canada peut en outre communiquer des informations informelles aux pays concernés, au titre de la coopération policière. Les possibilités de confiscation en-dehors du droit pénal relèvent de la compétence des provinces. Si un Etat veut déposer une demande de confiscation en-dehors du droit pénal, il doit l'adresser directement à la province compétente par l'intermédiaire d'un avocat.

28 29 30

Section 25A(9) Organised and Serious Crime Ordinance, Cap. 455.

Mutual Assistance in Criminal Matters Act (MACMA).

La demande est acceptée lorsque les conditions cumulatives suivantes sont remplies: la personne est une PPE vis-à-vis de l'Etat requérant; le pays en question est aux prises avec des tumultes internes ou une situation politique instable et les mesures demandées servent les intérêts des relations internationales.

5143

Conclusion: La comparaison avec la législation des pays examinés montre que nombre d'entre eux disposent de diverses bases légales susceptibles de s'appliquer dans un tel cas.

Quelques rares pays viennent tout juste de créer des bases légales spéciales (comme le Canada) ou ont annoncé le réexamen de leur cadre légal. Parmi ceux-ci, le Royaume-Uni en particulier a procédé dernièrement à un clair changement de sa politique. Les autres pays ne disposent pas encore d'une loi aussi complète que le projet ci-joint, qui a pour objet le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs de potentats.

1.5

Mise en oeuvre

Le projet de loi n'implique pas de nouveautés majeures puisqu'il constitue, pour l'essentiel, une codification du droit et de la pratique actuels en matière de blocage, de confiscation et de restitution des avoirs illicites de potentats. Ce domaine relève de la compétence de la Confédération puisqu'il fait partie des affaires étrangères (art. 54 Cst.). Ce sont donc principalement les autorités fédérales qui sont concernées par sa mise en oeuvre, au premier rang desquelles le DFAE par l'entremise de la Direction du droit international public (DDIP). Une collaboration étroite entre toutes les autres autorités fédérales concernées est cependant indispensable. C'est en particulier le cas pour l'Office fédéral de la justice (OFJ) et le MPC sous l'angle de l'entraide judiciaire, le MROS concernant la communication d'avoirs et la transmission d'informations à l'Etat d'origine ainsi que le Département fédéral des finances (DFF) pour ce qui est de l'ouverture des actions en confiscation et de la conduite des procédures menant à des sanctions pénales. Les autorités cantonales ne sont, quant à elles, appelées à intervenir que très marginalement au niveau de la mise en oeuvre.

Cela pourra être le cas lorsque des poursuites pénales sont engagées au niveau cantonal contre des PPE dont les valeurs patrimoniales sont bloquées, ce qui entraîne notamment des obligations en matière de communication d'informations avec les autorités fédérales compétentes.

Si la mise en oeuvre du projet de loi ci-joint incombe aux autorités fédérales, il est prévu de renvoyer un certain nombre de questions techniques au niveau de l'ordonnance. Celle-ci sera adoptée par le Conseil fédéral et devra précéder l'entrée en vigueur de la loi. Elle est rendue nécessaire par la complexité des questions liées, notamment, à la collecte et à la transmission des informations ainsi qu'à l'administration des valeurs patrimoniales bloquées. De plus, les nouvelles compétences dévolues au MROS dans le cadre du projet de loi ci-joint justifient aussi de régler certaines modalités pratiques de ses tâches dans l'ordonnance.

1.6

Classement d'interventions parlementaires

En lien avec les événements du Printemps arabe et les blocages de valeurs patrimoniales ordonnés par le Conseil fédéral, diverses interventions parlementaires ont été déposées auprès des Chambres fédérales. Parmi celles-ci, seule la mise en oeuvre de la motion suivante est encore en cours: ­

5144

11.3151 ­ Motion Leutenegger Oberholzer du 16 mars 2011: Bloquer les avoirs de potentats renversés (état des délibérations: adoptée).

La motion Leutenegger Oberholzer du 16 mars 2011 (11.3151) demande, pour garantir la sécurité du droit, de préparer une loi fédérale ordinaire qui fournirait la base légale nécessaire au blocage de fonds appartenant à des potentats renversés, une décision qui repose aujourd'hui sur l'art. 184, al. 3, Cst. Sa justification repose sur le nombre croissant de blocages ordonnés par le Conseil fédéral lors des événements du Printemps arabe. Après avoir confié au DFAE un mandat législatif en ce sens le 11 mai 2011, le Conseil fédéral a proposé le 25 mai 2011 d'accepter la motion. La motion a été adoptée sans discussion par le Conseil national le 17 juin 2011. Elle a été adoptée par le Conseil des Etats le 22 décembre 2011 sur proposition unanime de la Commission des affaires juridiques. En vous soumettant le projet de loi ci-joint, le Conseil fédéral répond à la motion et vous propose par conséquent de la classer.

2

Commentaire des dispositions

2.1

Structure et contenu du projet

Le projet de loi est divisé en dix sections, correspondant pour l'essentiel aux différentes étapes et activités qui ponctuent habituellement le déroulement d'un cas d'«Asset Recovery», c'est-à-dire de la procédure allant du blocage provisionnel des valeurs patrimoniales jusqu'à leur restitution.

Dans la première section (Dispositions générales), l'art. 1 définit l'objet du projet de loi et en fixe le champ d'application. L'art. 2 contient quelques définitions légales destinées à préciser des notions importantes et à donner un cadre au pouvoir d'appréciation des autorités d'application. Sont d'abord définies les personnes susceptibles d'être concernées par le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales. Il s'agit en l'occurrence de PPE ainsi que de leurs proches.

Cette disposition définit ensuite la notion de valeurs patrimoniales.

La deuxième section règle le blocage des valeurs patrimoniales. Conformément au droit en vigueur, la loi prévoit deux sortes de mesures de blocage qui peuvent intervenir à divers stades et avec des objectifs différents. La deuxième section contient en outre des dispositions relatives à l'exécution des blocages de valeurs patrimoniales, notamment en ce qui concerne la durée des mesures de blocage, l'obligation de communiquer et de renseigner ainsi que les principes applicables à l'administration des valeurs patrimoniales bloquées. Cette section prévoit également la possibilité d'une solution transactionnelle en vue de la restitution des valeurs patrimoniales.

La troisième section présente les mesures par lesquelles la Suisse peut soutenir l'Etat d'origine dans ses efforts pour obtenir la restitution des valeurs patrimoniales illégales. Il s'agit en grande partie d'une codification de la pratique développée ces dernières années. La section est complétée par une disposition qui permettra dorénavant aux autorités suisses de communiquer à l'Etat d'origine, sur la base des conditions fixées par la législation anti-blanchiment à des conditions strictement déterminées et dans des cas particuliers le justifiant, des informations sur les valeurs patrimoniales bloquées. Ces informations pourront être utilisées par l'Etat d'origine exclusivement dans le but de déposer ou de compléter une demande d'entraide judiciaire auprès de la Suisse.

Les sections
quatre et cinq fixent les modalités de la confiscation administrative de valeurs patrimoniales dans le cadre d'une procédure judiciaire en Suisse et définissent les principes selon lesquels les valeurs patrimoniales bloquées ou confisquées 5145

peuvent être restituées à l'Etat d'origine. Il s'agit essentiellement ici de la reprise des dispositions matérielles de la LRAI dans la nouvelle loi.

La section six est consacrée aux dispositions relatives à la protection juridique. Les sections sept à huit comportent des articles sur l'entraide entre autorités suisses, le traitement des données personnelles et les dispositions pénales. La section neuf énonce les dispositions finales.

2.2

Coordination avec d'autres projets législatifs

Le projet de loi ci-joint énonce en son art. 2 une définition de la notion de «personnes politiquement exposées à l'étranger» et de la notion de «proches». Sauf précision contraire, l'abréviation PPE utilisée dans le présent message vise donc les «personnes politiquement exposées à l'étranger». Pour les raisons expliquées ciaprès (cf. les commentaires relatifs à l'art. 2), il a été décidé d'aligner ces définitions sur celles qui sont énoncées, de lege ferenda, dans le projet de loi fédérale sur la mise en oeuvre des recommandations du GAFI révisées en 2012. Ce projet de loi, que le Conseil fédéral a adopté en date du 13 décembre 201331, comprend un nouvel art. 2a dans la LBA contenant une définition des notions de «personnes politiquement exposées» et de «proches de personnes politiquement exposées». Il est donc important d'assurer une parfaite coordination entre ces deux objets législatifs lors de leur traitement par l'Assemblée fédérale pour garantir que ces notions aient une portée identique, ce qui facilitera grandement l'application de la présente loi dans la pratique.

2.3

Commentaire détaillé des dispositions de la loi

2.3.1

Section 1 Dispositions générales

Art. 1

Objet

Cet article énonce de manière déclaratoire le but et le champ d'application du projet de loi. La nouvelle loi doit déterminer les conditions auxquelles la Confédération peut prendre des mesures en vue de sauvegarder les avoirs de potentats et de leurs proches déposés en Suisse et de faciliter leur restitution à l'Etat d'origine. Il s'agit en l'occurrence de valeurs patrimoniales de PPE ou de personnes proches de celles-ci, dont on peut supposer qu'elles ont été acquises par des actes de corruption, de gestion déloyale ou par d'autres crimes. La liste n'est volontairement pas exhaustive. La loi et les mesures qu'elle contient visent donc uniquement les valeurs patrimoniales de PPE dont on soupçonne qu'elles ont été acquises par des crimes. Ceci correspond à la pratique suivie jusqu'ici par la Confédération et est exprimé à l'art. 1. Conformément au droit suisse, constituent des crimes les infractions passibles d'une peine privative de liberté de plus trois 3 ans (art. 10, al. 2, CP). Les articles suivants prévoient expressément, sous la forme de dispositions potestatives («Kann-Bestimmungen»), qu'il revient à la Confédération de déterminer, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, si elle souhaite agir et, si oui, dans quelle mesure. La Confé31

FF 2014 585

5146

dération décide au cas par cas quelle action est la plus appropriée pour sauvegarder les intérêts de la Suisse. Il s'agit ici d'une part de préserver la réputation de la place financière suisse et les relations bilatérales avec d'autres pays, notamment les Etats d'origine d'avoirs de potentats. Cependant, la sauvegarde des intérêts helvétiques au sens du projet ci-joint implique d'autre part également un engagement en faveur de certaines valeurs et de certains objectifs inscrits dans la Cst., tels que la lutte contre la misère et la pauvreté dans le monde. Des études et analyses menées au plan international montrent que la corruption de PPE et les flux illicites de capitaux qui y sont liés constituent un obstacle considérable à un développement économique durable de nombreux pays émergents et en développement. Fondamentalement, la Suisse a tout intérêt à ce que les personnes au pouvoir respectent l'état de droit et soient tenues responsables de leurs actes sur la base des principes de l'Etat de droit.

Suite à plusieurs demandes présentées lors de la procédure de consultation, l'art. 1 a été légèrement reformulé. Il met désormais mieux en évidence le fait que l'origine illicite des valeurs patrimoniales n'est pas liée à la reconnaissance préalable d'une culpabilité de la PPE qui les détient. En d'autres termes, l'application de la présente loi ne présuppose aucunement l'existence d'une condamnation pénale du potentat concerné ou de ses proches. Elle ne présuppose pas non plus la production de preuves puisque le soupçon que les valeurs patrimoniales proviennent d'un crime suffit.

Art. 2

Définitions

L'article donne la définition légale des personnes susceptibles d'être visées par le blocage, la confiscation ou la restitution de valeurs patrimoniales au sens de la présente loi. Il s'agit de PPE à l'étranger et de leurs proches.

Aux termes de la let. a, les «personnes politiquement exposées à l'étranger» sont des personnes qui sont ou ont été chargées de fonctions publiques dirigeantes à l'étranger. Il s'agit toujours de personnes physiques. Leurs possibles fonctions sont indiquées à titre d'exemple. Même après avoir quitté leurs fonctions publiques, ces personnes demeurent considérées comme politiquement exposées. Cette conception est du reste conforme aux recommandations de la Banque mondiale32. Le projet renonce en revanche à prévoir une limite de temps quant à la qualité de PPE car cela créerait des difficultés d'application dans la pratique et introduirait une différence importante d'avec la notion de PPE utilisée dans les recommandations révisées du GAFI (cf. les explications ci-après sur projet de loi sur la mise en oeuvre des recommandations du GAFI révisées en 2012 pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme).

La notion de «proches» est définie à la let. b. Il s'agit de personnes physiques qui, de manière reconnaissable, sont proches des personnes au sens de la let. a pour des raisons familiales ou personnelles ou pour des raisons d'affaires. Il est nécessaire de prendre en compte aussi cette catégorie de personnes car cela permet de couvrir les transferts de valeurs patrimoniales effectués au sein de la famille proche et élargie et

32

Politically Exposed Persons, A Policy Paper on Strengthening Preventive Measures, Th.S. Greenberg, L. Gray, D. Schantz, M. Latham, C. Gardner, The World Bank, StAR, UNODC, 2009, pp. 31 et 32.

5147

du réseau professionnel d'une PPE33. Dans la pratique, ce genre de configuration est très répandu.

Par souci d'unité des termes employés dans l'ordre juridique suisse, les deux définitions correspondent désormais au projet de loi sur la mise en oeuvre des recommandations du Groupe d'action financière (GAFI), révisées en 2012, pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Le Conseil fédéral a adopté le message correspondant le 13 décembre 201334 et l'a transmis au Parlement. Cette loi introduira dans la LBA un nouvel art. 2a contenant une définition des PPE à l'étranger (art. 2a, al. 1, let. a), une définition des PPE en Suisse (art. 2a, al. 1, let. b), ainsi qu'une définition des PPE au sein d'organisations intergouvernementales (art. 2a, al. 1, let. c). Compte tenu du champ d'application du projet de loi ci-joint, seules sont évidemment visées les PPE à l'étranger au sens de la terminologie du nouvel art. 2a LBA. Ne sont donc pas visées par le projet ci-joint les PPE en Suisse, pas plus qu'au sein d'organisations intergouvernementales. Le Conseil fédéral a délibérément renoncé à reprendre les définitions actuellement énoncées dans la législation anti-blanchiment (art. 2, al. 1, let. a, de l'ordonnance du 8 décembre 2010 de la FINMA sur le blanchiment d'argent [OBA-FINMA]35) afin de prendre en compte les travaux législatifs en cours relatifs à la mise en oeuvre des standards révisés du GAFI.

Pour des motifs analogues et malgré les nombreuses demandes émises lors de la procédure de consultation, les personnes morales n'ont pas non plus été incluses dans la notion de «proches». La définition des proches de PPE formulée à l'art. 2, let. b, du projet de loi se limite donc aux personnes physiques, s'écartant en cela aussi bien de l'art. 2, al. 1, let. a, ch. 2, OBA-FINMA que de l'art. 2, let. b, ch. 2, LRAI. Là aussi, c'est un souci d'unification de la terminologie qui a prévalu, en tenant compte d'autres travaux législatifs menés en parallèle. S'il est vrai que rien n'empêcherait en principe la Suisse de prévoir des standards plus élevés en continuant à englober les personnes morales dans la notion de proches, cela aurait comme désavantage principal d'éloigner notre pays de la terminologie utilisée par le GAFI.

Le renforcement des règles de transparence à l'égard des
personnes morales introduit par la nouvelle loi sur la mise en oeuvre des recommandations révisées du GAFI, en particulier concernant l'identification de l'ayant droit économique, permettra dans une large mesure de remédier à la suppression des personnes morales de la notion de proches. L'expérience montre effectivement que les PPE ou les personnes physiques qui leur sont proches exercent parfois le contrôle sur des valeurs patrimoniales qui, formellement, sont toutefois la propriété d'une personne morale.

Le recours à des personnes morales et à des artifices pour dissimuler le véritable pouvoir de disposition sur des valeurs patrimoniales suspectes est un phénomène qui fait l'objet d'une attention croissante au niveau international36. En conséquence, il est nécessaire d'inclure ce type de valeurs patrimoniales dans le champ d'application de la présente loi, sans quoi l'objectif du projet de loi serait compromis (cf. à ce 33

34 35 36

Cf. aussi les explications apportées dans le message du 28 avril 2010 relatif à la loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées, FF 2010 2995.

FF 2014 585 RS 955.033.0 Cf. notamment l'étude de la Banque mondiale «The Puppet Masters ­ How the Corrupt Use Legal Structures to Hide Stolen Assets and What to do about it», issuu.com/world.bank.publications/docs/9780821388945?mode=embed&layout= skin.issuu.com/v/light/layout.xml&showFlipBtn=true

5148

propos les explications relatives à l'art. 3 de la loi). Le projet de loi a donc été complété en ce sens à différents endroits (cf. art. 3, al. 1, let. c, et 4, al. 1, let. c). Ces compléments concernent le critère de l'ayant droit économique et précisent que certaines dispositions de la présente loi s'appliquent aussi aux valeurs patrimoniales appartenant à des personnes morales.

La question du traitement des fonds souverains s'est posée à l'occasion des travaux législatifs. Ce terme désigne les fonds d'investissement détenus ou contrôlés par un Etat, qui apparaissent de plus en plus comme investisseurs directs actifs à l'étranger37. Les fonds souverains comportent des risques spécifiques dont le Conseil fédéral a commencé à observer attentivement les développements dès janvier 200838. Le principe veut que l'accès du marché suisse aux capitaux étrangers reste libre; une autorisation préalable a été refusée jusque-là pour les activités de placement de fonds souverains étrangers en Suisse. La problématique du blocage de fonds souverains est fondamentalement différente de celle des potentats eux-mêmes. Si dans le cas d'une personne, la situation doit être clarifiée par la voie de l'entraide judiciaire, il n'est pas nécessaire d'établir l'origine des capitaux d'un fonds souverain par cette même voie. Les fonds souverains sont la propriété d'un Etat et non d'individus. Un changement de gouvernement ne change rien aux rapports de propriété; le pouvoir de disposer des valeurs patrimoniales est simplement transféré au nouveau gouvernement.

Un fonds souverain ne fait que rarement l'objet d'une enquête pénale et d'une demande d'entraide judiciaire correspondante. Les enquêtes éventuelles peuvent porter sur des éléments du patrimoine d'un fonds souverain que la PPE a soustraits et qu'elle s'est appropriés de manière illicite. Mais d'autres cas de figure sont aussi envisageables. Le blocage d'un fonds souverain peut se révéler nécessaire à titre conservatoire, lorsqu'on ne sait pas avec certitude si les membres du gouvernement déchu ont conservé le pouvoir de disposer des valeurs patrimoniales du fonds. Dans le cas de la Libye, on s'est ainsi aperçu après le renversement de Kadhafi qu'il n'était pas exclu que ce dernier ait encore personnellement accès aux valeurs patrimoniales du fonds souverain. C'est
pourquoi le Conseil fédéral doit avoir la possibilité, dans des cas exceptionnels, d'ordonner aussi des mesures de blocage à l'encontre d'un fonds souverain. Les dispositions relatives aux valeurs patrimoniales de personnes morales garantissent cette possibilité. Un fonds souverain doit pouvoir rester bloqué jusqu'à ce qu'il soit assuré que seul le nouveau gouvernement a accès aux valeurs patrimoniales.

Le projet de loi prévoit que la libération de valeurs patrimoniales bloquées peut être autorisée (art. 9) si la sauvegarde des intérêts importants de la Suisse l'exige. Ainsi, il est possible de débloquer d'éventuels fonds souverains bloqués lorsque les conditions requises sont réunies. Cela peut être le cas par exemple lorsque le blocage d'un fonds souverain menace la survie même d'un nouveau gouvernement. Ce genre de situation irait à l'encontre des intérêts de la Suisse. Mais on peut aussi imaginer des cas où l'évolution de la situation depuis que le blocage a été ordonné exclut désormais tout accès des anciens membres du gouvernement à ces fonds. Dans ce cas, 37

38

Le Fonds monétaire international définit ainsi les fonds souverains (sovereign wealth funds ­ SWF): «special investment funds created or owned by governments to hold foreign assets for long-term purposes» (cf. annexe 1.2. Sovereign Wealth Funds, IMF Global Financial Stability Report, septembre 2007).

Cf. communiqué de presse du SECO du 30.1.2008: Observation active des fonds souverains, www.news.admin.ch/message/index.html?lang=fr&msg-id=17035.

5149

l'art. 5, al. 2, peut s'appliquer puisque les conditions justifiant le blocage ne sont plus réunies.

L'art. 2, let. c, énonce une définition qui ne figurait pas dans l'avant-projet. Lors de la procédure de consultation, de nombreux participants ont en effet souligné que le projet contenait un grand nombre de notions juridiques indéterminées, lesquelles laissaient une discrétion trop importante aux autorités chargées de l'application de la loi. Différentes suggestions ont ainsi été faites, parmi les différents milieux consultés, pour encadrer davantage le pouvoir d'appréciation du Conseil fédéral et du DFAE, notamment par la formulation de définitions supplémentaires dans la loi ellemême. C'est la raison pour laquelle le projet définit désormais les notions de «valeurs patrimoniales» (art. 2, let. c) et d'«accroissement exorbitant du patrimoine» (art. 15, al. 2) et qu'il précise expressément que des valeurs patrimoniales de personnes morales peuvent faire l'objet d'un blocage (art. 3, al. 1, let. c, et 4, al. 1, let. c). Le Conseil fédéral a ainsi pris en compte ces préoccupations exprimées en consultation, tout en se ménageant une certaine liberté d'appréciation indispensable pour la prise en compte les intérêts du pays dans chaque cas de blocage et de confiscation.

L'art. 2, let. c, définit le terme de valeurs patrimoniales comme étant les biens de quelque nature que ce soit, matériels ou immatériels, mobiliers ou immobiliers.

L'avant-projet soumis à consultation renonçait sciemment à une définition des valeurs patrimoniales. La LRAI ne prévoit pas non plus de définition de cette notion.

Suite aux prises de positions émises lors de la consultation, il a néanmoins été décidé d'en introduire une définition, ce qui renforce la sécurité du droit.

En vertu du CP, notamment de ses art. 70 et 72, la notion de «valeurs patrimoniales» recouvre tous les avantages économiques qui peuvent faire l'objet d'une confiscation. Aux termes du projet de loi ci-joint, la notion de «valeurs patrimoniales» recouvre tous les biens situés en Suisse, soit tant les objets matériels que les biens immatériels tels qu'un compte en banque, sur lesquels la PPE ou les personnes qui lui sont proches exercent un pouvoir de disposition.

L'art. 2 des ordonnances de blocage du Conseil fédéral instituant des mesures à l'encontre
de certaines personnes originaires de la République arabe d'Egypte39 (ci-après: O-Egypte), de la Tunisie40 (ci-après: O-Tunisie) et de l'Ukraine41 (ci-après: O-Ukraine) dresse une liste de ce qu'il faut entendre par «avoirs» et «ressources économiques»: tous les actifs financiers, y compris le numéraire, les chèques, les créances monétaires, les lettres de change, les mandats ou autres moyens de paiement, les dépôts, les créances et reconnaissances de dette, les titres et titres de dette, les certificats de titres, les obligations, les titres de créances, les options, les lettres de gage, les dérivés; les recettes d'intérêts, les dividendes ou autres revenus ou plus-values engendrés par des biens en capital; les crédits, les droits à des compensations, les cautions, les garanties d'exécution de contrats ou autres engagements financiers; les accréditifs, les connaissements, les contrats d'assurance, les documents de titrisation de parts à des fonds ou à d'autres ressources financières et tout autre instrument de financement des exportations; les valeurs de quelque nature que ce soit, corporelles ou incorporelles, mobilières ou immobilières, en particulier les immeubles et les biens de luxe. L'ensemble de ces éléments constitue une liste, non 39 40 41

RS 946.231.132.1 RS 946.231.175.8 RS 946.231.176.7

5150

exhaustive, de ce que recouvre la notion de «valeurs patrimoniales» au sens du projet de loi ci-joint.

2.3.2

Section 2 Blocage de valeurs patrimoniales

Le projet de loi prévoit deux types de blocage, qui interviennent habituellement à des stades différents d'un cas d'avoirs de potentats. Ils poursuivent en outre des objectifs distincts. Pour cette raison, les conditions à remplir pour pouvoir ordonner un blocage diffèrent elles aussi.

Un blocage de valeurs patrimoniales visant à favoriser une éventuelle coopération dans le cadre de l'entraide judiciaire au sens de l'art. 3 s'effectue en général au tout début, c'est-à-dire après un renversement politique dans l'Etat d'origine ou lorsqu'un tel renversement est imminent. L'objectif de ce type de blocage est de mettre immédiatement les valeurs patrimoniales en sécurité pour éviter qu'elles ne soient retirées de Suisse. Un tel blocage provisionnel était jusqu'ici fondé sur l'art. 184, al. 3, Cst.

Le Conseil fédéral peut ordonner un blocage d'avoirs selon l'art. 4 après l'échec de l'entraide judiciaire dû à une situation de défaillance de l'Etat d'origine. Ce type de blocage s'effectue en vue de permettre la confiscation ultérieure de valeurs patrimoniales acquises de manière illicite, dans le cadre d'une procédure de justice administrative en Suisse, pour qu'elles puissent être restituées à l'Etat d'origine. Une base légale y relative a déjà été créée en 2011 avec l'adoption de la LRAI. Les dispositions matérielles de la LRAI sont très largement reprises dans la présente loi. Parallèlement, il est prévu à l'art. 4 d'étendre, dans un cadre clairement déterminé, les possibilités déjà existantes pour bloquer et confisquer les valeurs patrimoniales en question.

Art. 3

Blocage en vue de l'entraide judiciaire

Cet article règle le blocage administratif de valeurs patrimoniales lorsqu'un renversement politique est imminent ou vient de se produire, dans le but énoncé à l'al. 1 de soutenir une éventuelle coopération avec l'Etat d'origine dans le cadre de l'entraide judiciaire. Il s'agit là d'une mesure préventive destinée à faciliter la mise en place de relations d'entraide judiciaire entre la Suisse et l'Etat d'origine. Ce type de blocage vise normalement un très grand cercle de personnes (l'ensemble des intermédiaires financiers, institutions et autres personnes physiques ou morales qui détiennent des valeurs patrimoniales de personnes visées par le blocage; cf. à cet égard les commentaires relatifs à l'art. 7, al. 1) ou un nombre indéterminé de valeurs patrimoniales. C'est pourquoi ce type de blocage est en général adopté sous la forme d'une ordonnance. Une liste nominative annexée à l'ordonnance énumère les PPE dont les valeurs patrimoniales sont visées par le blocage (cf. art. 5).

Le Conseil fédéral a déjà ordonné à plusieurs reprises par le passé le blocage provisionnel de valeurs patrimoniales (c'est-à-dire le blocage à des fins conservatoires); la dernière fois remonte à la destitution du président de l'Ukraine au cours du mois de février 2014. Auparavant, soit au début de l'année 2011, des blocages provisionnels avaient été ordonnés par le Conseil fédéral suite aux événements du Printemps arabe à l'égard des valeurs patrimoniales de Ben Ali (Tunisie) et de Moubarak 5151

(Egypte). Le blocage rapide de valeurs patrimoniales d'origine douteuse empêche que celles-ci ne soient retirées de Suisse. Cette mesure donne à l'Etat d'origine le temps nécessaire pour pouvoir ouvrir des enquêtes pénales et adresser des demandes d'entraide judiciaire à la Suisse. En général, l'accusation de corruption ou d'autres crimes est au centre des enquêtes ouvertes dans l'Etat d'origine.

C'est au Conseil fédéral qu'il appartient d'ordonner un blocage au sens de l'art. 3.

Cette disposition potestative tient compte du fait qu'une telle décision doit toujours être prise en considérant le contexte global de la sauvegarde des intérêts de la Suisse en matière de politique étrangère. La pratique existante montre que le Conseil fédéral n'a ordonné des blocages d'avoirs à titre conservatoire qu'à l'occasion de bouleversements politiques majeurs dans l'Etat d'origine (destitution de Ferdinand Marcos/Philippines en 1986 ainsi que Tunisie, Egypte, Libye et Côte d'Ivoire au début 2011, destitution du président Ianoukovitch en Ukraine en 2014). Cette pratique restrictive est reprise et pourra être poursuivie sur la base des nouvelles dispositions légales. Il faut aussi tenir compte de la conjoncture propre à l'Etat d'origine.

Dans son appréciation, le Conseil fédéral doit parvenir à la conclusion que la coopération en matière d'entraide judiciaire a des chances d'aboutir et qu'il existe une volonté politique en ce sens dans l'Etat d'origine. Cela ne sera en général pas le cas lorsque le régime en placetient solidement le pouvoir: aucune demande d'entraide judiciaire n'est susceptible d'être transmise à la Suisse dans une telle situation et il serait, par conséquent, vain de bloquer à titre préventif les avoirs d'un tel régime (cf.

les commentaires relatifs à l'al. 2 ci-dessous).

Le Conseil fédéral tient compte des circonstances propres à une situation de transition postrévolutionnaire, qui peuvent affecter le fonctionnement de la justice et des institutions étatiques en général. Le blocage peut concerner, outre les valeurs patrimoniales de personnes physiques, aussi celles de personnes morales et nécessite que certaines conditions soient remplies. Celles-ci sont désormais formulées explicitement dans la loi, ce qui renforce la sécurité du droit et accroît la prévisibilité de la politique du Conseil
fédéral. Malgré certaines demandes formulées lors de la procédure de consultation, la formulation potestative («Kann-Bestimmung»), qui laisse au Conseil fédéral une grande marge d'appréciation pour décider ou non d'ordonner le blocage provisionnel, a été maintenue: ainsi, le fait que les conditions posées à l'art. 3 soit toutes remplies n'oblige pas le Conseil fédéral à bloquer les valeurs patrimoniales. Une modification a cependant été introduite à l'al. 1 avant l'énoncé proprement dit des conditions: l'adjectif «éventuelle» a été ajouté pour mieux mettre en évidence le fait que la simple possibilité d'une coopération future dans le cadre de l'entraide judiciaire suffit: il n'est donc pas nécessaire, à ce stade, qu'une telle coopération soit tenue pour quasi-certaine ou même pour certaine.

L'al. 1 indique que le blocage ne peut porter que sur des valeurs patrimoniales sur lesquelles des PPE ou leurs proches exercent un pouvoir de disposition (let. a), ainsi que sur les valeurs patrimoniales dont elles sont les ayants droit (let. b); le blocage peut en outre porter sur des valeurs patrimoniales qui appartiennent à une personne morale, pour autant que les PPE ou leurs proches exercent un pouvoir de disposition sur ces valeurs ou qu'elles en soient les ayants droit économiques (let. c, ch. 1 et 2).

La notion de pouvoir de disposition se base sur la même définition que celle déjà contenue dans la LRAI. En conséquence, le «pouvoir de disposition» a la même signification que dans les dispositions du CP sur la confiscation de valeurs patrimoniales d'une organisation criminelle; il est également étroitement lié à la notion de «maîtrise effective», soit la volonté de posséder une chose en fonction des possi5152

bilités effectives données42. Cette notion s'applique par exemple à l'ayant droit économique au sens de la LBA qui, sous une forme ou une autre (par le biais d'une procuration, d'un trust ou d'un homme de paille par exemple), a accès à un compte bancaire dont il n'est pas le titulaire, et ce même s'il n'exerce son pouvoir de disposition que de manière indirecte. Dans cette perspective, la notion de pouvoir de disposition s'entend au sens large; toutes les relations possibles d'une personne, y compris d'une personne morale, avec les valeurs patrimoniales visées sont couvertes.

Les hypothèses visées à l'al. 1 (let. a à c) sont toutes trois importantes en pratique et prennent en compte la complexité résultant du recours fréquent à différentes sociétés de domicile et à des montages opaques effectués par les PPE. Un blocage des avoirs en Suisse d'une société enregistrée à l'étranger peut par exemple se justifier si l'actionnaire majoritaire figure nommément dans la liste adoptée par le Conseil fédéral, voire si une personne n'est qu'un actionnaire minoritaire mais qu'elle est en mesure de contrôler dans les faits la société au vu de la structure de l'actionnariat, notamment si d'autres actionnaires sont des proches. D'autres structures que celles connues en droit suisse, par exemple les trusts, sont aussi concernées si une personne figurant dans la liste est bénéficiaire des avoirs de ces structures, pour autant bien entendu que ces avoirs soient déposés en Suisse. Quant aux proches, on peut résumer la situation ainsi: soit ils figurent eux-mêmes dans la liste adoptée par le Conseil fédéral et, dans ce cas, on appliquera les mêmes critères pour déterminer si leurs valeurs patrimoniales tombent sous le coup du blocage; soit ils ne figurent pas dans la liste adoptée par le Conseil fédéral, auquel cas il faudra examiner les circonstances du cas concret pour déterminer si les valeurs patrimoniales qui sont formellement les leurs peuvent être considérées comme contrôlées par la PPE. En l'absence d'indices spécifiques allant dans le sens contraire, on ne saurait par exemple retenir que les avoirs du conjoint d'une PPE sont automatiquement sous le contrôle de la PPE; en revanche, on peut partir de l'idée qu'une PPE est en mesure d'exercer un pouvoir de disposition sur les avoirs de ses enfants mineurs,
partant que de tels avoirs tombent sous le coup d'un blocage.

Aux termes de l'art. 3, al. 2, les conditions cumulatives suivantes doivent être réunies pour permettre un blocage à titre conservatoire: En vertu de la let. a, le gouvernement ou certains membres du gouvernement de l'Etat d'origine doivent avoir perdu ou être en passe de perdre le pouvoir. Le facteur temps joue un rôle capital pour empêcher que des valeurs patrimoniales ne soient retirées de la place financière suisse. Conformément à la pratique qu'il a suivie jusqu'ici, le Conseil fédéral devra dans le futur également être en mesure de réagir rapidement à de tels événements. Cette réaction intervient normalement une fois que le gouvernement a perdu le pouvoir. Cependant, le projet de loi prévoit expressément qu'un blocage peut aussi être ordonné quand un gouvernement est sur le point de perdre le pouvoir. Cela permet de couvrir les situations confuses où, pendant quelques jours tout au plus, le nouveau pouvoir n'a pas encore formellement pris ses attributions alors que les membres du gouvernement sortant paraissent très difficilement en mesure de continuer à exercer le pouvoir. Une telle incertitude ne doit pas conduire à empêcher le prononcé d'un éventuel blocage préventif par le Conseil fédéral car il peut être crucial d'agir pendant une telle période.

42

Voir notamment l'art. 72 CP et le message y afférent, FF 1993 III 269 309.

5153

La perte de pouvoir implique en général la chute d'un gouvernement par un processus non constitutionnel. On sait d'expérience que dans les Etats autocratiques, une procédure pénale ne sera pas ouverte contre un membre du gouvernement ou contre des personnes qui lui sont proches tant que celui-ci est encore au pouvoir. Dans ces conditions, il est également peu probable qu'une demande d'entraide judiciaire soit adressée à la Suisse. Tant que des PPE exercent une fonction officielle, elles bénéficient souvent d'une immunité liée à cette fonction. Dans la mesure où il s'agit d'une immunité découlant du droit international, la décision de bloquer des avoirs se heurterait aux limites du droit non seulement dans l'Etat d'origine mais aussi en Suisse. Raison pour laquelle il est pertinent d'ordonner un blocage au plus tôt lorsqu'un changement de pouvoir est irrémédiable. Le Conseil fédéral doit pouvoir prendre en compte le contexte propre à chaque cas concret de façon suffisante. Bien qu'un certain nombre de participants à la procédure de consultation aient souhaité que le blocage provisionnel puisse s'étendre à des situations où un changement de pouvoir n'est pas imminent, le projet n'inclut pas une telle extension: cela irait clairement au-delà de la pratique actuelle et causerait des difficultés juridiques et politiques importantes.

En vertu de la let. b, le degré de corruption dans l'Etat d'origine doit être notoirement élevé. Cette notion apparaît en effet à l'art. 15, al. 1, let. b, où elle constitue un critère permettant de présumer de l'origine illicite des valeurs patrimoniales.

La let. c postule qu'on puisse supposer que les valeurs patrimoniales aient été acquises par des actes de corruption, de gestion déloyale ou d'autres crimes. Suite à la procédure de consultation, l'art. 3, al. 2, let. c, a été légèrement reformulé sur le modèle de l'art. 1. Il met ainsi plus clairement en évidence le fait que l'origine illicite des valeurs patrimoniales n'est pas liée à la reconnaissance préalable d'une culpabilité de la PPE qui les détient. Conformément au but conservatoire du blocage, la culpabilité effective de la personne concernée et l'origine illicite des valeurs patrimoniales qui lui sont liées n'ont pas à être établies juridiquement pour que les premières mesures provisionnelles au sens de la
présente loi puissent être prises par le biais d'un blocage. En ce qui concerne les infractions pénales potentielles, il peut s'agir de cas de corruption, active ou passive, mais aussi d'autres crimes, comme dans le cas Abacha (Nigeria).

Selon la let. d, il faut que la sauvegarde des intérêts de la Suisse exige le blocage des valeurs. C'est généralement l'intérêt à préserver les relations bilatérales avec le pays concerné ou à défendre la réputation de la Suisse qui sera déterminant. La formulation «la sauvegarde des intérêts de la Suisse (l')exige» peut certes paraître très contraignante, mais elle est reprise textuellement de l'art. 184, al. 3, Cst. et exprime parfaitement la pratique restrictive suivie jusqu'ici par le Conseil fédéral. Dans des cas particuliers, il est toutefois possible que des considérations politiques ne parlent pas en faveur d'un blocage. L'élément déterminant repose dans le contexte global des intérêts de politique étrangère, des droits de l'homme, de l'économie et des autres intérêts de la Suisse. Différentes propositions émanant d'ONG et visant toutes à limiter la possibilité pour le Conseil fédéral d'invoquer les intérêts de la Suisse pour ne pas ordonner le blocage provisionnel ont été faites lors de la procédure de consultation. Le Conseil fédéral n'y a cependant pas donné suite car elles favoriseraient un certain automatisme dans le prononcé des blocages, ce qui n'est pas souhaitable pour les raisons expliquées plus haut dans le cadre de cet article.

L'al. 3 aborde la question de la concertation et de la coordination internationales du blocage d'avoirs à des fins conservatoires. La décision d'ordonner un tel blocage et 5154

les modalités de sa mise en oeuvre doivent en principe systématiquement faire l'objet d'une coordination avec les principales places financières d'importance comparable à la Suisse. Comme l'expérience le montre, les valeurs patrimoniales des PPE soupçonnées de corruption ou d'autres délits ne sont la plupart du temps pas investies sur une seule place financière. C'est plutôt un réseau complexe d'ampleur internationale, constitué de structures de placement, de trusts, de sociétés écrans, etc., relevant de plusieurs juridictions, qui est mis en place. Dans ce contexte, un blocage provisionnel de valeurs patrimoniales limité à chaque Etat atteindra difficilement son objectif.

Le Conseil fédéral s'efforce en outre de favoriser la mise en place d'un «level playing field» international. Il souhaite ainsi assurer la sauvegarde de la compétitivité internationale de la place financière suisse, notamment en ce qui concerne la gestion de fortune et la place d'investissement helvétique. Le Conseil fédéral tient par conséquent à éviter que la Suisse fasse cavalier seul et agisse isolément par rapport aux Etats partenaires. Néanmoins, si ses intérêts l'exigent, la Suisse doit pouvoir agir au cas par cas, après avoir procédé à une analyse globale de la situation, indépendamment des autres Etats et, le cas échéant, plus tôt qu'eux.

Le Conseil fédéral a tenu compte de ces éléments dans la pratique qu'il a suivie jusqu'ici, notamment à l'occasion de la destitution du président en Ukraine et suite aux événements du Printemps arabe. Certes, en ordonnant le blocage des avoirs des présidents déchus Ben Ali (Tunisie), Moubarak (Egypte) et Kadhafi (Libye), la Suisse est le pays qui a réagi le plus rapidement aux bouleversements historiques qui se sont produits en Afrique du Nord. Cependant, le Conseil fédéral s'est assuré que la Suisse n'agissait pas de façon isolée. Avant d'ordonner les blocages, il s'est renseigné auprès d'autres Etats ou groupes d'Etats, comme l'UE. Ceux-ci lui ont du reste emboîté le pas quelques jours plus tard en ordonnant eux aussi des blocages de fonds. Dans le cadre du blocage des avoirs ukrainiens, la coordination a été particulièrement étroite avec l'Autriche et le Liechtenstein. Cela se justifiait car il s'agissait de deux places financières potentiellement autant exposées, dans ce cas-ci,
que la place financière helvétique. Les listes suisse, autrichienne et liechtensteinoise ont ainsi été immédiatement harmonisées entre elles suite à des contacts directs avec Vienne et Vaduz. Dès que la liste des blocages d'avoirs de l'UE a été établie quelques jours plus tard, la Suisse a alors complété sa propre liste, assurant ainsi une coordination maximale d'un point de vue matériel avec ses principaux partenaires.

Il est judicieux de renforcer la coordination internationale concernant les blocages à titre conservatoire car celle-ci accroît l'efficacité des mesures et rend plus difficiles les transferts potentiels de capitaux vers d'autres places financières de même ordre.

Le Conseil fédéral entend s'engager en ce sens au niveau international. L'élaboration de standards internationaux relatifs à une coordination préalable des blocages de valeurs patrimoniales prendra néanmoins un certain temps; personne ne peut encore dire si et quand ces standards seront adoptés.

Dans le cadre de la procédure de consultation, de nombreuses critiques ont été émises par les représentants des milieux économiques et bancaires, qui ont souligné l'impérieuse nécessité, pour la Suisse, de ne pas agir seule dans ce domaine pour des raisons d'efficacité et de compétitivité. Afin de répondre à ces critiques, l'obligation de concertation et de coordination prévue à l'al. 3 a été renforcée: le Conseil fédéral devra également se renseigner sur la position des principales organisations internationales (agences de l'ONU, UE, etc.) avant d'ordonner un blocage. En revanche, pour mieux tenir compte de certaines situations d'urgence provoquant une impos5155

sibilité matérielle de se concerter avant le prononcé d'un blocage, une clause permettant d'y renoncer lorsqu'il y a «péril en la demeure» a été introduite. Ce critère, très restrictif, permettrait par exemple au Conseil fédéral d'ordonner un blocage immédiat de comptes bancaires d'une PPE même en l'absence de concertation et de coordination préalables en présence d'informations indiquant qu'un retrait d'actifs déposés en Suisse est imminent. Le terme «principaux Etats partenaires» englobe, outre les principaux pays voisins comme l'Allemagne ou la France, d'autres pays de l'UE et des pays dotés de places financières importantes ou comparables, comme le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Le Conseil fédéral demeure particulièrement attentif à la nécessité d'agir de concert avec nos principaux partenaires en matière de blocage d'avoirs de potentats. Il continuera à s'engager pour le renforcement, au niveau international, du «level playing field» entre les places financières. Sa crédibilité s'en trouvera renforcée sur ce plan grâce à l'adoption du projet de loi ci-joint. Dans ce contexte, il est réjouissant que les Etats requérants et requis ayant une certaine expérience pratique dans le domaine de l'Asset Recovery aient été chargés par la Conférence des Etats Parties à la CNUCC d'élaborer des lignes directrices s'inspirant des bonnes pratiques en la matière («best practices») et que la Suisse ait lancé le processus menant à l'élaboration de ces lignes directrices lors du 8e séminaire de Lausanne en janvier 2014 (cf. les commentaires relatifs au ch. 1.1.2 ci-dessus).

Art. 4

Blocage en vue de la confiscation en cas d'échec de l'entraide judiciaire

Le blocage au sens de l'art. 4 se distingue fondamentalement d'un blocage au sens de l'art. 3. Une mesure préventive de blocage au sens de l'art. 3 intervient habituellement au tout début d'une affaire d'avoirs de potentats et a pour objectif de faciliter la mise en place de relations d'entraide judiciaire. L'art. 4 en revanche fixe les conditions auxquelles le Conseil fédéral peut ordonner le blocage de valeurs patrimoniales en vue d'une confiscation ultérieure. Cette approche est seulement adoptée lorsqu'une restitution par la voie de l'entraide judiciaire s'est avérée impossible.

Pour éviter la fuite des fonds suspects lorsque les mesures ordonnées dans le cadre de l'entraide judiciaire menacent d'être abandonnées, il est nécessaire d'ordonner un nouveau blocage par le biais d'une procédure administrative. Une fois cette mesure conservatoire prononcée, une procédure en confiscation est préparée. Les conditions pour engager cette procédure sont déterminées conformément au projet ci-joint. Le blocage au sens de l'art. 4 et la confiscation subséquente (cf. art. 14 à 16) sont donc subsidiaires à l'entraide judiciaire. Un tel blocage sera prononcé sous la forme d'une décision.

L'art. 4 consiste essentiellement en une reprise des dispositions correspondantes de la LRAI. Entrée en vigueur le 1er février 2011, la LRAI visait à compléter l'appareil législatif suisse en matière d'Asset Recovery, et a été créée suite aux expériences faites préalablement avec les fonds bloqués en Suisse, notamment ceux de l'ancien dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier. Dans le cas Duvalier, l'entraide judiciaire menaçait d'échouer définitivement en raison de la situation de défaillance de l'Etat d'origine, Haïti, ce qui aurait signifié que les avoir bloqués auraient dû être libérés, alors même que de forts indices attestaient que cet argent provenait d'actes de corruption et de délits similaires et avait été détourné. Une telle issue à la procédure aurait été très insatisfaisante. En réaction, la Suisse a créé la possibilité, avec la LRAI, de bloquer les avoirs présumés de potentats puis de les confisquer dans le 5156

cadre d'une procédure administrative devant les tribunaux suisses lorsque l'entraide judiciaire n'aboutit à aucun résultat43 en raison de la situation de défaillance de l'Etat d'origine (désigné sous le vocable de «failing state» ou de «failed state», soit en français «Etat défaillant»).

L'art. 4, al. 1, indique que le blocage en vue de la confiscation ne peut porter que sur des valeurs patrimoniales sur lesquelles des PPE ou leurs proches exercent un pouvoir de disposition (let. a), ainsi que sur les valeurs patrimoniales dont ils sont les ayants droit économiques (let. b); le blocage peut en outre porter sur des valeurs patrimoniales qui appartiennent à une personne morale, pour autant que les PPE ou leurs proches exercent un pouvoir de disposition sur ces valeurs ou qu'ils en soient les ayants droit économiques (let. c, ch. 1 et 2). La teneur de cet alinéa étant identique à celle de l'art. 3, al. 1, il peut être renvoyé aux commentaires relatifs à cette dernière disposition.

L'art. 4, al. 2 énonce les conditions justifiant un blocage en vue de la confiscation administrative de valeurs patrimoniales. Les critères formulés correspondent très largement à ceux de l'art. 2 LRAI. La procédure de confiscation est lancée lorsque la coopération en matière d'entraide judiciaire a échoué en raison de la situation de défaillance de l'Etat d'origine. Lors de la procédure de consultation, certains participants ont proposé d'étendre le champ d'application du blocage de l'art. 4, al. 2, pour couvrir également les cas d'absence d'entraide judiciaire au motif qu'en pratique, un Etat devenu défaillant se trouve tout simplement dans l'impossibilité de déposer une requête d'entraide, en tout cas durant une période de transition qui peut s'avérer assez longue. Cette proposition n'a pas été retenue pour deux raisons: en premier lieu, la Suisse ne doit pas se substituer aux autorités d'un Etat souverain et prendre ainsi le risque d'être perçue comme s'arrogeant une compétence universelle en matière pénale; en second lieu, l'expérience pratique démontre plutôt que même des Etats devenus défaillants réussissent à déposer des demandes d'entraide judiciaire, le cas échéant avec le concours d'experts internationaux les aidant à formuler de telles demandes. Ainsi, dans le passé, ce cas de figure s'est présenté dans les
cas Mobutu et Duvalier: la République démocratique du Congo et la République d'Haïti avaient été en mesure de présenter à la Suisse une demande d'entraide suffisante pour bloquer les avoirs placés dans notre pays, après la chute de ces potentats. Ces deux Etats se sont en revanche montrés incapables de rendre par la suite un jugement définitif et exécutoire contre les PPE concernées, condition nécessaire pour récupérer les avoirs par voie d'entraide.

Conformément à l'al. 2, les conditions cumulatives suivantes doivent dès lors être remplies pour qu'un blocage au sens de l'art. 4 puisse être ordonné: En vertu de la let. a, les valeurs patrimoniales doivent au préalable avoir fait l'objet d'une mesure provisoire de saisie dans le cadre d'une procédure d'entraide judiciaire internationale en matière pénale ouverte à la demande de l'Etat d'origine. La mesure provisoire de saisie dont il est question peut être encore en cours, ce qui est le cas normal, mais elle peut très bien déjà avoir pris fin avant le prononcé formel du blocage au sens de l'art. 4. L'essentiel est en effet qu'une saisie ait déjà eu lieu puisque l'ouverture d'une procédure d'entraide judiciaire est la preuve de la disposition et de la volonté de l'Etat d'origine de coopérer. Cette disposition signifie qu'un blocage au sens de l'art. 4 et la confiscation qui s'ensuit sont nécessairement subsi43

Cf. message du 28 avril 2010 relatif à la loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées, FF 2010 2995.

5157

diaires à la procédure d'entraide judiciaire internationale en matière pénale selon l'EIMP ou, cas échéant, selon les obligations bilatérales ou multilatérales en matière d'entraide qui sont applicables.

La let. b pose comme condition supplémentaire que l'Etat d'origine ne soit pas en mesure de répondre aux exigences de la procédure d'entraide judiciaire du fait de sa situation de défaillance. Elle évoque en fait le cas des Etats dits défaillants («failed states»), quand l'Etat requérant n'est pas en mesure de fournir la coopération requise, soit parce qu'il n'en a pas la capacité (comme dans le cas Duvalier44), soit parce qu'il n'en a pas la volonté continue (comme dans le cas Mobutu). Le concept de «situation de défaillance» employé dans cet article s'inspire de l'art. 17, al. 3, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale45. Cette définition se rapporte uniquement à la situation d'un Etat en lien avec une procédure d'entraide judiciaire concrète avec la Suisse. Il ne s'agit pas d'une évaluation politique ou économique globale mais d'une appréciation concrète quant à la procédure en cause. Est examiné le fait de savoir si, dans un cas déterminé, l'Etat requérant a la capacité et la volonté ou non de mener une procédure pénale répondant aux exigences de l'EIMP.

En vertu de la let. c, le blocage des avoirs doit servir à la sauvegarde des intérêts de la Suisse. Le commentaire de l'art. 3, al. 2, let. d, fournit déjà des explications à ce sujet, en particulier quant à la reprise du libellé de l'art. 184, al. 3, Cst. Le Conseil fédéral pourrait par exemple invoquer les dispositions de la let. c, soit l'absence d'un intérêt pour la Suisse, pour refuser d'engager une action lorsqu'il lui semble que l'Etat d'origine a uniquement entamé une procédure d'entraide judiciaire pour des considérations politiques, sans manifester de volonté d'accomplir un véritable travail sur le passé.

Conformément à l'al. 3, il sera désormais possible de bloquer des avoirs en vue d'une confiscation ultérieure même lorsqu'il s'avère que la coopération judiciaire est exclue parce que les standards en matière de respect des droits de l'homme sont insuffisants, c'est-à-dire lorsqu'il existe des raisons de croire que la procédure dans l'Etat d'origine ne respecte pas les principes de procédure déterminants prévus par
l'EIMP. Il s'agit de la principale innovation du projet de loi ci-joint, avec la possibilité de communiquer des informations à l'Etat d'origine (cf. art. 13), par rapport au droit en vigueur et à la pratique actuelle. Lors de la procédure de consultation, cet alinéa a fait l'objet de très nombreuses prises de position. Si certains participants ont critiqué le fait que cette nouveauté permettrait à l'avenir de contourner les exigences de l'EIMP et d'apporter ainsi un soutien à des Etats peu respectueux des droits de l'homme et des garanties essentielles de procédure, la plupart des intervenants, notamment les cantons, ont explicitement salué l'inscription de cette nouvelle disposition dans le projet. Son maintien a même souvent été considéré comme indispensable pour que la nouvelle législation ne demeure pas lettre morte en pratique. Cette innovation a donc été maintenue dans le projet de loi. Cela devrait ouvrir de nouvelles possibilités de restitution en cas d'échec de l'entraide judiciaire, dans le cadre de procédures judiciaires menées en Suisse et pleinement respectueuses aussi bien des droits des parties que des principes de l'Etat de droit.

L'art. 2, let. a, EIMP dispose que la demande de coopération en matière pénale est irrecevable s'il y a lieu d'admettre que la procédure à l'étranger n'est pas conforme 44 45

La situation de défaillance de l'Etat d'Haïti a été reconnue par le Tribunal administratif fédéral (arrêt C-1371/2010 du 23 septembre 2013, consid. 2 et 4).

RS 0.312.1

5158

aux principes de procédure fixés par la CEDH ou par le Pacte II de l'ONU. Cet article a pour but d'éviter que la Suisse soutienne l'accomplissement de procédures pénales qui n'accorderaient pas aux personnes poursuivies les garanties minimales auxquelles elles ont droit. La référence à l'art. 2, let. a, EIMP contenue dans l'al. 3 présente l'avantage de proposer une définition claire et d'étendre d'une manière précisément délimitée les possibilités de confiscation.

L'examen d'un tel motif d'irrecevabilité, au sens de l'art. 2 EIMP, implique un jugement de valeur sur les affaires internes de l'Etat requérant, en particulier sur son régime politique, sur ses institutions, sur sa conception des droits fondamentaux et leur respect effectif, et sur l'indépendance et l'impartialité du pouvoir judiciaire46. Il ne s'agit pas de quelques irrégularités de procédure commises; cela ne constituerait pas un motif suffisant pour déclarer l'entraide judiciaire irrecevable. Dans de tels cas, il appartient aux autorités de l'Etat requérant de corriger les éventuels défauts de procédure et de garantir une procédure équitable aux personnes concernées.

Conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral, les incertitudes qui pèsent sur la situation générale des droits de l'homme ne sauraient pourtant conduire au refus pur et simple de l'entraide judiciaire et peuvent commander d'obtenir des garanties (conditions) quant au respect des principes fixés par la CEDH et par le Pacte II de l'ONU47. Ainsi, l'irrecevabilité de l'entraide judiciaire se justifie uniquement lorsque la procédure pénale engagée dans l'Etat d'origine ne respecte fondamentalement pas les garanties de procédure énoncées dans la CEDH et dans le Pacte II de l'ONU.

Il serait manifestement contraire aux intérêts de la Suisse d'accepter que les efforts engagés pour restituer les fonds soient anéantis parce que l'entraide judiciaire n'est pas possible en raison d'un manque de respect des principes de procédure énoncés dans l'EIMP. Cela signifierait que les personnes qui ont vraisemblablement dérobé les avoirs en question à l'Etat d'origine obtiennent de nouveau le pouvoir d'en disposer. Un tel dénouement réduirait à néant tous les efforts fournis pour sauvegarder l'intégrité et la réputation de la place financière suisse, de même que l'engagement de notre
pays en matière de politique d'aide au développement. Suite aux événements en lien avec le Printemps arabe, le Conseil fédéral estime par conséquent pertinent et nécessaire que la loi autorise dorénavant expressément dans de tels cas le blocage et la confiscation qui s'ensuit.

C'est la raison pour laquelle l'art. 4, al. 3, prévoit expressément une possibilité supplémentaire d'ordonner le blocage de fonds en vue d'une confiscation. Les fonds concernés auront en général déjà fait l'objet d'une mesure préventive de blocage au sens de l'art. 3 afin de faciliter l'entraide judiciaire avec l'Etat d'origine, mais cela n'est pas absolument indispensable. S'il s'avère que la coopération dans le cadre de l'entraide judiciaire est impossible parce que les standards en matière de respect des droits de l'homme dans l'Etat d'origine sont insuffisants, la nouvelle disposition contenue à l'art. 4, al. 3, trouve alors application. En prévoyant une possibilité de blocage spécifique, elle rend possible une restitution des fonds par le biais de la confiscation au sens des art. 14 ss, dès lors que la restitution par la voie de l'entraide judiciaire n'est plus envisageable. Le blocage des fonds au sens de l'art. 4, al. 3, peut intervenir à différents stades. En règle générale, il aura été précédé de longs échanges avec l'Etat d'origine ainsi que d'un examen approfondi de la situation sur place.

On peut aussi envisager des cas dans lesquels, peu après le dépôt d'une demande 46 47

ATF 130 II 217, consid. 8.1 ATF 123 II 161, consid. 6f

5159

déjà, il s'avère évident qu'une coopération en matière d'entraide judiciaire avec l'Etat d'origine n'est pas possible, eu égard aux conditions énoncées à l'art. 2, let. a, EIMP. Dans tous les cas, il est nécessaire que l'Etat d'origine ait déposé une demande d'entraide judiciaire pour que le blocage au sens de l'art. 4, al. 3, puisse être prononcé. Cette condition est ainsi moins exigeante que celle de l'art. 4, al. 2, let. a, qui requiert l'existence d'une mesure provisoire de saisie dans le cadre d'une procédure d'entraide. Il ne serait pas justifié de poser la même exigence dans le contexte de l'art. 4, al. 3, car le non-respect des principes de procédure déterminants (art. 2, let. a, EIMP) est susceptible d'entraîner le refus des autorités suisses compétentes de prononcer une mesure provisoire de saisie dans le cadre de l'entraide. Enfin, le blocage devra être exigé par la sauvegarde des intérêts de la Suisse, condition identique à celle qui est formulée à l'art. 4, al. 2, let. c.

L'al. 3 envisage comme hypothèse principale une situation où, dès lors qu'il est établi que la procédure pénale menée dans l'Etat d'origine ne respecte pas les principes de procédure (art. 2, let. a, EIMP), l'entraide est exclue avec le pays concerné.

Une telle situation étant appelée à durer, elle devrait en principe permettre de faire avancer toutes les procédures individuelles de blocage administratif vers la voie de la confiscation administrative, cas échéant jusqu'à des arrêts définitifs du Tribunal administratif fédéral ou du Tribunal fédéral. Il n'est cependant pas impossible que, après un certain temps, la situation générale en matière de droits de l'homme s'améliore suffisamment dans le pays concerné pour que l'autorité suisse compétente en matière d'entraide, saisie par hypothèse d'une nouvelle requête, en vienne à considérer que les principes de procédure (art. 2, let. a, EIMP) sont désormais respectés. Dans de tels cas, qui devraient être a priori très peu fréquents en pratique, la nouvelle procédure d'entraide aurait alors priorité sur la procédure administrative déjà engagée, ce qui s'inscrit dans la logique du système mis en place par le projet de loi ci-joint. Ainsi, en cas de nouvelle procédure d'entraide, le Tribunal administratif fédéral et le Tribunal fédéral devraient-ils décider de suspendre
l'instruction des recours dirigés contre des décisions de blocage ordonnées par le Conseil fédéral sur la base de l'art. 4, al. 3. Une fois que la procédure d'entraide aura abouti et que la voie sera ainsi ouverte à une remise des valeurs au sens de l'art. 74a EIMP, ils devraient en principe rayer du rôle ces recours. Une telle solution s'impose aussi à l'égard des actions en confiscation pendantes au moment de la reprise d'une procédure d'entraide, comme cela est du reste prévu à l'art. 14, al. 4 (cf. les commentaires correspondants ci-après).

Art. 5

Adaptation et publication des listes

L'al. 1 règle les circonstances dans lesquelles un blocage de valeurs patrimoniales ordonné par le Conseil fédéral peut être étendu et quelles autres personnes peuvent être soumises à un tel blocage. Il s'agit ici du blocage en vue de l'entraide judiciaire prononcé conformément à l'art. 3. La disposition proposée à l'art. 5, al. 1, correspond à la pratique actuelle, selon laquelle le DFAE peut adapter la liste nominative des personnes visées par un blocage dans certaines circonstances. Cette réglementation est pertinente et intervient au niveau adéquat. La décision de principe consistant à prononcer un blocage des avoirs à l'encontre de personnes d'un Etat déterminé a auparavant été prise par le Conseil fédéral en raison de l'importance de cette décision au plan de la politique étrangère (cf. art. 3). Pour que le DFAE puisse étendre le blocage des avoirs à d'autres personnes, il faut que l'une des conditions alternatives formulées à l'art. 5, al. 1, soit remplie. D'une part, il s'agit de l'exigence de la coor5160

dination internationale avec les principaux Etats partenaires et organisations internationales. Il peut s'agir par exemple d'une adaptation découlant de l'ajustement ou de la modification des mesures prises par l'UE ou les Etats-Unis, ou encore les principales organisations internationales concernées (cf. à cet égard les commentaires relatifs à l'art. 3, al. 3). D'autre part, une adaptation est également possible si la sauvegarde des intérêts de la Suisse l'exige. Cela présupposera généralement que de nouvelles informations indiquent du côté de l'Etat d'origine ou du côté des représentations suisses à l'étranger qu'une telle démarche semble pertinente. Le DFAE peut par exemple parvenir à la conclusion que l'extension du blocage des avoirs à d'autres personnes est nécessaire en raison de l'évolution des procédures d'entraide judiciaire avec l'Etat d'origine. Avant d'ajouter ou de radier des personnes sur la liste, le DFAE consulte les autres départements concernés. Il s'agira notamment du DFF, du Département fédéral de justice et police (DFJP) et du Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche. Par rapport à la version de l'avantprojet, l'al. 1 précise que la liste est «nominative», ce qui montre clairement qu'elle contiendra les noms et prénoms des personnes concernées, soit des données personnelles au sens de l'art. 3, let. a, de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD)48. L'al. 1 incorpore en outre désormais une référence aux organisations internationales et biffe l'expression «personnes morales incluses» qui laissait à penser que les personnes morales pouvaient être des PPE. Or ce n'est pas le cas, même si les valeurs patrimoniales de personnes morales peuvent évidemment aussi faire l'objet d'un blocage. Cela peut d'ailleurs justifier l'inscription de personnes morales dans les listes visées à l'art. 5; ces personnes morales ont alors la possibilité, comme les personnes physiques, de demander leur radiation de la liste auprès du DFAE (cf. art. 20, al. 1).

L'al. 2 affirme explicitement le droit des personnes contre lesquelles le blocage s'avère infondé à obtenir leur radiation immédiate de la liste des personnes visées par le blocage ainsi que la libération des fonds bloqués. Le cas peut se produire lorsque l'inscription d'une personne sur la
liste résulte d'une méprise manifeste, par exemple lorsqu'il y a eu erreur sur la personne en raison de patronymes très ressemblants. Sont également envisageables les cas où les conditions justifiant un blocage ne sont après coup plus réunies (par exemple parce que la personne inscrite sur la liste n'exerce plus son pouvoir de disposition, respectivement parce qu'elle a après coup perdu son droit de signature). La décision est du ressort du DFAE, qui rend une décision susceptible de recours. La réglementation prévue dans le projet de loi correspond à la pratique actuelle et cette compétence du DFAE de radier des noms doit être maintenue, malgré la demande de certains participants à la consultation de la biffer notamment pour ne pas affaiblir la coordination visée à l'art. 3, al. 3. Pour plus de précisions concernant la protection juridique, on se reportera utilement à l'art. 20.

La liste des personnes visées par le gel des avoirs contiendra au minimum, pour les personnes physiques, leurs noms et prénoms et, pour les personnes morales, le nom de l'entreprise. Pour éviter les méprises, des informations complémentaires, si elles sont disponibles, seront ajoutées à la liste des personnes physiques, comme les relations familiales, la profession, la date de naissance, la nationalité, le numéro du ou des passeports, les pseudonymes et la date d'inscription sur la liste. Les personnes morales seront identifiées avec davantage de précision, dans la mesure du pos48

RS 235.1

5161

sible, par le biais de données relatives à leur siège, leur but social, leur numéro de registre du commerce, etc. Les informations portées sur la liste devraient être aussi détaillées que possible pour aider les intermédiaires financiers et autres personnes ou institutions à s'acquitter au mieux de leur devoir d'identification. La liste étant le plus souvent rédigée dans une certaine urgence sur la base d'une analyse prima facie des seules informations disponibles à ce moment-là, elle ne pourra en revanche pas contenir de véritable motivation sur les raisons qui ont amené le Conseil fédéral, puis le DFAE en cas d'adaptation, à inscrire le nom de la personne concernées. Les fonctions officielles assumées dans l'ancien régime par les personnes inscrites sur la liste, ainsi que leur éventuelle appartenance à un parti politique, seront en général les seuls éléments de motivation à apparaître dans la liste elle-même. Le devoir de motivation de l'autorité sera par conséquent rempli à un stade ultérieur, soit lorsque celle-ci rendra une décision motivée sur une éventuelle demande de radiation qu'elle aura reçue de la PPE concernée. En définitive, l'inscription sur une liste n'a un caractère ni accusatoire ni confiscatoire.

L'al. 3 a été ajouté par rapport à l'avant-projet dans le but de renforcer la transparence et de mieux prendre en compte les exigences légales en matière de protection des données. Il prévoit que la liste nominative des PPE et de leurs proches est publiée au Recueil officiel des lois fédérales (RO). Cette mesure, qui correspond à la pratique actuelle, est destinée à garantir l'information la plus large possible des intermédiaires financiers ainsi que des personnes et institutions qui détiennent ou gèrent en Suisse des valeurs patrimoniales afin de s'assurer du respect de leur obligation de communiquer et de renseigner selon l'art. 7. L'al. 3 précise en outre expressément que la liste nominative peut contenir certaines données sensibles au sens de l'art. 3, let. c, LPD. Parmi celles-ci, sont visées surtout l'appartenance à un parti politique, qui peut être considérée comme reflétant les opinions politiques des PPE concernées, ainsi que l'existence de poursuites ou de sanctions pénales et administratives, par exemple des mandats d'arrêts qui auraient été lancés par l'Etat d'origine ou
des condamnations pénales qui auraient été prononcées par les tribunaux de cet Etat. Les données sensibles concernées étant rendues accessibles sur internet par le biais de la publication de la liste au RO, l'ajout de ce nouvel al. 3 répond ainsi aux exigences de l'art. 19, al. 3 et 3bis, LPD.

Art. 6

Durée du blocage

L'al. 1 fixe la durée pour laquelle un blocage de valeurs patrimoniales à titre conservatoire peut être ordonné. Le blocage constitue une mesure préventive en vue de la mise en place de relations d'entraide judiciaire. Tout blocage entraîne une atteinte aux droits de propriété de la personne visée. Dans ce contexte, il va de soi qu'un blocage doit être limité dans le temps, ce qui correspond du reste à la pratique actuelle, conforme en ceci à l'art. 184, al. 3, 2e phrase, Cst. L'al. 1 prévoit de limiter à une durée de quatre ans au plus le blocage de valeurs patrimoniales au sens de l'art. 3. La durée du blocage est une question de pesée des intérêts: eu égard au principe de la proportionnalité, elle ne devrait pas être trop longue, mais toutefois d'une durée suffisante pour obtenir de premiers résultats par la voie de l'entraide judiciaire sous la forme de blocages de valeurs patrimoniales au titre de l'entraide judiciaire ou à titre pénal. Il convient de garder à l'esprit qu'en cas de renversement du pouvoir, une grande partie de la structure étatique (et donc de l'appareil judiciaire) du pays concerné sera tout d'abord renouvelée. Compte tenu de ces éléments, il semble opportun de limiter le premier blocage à une durée de quatre ans au plus.

5162

Cette période débute avec l'entrée en vigueur de l'ordonnance de blocage. Après expiration du premier délai de blocage, le Conseil fédéral peut prolonger le blocage d'un an renouvelable, pour autant que l'Etat d'origine ait exprimé sa volonté de coopérer dans le cadre de l'entraide judiciaire. Ceci pourrait par exemple être le cas lorsqu'il existe des indices concrets attestant que l'Etat d'origine s'efforce de constituer ou de motiver une demande d'entraide judiciaire. Si les conditions justifiant une prolongation ne sont plus remplies, le Conseil fédéral renoncera à faire usage de cette possibilité et l'ordonnance de blocage perdra automatiquement sa validité au terme de la durée fixée initialement. Dans tous les cas, la durée maximale d'un blocage est de dix ans.

Selon la progression de l'entraide judiciaire et d'une éventuelle procédure pénale nationale en Suisse, les autorités de poursuite pénale peuvent prononcer assez rapidement un blocage additionnel des valeurs patrimoniales déjà bloquées conformément à l'art. 3. Un tel blocage additionnel ne supprime pas automatiquement le blocage administratif au sens de l'art. 3. Il est concevable, voire dans certains cas probable, que les enquêtes menées dans le cadre de l'entraide judiciaire et d'éventuelles procédures pénales en Suisse révèlent des valeurs patrimoniales douteuses, non pas en une fois mais en plusieurs étapes à mesure que progressent les enquêtes, et que ces avoirs ne soient dès lors que partiellement bloqués. En revanche, une mesure préventive de blocage au sens de l'art. 3 s'applique à l'ensemble des valeurs patrimoniales des personnes visées en Suisse, dès le moment où elle est prononcée, ce qui correspond au caractère conservatoire de la mesure. Celle-ci sera maintenue pendant toute la durée du blocage afin de laisser suffisamment de temps aux autorités de poursuite pénale dans l'Etat d'origine et en Suisse pour mener à bien leurs enquêtes.

L'al. 2 contient les dispositions relatives aux mesures de blocage au sens de l'art. 4.

Il s'agit d'une reprise des dispositions telles que la LRAI le prévoit conformément au droit en vigueur. Ainsi, les valeurs patrimoniales bloquées en vue d'une procédure de confiscation restent bloquées jusqu'à l'entrée en force de la décision relative à leur confiscation. Si en revanche, dans un délai
de dix ans à compter de l'entrée en force de la décision de blocage en vertu de l'art. 4 aucune action en confiscation n'est ouverte, le blocage des valeurs patrimoniales est caduc. Cette durée maximale de blocage de dix ans n'a pas été raccourcie malgré quelques demandes dans ce sens formulées lors de la procédure de consultation. Il va cependant de soi que le blocage peut aussi être levé dans l'hypothèse d'une radiation de la liste conformément à la possibilité prévue à l'art. 5, al. 2, du projet.

Art. 7

Obligation de communiquer et de renseigner

L'al. 1 définit l'obligation de communiquer et de renseigner, qui est capitale pour la mise en oeuvre du blocage de valeurs patrimoniales à titre conservatoire au sens de l'art. 3. Elle déploie ses effets dès l'entrée en vigueur de l'ordonnance de blocage, assortie en annexe d'une liste des personnes physiques et morales visées par le blocage. Le blocage s'applique à toutes les valeurs patrimoniales des personnes concernées en Suisse. Conformément à la pratique actuelle, le projet de loi n'attribue aux autorités aucune compétence en matière d'inspection ou de mesures de contrainte pour faire exécuter le blocage. C'est pourquoi il est indispensable que les personnes ou institutions qui connaissent de par leurs fonctions l'existence de valeurs patrimoniales, suite à la publication d'une ordonnance de blocage ou suite à la notification d'une décision de blocage, les annoncent immédiatement aux autorités.

5163

Par «personnes ou institutions», il faut comprendre les personnes physiques et morales qui, à un titre ou à un autre, détiennent, gèrent ou administrent des valeurs patrimoniales de PPE ou de leurs proches. Cette notion englobe principalement, mais pas exclusivement, les intermédiaires financiers au sens de l'art. 2 LBA: d'autres administrateurs, gestionnaires ou dépositaires de valeurs patrimoniales, qui ne sont pas considérés comme des intermédiaires financiers, sont également visés.

En outre, la notion d'«institutions» englobe des autorités qui, sans être titulaires de la personnalité juridique, sont amenées dans l'accomplissement de leurs tâches à valider des transactions, gérer, administrer ou encore détenir des valeurs patrimoniales de PPE ou de leurs proches. Dans le droit en vigueur49 et la pratique actuelle, ce sont principalement les registres fonciers qui sont concernés: ils sont ainsi invités par les autorités fédérales compétentes à annoncer sans délai les immeubles qui tombent sous le coup d'un blocage et, le cas échéant, à inscrire au registre foncier par une mention les blocages affectant de tels immeubles. L'obligation de communiquer n'a en revanche pas été étendue aux registres du commerce, qui n'ont pas la compétence de se renseigner sur les ayants droit économiques des sociétés et qui ne gèrent, ne détiennent ni n'administrent de valeurs patrimoniales à proprement parler.

Lors de la procédure de consultation, un grand nombre de participants provenant de différents milieux ont proposé une simplification des modalités pratiques en ce qui concerne l'obligation de communiquer. Ces demandes tiennent principalement au fait qu'en cas de blocage de valeurs patrimoniales ordonné sur la base de la présente loi, une obligation de communiquer en raison d'un soupçon fondé sera souvent également donnée sur la base de l'art. 9 LBA. La demande de simplification ne vise pas seulement à éviter des incertitudes quant aux types d'informations à déclarer et aux autorités auxquelles s'adresser, mais aussi à ne pas faire peser une charge administrative trop lourde sur les intermédiaires financiers concernés.

Au vu de ces demandes et soucieux de faciliter au maximum la mise en oeuvre de la loi, le Conseil fédéral propose dans le projet de loi un mécanisme permettant d'adresser des déclarations en
vertu de l'art. 7, al. 1, à un seul service de l'administration fédérale («guichet unique»). Le DFAE ne figure donc plus à l'al. 1 du projet, lequel confie désormais exclusivement au MROS la tâche supplémentaire de réceptionner les communications qui seront transmises en vertu de la présente loi. La concentration des tâches auprès du MROS s'explique principalement par le fait que le MROS est déjà compétent pour recevoir les communications à effectuer en application de la LBA, communications qui doivent être beaucoup plus complètes et détaillées que la communication au sens de l'art. 7, al. 1, de la présente loi. Par conséquent, le MROS dispose déjà d'une grande expérience en matière de traitement de telles informations.

Les intermédiaires financiers qui ont effectué une communication en vertu de l'art. 7, al. 1 ou 2, ne sont pas pour autant exonérés de leurs responsabilités au sens de la LBA. Ils doivent aussi examiner s'ils doivent prendre des mesures supplémentaires en application des dispositions en vigueur sur le blanchiment d'argent. En résumé, une communication faite en application de la présente loi ne signifie pas forcément qu'il existe un soupçon fondé au sens de l'art. 9 LBA ni qu'il faut effectuer une communication en ce sens auprès du MROS. Néanmoins, l'inscription d'un nom sur la liste des personnes visées par une mesure préventive de blocage ordonnée par le Conseil fédéral entraîne pour les intermédiaires financiers soumis à la LBA 49

Cf. art. 3 et 4 O-Egypte, O-Tunisie et O-Ukraine.

5164

des obligations de clarification au sens de l'art. 6 LBA. L'art. 3, al. 2, let. c, du projet de loi précise que pour ordonner le blocage de valeurs patrimoniales, celles-ci doivent être supposées avoir été obtenues par le biais d'activités criminelles. La pratique montre qu'il est généralement difficile, dans ces circonstances, de dissiper tous les soupçons pesant sur l'origine potentiellement criminelle des relations d'affaires déclarées aux autorités fédérales. On peut toutefois envisager des exceptions, où l'origine légale des avoirs est manifeste (par ex. quand ces avoirs reposent sur des versements de collectivités publiques suisses).

Le contenu de la communication sera précisé par voie d'ordonnance. Il sera nécessaire d'indiquer au moins le nom du cocontractant, ainsi que l'objet et la valeur des valeurs patrimoniales bloquées. Le MROS traitera confidentiellement les informations communiquées par les personnes et institutions visées à l'al. 1. L'ordonnance déterminera s'il est ou non souhaitable de faire des différences entre les personnes et institutions quant au type d'informations à fournir suivant qu'elles sont ou non soumises à la LBA.

L'al. 2 règle expressément la situation des personnes ou institutions qui, sans détenir ou gérer elles-mêmes en Suisse des valeurs patrimoniales appartenant à des personnes figurant dans la liste adoptée par le Conseil fédéral, n'en ont pas moins connaissance de par leurs fonctions. Il ne suffit évidemment pas d'avoir une simple connaissance accidentelle de ces valeurs patrimoniales (par ex. par ouï-dire): seules sont ici visées les valeurs patrimoniales qui sont connues dans le cadre de relations professionnelles d'affaires ou commerciales déterminées. C'est ainsi qu'il faut comprendre l'expression «de par leurs fonctions», qui exclut une connaissance purement fortuite acquise hors de toute relation d'affaires. A titre d'exemples, le joaillier dont le commerce est situé en face d'un hôtel ou d'un garage ne serait pas tenu d'annoncer la présence d'une voiture d'une PPE déposée dans le parking de l'hôtel ou auprès du garagiste; en revanche, il lui appartiendrait d'annoncer la présence de bijoux d'une PPE dont il serait chargé de la réparation ou qu'il garderait en dépôt. De même, l'administrateur d'une société contrôlée par une PPE qui sait que des valeurs
patrimoniales sont détenues par cette société auprès d'un intermédiaire financier ­ lequel ne disposerait pas forcément de toutes les informations lui permettant de déterminer précisément quelles personnes exercent le contrôle sur cette société ­ aurait-il l'obligation de les porter à la connaissance du MROS. Pour toutes ces situations, l'al. 2 prévoit également une obligation de communication et limite ainsi le risque que des valeurs patrimoniales de PPE se trouvant en Suisse échappent au blocage.

L'al. 3 constitue la base légale permettant au MROS de s'adresser directement aux personnes ou institutions qui sont susceptibles de détenir des valeurs patrimoniales tombant sous le coup d'un blocage mais qui n'ont pas, elles-mêmes, procédé à une communication. Une telle disposition est nécessaire car les informations initiales reçues sur la base de l'al. 2 seront probablement lacunaires ou incomplètes.

L'al. 4 prévoit des obligations de renseigner plus étendues, dans la mesure où le MROS a besoin d'informations ou de documents complémentaires. Seul le MROS est habilité à demander de tels renseignements complémentaires. Bien entendu, cette disposition s'applique uniquement aux valeurs patrimoniales déclarées ou visées par la mesure de blocage. Comme déjà expliqué à propos de l'al. 1, le Conseil fédéral renonce à conférer au MROS des attributions en matière d'inspection ou de mesures de contrainte. En cas de besoin, le MROS doit néanmoins avoir la possibilité d'exiger de la part des intermédiaires financiers, des institutions et des autres personnes physiques ou morales concernées, de manière ciblée, tous les renseignements 5165

et toutes les informations qui lui sont nécessaires, notamment au vu de son rôle en matière de communication d'informations à l'Etat d'origine selon l'art. 13. Ainsi le MROS, ayant eu connaissance d'une transaction survenue quelques mois auparavant et qui aurait réduit sensiblement les avoirs bloqués d'une PPE, devrait-il pouvoir clarifier les circonstances d'une telle diminution pour en déterminer avec plus de certitude la portée.

L'al. 5, qui ne figurait pas dans l'avant-projet mis en consultation, reprend l'exception à l'obligation de déclarer qui figure à l'art. 9, al. 2, LBA. Il paraît logique, comme l'ont du reste relevé les milieux concernés, de rappeler dans la loi que le secret professionnel des avocats et des notaires trouvera aussi à s'appliquer dans le cadre du blocage et de la confiscation des avoirs de potentats. L'ajout de la réserve du secret professionnel ne signifie évidemment pas que les avocats et les notaires peuvent s'en prévaloir sans aucune limite: dès lors qu'ils sont réputés «intermédiaires financiers» au sens de l'art. 2 LBA50, ils ne peuvent exciper du secret professionnel pour refuser d'annoncer des valeurs patrimoniales d'origine illicite appartenant à des PPE. Pour le surplus, l'obligation de communiquer et de renseigner instaurée par l'art. 7 donne aux intermédiaires financiers et autres personnes ou institutions concernées les bases légales nécessaires pour agir sans violer le secret bancaire établi par l'art. 47 de la loi du 8 novembre 1934 sur les banques (LB)51 ni d'autres normes éventuelles de protection du secret.

La première phrase de l'al. 6 crée la base légale formelle nécessaire pour autoriser le MROS à transmettre au DFAE et à l'OFJ les informations qu'il aura reçues en vertu des al. 1, 2 et 3 de la part des personnes ou institutions qui détiennent ou gèrent des valeurs patrimoniales de PPE ou de leurs proches, ou de personnes ou institutions qui en ont simplement connaissance de par leurs fonctions. Il pourra s'agir soit d'une liste mentionnant tous les avoirs bloqués, soit de la transmission d'une copie de chaque formulaire reçu. Le DFAE (Direction du droit international public) a besoin de ces informations pour accomplir les tâches que lui confère la présente loi (par exemple traitement de demandes de radiation ou de libération de valeurs patrimoniales
bloquées, prolongation de blocages, etc.). L'OFJ en a également besoin en sa qualité d'autorité de surveillance en matière d'entraide judiciaire. Il s'agit uniquement des informations collectées sur la base de la présente loi, et non pas des informations obtenues par des communications de soupçons en vertu de la l'art. 9 LBA ou de l'art. 305ter, al. 2, CP. Il appartiendra au MROS de trier ces informations.

La seconde phrase donne au Conseil fédéral le mandat de régler les modalités de la collaboration entre le DFAE, l'OFJ et le MROS Ces questions seront donc réglées dans une ordonnance d'exécution.

Compte tenu de l'introduction du guichet unique auprès du MROS prévu à l'al. 1 et des explications données plus haut qui rappellent que les intermédiaires financiers ayant effectué une déclaration au sens de l'art. 7 du projet ci-joint ne sont pas pour autant libérés de leur obligation de communiquer au sens de l'art. 9 LBA, il est superflu de maintenir une référence explicite aux obligations de la LBA comme le prévoyait l'avant-projet relatif à cette disposition.

50

51

Voir à ce sujet la circulaire 2011/1 de la FINMA sur l'activité d'intermédiaire financier au sens de la LBA, § 114 ss; voir également la pratique de l'Autorité de contrôle en matière de lutte contre le blanchiment d'argent relative à l'art. 2, al. 3, LBA, § 305 ss.

RS 952.0

5166

Art. 8

Administration des valeurs patrimoniales bloquées

Les questions relatives à l'administration des valeurs patrimoniales bloquées revêtent en pratique une importance considérable. C'est la raison pour laquelle il convient d'en fixer au moins les grandes lignes dans la loi. Le projet énonce les principes qui régissent l'administration des valeurs patrimoniales bloquées et qui s'appliquent aux deux formes de blocage de fonds prévues par le projet de loi. Il en va de même pour la possibilité d'autoriser des exceptions (cf. art. 9 ci-après). Cela permet de clarifier la situation juridique relative aux mesures de blocage en vue d'une confiscation ultérieure. La LRAI ne contient aucune disposition sur l'administration de valeurs patrimoniales bloquées ni sur l'octroi d'exceptions. En revanche, les ordonnances de blocage que le Conseil fédéral a adoptées en se fondant sur la Cst. énoncent certains principes relatifs à l'administration des avoirs et à l'octroi d'exceptions. Les règles proposées aux art. 8 et 9 se fondent sur les dispositions contenues dans les ordonnances de blocage52 ainsi que sur la pratique.

Lors de la procédure de consultation, l'art. 8 a fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la part des intermédiaires financiers. Il a été plusieurs fois souligné qu'il ne réglait pas clairement la question de la compétence quant aux mesures et décisions à prendre pour administrer les avoirs une fois leur blocage prononcé. De plus, l'objectif assigné aux intermédiaires financiers, institutions et autres personnes physiques ou morales chargées de l'administration, à savoir la nécessité de recourir à un placement sûr non sujet à dépréciation mais produisant néanmoins un rendement, a été considéré comme partiellement contradictoire, notamment en présence de plusieurs acteurs dont les compétences ne sont pas clairement délimitées. Au vu de ces critiques, il a été décidé de clarifier la responsabilité des acteurs impliqués. Il a aussi été décidé de simplifier les règles applicables en matière d'administration de biens en les alignant sur les règles pénales applicables au séquestre de valeurs patrimoniales.

L'al. 1 pose désormais la règle selon laquelle les personnes et institutions qui gèrent des valeurs patrimoniales continuent à les administrer après le blocage de celles-ci.

Le blocage en lui-même ne confère donc aucune compétence générale
au DFAE pour administrer lui-même les valeurs patrimoniales en question. En d'autres termes, le DFAE ne se substitue pas au client dans l'organisation de la gestion de son patrimoine ni à l'intermédiaire financier pour assurer l'administration et la gestion courante des valeurs patrimoniales bloquées. Les intermédiaires financiers et les autres personnes et institutions concernées doivent administrer celles-ci en procédant à une gestion conservatrice, conformément aux usages bancaires et aux intérêts du client.

Selon la pratique qui s'est instaurée, les intermédiaires financiers prennent cependant spontanément contact avec le DFAE dès qu'ils estiment nécessaire de déterminer, dans un cas concret, si la mesure qu'ils envisagent de prendre constitue bien un acte de gestion normal entrant dans le cadre d'une gestion conservatrice des avoirs.

Le DFAE décidera alors d'autoriser ou non les actes de gestion ou d'administration envisagés et pourra, le cas échéant, permettre de procéder à des paiements ou des transferts depuis les comptes bloqués, possibilité qui découle d'ailleurs de l'art. 25, al. 1, du projet de loi ci-joint.

Cette solution s'impose car les intermédiaires financiers et les autres personnes ou institutions concernées, compte tenu de leur expertise en matière de gestion et 52

Cf. les art. 1, al. 2, et 2, let. b, in fine, O-Tunisie, O-Egypte et O-Ukraine.

5167

d'administration de valeurs patrimoniales et de leur connaissance du marché, sont mieux à même de gérer un portefeuille de valeurs que le DFAE. Les actes courants de gestion bancaires effectués par des intermédiaires financiers dans le cadre d'une relation d'affaires peuvent d'ailleurs être facturés (par ex. frais administratifs et frais de dépôt, frais de gestion de la fortune, etc.). L'al. 1 prévoit du reste que les personnes ou institutions administrant des valeurs patrimoniales bloquées ont un devoir d'information immédiat à l'égard du DFAE en cas de risque de dépréciation rapide ou en présence d'un entretien dispendieux. Cela correspond à la pratique actuellement suivie et permet au DFAE, le cas échant, d'ordonner les mesures nécessaires en vertu de l'al. 4.

En vertu de l'al. 2, le DFAE est habilité à s'adresser directement aux institutions qui administrent des valeurs patrimoniales pour leur demander des informations et des documents relatifs au blocage et à la gestion des valeurs patrimoniales. Cette compétence se justifie pour deux raisons principales: en premier lieu, l'expérience démontre qu'il est parfois difficile, sur la base des seules informations obtenues dans le cadre de la communication au sens de l'art. 7, de déterminer si les avoirs annoncés tombent ou non sous le coup du blocage ordonné par le Conseil fédéral. Des difficultés surgissent en particulier dans le cas de structures juridiques complexes où il n'est pas toujours aisé de déterminer quelles personnes contrôlent effectivement les sociétés ou les trusts concernés. Des difficultés peuvent aussi se présenter lorsqu'il est question de bloquer des créances nécessitant des éclaircissements quant aux contrats correspondants passés par différentes sociétés. Dans certains cas complexes, le DFAE peut ainsi avoir à trancher la question de l'assujettissement des avoirs au blocage. Dans un tel cas, il doit disposer de toutes les pièces utiles pour statuer, cas échéant par voie de décision formelle. En second lieu, des mesures concrètes d'administration et de gestion d'avoirs bloqués peuvent aussi nécessiter la production de pièces complémentaires de la part des personnes et institutions pour permettre au DFAE de déterminer si ces mesures doivent être considérées comme relevant d'une gestion conservatrice. Ce n'est qu'ainsi que le
DFAE sera effectivement mis en situation de contrôler efficacement la façon dont les personnes et institutions administrent les valeurs bloquées et, le cas échéant, d'autoriser en connaissance de cause d'éventuelles opérations qui sortiraient du cadre normal d'une gestion conservatrice des avoirs.

L'al. 3 se borne désormais à renvoyer par analogie aux règles applicables au séquestre pénal de valeurs patrimoniales, lesquelles figurent actuellement dans l'ordonnance du 3 décembre 2010 sur le placement des valeurs patrimoniales séquestrées53, adoptée en application de l'art. 266, al. 6, CPP. Cela clarifie ainsi les règles et principes applicables pour les intermédiaires financiers, institutions et autres personnes concernées. L'applicabilité des principes de procédure pénale permet de simplifier la gestion et l'administration de valeurs patrimoniales, ce qui est nécessaire compte tenu du fait qu'un double blocage (pénal et administratif) peut intervenir pendant une certaine période.

L'expérience montre que les autorités doivent être en mesure, le cas échéant, d'ordonner des mesures ciblées pour parer à des risques de dépréciation rapide des valeurs patrimoniales bloquées; il doit en aller de même pour les valeurs patrimoniales exigeant un entretien dispendieux, par exemple un immeuble nécessitant de gros travaux, ou encore un yacht ou un avion nécessitant une maintenance importante. De 53

RS 312.057

5168

plus, il doit être possible d'ordonner la réalisation immédiate de papiers-valeurs et d'autres valeurs patrimoniales cotées en bourse ou sur le marché. C'est pourquoi l'al. 4 accorde au DFAE une compétence expresse en ce sens. Ces mesures doivent s'appliquer de manière restrictive à des situations exceptionnelles: le DFAE doit être en présence d'un risque substantiel de dépréciation des valeurs patrimoniales bloquées pour pouvoir ordonner les mesures dictées par la situation. Dans ce contexte, la possibilité d'une réalisation conformément à la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP)54, qui est expressément mentionnée est reprise de l'art. 266, al. 5, CPP.

L'al. 5 pose le principe de la primauté d'une procédure pénale ou d'une procédure d'entraide judiciaire menée en parallèle. Comme expliqué dans le commentaire de l'art. 5, une mesure de blocage à titre conservatoire est maintenue, même lorsque d'autres blocages sont ordonnés dans le cadre d'une procédure pénale ou d'une procédure d'entraide judiciaire. Se pose alors le besoin d'une règle de conflit.

L'art. 8, al. 5, dispose que la gestion incombe à l'autorité responsable de la procédure pénale ou de la procédure d'entraide judiciaire, dans la mesure où les valeurs patrimoniales en question sont également bloquées dans le cadre d'une telle procédure. Au cas où l'autorité responsable de la procédure pénale ou de la procédure d'entraide judiciaire décide par la suite de lever la mesure de blocage, il est nécessaire qu'elle en informe au préalable le DFAE. Cela facilitera la transition et permettra à celui-ci, le cas échéant, d'ordonner les mesures nécessaires au sens de l'al. 4.

C'est dans ce sens qu'a été complété l'al. 5, qui reflète en cela la pratique actuelle.

La règle de conflit fixée à l'al. 5, qui simplifie en pratique l'administration et la gestion tant pour les propriétaires que pour les autorités, ne modifie en rien les compétences des autorités en cas de double blocage: conformément à l'art. 9 du projet ci-joint, le DFAE reste compétent pour autoriser une éventuelle libération des valeurs patrimoniales ayant fait l'objet d'un blocage par le Conseil fédéral, libération qui ne déploie en tant que telle aucun effet sur le blocage des mêmes valeurs ordonné dans le cadre d'une procédure pénale ou
d'une procédure d'entraide judiciaire. Une coordination entre les autorités concernées est cependant souhaitable avant le prononcé de telles libérations, ce qui correspond aussi à la pratique actuelle (cf. les commentaires relatifs à l'art. 9 ci-dessous).

Art. 9

Libération de valeurs patrimoniales bloquées

Les expériences faites à ce jour montrent qu'il est nécessaire, dans certaines situations, d'autoriser la libération de valeurs patrimoniales bloquées. Néanmoins, pour respecter la finalité même du blocage des avoirs, il est important de se limiter à des cas exceptionnels et bien définis. L'art. 9 crée la base légale requise pour autoriser une telle libération. Des dispositions similaires figurent déjà dans les ordonnances de blocage que le Conseil fédéral a adoptées en se fondant sur l'art. 184, al. 3, Cst.55.

Conformément à la pratique usuelle, le DFAE consulte au préalable les autres services concernés de la Confédération.

Les valeurs patrimoniales bloquées en vertu du projet de loi ci-joint peuvent, simultanément, faire l'objet d'un séquestre en vue d'une confiscation au titre de participation ou de soutien à une organisation criminelle (art. 72 en lien avec art 260ter CP). Il existe donc souvent un lien entre le séquestre pénal et le blocage de valeurs patrimo54 55

RS 281.1 Cf. art. 1, al. 2, O-Tunisie, O-Egypte et O-Ukraine.

5169

niales au titre du projet ci-joint, en sorte qu'une coordination étroite est hautement souhaitable. Le blocage et le déblocage (ou libération) de valeurs patrimoniales ordonnés sur la base du projet ci-joint, en tant que mesures administratives, ne sont cependant ni juridiquement, ni automatiquement liés aux mesures pénales prises pour ordonner ou lever le séquestre. Il n'en demeure pas moins que la libération de valeurs patrimoniales bloquées qui continuent à faire l'objet d'un séquestre pénal ne devra être ordonnée qu'avec la plus grande réserve, en présence de motifs pertinents.

Des libérations au sens de l'art. 9 sont possibles pour prévenir les cas de rigueur ou lorsque la sauvegarde d'importants intérêts de la Suisse l'exige. Concernant la prévention des cas de rigueur, on peut envisager une libération partielle de valeurs patrimoniales afin de couvrir les besoins essentiels des personnes inscrites sur une liste ou de celles envers lesquelles elles ont des obligations d'entretien56. Le paiement d'un traitement médical urgent en est un exemple type. La sauvegarde d'importants intérêts de la Suisse, quant à elle, concerne avant tout la préservation de relations bilatérales de qualité entre la Suisse et l'Etat concerné.

Art. 10

Solution transactionnelle

Par le passé, le Conseil fédéral a, à quelques reprises, ordonné des mesures de blocage tout en chargeant simultanément le DFAE de rechercher une solution transactionnelle avec les détenteurs des avoirs gelés. L'art. 4 de la LRAI prévoit expressément cette possibilité. Il est judicieux de reprendre cette disposition dans le nouveau texte de loi. La possibilité d'opter pour une solution transactionnelle a fait l'objet de critiques lors de la procédure de consultation au motif qu'elle irait à l'encontre des objectifs de la loi tels que la lutte contre l'impunité, la promotion de l'état de droit, de la justice ou encore de la transparence. Ces critiques émanent principalement des ONG, mais aussi de certains partis politiques. D'un autre côté, il est reconnu qu'elle peut permettre dans certains cas de débloquer de façon pragmatique des situations juridiquement inextricables et qu'il pourrait être contreproductif de supprimer complètement une telle possibilité. Au vu de ces résultats, la possibilité de recourir à une solution transactionnelle a été maintenue. Cela correspond au droit actuel, bien qu'une telle voie n'ait pas été utilisée souvent en pratique et qu'elle soit par conséquent appelée à demeurer exceptionnelle.

L'al. 1 prévoit la possibilité pour le Conseil fédéral de donner mandat au DFAE de rechercher une solution transactionnelle, en vue de permettre la restitution intégrale ou partielle des fonds bloqués à l'Etat d'origine. Une solution négociée doit rester possible, mais elle le sera uniquement à titre exceptionnel. Elle permet, en cas de succès, de raccourcir la procédure de blocage et d'accélérer la restitution des valeurs bloquées. Peuvent entrer en ligne de compte, notamment, des cas qui risquent d'enclencher une procédure longue et fastidieuse alors que les sommes en jeu sont relativement modestes. Pendant le blocage, une solution transactionnelle doit être envisageable à tout moment. Un tel mécanisme de négociation sera mis en place par le DFAE, sur mandat du Conseil fédéral, en fonction des spécificités du cas et si les ayants droit des avoirs bloqués sont disposés à s'impliquer dans ce processus. La clé de répartition des valeurs entre leur Etat d'origine et les ayants droit de celles-ci est négociée au cas par cas, mais seul un faible pourcentage des valeurs pourra être 56

Cf. art. 4, let. a, du Règlement (UE) No 101/2011 du Conseil du 4 février 2011 concernant des mesures restrictives à l'encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie, JO L 31 du 5.2.2011, p. 1.

5170

laissé aux ayants droit. Aucune solution négociée n'est cependant possible lorsque les fonds concernés font simultanément l'objet d'une mesure de saisie dans le cadre d'une procédure d'entraide judiciaire ou d'une procédure pénale nationale ouverte en Suisse. Dans de tels cas, le Conseil fédéral ne dispose généralement plus de la marge de manoeuvre nécessaire, en application du principe de séparation des pouvoirs. Lorsque les fonds concernés ne font pas simultanément l'objet d'une autre mesure de blocage, la recherche d'une solution transactionnelle est possible pour autant que les circonstances le justifient. Il appartient au Conseil fédéral de déterminer, in concreto, si cela est le cas.

Aux termes de l'al. 2, la solution transactionnelle est soumise à l'approbation du Conseil fédéral. Si elle est approuvée, le Conseil fédéral lève le blocage des valeurs patrimoniales conformément à l'al. 3 et les fonds peuvent être restitués selon les modalités négociées. Les art. 17 à 19 s'appliquent par analogie. L'obligation de publier les termes de l'accord comprenant une solution transactionnelle, telle que proposée par certains participants à la procédure de consultation, n'a pas été reprise dans le projet. L'application des règles ordinaires en matière de transparence (loi du 17 décembre 2004 sur la transparence [LTrans]57) permet en pratique de répondre dans une large mesure à d'éventuelles demandes d'accès à de tels documents.

2.3.3 Art. 11

Section 3 Mesures de soutien Principe

Dans le cas des avoirs de potentats, il s'agit souvent de faits relevant d'une criminalité économique ou financière complexe. C'est pourquoi les autorités de l'Etat d'origine éprouvent généralement des difficultés à mener à bien les enquêtes correspondantes et à adresser des demandes d'entraide judiciaire à l'étranger. Cela s'avère particulièrement vrai lorsqu'un renversement politique dans l'Etat d'origine a ouvert la voie à un examen pénal du comportement de PPE et de leur entourage. Dans un tel cas de figure, les autorités judiciaires de l'Etat d'origine ont peu, voire n'ont aucune expérience pour élucider les délits en question puisque la politique intérieure pratiquée avant le changement de régime ne leur permettait pas d'enquêter en ce sens. A cela s'ajoute le fait que les Etats en phase postrévolutionnaire se retrouvent souvent dans une situation difficile et confuse sur le plan de la politique intérieure, ce qui entrave également le travail de la justice.

Pour les raisons susmentionnées, la Suisse a tout intérêt à ce que des fonds d'origine illicite, qui ont été déposés sur la place financière suisse, soient restitués le plus rapidement possible à l'Etat d'origine. La question d'un soutien ciblé à l'Etat d'origine se pose alors. L'expérience montre qu'une collaboration réussie en vue d'une restitution des avoirs de potentats repose sur un partenariat étroit entre l'Etat d'origine des valeurs patrimoniales et la Suisse. La Suisse s'efforce de soutenir de son mieux les Etats d'origine, dans les limites prévues par la loi, et de contribuer ainsi à un traitement rapide de ces cas. A cette fin, il convient de déterminer précisément quelles sont les mesures de soutien dont l'Etat d'origine a besoin. Il s'agit en

57

RS 152.3

5171

général d'une collaboration technique, laquelle est depuis longtemps un élément intrinsèque de la pratique suisse en la matière.

L'art. 11 inscrit ce principe dans la loi, en tant que disposition potestative («KannBestimmung»). La disposition proposée ne confère donc à l'Etat d'origine aucun droit à des mesures de soutien d'aucune sorte. Ainsi, les autorités fédérales continueront de disposer d'un pouvoir d'appréciation suffisant.

Art. 12

Assistance technique

L'art. 12 concrétise le principe du soutien à l'Etat d'origine consacré par l'art. 11.

Lors de la procédure de consultation cette disposition, qui codifie la pratique en la matière, a dans l'ensemble été bien accueillie. La formulation choisie à l'al. 1 montre que le soutien à l'Etat d'origine, qui constitue en réalité une assistance technique, est mis au point par le DFAE et l'OFJ en raison de leurs compétences respectives.

C'est la raison pour laquelle il convient qu'ils se consultent au préalable, de sorte qu'ils mettent en oeuvre des mesures cohérentes d'assistance technique.

Les différentes mesures d'assistance proposées sont indiquées à titre d'exemple dans l'al. 2 et leur liste n'est pas exhaustive. Il s'agit la plupart du temps d'activités relevant de la collaboration technique. La mesure consistant à former les autorités étrangères compétentes et à leur dispenser des conseils juridiques peut notamment revêtir la forme de séminaires et de formations sur le droit régissant l'entraide judiciaire et sur le droit pénal suisse. D'autres mesures de soutien peuvent être envisagées, comme la prise en charge des honoraires d'avocats spécialisés ainsi que l'attribution de mandats ou d'un soutien financier à des institutions comme l'International Center for Asset Recovery (ICAR) établi à Bâle ou l'Initiative de la Banque mondiale StAR (Stolen Asset Recovery Initiative). ICAR a fait un travail de pionnier et grâce à son indépendance et à son excellente réputation, si bien que de nombreux Etats l'estiment et le consultent pour son savoir-faire en la matière. L'institution la plus importante à l'échelle internationale est la StAR, une initiative lancée en 2007 par la Banque mondiale et l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Comme ICAR, StAR collabore avec des pays en développement et des centres financiers en vue de lutter contre le blanchiment d'argent et de restituer les avoirs de potentats, joue le rôle de médiateur entre les parties en présence et propose des formations pour favoriser une restitution systématique et rapide des valeurs patrimoniales indûment acquises.

L'organisation de conférences et de rencontres bilatérales et multilatérales poursuit plusieurs objectifs. Elle vise notamment à opérer un transfert de connaissances mais aussi à bâtir des réseaux et à
établir des relations de confiance directes entre les autorités. Comme le montre l'expérience, un dialogue constant et soutenu entre les autorités compétentes de l'Etat requis et de l'Etat requérant est un facteur clé pour obtenir des progrès dans la restitution de valeurs patrimoniales. Les rencontres d'experts, qui offrent l'occasion de discuter de questions d'actualité en lien avec la restitution d'avoirs de potentats, jouent elles aussi un rôle important. Les «Séminaires de Lausanne», que la Suisse mène régulièrement depuis 2001, sont ainsi devenus des rendez-vous appréciés et mondialement reconnus qui favorisent les échanges entre experts.

La Suisse a aussi fait de très bonnes expériences dans le passé avec le détachement d'experts. Ces experts sont généralement des praticiens du milieu judiciaire, dotés d'une longue expérience de l'entraide judiciaire et habitués à élucider des délits 5172

économiques complexes. Ils peuvent apporter leur appui aux autorités de l'Etat d'origine pour enquêter sur les délits économiques et les élucider, leur expliquer les particularités du système juridique suisse et les aider à formuler des demandes d'entraide judiciaire complètes et formellement correctes. Le détachement peut notamment se faire par l'intermédiaire du pool d'experts du DFAE pour la promotion civile de la paix ou d'organisations partenaires comme ICAR.

Conformément à l'al. 3, le DFAE coordonne ces mesures avec les autres départements concernés, en fonction du champ de compétences de chacun. Cette façon de procéder garantit une action cohérente, dans l'intérêt général de la Suisse. La disposition prévoit également la possibilité de collaborer avec des institutions nationales et internationales compétentes en vue de l'exécution des mesures. Là encore, des institutions spécialisées comme ICAR ou l'initiative StAR de la Banque mondiale sont en première ligne (cf. al. 2).

Art. 13

Communication d'informations à l'Etat d'origine

Le Conseil fédéral propose d'introduire à l'art. 13 une disposition autorisant le MROS à transmettre à l'Etat d'origine des informations obtenues en vertu de cette loi afin de permettre à cet Etat de préparer une demande d'entraide judiciaire ou de compléter une demande insuffisamment étayée.

L'expérience passée a montré que les autorités judiciaires des Etats d'origine ont souvent du mal à motiver convenablement leurs demandes d'entraide judiciaire pour obtenir la restitution des avoirs de potentats à la faveur d'un changement de régime politique. Ces problèmes sont généralement dus à un manque d'expérience et de connaissances spécialisées, qui sont nécessaires pour élucider des cas complexes de criminalité économique internationale. Or les autorités suisses ne peuvent pas entrer en matière sur des demandes insuffisamment motivées. L'entraide judiciaire risque ainsi de connaître des retards considérables, voire d'échouer. Ce genre d'impasse nuit aux intérêts tant de la Suisse que des Etats d'origine.

Le détachement d'experts prévu à l'art. 12 peut être un moyen de débloquer une telle situation. Le Conseil fédéral souhaite également intervenir à un second niveau. C'est pourquoi il propose d'ancrer dans la loi la possibilité de communiquer certaines informations à l'Etat d'origine, en marge de l'entraide judiciaire proprement dite, en énonçant clairement et en définissant précisément les conditions et l'étendue de la transmission d'informations.

Lors de la procédure de consultation, l'art. 13 est la disposition qui a fait l'objet du plus grand nombre de prises de position. Cela n'est pas étonnant puisqu'il s'agit de l'une des deux innovations de ce projet par rapport au droit en vigueur et à la pratique actuelle. Pour partie, les commentaires enregistrés rejettent cette disposition au motif qu'elle inciterait les Etats à contourner les exigences de l'entraide judiciaire, qu'elle reviendrait à accorder un traitement de faveur aux Etats ne respectant pas les principes fondamentaux d'un Etat de droit et les droits fondamentaux, qu'elle ne comporterait pas assez de garanties quant à une bonne utilisation des informations, ou encore qu'elle serait susceptible de mettre en danger les personnes directement concernées et des tiers dont le nom ferait l'objet d'une transmission. Une autre partie des commentaires reçus exprime au contraire un soutien clair à cette disposition au motif qu'elle constituerait une avancée majeure et nécessaire.

5173

Dans ces conditions et face à ces attentes en partie contradictoires mais qui dénotent toutes des préoccupations légitimes, il est proposé de maintenir l'art. 13 car il s'agit d'une pièce maîtresse du nouveau dispositif. Toutefois, pour tenir compte des critiques justifiées pointant certaines faiblesses dans la formulation initiale, la disposition a été retravaillée de façon substantielle. La principale modification consiste à charger le MROS et non plus le DFAE de communiquer les informations à l'Etat d'origine. Ce changement s'inscrit dans la logique de l'introduction d'un guichet unique auprès du MROS (art. 7). Il permettra surtout de mettre à contribution un canal de transmission sûr et confidentiel qui a prouvé son efficacité en pratique et qui dispose d'un réseau mondial d'interlocuteurs: en vertu des normes du GAFI, chaque pays doit disposer d'un bureau central de communication, appelé cellule de renseignements financiers (CRF). En 1995, treize CRF se sont réunies pour former le Groupe Egmont, qui rassemble actuellement 139 CRF de toutes les régions du monde et comprend les bureaux de communication de tous les Etats disposant de places financières d'envergure internationale. Le nombre de CRF ayant rejoint le groupe Egmont va d'ailleurs augmenter au mois de juin 2014. Grâce au groupe Egmont, dont le MROS est membre depuis 1998, l'échange d'informations pourra se faire sur la base de principes de coopération et de règles de confidentialité éprouvés, ce qui devrait répondre à bon nombre de préoccupations émanant, en particulier, des milieux bancaires et des intermédiaires financiers.

Le droit en vigueur en matière d'entraide judiciaire autorise déjà la transmission spontanée à l'Etat d'origine non seulement d'informations, mais aussi de moyens de preuve (art. 67a EIMP). S'agissant du domaine secret, l'art. 67a, al. 5, EIMP autorise uniquement la transmission d'informations; en revanche, la transmission spontanée de moyens de preuve touchant au domaine secret est prohibée (art. 67a, al. 4, EIMP). Constituant un moyen de preuve protégé par l'art. 47 LB, une documentation bancaire ne peut donc être fournie par le biais de la transmission spontanée58.

Dans la problématique des avoirs illicites des potentats, il est cependant difficile de transmettre spontanément des informations touchant au
domaine secret car cela n'est possible que si ces informations sont de nature à permettre de présenter une demande motivée d'entraide à la Suisse (art. 67a, al. 5, EIMP). Or, l'expérience montre qu'après un changement de régime, les Etats d'origine ont tendance à adresser très rapidement à la Suisse des lettres qu'ils qualifient de demandes d'entraide judiciaire, dans lesquelles ils demandent généralement des informations bancaires sur certaines personnes. La transmission spontanée d'informations au sens de l'art. 67a EIMP devient dès lors juridiquement impossible. Parallèlement, la Suisse ne peut pas entrer en matière sur les demandes d'entraide judiciaire carelles sont insuffisamment motivées et s'apparentent à une recherche irrecevable de moyens de preuve (dite «fishing expedition»). C'est ainsi que l'entraide judiciaire risque d'échouer. Il ne s'agit pas de rendre possible, sur la base de l'art. 13, un contournement de ces règles de l'entraide judiciaire en autorisant la transmission de moyens de preuve relevant du domaine secret; il est uniquement question de faciliter le bon déroulement de l'entraide judiciaire dans certaines situations particulières en transmettant des informations et non des preuves.

L'art. 13 est une disposition potestative («Kann-Bestimmung») et exclut à ce titre tout droit de l'Etat d'origine à obtenir des informations. Cette communication est

58

ATF 139 IV 137, consid. 4.6.1 et réf. citées.

5174

soumise à des conditions précises qui sont celles des art. 30, 31, let. b et c, et 32, al. 3, LBA.

L'al. 1, fixe les conditions auxquelles le MROS peut, en application de ce projet de loi, communiquer des informations aux autorités de l'Etat d'origine. Par «informations» au sens de la présente disposition, il faut entendre toutes les informations pertinentes, y compris celles qui touchent au domaine secret. Le texte de la loi mentionne expressément les informations bancaires.

Cette communication d'informations est possible pour permettre à l'Etat d'origine d'adresser une demande d'entraide judiciaire à la Suisse, ou de compléter une demande insuffisamment étayée. Cela présuppose que l'Etat d'origine ait la volonté et la capacité d'entamer et de poursuivre une procédure d'entraide. La communication d'informations bancaires se réfère aux informations que le MROS a obtenues en vertu de cette loi (art. 7). Le MROS transmet déjà des informations financières dans la cadre de l'art. 30, al. 2, LBA, entré en vigueur au 1er novembre 201359. En ce sens, l'art. 13 n'introduit pas une nouveauté dans l'ordre juridique suisse, mais consiste plutôt à étendre aux avoirs illicites de potentats un mécanisme désormais pleinement applicable dans la lutte contre le blanchiment d'argent.

Aux termes de l'al. 2, les informations susmentionnées sont transmises, tout d'abord, selon les conditions et les modalités de l'art. 30 LBA. Cette disposition codifie la pratique du MROS basée sur les principes du Groupe Egmont. Les conditions et garanties qui y sont prévues sont aussi valables dans le cadre de la présente loi. En principe, la transmission d'informations dans le cadre de la LBA se fait en deux étapes. Lors de la première, les informations sont envoyées à l'homologue étranger (CRF) du pays d'origine. Si ce dernier constate que lesdites informations sont utiles à une autorité de poursuite pénale ou d'entraide de son pays, il demande au MROS l'autorisation préalable de transférer ces informations à l'autorité en question. Dans le cadre de cette deuxième étape, le MROS octroie cette autorisation si les conditions de l'art. 30, al. 4 et 5, LBA sont remplies. Il arrive parfois que le MROS connaisse déjà l'intérêt des autorités de poursuite dans le pays étranger. Dans de tels cas, le bureau de communication peut aussi
donner l'autorisation préalable de transférer ces informations aux autorités de poursuite du pays en question en même temps que la transmission à son homologue étranger. Il s'agit d'une pratique utilisée entre les CRF qui ont des liens étroits en matière d'échange d'informations.

Cette situation dans laquelle le MROS fournit l'autorisation préalable de transférer des informations aux autorités compétentes en matière d'entraide en même temps que la transmission desdites informations à son homologue étranger pourrait être la règle dans le cadre de la présente loi. Ainsi, contrairement aux informations échangées dans le cadre de la LBA ­ qui pourraient aussi servir à des analyses au sein de la CRF ­ celles dont il est question ici doivent servir exclusivement à préparer une demande d'entraide judiciaire à la Suisse, ou à compléter une demande insuffisamment étayée (al. 1). Le but du législateur est donc uniquement de faire en sorte que ces informations soient utilisées par les autorités compétentes en matière d'entraide.

Sont concernées ici seulement les autorités dont les compétences sont prévues à l'art. 30, al. 4, let. a, ch. 2, LBA. Celles prévues au ch. 1 ­ c'est-à-dire les autorités de police qui utiliseraient ces informations à des fins d'analyse ­ sont exclues par cette disposition.

59

Voir à ce sujet les commentaires figurant dans le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6449 6487 s.

5175

A préciser encore que la LBA ne limite pas la transmission d'informations par le MROS aux seules CRF membres du Groupe Egmont. Le bureau de communication peut aussi échanger avec des homologues étrangers qui n'ont pas le statut de membre dudit groupe. Les conditions prévues à l'art. 30 LBA sont applicables dans tous les cas. Il s'agit ici d'une compétence très utile dans la mesure où la présente loi pourrait potentiellement s'appliquer à tous les pays.

Concernant les situations de refus d'informer son homologue étranger, l'art. 31, let. a, LBA ne s'applique pas dans la mesure où il exclut les demandes assimilées à des «fishing expeditions». Il s'agit de demandes qui ne présentent pas de lien avec la Suisse. Or, dans le cadre de cette loi, les informations demandées ou transmises concernent toujours des personnes physiques ou morales qui tombent sous le coup d'une mesure en vertu de l'art. 3 décidée par le Conseil fédéral. Comme l'expérience l'a démontré, il s'agira généralement de listes de personnes physiques ou morales à l'encontre desquelles le Conseil fédéral décide des mesures de blocage. Demander à la CRF homologue un lien supplémentaire avec la Suisse serait dépourvu de sens.

La mise en danger de la vie ou de l'intégrité corporelle de personnes constitue un intérêt supérieur qui doit de toute manière être pris en considération par le bureau de communication lorsque celui-ci fait usage de son pouvoir d'appréciation pour décider de transmettre des informations. Il est cependant préférable d'insérer dans le texte de la loi le principe de l'interdiction de mise en danger des personnes concernées et des tiers. L'al. 2 renvoie à cette fin à l'interdiction pour le bureau de communication, prévue à l'art. 32, al. 3, LBA, de transmettre à une autorité de poursuite pénale étrangère le nom de la personne à l'origine de la communication.

En vertu de l'al. 3, le MROS décide de la transmission des informations à l'étranger, des modalités, ainsi que du moment de la transmission. Pour ce faire, il consulte au préalable l'OFJ ainsi que le DFAE. Afin de garantir l'autonomie de décision de la CRF, la décision finale reviendra au MROS conformément aux prescriptions du GAFI et aux principes du Groupe Egmont. En vertu du principe de la disponibilité, une CRF doit échanger avec ses homologues les informations
disponibles dans le cadre de l'entraide administrative. Ce principe exige notamment que la CRF décide seule de la transmission des informations à sa disposition60. Le MROS décide aussi seul de la transmission de ces informations, par le biais de la CRF étrangère, à l'autorité compétente en matière d'entraide de ce pays. Dans le cadre de la présente loi, il s'agit d'informations directement disponibles. Le refus d'informer dans les cas d'application de l'art. 31, let. b et c, LBA est toujours valable et obligatoire pour le MROS. Ce type de restriction est généralement accepté par les principes et la pratique du Groupe Egmont.

L'échange d'informations entre les CRF est couvert par le principe de la confidentialité. Le MROS peut dévoiler sa collaboration avec un ou plusieurs homologues étrangers dans un cas précis seulement avec l'autorisation préalable du ou des homologues étrangers concernés. Il s'ensuit que la décision du MROS de transmettre ces informations sera communiquée à l'OFJ ou au DFAE à condition que l'homologue étranger accepte que ces autorités soient mises au courant.

60

Voir à ce sujet les commentaires figurant dans le message du 27 juin 2012 relatif à la modification de la loi sur le blanchiment d'argent, FF 2012 6449 6459 s.

5176

2.3.4

Section 4 Confiscation de valeurs patrimoniales

La quatrième section du projet de loi intègre les dispositions matérielles de la LRAI.

Dans la mesure où les dispositions déjà en vigueur ont été reprises dans la loi, il est possible de renvoyer aux explications figurant dans le message du 28 avril 2010 relatif à la loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées61. Les divergences par rapport à la LRAI sont signalées et expliquées ci-après.

La voie classique pour restituer les avoirs de potentats est d'instaurer une coopération dans le cadre de l'entraide judiciaire internationale en matière pénale. L'expérience a toutefois démontré que cela ne suffit pas pour résoudre de manière satisfaisante la totalité des cas. Les cas d'entraide judiciaire avec des Etats en situation de défaillance posent de grandes difficultés en matière d'administration des preuves et d'établissement des faits juridiquement pertinents. La plupart du temps, ces procédures ne peuvent déboucher sur aucun jugement, ce qui rend impossible la confiscation pénale des valeurs patrimoniales. C'est ainsi que dans l'affaire Duvalier/Haïti, l'entraide judiciaire menaçait d'échouer définitivement en 201062, en raison de la situation de défaillance de l'Etat d'origine, Haïti. Cela aurait eu pour conséquence que les avoirs bloqués auraient dû être libérés, alors même que de très forts indices laissaient supposer que cet argent provenait d'actes de corruption ou d'autres crimes.

Une telle issue de la procédure aurait été très insatisfaisante. En 2011 la Suisse a créé la possibilité, par la LRAI, de confisquer les avoirs des potentats dans le cadre d'une procédure administrative devant les tribunaux suisses lorsque l'entraide judiciaire ne peut aboutir en raison de la défaillance de l'Etat d'origine (désigné sous le vocable de «failing state» ou de «failed state», soit «Etat défaillant»).

Le projet de loi ci-joint propose de reprendre intégralement les dispositions de la LRAI relatives à la confiscation, soit les art. 5 à 7 de cette loi. Cette procédure a désormais fait ses preuves puisqu'elle a très récemment permis à la Confédération de procéder à une confiscation des avoirs Duvalier après un long parcours judiciaire: en effet, suite à un arrêt du Tribunal administratif fédéral rendu le 24 septembre 201363 et entré en
force sans avoir été attaqué, la confiscation des avoirs de JeanClaude Duvalier et consorts, dont le blocage avait auparavant été ordonné par le Conseil fédéral, a été validée. Cet arrêt a ainsi ouvert la voie à une restitution de ces avoirs au peuple haïtien, ce qui représente un succès pour la Suisse.

Outre la reprise des dispositions précitées de la LRAI, le projet ci-joint prévoit d'étendre les possibilités de confiscation à des cas où une procédure d'entraide judiciaire est exclue en raison de standards insatisfaisants en matière de respect des droits de l'homme dans l'Etat d'origine. Il s'agit d'une des deux innovations d'importance contenues dans le projet par rapport au droit actuel. Les explications relatives à cette nouveauté figurent dans le commentaire de l'art. 4, al. 3.

61 62 63

FF 2010 2995 Dans le cas Mobutu/République démocratique du Congo, il a fallu, après des années d'efforts, libérer les avoirs bloqués et les restituer à leurs propriétaires.

Arrêt C-2528/2011

5177

Art. 14

Conditions et procédure

Lors de la procédure de consultation, cet article a fait l'objet de plusieurs commentaires. Ceux-ci sont le plus souvent le pendant de commentaires relatifs aux art. 1, 2, 4 ou encore 15 du projet; ces articles, logiquement, se reflètent dans l'énoncé des conditions relatives à la procédure de confiscation selon l'art. 14. Les commentaires affectant uniquement l'art. 14 ont été en revanche moins nombreux. Certains participants ont mis en question la nécessité même d'introduire une telle procédure administrative de confiscation, soulignant que la remise en vue de confiscation ou de restitution prévue par l'art. 74a EIMP suffisait amplement. Pour les raisons exposées plus en détail précédemment, le Conseil fédéral pense au contraire qu'il est indispensable de maintenir une procédure administrative spécifique de confiscation dans le projet de loi ci-joint puisque l'entraide judiciaire ne fonctionne précisément pas dans tous les cas impliquant les avoirs de potentats. L'art. 14 a donc été maintenu, mais son titre a été complété pour mieux mettre en évidence le fait qu'il énonce également les conditions permettant une confiscation.

L'al. 1 correspond à l'art. 5, al. 1, LRAI; il prévoit que le DFF peut ouvrir devant le Tribunal administratif fédéral une action en confiscation des valeurs patrimoniales bloquées. Cette compétence a jusqu'à présent été exercée par le Tribunal administratif fédéral dans le cadre de la LRAI sans que cela ne crée de difficultés particulières.

Il n'apparaît par conséquent pas judicieux de la transférer au Tribunal pénal fédéral, bien que celui-ci soit déjà compétent en matière d'entraide pénale internationale. Un tel transfert de compétences présenterait par ailleurs le gros désavantage de donner l'apparence d'un caractère pénal à l'action en confiscation, ce qu'il convient précisément d'éviter puisque la confiscation dont il est question est de nature administrative et n'implique aucunement la reconnaissance d'une culpabilité des PPE et ou des proches concernés (cf. à ce sujet les commentaires relatifs à l'art. 15). Le DFF agit sur mandat du Conseil fédéral, qui est compétent pour décider d'ouvrir une action en confiscation sur proposition du DFAE. La compétence formelle de représenter la Suisse dans la procédure judiciaire est dévolue au DFF, lequel dispose de l'expérience
et des ressources humaines nécessaires. Le DFAE collabore activement dans le cadre de cette procédure, comme cela s'est fait dans le cadre de la confiscation des avoirs Duvalier, confirmée par le Tribunal administratif fédéral le 24 septembre 201364.

L'ouverture d'une action en confiscation présuppose que le Conseil fédéral ait ordonné au préalable le blocage des valeurs patrimoniales en vertu de l'art. 4. A l'occasion de la procédure en confiscation selon l'art. 14 du projet, le Tribunal administratif fédéral est saisi par voie d'action. Selon l'art. 44, al. 1, de la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF)65, il statue alors en tant que première instance et la procédure est régie par les art. 3 à 73 et 79 à 85 de la loi fédérale du 4 décembre 1947 de procédure civile fédérale (PCF)66. Toutefois, contrairement à ce que prévoit l'art. 3, al. 2, PCF, le Tribunal administratif fédéral établit les faits d'office en vertu de la règle spéciale de l'art. 44, al. 2, LTAF. En revanche, il ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties (art. 3, al. 2, PCF).

Ainsi, devant le Tribunal administratif fédéral, en procédure d'action, contrairement à la procédure de recours, la maxime de disposition revêt une grande importance: 64 65 66

Arrêt C-2528/2011 RS 173.32 RS 273

5178

l'objet du litige est uniquement défini par les demandes des parties. Le Tribunal administratif fédéral ne peut par conséquent accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qu'elle a demandé67. Dans le cadre de cette procédure, les ayants droit des valeurs patrimoniales ont bien entendu la possibilité d'apporter la preuve de la licéité de l'acquisition de leurs valeurs patrimoniales (cf. commentaire de l'art. 15, al. 3). Un certain nombre de participants à la procédure de consultation ont proposé que des ONG puissent participer formellement à la procédure de confiscation menée d'abord devant le Tribunal administratif fédéral par voie d'action puis, éventuellement, devant le Tribunal fédéral par la voie du recours. Une telle solution aurait de nombreuses conséquences sur la conduite de telles procédures devant les tribunaux et nécessiterait d'autres modifications législatives, en tout cas s'il est question d'octroyer la qualité de partie à ces ONG. En revanche, dans la mesure où il serait uniquement question de fournir au DFF des informations relatives aux valeurs patrimoniales et aux PPE, voire des moyens de preuve pour aider celui-ci à étayer son action, rien n'empêche les ONG d'agir spontanément directement auprès du DFF. Pour ce faire, il conviendrait cependant que les ONG soient informées de la décision du Conseil fédéral chargeant le DFF d'ouvrir action devant le Tribunal administratif fédéral. Cela pourrait se faire, par exemple, par le biais d'une publication dans la Feuille fédérale.

L'al. 2 donne au Tribunal administratif fédéral la compétence, en qualité d'autorité de première instance, de prononcer la confiscation des valeurs patrimoniales bloquées. Le projet de loi comporte une précision linguistique dans la version allemande par rapport à la disposition analogue figurant dans la LRAI. Il dispose en effet que le Tribunal administratif fédéral prononce («anordnet») la confiscation des valeurs patrimoniales en question, lorsque les conditions légales y afférentes (cf.

let. a à c ci-après) sont remplies. La LRAI, pour sa part, posait comme règle que le Tribunal administratif fédéral décide («entscheidet») de la confiscation lorsque les conditions énoncées dans la loi sont remplies. La nouvelle formulation introduite dans le projet n'entraîne aucun changement sur le plan matériel. Si
les conditions énoncées respectivement aux art. 14, al. 2, et 5, al. 2, LRAI sont remplies, le Tribunal doit prononcer la confiscation. Dès que l'arrêt de confiscation du Tribunal administratif fédéral est entré en force, la propriété des valeurs patrimoniales en cause est transférée à la Confédération, en vue de leur restitution ultérieure.

La décision de confiscation est soumise aux trois conditions suivantes, qui doivent être remplies de manière cumulative: Aux termes de la let. a, les valeurs patrimoniales concernées doivent être soumises au pouvoir de disposition d'une PPE ou de proches de PPE, ou ces personnes doivent être les ayants droit économiques de ces valeurs patrimoniales. La définition des PPE et des proches de PPE est énoncée à l'art. 2. Les explications déjà fournies à propos des art. 3, al. 1, let. c, et 4, al. 1, let. c, impliquent que les valeurs patrimoniales de personnes morales peuvent aussi être confisquées si les conditions énoncées aux art. 14 ss sont remplies. La notion de pouvoir de disposition est déjà évoquée aux art. 3, al. 1, let. c, ch. 1, et 4, al. 1, let. c, ch. 1. Elle est intentionnellement formulée de manière ouverte, car le projet de loi vise aussi des formes indirectes du pouvoir de disposition.

67

ATAF 2008/16, consid. 2.2

5179

Aux termes de la let. b, les valeurs patrimoniales doivent être d'origine illicite. La «provenance illicite» des valeurs patrimoniales dépend du contexte dans lequel celles-ci ont été acquises (cf. art. 15). L'origine est illicite notamment en cas d'actes de corruption, de gestion déloyale ou d'autres crimes.

La troisième condition, exposée à la let. c, est purement formelle. Seules les valeurs patrimoniales qui ont été bloquées par le Conseil fédéral en vertu de l'art. 4 peuvent être confisquées. Le texte de la let. c fait l'objet d'une adaptation rédactionnelle par rapport à la LRAI; il introduit en effet la référence à un blocage prononcé en vertu de l'art. 4 du projet de loi ci-joint. En vertu de l'art. 4, al. 3, ce blocage peut, être prononcé aussi au cas où la coopération judiciaire n'est pas envisageable avec l'Etat d'origine pour cause d'absence de garanties de respect des principes de procédure fixés par la CEDH ou le Pacte II de l'ONU (art. 2, let. a, EIMP).

L'al. 3 précise que la prescription de l'action pénale ou de la peine ne peut pas empêcher l'adoption de mesures administratives. Il correspond à l'art. 5, al. 3, LRAI.

Tout comme l'art. 5, al. 4, LRAI, l'al. 4 dispose que la procédure en confiscation est suspendue en cas de reprise de la procédure d'entraide judiciaire. Si l'entraide judiciaire aboutit, la procédure en confiscation devient sans objet et doit être rayée du rôle.

Art. 15

Présomption d'illicéité

Le présent article précise les conditions dans lesquelles l'origine des valeurs patrimoniales est présumée illicite. Il correspond à l'art. 6 LRAI. Les procédures d'entraide judiciaire avec des Etats défaillants présentent de grandes difficultés, qu'il s'agisse de constater l'état de faits juridiquement pertinents, de produire des moyens de preuve ou d'établir l'existence d'un jugement exécutoire. A cela s'ajoute la complexité croissante des structures financières utilisées par les PPE pour effacer tout indice qui révèlerait l'origine de leurs avoirs et les liens qui les unissent à ceux-ci.

Lors de la procédure de consultation, cette disposition a été très largement commentée. Pour ses partisans, elle constitue une pièce centrale du nouveau dispositif législatif et elle est même indispensable pour rendre possible une confiscation devant les tribunaux suisses compte tenu des très grandes difficultés probatoires auxquelles la Confédération est confrontée dans ce genre d'affaires. Pour ses détracteurs, l'art. 15 doit être purement et simplement supprimé car il n'est tout simplement pas compatible avec les garanties procédurales consacrées par la Cst., la CEDH et le Pacte II, en particulier avec la présomption d'innocence (cf. art. 32, al. 1, Cst., 6, par. 2, CEDH, 14, par. 2, Pacte II). Pour des raisons développées en détail ci-après, cette disposition qui est compatible avec la CEDH et les autres instruments internationaux auxquels la Suisse est partie (cf. les commentaires relatifs au ch. 5.2), a été maintenue.

Il convient par ailleurs de préciser que le renversement du fardeau de la preuve concernant l'origine des fonds est une possibilité mentionnée à l'art. 31, ch. 8, CNUCC, que les Etats Parties sont invités à envisager d'inclure dans leur droit interne. Enfin, on soulignera aussi que le renversement du fardeau de la preuve n'est pas inconnu en droit pénal suisse: l'art. 260ter CP relatif aux organisations criminelles permet en effet, en conjonction avec l'art. 72 CP, un renversement partiel du fardeau de la preuve. Aux termes de cette disposition, les valeurs appartenant à une 5180

personne qui a participé ou apporté son soutien à une organisation criminelle sont «présumées soumises, jusqu'à preuve du contraire» au pouvoir de disposition de l'organisation et, partant, sont susceptibles d'être confisquées. Ainsi que l'a précisé le Tribunal fédéral dans son arrêt relatif aux avoirs Abacha, l'autorité de poursuite pénale doit tout de même prouver que la personne en cause a eu un comportement antérieur punissable (appartenance ou soutien à l'organisation criminelle), mais il n'est pas nécessaire de prouver que cette personne ou cette organisation ont commis une infraction déterminée, ni que les valeurs proviennent d'un crime68.

Conformément à l'al. 1, l'origine illicite des valeurs patrimoniales est présumée, lorsque deux conditions cumulatives sont remplies: Aux termes de la let. a, le patrimoine de la personne qui a le pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales doit avoir fait l'objet d'un accroissement exorbitant pendant la période où la PPE a exercé sa fonction publique. Deux cas de figure sont visés: celui où la PPE détient le pouvoir de disposition et celui où la personne qui détient le pouvoir de disposition n'est pas celle qui exerçait une fonction publique mais une personne qui lui est proche. La notion d'«accroissement exorbitant» fait l'objet d'une définition à l'al. 2. Au vu des commentaires soumis lors de la procédure de consultation, la teneur de la let. a a été légèrement modifiée: l'expression «en relation avec» pouvant en effet être comprise comme impliquant une véritable relation de cause à effet entre l'accroissement du patrimoine et l'exercice de la fonction publique, elle a été remplacée par l'expression «facilité par». Cette modification allégera quelque peu l'établissement des faits permettant le renversement du fardeau de la preuve, même si l'existence d'un lien entre la fonction et l'accroissement du patrimoine demeure une exigence. La référence explicite à la qualité d'ayant droit économique a par ailleurs été ajoutée puisque le pouvoir de disposition doit être compris largement (cf. les commentaires relatifs aux art. 3, al. 1, et 14, al. 2, du projet).

La let. b porte sur le degré de corruption notoirement élevé de l'Etat d'origine ou de la PPE en cause durant la période où celle-ci a exercé sa fonction publique. Dans le cadre de la présente
loi, il faut considérer que la corruption est largement répandue dans l'Etat d'origine de la PPE lorsqu'un certain nombre d'indices issus de diverses sources crédibles le confirment. Il s'agit en particulier de rapports d'organisations nationales et internationales69, d'ONG locales ou internationales, ou encore d'autres sources publiques comme les médias, actives en matière de lutte contre la corruption ou dans la bonne gestion des affaires publiques (gouvernance). Il peut également s'agir de rapports établis par les représentations suisses à l'étranger ou des jugements de tribunaux. Les cas survenus jusqu'à présent ont montré qu'une corruption à grande échelle va souvent de pair avec la situation de défaillance de l'Etat d'origine.

Comme autre exemple typique, on peut citer, outre les cas Duvalier et Mobutu, le cas Suharto. Pendant la période où ils ont exercé leur fonction publique, le degré de corruption de ces personnes, comme de leur pays (Indonésie, République Démocratique du Congo et Haïti70) était notoirement élevé.

Pour répondre aux nombreuses critiques formulées durant la procédure de consultation au sujet de la présence de nombreuses notions juridiques indéterminées dans le 68 69 70

ATF 131 II 169, consid. 9.1 Par exemple la Banque mondiale mais aussi Transparency International, qui effectuent régulièrement des travaux de recherche et des analyses sur le thème de la corruption.

Arrêt du Tribunal pénal fédéral du 12 août 2009, RR.2009.94, consid. 3.2.3

5181

projet, une définition de l'expression «accroissement exorbitant» du patrimoine a été introduite à l'al. 2. Pour que le caractère exorbitant de l'accroissement soit donné, il faut une disproportion importante entre le revenu légitime acquis par la personne qui a le pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales et l'augmentation du patrimoine en cause, telle qu'elle ne s'explique pas par l'expérience générale de la vie et le contexte du pays.

Deux cas de figure sont visés: celui où la PPE détient elle-même le pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales et celui où la personne qui détient le pouvoir de disposition n'est pas celle qui exerçait une fonction publique mais une personne qui lui est proche. Une disposition similaire existe dans la CNUCC. L'art. 20 de la CNUCC mentionne une augmentation substantielle du patrimoine d'un agent public, que celui-ci ne peut raisonnablement justifier en relation avec ses revenus légitimes. Avec la notion d'accroissement exorbitant, la loi proposée place le degré d'enrichissement à un niveau plus élevé que la CNUCC. Des indices concrets doivent permettre de démontrer l'accroissement exorbitant de la fortune de ces personnes durant la période correspondante. Tel serait le cas par exemple d'un président ou d'un ministre devenu millionnaire au cours de son mandat alors que son revenu officiel est peu élevé et qu'il ne possédait auparavant qu'un patrimoine modeste71.

Un autre exemple pourrait être le cas d'un proche d'une PPE dont la société de construction ou de prestation de services enregistre de façon connexe au mandat en cause un accroissement substantiel de ses bénéfices dans le cadre de marchés publics. En revanche, la notion d'accroissement exorbitant ne vise clairement pas l'augmentation des valeurs patrimoniales obtenue par exemple grâce à leur gestion adéquate par la banque où elles sont déposées. Il faut d'autre part tenir compte du fait qu'avant d'exercer leurs fonctions publiques, des PPE ont déjà pu acquérir un patrimoine important de façon licite, tout comme leurs proches. Il appartiendra aux personnes concernées, dans le cadre de l'action en confiscation, d'apporter les éléments de nature à attester l'existence préalable d'un tel patrimoine (cf. les commentaires relatifs à l'al. 3 dans le cadre du présent article).

Aux termes de
l'al. 3, la présomption est renversée si la licéité de l'acquisition des valeurs patrimoniales est démontrée avec une vraisemblance prépondérante, notamment en présentant les pièces utiles et en expliquant les transactions douteuses72. Un tel renversement du fardeau de la preuve n'est pas une nouveauté dans le droit suisse. Un mécanisme analogue est déjà prévu en droit pénal pour les organisations criminelles (cf. les commentaires relatifs à l'al. 1 dans le cadre de cet article) mais aussi en droit administratif à l'image de la saisie des valeurs patrimoniales de requérants d'asile (art. 87, al. 2, de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile73). A l'instar de la garantie de la propriété, des restrictions des droits fondamentaux sont admissibles pour autant qu'elles reposent sur une base légale, qu'elles se justifient par des motifs d'intérêt public et qu'elles respectent le principe de la proportionnalité. Cette solution est dictée par la situation car l'échec de l'entraide judiciaire rend pratiquement impossible pour les autorités la production des preuves de l'origine illicite des valeurs patrimoniales, alors qu'il demeure relativement aisé pour les personnes 71

72 73

Voir à cet égard le montant du salaire du Président de la République d'Haïti et de son épouse mis en relation avec le montant des valeurs patrimoniales bloquées, arrêt du tribunal administratif fédéral C-2528/2011 du 24 septembre 2013, consid. 5.4.4.

Arrêt de la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 26 septembre 2005, consid. 4 et les réf. citées.

RS 142.31

5182

concernées d'établir, au seuil de la vraisemblance prépondérante, l'origine de leur patrimoine.

Art. 16

Droit des tiers

Cette disposition vise à garantir les droits des autorités suisses (let. a) et ceux des tiers de bonne foi (let. b) sur les valeurs patrimoniales à confisquer. Elle est directement inspirée de l'art. 74a EIMP, dont elle reprend le principe. Le but de cette disposition, qui correspond à l'art. 7 LRAI, est de permettre aux autorités suisses ou aux tiers de bonne foi de faire valoir leurs revendications avant que les biens ne soient restitués. Seuls peuvent s'en prévaloir, à certaines conditions, les tiers qui sont détenteurs de droits réels.

Lors de la procédure de consultation, cette disposition n'a pas été critiquée dans son principe. Un certain nombre de participants, notamment des ONG, ont cependant suggéré qu'elle prévoie expressément le droit des victimes à obtenir réparation.

Cette nouveauté, qui poursuit certes un but louable mais qui irait à l'encontre des objectifs visés par la présente loi, n'a cependant pas été intégrée: la loi vise à saisir puis confisquer les avoirs des PPE en vue d'en faire bénéficier collectivement la population du pays par le biais d'une restitution obéissant à certains principes (cf.

art. 17). Il n'est pas question de faciliter, par ce biais, une réparation individuelle des préjudices subis par les victimes. Une telle façon de faire présenterait en outre le risque que seul un petit nombre de victimes, particulièrement bien aidées sur le plan juridique et financier, puissent se voir attribuer la majeure partie ou même la totalité des valeurs confisquées. Cela se ferait au détriment de la population du pays concerné. Lors de la mise en place de programmes d'intérêt public, il sera cependant possible de faire en sorte que certaines régions ou certains groupes de population en bénéficient plus particulièrement. Une telle façon de faire serait parfaitement compatible avec l'art. 17, let. a, du projet.

La sauvegarde des droits des autorités suisses doit garantir la prise en considération des intérêts publics sur les valeurs patrimoniales concernées. Ne pourraient ainsi être confisquésles biens faisant déjà l'objet de mesures de saisie dans le cadre d'une procédure pénale suisse. S'opposeraient également à une restitution les droits acquis par une collectivité publique sur un immeuble pour les différentes taxes afférentes à celui-ci.

Les personnes privées ne peuvent
faire valoir leurs droits que moyennant la réalisation de différentes conditions. Premièrement, la personne concernée ne doit pas être proche de la PPE et deuxièmement, cette personne doit avoir acquis de bonne foi des droits réels sur les valeurs patrimoniales. La notion de «bonne foi» est prise au sens du pénal et signifie en substance que la personne pouvait légitimement présumer de l'origine licite des avoirs, compte tenu des circonstances. Troisièmement, le droit invoqué doit avoir été acquis en Suisse ou avoir été reconnu par une autorité judiciaire suisse74.

Selon le libellé de la let. b, seuls les droits réels peuvent faire obstacle à la confiscation, par analogie à ce qui prévaut en matière de remise en vue de confiscation ou de restitution dans le cadre de l'entraide pénale internationale75. Ainsi, un garagiste pourra obtenir préalablement le paiement de frais qu'il a encourus pour l'entre74 75

Voir à ce sujet l'art. 74a, al. 4, let. c et al. 5, let. c, EIMP.

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_166/2009 du 3 juillet 2009, consid. 2.3.4

5183

posage d'une voiture soumise à confiscation. En revanche, les droits personnels ne peuvent pas faire obstacle à la restitution. Cette limitation aux droits réels a été maintenue malgré certaines demandes formulées lors de la consultation tendant à étendre la possibilité de s'opposer à la confiscation aux titulaires de droits de créance relevant du droit des obligations.

Les conditions posées sont volontairement restrictives. La protection de la bonne foi des tiers est certes plus restreinte que ce que prévoit la formulation de l'art. 70 CP ou de l'art. 74a, al. 4, let. c, EIMP. L'art. 16 est toutefois conforme à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral et du Tribunal pénal fédéral. Selon cette jurisprudence, seul est en effet protégé le tiers qui possède sur les valeurs patrimoniales à confisquer un droit de propriété ou un droit réel limité (notamment un droit de gage). En revanche, tel n'est pas le cas du tiers qui ne possède que des droits personnels de nature obligationnelle (bail, prêt, mandat, créance, fiducie, etc.) ou de l'ayant droit économique qui n'est qu'indirectement touché par la mesure de confiscation. Cette restriction s'applique tant dans les procédures de confiscation nationales que dans les procédures d'entraide internationale.

Du reste, une pesée des intérêts entre les droits des tiers de bonne foi et la finalité de la restitution des valeurs a été effectuée. L'expérience a en effet démontré que des tiers font parfois valoir sur les valeurs patrimoniales bloquées des titres juridiques douteux, par exemple sur la base d'un jugement étranger ou d'une reconnaissance de dettes de complaisance difficilement vérifiables. Il convient donc d'éviter que la valeur du patrimoine soit diminuée par des prétentions douteuses de tiers.

2.3.5

Section 5 Restitution de valeurs patrimoniales

Depuis l'affaire des avoirs Marcos en 1986, la Suisse a restitué aux Etats d'origine des avoirs de potentats équivalant à 1,8 milliard de dollars américains. On peut citer en exemple les cas Abacha (Nigeria), Montesinos (Pérou) et certains avoirs de PPE d'Angola et du Kazakhstan. Dans certains cas, la Suisse est intervenue après avoir reçu une demande d'entraide judiciaire d'un Etat tiers (par exemple dans un cas concernant le Kazakhstan). Dans d'autres cas, les poursuites pénales ont été lancées en Suisse, sans demande d'entraide judiciaire (par exemple dans un autre cas concernant l'Angola). La Suisse est parvenue dans tous les cas à faire respecter, lors de la restitution, les principes de la transparence et de l'obligation de rendre des comptes. Suivant le contexte, les attentes et les possibilités des parties concernées, la restitution a pris des formes différentes dans chaque cas. La Suisse voulait s'assurer ainsi que les sommes restituées bénéficieraient à la population de l'Etat d'origine.

C'est ainsi que des programmes dans les domaines de la santé, de l'éducation et de la bonne gouvernance au bénéfice de la population ont pu être financés. Le cas du Kazakhstan, dans lequel des fonds ont été restitués, avec le soutien de la Banque mondiale, au travers d'une fondation indépendante pour la jeunesse (BOTA), et celui de l'Angola, où seule la Suisse, représentée par la Direction du développement et de la coopération (DDC), a encadré la restitution, constituent des exemples de cette pratique.

Les principes en vertu desquels la Suisse restitue des valeurs patrimoniales aux Etats d'origine figurent déjà dans la LRAI. Conformément au champ d'application de cette loi, il s'est agi exclusivement de restitution de valeurs patrimoniales à l'issue 5184

d'une action en confiscation ayant abouti. Il s'agit toutefois pour l'essentiel des mêmes principes que la Suisse applique depuis un certain temps déjà en matière de restitution d'avoirs illicites. C'est pourquoi les dispositions de la LRAI doivent être intégrées dans la présente loi, après leur avoir apporté de légères adaptations dans la mesure où cela s'est avéré opportun. Le commentaire relatif à chaque disposition signale les éventuelles adaptations.

Art. 17

Principe

L'art. 17 énonce le principe sur lequel se fonde depuis longtemps la pratique de restitution suisse. Des études de la Banque mondiale montrent que le détournement de fonds publics par des PPE a d'importantes conséquences sur le développement économique de l'Etat d'origine. Les valeurs patrimoniales rapatriées depuis la Suisse doivent donc servir à améliorer les conditions de vie de la population dans l'Etat d'origine (let. a).

Après des décennies de dictature, ou après des bouleversements politiques, le système judiciaire de l'Etat d'origine est souvent affaibli. De même que la LRAI, le projet de loi prévoit dès lors que la restitution des valeurs patrimoniales peut également avoir pour but de renforcer l'état de droit dans l'Etat d'origine et ainsi de contribuer à lutter contre l'impunité. En ce qui concerne la formulation de la let. b, le projet de loi prévoit uniquement une modification rédactionnelle par rapport à la LRAI: concrètement, le sens de cette disposition est que les avoirs restitués doivent servir à empêcher l'impunité.

Ainsi, les programmes sélectionnés et mis en oeuvre viseront à réduire la pauvreté et à combattre l'impunité.

Lors de la procédure de consultation, cette disposition a fait l'objet d'un accueil favorable. Certains participants ont réclamé que le droit des victimes à obtenir réparation soit mentionné expressément. Référence est faite à cet égard aux commentaires relatifs à l'art. 16. D'autres demandes visaient à inscrire à l'art. 17 l'obligation de suspendre le processus de restitution des valeurs confisquées en cas de soupçons de détournement des sommes restituées à des fins étrangères à celles prévues dans cet article. Cet ajout n'a pas paru nécessaire car il va de soi qu'on veillera au bon déroulement du processus de restitution et que toutes les mesures nécessaires, y compris la suspension d'un programme, seront prises en cas de risque d'abus dans le pays d'origine.

Art. 18

Procédure

Conformément aux objectifs généraux de l'art. 17, la restitution des valeurs patrimoniales en vertu de l'al.1 doit passer par le financement de programmes d'intérêt public. Ces programmes sont définis dans toute la mesure du possible en accord avec le gouvernement de l'Etat d'origine.

Jusqu'à présent, lors de la restitution des valeurs patrimoniales, la Suisse se chargeait généralement de l'organisation et du suivi de ce processus. Dans certains cas, cette restitution passait par une organisation internationale, par exemple la Banque mondiale, ou était effectuée en collaboration avec un Etat tiers associé à la procédure d'entraide judiciaire. Comme cela a déjà été mentionné, il y a également eu des cas où la restitution passait par la DDC ou par des organisations non gouvernementales locales. L'expérience montre que chaque cas doit faire l'objet d'une évaluation 5185

individuelle pour savoir quelle forme de restitution est la plus à même de servir les objectifs de l'art. 17.

Les modalités de la restitution sont généralement réglementées dans des accords.

L'accord est passé soit avec l'Etat d'origine, soit avec une institution internationale, comme la Banque mondiale, qui est chargée de la restitution des avoirs (voir à ce sujet le commentaire sur l'al. 4, ci-dessous). L'al. 2 introduit une norme de délégation qui permet au Conseil fédéral de conclure ce type d'accords de manière autonome. Il s'agit d'une extension de la norme de délégation prévue dans la LRAI, qui était limitée aux cas de restitution après confiscation en Suisse. Pour faire suite à de nombreuses demandes formulées lors de la procédure de consultation, il a été décidé d'ajouter, dans cet alinéa, une nouvelle phrase selon laquelle le Conseil fédéral devra associer dans la mesure du possible les organisations non gouvernementales au processus de restitution. Il s'agit d'un renforcement de la pratique actuelle. Sont ici visées avant tout ­ mais pas exclusivement ­ les organisations non gouvernementales du pays d'origine. En revanche une obligation générale de publication de tels accords dans le RO a été écartée, car cela créerait un surcroît de travail administratif.

De nombreux traités ne sont actuellement pas publiés au RO mais ils peuvent être consultés dans la Banque de données des traités internationaux tenue à jour par le DFAE (DDIP). De plus, l'application de la LTrans permettra en pratique de répondre dans une large mesure aux demandes d'accès à de tels documents.

L'al. 3 énonce les points qui doivent normalement être réglés dans ce type d'accords. La liste des let. a à d n'est pas exhaustive.

L'existence d'un gouvernement démocratiquement élu dans l'Etat d'origine n'est pas nécessairement une condition à la restitution des valeurs confisquées. Il convient de trouver dans chaque cas une voie permettant d'assurer, conformément à l'art. 17, que les valeurs restituées profiteront bien à la population de l'Etat d'origine voire à un groupe de cette population (cf. commentaires relatifs à l'art. 17). Dans certaines circonstances, la restitution des fonds peut se faire directement à l'Etat d'origine lorsque celui-ci peut apporter des garanties crédibles quant à l'utilisation future des fonds
restitués. En règle générale, le Conseil fédéral veille toutefois, en accord avec l'Etat concerné, à s'assurer que soient financés des programmes d'intérêt public sous la supervision d'institutions indépendantes. A défaut d'accord avec l'Etat d'origine, le Conseil fédéral fixe les modalités de restitution en application de l'al. 4. Il peut notamment restituer les valeurs patrimoniales confisquées par l'entremise d'organismes internationaux ou nationaux et prévoir une supervision par le DFAE. En dernier ressort ou en cas de conflit grave, les valeurs à restituer peuvent être affectées à la réduction de la dette internationale de l'Etat d'origine auprès d'autres sujets de droit international ou être utilisées au bénéfice de l'aide humanitaire. Des organisations internationales comme la Banque mondiale, le CICR ou les banques régionales de développement pourraient servir d'intermédiaires, mais également des organisations non gouvernementales locales. Le but est de couvrir tout le spectre des partenaires potentiels qui peuvent assurer une restitution transparente et efficace des valeurs patrimoniales.

5186

Enfin, il convient de préciser que la loi fédérale du 19 mars 2004 sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées (LVPC)76 ne s'applique pas, en vertu de son champ d'application (art. 2), à la restitution des valeurs confisquées sur la base de la présente loi.

Art. 19

Frais de procédure

Le présent article reprend en grande partie la teneur de l'art. 10 LRAI et s'inspire de l'art. 57, par. 4, CNUCC, qui prévoit que l'Etat requis peut déduire des «dépenses raisonnables», en dédommagement de son rôle dans la procédure de restitution. Le message relatif à cette convention précise que «par , il faut entendre les coûts et les dépenses encourues et non les honoraires d'intermédiaires ou d'autres dépenses sans affectation précise»77. Les coûts pris en considération correspondent au surcroît de travail assumé par les autorités suisses impliquées dans de tels cas. Le montant retenu vise à dédommager la Confédération ou les cantons pour ce surcroît de travail et, cas échéant, à couvrir d'éventuelles dépenses extraordinaires. L'expérience a montré que le traitement de ces dossiers implique en effet un énorme déploiement de ressources au sein des autorités suisses impliquées.

A titre d'exemple, le cas Duvalier occupe l'administration fédérale depuis 1986 et le traitement du cas Mobutu a duré douze ans, soit de 1997 à 2009. C'est en se fondant sur cette expérience et sur l'article précité de la CNUCC qu'un montant de 2,5 % au maximum des valeurs patrimoniales confisquées a été fixé. Cette disposition figure déjà dans la LRAI. L'al. 1 ajoute les frais des mesures de soutien aux frais de blocage et de restitution, de sorte que le champ d'application de cette disposition est étendu à tout le texte de loi. Le calcul du montant à retenir concrètement se fera individuellement pour chaque cas. Il convient de souligner qu'une telle retenue n'est pas automatique. Aux termes de l'al. 2, le Conseil fédéral décide au cas par cas si un forfait peut être retenu et, dans l'affirmative, en fixe le montant. Pour ce faire, il tient compte notamment des dépenses occasionnées et du travail fourni. Si une somme est effectivement retenue, elle sera portée au crédit de la Confédération (caisse fédérale) ou des cantons. Outre le montant du forfait, le Conseil fédéral fixe aussi au cas par cas les éventuelles modalités de partage entre la Confédération et les cantons. Il est particulièrement important de tenir compte des cantons qui ont eux-mêmes ouvert des procédures judiciaires ou pénales de grande envergure dans un cas précis et se sont, à ce titre, investis dans la coopération avec l'Etat
d'origine. Pour mieux prendre en compte les ressources effectivement mobilisées par les cantons dans le processus allant du blocage à la restitution, l'al. 2 a été complété par l'obligation, pour le Conseil fédéral, d'entendre les cantons concernés avant de fixer le montant du forfait et les modalités de partage. En revanche, malgré un certain nombre de demandes allant dans ce sens lors de la procédure de consultation, la possibilité d'imputer aux intermédiaires financiers une partie des frais de procédure n'a pas été retenue. Cela ne correspondrait pas au sens du projet de loi ci-joint. Le fait que les intermédiaires financiers concernés aient éventuellement violé leurs obligations de diligence au sens de la LBA est en effet réprimé dans le cadre d'une autre procédure.

La LVPC ne s'applique pas non plus dans le contexte des modalités de partage entre la Confédération et les cantons du montant forfaitaire retenu au titre des frais de 76 77

RS 312.4 Message du 21 septembre 2007 concernant la Convention des Nations Unies contre la corruption, FF 2007 6931 6989.

5187

procédure. Ni la clé de répartition prévue à l'art. 5 LVPC ni la déduction des frais prévue à l'art. 4, al. 1, LVPC ne donnent donc, même par analogie, d'indications sur les modalités du partage entre la Confédération et les cantons auquel doit procéder le Conseil fédéral.

2.3.6 Art. 20

Section 6 Protection juridique Demande de radiation

L'art. 20 règle la protection juridique applicable aux personnes physiques ou morales dont les valeurs patrimoniales ont été bloquées sur ordonnance du Conseil fédéral. En règle générale, il s'agira d'un blocage préventif en vertu de l'art. 3. Dans ce type de cas, le Conseil fédéral ordonne le blocage de toutes les valeurs patrimoniales détenues en Suisse par un certain groupe de personnes. Une annexe à l'ordonnance contient la liste des personnes physiques et morales dont les valeurs patrimoniales sont bloquées. A ce stade, l'on ne sait pas encore de quelles valeurs patrimoniales il s'agit et l'on n'a pas non plus connaissance de l'endroit où celles-ci seraient conservées. Cette mesure a des conséquences juridiques (blocage effectif, obligation de déclarer et de renseigner etc.) pour un cercle non défini de personnes qui détiennent ou gèrent ce type de valeurs patrimoniales ou ont connaissance de leur existence (art. 3 en lien avec l'art. 7). En conséquence, le blocage en vertu de l'art. 3 sera généralement effectué par voie d'ordonnance.

Les blocages de valeurs patrimoniales à titre conservatoire empiètent sur les droits des personnes concernées. Il est donc indispensable de prévoir une voie de droit effective et efficace. Il faut cependant tenir compte du fait que les mesures de blocage à titre provisionnel n'ont pas valeur accusatoire ni confiscatoire. Comme il ne s'agit que de mesures conservatoires, elles n'exigent pas le même degré de motivation qu'une décision finale quant au fond ou qu'un jugement pénal de condamnation ou d'acquittement.

Le projet d'acte législatif prévoit à l'al. 1 la possibilité, pour les personnes physiques et morales concernées par un blocage, de déposer auprès du DFAE une demande motivée de radiation de leur nom de la liste figurant en annexe de l'ordonnance de blocage. Sont ici applicables les règles générales de procédure énoncées au chapitre II (art. 7 à 43) de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA)78, en particulier l'obligation de collaboration (art. 13 PA). Conformément à l'al. 2, le DFAE rend une décision sujette à recours. Celle-ci pourra être contestée d'abord devant le Tribunal administratif fédéral puis, en dernière instance, devant le Tribunal fédéral dans le cadre normal de la procédure fédérale (cf. art. 21).
Cette solution correspond à la protection juridique que garantit l'application des ordonnances de blocage79 directement fondées sur l'art. 184, al. 3, Cst. L'ordonnance du Conseil fédéral ne saurait faire l'objet d'un recours distinct (cf. commentaires de l'art. 21, al. 3, ci-après).

78 79

RS 172.021 O-Tunisie, O-Egypte et O-Ukraine.

5188

Art. 21

Recours

Conformément à l'al. 1, les décisions fondées sur le projet de loi ci-joint peuvent faire l'objet d'un recours au Tribunal administratif fédéral selon les dispositions générales sur la procédure fédérale et conformément à l'art. 33, let. b, ch. 3, LTAF, qui sera adapté en conséquence. Il s'agit en premier lieu de décisions prises en vertu des art. 4 et 20, al. 2.

L'art. 11, al. 1, LRAI prévoit déjà la possibilité de recourir contre une décision de blocage du Conseil fédéral auprès du Tribunal administratif fédéral. A l'avenir, le blocage en vertu de l'art. 4 du projet ci-joint fera toujours l'objet d'une décision.

Celle-ci portera sur des valeurs patrimoniales clairement définies soumises au pouvoir de disposition d'un nombre déterminé de personnes. La formulation générale de l'art. 21, al. 1, couvre donc également les décisions de blocage en vue de la confiscation prononcées par le Conseil fédéral sur la base de l'art. 4.

Conformément à la solution prévue à l'art. 13, la communication d'informations à l'Etat d'origine s'effectuera selon les conditions et modalités des art. 30, 31, let. b et c, et 32, al. 3, LBA. Une telle transmission est entièrement confidentielle et ne revêt pas la forme d'une décision administrative. Cela n'a pas pour conséquence de priver de toute protection judiciaire les personnes au sujet desquelles des informations sont communiquées spontanément aux autorités étrangères: ces personnes disposent bien entendu de la protection juridique applicable en matière d'entraide judiciaire80, ainsi que de la possibilité de recourir contre une décision subséquente de blocage prise en application de l'art. 4. Elles pourront aussi, le cas échéant, faire valoir leurs arguments dans le cadre d'une éventuelle action en confiscation ouverte sur la base de l'art. 14. L'ensemble de ces moyens de droit à leur disposition permet de considérer que la solution proposée est conforme à la garantie de l'accès au juge (art. 29a Cst.)

et aux garanties conventionnelles (art. 6 et 13 CEDH).

L'al. 2 réglemente l'effet suspensif des recours interjetés contre des décisions rendues en application du présent de loi. D'ordinaire, le recours au Tribunal administratif fédéral a un effet suspensif (art. 55, al. 1, PA). S'agissant d'une mesure de blocage, l'octroi de l'effet suspensif réduirait à néant le but
de la procédure puisque les valeurs patrimoniales bloquées risqueraient de quitter la Suisse pendant la procédure de recours. C'est pourquoi l'al. 2 retire tout effet suspensif au recours. La décision sur recours rendue par le Tribunal administratif fédéral peut ensuite faire l'objet d'un recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral selon les règles de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF)81. La succession de deux instances correspond à la pratique juridique suisse. L'absence d'effet suspensif au recours prévue à l'al. 2 vaut également pour le recours interjeté devant le Tribunal fédéral, en sorte que l'art. 103, al. 3, LTF ne trouve pas à s'appliquer. Concernant les décisions de blocage prises par le Conseil fédéral sur la base de l'art. 4, l'art. 21, al. 1, constitue donc une exception au principe prévu à l'art. 189, al. 4, 1re phrase, Cst.

selon laquelle les actes du Conseil fédéral ne sont pas sujets à recours. Cette exception est justifiée par la portée du blocage sur des prétentions protégées par la garantie de la propriété (art. 26 Cst.).

80 81

En particulier dans le cadre d'un éventuel recours dirigé contre la décision de clôture de l'entraide, ATF 125 II 238, consid. 6a.

RS 173.110

5189

Reprenant l'art. 11, al. 3, LRAI, l'art. 21 de l'avant-projet mis en consultation prévoyait que le grief de l'inopportunité ne pouvait être invoqué. Cette exception à l'art. 49, let. c, PA était justifiée, dans le rapport explicatif, par le pouvoir d'appréciation important revenant au Conseil fédéral lorsque celui-ci ordonne un blocage.

Lors de la procédure de consultation, de nombreux participants ont insisté sur la nécessité de prévoir une protection juridique suffisamment forte compte tenu des atteintes importantes aux droits des particuliers résultant des mesures prises sur la base du projet de loi. Quelques prises de position isolées ont, plus spécifiquement, souligné qu'une exclusion du contrôle de l'opportunité ne se justifiait pas dans ce contexte. Au vu de ces réactions, il est préférable de ne pas déroger au système général prévu par l'art. 49 PA. Le Tribunal administratif fédéral verra ainsi son pouvoir d'examen s'étendre au contrôle de l'opportunité des décisions prises en vertu du projet de loi ci-joint, ce qui ne l'empêchera pas de s'imposer une certaine retenue dans l'exercice du contrôle de l'opportunité s'il le juge nécessaire. Au reste, le contrôle exercé par le Tribunal administratif fédéral quant à la validité des blocages ordonnés en application des ordonnances fondées sur l'art. 184, al. 3, Cst.

s'étend déjà à l'opportunité en vertu du droit actuel82, en sorte que cette solution a l'avantage de représenter une certaine continuité.

Conformément à l'al. 3, les ordonnances de blocage fondées sur le projet de loi ci-joint ne peuvent pas faire l'objet d'un recours. Cette solution a été expressément validée par le Tribunal fédéral dans un arrêt récent selon lequel l'ordonnance ­ y compris son annexe mentionnant les personnes et entités visées ­ ne peut pas être contestée en tant que telle; l'intéressé doit donc requérir sa radiation auprès du département compétent, lequel est tenu de statuer sur la requête en rendant une décision afin d'offrir une protection juridictionnelle83. Cet arrêt portait certes sur des ordonnances servant à mettre en oeuvre des sanctions internationales, ordonnances qui reposent depuis le 1er janvier 2003 sur la loi du 22 mars 2002 sur les embargos (LEmb)84. Les principes dégagés par le TF dans cet arrêt ont cependant été repris ensuite par le Tribunal
administratif fédéral dans un arrêt85 examinant la recevabilité d'un recours dirigé contre une modification de l'annexe de l'O-Egypte. Il convient donc de les prendre en compte dans le projet de loi ci-joint.

La voie de droit est ainsi garantie par la possibilité de déposer une demande de radiation au sens de l'art. 20, demande qui sera suivie d'une décision motivée et sujette à recours. Les personnes dont le nom figure dans la liste en annexe de l'ordonnance de blocage sont légitimées à déposer un recours et peuvent faire valoir la violation de leurs droits fondamentaux (p.ex. la violation de la garantie de la propriété ou la violation de la liberté économique). En outre, l'art. 5, al. 2, donne explicitement aux personnes contre lesquelles il s'avère ultérieurement que l'ordonnance de blocage était injustifiée le droit de demander leur radiation de la liste et ainsi d'obtenir la levée du blocage.

82 83 84 85

Voir p. ex. arrêt du Tribunal administratif fédéral B-4797/2012 du 5 décembre 2013, consid. 10.

ATF 139 II 384, consid. 2.3 RS 946.231 Arrêt B-5187/2012 du 25 juillet 2013

5190

2.3.7

Art. 22

Section 7 Entraide entre autorités suisses, traitement des données et rapport Entraide entre autorités suisses

Pour mettre en oeuvre le présent acte législatif, notamment en ce qui concerne les ordonnances de blocage et leur exécution, il est important que les autorités puissent échanger des informations et des documents. L'art. 22 réglemente donc l'entraide entre les autorités en Suisse. La communication d'informations entre les autorités en Suisse est déjà traitée à l'art. 14 de l'ordonnance du 25 novembre 1998 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration86, en vertu duquel les unités administratives de l'administration fédérale sont tenues de collaborer. Celles-ci doivent donc fournir aux autres unités administratives les renseignements nécessaires à l'exécution de leurs tâches légales. Le droit en vigueur prévoit déjà différentes dispositions spéciales pour la transmission d'informations87. La LRAI elle aussi réglemente à l'art. 12, al. 2, la communication au DFAE ou au DFF d'informations nécessaires à l'exécution de cette loi. En conséquence, le projet de loi ci-joint doit lui aussi prévoir une disposition définissant expressément l'entraide entre autorités suisses.

Durant la procédure de consultation, cette disposition n'a pas été critiquée dans son principe. Certains participants ont cependant proposé que la communication d'informations entre autorités visée aux al. 1 et 2 se fasse spontanément et non pas sur «demande». Cette suggestion n'a pas été reprise dans le projet principalement pour des raisons pratiques, afin de ne pas générer des transferts d'informations inutiles et potentiellement coûteux en termes de ressources. De plus, l'art. 7, al. 6, du projet prévoit déjà une obligation à charge du MROS de transmettre d'office certaines informations au DFAE et à l'OFJ.

L'al. 1 prévoit que les autorités fédérales et cantonales doivent communiquer sur demande aux départements compétents, à savoir le DFAE et le DFF, les informations et les données personnelles nécessaires à l'application du projet de loi; cet alinéa donne notamment la base légale nécessaire autorisant l'autorité compétente pour le traitement d'une demande d'entraide judiciaire88 à transmettre son dossier au DFAE. Certains services spécialisés de l'administration fédérale sont régis par des lois spéciales qui désignent expressément les autorités pouvant recevoir des informations de leur part. L'art. 22, al. 1, de la
présente loi prévoit une obligation générale qui ne saurait entrer en conflit avec les lois qui régissent lesdits services spécialisés.

En effet, en vertu du principe lex specialis derogat legi generali, les services concernés ne seront obligés de livrer des informations qu'en vertu des lois spéciales.

On peut ici donner l'exemple du MROS, qui ne peut prêter son assistance administrative que si celle-ci s'inscrit dans la lutte contre le blanchiment d'argent, les infractions préalables, le crime organisé ou le financement du terrorisme.

Conformément à l'al. 2, le DFAE doit pouvoir communiquer aux autorités fédérales et cantonales qui en font la demande les informations et les données personnelles nécessaires à l'exécution de leurs obligations légales. Compte tenu du champ 86 87 88

RS 172.010.1 P. ex. art. 194 CPP.

Il s'agira ici en premier lieu du Ministère public de la Confédération, mais également des autorités cantonales de poursuite pénale.

5191

d'application du présent acte législatif, cette disposition ne peut s'appliquer qu'aux autorités responsables de la surveillance de l'entraide judiciaire, ou de l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire ou d'une procédure pénale. Cette restriction est explicitement prévue dans le texte de loi. L'al. 2 doit notamment permettre à l'OFJ d'obtenir du DFAE les données et les informations qui lui sont nécessaires pour évaluer la situation prévalant dans l'état requérant sous l'angle du respect des principes de procédures selon l'art. 2, let. a, EIMP.

L'al. 3 réglemente la communication d'informations au DFAE par l'OFJ ou toute autorité chargée de l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire. Cette disposition figurait déjà à l'art. 12, al. 1, LRAI. Elle a pour but de garantir que l'OFJ, en qualité d'autorité compétente pour les questions d'entraide judiciaire, informe suffisamment tôt le DFAE lorsque des demandes d'entraide judiciaire relatives à des PPE pourraient ne pas aboutir en raison d'une situation de défaillance de l'Etat requérant (let. a). Ainsi, le DFAE disposera de suffisamment de temps pour informer le Conseil fédéral de l'affaire et lui proposer de bloquer, sur la base du projet de loi ci-joint, les valeurs patrimoniales concernées, avant la levée du blocage dans le cadre de la procédure d'entraide judiciaire. Ce devoir d'information a été ajouté lorsqu'il apparaît d'emblée qu'on ne peut envisager aucune procédure d'entraide judiciaire en raison de standards insuffisants en matière de droits de l'homme dans l'Etat d'origine (let. b) ou lorsqu'une demande déjà pendante doit être rejetée pour les mêmes motifs (let. c).

Art. 23

Traitement des données

Cet article constitue la base légale autorisant le traitement de données personnelles par les autorités chargées de l'application du projet de loi ci-joint et des ordonnances de blocage prises en application de celui-ci. Ce sont essentiellement le DFAE, le MROS, l'OFJ et le DFF qui sont ainsi habilités à traiter les données personnelles ainsi que les données relatives à des poursuites et à des sanctions administratives ou pénales. Ce faisant, ces autorités appliqueront les principes généraux de protection des données énoncés dans la LPD. La présente disposition rappelle expressément que les autorités compétentes peuvent même traiter des données sensibles si cela est indispensable au règlement de cas particuliers, ce qui sera notamment le cas pour traiter les demandes de radiation (art. 20, al. 1). Il convient en outre de rappeler que le projet habilite expressément les autorités fédérales à traiter et publier des données sensibles dans le cadre de la publication et de l'adaptation des listes (cf. les commentaires relatifs à l'art. 5).

Art. 24

Rapport

Cette disposition, qui ne figurait pas dans l'avant-projet, a été introduite suite à la procédure de consultation en vue de répondre à l'exigence d'une transparence accrue exprimée par différents milieux. L'apport du projet ci-joint à la transparence de la politique suisse en matière d'avoirs de potentats, à la prévisibilité et à la sécurité juridique dans ce domaine a été globalement reconnu comme un point fort. Plusieurs participants ont proposé de renforcer, à différents égards, les garanties en la matière.

Cela a été le cas pour la procédure et les modalités en matière de restitution des valeurs patrimoniales, pour le prononcé des blocages en vue de l'entraide judiciaire ou encore pour les mesures de soutien. Dans ce contexte et afin de répondre à ces préoccupations, les moyens d'information du Parlement ont été renforcés. En consé5192

quence, le projet prévoit que le DFAE devra assurer une information régulière des commissions parlementaires compétentes quant aux mesures prises en application de la future loi. Cette information ne modifie pas la répartition des compétences telle qu'elle résulte du projet, de sorte que le Conseil fédéral continuera à les exercer pour la majeure partie. Le Conseil fédéral demeure ainsi compétent, notamment, pour ordonner les blocages en vue de l'entraide judiciaire sur la base des conditions énoncées à l'art. 3, mais les commissions parlementaires seront à l'avenir davantage associées à la mise en oeuvre de ce mécanisme grâce au rapport annuel que leur transmettra le DFAE et qui leur donnera l'occasion d'être mieux informées qu'à l'heure actuelle des raisons justifiant les blocages. Le rapport d'information permettra aussi d'informer les commissions parlementaires sur l'évolution de la situation dans les pays concernés par des blocages, sur la durée de ceux-ci et les motifs justifiant leur éventuelle prolongation. Mais l'information intégrée dans le rapport préparé par le DFAE pourra également porter sur d'autres mesures prises en application de la loi, comme l'état des procédures en matière de confiscation (section 4), l'avancement des mécanismes de restitution (section 5) ou encore les mesures de soutien (section 3). Parmi celles-ci, seront surtout concernées les mesures d'assistance technique (art. 12) et non la communication d'informations à l'Etat d'origine (art. 13), cette dernière mesure impliquant par nature des règles strictes de confidentialité.

Si la rédaction du rapport relève du DFAE, celui-ci prendra soin de consulter les autres départements concernés avant de finaliser le document. Différents départements et offices fédéraux sont en effet impliqués par la mise en oeuvre de la loi. Il s'agit principalement du DFF pour ce qui est des dispositions pénales et des procédures de confiscation, de l'OFJ pour les questions d'entraide judiciaire et d'assistance technique et du MROS pour les communications de valeurs patrimoniales et la transmission d'informations à l'étranger. Il sera également indiqué de consulter le SECO, autorité compétente pour l'application de la LEmb.

Pour ce qui est du destinataire du rapport annuel d'information du DFAE, il est préférable de s'adresser aux commissions
parlementaires concernées plutôt qu'à l'Assemblée fédérale: cela permettra de garantir la nécessaire confidentialité des débats dans la mesure où les éléments d'information présentés et commentés peuvent comporter des appréciations critiques sur la situation prévalant dans les Etats d'origine. Compte tenu du principe de la séparation des pouvoirs, il appartiendra à l'Assemblée fédérale elle-même de désigner les commissions compétentes pour recevoir et examiner le rapport d'information préparé par le DFAE.

2.3.8

Section 8 Dispositions pénales

Conformément aux ordonnances de blocage en vigueur89, toute violation intentionnelle ou par négligence du blocage des valeurs patrimoniales est punie d'une amende pouvant atteindre dix fois le montant de la valeur patrimoniale utilisée ou transférée à l'étranger. En vertu de ces mêmes ordonnances, toute violation intentionnelle ou par négligence de l'obligation de communiquer et de renseigner est punie d'une amende de 20 000 francs au plus.

89

Cf. art. 5 O-Tunisie, O-Egypte et O-Ukraine.

5193

Les dispositions pénales proposées dans le projet de loi ci-joint se fondent sur celles d'autres lois réglementant des questions pénales comparables. Ainsi, les clauses relatives à la violation du blocage de valeurs patrimoniales présentent des parallèles avec l'art. 289 CP. Les dispositions relatives à la violation des obligations de renseigner et de déclarer rappellent celles sur la violation de l'obligation de communiquer prévues à l'art. 37 LBA. Enfin, les dispositions procédurales énoncées dans le projet de loi ci-joint se fondent sur celles de la loi du 22 juin 2007 sur la surveillance des marchés financiers (LFINMA)90. A la différence des ordonnances de blocage, la nouvelle réglementation proposée prévoit une prise en compte, dans la peine prévue, du caractère intentionnel ou non de la violation. De plus, elle introduit une peine maximale absolue.

Art. 25

Violation du blocage des valeurs patrimoniales

Cette disposition pénale relative à la violation du blocage des valeurs patrimoniales correspond à l'art. 5, al. 1, des ordonnances de blocage. Conformément à l'art. 9 du projet de loi ci-joint, le DFAE peut autoriser la libération de certaines valeurs patrimoniales bloquées. En l'absence de décision de libération des valeurs patrimoniales bloquées ou d'autorisation du DFAE, ce type de comportement est illicite et punissable.

Par analogie avec la disposition pénale de l'art. 289 CP (soustraction d'objets mis sous main de l'autorité), qui porte sur une question comparable, l'acte intentionnel constitue désormais un délit, ce qui permet de mieux prendre en compte la plus grande gravité de l'acte intentionnel et l'aspect de la prévention générale.

La commission de l'infraction par négligence reste une contravention, mais sera désormais punie d'une amende de 250 000 francs au plus. Ainsi les peines prévues se situent au même niveau que les sanctions pénales contre les infractions par négligence dans le domaine des marchés financiers91.

Art. 26

Violation de l'obligation de communiquer et de renseigner

Cet énoncé de faits reprend la fonction de l'art. 5, al. 2, des ordonnances de blocage mais prévoit désormais des peines différentes pour les infractions intentionnelles et commises par négligence.

L'art. 26 recouvre des domaines comparables à l'art. 37 LBA, qui porte sur la violation de l'obligation de communiquer en cas de soupçon de blanchiment d'argent. Alors que la communication d'informations au sens de l'art. 9 LBA est une condition du blocage des valeurs patrimoniales concernées (cf. art. 10 LBA), les déclarations et renseignements fournis en vertu de l'art. 7 du projet de loi ci-joint découlent des blocages prononcés. Ainsi, la communication d'informations dans le but de sauvegarder les valeurs patrimoniales à bloquer ne revêt pas la même fonction. Dans ce contexte, une peine plus légère que celle prévue à l'art. 37 LBA se justifie.

90 91

RS 956.1 P. ex. les art. 44, al. 2, et 45, al. 2, LFINMA.

5194

Art. 27

Infractions commises dans la gestion d'une entreprise

La réglementation de l'art. 27 correspond à celle de l'art. 49 LFINMA pour les infractions à la LFINMA et aux lois sur les marchés financiers. En l'absence d'une telle disposition, conformément à l'art. 7 de la loi fédérale du 22 mars 1974 sur le droit pénal administratif (DPA)92, seules des amendes d'un montant maximal de 5000 francs pourraient être infligées à l'entreprise lorsqu'il est renoncé à poursuivre la personne physique responsable.

Compte tenu du montant des amendes prévues aussi bien dans le domaine des marchés financiers que par les dispositions pénales du projet de loi ci-joint, les délits punissables d'une amende comprise entre 5000 et 50 000 francs constituent régulièrement des cas peu graves. Etant donné le montant de ces amendes, il doit être possible, afin d'alléger la procédure, de renoncer à enquêter sur les personnes physiques responsables et de condamner à leur place l'entreprise au paiement de l'amende.

Art. 28

Compétence

En vertu des ordonnances de blocage, l'enquête et la poursuite pénale et administrative des infractions contre leurs dispositions incombent au DFF. Le projet de loi ci-joint prévoit que le DFF conserve cette prérogative.

Sur le plan matériel, la réglementation de l'art. 28 correspond à celle de l'art. 50 LFINMA. La procédure, par contre, respecte les dispositions de la DPA.

Lors de la procédure de consultation, un certain nombre de participants ont demandé que la compétence de poursuivre les infractions au projet de loi ci-joint soit attribuée au MPC et que le CPP soit déclaré applicable en lieu et place des dispositions de la DPA. Cette demande a été présentée au motif qu'une telle solution tiendrait mieux compte des principes de l'Etat de droit, ce qui serait particulièrement justifié dans des domaines sensibles impliquant l'éclaircissement de questions de fait complexes.

En outre, cela éviterait une éventuelle transmission du dossier du DFF au MPC telle que prévue à l'al. 2, mesure peu efficace puisqu'elle implique que la seconde autorité se replonge dans le travail effectué par la première.

La solution proposée, qui impliquea l'application de la DPA et la compétence du DFF, est calquée sur le système de la LFINMA. Compte tenu des similitudes avec les sanctions prévues dans le projet ci-joint, il semble justifié de maintenir cette solution. La phrase qui dispensait le représentant du MPC et le représentant du DFF de comparaître en personne aux débats a cependant été supprimée. L'importance potentielle des cas concernés et l'intérêt public qu'ils représentent justifient pleinement la présence de ces représentants lors des débats qui seront organisés par le Tribunal pénal fédéral.

Art. 29

Jonction des procédures

Cette disposition est calquée sur l'art. 51 LFINMA, qui permet la jonction d'une enquête pénale du DFF et d'une instruction menée par une autorité de poursuite pénale cantonale ou fédérale, pour autant qu'il existe un rapport étroit entre les deux procédures. L'art. 51 LFINMA reprend lui-même largement le système de jonction 92

RS 313.0

5195

des procédures prévu à l'art. 20, al. 3, DPA, en renonçant toutefois à l'exigence d'un accord préalable des autorités de poursuite pénale. La jonction d'affaires pénales administratives avec des procédures de droit pénal ordinaire est donc possible si l'auteur d'un délit contre lequel une poursuite pénale a déjà été introduite pour les délits de droit commun doit également faire l'objet d'une instruction pour infractions de droit pénal administratif (connexité subjective). De plus, les infractions de droit pénal administratif doivent être objectivement liées de façon suffisamment étroite aux accusations de droit ordinaire au sens du CP (connexité objective)93. Les infractions visées par le projet de loi ci-joint recouvrent notamment celles prévues par les art. 305bis (Blanchiment d'argent) et 305ter (Défaut de vigilance en matière d'opérations financières et droit de communication), al. 1, CP, qui relèvent des autorités de poursuite pénale.

Lorsqu'il existe un rapport étroit entre les deux procédures (al. 1, let. a) et pour autant que l'affaire ne soit pas pendante auprès du tribunal appelé à juger (al. 1, let. b), la jonction est possible («Kann-Bestimmung») à condition qu'elle ne retarde pas indûment la procédure (al. 1, let. c). La jonction des procédures doit en revanche obligatoirement être prononcée par le DFF lorsque c'est le même état de fait («derselbe Sachverhalt») qui fait l'objet à la fois d'une accusation pénale ordinaire et d'une disposition pénale au sens du projet ci-joint. En effet, nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat. Ce droit, exprimé par l'adage ne bis in idem, est garanti par l'art. 4, par. 1, du Protocole no 7 du 22 novembre 1984 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales94 et il découle implicitement de la Cst.; l'art. 11, al. 1, CPP, intitulé «Interdiction de la double poursuite», prévoit en outre qu'aucune personne condamnée ou acquittée en Suisse par un jugement entré en force ne peut être poursuivie une nouvelle fois pour la même infraction95. L'art. 29 du projet ci-joint doit par conséquent être appliqué en conformité avec ces principes (principe de l'interprétation conforme).

2.3.9 Art. 30

Section 9 Dispositions finales Exécution

Le Conseil fédéral est habilité à édicter les dispositions d'exécution de la présente loi. Cet article ne figurait pas dans l'avant-projet envoyé en procédure de consultation. Au terme de celle-ci et au vu de certaines questions techniques nécessitant une réglementation pour garantir plus de clarté et de sécurité juridique dans l'application future du projet de loi, il a été jugé utile de prévoir des dispositions d'exécution.

Cela sera notamment le cas pour les modalités de collaboration entre le DFAE, l'OFJ et le MROS (cf. art. 7, al. 6, en relation avec l'art. 13).

93 94 95

Message du 28 janvier 1998 tendant à l'amélioration de l'efficacité et de la légalité dans la poursuite pénale, FF 1998 1285 RS 0.101.07 ATF 137 I 363, consid. 2.1 et réf. citées

5196

Art. 31

Abrogation et modification du droit en vigueur

En vertu de l'al. 1, la LRAI est abrogée, étant donné que le projet de loi ci-joint en intègre toutes les dispositions matérielles et juridiques.

L'al. 2 fait référence aux lois fédérales que le projet de loi ci-joint modifie. Au moment de l'entrée en vigueur de la LRAI, la LTAF a été complétée: un ch. 3 a été ajouté à l'art. 33, let. b, qui autorise les recours contre une décision de blocage au sens de la LRAI. Il a également été prévu à l'art. 35 que le Tribunal administratif fédéral connaisse des actions en confiscation de valeurs patrimoniales au sens de la LRAI. En raison de l'abrogation de la LRAI, ces deux nouvelles dispositions doivent faire référence au projet de loi ci-joint. Il en va de même concernant l'art. 44 LP (Réalisation d'objets confisqués), dans lequel c'est le projet de loi ci-joint qui doit être mentionné, et non plus la LRAI.

Art. 32

Dispositions transitoires

L'al. 1 concerne les décisions de blocage du Conseil fédéral prises avant l'entrée en vigueur de la présente loi. De tels blocages peuvent d'abord être basés sur la LRAI.

Lorsqu'ils sont encore pendants lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, ils seront alors automatiquement considérés comme des blocages au sens de l'art. 4.

Cela ouvrira ainsi la voie à une procédure de confiscation devant le Tribunal administratif fédéral. Cette solution se justifie puisque le projet de loi ci-joint est destiné à remplacer la LRAI, qu'il abrogera formellement au moment de son entrée en vigueur. Il s'agit ainsi d'assurer la poursuite d'un régime légal largement inchangé concernant les situations de défaillance.

Les blocages dont il est ici question peuvent cependant aussi se fonder directement sur l'art. 184, al. 3, Cst. La présente loi, dont le champ d'application est plus large que celui de la LRAI, a en effet également vocation à donner une issue à de tels cas de blocage qui, par hypothèse, seraient encore pendants au moment de son entrée en vigueur. En cas d'échec définitif de l'entraide judiciaire, il doit en effet être possible de mener, sur la base de la présente loi (art. 14 à 16), une procédure de confiscation administrative des avoirs concernés qui permette d'établir, devant les tribunaux suisses, si leur origine peut ou non être considérée comme illicite. La présente disposition transitoire est par conséquent nécessaire pour éviter le résultat, choquant, qui consisterait à restituer de tels avoirs à leurs propriétaires au seul motif que le Conseil fédéral aurait ordonné leur blocage avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

L'al. 2 concerne les actions en confiscation déjà ouvertes devant le Tribunal administratif fédéral sur la base de la LRAI. Dans de tels cas, la question de la rétroactivité doit être examinée sous l'angle des principes suivants: d'après les règles générales régissant la détermination du droit applicable, qui se déploient en l'absence de dispositions transitoires particulières96, l'application d'une norme à des faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur est en principe interdite97. En dérogation à ce principe général, les nouvelles règles de procédure s'appliquent pleinement dès leur entrée en vigueur aux causes qui sont encore pendantes. La procédure
administrative connaît une exception à l'application immédiate de la nouvelle procédure; celle-ci n'est admissible que pour autant que l'ancien et le nouveau droit s'inscrivent dans la continuité du système de procédure en place et que les modifications procé96 97

ATF 131 V 425, consid. 5.1 ATF 137 II 371, consid. 4.2

5197

durales demeurent ponctuelles. En revanche, l'ancien droit de procédure continue à gouverner les situations dans lesquelles le nouveau droit de procédure marque une rupture par rapport au système procédural antérieur et apporte des modifications fondamentales à l'ordre procédural98. En l'espèce, le nouveau droit s'inscrit dans la continuité de la LRAI. Il est donc admissible de prévoir que la nouvelle loi s'appliquera aussi aux procédures d'action pendantes devant le Tribunal administratif fédéral lors de l'entrée en vigueur du projet de loi ci-joint.

Enfin, la disposition transitoire ne règle pas expressément le cas des valeurs patrimoniales qui font l'objet, au moment de l'entrée en vigueur de la présente loi, d'un blocage sur la base d'ordonnances du Conseil fédéral fondées sur l'art. 184, al. 3, Cst. En ce qui concerne les ordonnances du Conseil fédéral qui ont déjà été prorogées (O-Tunisie et O-Egypte), l'art. 7c LOGA aura pour effet de les rendre caduques lors de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (art. 7c, al. 4, let. b, LOGA). Le but de cette disposition de la LOGA étant d'éviter le maintien d'un régime exceptionnel une fois que la nouvelle base légale formelle sera entrée en vigueur, il convient aussi de remplacer les ordonnances qui n'ont pas encore été prorogées (O-Ukraine), même si leur cas n'est pas expressément réglé par la LOGA. Dans tous ces cas (Tunisie, Egypte et Ukraine), le Conseil fédéral devra par conséquent promulguer, sur la base de l'art. 3, de nouvelles ordonnances qui entreront en vigueur en même temps que la nouvelle loi afin de remplacer les anciennes ordonnances devenues caduques.

Art. 33

Référendum et entrée en vigueur

Cette disposition est contraignante en vertu de l'art. 141 (Référendum facultatif), al. 1, let. a, Cst.

3

Conséquences

3.1

Conséquences pour la Confédération

Le projet de loi n'entraîne aucune dépense significative durable pour la Confédération. Conformément à la pratique en usage, les mesures de soutien détaillées dans la section 3 de la loi continueront à être financées par les moyens disponibles dans le cadre des crédits annuels du DFAE; en revanche les nouvelles compétences attribuées au MROS en matière de communications à l'Etat d'origine (art. 13), qui constituent également des mesures de soutien au titre de la section 3, pourraient générer un certain surplus d'activités. Pour traiter les communications qu'il recevra en vertu de l'art. 7 de la présente loi ainsi que la transmission aux homologues étrangers (art. 13), le MROS pourrait avoir besoin temporairement de ressources supplémentaires. Le Conseil fédéral pourra prévoir l'attribution de ces ressources lorsque les conditions de l'application de la présente loi seront réunies. Un système de traitement des données relatif à la présente loi, séparé du système actuel selon l'art. 23, al. 3, LBA, doit déjà être créé dès l'entrée en vigueur de la présente loi. Si une autre situation d'exception telle que le Printemps arabe devait se produire, il faudra vraisemblablement compter avec des dépenses supplémentaires pour d'autres entités de l'administration fédérale: outre le MROS, la DDIP serait potentiellement concernéepour préparer les blocages, prendre les décisions nécessaires en matière 98

ATF 137 II 409, consid. 7.4.5; 130 V 1, consid. 3.3.2; 112 V 356, consid. 4a et 4b

5198

d'administration des avoirs bloqués et statuer sur les demandes de radiation. Serait aussi concerné le DFF, pour préparer et intenter les actions en confiscations devant le Tribunal administratif fédéral. En vertu de l'art. 19, un montant forfaitaire correspondant à 2,5 % au plus des valeurs patrimoniales confisquées peut être attribué à la Confédération à cette fin. Il faut cependant partir du principe que cela ne permettra pas de couvrir les coûts générés pour la Confédération.

3.2

Conséquences pour les cantons

Du côté des cantons, il ne devrait y avoir de conséquences supplémentaires ni sur le plan des finances, ni sur celui des effectifs. Les cantons ne sont concernés que par deux articles du projet de loi. L'art. 19 prévoit qu'un montant forfaitaire peut également être attribué aux cantons, le Conseil fédéral fixant toutefois au cas par cas le montant du forfait et les éventuelles modalités de partage entre la Confédération et les cantons. En vertu de l'art. 22, al. 1, les autorités cantonales sont tenues de communiquer les informations et les données personnelles nécessaires à l'exécution de la présente loi aux départements compétents (c.-à-d. le DFAE et le DFF). A l'inverse, le DFAE peut également transmettre aux autorités cantonales les données nécessaires à l'exécution de leurs tâches (art. 22, al. 2). En vue d'une procédure de confiscation, l'autorité cantonale chargée de l'exécution d'une demande d'entraide judiciaire en matière pénale doit également informer le DFAE, en vertu de l'art. 22, al. 3. Les ressources actuelles seront suffisantes pour traiter les rares cas qui surviendront suite à l'application de ce projet de loi au niveau cantonal.

3.3

Conséquences pour l'économie

De manière générale, le projet de loi ci-joint n'engendre pas d'obligation supplémentaire et, surtout, il n'impose pas de nouvelles réglementations aux intermédiaires financiers. La nouvelle base légale n'entraînera également aucune augmentation notable des frais administratifs des intermédiaires financiers. Ces derniers sont aujourd'hui déjà tenus d'annoncer au DFAE les blocages décrétés par le Conseil fédéral qui se fondaient sur l'art. 184, al. 3, Cst., en indiquant la nature des relations d'affaires qui les unissent aux personnes concernées. De plus, le projet de loi simplifie sensiblement leur tâche puisque les annonces basées sur l'art. 7 se feront désormais par le biais d'un guichet unique auprès du MROS. Outre l'obligation de communiquer, qui est maintenant inscrite dans la loi (art. 7, al. 1 et 2), l'obligation de renseigner, qui est prévue à l'art. 7, al. 4, pourrait néanmoins entraîner une légère augmentation des frais. Cet article dispose que les entités qui ont l'obligation de signaler l'existence de valeurs patrimoniales tombant sous le coup d'une mesure de blocage doivent fournir, à la demande du MROS, des informations et documents relatifs aux valeurs patrimoniales annoncées. En raison du champ d'application restreint du projet de loi, le nombre de demandes émanant des autorités devrait être limité et ne pas occasionner de hausse notable des frais des intermédiaires financiers.

Le projet de loi ci-joint ne vise pas, de manière générale, l'ensemble des valeurs patrimoniales de PPE en Suisse. La législation relative à la lutte contre le blanchiment d'argent autorise les relations d'affaires entre les intermédiaires financiers et les PPE, ce qui implique toutefois un renforcement de l'obligation de diligence. Ces 5199

dispositions correspondent aux standards internationaux, font déjà partie du droit en vigueur et devraient être maintenues dans le cadre de la mise en oeuvre des recommandations du GAFI (voir explications sur l'art. 2). Le présent acte législatif porte sur les valeurs patrimoniales soumises au pouvoir de disposition de PPE soupçonnées de les avoir obtenues illicitement par le biais d'actes de corruption, de gestion déloyale ou d'autres crimes. Le cercle des personnes concernées est donc clairement défini et est conforme à la pratique actuelle du Conseil fédéral. Cela favorise la sécurité juridique et la transparence, ce qui renforcera la confiance des clients étrangers dans la place financière suisse.

4

Relations avec le programme de législature et les stratégies nationales du Conseil fédéral

4.1

Relations avec le programme de législature

Le projet de loi figure dans le programme de la législature 2011­2015, sous l'objectif 8: «La Suisse est bien connectée sur le plan mondial et sa position dans le contexte international comme au sein des institutions multilatérales est affermie». Il a été annoncé dans le message du 25 janvier 2012 sur le programme de la législature 2011 à 201599 et dans l'arrêté fédéral du 15 juin 2012 sur le programme de la législature 2011 à 2015100.

4.2

Relations avec les stratégies nationales du Conseil fédéral

Le projet de loi ci-joint constitue en premier lieu une pièce importante du dispositif législatif global présenté dans la stratégie de la Suisse relative au blocage, à la confiscation et à la restitution des avoirs de potentats («Asset Recovery»), qui implique tant les autorités fédérales que les cantons dans sa mise en oeuvre. Cette stratégie souligne qu'il est important que la Suisse mette en place non seulement des mesures préventives destinées à éviter que de tels avoirs arrivent dans notre pays, mais aussi d'autres instruments permettant si nécessaire la confiscation et la restitution aux populations des pays concernées de tels avoirs lorsque ceux-ci ont, malgré tout, été placés en Suisse. Le projet de loi ci-joint joue donc un rôle central à cet égard. La stratégie précitée porte sur l'Asset Recovery entendu dans son acception étroite: comme le projet de loi ci-joint, elle ne vise qu'un type particulier d'investigations internationales menant au blocage, à la confiscation et éventuellement à la restitution de valeurs patrimoniales, soit celui des cas impliquant des avoirs d'origine illicite de potentats ayant été renversés.

Le Conseil fédéral a publié le 22 février 2012 la Stratégie pour une place financière suisse compétitive et conforme aux règles de la fiscalité. Ce texte souligne l'importance de la lutte contre le blanchiment d'argent pour l'intégrité de la place financière suisse, intégrité qui passe par le refus des valeurs patrimoniales d'origine criminelle.

Outre le dispositif législatif existant dans le cadre de la lutte contre le blanchiment

99 100

FF 2012 349 416 475 FF 2012 6667 6670

5200

d'argent, le projet de loi ci-joint joue également un rôle préventif en donnant un signal à l'extérieur.

Le 28 mars 2012, le Conseil fédéral a approuvé la priorité de lutte contre la criminalité financière pour les années 2012­2015. Cette stratégie a entre autres pour objectif la lutte contre la corruption internationale et le blanchiment d'argent.

Dans le Rapport sur les axes stratégiques de la politique étrangère pour la législature (Stratégie de politique étrangère 2012­2015)101, le DFAE a défini quatre axes stratégiques. L'axe stratégique 3, qui appelle à la poursuite et à l'adaptation de l'engagement de la Suisse en faveur de la stabilité en Europe, dans les régions limitrophes et dans le reste du monde, fait expressément référence au développement d'une base légale formelle pour régler les blocages d'avoirs à des fins conservatoires.

5

Aspects juridiques

5.1

Constitutionnalité et légalité

Les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération (art. 54, al. 1, Cst.). Le projet de loi ci-joint réglemente le blocage, la confiscation et la restitution de valeurs patrimoniales d'origine présumée illicite déposées en Suisse par des PPE.

Ce projet d'acte législatif vient renforcer l'engagement de la Suisse dans le domaine du développement durable et de la lutte contre l'impunité. Il a également pour but la protection de la réputation de la Suisse et de sa place financière. Le projet de loi constitue une codification de la pratique actuelle. Jusqu'ici, les activités de la Suisse dans ce domaine étaient régies par la LRAI, fondée sur l'art. 54, al. 1, Cst., et par l'art. 184 Cst., qui établit la compétence du Conseil fédéral en matière de politique étrangère. L'art. 54 constitue ainsi la base constitutionnelle du projet de loi ci-joint.

L'art. 26 Cst. garantit la propriété. Cette disposition garantit les droits patrimoniaux concrets de l'individu et constitue une protection juridique contre les atteintes de la puissance étatique. Du point de vue des droits fondamentaux, le blocage et la confiscation des valeurs patrimoniales d'une personne en vue de leur restitution à un Etat étranger constituent une atteinte à la garantie de la propriété au sens de l'art. 26 Cst.

En conséquence, ces mesures doivent respecter les exigences de l'art. 36 Cst., en vertu duquel les restrictions des droits fondamentaux ne sont autorisées que si elles reposent sur une base légale, sont justifiées par un intérêt public et sont proportionnées au but visé. Conformément à ce principe, la mesure doit non seulement être apte à produire le résultat escompté, mais elle doit aussi être nécessaire. Il convient d'y renoncer si toute autre mesure moins radicale permet d'atteindre le même but.

En l'espèce, l'intérêt public consiste à sanctionner l'acquisition de valeurs patrimoniales d'origine criminelle par des PPE et leurs proches, afin de restituer ces valeurs à l'Etat d'origine ou à sa population.

Le blocage préventif des valeurs patrimoniales d'origine présumée illicite a pour but d'empêcher que ces valeurs ne quittent la place financière suisse et ne soient transférées vers un lieu inconnu. Cette mesure est indéniablement appropriée et nécessaire pour faciliter l'établissement, sur le plan juridique, de l'origine des valeurs patrimo101

www.dfae.ch > Documentation > Publications > Publications portant sur la politique extérieure de la Suisse

5201

niales, et pour restituer les fonds volés à l'Etat d'origine. Le blocage des valeurs patrimoniales est une mesure de prévention purement administrative et provisoire.

Dans des cas exceptionnels, la libération des valeurs patrimoniales bloquées est possible aux conditions prévues par le projet de loi. Le blocage des valeurs patrimoniales répond donc aux exigences de la Cst. relatives au caractère proportionné des mesures prises.

La confiscation est limitée aux cas où la procédure d'entraide judiciaire internationale en matière pénale ne peut aboutir du fait de l'effondrement des structures de l'Etat d'origine ou si une coopération dans le cadre de l'entraide judiciaire est exclue en raison de standards insuffisants en matière procédurale dans l'Etat d'origine.

Etant donné que les possibilités de confiscation prévues dans le projet de loi portent sur des valeurs patrimoniales d'origine illicite, cette mesure s'avère proportionnée car dans ces conditions, elle constitue la seule manière de remédier à l'acquisition illicite de fonds.

La présente loi prévoit en outre, à certaines conditions, la présomption de l'illicéité de l'origine des biens (art. 15). En tant que telle, cette présomption ne constitue pas une atteinte inadmissible à la garantie de la propriété, car la personne concernée conserve la possibilité de démontrer l'origine licite des biens en cause. Elle donne néanmoins un poids supplémentaire à l'atteinte, car elle facilite notablement le prononcé d'une telle confiscation: lorsque l'illicéité de l'origine est présumée, les biens dont l'acquisition licite n'a pas été démontrée avec une vraisemblance prépondérante peuvent en effet être confisqués. Elle doit dès lors respecter, elle aussi, le principe de proportionnalité.

Les conditions posées par l'art. 15, al. 1, pour présumer l'illicéité de l'origine des valeurs limitent la portée de cette clause à des cas où l'acquisition illicite est très vraisemblable, puisqu'il faut, d'une part, un accroissement exorbitant du patrimoine de la personne concernée, facilité par l'exercice de sa fonction publique, et, d'autre part, un degré de corruption élevé. La personne qui a le pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales peut toutefois faire valoir devant le Tribunal administratif fédéral tous les moyens de preuve pertinents pour renverser
la présomption102. La notion de moyens de preuve doit être entendue au sens procédural103, soit indépendamment du degré de preuve requis. Comme, en outre, le Tribunal administratif fédéral est aussi tenu d'établir les faits d'office dans la procédure par voie d'action104, l'atteinte à la garantie de la propriété reste proportionnée. La jurisprudence a récemment jugé la présomption de l'illicéité de l'origine des biens compatible avec les garanties procédurales consacrées par la Cst., la CEDH et le Pacte II, en particulier avec la présomption d'innocence (cf. les commentaires relatifs à l'art. 15 ainsi que les commentaires ci-après, sous ch. 5.2).

Enfin, le droit d'accès au juge tel qu'il est garanti par l'art. 29a Cst. est sauvegardé par les dispositions relatives à la protection juridique figurant à la Section 6 (cf. à cet égard les commentaires relatifs à l'art. 20 et 21).

102

Dans le cadre de la procédure de confiscation le renversement du fardeau de la preuve est admissible dans la mesure où les droits de la personne concernée sont respectées; dans l'arrêt Phillips c. Royaume-Uni du 5 juillet 2001 (CEDH 2001-VII, § 28 ss), la Cour a accepté la présomption d'illicéité énoncée dans la procédure de confiscation, étant donné que la personne concernée avait la possibilité de démontrer l'origine licite des biens en cause.

103 Cf. art. 36 ss PCF.

104 Art. 44, al. 2, LTAF; voir en outre les commentaires relatifs à l'art. 14 ci-dessus.

5202

5.2

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Convention européenne des droits de l'homme D'une façon générale, les questions soulevées par le blocage et la confiscation des valeurs patrimoniales d'origine illicite des PPE sont susceptibles de provoquer des tensions avec les droits fondamentaux garantis par la CEDH et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH). Cela n'est pas une nouveauté puisque ces tensions se sont déjà manifestées à l'occasion des différents blocages qui ont été prononcés par le Conseil fédéral par voie d'ordonnances ou de décisions depuis une vingtaine d'années. Ces tensions ont cependant fait l'objet d'une attention accrue, y compris en doctrine, durant ces dernières années. La prolongation du blocage des avoirs Duvalier, suivie de l'adoption en 2010 puis de l'entrée en vigueur de la LRAI en 2011, ont donné lieu à de nombreuses discussions sous l'angle de la compatibilité des mesures prises avec les principes de l'Etat de droit et les garanties individuelles consacrées par la CEDH. C'est principalement au regard du droit à un procès équitable (art. 6, par. 1, CEDH), en particulier sous l'angle de la présomption d'innocence (art. 6, par. 2), que la question s'est le plus souvent posée.

L'art. 15 du projet ci-joint établit la présomption de l'illicéité des valeurs patrimoniales faisant l'objet d'une procédure de confiscation. L'argument selon lequel le renversement du fardeau de la preuve que cette disposition prévoit ne serait pas compatible avec la présomption d'innocence (art. 6, par. 2, CEDH) trouve un certain appui dans la doctrine et mérite quelques développements. Le principe de la présomption d'innocence constitue un élément de la notion de procès équitable. En vertu de ce principe, seul peut être puni celui dont la culpabilité a été établie. Toute personne est donc considérée comme innocente jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet d'une condamnation entrée en force105. Pour qu'une question puisse se poser sous l'angle de la présomption d'innocence, il faut que la procédure litigieuse porte sur le bienfondé d'une accusation pénale ou, dans des cas exceptionnels, présente un lien manifeste avec une accusation pénale106. Quant à la notion d' «accusation pénale» visée par l'art. 6 CEDH, elle revêt une portée autonome. Cette notion doit être définie, conformément à la jurisprudence de la Cour EDH,
d'après trois critères: la qualification de la règle concernée en droit interne (importance relative), la nature de l'acte incriminé et le degré de sévérité de la sanction encourue107.

La confiscation prévue par le projet ci-joint étant très largement calquée sur la confiscation prévue à l'art. 6 LRAI, sa nature juridique est la même. Or, si la nature de la confiscation sous l'angle de la LRAI a fait l'objet de controverses dans la doctrine, la question a désormais été tranchée clairement par la jurisprudence: pour le Tribunal administratif fédéral, dont l'arrêt sur cette question est entré en force, la confiscation prévue par la LRAI ne constitue pas une mesure dont le caractère pénal est prépondérant et ne saurait par conséquent être assimilée à une «accusation en matière pénale», si bien que les garanties spécifiques en matière pénale ne peuvent

105

Arrêt de la Cour EDH A.L. c. Allemagne du 28 avril 2005, § 31; ATF 129 I 49, consid. 4; Andreas Auer/Giorgio Malinverni/Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Les droits fondamentaux, 3e éd., Berne 2013, p. 621 s., no 1363 106 Arrêt de la Cour EDH Y. c. Norvège du 11 février 2003, § 43 107 ATF 134 I 140, consid. 4.2 et réf. citées

5203

pas être invoquées108. Même si l'on considérait la confiscation prévue par la LRAI comme relevant du domaine pénal de la CEDH, force est d'admettre que la présomption d'illicéité des avoirs et la manière dont elle a été appliquée n'enfreindraient pas les règles de base régissant l'équité des procédures au sens de l'art. 6 CEDH109. Ces principes peuvent être appliqués, mutatis mutandis, à la procédure de confiscation prévue par le projet ci-joint, en sorte que la présomption d'illicéité de l'art. 15 est conforme à la Cst. et à la CEDH. Le Conseil fédéral a d'ailleurs toujours défendu le point de vue qu'il se conformait aux exigences du droit supérieur en prévoyant dans certaines limites une possibilité de renversement du fardeau de la preuve, ce qui a maintenant été reconnu par le pouvoir judiciaire. C'est la raison pour laquelle l'art. 15 n'a pas été supprimé du projet. A l'inverse, la présomption d'illicéité n'a pas non plus été renforcée comme certains le demandaient: d'une part elle a prouvé son efficacité dans le cas des avoirs Duvalier. D'autre part, le renversement de la présomption doit rester raisonnablement possible pour la PPE dont les valeurs patrimoniales sont visées par la procédure de confiscation.

En vertu de la jurisprudence de la Cour EDH et de son caractère dynamique, on ne peut cependant pas entièrement exclure qu'à l'avenir, dans un cas concret, la confiscation prévue par le projet de loi soit considérée comme revêtant un caractère pénal au sens de l'art. 6 CEDH. Toutefois, même si l'on devait reconnaître un caractère pénal à la confiscation dans un cas d'espèce, la présomption d'illicéité prévue à l'art. 15 du projet devrait rester compatible avec les exigences de l'art. 6 CEDH. La Cour EDH a en effet constaté, dans un arrêt de principe, que les présomptions de fait et de droit figurant dans les lois pénales ne sont pas par principe incompatibles avec la présomption d'innocence au sens de l'art. 6, al. 2, CEDH. L'art. 6, al. 2, CEDH commande toutefois aux Etats d'émettre ces présomptions dans des limites raisonnables, en prenant en compte la gravité de l'enjeu, les droits de la défense et le principe de proportionnalité110. La réglementation proposée à l'art. 15 satisfait aux exigences formulées par la Cour EDH: son champ d'application est étroitement circonscrit aux valeurs
patrimoniales de PPE et de leurs proches et elle donne à la personne concernée la possibilité de renverser la présomption. La présomption est renversée si la licéité de l'acquisition des valeurs patrimoniales peut être démontrée avec une vraisemblance prépondérante. Elle confère aux tribunaux une pleine liberté d'appréciation des preuves. Lors du prononcé de la confiscation, le tribunal évalue tous les éléments de la situation dont il dispose. La confiscation n'est licite que si, à l'issue de cette évaluation complète, le tribunal parvient à la conclusion que les valeurs patrimoniales sont effectivement le fruit d'infractions.

Enfin, le Conseil fédéral considère que le droit à un recours effectif (art. 13 CEDH) et les garanties tirées du droit à un procès équitable (art. 6 CEDH), en particulier le droit d'accès au juge, sont respectées par le projet de loi ci-joint (cf. à cet égard les commentaires relatifs à l'art. 21).

108 109 110

Arrêt du Tribunal administratif fédéral C-2528/2011 du 24 septembre 2013, consid. 6.5 Même arrêt, consid. 6.6 et 6.7 Arrêt Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A, vol. 141, no 28. Cf. aussi: arrêt Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A, vol. 243, no 32 et arrêt Janosevic c.

Suède du 23 juillet 2002.

5204

Convention des Nations Unies contre la corruption La Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC), qui définit des standards mondiaux pour la prévention et la lutte contre la corruption, est entrée en vigueur le 14 décembre 2005. Le 10 décembre 2003, la Suisse a signé la CNUCC sans réserve et l'a ratifiée le 24 septembre 2009. Outre la prévention de la corruption, elle réglemente la coopération internationale et l'assistance technique aux pays en développement et aux pays émergents. Pour la première fois, une convention prévoit que les valeurs patrimoniales d'origine illicite doivent être restituées à certaines conditions et contient une réglementation sur le rapatriement des avoirs. Lors de la 4e conférence des Etats parties à Marrakech, en octobre 2011, la CNUCC a été élargie par de nouvelles résolutions, notamment concernant la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite.

La CNUCC consacre tout un chapitre (V) au recouvrement de valeurs patrimoniales acquises illégalement. L'art. 51 CNUCC énonce que la restitution d'avoirs est un principe fondamental de la Convention et que les Etats Parties s'accorderont mutuellement la coopération et l'assistance les plus étendues à cet égard. Cet article manifeste la volonté des Etats Parties de tout mettre en oeuvre pour que la convention induise, par rapport aux textes antérieurs, une amélioration déterminante111.

L'art. 57, par. 2, oblige chaque Etat Partie à adopter les mesures législatives nécessaires permettant aux autorités compétentes de restituer les biens confisqués. Le droit suisse répond déjà pleinement aux exigences de la CNUCC. En matière de restitution des valeurs patrimoniales, le projet de loi ci-joint, de même que la LRAI, s'inscrit en parfaite cohérence avec la direction donnée par la CNUCC. Il tend en effet à parfaire le cadre juridique suisse pour permettre la restitution de valeurs patrimoniales d'origine illicite, même dans les rares cas dans lesquels l'entraide judiciaire n'aboutit pas en raison de la situation défaillante de l'Etat requérant. Il étend même la possibilité de la confiscation aux cas dans lesquels l'entraide judiciaire est exclue en raison d'une situation des droits de l'homme défaillante. De la sorte, le projet de loi ci-joint respecte pleinement le principe fondamental posé par la Convention
et va même au-delà.

Comme la LRAI, le projet de loi ci-joint prévoit, conformément à la CNUCC, que les Etats peuvent convenir d'une solution ad hoc pour accélérer le rapatriement des fonds confisqués à l'étranger, ce qui évite d'avoir à attendre la fin de procédures judiciaires longues et complexes. Cette solution devra toutefois prendre la forme d'un accord bilatéral, car il ne s'agit pas là d'une restitution automatique et obligatoire. L'Etat requis aura ainsi son mot à dire, notamment sur le sort des fonds rapatriés, qui devront être utilisés, dans toute la mesure du possible, au bénéfice de la population et des victimes de la corruption. Là encore, les principes concernant la restitution des valeurs patrimoniales confisquées sont également ancrés dans le projet de loi.

111

Message du 21 septembre 2007 concernant la Convention des Nations Unies contre la corruption, FF 2007 6931 6987

5205

La CNUCC a été renforcée grâce à un mécanisme de mise en oeuvre112 adopté en novembre 2009. La Suisse a passé avec succès son premier examen des Etats en 2012113.

5.3

Forme de l'acte à adopter

Le projet de loi ci-joint comprend des dispositions fixant des règles de droit, qui doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale, conformément à l'art. 164, al. 1, let. b et g, Cst.

5.4

Frein aux dépenses

Le projet de loi n'entraîne pas de coûts supplémentaires soumis au frein aux dépenses (art. 159, al. 3, let. b, Cst.).

5.5

Délégation de compétences législatives

En vertu de l'art. 7a, al. 1, LOGA, le Conseil fédéral peut conclure seul des traités internationaux lorsqu'une telle compétence lui est attribuée par une loi fédérale ou par un traité international approuvé par l'Assemblée fédérale. Une telle compétence lui est attribuée par l'art. 18, al. 2, du projet de loi ci-joint, en vertu duquel le Conseil fédéral peut conclure des accords en vue de la restitution de valeurs patrimoniales à l'Etat d'origine. Ce type d'accord a principalement pour objet les modalités de rapatriement. Il est donc important que le Conseil fédéral se voie attribuer cette compétence, afin que le rapatriement des fonds confisqués puisse intervenir rapidement.

5.6

Conformité à la législation sur la protection des données

La mise en oeuvre du projet de loi ci-joint nécessitera le traitement de données personnelles par les autorités fédérales chargées de son application, en particulier le DFAE, le DFJP et le DFF. Il est donc nécessaire de prévoir une base légale les autorisant à traiter de telles données, ce qui est précisément l'objet de l'art. 23 (cf.

les commentaires relatifs à cette disposition). Le projet de loi habilite en outre expressément à l'art. 5 les autorités fédérales à traiter et publier des données personnelles, y compris des données sensibles, dans le cadre de la publication des listes au RS et au RO et de leur adaptation éventuelle.

112

Ce mécanisme propose un examen des Etats en vue de contrôler la mise en oeuvre (et l'application) de la Convention par les Etats Parties dans le droit national.

113 L'examen a porté sur les chapitres III (Incrimination, détection et répression) et IV (Coopération internationale) de la CNUCC.

5206