14.038 Message relatif à l'initiative populaire «En faveur du service public» du 14 mai 2014

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «En faveur du service public», en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

14 mai 2014

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Didier Burkhalter La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2013-2739

3667

Condensé L'initiative populaire «En faveur du service public» a été déposée le 30 mai 2013, avec 104 197 signatures valables. L'initiative s'engage en faveur d'un service public de qualité à un prix abordable en Suisse. Le Conseil fédéral est d'avis que la Suisse dispose d'un service public de qualité couvrant l'ensemble du territoire et que des mesures destinées à améliorer ce service ne s'imposent pas. Il rejette donc l'initiative.

Teneur de l'initiative L'initiative exige que, dans le domaine des prestations de base, la Confédération ne vise pas de but lucratif, ne procède à aucun subventionnement croisé au profit d'autres secteurs de l'administration et ne poursuive pas d'objectif fiscal. Ces principes s'appliqueraient par analogie aux entreprises qui accomplissent des tâches légales pour le compte de la Confédération dans le domaine des prestations de base ou que la Confédération contrôle directement ou indirectement par une participation majoritaire. En outre, la Confédération devrait veiller à ce que les salaires et les honoraires versés aux collaborateurs de ces entreprises ne soient pas supérieurs à ceux versés aux collaborateurs de l'administration fédérale.

Concrètement, les auteurs de l'initiative disent vouloir améliorer le service public en Suisse et mettre un terme à ce qu'ils considèrent comme un démantèlement de ce dernier. L'initiative demande que les entreprises fédérales telles que la Poste, Swisscom et les CFF ­ plutôt que de chercher à maximiser leur bénéfice sur le dos des consommateurs ­ offrent en premier lieu un service public de qualité à un prix abordable à la population. Pour ce faire, la Confédération ne doit pas être autorisée à prélever indirectement des impôts (sous la forme de versement de bénéfices) en appliquant des tarifs surfaits dans le domaine de la Poste, des CFF et de Swisscom.

De plus, le comité d'initiative considère que les salaires des cadres de ces entreprises sont excessifs et exige que ces cadres ne soient dorénavant pas mieux rémunérés que les conseillers fédéraux.

Avantages et inconvénients de l'initiative Le Conseil fédéral reconnaît les revendications des auteurs de l'initiative qui veulent que la population suisse dispose d'un service public de qualité à un prix abordable. De son point de vue, les exigences de l'initiative remettraient
pourtant en question les réformes menées à la fin des années 90 qui ont permis d'instaurer les conditions nécessaires à la fourniture d'un service public de qualité sur l'ensemble du territoire. Les entreprises fédérales sont aujourd'hui bien positionnées, offrent des prestations de qualité et sont des employeurs importants et attrayants. Pour les entreprises concernées, l'initiative impliquerait une restriction évidente de la liberté d'entreprise. L'exigence de l'initiative affecterait également l'efficacité, la compétitivité, la force d'innovation et l'activité d'investissement des entreprises fédérales. Il en résulterait un affaiblissement du service public en Suisse et non pas un renforcement comme l'exige l'initiative.

3668

La flexibilité des entreprises fédérales en matière de politique salariale serait également restreinte et certaines conditions d'engagement risqueraient de se dégrader.

Le Conseil fédéral est d'avis que la Suisse dispose d'un service public de qualité. Il estime que l'initiative est formulée de façon confuse et contradictoire sur plusieurs points et que les instruments prévus ne permettraient pas de remplir les exigences de cette dernière.

Proposition du Conseil fédéral Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire «En faveur du service public» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter.

3669

Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Teneur de l'initiative

L'initiative populaire «En faveur du service public» a la teneur suivante: La Constitution (Cst.)1 est modifiée comme suit: Art. 43b

Principes applicables aux prestations de base fournies par la Confédération

Dans le domaine des prestations de base, la Confédération ne vise pas de but lucratif, ne procède à aucun subventionnement croisé au profit d'autres secteurs de l'administration et ne poursuit pas d'objectif fiscal.

1

Les principes définis à l'al. 1 s'appliquent par analogie aux entreprises qui accomplissent des tâches légales pour le compte de la Confédération dans le domaine des prestations de base ou que la Confédération contrôle directement ou indirectement par une participation majoritaire. La Confédération veille à ce que les salaires et les honoraires versés aux collaborateurs de ces entreprises ne soient pas supérieurs à ceux versés aux collaborateurs de l'administration fédérale.

2

La loi règle les modalités; elle distingue en particulier les prestations de base des autres prestations, assure la transparence des coûts dans le domaine des prestations de base et garantit un emploi transparent des recettes provenant de ces prestations.

3

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «En faveur du service public» a été soumise à l'examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 14 février 20122 et a été déposée le 30 mai 2013 avec le nombre requis de signatures.

Par décision du 20 juin 2013, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 104 197 signatures valables et qu'elle avait donc abouti3.

Cette initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne présentera pas de contre-projet direct ni de contre-projet indirect. En vertu de l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)4, le Conseil fédéral a donc jusqu'au 30 mai 2014 pour édicter un projet d'arrêté accompagné d'un message. En vertu de l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 30 novembre 2015 pour décider de ses recommandations en vue de la votation populaire.

1 2 3 4

RS 101 FF 2012 1343 FF 2013 4307 RS 171.10

3670

1.3

Validité

L'initiative remplit les conditions de validité selon l'art. 139, al. 3, de la Cst.: a)

Elle est formulée sous la forme d'un projet rédigé et remplit les exigences de l'unité de la forme;

b)

Il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties de l'initiative.

Celle-ci respecte donc le principe de l'unité de la matière.

c)

Elle ne contrevient à aucune des règles impératives du droit international; elle remplit ainsi les exigences de la conformité au droit international.

2

Contexte

2.1

Raisons invoquées par le comité d'initiative

Les auteurs de l'initiative soulignent5 l'insatisfaction croissante de la population par rapport aux prestations de La Poste Suisse, des CFF et de Swisscom. Pour ce faire, ils s'appuient sur une enquête sur les prix et les prestations des CFF et de la Poste réalisée en janvier 2012 auprès d'un échantillon représentatif de la population suisse par l'institut de sondage GfK Switzerland, sur mandat du magazine K-Tipp; ils se réfèrent aussi aux plaintes reçues par les magazines de défense des consommateurs.

Un tiers des personnes sondées ont sévèrement jugé la propreté des toilettes dans les trains, près de la moitié a critiqué de manière générale les prix des CFF, en attribuant une note allant de «insatisfaisant» à «mauvais». En ce qui concerne la Poste, 20 % des personnes sondées considèrent que les prix des lettres sont excessifs, près de la moitié considérant que les prix des colis sont trop élevés. «Les CFF, la Poste, Swisscom & Cie» réalisent, toujours selon les sondés, des bénéfices de plus en plus élevés sur le dos de la population tout en procédant au démantèlement du service public. Il en résulte une situation caractérisée par des trains sales et bondés, un système tarifaire obscur, des amendes à la place des conseils, de longues files d'attente aux quelques guichets restants ainsi que la réduction du nombre de boîtes aux lettres et d'offices de poste. De plus, les prix continuent d'augmenter presque chaque année.

Les citoyens en ont assez de ce démantèlement du service public. C'est pourquoi l'initiative exige que les entreprises offrent le «meilleur service au meilleur prix».

2.2

Evolution du service universel au niveau fédéral

La présente initiative est intitulée «En faveur du service public». Dans le titre du nouvel article constitutionnel proposé, il est par contre question des «Principes applicables aux prestations de base fournies par la Confédération». Le Conseil fédéral s'est déjà exprimé à plusieurs reprises sur la notion de service public et de service universel. Dans son rapport du 23 juin 20046 «Le service public dans le domaine des infrastructures», il a défini le service public de la manière suivante: «Par service public, on entend des services de base de qualité, définis selon des critères politiques, comprenant certains biens et prestations d'infrastructure, accessi5 6

www.proservicepublic.ch FF 2004 4309

3671

bles à toutes les catégories de la population et offerts dans toutes les régions du pays à des prix abordables et selon les mêmes principes7.» Dans son message du 8 mai 20138 concernant une disposition constitutionnelle de caractère général sur le service universel, il emploie une définition plus large afin de tenir compte de la motion de la Commission des transports et des télécommunications du Conseil des Etats (Mo CTT-E 05.3232 «Disposition constitutionnelle relative à la desserte de base») et de ne pas englober uniquement le secteur des infrastructures: «Le service universel est un objectif qui doit être précisé selon des critères politiques et selon lequel la population doit avoir accès aux biens et services répondant à ses besoins usuels.

Pour l'Etat, il a la valeur d'un mandat de promouvoir cet objectif.» La documentation disponible sur le site Internet de l'initiative9 ainsi que les déclarations des auteurs laissent penser que l'initiative vise plus particulièrement les secteurs d'activité des entreprises liées à la Confédération que sont les CFF, la Poste et Swisscom. Le nouvel article constitutionnel ne reflète pas cette réalité. A l'heure actuelle, on ignore si et dans quelle mesure la disposition constitutionnelle proposée pourrait avoir des incidences sur d'autres domaines.

Dans les trois secteurs concernés, la Confédération a pour objectif de garantir un service universel de qualité tout en veillant à ce qu'il soit offert avec l'efficacité requise. Dans ce contexte, le législateur édicte des prescriptions différenciées pour chaque offre de prestations. Parallèlement, il octroie des libertés entrepreneuriales aux entreprises concernées afin qu'elles puissent rester compétitives et si possible sur un pied d'égalité avec les autres concurrents. La fourniture du service universel profite dans les trois secteurs des économies d'échelle et de gamme, que ce soit par l'utilisation commune d'infrastructures pour des prestations relevant ou non du service universel ou par le regroupement d'offres proposées aux clients. Le financement du service universel, spécifique à chaque secteur, est caractérisé par une pondération différente des contributions des bénéficiaires des prestations et de celles des pouvoirs publics. Ce système, introduit dans le cadre des réformes des PTT et des chemins de
fer en 1998 et en 1999, a fait ses preuves.

Les CFF, la Poste et Swisscom sont des sociétés anonymes de droit public dans lesquelles la loi prévoit une participation majoritaire de la Confédération (actuellement: CFF et la Poste 100 %, Swisscom 51,22 %). Ces entreprises sont exposées à la concurrence à des degrés divers. La Poste dispose encore d'un monopole ancré dans la loi pour les lettres jusqu'à 50 grammes; les CFF ont ­ en vertu d'une concession en vigueur jusqu'en 2017 ­ le droit exclusif de transporter les voyageurs sur de longues distances sur le réseau ferroviaire suisse. Le contenu du service universel comprenant des services postaux et de paiement est défini dans la loi du 17 décembre 2010 sur la poste (LPO)10. Dans le secteur des télécommunications, les prestations du service universel sont décrites dans l'ordonnance du 9 mars 2007 sur les services de télécommunication (OST)11. Dans le trafic régional de voyageurs, la demande minimale détermine l'étendue du service universel (cf. ordonnance du 11 novembre 2009 sur l'indemnisation du trafic régional de voyageurs [OITRV]12).

7 8 9 10 11 12

FF 2004 4310 FF 2013 2991 www.proservicepublic.ch RS 783.0 RS 784.101.1 RS 745.16

3672

Une offre minimale de correspondances journalières est déterminée sur la base de la demande.

L'évolution des besoins de la clientèle a obligé ces dernières années les entreprises fédérales à adapter leurs prestations. Suite à une nette baisse des volumes (depuis 2000: ­65 % dans le secteur des lettres, ­47 % dans le secteur des colis, ­31 % dans le secteur des versements), la Poste a réorganisé son réseau d'offices de poste et introduit de nouvelles formes de fourniture des prestations postales telles que les agences (la poste dans l'épicerie du village) et le service à domicile (poste sur le pas de la porte). La Suisse continue toutefois de posséder l'un des réseaux les plus denses du monde. Il ressort des comparaisons tarifaires avec l'étranger que la Poste compte parmi les prestataires les meilleur marché tant dans le secteur des lettres que des colis.

Dans le domaine des transports publics, le trafic pendulaire a fortement augmenté et l'offre a été considérablement étoffée. Entre 2000 et 2013, les CFF ont augmenté leur offre de train-kilomètre de presque 50 %. L'ouverture du nouveau tronçon entre Olten et Berne fin 2004 a réduit le temps de parcours entre Zurich et Berne de 13 minutes. Avec l'ouverture du tunnel de base du Loetschberg en 2007, le temps de parcours entre Viège et Berne a pu être réduit de plus d'une heure. Parallèlement, les CFF ont modernisé l'ensemble de leur matériel roulant (train Intercity à caisses inclinables, trains à deux étages dans le trafic grandes lignes, matériel roulant climatisé dans le trafic régional). Pour financer ces investissements ainsi que d'autres, l'association de la branche a adapté progressivement ses tarifs dans le secteur des transports publics de voyageurs depuis l'an 2000. Selon l'Office fédéral de la statistique, la hausse des prix était en moyenne de 1,9 % par an entre 2000 et 2013.

Le secteur des télécommunications a été ouvert à la concurrence en 1998 pour faire face aux progrès technologiques fulgurants escomptés dans ce domaine. En 2007, le monopole a été levé sur le dernier kilomètre. Le Conseil fédéral adapte périodiquement l'étendue du service universel aux nouvelles conditions et à l'état de la technique (art. 16, al. 3, de la loi du 30 avril 1997 sur les télécommunications [LTC]13).

Depuis 1998, grâce à la concurrence entre les
différents fournisseurs de services de télécommunication, les prix de la téléphonie fixe ont baissé de plus de 50 % et ceux de la large bande de 46 %; dans le domaine de la téléphonie mobile, la réduction a atteint jusqu'à 80 % et dans celui du roaming 90 % depuis 2006. Quant aux prix du roaming critiqués par les auteurs de l'initiative, ils ne relèvent pas du service universel.

Le Conseil fédéral gère les entreprises liées à la Confédération par le biais d'objectifs stratégiques qu'il leur assigne tous les quatre ans. Il évalue chaque année la réalisation de ces objectifs et adopte le rapport correspondant à l'intention des commissions de surveillance parlementaires.

2.3

Autorités en matière de concurrence

Conformément à la loi du 20 décembre 1985 concernant la surveillance des prix (LSPr)14, le préposé à la surveillance des prix observe les prix des entreprises domi13 14

RS 784.10 RS 942.20

3673

nant le marché et intervient en cas d'abus. Dans le secteur de la télévision par câble, il est parvenu à empêcher des rentes de monopole exagérées et certaines pratiques hostiles au consommateur, sans que le législateur ait dû intervenir dans ce secteur du service public largement privatisé en édictant des lois compliquées et tendant à entraver l'innovation. En plus, en janvier 2014, un accord à l'amiable conclu entre la Poste et le surveillant des prix peut être mentionné comme exemple d'une règlementation simple et pragmatique du service public. Pour garantir un service public à des prix abordables, les autorités nationales de la concurrence, à savoir la commission de la concurrence et la surveillance des prix, jouent un rôle particulier dans les secteurs en mutation, marqués par une évolution technologique ou par la libéralisation progressive envisagée. Ainsi, dans le cas de l'installation de réseaux à fibre optique, la commission de la concurrence a veillé dans le cadre d'une procédure à ce que, malgré la coopération dans le domaine de la construction des infrastructures, la concurrence soit maintenue au niveau de l'exploitation des infrastructures.

En principe, les autorités n'interviennent qu'en cas de non-respect des règles fondamentales de la loi sur les cartels ou de la loi concernant la surveillance des prix.

2.4

Droit constitutionnel

Conformément à l'art. 43a, al. 4, de la Cst., les prestations de base doivent être accessibles à tous dans une mesure comparable. En revanche, il n'existe pas de définition précise de la desserte de base dans la Constitution, ce qui a déjà plusieurs fois donné lieu à des interventions parlementaires15.

Les dispositions constitutionnelles suivantes s'appliquent aux secteurs des services postaux et des télécommunications ainsi qu'aux transports publics: L'actuel art. 92, al. 2, Cst. oblige la Confédération à veiller à ce qu'un service universel suffisant en matière de services postaux et de télécommunications soit assuré à des prix raisonnables dans toutes les régions du pays. Font partie intégrante du secteur postal les prestations postales générales ainsi que les services de paiement et le transport de voyageurs pour autant que ce dernier ne fasse pas l'objet d'autres réglementations. Le secteur des télécommunications désigne la transmission des informations, qui ne sont pas destinées à la collectivité, au moyen de techniques de télécommunication16.

En ce qui concerne les transports publics, la Constitution en vigueur ne prévoit pas de droit fondamental à la mobilité, ni dans le sens d'une liberté, ni dans celui d'un droit social. Quiconque se déplace ne dispose pas d'un droit constitutionnel d'utiliser un moyen de transport, ni d'un droit particulier d'exiger de l'Etat un raccordement au réseau de transport ou une large offre de transports publics17. Le 9 février 2014, le peuple suisse a accepté le projet de financement et d'aménagement de l'infrastructure ferroviaire (FAIF). Le nouvel article 81a Cst. dispose que la Confé15 16

17

03.465 Iv. pa. Maissen, Service public. Desserte de base dans la Constitution; 05.3232 Motion CTT-E. Disposition constitutionnelle relative à la desserte de base.

Herbert Burkert (2008), commentaire de l'art. 92 Cst., in: Ehrenzeller Bernhard/ Mastronardi, Philippe/Schweizer, Rainer J./Vallender, Klaus A. (éd.), Die schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2e éd., Zurich/Saint-Gall, ch. 2.

Martin Lendi (2008), ), commentaire de l'art. 87 Cst., in: Ehrenzeller Bernhard/ Mastronardi, Philippe/Schweizer, Rainer J./Vallender, Klaus A. (éd.), Die schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2e éd., Zurich/Saint-Gall, ch. 11

3674

dération et les cantons encouragent dans toutes les régions du pays les transports publics sur le rail, la route et les eaux ainsi que le transfert du trafic des marchandises de la route au rail. Les exigences du trafic ferroviaire de marchandises doivent cependant être prises en compte de manière appropriée.

3

Buts et contenu

3.1

Buts et dispositif proposé

L'initiative veut améliorer le service public en Suisse et mettre un terme à ce que le comité d'initiative considère comme un démantèlement. Elle demande que les entreprises fédérales telles que la Poste, Swisscom et les CFF ­ plutôt que de chercher à maximiser leur bénéfice sur le dos des consommateurs ­ offrent en premier lieu à la population un service public de qualité à un prix abordable. Pour ce faire, la Confédération ne doit pas être autorisée à prélever indirectement des impôts (sous la forme de versement de bénéfices) en appliquant des tarifs excessifs dans le domaine de la Poste, des CFF et de Swisscom. De plus, le comité d'initiative considère que les salaires excessifs des dirigeants de ces entreprises doivent baisser et exige concrètement que ces salaires ne soient dorénavant pas supérieurs à ceux des conseillers fédéraux.

3.2

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

3.2.1

Pas de course au bénéfice dans le domaine des prestations de base

L'initiative exige que la Confédération ne vise pas de but lucratif dans le domaine des prestations de bases et que ce principe s'applique par analogie aux entreprises qui accomplissent des tâches légales pour le compte de la Confédération dans le domaine des prestations de base ou que la Confédération contrôle directement ou indirectement par une participation majoritaire.

Dans ce contexte, que signifie exactement la formulation «ne vise pas de but lucratif»? Il est difficile de déterminer si les bénéfices ou la poursuite d'un but lucratif doivent être complètement exclus ou si les bénéfices ne doivent pas constituer le but principal dans le domaine du service universel. Concernant les entreprises visées à l'al. 2 du texte de l'initiative, on ne sait pas non plus si l'exclusion du but lucratif se rapporte à l'ensemble des activités de l'entreprise ou aux seuls bénéfices dégagés par les prestations du service universel.

Le texte de l'initiative permet de conclure que l'initiative n'exige pas une interdiction absolue du but lucratif dans le domaine des prestations de base, ni au niveau de la Confédération, ni au niveau des entreprises fédérales. Ces entreprises, à l'instar de toute autre entreprise, ont en effet impérativement besoin d'innover et d'investir (notamment dans de nouvelles technologies) pour assurer leur productivité et compétitivité. Pour ce faire, leur rentabilité doit cependant être élevée. Des bénéfices sont nécessaires afin que des fonds propres et des réserves puissent être constitués et que la survie et la compensation des pertes puissent être assurées même dans un contexte économique difficile. L'article constitutionnel proposé peut être interprété de telle sorte qu'il exclurait la poursuite d'un but lucratif dans le domaine du service 3675

universel. Des bénéfices resteraient cependant possibles pour autant qu'ils servent par exemple à constituer des réserves ou à compenser des pertes dans le but de garantir la survie de l'entreprise.

Cette interprétation est confirmée par les explications données par les auteurs de l'initiative pour qui celle-ci exige que les entreprises fédérales conservent leurs éventuels bénéfices afin de réaliser des investissements appropriés ou de faire baisser les prix, et non d'alimenter les caisses de l'Etat comme impôt indirect18.

3.2.2

Interdiction de subventionnements croisés et d'objectifs fiscaux dans le domaine des prestations de base

Selon le texte de l'initiative, la Confédération ne doit, dans le domaine des prestations de base, procéder à aucun subventionnement croisé au profit d'autres secteurs de l'administration, ni poursuivre d'objectif fiscal. Ce principe s'applique aussi par analogie aux entreprises qui accomplissent des tâches légales pour le compte de la Confédération dans le domaine des prestations de base ou que la Confédération contrôle directement ou indirectement par une participation majoritaire.

Il ne ressort toutefois pas clairement du texte de l'initiative si l'obligation de renoncer au subventionnement croisé concerne les flux financiers au sein de la Confédération, au sein des entreprises fédérales ou les flux financiers de ces entreprises vers la Confédération.

Selon les renseignements fournis par un membre du comité d'initiative, le subventionnement croisé au sein d'une entreprise ne devrait pas être problématique. En revanche, l'initiative entend interdire notamment le versement des recettes de la Poste et de Swisscom dans la caisse fédérale19. Cela ne ressort toutefois pas clairement du texte de l'initiative.

Le rapport entre l'exclusion demandée du but lucratif et des subventionnements croisés, d'une part, et le renoncement à l'objectif fiscal prévu à l'al. 1 du texte de l'initiative, de l'autre, est également peu clair. Selon une interprétation plausible, étayée par les propos du comité d'initiative, les trois exigences visent toutes à interdire une utilisation des bénéfices réalisés dans le service universel pour d'autres tâches de la Confédération. Dans cette optique, les entreprises actives dans le domaine des prestations de base ou que la Confédération contrôle par une participation majoritaire ne devraient pas verser à cette dernière de dividende financé par des bénéfices réalisés avec le service universel. Cela concerne notamment la Poste et Swisscom. Du point de vue du comité, le versement de dividendes aux investisseurs doit être considéré comme un impôt déguisé. Les bénéfices disponibles devraient servir à baisser le prix des prestations du service universel.

18 19

cf. K-Tipp 01/2014 du 15.1.2014 cf. article dans Der Bund/Tagesanzeiger du 23.8.2013: «Linke Hilfe für profitorientierte Manager»

3676

3.2.3

Limitation des rémunérations versées aux collaborateurs des entreprises publiques à celles versées dans l'administration fédérale

L'initiative exige de la Confédération qu'elle veille à ce que les salaires et les honoraires versés aux collaborateurs des entreprises qui accomplissent des tâches légales pour le compte de la Confédération dans le domaine des prestations de base ou que la Confédération contrôle directement ou indirectement par une participation majoritaire ne soient pas supérieurs à ceux versés aux collaborateurs de l'administration fédérale.

Selon les explications données sur leur site Internet, les auteurs de l'initiative sont choqués par les salaires excessivement élevés accordés aux dirigeants des CFF, de la Poste, de Swisscom et de Ruag. De plus, dans ces entreprises, les autres membres de la direction ainsi que ­ sur la base d'un taux d'occupation de 100 % ­ les présidents des conseils d'administration de Swisscom, la Poste et Skyguide gagnent plus qu'un conseiller fédéral. Selon les auteurs de l'initiative, il faut réduire les salaires excessifs des dirigeants des entreprises fédérales. Concrètement, l'initiative exige, selon les explications données sur le site Internet, que la rémunération de ces derniers ne soit pas supérieure à celle des conseillers fédéraux. Cette exigence ne ressort toutefois pas non plus clairement du texte de l'initiative.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des buts de l'initiative

4.1.1

Pas de course au bénéfice dans le domaine des prestations de base

Selon une interprétation plausible, on peut supposer que l'initiative n'exige pas une interdiction absolue des bénéfices, mais la conservation des éventuels bénéfices que les entreprises fédérales réalisent dans le domaine des prestations de base. Celles-ci, de leur côté, ne devraient pas chercher à maximiser leurs bénéfices. Les entreprises subiraient ainsi une restriction de leurs activités commerciales, puisqu'elles n'auraient le droit de réaliser des bénéfices dans le domaine des prestations de base plus que, par exemple, pour constituer des réserves ou compenser des pertes dans le but de garantir leur survie. Ces restrictions sont susceptibles d'affecter leur productivité et leur compétitivité.

Comme la Confédération et les cantons indemnisent les coûts non couverts de l'offre de transport commandée dans le trafic régional de voyageurs, la poursuite du but lucratif n'est pas autorisée dans ce domaine (cf. ordonnance du 11 novembre 2009 sur l'indemnisation du trafic régional de voyageurs [OITRV]20). Les bénéfices sont également interdits par la régulation dans le domaine de l'infrastructure ferroviaire des CFF et des autres entreprises de transport concessionnaires commandée et financée par la Confédération.

Le mandat de service universel dans le domaine des télécommunications est attribué dans le cadre d'une mise au concours. La concession actuelle de Swisscom vient à échéance à fin 2017. De par sa formulation, l'initiative concernerait non seulement 20

RS 745.16

3677

Swisscom, contrôlée majoritairement par la Confédération, mais aussi toute autre entreprise qui bénéficierait de la concession. Aucune entreprise ne veut se soumettre de son plein gré à une limitation de son bénéfice. Il se pourrait dès lors que, dans ces conditions, aucune entreprise ne se porte candidate pour assumer la concession de service universel; il faudrait alors désigner une entreprise pour assumer cette tâche (art. 14, al. 4, LTC). De plus, une telle entreprise risquerait d'exiger de la Confédération une compensation financière pour financer les coûts non couverts du service universel (art. 19 LTC).

Selon l'objectif déclaré des auteurs de l'initiative, plutôt que de chercher à réaliser des bénéfices, les entreprises fédérales devront baisser leurs prix ou conserver d'éventuels bénéfices pour réaliser des investissements judicieux ou faire baisser les prix. Les investissements sont cependant financés par les bénéfices conservés et par des emprunts. Si les entreprises ne peuvent désormais plus chercher à réaliser des bénéfices, ni à les utiliser conformément à leurs stratégies entrepreneuriales, leur capacité d'investissement n'en serait pas renforcée, mais menacée. Par ailleurs, des prix bas impliquent aussi de bas coûts de fourniture des prestations qui ne peuvent être garantis que par la liberté d'entreprise et une gestion appropriée. Or, les entreprises fédérales, soumises à la fois à des exigences politiques, régulatoires et économiques, évoluent déjà dans un contexte extrêmement difficile. Des réductions de prix générales dans les transports publics conduiraient par exemple à abaisser encore plus le taux de couverture des coûts déjà bas, ce qui risquerait d'entraîner une augmentation des dépenses des pouvoirs publics. Ainsi, les objectifs de l'initiative concernant les bénéfices accroîtraient encore la complexité des conditions-cadres pour les entreprises concernées et compliqueraient leur gestion. La fourniture efficace du service universel s'en trouverait menacée.

Enfin, il y a lieu de s'interroger si, avec l'initiative, la forme juridique de la société anonyme peut encore être jugée appropriée pour les entreprises fédérales. Cette forme juridique a été sciemment choisie par le législateur afin de garantir une grande liberté entrepreneuriale aux entreprises, de créer un cadre
approprié pour les prestations de plus en plus fournies dans un contexte de concurrence et de les mettre sur un pied d'égalité avec leurs concurrents. Enfin, la forme juridique de la société anonyme est par définition axée sur un but lucratif.

4.1.2

Interdiction de subventionnements croisés et d'objectifs fiscaux dans le domaine des prestations de base

L'initiative exige par ailleurs qu'on renonce au subventionnement croisé au profit d'autres secteurs de l'administration et qu'aucun objectif fiscal ne soit poursuivi.

La notion de subventionnement croisé englobe tout transfert des coûts et revenus, donc même entre les unités d'affaires d'une entreprise ou entre les différentes catégories de clients qui sollicitent la même prestation. Selon cette définition, il existe dans le secteur du service universel différentes formes délibérées de subventionnement croisé au sein même des entreprises. Les entreprises doivent finalement fournir le service universel en couvrant leurs coûts; or, selon une règle du service universel, des prestations identiques doivent toutes être proposées à tous aux mêmes prix.

Ainsi, la Poste applique dans tout le pays les mêmes tarifs pour les lettres et colis relevant du service universel et destinés à la clientèle privée. Elle doit en outre 3678

garantir un réseau de points d'accès couvrant l'ensemble du pays. La concession de trafic longues distances des CFF oblige l'entreprise à exploiter tout le réseau grandes lignes de manière rentable et à desservir aussi les régions situées en dehors des grands centres. Dans ce système, les lignes rentables du réseau grandes lignes financent par croisement les lignes déficitaires. En effet, en assurant les correspondances, les lignes non rentables qui doivent être exploitées en vertu de la concession jouent un rôle important dans le système des transports publics en Suisse.

En garantissant la parité entre les catégories de clients et les régions, le subventionnement croisé est le moyen sans doute le plus important de garantir le service universel.

Dans le trafic régional des voyageurs, en raison du principe de la commande des lignes déjà mentionné, le subventionnement croisé est en revanche largement exclu.

Dans le secteur postal, des règles claires interdisent les subventions croisées. Ainsi, l'art. 19 de la loi sur la poste dispose que la Poste ne peut utiliser le produit de la vente du service réservé (monopole sur le transport des lettres dont le poids n'excède pas 50 grammes, art. 18 LPO) que pour couvrir les coûts du service universel (services postaux et services de paiement) et non pour réduire le prix des prestations ne relevant pas des deux mandats de service universel.

L'exigence de l'initiative, en vertu de laquelle la Confédération ne doit poursuivre aucun objectif fiscal dans le secteur du service universel, concerne plus spécifiquement la distribution de dividendes par des entreprises qui disposent d'un mandat légal dans le secteur du service universel ou qui sont contrôlées directement ou indirectement par la Confédération, qui détient la majorité des voix. Cette exigence concerne plus spécifiquement la Poste et Swisscom. Les CFF ne versent aucun dividende à la Confédération, mais utilisent les moyens disponibles pour investir dans de nouveaux trains, nécessaires pour faire face à la hausse de la demande de transports. Les bénéfices des CFF retournent donc directement dans le système ferroviaire.

Les auteurs de l'initiative considèrent que les bénéfices et les dividendes versés à la Confédération par Swisscom et la Poste constituent des impôts déguisés qu'il s'agit d'éliminer
étant donné qu'ils sont financés par des tarifs surfaits.

Les bénéfices versés aux actionnaires correspondent au rendement du capital investi et couvrent le risque entrepreneurial. Ils créent ainsi les conditions d'une capitalisation adéquate. Sans perspectives de bénéfice de l'entreprise ou d'un versement des dividendes, Swisscom notamment aurait plus de peine à trouver des investisseurs privés.

Comme dans les sociétés anonymes entièrement privatisées, il faut aussi accorder à la Confédération, actionnaire, un rendement convenable par rapport au capital investi et financé notamment par l'argent du contribuable. En tant que propriétaire, la Confédération doit pouvoir décider de l'utilisation des bénéfices comme dans d'autres entreprises privées. Elle peut exiger une part du bénéfice et la verser dans le budget de l'Etat, déchargeant ainsi indirectement les contribuables ou conserver le bénéfice au sein de l'entreprise afin d'accroître les fonds propres. Rappelons à ce titre que, lorsqu'elles fournissent leurs prestations, la Poste et Swisscom sont de plus en plus exposées à la concurrence et réalisent leurs bénéfices en grande partie sur le marché libre et non dans le domaine du service universel. Si le bénéfice distribué diminuait, la Confédération serait obligée de compenser le manque à gagner par des hausses d'impôts ou une réduction des prestations.

3679

4.1.3

Limitation des rémunérations versées aux collaborateurs des entreprises publiques à celles versées dans l'administration fédérale

L'exigence du comité d'initiative, selon laquelle les salaires des collaborateurs des entreprises publiques ne doivent pas être supérieurs à ceux versés aux collaborateurs de l'administration fédérale, vise les salaires à son avis excessifs des cadres des entreprises fédérales. Vu la formulation de l'initiative, non seulement les cadres, mais tous les employés des entreprises fédérales seraient toutefois concernés. Selon le texte de l'initiative, les entreprises devraient adapter leurs structures salariales à celle de l'administration fédérale. Cette exigence ne pourrait être mise en oeuvre qu'au prix d'énormes efforts, vu qu'il faudrait définir précisément dans quels cas les exigences, les fonctions et les rémunérations des entreprises sont équivalentes à celles de l'administration fédérale.

Les CFF, la Poste et Swisscom figurent parmi les principaux employeurs du pays et sont en concurrence avec des entreprises privées, non seulement pour leurs produits et prestations, mais aussi sur le marché de l'emploi. Pour rester concurrentielles, les entreprises doivent donc aussi en avoir les moyens. Etant donné que les conditions prévalant dans plusieurs branches diffèrent de celles de l'administration fédérale, l'alignement forcé sur la structure salariale de la Confédération risquerait d'affaiblir les entreprises qui seraient soumises à une restriction que leurs concurrentes directes ne subiraient pas. Leur productivité et leur capacité d'innover en pâtiraient. Les relations entre les partenaires sociaux seraient aussi concernées. La marge de manoeuvre pour des solutions spécifiques aux entreprises dans le cadre des négociations des conventions collectives de travail s'en trouverait réduite.

L'alignement sur la structure salariale de la Confédération exigé par l'initiative limiterait encore la liberté d'entreprise accordée aux entreprises fédérales lors des réformes déjà mentionnées, concernant l'une les PTT en 1998, l'autre les chemins de fer en 1999. Ce «retour dans le giron de l'administration» irait diamétralement à l'encontre de tous les efforts consentis au cours des dernières décennies en matière d'externalisation et de privatisation, qui ont dans l'ensemble renforcé le service public en Suisse.

En tant qu'entreprise cotée en bourse, Swisscom est soumise à l'ordonnance du 20 novembre 2013
contre les rémunérations abusives dans les sociétés anonymes cotées en bourse (ORAb)21, entrée en vigueur le 1er janvier 2014. Dorénavant, l'assemblée générale devra donc voter chaque année toutes les rémunérations des membres du conseil d'administration et de la direction de l'entreprise.

Les CFF et la Poste sont soumis aux dispositions de l'ordonnance du 19 décembre 2003 sur les salaires des cadres22 et doivent chaque année fournir un rapport sur les salaires des cadres informant le Conseil fédéral du respect des conditions. En 2007, le Conseil fédéral a fixé des valeurs de référence pour l'indemnisation des présidents des conseils d'administration des CFF (225 000 francs), de la Poste (225 000 francs), de Skyguide (135 000 francs), de Ruag (140 000 francs) et de SRG SSR (135 000 francs) en tenant compte du risque entrepreneurial, de la taille et du mode de financement de l'entreprise ainsi que du taux d'occupation.

21 22

RS 221.331 RS 172.220.12

3680

4.1.4

Mise en oeuvre dans la loi

A l'al. 3, l'initiative exige que la loi règle les modalités, qu'elle distingue en particulier les prestations de base des autres prestations, qu'elle assure la transparence des coûts dans le domaine des prestations de base et qu'elle garantisse un emploi transparent des recettes provenant de ces prestations.

Comme déjà mentionné précédemment, la loi sur la poste prévoit déjà que les recettes des services réservés servent uniquement à couvrir les coûts du service universel et ne peuvent pas être utilisées pour réduire le prix des prestations ne relevant pas du service universel. Cette interdiction des subventions croisées se fonde sur le principe de la liberté économique au sens de l'art. 94, al. 1, Cst. et vise à empêcher une distorsion de la concurrence au moyen des fonds du monopole garantis par la loi (cf.

message du 20 mai 2009 relatif à la loi sur la poste23). La comptabilité doit être présentée de façon à permettre l'attestation des coûts et du produit de chaque prestation. En outre, la Poste est tenue de définir les coûts nets découlant de l'obligation de fournir le service universel (art. 49 et 50 de l'ordonnance du 29 août 2012 sur la poste [OPO]24). Ces coûts nets résultent de la comparaison entre le résultat que la Poste et les sociétés de son groupe réalisent compte tenu de cette obligation et celui qu'elles réaliseraient sans cette obligation.

Le droit des chemins de fer ne définit pas la desserte de base au niveau de la loi. La loi fédérale du 20 décembre 1957 sur les chemins de fer (LCdF)25 et la loi du 20 mars 2009 sur le transport de voyageurs (LTV)26 imposent cependant des règles comptables assez détaillées aux entreprises ferroviaires et à celles au bénéfice d'une concession pour le transport de voyageurs.

Swisscom fournit actuellement des prestations relevant du service universel, en partie regroupées avec d'autres services (téléphonie mobile, TV). En raison des avantages liés au regroupement, la ventilation des coûts et des revenus ne peut se faire que sur la base d'hypothèses et il n'existe jusqu'à présent aucune règle généralement reconnue pour l'attribution des coûts.

D'un côté, la législation en question comprend déjà des règles régissant l'obligation de présenter les coûts et recettes des différentes prestations. De l'autre, il faut souligner que, si le législateur
peut imposer une nette délimitation entre les prestations du service universel et les autres prestations sous la forme d'une séparation comptable, les frais qui en résulteraient seraient considérables pour les entreprises concernées et restreindraient leur flexibilité. Le mode de séparation le plus propre, consistant à attribuer les secteurs des prestations de base à des entreprises propres, réduirait à néant les effets d'échelle bénéfiques, instaurerait des structures inefficaces et affecterait la compétitivité des entreprises.

23 24 25 26

FF 2009 4649, 4692 RS 783.01 RS 742.101 RS 745.1

3681

4.1.5

Opportunité d'un contre-projet; coordination avec d'autres dispositions constitutionnelles

Le 13 décembre 2013, le Conseil fédéral a décidé de rejeter l'initiative «En faveur du service public» sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect. Compte tenu de la qualité élevée du service public et de la bonne desserte de la Suisse, il ne voit aucune raison de modifier la Constitution ou la loi, que ce soit au moyen de la présente initiative, d'un contre-projet direct ou d'un contre-projet indirect à l'échelon de la loi.

Il a aussi pris en considération le fait que, sur la base de la motion CTT-E 05.3232 («Disposition constitutionnelle relative à la desserte de base»), il avait adopté le 8 mai 2013 un message concernant une disposition constitutionnelle de caractère général sur le service universel27. Il y présentait trois options (A, B, C) en vue d'une modification de la Constitution. Dans le message, il continue cependant d'estimer qu'il serait préférable de renoncer à une telle disposition et propose donc de n'adopter aucune des trois options. Si l'Assemblée fédérale décidait néanmoins de créer une telle norme, c'est l'option A qui aurait la préférence du Conseil fédéral («La Confédération et les cantons s'engagent à promouvoir un service universel suffisant accessible à tous»).

La présente initiative populaire et la motion 05.3232 traitent certes les deux de la notion du service universel; leur approche est cependant différente. Alors que la motion vise une disposition constitutionnelle abstraite, plus exactement un consensus de base sur le service universel de manière générale, l'initiative «En faveur du service public» s'intéresse à des aspects concrets de nature financière tels que les bénéfices, les subventionnements croisés, les intérêts fiscaux et les salaires. L'initiative entend donc restreindre directement la liberté de gestion des entreprises concernées. De plus, elle prend en compte uniquement le domaine de la Confédération sans s'intéresser aux efforts des cantons en faveur du service universel. Enfin, les entreprises privées ne tombent sous le coup de cette disposition que si elles obtiennent de la Confédération un mandat de service universel.

C'est pourquoi le Conseil fédéral a conclu que le projet d'arrêté fédéral portant sur une disposition constitutionnelle de caractère général sur le service universel (options A­C) ne saurait représenter une alternative à la présente initiative, d'autant plus que lui-même propose de renoncer à édicter une telle disposition.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative

4.2.1

Conséquences financières

La Poste, les CFF et Swisscom s'acquitteront vraisemblablement de quelque 390 millions de francs au titre de l'impôt sur les bénéfices réalisés durant l'exercice 2013 (chiffres des CFF basés sur l'exercice 2012), dont 110 millions iront à la Confédération et 280 millions aux cantons et communes. En 2013, la Poste et Swisscom ont versé à la Confédération 830 millions de francs sur les bénéfices réalisés durant l'exercice 2012. Les autres actionnaires de Swisscom ont reçu 500 millions de francs au titre de leur participation au bénéfice. Les CFF sont dans 27

FF 2013 2991

3682

une grande mesure exonérés d'impôt et ne versent pas de bénéfices. Ainsi, les recettes dégagées en 2013 par l'imposition et la distribution des bénéfices se montent au total à 1220 millions de francs, dont 940 millions pour la Confédération et 280 millions pour les cantons et les communes. Les données fournies par la Poste et Swisscom ne permettent pas actuellement de savoir comment les bénéfices soumis à l'impôt et les bénéfices versés se répartissent exactement entre le secteur du service universel et celui des biens et services proposés sur le marché libre.

Les recettes mentionnées précédemment risqueraient donc d'être plus ou moins fortement réduites en fonction de l'application de l'initiative au niveau de la loi. Il n'est dès lors pas exclu que la Confédération, voire les cantons et les communes, doivent procéder à des compensations au niveau des dépenses, ce qui risquerait d'entraîner aussi une réduction des prestations dans le service public. Une autre solution consisterait à compenser le manque à gagner par des augmentations d'impôts.

Pour la Confédération dans son rôle d'actionnaire, les bénéfices distribués par la Poste et Swisscom représentent la contre-valeur du capital investi et financé notamment par l'argent du contribuable. Outre la Confédération, actionnaire principal, plus de 68 000 autres actionnaires de Swisscom (petits actionnaires, investisseurs institutionnels tels que les caisses de pension, etc.) ont aussi intérêt à ce que la valeur de l'entreprise reste stable et que le capital investi dégage un rendement convenable.

Suivant la manière dont l'initiative serait appliquée, la valeur de l'entreprise et le montant des dividendes risqueraient de diminuer.

Comme mentionné précédemment, le risque existe dans le secteur des télécommunications qu'en raison des restrictions imposées par l'initiative concernant notamment le but lucratif, aucune entreprise ne se porte candidate à l'obtention de la concession de service universel; il faudrait alors désigner une entreprise chargée d'assumer cette tâche. Il se pourrait alors que cette entreprise exige de la Confédération une indemnisation financière afin de financer les coûts non couverts du service universel.

4.2.2

Conséquences sur l'état du personnel

Une mise en oeuvre de l'initiative n'aurait pas de conséquences sur le personnel au niveau fédéral. En revanche, des retombées négatives ne sont pas exclues pour le personnel des entreprises fédérales. Celles-ci devraient adapter leurs structures salariales à celle de l'administration fédérale et elles subiraient des restrictions dans le recrutement de collaborateurs qualifiés et spécialisés, ce qui les pénaliserait par rapport à leurs concurrents directs. Une acceptation de l'initiative affaiblirait la productivité et la force d'innovation des entreprises concernées. Afin d'y remédier, elles devraient se réorganiser et procéder à des restructurations, qui, selon les circonstances, pourraient se traduire par des mesures affectant le personnel sous la forme de réduction d'effectifs ou de péjoration des conditions de travail.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

L'initiative vise à défendre un service public de qualité à un prix abordable en Suisse. Le Conseil fédéral peut comprendre les intentions de l'initiative. Il est cependant d'avis que la Suisse dispose déjà d'un service public de qualité. Par 3683

ailleurs, il estime que l'initiative prévoit un instrumentaire inapproprié pour atteindre ses objectifs, d'autant qu'elle est formulée de façon confuse sur plusieurs points. Le Conseil fédéral est d'avis que l'initiative affaiblirait le service public en Suisse au lieu de le renforcer.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

L'initiative ne contient aucune disposition qui pourrait porter atteinte aux engagements internationaux de la Suisse.

5

Conclusions

Le Conseil fédéral estime que la Suisse dispose d'un service public sûr, performant et couvrant l'ensemble du pays. D'excellente qualité, les prestations sont fournies de manière fiable et avec une efficacité croissante. La desserte de toutes les régions du pays est garantie.

L'initiative entend défendre un service public de qualité et à un prix abordable.

Comme expliqué précédemment, sa formulation est confuse sur plusieurs points et elle ne saurait répondre aux exigences d'un service public de meilleure qualité proposé à des prix plus avantageux. Au contraire, l'initiative doit être qualifiée de contradictoire et contre-productive.

Les revendications de l'initiative remettent en question les réformes engagées à la fin des années 90, qui ont permis d'instaurer les bases d'un service public de qualité dans l'ensemble du pays. Ces réformes ont fait leurs preuves, les entreprises fédérales sont bien positionnées, fournissent des prestations de qualité et sont des employeurs importants et attrayants. Les conditions-cadres existantes permettent aux entreprises de se profiler sur le marché et de soutenir le rythme de la dynamique commerciale et technologique prévalant dans leur secteur. L'initiative entraverait clairement la liberté d'entreprise accordée aux entreprises concernées à la faveur de leur dissociation dans le cadre des réformes des PTT et des chemins de fer. Les exigences de l'initiative contribueraient également à affecter l'efficacité, la compétitivité ainsi que la force d'innovation et les investissements réalisés par les entreprises fédérales. Certes, l'initiative entend défendre les clients; dans la réalité, elle ne leur procurerait guère de baisses de prix et risquerait même d'entraîner une hausse des impôts. La restriction de la liberté des entreprises fédérales en matière de politique salariale risquerait d'avoir un impact négatif sur les conditions d'engagement des collaborateurs et d'affaiblir le partenariat social.

Les améliorations des règlementations souples et empreintes de pragmatisme politique qui s'avéreraient nécessaires dans certains domaines du service public peuvent être réalisées dans le cadre des lois et ordonnances existantes. Une norme constitutionnelle de portée générale ne procurerait aucune plus-value dans ce domaine.

Compte tenu de ces considérations, le Conseil fédéral demande aux Chambres fédérales de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative populaire «En faveur du service public».

3684