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XLIIme année. Fol, III.

Samedi 14 juin 1890

te 25.

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Message du

conseil fédéral à l'assemblée fédérale concernant le projet de loi fédérale sur l'extradition aux états étrangers.

(Du 30 mai 1890.)

Monsieur le président et messieurs, Chaque année, les autorités fédérales sont appelées à accorder aux états limitrophes et à divers autres états un nombre assez considérable d'extraditions, comme aussi, chaque année, elles sont appelées à en requérir des états étrangers un nombre, moins considérable, mais élevé aussi *). Malgré la place importante que ce service occupe dans nos relations internationales, noua ne possédons aucune loi fédérale qui fixe les cas dans lesquels une extradition pourra être accordée à un état étranger ou à lui demandée, ainsi que les conditions auxquelles elle sera subordonnée, les formalités à suivre, etc. Aussi règne-t-il dans ce domaine un manque regrettable d'unité ; les traités d'extradition conclus à diverses époques avec les états étrangers présentent entre eux des différences marquées sur les points les plus essentiels; le mode de procéder à l'égard des états avec qui il n'existe aucun traité, ainsi qu'à l'égard d'un état *) La moyenne annuelle des extraditions demandées à la Suisse s'élève, pour la décade 1880/1889, à 170 ; celle des extraditions demandées par la Suisse à l'étranger à 97. Voir, pour de plus amples détails, les tableaux I et TI annexés a ce message, pages 231 et 232.

Feuille fédérale suisse. Année XLII.

Vol. III.

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dont le traité conclu avec la Suisse n'a pas prévu tel cas particulier, n'est consacré, à défaut de règles positivée, que par la pratique administrative qui a varié et dont les principes sont d'ailleurs fort controversés.

Enfin, la délimitation des compétences entre les deux autorité» fédérales appelées à statuer en matière d'extradition, à savoir le conseil fédéral et le tribunal fédéral, repose sur une simple entente intervenue entre ces deux autorités, entente dont la portée a également donné lieu à des controverses.

L'opinion que ces différentes questions devraient être réglée» par la voie législative s'est manifestée depuis longtemps. Chose curieuse à constater, nous en retrouvons les traces déjà dans les premières années de notre régime fédératif. Le 2 décembre 1850, l'assemblée fédérale invitait le conseil fédéral, sous forme de postulat, à présenter un projet de loi concernant l'extradition de malfaiteurs de la Suisse à l'étranger et réciproquement.

Voici comment la commission du conseil national, dans son rapport sur la gestion du conseil fédéral en 1849, motivait cette proposition : (La commission) « part de l'opinion que l'assemblée fédérale, en ce qui concerne l'extradition des malfaiteurs par la Suisse à l'étranger et par l'étranger à la Suisse, devrait édicter les lois organiques qui apparaissent comme étant d'une absolue nécessité, attendu que la constitution fédérale ne mentionne nulle part expressément les extraditions de cette espèce et que les dispositions constitutionnelles qui pourraient, à la rigueur, leur être appliquées, sont conçues dans des termes fort généraux. La commission estime que des dispositions sur la matière seraient le mieux à leur place dans une loi fédérale. » (F. féd. 1850, III. 273.)

Le conseil fédéral ne donna aucune suite à ce postulat, estimant, sans doute, que les traités d'extradition, dont le nombre allait s'augmentant, rendaient une loi superflue. L'assemblée fédérale, de son côté, ne revint plus à la charge. Au bout de quarante ans, la loi dont, en 1850, on proclamait l'absolue nécessité, et dont le traité de droit public de MM. Blumer et Morel (tome III, p. 546 et 551) a fait ressortir l'utilité à différents points de vue, n'a pas encore vu le jour. C'est que l'élaboration d'une loi sur une matière aussi complexe et délicate rencontrait de
nombreuses difficultés.

Mais ces difficultés ont été, en grande partie, aplanies à mesure que la conclusion de plus en plus fréquente de traités d'extradition entre les états civilisés, proclamait et sanctionnait des principes uniformes et créait une sorte de coutume conventionnelle assez générale, pouvant servir de base a la discussion scientifique, comme au travail du législateur.

19S A l'assemblée dés juristes suisses, à Bellinzone, le 26 septembre 1887, au cours d'une discussion sur l'extradition intercantonale, plusieurs orateurs exprimèrent le voeu de voir une loi fédérale régler aussi l'extradition entre la Suisse et l'étranger. Le comité de la société mit cette question au concours. M. Jacques Berney en fit l'objet d'an mémoire qui fut couronné par la société *).

L'auteur de cet ouvrage méritoire se prononce pour différents motifs en faveur de l'élaboration d'une loi sur la matière.

Peut-être aurions-nous cependant encore longtemps tardé à vous présenter un projet de loi sur l'extradition et à suivre ainsi l'exemple de la Belgique, de la Hollande, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, du Luxembourg, de l'état indépendant du Congo, de la République argentine, de la France et de l'Italie (les lois de ces deux derniers pays sont encore à l'état de projets) si des circonstances particulières n'étaient venues nous y engager d'une façon péremptoire.

Voici les considérations principales qui ont déterminé notre résolution : 1. Malgré les eiforts faits par la Suisse pour lier avec tous les états civilisés des traités d'extradition, nous ne possédons encore que 16 traités de ce genre, dont l'un, celui avec l'Equateur, se borne à la simple clause de réciprocité.

Nous trouvons, en outre, 2 traités d'établissement où l'extradition est mentionnée, à savoir celui avec l'état indépendant du Congo et celui avec la République sud-africaine **).

Cependant, nous sommes fréquemment appelés à requérir d'autres états, notamment de pays d'outre-mer, l'extradition des délinquants qui y ont cherché refuge. Il arrive aussi, mais plus rarement, qu'une extradition nous soit demandée par tel de ces états qui n'a aucun traité avec nous. Que devons-nous faire dans ces caslà? La pratique constante, une pratique que l'assemblée fédérale a tacitement approuvée, répond que le conseil fédéral peut accorder l'extradition sous la seule promesse de réciprocité, comme aussi fournir cette promesse lorsqu'il est requérant. On trouve la base de cette compétence du conseil fédéral dans l'article 102, chiffre 8, de la constitution fédérale, qui porte : *) De la procédure suivie en Suisse pour l'extradition des malfaiteurs aux pays étrangers. Exposé critique en vue de l'élaboration d'une loi fédérale, par Jacques Berney. Baie, Detloff, 1889.

*·) Voir aux annexes la liste complète des traités d'extradition en vigueur entre la Suisse et d'autres états, page 233.

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« II (le conseil fédéral) veille aux intérêts de la Coufédé« ration au-dehors, notamment à l'observation de ses rapports « internationaux, et il est, en général, chargé des relations ex« térieures. » Cependant, si l'on voulait examiner les choses à un point de vue rigoureux, il faudrait bien reconnaître que cette promesse est une sorte de traité, en tous cas un engagement international, lié sans la sanction de l'assemblée fédérale.

Les exigences de la justice nous ont fait passer par dessus cette irrégularité, sans nous ôter le désir de la faire cesser en édictant une loi qui donnerait au conseil fédéral, soit au tribunal fédéral, les compétences nécessaires.

Un cas analogue et plus délicat encore est celui où un état auquel nous lie un traité d'extradition, nous accorde ou nous demande, moyennant déclaration de réciprocité, une extradition dans un cas que le traité n'a pas prévu.

La Suisse a été appelée à fournir ou à recevoir de telles déclarations, notamment dans les rapports avec l'Allemagne, la France et l'Italie.

Ici encore, il y a une pratique ancienne que, jusqu'en 1885, l'assemblée fédérale avait couverte aussi de son approbation tacite en acceptant sans objection les rapports de gestion du conseil fédéral qui mentionnaient des cas de ce genre *). Mais en 1885, des objections surgirent au sein du conseil national.

Sans attaquer positivement la compétence que s'attribue le conseil fédéral pour souscrire des promesses de réciprocité en faveur des états sans traité, on lui contestait au moins le droit d'échanger de pareilles déclarations avec des états auxquels nous lie un traité, pour des délits non prévus dans la convention ; car -- disait-on -- un traité d'extradition devant être envisagé comme limitatif, il in*)(F. féd. 1863, II. 105; Ullmer, II, n°1377.) L'ambassade de France ayant demandé l'extradition d'un Français nommé Cuissart, condamné pour attentat a la pudeur, le gouvernement du Valais refusa de faire droit a cette demande, parce qu'il ne s'agissait pas d'un crime prévu par le traité. Par note du 1er septembre 1862, l'ambassade exposa ce qui suit à l'appui de sa demande : II semblait avoir été reconnu depuis longtemps que l'article 5 de la convention conclue le 18 juillet 18'28 entre la France et la Suisse n'était pas limitatif. En efi'et, il a été souvent étendu a d'autres
faits que ceux qui y sont spécifiés, lorsque ces faits étaient d'ailleurs punissables dans les deux pays de peines afflictives et infamantes. C'est ainsi qu'un décret du 24 juin 1858 a autorisé, sur la demande du gouvernement fédéral, l'extradition du nommé Fahrni, poursuivi dans sa patrie pour crime de te.itative de viol, ou pour viol avec commencement d'exécution, sur une jeune fille âgée de moins de 15 ans, et pour de nombreux

197 terdit implicitement l'extradition pour tout délit ne rentrant pas dans les prévisions du traité en question. A quoi le conseil fédéral répondait que si on lui reconnaissait le pouvoir de s'engager à son gré vis-à-vis des états sans traité, il pouvait bien aussi faire des promesses semblables aux états généralement plus rapprochés et plus importants avec lesquels la Suisse a passé une convention. Il fallait, selon lui, contester les deux compétences ou les reconnaître toutes deux.

L'assemblée fédérale n'a pas pensé qu'elle fût suffisamment éclairée pour trancher la difficulté; elle s'est bornée à adopter le postulat suivant, le 26 juin 1885 : « Le conseil fédéral est invité à présenter un rapport sur la question de savoir si les extraditions par voie purement administrative, c'est-à-dire les extraditions basées sur le principe de la réciprocité, malgré l'existence de traités internationaux, sont admissibles au point de vue constitutionnel, et, dans le cas où ce point de vue serait admis, s'il n'y aurait pas lieu d'entourer les extraditions basées sur le principe de la réciprocité des mômes garanties que celles accordées en vertu des traités. » Le projet de loi que nous avons l'honneur de vous présenter a principalement pour but de répondre au postulat ci-dessus on établissant un mode de procéder qui ne soit pas critiquable au point de vue constitutionnel.

2. Un second but à remplir par une loi sur l'extradition, c'est de délimiter exactement les compétences respectives sdu tribunal fédéral et du conseil fédéral. Avant 1874, le pouvoir exécutif de la Confédération était seul compétent pour statuer en matière d'extradition ; mais, depuis la nouvelle constitution, il partage ces fonctions avec le pouvoir judiciaire, sans que la limite entre les attributions attentats à la pudeur sur des petites filles confiées a ses soins. C'est ainsi encore qu'en 1842 le gouvernement de Berne a livré au gouvernement français le nommé Burgerey, poursuivi en France pour attentat à la pudeur avec violence. L'ambassade rappelle ces précédents, dans le désir d'éviter l'établissement d'un autre précédent, qui serait fort regrettable.

Le conseil fédéral fit savoir à cette occasion au gouvernement du Valais qu'il serait disposé à accepter l'offre du gouvernement français, d'admettre, vis-à-vis de la France, et sous
réserve de réciprocité, l'extradition pour les crimes de viol et d'attentat à la pudeur, crimes qui sont d'ailleurs prévus dans les traités d'extradition avec Bade, l'Autriche, la Sardaigne, la Belgique, la Bavière, les Pays-Bas et les Etats-Unis du nord de l'Amérique. Le gouvernement du Valais se déclara, en effet, disposé à> donner cette extension aux clauses du traité existant avec la France.

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des deux pouvoirs ait jamais ..été tracée par la législation d'une manière exacte et logique. La loi sur l'organisation judiciaire fédérale se borne, en effet, à dire à son article 58: « Le tribunal fédéral statue sur les demandes d'extradition qui sont formulées en vertu des traités d'extradition existants pour autant que l'application du traité en question est contestée. Les mesures préliminaires restent dans la compétence du conseil fédéral. » Or, ensuite d'entente avec le conseil fédéral (P. féd. 1875, I.

121), le tribunal fédéral se prononce dans ces cas-là, c'est-à-dire lorsqu'il y a doute sur l'application du traité, non seulement sur l'applicabilité ou la non-applicabilité du traité en cause, mais sur la question de savoir si une extradition doit être accordée ou refusée.

C'est le cas, par exemple, lorsque l'inculpé allègue le caractère politique du délit ou la prescription, lorsqu'il conteste la repressibilité de l'acte incriminé ou qu'il se dit citoyen suisse. S'agit-il au contraire du cas très fréquent où l'inculpé, sans contester en principe l'applicabilité du traité, fait valoir un autre moyen pour s'opposer à l'extradition en alléguant, par exemple, son innocence, c'est le conseil fédéral qui prononce. Cela est parfaitement logique. Mais quand la demande d'extradition est basée sur une simple déclaration de réciprocité, le conseil fédéral est seul juge de la question et l'individu dont l'extradition est demandée n'a pas la ressource de faire valoir ses motifs d'opposition devant le tribunal fédéral, celui-ci s'estimant imcompétent pour connaître des cas fondés sur une déclaration de réciprocité échangée, soit à défaut de traité, soit comme complément d'un traité existant. Tel fut du moins le point de vue auquel se plaça, encore en 1884, le tribunal fédéral dans la cause d'un sieur Rigaud (Recueil des arrêts X, p. 345), qui s'opposait à son extradition à la France, en alléguant que le délit d'homicide involontaire, pour lequel son extradition était demandée, ne rentre pas dans un des cas prévus par le traité franco-suisse du 9 juillet 1869. Le tribunal fédéral se borna à déclarer que la demande d'extradition n'était point formulée en vertu du traité et que dès lors elle échappait à sa juridiction. Il ne décida pas que l'extradition serait refusée, en sorte que le conseil fédéral a
pu accorder celle-ci, en vertu d'une déclaration de réciprocité, sans se mettre en conflit avec le tribunal fédéral. Mais, d'après ce qu'on croit savoir, ce dernier n'a pas sans hésitation ni à l'unanimité suivi cette marche et l'on ne peut prévoir ce qui serait décidé si un cas semblable venait à se représenter.

Il existe donc là une source de conflits qu'il est urgent de faire disparaître. Le projet que nous vous soumettons y pourvoit

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d'une manière rationnelle en assimilant aux traités les promesses de réciprocité, données dans les limites de la loi, et en donnant ainsi en tout état de cause aux personnes à extrader la garantie d'une juridiction impartiale.

3. Le récent traité d'extradition de la Suisse avec l'AutricheHongrie, signé le 17 novembre 1888, mais qui n'a pas encore été approuvé par l'assemblée fédérale, porte à son article III la clause que « les crimes et délits politiques ne donnent pas lieu à l'extra· dition » ; puis il ajoute : « L'extradition ne sera toutefois pas refusée en vertu de « cette disposition lorsque le fait qui en a motivé la demande « constitue un délit commun à teneur des lois de l'état requis.

< L'état requis est compétent pour connaître et décider de « cette question et pour exiger de l'état requérant la production « de tous les renseignements et justifications nécessaires sur l'état « de fait. » Cet article a soulevé de vives objections dans la commission du conseil national qui en était nantie par priorité. Quelques membres de cette commission ont fait remarquer que la distinction entre le délit politique et le délit commun ne se lisait dans aucune loi fédérale, qu'on ne la trouvait pas non plus clairement exprimée dans les codes cantonaux et qu'avant de pouvoir donner leur approbation au traité, ils désiraient que cette distinction fût législativement établie. Donnant un corps à ce désir et à d'autres objections, la commission a demandé au conseil fédéral, par lettre du 8 juin 1889, s'il ne lui paraissait pas indiqué qu'avant d'approuver le traité austro-suisse on examinât s'il n'y avait pas lieu d'édicter chez nous des règles qui devraient être observées en matière d'extradition, aussi bien pour l'élaboration des traités sur la matière que vis-à-vis des états avec lesquels nous n'avons pas de traité.

Le conseil fédéral a répondu le 11 juin qu'il ferait étudier la question. Sur quoi la discussion du traité austro-suisse a été ajournée à la prochaine session.

C'était là, on le voit, une raison de plus militant en faveur de la codification, à bref délai, des principes régissant l'extradition.

Dans le projet que nous vous soumettons, nous nous sommes efforcés de donner à la question si controversée de l'extradition pour délits politiques une solution répondant à la fois aux sentiments
légitimes du peuple suisse et aux devoirs que nous impose la solidarité entre nations civilisées.

4. A part ces différentes questions de principe où l'on se trouve en présence de demandes de l'assemblée fédérale, dont l'une au moins

exige une prompte réponse, il y a lieu de faire remarquer que nos traités actuels d'extradition, dont la plupart ont été rédigés à des époques éloignées les unes des autres, par des négociateurs différents, sans un plan d'ensemble, offrent des divergences non justifiées, notamment sur l'énumération des délits donnant lieu à l'extradition.

Vers 1882, notre département de justice et police a élaboré un projet type qui dès lors a été plusieurs fois proposé avec succès comme base des négociations. Mais ce projet type ne satisfait plus aujourd'hui, l'expérience en ayant fait ressortir les lacunes et les imperfections. La revision de ce travail s'imposant de toute façon, il y aurait utilité à lui donner forme de loi afin de mieux armer les futurs négociateurs de traités pour qui, naturellement, une loi formelle constituerait dans les tractations avec l'étranger un point d'appui tout autrement solide qu'un simple projet dépourvu de sanction.

5. Enfin, l'élaboration d'une loi sur l'extradition aurait, en outre, le mérite de faire cesser un état de choses évidemment irrégulier et critiquable au point de vue des droits constitutionnels du peuple suisse et de ceux de l'assemblée fédérale. Cette dernière, en effet, a pu jusqu'à ce jour conclure librement des traités d'extradition et engager à sa suite le peuple suisse, sans que celui-ci ait eu le moindre mot à dire quant à l'esprit dans lequel ces traités devraient être conçus. Et, d'autre part, le conseil fédéral a pu, sans la moindre entrave, échanger des déclarations de réciprocité, équivalant de fait à des traités, sans s'être mis d'accord, ni préalablement, ni après coup, avec le pouvoir législatif.

En édictant une loi sur la matière, nous renonçons à ces errements, attribuant à chacun son rôle constitutionnel : les chambres sont mises en mesure de tracer exactement les limites dans lesquelles le conseil fédéral pourra désormais faire des promesses de réciprocité -r et le peuple suisse, de son côté, aura enfin l'occasion d'énoncer, expressément ou tacitement, son opinion souveraine sur des questions de principe qui, malgré leur haute importance, avaient été jusqu'à ce jour livrées à l'appréciation exclusive de ses représentants, voire même, dans certains cas, de l'autorité executive agissant tout à son gré, au mieux de ses vues, sans avoir jamais été
investie d'un pouvoir spécial, strictement défini.

Telles sont, monsieur le président et messieurs, les diiférentes considérations qui nous ont engagés à faire élaborer le projet que vous avez sous les yeux. Pour la préparation de ce travail particulièrement délicat, nous avons fait appel aux lumières de notre eminent concitoyen, M. le professeur Alphonse Eivier, consul général

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de Suisse à Bruxelles, dont le choix était tout indiqué par sa profonde érudition, par son expérience pratique dans cette matière et par ses nombreux écrits dans le domaine du droit international. M. Bivier s'est acquitté de sa tâche avec sa bonne grâce habituelle et avec la compétence que nous lui connaissons. Son avant-projet du 12 octobre 1889, accompagné d'un exposé des motifs remarquable dans lequel le présent message a largement puisé, a pu utilement servir de base aux délibérations d'une commission d'experts convoquée par les soins de notre département de justice et police.

Voici les membres dont était composée cette commission : MM. Eivier, professeur, consul général de Suisse, à Bruxelles ; Bezzola, conseiller national, à Coire ; Favey, professeur et avocat, à Lausanne ; Herzog-Weber, conseiller aux états, à Münster (Lucerne) ; Jeanhenry, conseiller national, à Neuehâtel ; Morel, juge fédéral, à Lausanne ; d'Orelli, professeur, à Zurich ; Scherb, procureur général de la Confédération, à Berne ; Stooss, professeur et juge d'appel, à Berne ; Zürcher, professeur, à Zurich.

La commission a siégé à Berne, du 14 au 23 avril 1890, sous la présidence de M. fìuchonnet, chef du département de justice et police. Après s'être prononcée d'emblée à l'unanimité pour l'élaboration d'une loi sur l'extradition, elle est entrée en matière sur l'avantprojet de M. Kivier, dont elle a discuté, article par article, toutes les dispositions, en examinant en même temps un certain nombre d'amendements que M. le juge fédéral Morel avait eu l'obligeance de présenter à l'avance.

Le conseil fédéral n'a pas hésité à partager la manière de voir unanime de ses experts. Le projet de loi qu'il a l'honneur de vous soumettre est, à quelques modifications près, conforme à celui qui est résulté des débats de la commission consultative.

Les explications qui vont suivre vous fourniront, nous aimons à le croire, tous les renseignements et toutes les justifications nécessaires pour apprécier l'économie du. projet dans son ensemble et la raison-d'être et la portée de ses différentes dispositions.

Quelques observations pour terminer cet exposé général.

La loi que nous vous présentons ne règle que l'extradition entre la Suisse et les autres états ; elle ne s'occupe pas de l'extradition de canton à canton laquelle, comme vous le savez, fait l'objet d'une loi particulière, du 24 juillet 1852, dont la re vision a été demandée par la société des juristes, lors de sa réunion annuelle

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à Bellinzone, en 1887. Cette revision fera l'objet d'un travail distinct que nous entreprendrons dès que la question plus urgente de l'extradition internationale aura trouvé sa solution.

Cette solution, telle que nous vous la proposons, ne doit nullement consister en un remaniement de fond en comble des principes admis jusqu'ici en matière d'extradition. Nous nous sommes au contraire efforcés, ainsi que trous vous en convaincrez aisément, à innover le moins possible, nous bornant à consacrer législativement les expériences acquises par quarante années de pratique. Nous n'ignorons pas que cette pratique, qui est à peu près celle de tous les états civilisés, est aujourd'hui vivement critiquée par des savants de mérite. Une nouvelle école à qui peut-être appartient l'avenir, voudrait faire de l'extradition une simple question d'assistauce judiciaire internationale, de juridiction cosmopolite, à traiter de tribunal à tribunal et dans laquelle les gouvernements n'auraient pas à s'immiscer. Nous n'avons pas cru devoir entrer dans les vues de cette nouvelle théorie ; en matière internationale, plus que dans tout autre domaine, il faut compter avec ce qui est et non avec ce qui sera ou ce qui devrait être. L'extradition, telle qu'elle se pratique encore aujourd'hui, avec la multiplicité et la variété des traités en vigueur, est un service beaucoup- trop compliqué pour pouvoir se passer de l'intervention constante du pouvoir central, réunissant tous les fils entre ses mains, remettant toutes choses au point, redressant les erreurs et les vices de forme, faisant compléter les lacunes et liquidant tous les incidents imprévus, avec la célérité et la sûreté de main qu'il est seul à même d'acquérir grâce au grand nombre de cas dont il est appelé à s'occuper. Nous avons donc maintenu à l'extradition son caractère d'acte de souveraineté, partant d'affaire diplomatique, d'affaire d'état. Mais cela ne nous a pas empêché de reconnaître qu'il existe dans cette matière un ensemble de questions d'ordre essentiellement juridique dont il convient d'attribuer l'appréciation aux autorités judiciaires : dans l'intérêt des personnes en cause, dont les droits individuels seront mieux garantis de la sorte, et dans l'intérêt de notre indépendance nationale, mieux à l'abri des exigences et des pressions du dehors si certaines
questions particulièrement délicates sont placées sous la compétence du tribunal fédéral. Aussi bien avons-nous cru devoir faire au tribunal fédéral la part plus large qu'elle ne l'était jusqu'à présent, tout en conservant néanmoins à sa juridiction dans cette matière le caractère qu'elle revêt actuellement, savoir celui d'une cour de droit public.

Une autre concession importante que nous faisons à la nouvelle école et qui consacre un progrès nécessaire dans une époque aux communications rapides, c'est la place que nous attribuons à l'arrestation provisoire sur réquisition directe de tribunal à tribunal.

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Ce mode de procéder, simplement toléré à l'origine, a été admis dans tous les traités de date récente; grâce à lui, les poursuites précédant l'extradition peuvent acquérir la promptitude qu'une correspondance purement diplomatique ne saurait leur donner.

Eemarquons enfin, pour éviter tout malentendu, que la présente loi ne doit en aucune façon rendre superflus les traités et les déclarations de réciprocité. Elle tend au contraire à les favoriser, à les faciliter, en leur servant de programme et en leur fournissant un cadre solide que les traités rempliront par des dispositions plus détaillées, d'après les relations qui existent entre la Suisse et les états co-contractants, la situation, l'état juridique et législatif de ces états. L'assemblée fédérale veillera à ce que les traités soient conformes au programme et le conseil fédéral, de son côté, n'échangera à l'avenir aucune déclaration dont le contenu ne soit couvert par les dispositions de la loi.

Exposé des motifs.

Le projet a pour titre : Loi fédérale sur l'extradition aux états étrangers.

Au point de vue strictement grammatical, les mots « aux états étrangers » sont superflus, car le mot même d'extradition indique qu'il s'agit d'une remise à un gouvernement étranger : telle est la définition de l'Académie française. Dans l'intérieur d'un état fédératif, l'expression n'est pas appropriée. Mais comme, à tort ou à raison, nous possédons déjà une loi fédérale, réglant la remise des malfaiteurs et des prévenus de canton à canton et intitulée simplement « loi fédérale sur l'extradition de malfaiteurs ou d'accusés », il est nécessaire d'ajouter ici les mots « aux états étrangers » pour distinguer cette loi-ci de l'autre.

Art. 1**. Le premier alinéa pose un principe qui, sans avoir été formellement reconnu jusqu'ici en théorie, a gagné d'année en année du terrain dans la pratique et est devenu, en réalité, tellement prépondérant que la théorie contraire serait en contradiction directe avec l'état de fait : c'est que le domaine tout entier de l'extradition est, de par son caractère international, une affaire fédérale et rentre dans les attributions des pouvoirs fédéraux, sans qu'il y ait lieu de distinguer à ce sujet entre le cas où l'extradition a lieu en vertu d'un traité et les cas où il n'y a pas de traité.

Cette distinction, établie à l'origine ') et qui jusqu'en 1875 appa') Premier rapport de gestion, p. 117 et 118. F. féd. 1850, III.

204 laissait sporadiquement dans les déclarations du conseil fédéral *), n'a plus sa raison d'être, du moment que le conseil fédéral a pu, à son gré, étendre le cercle de sa compétence par des déclarations de réciprocité. La distinction est d'ailleurs illogique : l'extradition est une obligation émanant du droit des gens ; à ce titre, tout cas d'extradition, qu'il relève ou ne relève pas d'un traité, rentre dans le domaine des relations extérieures, partant dans le domaine fédéral. La question de savoir si et moyennant quelles garanties il convient d'agréer une demande d'extradition faite en dehors des traités n'intéresse pas uniquement le canton de refuge, mais la Confédération tout entière ; elle ne saurait être abandonnée à l'appréciation d'un gouvernement cantonal.

Aux termes de cet alinéa, c'est le conseil fédéral qui ordonne l'extradition. Nous verrons à l'article 24 qu'en cas d'opposition, c'est le trïïnmal fédéral qui décide s'il y a lieu ou non d'extrader.

Mais même dans ce cas, le rôle du tribunal fédéral, bien que prépondérant et décisif au fond, dans la forme, passe au second plan ; c'est une affaire de ménage intérieur. Vis-à-vis de l'étranger, le conseil fédéral seul apparaît comme parlant et agissant, lui seul est compétent pour recevoir la demande d'extradition et pour y donner suite ; il est donc exact de dire qu'en tout état de cause c'est lui qui livre. A l'intérieur, il est vrai, sa compétence est formellement limitée par « les conditions résultant des dispositions de la présente loi » ; elle est, notamment, sur les points essentiels, subordonnée aux décisions du tribunal fédéral.

Dans la règle, le conseil fédéral n'usera de sa compétence que sous la réserve de réciprocité. Cette condition toutefois n'est pas absolument obligatoire. La Suisse aura généralement tout intérêt à la stipuler ; mais il peut arriver que, pour des raisons d'ordre intérieur, tel ou tel état se trouve dans l'impossibilité matérielle de promettre d'une manière formelle la réciprocité. Convient-il en pareil cas de se lier les mains et de s'interdire à soi-même l'extradition, quelque intérêt qu'on y ait ? Nous ne le pensons pas.

Comme l'a dit très justement M. Rivier, l'extradition n'est pas seulement prononcée et accordée dans l'intérêt du requérant, c'est aussi dans son propre intérêt que l'état livre
les prévenus, accusés ou coupables, qui sont réclamés par l'état compétent pour les juger ou punir, car l'état de refuge n'a rien à gagner, aujourd'hui, à devenir ce que la commission italienne a pittoresquement nommé une « cloaca maxima » de personnes suspectes ou criminelles. Il ne faut donc pas que le conseil fédéral soit lié par la loi, de manière à devoir refuser l'extradition à un état qui ne voudrait ou ne pour') F. féd. 1870, IL 1116, n° III; 1875, 1. 123.

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rait pas promettre la réciprocité ; il faut qu'il soit libre et apprécie, suivant les cas, si, sans réciprocité, l'extradition est utile ou opportune. Telle est actuellement l'opinion générale, et l'institut de droit international, siégeant à Oxford en 1880, l'a énoncée après mûres délibérations en ces termes : « La condition de réciprocité, en cette matière, peut être commandée par la politique; elle n'est pas exigée par la justice » (thèse 5 d'Oxford).

L'extradition n'a lieu que si l'individu réclamé est un étranger.

Le Suisse, en effet, ne sera jamais livré. Un article spécial, l'article 2, est consacré à ce principe, qui est trop important pour qu'on puisse se borner à l'énoncer en passant.

L'article dit : Tout étranger. Il ne distingue pas entre l'étranger ressortissant à l'état requérant et l'étranger ressortissant à un état tiers. Des traités pourront établir des différences ; un état pourra se faire promettre que la Suisse l'avertira si un de ses citoyens est réclamé ; le droit des conventions est libre en cette matière, et le conseil fédéral ne doit pas être lié par la loi, qui ne saurait d'ailleurs entrer dans ces détails. Aujourd'hui, du reste, on attache moins d'importance qu'autrefois à la demande d'extradition et à l'extradition opérées au sujet d'un ressortissant chez des tiers et de la part de tiers.

Les mots : « poursuivi, mis en prévention ou accusation ou ·condamné par les tribunaux compétents de l'état requérant » indiquent les phases différentes dans lesquelles peut se trouver la poursuite contre l'individu réclamé.

« Par les tribunaux compétents de l'état requérant. » Pour que l'extradition se justifie, il faut que l'état requérant soit compétent pour réprimer l'acte incriminé. Mais cette compétence n'a pas besoin, dans une loi, d'être précisée avec plus de détail. Ce serait môme dangereux, les différents pays n'ayant pas de règles uniformes à ce sujet : les uns, comme l'Angleterre et les Etats-Unis, pratiquent le système territorial ; d'autres ajoutent à la compétence territoriale une compétence personnelle fondée sur la nationalité du délinquant.

Le cas naturel et le plus fréquent de beaucoup sera celui où l'infraction a été commise sur le territoire de l'état requérant. En cas de contestation, c'est le tribunal fédéral qui examinera si la condition de compétence est
réalisée. S'il reconnaît que l'état requérant n'est pas compétent pour poursuivre l'individu réclamé, l'extradition sera refusée (article 24). La compétence se justifie naturellement d'après la loi de l'état requérant ; on exigera que cette loi ne soit pas en contradiction avec la loi suisse (thèse 8 d'Oxford).

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L'alinéa 2 donne au conseil fédéral le pouvoir de promettrela réciprocité, si l'état duquel il requiert, sans traité, une extradition lui pose cette condition.

Cette disposition, tout en consacrant et légitimant une pratique ancienne dont la nécessité impérieuse avait jusqu'ici plus ou moins excusé l'irrégularité, lui assigne un champ d'action déterminé en obligeant le conseil fédéral à se conformer à certains principes : les promesses de réciprocité ne pourront désormais être données que dans les limites de la loi ; leur contenu devra forcément concorder avec les principes sanctionnés à l'avance par les chambres fédérales et par le peuple suisse. Ainsi limitées, les promesses de réciprocité sont aussi légitimes qu'indispensables. Il existe, en effet, encore une vingtaine d'états avec lesquels la Suisse n'est point enencore parvenue à conclure des traités -d'extradition, Lorsque des délinquants se réfugient de Suisse dans un de ces pays, il faut pour le moins être en mesure d'offrir à celui-ci la réciprocité, si l'on veut obtenir de sa part l'extradition du fugitif.

L'échange de déclarations de réciprocité n'en demeurera pas moins un pis-aller auquel la conclusion d'un véritable traité -- telle qu'elle est prévue par l'alinéa 3 -- sera toujours préférable.

« L'extradition n'est pratiquée d'une manière sûre et régulière que s'il y a des traités, et il est à désirer que ceux-ci deviennent de plus en plus nombreux » (thèse 4 d'Oxford).

Nous entendons soumettre les traités au même régime que les déclarations de réciprocité : ils ne pourront, eus aussi, être conclus que dans les limites des dispositions de la présente loi. On a critiqué cette clause comme portant atteinte aux prérogatives de l'assemblée fédérale; on a fait valoir que, dans notre droit public, les traités, équivalent aux lois et qu'il peut toujours être dérogé par un traité aux lois existantes; que l'assemblée fédérale doit être absolument libre de sanctionner tout engagement international quelconque sans avoir à se préoccuper s'il est conforme à la législation nationale.

Ces objections, · nous le reconnaissons volontiers, ont une certaine valeur. Il est exact que nous avons vu des traités déroger à nos lois. Mais cet état de choses, s'il a pu être excusé par des considérations d'ordre supérieur, n'en est pas moins irrégulier, et.
si, dans un domaine, nous pouvons nous en passer, mieux vaut le faire. La loi est faite précisément pour donner le programme, le cadre des traités ; si ce cadre peut être librement outrepassé, la loi perd sa principale raison d'être. Et d'ailleurs, être lié, avoirune ligne de conduite tracée à l'avance, n'est-ce pas là justement le plus précieux avantage que nous retirerons d'une fixation autonome des règles présidant à l'extradition ? Si, malgré la loi, ces

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règles peuvent être remises en question à chaque nouvelle négociation de traité, à quoi bon alors faire une loi ? Il arrivera certes un moment où telle ou telle disposition de la loi nous paraîtra gônante, où nous jugerons désirable de la modifier en vue d'une entente avec tel ou tel pays ; ainsi, par exemple, si nous avions jamais l'intention de stipuler l'extradition des nationaux. Mais il suffira, dans ce cas, de reviser la loi. Ce mode de procéder sera suffisamment expéditif et, ce qui est l'essentiel, infiniment plus correct que l'abrogation ou la modification indirecte de la loi par la voie détournée d'un traité.

Alinéa 4. L'existence d'un traité ne doit point exclure l'échange de déclarations complémentaires. Cette disposition découle naturellement du principe, inscrit en tête de cet article, que l'extradition peut être accordée même sans traité. A plus forte raison peut-elle être accordée à un pays avec qui il existe déjà une entente partielle, fixée dans un traité imparfait. Pour que, dans un cas particulier, il en fût autrement, il faudrait que la Suisse et son co-contractant, en concluant le traité d'extradition, lui eussent donné un caractère strictement limitatif, en s'interdisant de demander et d'accorder l'extradition pour un délit non prévu par le traité, -- ce qui, évidemment ne se présumera pas.

Art. 2. Le 1er alinéa consacre le principe de la non-extradition des nationaux. Nous ne saurions mieux justifier cette disposition que par les considérations ci-après, extraites de l'exposé de M. Eivier.

« La mode, écrit M. Eivier, est aujourd'hui, dans la doctrine, à l'extradition des nationaux; des auteurs des plus respectables se prononcent dans ce sens, et cela s'accorde à merveille avec l'idée que les frontières sont en train de disparaître. Au point de vue du droit pénal, et même au point de vue du droit des gens idéal, il est incontestable que l'extradition des nationaux serait juste et logique. On remarque en outre que tel était l'usage autrefois, et que le dogme de la non-extradition est d'origine fort récente; que les Anglais, les Américains, les Scandinaves ne l'ont pas, ou pas complètement adopté.

« Cependant, à part les nations que je viens de nommer, aucune ne livre ses nationaux à la justice étrangère ; toutes stipulent dans leurs traités d'extradition qu'ils ne seront
pas livrés. Nos traités sont tous rédigés dans ce sens, et môme de canton à canton les nationaux, les ressortissants cantonaux ne sont pas livrés. Dans les pays qui nous sont limitrophes et avec lesquels nous pratiquons l'extradition presque tous les jours, le principe de la non-extradition

208 des nationaux est absolument reçu. Il n'y a donc pas lieu, -- pas encore lieu, si l'on veut, -- pour nous, d'inscrire dans notre loi le principe contraire.

« Au reste, le sentiment public, l'instinct populaire, ce mot pris dans son sens le plus relevé, ne comprend pas, -- pas encore, -- l'extradition des nationaux. On y voit, à tort le plus souvent, une dureté, presque une lâcheté. Et le droit des gens actuel, réel, est conforme à ce sentiment. L'état, en vertu de son droit de conservation, a le droit de conserver ses nationaux, et le devoir de les protéger.

« Le principe proclamé, il n'y a pas de distinction à faire.

Quand la demande d'extradition parvient au conseil fédéral, l'individu réclamé est-il Suisse ? Il ne sera pas extradé. Peu importe qu'il ne le fût pas encore au moment de l'infraction. On ne peut guère admettre l'hypothèse selon laquelle il serait naturalisé entre la production de la demande et le moment de la décision sur cette demande ; mais si on voulait l'admettre, il faudrait dire encore : on ne le livrera pas.

« Je crois même que si le citoyen réclamé renonçait à opposer sa nationalité suisse, le conseil fédéral devrait, le sachant, refuser néanmoins l'extradition. L'état applique son droit pour lui-même, pour l'ensemble, et il n'appartient pas à un citoyen d'empêcher cette application. L'état a des motifs et des raisons en lui-même, indépendants de la volonté du citoyen. Je crois que la teneur imperative et absolue du premier alinéa est justifiée, et je n'admets pas, pour la Suisse, dans l'état actuel, les thèses 6 et 7 d'Oxford *), au moins en pratique, malgré la sagesse de leur rédaction.

« II va sans dire, d'après les principes généraux du droit, que la question de la nationalité suisse sera décidée selon le droit suisse. » Alinéa 2. La non-extradition des nationaux a pour corrélatif, en même temps que pour correctif, l'engagement que prendra le conseil fédéral, sur une demande de l'état requérant, de faire juger en Suisse le citoyen suisse dont il refuse l'extradition en raison de sa nationalité. Mais en vertu du principe «non bis in idem», cet engagement doit être subordonné à une condition : c'est que l'état requérant renoncera, de son côté, à exercer des poursuites et *) La thèse 6 porte : « Entre pays dont les institutions criminelles reposent sur "des bases
analogues et qui auraient une mutuelle confiance dans leurs institutions judiciaires, l'extradition des nationaux serait un moyen d'assurer la bonne administration de la justice pénale, parce qu'on doit considérer comme désirable que la juridiction du forum delicti commissi soit autant que possible appelée à juger. »

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môme à exécuter une condamnation que ses tribunaux auraient déjà prononcée auparavant pour le même fait. L'état requérant qui s'est ainsi engagé par sa demande de poursuite ne retrouve sa liberté d'action que dans un seul cas ; c'est celui où la condamnation prononcée, le cas échéant, par l'état requis n'aurait pas été suivie d'exécution. On comprend aisément, en effet, que si le citoyen suisse s'évade, on ne saurait enjoindre à l'état requérant de considérer sa justice comme satisfaite.

Il est à prévoir que certains états, étant donné leur législation, refuseront de nous fournir l'assurance telle qu'elle est formulée dans cet article. Ainsi le gouvernement français nous a encore déclaré l'an dernier, dans l'affaire Dousse, qu'il pouvait bien dans un cas pareil s'engager à ne pas commencer des poursuites, mais que, une fois l'information judiciaire ouverte, ses autorités judiciaires ne pouvaient en aucun cas renoncer à la mener à chef (F. féd. 1890, II. 170, n° 12).

Le gouvernement allemand a également refusé de renoncer, en pareil cas, à l'exercice de sa compétence territoriale (P. féd. 1876, II. 343, n° 8). Le gouvernement belge s'est simplement engagé à, imputer, le cas échéant, la peine prononcée en Suisse sur celle prononcée en Belgique. Nous nous sommes contentés de cette déclaration dans le cas Leeomte (P. féd. 1887, II. 67, n° 23) ; avec la rédaction que nous proposons, elle ne sera plus envisagée comme suffisante. Il pourra donc arriver que des Suisses qui se seront réfugiés au pays après avoir commis des infractions en France, en Allemagne ou en Belgique, parviendront à se soustraire à la peine qu'ils auront méritée ; mais cette éventualité, si regrettable qu'elle soit, ne nous est point imputable ; elle doit être mise à la charge de la législation des pays qui, avec un défaut évident de logique, se réclament de notre justice, sans pourtant avoir en elle assez de confiance pour lui faire le sacrifice de leur propre juridiction. Ce sont là, du reste, des exceptions qui tendent à disparaître ; nos traités plus récents avec Monaco, la Serbie, les projets de traité avec la République Argentine et avec l'Autriche contiennent tons une clause excluant la possibilité d'une double répression. La France s'y ralliera, dès que sa législation intérieure dont elle a entrepris la revision le lui permettra.
Alinéa 3. Lorsque le conseil fédéral a pris envers un état étranger l'engagement prévu au 2me alinéa, il importe qu'il puisse y faire honneur. Dans l'état actuel de notre législation pénale, ce n'a pas toujours été chose facile ; il ne se passe guère d'année sans que notre département de justice et police n'articule des plaintes à ce sujet. *) La difficulté provient de ce que certaines législations *) Voir P. féd. 1878, II. 704; 1879. II. 531; 1883, IL 990; 1890, II. 168.

Feuille fédérale suisse. Année XLII. Vol. III.

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210 cantonales, celle de Berne par exemple, ne prévoient pas ou ne prévoient que pour un nombre très restreint de délits la répression des infractions commises par leurs ressortissants à l'étranger. Pour combler cette lacune il y a lieu, d'abord, de déterminer le for à qui il incombera de se substituer au 'for du délit commis et puis d'assimiler le Suisse, auteur d'un délit commis à l'étranger, à celui qui a commis le délit dans le pays, en prescrivant que la loi pénale qui atteindrait ce dernier lui sera également applicable. Tel est le but du 3me alinéa.

L'article 3, alinéa 1e* contient la liste détaillée des infractions de droit commun pouvant donner lieu à extradition, à la double condition qu'elles soient punissables tant selon la loi du canton de refuge que selon celle de l'état requérant (principe de la repressïbilité d'après les deux législations). Cette double condition se justifie par elle-même. L'état requis, en effet, ne saurait livrer un prétendu coupable qui pour lui est innocent et qu'il ne pourrait -·-- s'il voulait, au lieu de le livrer, le juger -- ni poursuivre ni punir. Et l'état requérant ne saurait réclamer un innocent auquel, d'après sa propre loi, il ne pourra rien faire. Mais pour que la condition que nous posons ici soit remplie, point n'est besoin que les faits dont il s'agit rentrent sous la même qualification dans les deux lois qui sont en présence, il suffit que dans l'une et l'autre ils soient classés au nombre des délits énumérés dans la liste comme donnant lieu à extradition. *) On peut différer d'opinion sur l'utilité d'une liste des délits passibles d'extradition. Dans la commission d'experts, les avis ont été très partagés. Une minorité aurait voulu la supprimer, de crainte de ne pas la faire assez complète, et laisser aux traités le soin d'établir des énumérations détaillées, en se bornant à fixer dans la loi les exceptions, c'est-à-dire les délits exclus de l'extradition (délits politiques, délits militaires, infractions aux lois fiscales, etc.). La majorité a cependant jugé avantageux de dresser une liste type, et cela afin d'indiquer clairement au conseil fédéral jusqu'où il pourra, aller dans la négociation des traités ou des déclarations de réciprocité et afin de lui fournir ainsi, au besoin, un appui contre des revendications excessives d'un autre état. Il
résulte de là que, pour remplir son but, la liste doit nécessairement être limitative: les traités pourront en éliminer tels délits dont l'admission serait jugée inopportune, mais ils ne pourront rien y ajouter. La liste représentant ainsi un maximum, il importait de la faire aussi complète que possible. La commission d'experts à apporté à ce travail un soin tout particulier; elle s'est surtout attachée à tourner les *) Voir arrêts du tribunal fédéral, II. 492, 496; ,IV. 126; VIII. 292,

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difficultés résultant de la grande diversité de la terminologie en droit allemand et en droit français. Elle ne s'est pas bornée aux infractions commises intentionnellement, mais elle a admis aussi un certain nombre d'infractions commises par négligence ou imprudence, et elle a aussi voué une attention spéciale aux actes constituant un danger public.

Alinéa 2 On est généralement d'accord pour reconnaître que l'extradition est une mesure grave qui ne doit s'appliquer qu'aux infractions de quelque importance ; lorsqu'il s'agit d'un acte de peu de gravité, le délinquant est suffisamment puni par son exil volontaire ; ce serait abuser de l'extradition que de l'appliquer à un cas où la durée de l'arrestation provisoire dépasserait celle de la peine encourue.

Mais comment déterminer le minimum de gravité ? La chose est assez malaisée et, après avoir essayé de diverses rédactions, la commission d'experts y a finalement renoncé -- sauf pour les cas où une condamnation est déjà intervenue -- se bornant à poser le principe et laissant à la pratique ou aux traités le soin d'en déterminer plus exactement l'application. M. Eivier aurait voulu choisir comme mesure de la gravité la durée maximum de l'emprisonnement prévu dans l'une et l'autre des deux lois en présence ; son avant-projet n'admettait l'extradition que pour les infractions punissables « d'une peine dont le maximum est au moins d'wwe awnée d'emprisonnement tant selon la loi du canton de refuge que selon celle de l'état requérant.» Cette solution, séduisante au premier abord et qui a été adoptée dans notre projet de traité avec l'Autriche, a été écartée par cette considération que le maximum de la pénalité prévue ne saurait être considéré comme un indice suffisant du plus ou moins de gravité du fait incriminé. Ainsi, par exemple, le code pénal de l'empire d'Allemagne prévoit un maximum de cinq ans d'emprisonnement pour le vol le plus insignifiant, dont l'auteur, en réalité, en sera quitte pour quelques jours de prison. Le maximum, on le voit, ne dit rien ; le tout est de savoir qu'elle est la peine dont sera réellement passible le fait en question, et cela, on ne l'apprend que par le jugement. C'est pourquoi la pénalité ne peut entrer en ligne de compte que lorsque la condamnation est déjà intervenue : si la peine prononcée est inférieure à deux
mois de prison, la Suisse n'extradera pas. Ce qui ne veut pas dire qu'elle extradera dans tous les cas où la peine dépassera ce chiffre ; il y aura notamment lieu de distinguer, à cet égard, entre les condamnations rendues en contradictoire et les condamnations par défaut ; ce n'est pas en vue de ces dernières, qui souvent sont excessives et hors de toute proportion avec la gravité du délit, que ce minimum de deux mois a été établi.

212 Une autre proposition émanée d'un membre de la commission consistait à choisir comme mesure de la gravité le chiffre du dommage, en excluant l'extradition pour les délits ayant causé un dommage inférieur à 50 (ou 100) francs. C'est le système suivi dans le traité avec l'Italie et dans celui avec le Portugal. Il a le défaut de ne. s'appliquer qu'aux délits contre la propriété et de ne mesurer la gravité de l'infraction que d'après le résultat matériel en négligeant d'autres éléments tout aussi importants, tels que la récidive, etc. C'est pourquoi la commission a également repoussé cette solution. Celle qu'elle a adoptée en fin compte aura peut-être le tort à vos yeux d'être par trop vague ; mais il n'y a guère moyen d'être plus précis tant que nous n'aurons pas en Suisse un code pénal unique dont l'échelle des peines puisse être prise pour base uniforme dans l'appréciation des délits.

L'article 4 apporte un tempéramment nécessaire à, la condition de la répression dans les deux pays. Cette condition, avons-nous dit à l'article précédent, se trouve remplie, alors même que le fait délictueux est qualifié différemment dans les deux législations. Mais il peut arriver que dans le pays de refuge tel fait soit, non pas seulement qualifié différemment, mais passé entièrement sous silence, non qu'il y soit envisagé comme licite, mais simplement parce que, en réalité, il ne se produit pas et qu'il n'existe par conséquent aucun intérêt pratique de le mentionner : tel est le cas, pour la Suisse, de toutes les infractions se rattachant à la navigation maritime, comme la piraterie, les actes occasionnant la perte ou la destruction d'un navire. Le silence des lois suisses sur les cas de ce genre ne saurait être interprété comme une justification ; il provient uniquement de circonstances de fait, résultant de la situation géographique du pays, et ne doit pas constituer un motif pour refuser l'extradition *). C'est ainsi qu'en 1886 le gouvernement norvégien demanda l'extradition d'un capitaine de vaisseau accusé d'avoir fait échouer son navire et de l'avoir ensuite détruit par incendie pour bénéficier du montant de l'assurance, frauduleusement majorée. Le conseil fédéral n'aurait pas hésité à accorder l'extradition si l'accusé, qui réussit du reste à s'échapper, n'eût été citoyen suisse.

Art. 5. Si l'on voulait
pousser le principe de la répression dans les deux pays à ses dernières conséquences, il ne faudrait accorder *) Thèse 11 d'Oxford: «En règle, on doit exiger que les faits auxquels s'applique l'extradition soient punis par la législation des deux pays, excepté dans les cas où, à cause des institutions particulières ou de la situation géographique du pays de refuge, les circonstances de fait qui constituent le délit ne peuvent se produire. »

213 l'extradition que sous la condition que la peine ne devra en tout cas pas dépasser le maximum de la peine applicable dans le pays requis. Mais ce serait aller trop loin : une répression plus sévère peut être justifiée par des circonstances particulières au pays requérant. Nous serions d'ailleurs, souvent fort embarrassés, dans l'état actuel de notre législation pénale, d'indiquer la peine qu'entraînerait tel délit dans tel de nos cantons.

La question se présente différemment lorsque l'on envisage, non 4a durée, mais le genre de la peine. Il y a quelque chose de choquant à livrer un individu à une peine que l'on a abolie sur son propre territoire. C'est pour rendre hommage à ce sentiment de dignité et d'humanité que nous avions introduit dans le traité avec le Portugal une disposition statuant que « si le délit entraîne la peine de mort dans le pays requérant, les criminels ne seront extradés qu'à la condition de la commutation de cette peine». A l'époque où fut conclu ce traité, la constitution fédérale interdisait la peine de mort ; aujourd'hui, cette interdiction constitutionnelle supprimée, la Suisse serait mal venue à déclarer qu'elle ne tolère pas la peine de mort à l'étranger, alors qu'elle la tolère à l'intérieur.

C'est par ce motif que la commission d'experts, dans sa majorité, a cru devoir restreindre le principe à la base de cet article aux seules peines corporelles ; celles-ci étant formellement réprouvées par la constitution, il ne nous messied point de , déclarer que la Suisse ne livrera personne à la fustigation. Nous nous sommes associés à cette manière de voir. Vous apprécierez s'il convient d'aller plus loin. Mais, quelle que soit votre décision, il est bien entendu que rien ne nous empêchera de réaliser par la voie des traités ce que nous n'aurons pas voulu proclamer dans la loi. Les traités pourront aller .plus loin que la loi et exclure la peine capitale dans tout cas d'extradition.

Art. 6. Cette disposition figure également dans le projet de loi français et dans le projet italien ; elle est conforme au principe de la répression d'après les deux législations : la prescription la plus courte doit profiter à l'individu réclamé. L'extradition sera donc refusée lorsque, d'après l'une ou l'autre des législations, l'action ou la peine est prescrite. L'état requérant, en effet,
ne peut réclamer un individu qu'il ne peut plus poursuivre ou punir ; l'état requis, de son côté, ne peut livrer un individu qu'il ne pourrait, s'il le voulait, juger ou punir.

Art. 7. Cet article consacre le principe de la spécialité de l'extradition, sur lequel, aujourd'hui, l'on est généralement d'accord: l'extradé ne pourra être poursuivi dans le pays requérant que pour

214 les actes incriminés dans la demande d'extradition. Si le pays requérant désire le juger aussi pour d'autres faits, il devra formuler de ce chef une nouvelle demande *) laquelle sera soumise, de la part de l'état requis, aux mêmes conditions que la première.

Il convient cependant de ne rien exagérer et de ne pas pousser la méfiance à l'extrême. Nous ne voyons aucun inconvénient à ce que les tribunaux de l'état requérant comprennent dans leur jugement des délits connexes à l'infraction pour laquelle l'extradition a été accordée, pourvu que ces délits ne soient pas du nombre de ceux à l'égard desquels l'extradition est formellement exclue, tels que les délits politiques ou militaires. Ainsi, un militaire qui aura déserté en emportant la caisse de sa compagnie ne pourra être jugé que du chef du détournement et non de celui de la désertion ; mais l'individu extradé en raison d'un faux pourra être condamné à la fois pour tous les faits semblables que l'enquête et les débats auront depuis relevés a sa charge, et même pour d'autres faits connexes, constituant soit une circonstance aggravante, soit une dégénérescence de l'accusation principale **).

Nous ne voyons non plus pourquoi le bénéfice de la spécialité s'étendrait aux faits postérieurs à l'extradition. Tout ce que l'extradé a pu commettre depuis son extradition est une affaire à régler entre lui et le pays auquel il a été livré et dans laquelle la Suisse n'a plus à s'ingérer. Si nous pouvions croire l'autre état capable de persécuter injustement l'extradé sous prétexte d'infractions postérieures, mieux vaudrait s'interdire d'emblée toute extradition à un pays dont la justice serait à ce point suspecte. La même considération nous engage à admettre aussi, comme exception à la spécialité, le cas où l'extradé consent volontairement à être jugé pour d'autres faits. Nous n'avons pas lieu de supposer que ce consentement puisse lui être extorqué ; de pareilles suppositions sont incompatibles avec la mutuelle confiance des états civilisés dans leurs institutions judiciaires respectives, qui formé la base et la raison d'être de tout le système de l'extradition. Comme l'a fait observer M. Rivier, l'extradé sur lequel plane un soupçon peut lui-même avoir tout intérêt à, faire éclater son innocence, et l'état qui l'a extradé ne doit pas, en s'opposant à
un procès auquel lui-même consent, lui en ôter la possibilité.

*) Thèses d'Oxford, n°s 22 et 23 : « Le gouvernement qui a obtenu une extradition pour un fait déterminé est, de plein droit et sauf convention contraire, obligé de ne laisser juger ou punir l'extradé que pour ce fait.

Le gouvernement qui a accorde une extradition peut ensuite consentir à ce que l'extradé soit jugé pour des faits autres que celui qui avait motivé sa remise, pourvu que ces faits puissent donner lieu à l'extradition. » **) Voir F. féd. 1864, I. 384.

215 Enfin l'extradé qui ne quitte pas le territoire dans un délai déterminé après son élargissement sera réputé renoncer au bénéfice de la spécialité. Ce n'est que justice. On ne saurait obliger un état de tolérer indéfiniment chez lui un individu contre lequel il a de sérieux griefs. L'extradé qui n'a pas usé à temps de sa liberté pour quitter le pays est dans le môme cas que celui qui y est venu librement, et dès lors passible de nouvelles poursuites.

Art. 8. L'interdiction de l'extradition, par l'état requérant, à un état tiers, sans l'assentiment de l'état requis, est une conséquence logique du principe de la spécialité de l'extradition ; voir, par exemple, le cas Dürrich et Leroy, arrêts du tribunal i'édéral, III.

108 à 111.

Art. 9. La réserve faite à l'égard des tribunaux d'exception s'impose. L'extradition, avons-nous déjà dit, a pour base la confiance réciproque des états civilisés en l'impartialité de leurs autorités judiciaires. Cette confiance n'existe qu'à l'égard des tribunaux ordinaires et réguliers, tandis que tout tribunal d'exception, constitué pour les besoins de la cause, est fatalement suspect de partialité.

Remarquons, toutefois, que le terme de « tribunal d'exception » ne comprend nullement les tribunaux spéciaux institués régulièrement pour certaines classes de la population, tels que les tribunaux militaires.

Le congrès d'Oxford a lié la question des tribunaux d'exception avec celle des délits politiques à propos desquels, en effet, elle trouve sa principale application *). Il nous a semblé, cependant, que ces deux questions sont indépendantes l'une de l'autre et que la disposition relative aux tribunaux d'exception, étant d'une portée générale, mérite de faire l'objet d'un article distinct.

L'article^ 10 règle la question si controversée du droit d'extradition appliqué aux délits politiques.

Tel que nous vous le soumettons, cet article est le résultat d'une transaction entre les opinions assez opposées de nos experts ; il constitue un moyen terme entre des points de départ différents dont la conciliation avait semblé au premier abord impossible. Mais le commun désir de trouver une solution qui tienne compte en une juste mesure de tous les scrupules et de toutes les revendications légitimes a finalement abouti à un accord quasi unanime auquel *) Thèse 15 : « En tout
cas, l'extradition pour crime ayant tout à la t'ois le caractère de crime politique et de crime de droit commun ne devra être accordée que si l'état requérant donne l'assurance que l'extradé ne sera pas jugé par des tribunaux d'exception. »

216

nous avons cru devoir prêter les mains, moyennant une légère modification que nous justifierons tout à l'heure.

Voici en quels termes la question sfest présentée au sein de la commission.

Le principe môme, cela va bien sans dire, était hors de cause et personne n'a songé à le combattre : les infractions politiques proprement dites -- celles qui portent atteinte uniquement à l'ordre politique de l'état où elles sont commises -- ne doivent pas donner lieu à l'extradition. C'est là un point sur lequel aujourd'hui tous les états sont d'accord et que l'on peut considérer comme un axiome du droit des gens découlant du principe de la non-intervention.

Nous pouvons dire avec M. Serment *) que, pour ces délits politiques spécifiques, la question ne se soulève même pas et qu'il n'y aurait pas besoin d'une exception à leur égard ; ils se trouvent déjà exclus par le fait d'être omis dans l'énumération limitative des infractions passibles d'extradition, contenue à l'article 3.

Aussi bien reconnaît-on généralement que quand les traités ou les lois exceptent de l'extradition les délits politiques, ce ne sont pas tant les infractions purement politiques que vise cette disposition, mais les infractions mixtes, ou complexes, ou connexes, les infractions politiques relatives, comme dit une terminologie récente, les cas, de diverses nuances, où il y a, à côté d'un délit commun ou dans ce délit, un élément politique, voire même un véritable délit politique concurrent. C'est là ce que dans le langage de certains de nos traités on appelle les actes «ayant un caractère politique».

Que faut-il entendre par «caractère politique» et quel es* exactement le critérium, la portée juridique de ce terme ? Les controverses qui divisent à ce sujet le monde des jurisconsultes s8 sont reflétées dans le sein de notre commission consultative : pou les uns, le caractère politique réside dans le itut de l'acte ou, ce qui, pratiquement, revient à peu près au même, dans son objet (autrement dit dans le « sujet passif» du délit); d'autres étendent la qualification de « politique » à tout acte dont l'auteur à obéi à un mobile d'ordre politique ; pour d'autres enfin, le caractère politique résulterait uniquement des circonstances extérieures ; ils taxent de délit politique tout délit commun qui a été perpétré au cours et sous l'influence
d'une guerre civile ou d'une insurrection.

*) Rapport présenté à la XVIIIe assemblée de la société suisse des juristes en septembre 1880. Berne, Stampai, p. 122.

V. aussi Lammasch, Le droit d'extradition appliqué aux délits politiques ; traduit par Weiss & Lucas ; p. 30, p. 43 et suiv.

217 Toutes ces définitions ont trouvé des représentants dans la commission et chacune d'elles correspondait à une proposition distincte sur la question de l'extradition, tant il est vrai que, dans cette matière, comme l'a fort bien dit M. Charles Soldan *), les définitions sont toujours dictées d'avance par les conclusions pratiques auxquelles leurs auteurs entendent arriver.

Mais tout en procédant d'appréciations diverses, les différentes solutions proposées ont cependant présenté certains points de contact sur la base desquels l'entente a pu s'établir.

On s'est, en effet, toute définition à part, trouvé d'accord sur deux points : personne n'a contesté en principe que l'immunité accordée aux délits politiques ne doive pas s'appliquer aussi dans une certaine mesure aux délits politiques relatifs ; et tous les experts ont plus on moins reconnu, d'autre part, que ce principe comporte certains tempéraments et que l'on ne saurait proclamer comme règle générale la non-extradition de tout individu dont le délit de droit commun contient un élément politique. Telles sont les deux limites extrêmes entre lesquelles le débat s'est circonscrit.

La Suisse ne saurait, en effet, sans renier toutes ses traditions, n'accorder l'asile qu'aux délits exclusivement politiques et s'engager de la sorte à livrer tout individu qui aura à sa charge une infraction de droit commun accompagnant le délit politique. Jam;iis notre peuple ne souscrira à la clause introduite en 1885 dans les traités entre la Russie et la Prusse et la Bavière, d'après laquelle « la circonstance que le crime ou délit, à raison duquel l'extradition est demandée, a été commis dans un but politique, ne pourra en aucun cas servir de cause pour refuser l'extradition. » Accepter cette clause, ce serait prétendre, contrairement à tous les enseignements du passé, que les bouleversements politiques dont est faite l'histoire des peuples auraient pu et pourront s'accomplir sans la moindre entorse au droit commun ; ce serait abaisser les grands drames historiques au niveau des faits et gestes de la vie individuelle.

Aussi la plupart des auteurs n'ont-ils pas hésité à qualifier de réactionnaire et d'excessive la clause du traité russo-prussien. **) Une pareille disposition, équivalant de fait à une sorte d'alliance et d'assurance mutuelle, peut avoir sa raison
d'être dans les relations particulières existant entre deux états liés par la communauté de *) Charles Soldan, L'extradition des criminels politiques. Paris, Thorin, 1882, p. 14.

**) V. Lammasch, dans le Handbuch des Völkerrechts, de Holtzendorff, tome III, p. 508.

218 leurs vues politiques, par l'identité de leurs institutions ; comme règle du droit des gens, valable entre toutes les nations, elle ne se justifie pas. Les institutions politiques des états européens sont encore trop disparates pour qu'un pays puisse pousser à ce point la solidarité internationale sans sacrifier son indépendance. Comme l'a dit M. Rivier, « l'exclusion des délits relatifs de l'obligation et de la faculté d'extrader est maintes fois légitime. Vouloir la supprimer d'une manière générale serait, actuellement, absurde, iCe principe nettement posé, convient-il d'y apporter, législativement ou par la voie des traités, certains tempéraments?

La Suisse, jusqu'à ces derniers temps, avait estimé que non; elle s'est constamment refusée, par exemple, à admettre la fameuse clause insérée dans la plupart des traités, à la suite de la loi belge de 1856, aux termes de laquelle le meurtre, l'assassinat ou l'empoisonnement du chef d'un gouvernement étranger ou d'un membre de sa famille ne devra jamais être considéré comme un délit politique.

Est-ce à dire que la Suisse aurait, le cas échéant, refusé en tout état de cause l'extradition d'un régicide ? Telle n'a jamais été sa prétention. Elle voulait seulement, dans chaque cas particulier, « examiner toutes les circonstances du crime qui ferait l'objet de la demande, avant de prendre une décision quelconque».*) Elle tenait simplement à maintenir intacte son entière liberté d'appréciation ; elle entendait ne rien préjuger ; et son refus était d'autant plus justifié que l'engagement qu'on lui suggérait aurait été unilatéral, sans bénéfice de réciprocité. La clause belge portait d'ailleurs par trop l'empreinte de son origine ; c'était une loi de circonstance, une loi d'expédient, qui, loin de proclamer un principe, se bornait à créer en faveur de quelques personnes un privilège incompatible avec l'idée d'égalité des citoyens qui est à la base de notre droit public.

Ces défauts n'ont pas échappé aux jurisconsultes ; la critique a fait valoir avec beaucoup de raison que si le sentiment qui a dicté la clause belge est vraiment légitime, il convient de lui donner toute son application et de proscrire, non seulement le cas isolé du régicide, mais l'assassinat politique en général. C'est vers ce but, en effet, que depuis une vingtaine d'années les
adversaires de la doctrine absolue de la non-extradition ont concentré leurs efforts ; et ces efforts, il faut bien le dire, ont été puissamment secondés ces derniers temps par tous ces crimes odieux, commis au nom de visées politiques ou sociales plus ou moins chimériques et dont l'apparition soudaine, formant un si singulier contraste avec les *) Message touchant le traité d'extradition avec la France (F. féd.

1869. III. 475).

219 tendances pacifiques et humanitaires de notre époque, a jeté l'épouvante dans l'opinion publique. La conscience juridique des nations civilisées n'admet pas que les auteurs de si abominables forfaits puissent s'assurer l'impunité en franchissant la frontière ; et l'esprit de conservation qui anime la société lui enjoint de réagir en commun contre un danger commun dont la gravité impose le silence aux scrupules et aux défiances de nation à nation.

Jamais l'assassinat n'avait été proclamé avec un pareil cynisme, non pas comme la dernière ressource, l'ultima ratio d'un parti opprimé et aux abois, mais comme le procédé régulier et normal d'une tactique de combat, comme l'arme ordinaire à employer indistinctement contre le premier venu, contre le plus paisible et le plus inoffensif des citoyens, à seule fin de répandre la terreur parmi les populations. La réaction naturelle contre des prétentions aussi révoltantes ne s'est pas fait attendre : sons l'impression de tant de forfaits, la tendance de restreindre le principe de la non-extradition, en exceptant de cette immunité les crimes vulgaires, a gagné du terrain et paraît avoir réuni aujourd'hui l'assentiment des premières autorités dans le domaine du droit international. « II devient indispensable », dit un représentant de cette école,*) «d'énumérer dans « les textes du droit criminel les faits que réprouve la conscience -« moderne, quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils se « sont produits, de telle sorte que le but, môme politique et irré« prochable, qu'ils poursuivent ne puisse les innocenter. » Déjà en 1868, une commission réunie par le gouvernement anglais proposait d'exclure de l'exception faite en faveur des délits politiques l'assassinat et la tentative d'assassinat.

Cette idée fut reprise en 1881 par le gouvernement russe qui proposa la convocation d'un congrès européen en vue d'insérer dans tous les traités la disposition suivante : « Aucun cas d'assassinat ou d'empoisonnement, ni de tentative, complicité ou préparation d'un pareil crime, ne pourra être désormais réputé délit politique. » Le congrès n'eut pas lieu, mais, quatre ans après, la Russie obtint du moins de la Prusse et la Bavière les engagements relatés plus haut dont la portée s'étend bien au delà de la proposition russe de 1881.

Entre temps, l'institut de
droit international, dans sa réunion d'Oxford, en 1880, avait formulé en ces termes son opinion sur la question : « Les faits qui réunissent tous les caractères de crimes de droit commun (assassinat, incendie, vol) ne doivent pas être *) Lammasch, édition Weiss & Lucas, p. 77.

220 exceptés de l'extradition à raison seulement de l'intention politique de leurs auteurs. » (Thèse 14 d'Oxford, lettre a.)

La thèse ci-dessus, comme on le voit, pousse encore plus loin la restriction du droit d'asile en ajoutant à l'assassinat l'incendie et le vol. Des auteurs, plus modérés dans leurs revendications, ont proposé de limiter l'exception à l'assassinat commis avec guet-apens (y compris l'empoisonnement), en accordant, au contraire, le bénéfice de l'asile au meurtre commis dans une rencontre ouverte. « Toutes les législations, » écrit M. Lammasch, *) « quelles que soient les diverses formes de gouvernement, pourraient faire place à une règle commune, soumettant à l'extradition tout assassin, dès que les conditions ordinaires de l'extradition sont remplies ; il pourrait, en ótre ainsi, alors même que la population de l'état requis sympathiserait avec la révolution dans certains pays étrangers, et que le gouvernement contre lequel elle s'exerce serait complètement indigne d'une protection, même indirecte. Tous les états doivent condamner l'assassin, quel que soit le mobile qui ait armé son bras, et quelque but qu'il ait poursuivi. » Telle est la nouvelle doctrine exprimée par un de ses adhérents les plus distingués. Y a-t-il lieu pour la Suisse d'y souscrire et de lui donner force de loi ?

Notre expert, M. Rivier, a été de cet avis. D'après lui, « les grands et gros crimes, les crimes vulgaires, foui crimes, ne devraient -- pour l'honneur de notre civilisation juridique -- jamais rester impunis. Notre pays se ferait honneur en proclamant la règle que l'assassinat et les crimes les plus odieux ne sont point modifiés ni atténués par un l>ut politique ou social. » Quant au simple motif politique, M. Rivier ne lui reconnaît en aucun cas la force d'exclure de l'extradition un délit commun quelconque.

Voici en quels termes M. Rivier formulait sa proposition : « L'extradition pourra être refusée pour une infraction de droit commun perpétrée en vue d'un but ou avec une intention politique, a moins toutefois que cette iufraction ne constitue un crime grave, tel que l'assassinat, l'incendie, la destruction par explosion, le vol, le faux. La chambre d'accusation du tribunal fédéral appréciera, dans chaque cas douteux, selon les faits de la cause et la loi du canton de refuge.

« L'extradition
ne sera pas refusée, pour une infraction de droit commun, en raison du seul fait que l'individu réclamé alléguerait avoir agi eu vertu d'un motif politique ou prétendu tel, ou religieux. » La majorité de la commission n'a pas voulu suivre M. Eivier sur ce terrain. Malgré toute l'autorité du congrès d'Oxford, elle *) Edition Weiss & Lucas, p. 79.

I

221

n'a pu se résoudre à déclarer a priori avec celui-ci que certains crimes de droit commun seront en tout état de cause et sans exception possible exclus de l'immunité accordée aux délits politiques.

Les partisans de la thèse d'Oxford eux-mêmes sont obligés de convenir que leur principe comporte des exceptions. L'acte de Charlotte Corday, pour ne citer que l'exemple le plus fameux, ne laisse pas de les embarrasser. Et ce n'est certes pas un argument concluant, mais une échappatoire assez douteuse que d'objecter à ce propos, avec M. Lammasch *), qu'un jury, indépendant au point de vue politique et s'inspirant de l'équité, eût acquitté Charlotte Corday. La célèbre héroïne a, en effet, été jugée par un tribunal à'exception, ce qui, d'après l'article 9, nous aurait dispensés de la livrer ; mais qui nous garantit que dans un cas semblable, en pleine effervescence politique, même la justice régulière du pays requérant jugerait une pareille cause avec toute la sérénité d'esprit voulue et en possession de son entière indépendance? Le contraire, hélas, est bien plus probable.

On dit, il est vrai, que, depuis le siècle dernier, les moeurs se sont sensiblement adoucies, que l'on attache aujourd'hui à l'existence un prix bien plus élevé, puisque l'on hésite même à appliquer la peine de mort au moins intéressant des criminels. Soit. Et c'est là certes un motif pour réprouver de plus en plus l'assassinat politique et pour ne pas excuser le misérable qui, dans l'intérêt réel on supposé de sa conception politique individuelle, fait litière de la vie de son semblable. Mais de là à prétendre qu'il ne peut se présenter aucun cas où des considérations politiques d'un ordre supérieur puissent, sinon effacer, du moins modifier le caractère d'une infraction aux lois pénales, il y a un abîme que la commission n'a pas cru pouvoir franchir.

Voilà pourquoi la doctrine d'Oxford a paru excessive. Généralisant le jugement rendu par l'opinion publique universelle sur un certain nombre de cas de l'histoire contemporaine, elle entend enchaîner à tout jamais la liberté d'appréciation des gouvernements, en proscrivant d'une manière absolue l'emploi de certains moyens du domaine de l'action politique. Savons-nous ce que l'avenir nous réserve, et pouvons-nous nous porter garants que l'esprit de légalité et de justice relative dont
sont animés aujourd'hui les gouvernements et les partis dominants et qui fait généralement paraître aussi odieux qu'inutile l'appel à la force brutale subsistera à travers toutes les crises à venir? Du moment que l'on ne veut et que l'on ne peut pas encore proclamer que l'ère des bouleversements violents est définitivement close, que toute infraction au droit commun commise *) Edition Weiss et Lucas, p. 62.

222 dans un mouvement politique sera universellement réprouvée commeattentat à l'humanité, la désignation spéciale de certains délits commemoyens impropres en politique a quelque chose d'arbitraire. L'assassinat avec guet-apens est certes une bien vilaine chose ; mais l'assassinat légal revêtant hypocritement les formes de la justice est plus abominable encore ; pourquoi alors assurer à l'un l'immunité que l'on refuse d'emblée à l'autre, pourquoi livrer Charlotte Corday et protéger les régicides qui ont voté la mort de Louis XVI ?

La criminalité intrinsèque d'un acte ne saurait être déterminée à l'avance d'après sa qualification juridique ; elle ne peut ótre justement appréciée qu'en pleine connaissance du cadre de circonstances dans le milieu desquelles l'acte a été perpétré; c'est une question non de terminologie, mais de fait. Traçant la résultante d'un certain nombre de cas qui l'ont pai'tieulièrement impressionnée, la science du droit des gens peut être dans son rôle en établissant des catégories; elle exercera ainsi une influence salutaire sur l'opinion et sur la conscience des autorités appelées à connaîtrs des cas d'extradition ; mais donner à ces catégories scientifiques une sanction législative et les revêtir ainsi d'un caractère absolu, coupant court à l'avance à tout examen du cas particulier, voilà ce qui serait excessif, voilà ce que la commission n'a pas voulu admettre, convaincue qu'elle reflète en cela l'opinion de la grande majorité du peuple suisse.

La résolution d'Oxford n'en aura pas moins eu ses mérites.

Elle contient une part de vérité qu'il importe d'en dégager et de consacrer avec plus de netteté que cela n'a été le cas jusqu'à ce jour: c'est que l'élément politique qui peut exister dans un délit de droit commun ne doit pas, en tout état de cause, assurer à son auteur l'immunité dans le pays de refuge.

Mais comment définir la limite qui sépare les deux espèces ?

L'essayer serait peine perdue, car, tout bien considéré, la différence ne réside pas dans la qualité, mais dans la quantité. C'est une question de mesure dont l'appréciation dépendra essentiellement de l'ensemble des circonstances du cas particulier.

Les faits délictueux seront qualifiés d'après leur caractère prépondérant *). Voilà la portée de la disposition à laquelle la commistion s'est finalement arrêtée
et dont voici la teneur : « L'extradition ne sera pas accordée pour les infractions politiques.

« Elle pourra être accordée, alors même que le coupable alléguerait un motif ou un but politique, si l'infraction pour laquelle elle est demandée constitue principalement un délit commun.

') V. le vote de M. le professeur König a la XVIlIme réunion de la société suisse des juristes. Protocole, p. 153.

22S

« Le tribunal fédéral appréciera, dans chaque cas particulier, le caractère de l'infraction, selon les faits de la cause.» La rédaction ci-dessus ne diffère que légèrement de celle qui figure dans notre projet de loi. Nous avons seulement remplacé les mots « Elle pourra1 être accordée » par « Elle sera accordée», substituant ainsi l'obligation à la faculté. On ne conçoit guère, en effet, comment le tribunal fédéral pourrait encore refuser une extradition après avoir déclaré que l'infraction constitue principalement un délit commun. La possibilité d'exclure l'extradition, en accentuant le caractère essentiellement politique du délit, constitue, semble-t-il, une porte de sortie suffisamment large pour donner passage à tous les scrupules légitimes du. tribunal ; lui offrir, au choix, une seconde issue, ne ferait que l'embarrasser.

En vous proposant de ratifier, à votre tour, la proposition de nos experts, nous savons bien qu'elle n'est pas incritiquable. On lui reprochera surtout de ne rien résoudre, de reporter simplement sur le pouvoir judiciaire la tâche et la responsabilité qui incombait au législateur. Mais, à tout prendre, ce reproche est, au fond, la meilleure justification de la solution proposée. Le législateur, en effet, doit forcément abdiquer entre les mains du juge, parce que, dans cette question si complexe, l'espèce est tout, et la catégorie n'est rien.

Le tribunal fédéral aura à prendre en considération, le cas échéant, un ensemble de faits et de circonstances dont l'appréciation sera d'autant plus délicate qu'elle touchera à nos relations extérieures et que, quelques scrupules qu'il y mette, l'opinion qu'il portera sur les institutions politiques de l'état requérant, la confiance que lui inspirera la justice de ce dernier, pourra, en une certaine mesure, influencer sa décision. Aussi, sa responsabilité sera grande ; mais son indépendance, ses lumières et son patriotisme seront à la hauteur de cette responsabilité. Nul n'est mieux qualifié que la cour suprême d'un pays pour rendre une décision conforme à la conscience juridique de la nation et pure de toute préoccupation étrangère à la justice. Quand le tribunal siégeant in pieno aura prononcé, l'opinion publique s'inclinera et l'état requérant, si sa demande est évincée, en prendra son parti, sachant que ceux qui ont rendu l'arrêt
n'ont obéi qu'à leur conscience et sont d'ailleurs inaccessibles à une pression, d'où qu'elle vienne.

La disposition que nous venons d'exposer est suivie d'un alinéa portant que l'extradition n'aura lieu qu'à la condition que l'individu livré ne sera pas traité d'une façon plus rigoureuse à cause de son motif ou de son but politique.

Cette condition se justifie d'elle-même. L'élément politique, lorsqu'il n'a pas été jugé suffisant pour exclure l'extradition, ne doit,

224 pour le moins, pas être imputé comme circonstance aggravante, puisque, eût-il été encore plus prononcé, cet élément aurait précisément assuré l'immunité à l'individu réclamé.

Le projet de M. Kivier joignait aux infractions politiques les infractions religieuses, c'est-à-dire celles qui ne sont punissables qu'à raison de leur caractère religieux.

La commission, indécise d'abord, les a finalement retranchées, avec raison, nous semble-t-il. Les infractions purement religieuses, en efîet, telles que le blasphème, le prosélytisme, le changement de religion, etc. se trouvent déjà exclues par le fait de n'être point punissables en Suisse et de ne pas figurer dans rémunération limitative de l'article 3.

Les infractions mixtes, par contre, que l'on pourrait appeler aussi infractions religieuses relatives, c'est-à-dire les délits communs dans lesquels entre, à un titre quelconque, un élément religieux -- tels les délits commis par fanatisme -- ne nous paraissent pas devoir bénéficier, dans la règle, de l'immunité. Il sera toujours loisible, dans un cas exceptionnel, de les faire rentrer dans la catégorie des délits politiques, le mot pris dans sa plus large acception.

Art. 11. La disposition de cet article résulte déjà a contrario da l'article 3 combiné avec l'article 7. Oa pourrait donc, à la rigueur, s'en passer ici. Mais comme il s'agit d'un principe constamment suivi et maintes fois proclamé par la Suisse4), il nous a paru utile de l'énoncer aussi positivement.

Les délits purement militaires sont les délits contre la discipline de l'armée, la violation des devoirs spéciaux incombant aux militaires et aux militaires seuls, par exemple la désertion.

Art. 12. « II devrait être évident que l'état sur le territoire duquel une infraction a été commise a le devoir naturel et primordial de la punir, et ne peut s'y soustraire au moyen d'une extradition ; la compétence territoriale prime toute autre compétence. » (Rivier.) Cette doctrine n'a pas toujours été appliquée.

Ainsi, en 1858, le conseil fédéral a accordé l'extradition à l'Autriche de deux individus prévenus d'avoir tenté de fabriquer à Einsiedeln de faux billets de banque autrichiens2). Et en 1875, le tribunal fédéral estimait que l'allégation que le délit aurait eu lieu en Suisse et que les tribunaux suisses sont seuls compétents, ne 4 )
Voir F. féd. 1876, II. 343 ; résolutions d'Oxford, thèse 16 : ~« l'extradition ne doit pas s'appliquer à la désertion des militaires appartenant à l'armée de terre et de .mer, ni aux délits purement militaires. » >) Ullmer II, n» 1393, p. 675.

225 doit pas être prise en considération du moment que les magistrats suisses ne sont pas intervenus en la cause i). Mais en 1880 le tribunal fédéral a inauguré une jurisprudence conforme au principe que nous posons à l'article 12, en déclarant: « L a nature même « de l'extradition, « « acte par lequel un état livre un individu ac« cusé d'une infraction commise hors de son territoire à un autre «état qui le réclame et a compétence pour le punir 2 )»» ne permet « point de présumer que l'état requis ait entendu, en stipulant une « convention internationale sur cette matière, abdiquer sa juridiction « à l'égard de crimes ou délits commis sur son territoire et punis « par ses lois. 3 ) » Le conseil fédéral a statué dans le même sens en 1886 4).

ft Art. 13. La disposition de cet article se trouve dans la plupart de nos traités. Il est dans la nature des choses qu'un pays ne se dessaisisse d'un individu qu'après avoir réglé son compte avec lui. La proposition de M. Berney 5) de donner la priorité au pays du délit le plus grave, même contre le pays de refuge, nous paraît exagérée.

Art. 14. Le premier alinéa découle naturellement de la prévalence de la compétence territoriale. Le principe en est généralement admis. La 9 me thèse d'Oxford le consacre: « S'il y a plusieurs demandes d'extradition pour le même fait, la préférence devrait être donnée à l'état sur le territoire duquel l'infraction a été commise. » Le second alinéa prévoit le cas où il s'agit de délits distincts.

Sur ce point, dit M. Berney '), il y a actuellement autant de règles différentes qu'il y a de traités. Aussi convenait-il de laisser au conseil fédéral le plus de latitude possible et de réserver certaines exceptions à la règle telle qu'elle a été formulée en ees termes par le congrès d'Oxford (thèse 10) : « Si le même individu est réclamé par plusieurs états à raison d'infractions différentes, l'état requis aura égard, en général, à la gravité relative de ces infractions. En cas de doute sur la gravité relative des infractions, l'état requis tiendra compte de la priorité de la demande. » Art. 15. Cet article et les suivants sont consacrés à la procédure d'extradition, -- qui est compliquée chez nous par suite de 1) Arrêts T. f. I. 426, cous. 4°.

2

) Billot, traité de l'extradition, p. 1.

3

) «) 5 ) 6 i

Arrêta T. f. VI. 485; IX. 519, n° 2.

Cas Meyer, v. F. féd. 1887, IL 66, n° 21.

Loc. oit. p, 60.

Loc. cit. p. 57.

Feuille fédérale suisse. Année XLII.

Vol. III.

15

226

nos institutions, nécessitant un partage entre l'autorité fédérale et l'autorité cantonale, et entre la justice des cantons et celle de la Confédération.

L'extradition, disons-nous avec M. Rivier, est principalement un acte de souveraineté à l'extérieur, et ce caractère doit sortir ses effets au début et à la fin de l'extradition. L'état agit comme personne ou sujet du droit des gens : c'est donc la Suisse qui demande l'extradition, c'est, à elle qu'un état étranger la demande, c'est elle qui l'accorde ou la refuse à cet état. De là découle encore cette conséquence, universellement admise et consacrée par tous les traités, saut deux ou trois exceptions, par toutes les lois, et proclamée aussi par l'institut de droit international, en sa résolution 18 d'Oxford, -- c'est que « l'extradition doit avoir lieu par la voie diplomatique ». La théorie de la justice internationale effaçant les fron* tières peut juger cette prescription surannée, mais il suffit d'avoir vu quelques cas pratiques d'extradition pour en connaître la nécessité. \La voie diplomatique seule offre les garanties suffisantes pour l'acte grave, important, de l'extradition, qui peut avoir des suites de toute nature, pour les particuliers et pour l'état, et est d'ailleurs, dans son essence, un acte d'état à état. On ne saurait le remettre entre les mains d'autorités inférieures, qui pourraient faire des demandes à la légère, quittes à les retirer, et il peut même arriver · qu'une demande fondée en droit strict, ou du moins paraissant l'être, doive néanmoins être omise dans un intérêt supérieur. L'état seul peut apprécier des cas de ce genre. L'état seul, c'est-à-dire la Suisse, -- non le canton, -- est responsable vis-à-vis des états étrangers.

C'est donc le conseil fédéral qui demande l'extradition, par voie diplomatique, et c'est au conseil fédéral qu'elle est demandée utilement, par voie diplomatique. La transmission directe d'état à état, telle qu'elle se pratique entre la Suisse et le Luxembourg et les états limitrophes de l'Allemagne du sud, est également une forme de la « voie diplomatique ». De même la voie consulaire, là où le consul est seul représentant de l'état.

Le 2m" alinéa indique les pièces qui devront accompagner la demande d'extradition, afin d'empêcher autant que possible les quiproquos et de fournir toutes les
données voulues sur les points à examiner, le cas échéant, par le tribunal fédéral.

La question de culpabilité devant à notre avis être laissée complètement en dehors, nous ne demandons pas l'indication des preuves, ni même celle des principaux indices de la culpabilité de l'individu réclamé (voir article 24).

227

Art. 16. Cet article est conforme à la circulaire du 26 janvier 1875 (P. féd. 1875, I. 121) et aux usages actuels.

Le v8me alinéa vise le cas où la demande d'extradition n'est pas fondée sur un traité existant. Le conseil fédéral, dans ce cas, apprécie souverainement s'il convient ou non d'agréer la demande.

S'il l'écarté, sa décision est définitive ; s'il l'agrée, l'affaire suit son cours ; le dernier mot appartient alors au tribunal fédéral qui examinera, en cas d'opposition, si l'extradition est compatible avec la présente loi.

'L'article 17 consacre, tout en l'entourant de certaines garanties, la pratique si utile de l'arrestation sur demande provisoire, précédant la demande d'extradition et le mandat d'arrêt, mais certifiant l'existence et la prochaine présentation de ces documents. Cette demande d'arrestation ne doit pas être faite à la légère, ni sans garanties. C'est pourquoi nous maintenons, à l'encontre d'une tendance récente, qu'elle aussi se fasse par la voie diplomatique. Pour les cas d'urgence, d'extrême urgence, il y a les facilités autorisées par les articles 19 et 20.

L'arrestation sur demande provisoire ne sera pas maintenue au delà d'un certain délai, qui doit être aussi bref que possible.

Art. 18. Conforme à la circulaire de 1875.

Art. 19. Les communications directes de l'état requérant ou de ses autorités judiciaires avec les gouvernements et autorités judiciaires des cantons peuvent être extrêmement utiles, et même indispensables pour qu'un fugitif n'échappe pas à la justice. On admet donc ces communications directes, par lettre. ou par télégraphe, mais seulement en cas d'urgence, et les gouvernements et autorités des cantons peuvent n'y pas donner suite. L'arrestation est donc non seulement provisoire, mais encore facultative.

En outre, la communication directe ne dispense aucunement des demandes régulières par la voie diplomatique, et avis doit en être donné immédiatement, d'une part, par la voie diplomatique, d'autre part, par le canton qui l'a reçue, au conseil fédéral. Il faut que l'état requérant assume, dès le principe, la responsabilité de la démarche directe qui a été faite.

Jamais, en aucun cas, l'extradition ne sera effectuée, môme si l'individu arrêté y sonsentait, avant la production de la demande diplomatique.

La loi met donc fin à la pratique irrégulière de l'extradition sommaire qui s'était maintenue jusqu'à ces derniers temps dans

228

quelques cantons, malgré les réclamations des gouvernements étrangers *) et les recommandations réitérées du conseil fédéral **) aux autorités cantonales, par trop impatientes de se débarrasser des individus arrêtés sur leur territoire.

L'extradition sommaire n'offre pas les garanties voulues pour la protection des droits et des intérêts des personnes qui en sont l'objet et pour l'application correcte des traités. Comme nous l'avons dit dans un cas spécial, « l'individu poursuivi a acquis des droits par le fait de son entrée sur le territoire suisse, droits qui ne peuvent lui être garantis que si le mode de procéder prescrit par le traité est convenablement observé. » ***) Art. 20. La loi de 1852 sur l'extradition intercantonale contient à son article 7 une disposition semblable. Comme il s'agit ici d'étrangers et que la Confédération exerce la haute surveillance sur la police des étrangers, nous exigeons que le conseil fédéral soit immédiatement informé de l'arrestation opérée.

Art. 23. « Après examen de la question d'identité. » Si la non-identité est manifeste, l'autorité cantonale peut, de son chef, relâcher l'individu arrêté. Si elle ne parvient pas à élucider la question d'identité, elle passe outre ; le tribunal fédéral tranchera la question.

Si l'individu arrêté refusait de répondre s'il consent ou non à être livré, son refus de déclaration sera naturellement considéré comme acquiescement.

Art. 22. Il va sans dire que le consentement de l'individu arrêté ne dispense pas le conseil fédéral d'examiner de son" chef si, dans l'espèce, l'extradition n'est pas contraire à la loi. Lorsque le cas ne remplit pas les conditions prévues aux articles 2, 3, 5, 6, 9, 10, 11, 12 -- lorsque, par exemple, l'individu réclamé est citoyen suisse -- l'extradition n'a pas lieu, en dépit du consentement du principal intéressé lequel, naturellement, ne saurait modifier notre *) F. féd. 1867, I. 633, n« 6 ; 1870, IL 187.

**) F. féd. 1876, IL 342 ; 1878. II. 699 : « Nous avons donné pour instructions que l'extradition ne devait pas être opérée avant l'arrivée de la demande d'extradition régulière, qui, aux termes de tous les traités, doit être adressée par la voie diplomatique. Les cantons ne sont, en conséquence, pas autorisés à faire remettre par mesure de police un individu qui leur est signalé comme malfaiteur
et dont ils ont ordonné, sur une demande spéciale, l'arrestation provisoire, en mains de l'autorité qui le réclame et à opérer ainsi subrepticement une extradition. » F. féd. 1885, II. 484, n» 9 ; 1886, I. 822, n° 6 ; 1888, II. 349, n° 3.

***) F. féd., 1883, II. 988, n° 4.

229

droit public. Et si l'extradition est accordée, elle l'est sous lés mêmes réserves qu'en cas d'opposition.

Art. 23 et 24. Aux termes de ces articles, c'est le tribunal fédéral qui statue sur l'extradition dans tous les cas où il y a opposition. Le rôle du tribunal fédéral se trouve ainsi considérable· ment élargi : c'est à lui de décider, qu'il y ait un traité ou qu'il n'y en ait pas et quel que soit le motif invoqué. Sa décision n'a pas le caractère d'un simple préavis, comme dans la plupart des pays, mais d>'un jugement ; elle est définitive, et le conseil fédéral n'a plus qu'à la faire exécuter.

Le tribunal examine si l'extradition est conforme à la présente loi, au traité lié avec l'état requérant ou à la déclaration de réci, procité échangée avec lui. Il n'a pas d'autres points à prendre en considération. A moins d'une disposition contraire du traité, il n'a pas à se demander si l'accusation paraît vraisemblable. Cet examen de la vraisemblance tel qu'il est pratiqué en Angleterre et aux Etats-Unis, présente de grands inconvénients. Il oblige l'état requérant à joindre au mandat d'arrêt des documents dont la réunion, souvent difficile, fait perdre beaucoup de temps, au plus grand préjudice de l'accusé lui-même. La Suisse n'a jamais voulu entrer dans cette voie et nous ne saurions l'y engager, malgré l'avis du congrès d'Oxford (thèse 21) qui voulait que la vraisemblance de l'accusation fût examinée par l'autorité judiciaire du pays requis, La loi dit partout «le tribunal fédéral». Elle n'entend pas exiger par là que toutes les décisions soient prises par le tribunal siégeant in pieno. Il appartiendra à la loi sur l'organisation judiciaire -- dont la revision est actuellement à l'étude -- de désigner plus spécialement la section du tribunal (chambre d'accusation, chambre criminelle, etc.) qui aura à connaître des affaires d'extradition. Mais en tout cas, quand il s'agira de la question des délits politiques, nous entendons que le tribunal fédéral siège in pieno.

Art. 25. La mise en liberté provisoire n'était accordée, jusqu'ici, que sur l'autorisation expresse de l'autorité recquérante que l'on considérait comme ayant seule le droit de disposer du prévenu.

Il est cependant correct de reconnaître au gouvernement requis la compétence de mettre en liberté provisoire, de son propre chef, un
individu qu'il a fait arrêter ou maintenir en état d'arrestation. Ce droit est un effet nécessaire de sa souveraineté en matière de justice. Il est également justifié par le fait que l'autorité étrangère ne saurait apprécier en connaissance de cause toutes les circonstances appuyant la demande du détenu, et que les pourparlers indispensables, en absorbant un temps précieux, rendent souvent illu-

230

soires les avantages de la faveur obtenue. La mise en liberté ne sera d'ailleurs accordée que dans des cas exceptionnels, par exemple lorsqu'il s'agit d'un individu établi depuis longtemps dans le pays ou lorsque la demande d'extradition traîne en longueur. Elle ne sera d'ailleurs accordée que moyennant des garanties suffisantes.

Les articles 26 à 30 n'ont pas besoin d'éclaircissements.

Nous saisissons cette occasion, monsieur le président et messieurs, pour vous renouveler l'assurance de notre haute considération.

Berne, le 30 mai 1890.

Au nom du conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération: L. R Ü C H O N N E T .

Le chancelier de la Confédération: RlNGtKB.

3 tableaux annexés.

o

Tableau I.

Extraditions demandées par la Suisse à des états étrangers.

Etats requis.

1880. 1881.

1. Belgique .

4 3 20 2. Empire d'Allemagne 40 52 3. France .

.

.

65 -- 4. Grèce -- 2 3 5. Grande-Bretagne 1 2 6. Italie 1 7. Luxembourg .

-- 1 8. Monaco .

-- 1 9. Pays-Bas.

-- 5 3 10. Autriche-Hongrie -- ·* -- 11. Russie -- -- 12. Espagne .

13. Etats-Unis d'Amé1 1 rique .

--' 14. Argentine -- 1 15. Brésil -- 2 16. Mexique .

.

.

-- -- 17. Egypte .

-- Etranger, en général -- --

~87

121

1882.

-- 23 53 -- 1 3

-- -- -- -- 1 2 -- 1

1883.

3 29 43 1 3 5

1884.

1 24 55

1885.

8 32 46

1886.

-- -- --

-- -- -- 2

-- 2 -- 3

--

-- 2

-- --

-- --

-- --·

3

2

-- -- --

1 1 --

-- -- 2 --

-- --

-- -- -- -- --

86

9l

87

1888.

-- 25 48

1887.

3 41 61

56

1889.

1 21 54

-- --

-- 1 1

-- -- 5

-- 2 3

-- 2 3

-- --

-- -- 1 4

-- 1 2 5 1 --

-- 1 1 2

-- -- --

-- --

-- --

-- 2

-- 1 1

1 -- -- -- -- 6

-- 1

-- -- -- 4

98

87

120

111

6

2

-- --

10 30

Total.

33 285 533 1 14

29 1 5

5

3 -- --

29 2 4

-- -- -- -- 2

9 4 1 2 3 14

86

974

co os

Tableau II.

g Extraditions demandées à la Suisse par des états étrangers.

1880.

1881.

1882.

1883.

1884.

1885.

3 77 52 1 36

8. Roumanie 9. Russie

1 87 73 -- 30 -- 6 1 2

10. Suède 11. Serbie .

12. Espagne .

-- -- --

-- 6 -- 3 -- -- --

2 69 49 -- 17 -- -- -- 2 -- -- --

1 66 65 -- 40 -- 4 -- -- --

-- 92 52 -- 39 -- 6 -- 4 -- 1

--

3 65 64 -- 37 -- 5 -- 1 -- -- 2

--

--

--

--

200

178

139

176

Etats requérants.

1. Belgique .

2. Empire d'Allemagne 3. France 4. Grande-Bretagne 5. Italie 6. Luxembourg

.

7. Autriche-Hongrie

13. Etats-Unis rique .

--

·

1886.

1887.

1888.

1889.

Total.

-- 59 62 -- 49 -- 3

2 58 37 -- 39 1 6

-- 1

-- 1

--

1 "~"4 68 62 44 56 -- -- 37 27 -- -- 3 6 -- -- 3 2 -- 1 -- -- 1 --

-- -- 1

-- -- --

17 703 554 1 351 1 45 1 19 1 1 4

--

--

--

3

--

177

194

158

160

175

d'Amé-

-- 144

3 1701

233

Tableau III.

Liste des

traités d'extradition existant actuellement entre la Suisse et les états étrangers.

1. Etats-Unis de l'Amérique du nord, articles XIII à XVII du traité général .

2. Pays-Pas 3. Autriche-Hongrie 4 . Italie .

.

.

.

5 . France .

.

.

.

6. P o r t u g a l . . . .

7 . Russie .

.

.

.

8. Empire allemand 9 . Belgique .

.

.

.

» convention 10. Luxembourg .

. o .

11. Grande-Bretagne 1 2 . Espagne .

.

.

1 3 . Salvador .

.

.

1 4 . Monaco .

.

.

1 5 . Serbie .

.

.

16. Equateur (arrangementprovisoire) .

.

.

.

Date du traité: 1850 1853 1855 1868 1869 1873 1873 1874 1874 1882 1876 1880 .1883 .1883 .1885 . 1887

nov. 25. Ree. off., V. 189.

dèe. 21. Ree. off., IV. 100.

juillet 17. Ree. off., V. 177.

juillet 22. Ree. off., IX. 639.

juillet 9. Ree. off., X. 37.

oet. 30. R. o., n. s., I. 141.

nov.(f!7/5. Ree. off., XI. 406.

janv. 24. R. o., n. s., I. 69.

mai 13. R. o., n. s., I. 57.

sept. 11. R. o., n. s., VI. 500.

fév. 10. R. o., n. s., IL 104.

nov. 26. R. o., n. s., V. 280.

août 31. R. o., n. s., VII. 336.

oct. 30. R. o., n. s., VII. 637.

dèe. 10. R. o., n. s., Vili. 451, nov. 28. R. o., n. s., X. 619.

1888 juin 22. R. o., n. s., 2me par-

tie, I. 201.

Les traités d'amitié, d'établissement et de commerce avec les pays suivants renferment aussi des dispositions provisoires en matière cKextradition : 1885 nov. 6. R. o., n. s., X. 248.

17. Transvaal (article X) 18. Etat indépendant du Congo 1889 nov. 16. R. o., n. s., 2mo par(article 15) .

tie, I. 395.

Sont conclus, mais non encore ratifiés, des traités avec : la République argentine .

l'Autriche-Hongrie .

1887 nov. 22. P. féd. 1888, II. 302 1888 nov. 17. P. féd. 1889, I. 576

234

PROJET de

loi fédérale sur l'extradition aux états étrangers.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la o CONFÉDÉRATION SUISSE, vu l'article 102, chiffre 8, de la constitution fédérale ; vu le message du conseil fédéral du 30 mai 1890, décrète :

Titre premier.

Des cas d'extradition.

Article 1er. Le conseil fédéral pourra, sous la réserve de réciprocité ou même, par exception, sans cette réserve, livrer aux états étrangers, sur leur demande et dans les conditions résultant des dispositions de la présente loi, tout étranger poursuivi, mis en prévention ou en accusation ou condamné par l'autorité judiciaire compétente de l'état requérant, qui sera trouvé sur le territoire de la Confédération.

235

Le conseil fédéral pourra, s'il requiert d'un état étranger l'extradition d'un individu poursuivi, mis en prévention ou accusation, ou condamné par les tribunaux compétents suisses, promettre la réciprocité dans les limites des dispositions de la présente loi.

Des traités d'extradition pourront être conclus avec les états étrangers dans les limites des dispositions de la présente loi.

Lorsqu'il existe un traité d'extradition entre la Suisse ·et l'état requérant, le conseil fédéral pourra néanmoins, sous la réserve de réciprocité, ou même sans cette réserve, accorder l'extradition pour une infraction non prévue dans le traité, dans les limites fixées par la présente loi, et si la Suisse est requérante, il pourra, dans les mêmes limites, promettre la réciprocité.

Le conseil fédéral informera l'assemblée fédérale des promesses de réciprocité données ou obtenues.

Article 2. Aucun citoyen suisse ne pourra être livré a un état étranger.

En refusant l'extradition, le conseil fédéral garantira à l'état requérant que le citoyen suisse réclamé pour un des délits prévus dans le traité ou dans la promesse de réciprocité sera jugé et, s'il y a lieu, puni en Suisse conformément à la loi du tribunal compétent suisse, moyennant l'assurance donnée par l'état requérant que ce citoyen ne sera pas poursuivi une seconde fois pour le même fait et que la condamnation qui aurait été prononcée contre lui dans l'état requérant ne sera pas exécutée, à moins qu'il n'ait pas subi la peine à laquelle il a été condamné en Suisse.

Si cette assurance est donnée, le canton d'établissement ou, à son défaut, le canton d'origine est tenu de traduire en justice le citoyen suisse dont il s'agit, afin qu'il soit jugé suivant le droit cantonal ou fédéral qui lui serait applicable si le délit avait été commis sur le territoire du canton.

236

Article 3. Les faits suivants constituant une infraction de droit commun et punissables tant selon la loi du canton de refuge que selon celle de l'état requérant, pourront donner lieu à l'extradition : 1° assassinat, empoisonnement, parricide, infanticide, homicide volontaire ou involontaire ; 2° avorteinent ; 3° exposition, délaissement d'enfants ou de personnes sans défense ; 4° enlèvement, recel, supposition, substitution d'enfants, suppression d'état civil ; 5° enlèvement de mineurs ; 6° rapt et séquestration de personnes ; 7° attentat à l'inviolabilité du domicile ; 8° menaces d'attentat contre les personnes et les propriétés ; 9° bigamie ; 10° viol ; 11° attentat à la pudeur commis avec violence ou contre une personne sans défense ou privée de ses facultés mentales, actes immoraux commis à l'égard d'un enfant, ou à l'égard d'une personne quelconque, par celui qui a la surveillance de cette personne ; 12° outrage public aux moeurs ; 13° proxénétisme ; 14° corruption de mineurs par les parents, le tuteur ou toute autre personne chargée de leur surveillance ; 15° inceste ; 16° voies de fait ayant occasionné soit la mort, soit une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, ou ayant été suivis de mutilation, amputation ou privation de l'usage de membres ou organes, ou d'autres infirmités permanentes; participation à une rixe où il a été commis des voies de fait de cette gravité.

237

17° brigandage, extorsion, vol et soustraction frauduleuse, recel ; 18° abus de confiance et escroquerie ; 19° banqueroute frauduleuse et fraude commise en matière de poursuite pour dettes ou de faillite ; 20° altération de bornes ; 21° dénonciation calomnieuse ; 22° faux serment, fausse déclaration donnée sous le poids du serment ou d'une promesse solennelle ; 23° faux témoignage, fausse expertise, fausse déclaration d'un interprète, subornation de témoins, experts, interprètes ; 24° faux en écriture ou en dépêche télégraphique, usage frauduleux d'écritures ou de dépêches télégraphiques fausses et falsifiées, abus de blanc-seing ; 25° destruction, altération, suppression volontaire et illégale de titres publics ou privés ; 26° contrefaçon ou falsification de sceaux, poinçons, timbres, marques ou clichés ; usage frauduleux des sceaux, timbres, poinçons, marques ou clichés, falsifiés ou authentiques ; 27° contrefaçon ou falsification de monnaie ou de papiermonnaie ou d'estampilles représentant une valeur (timbres-poste, etc.) ; introduction, émission de monnaie, de papier-monnaie ou d'estampilles représentant une valeur, faux ou falsifiés, avec intention frauduleuse ; 28° contrefaçon ou falsification de billets de banque, titres d'obligation et autres, émis par l'état ou, sous l'autorité de l'état, par des corporations, sociétés ou particuliers ; émission, mise en circulation de tels billets de banque, titres d'obligation et autres, avec intention frauduleuse ; 29° corruption de fonctionnaires publics, de jurés et d'arbitres ;

238

30° détournements, concussions, prévarications, de la part de fonctionnaires publics ; 31° incendie volontaire ou commis par négligence ou imprudence ; emploi abusif de matières explosibles ; inondation constituant un danger public ; 32° destruction volontaire ou par négligence ou imprudence, totale ou partielle, de chemins de fer, bateaux et machines à vapeur, appareils et conduites électriques, télégraphiques, téléphoniques et autres ; entraves mises volontairement ou par négligence ou imprudence au service de la poste ou des chemins de fer, par tout moyen de nature à exposer à un danger grave des personnes ou des marchandises transportées par chemin de fer, bateau, ou voiture faisant servicedé poste ; 33° suppression de lettres ou télégrammes ; violation du secret des lettres ou du télégraphe ; 34° propagation volontaire ou par négligence ou imprudence, de maladies contagieuses, épidémies ou épizooties ; empoisonnement constituant un danger public de sources, fontaines ou cours d'eau ; 35° mélange intentionnel aux denrées alimentaires de matières pouvant donner la mort ou altérer la santé ; mise en vente ou distribution de denrées ainsi falsifiées, malsaines ou corrompues, avec dissimulation de leur caractère nuisible ; 36° destruction, dégradation, endommageaient volontaires de propriétés publiques et privées, immobilières et mobilières ; 37° piraterie et tous actes volontaires ou commis par négligence ou imprudence, ayant occasionné l'échouement, la destruction ou la perte d'un navire ; 38° offres ou propositions de commettre un crime ou d'y participer ; 39° association de malfaiteurs pour commettre des infractions prévues par la présente loi.

239

L'extradition ne sera ni accordée, ni requise si le délit est d'importance ou de conséquences minimes. Elle ne le sera notamment pas, toutes les fois que la condamnation déjà intervenue n'excédera pas deux mois de prison.

La tentative, la participation ou complicité et l'assistance sciemment prêtée en vue de soustraire un coupable à la justice, lorsque ces actes sont punissables d'après la loi du canton de refuge et d'après celle de l'état requérant, sont comprises dans les dispositions du présent article.

Article 4. L'extradition pourra être accordée même pour un fait qui, tout en étant compris dans l'énumération de l'article 3 et punissable d'après la loi de l'état requérant, n'est pas spécialement prévu par le droit du canton de refuge, si cette omission provient uniquement de circonstances extérieures, telles que la différence des situations géographiques des deux pays.

Article 5. Si la peine édictée par la loi de l'état requérant, pour l'infraction qui motive la demande d'extradition, est une peine corporelle, le conseil fédéral n'accordera l'extradition que sous la condition que la peine sera, le cas échéant, commuée en prison ou en amende.

Article 6. L'extradition sera refusée lorsque, soit d'après la loi du canton de refuge, ou d'après celle de l'état requérant, la prescription de la peine ou de l'action se sera trouvée acquise antérieurement à la demande d'extradition.

Article 7. L'extradition sera toujours subordonnée à la condition que l'extradé ne sera ni poursuivi, ni puni pour les infractions qu'il pourrait avoir commises antérieurement à la demande, autres que celle qui donne lieu à l'extradition et non connexes à cette infraction, à moins toutefois

240

que l'extradé n'y consente expressément, ou qu'ayant eu, pendant un mois depuis son élargissement définitif, la faculté de quitter le territoire de l'état requérant, il n'ait pas usé de cette faculté.

Le conseil fédéral pourra, sur nouvelle demande de l'état requérant, permettre que l'extradé soit poursuivi ou puni pour une infraction antérieurement commise et non mentionnée dans la première demande.

Lorsque, dans des circonstances similaires, .la Suisse sera requérante, le conseil fédéral pourra consentir la condition mentionnée au premier alinéa du présent.article.

Article 8. L'état auquel un individu a été livré ne peut le livrer à un état tiers sans l'assentiment du conseil fédéral, si ce n'est dans les cas prévus au 1er alinéa du précédent article.

Article 9. L'extradition ne sera pas accordée si le délit est justiciable d'un tribunal d'exception.

Article 10. L'extradition ne sera pas accordée pour les infractions politiques.

Elle sera, accordée, alors même que le coupable alléguerait un motif ou un but politique, si l'infraction pour laquelle elle est demandée constitue principalement un délit commun.

Le tribunal fédéral appréciera, dans chaque cas particulier, le caractère de l'infraction, selon les faits de la cause.

Lorsque l'extradition sera accordée, le conseil fédéral y mettra la condition que la personne dont l'extradition est demandée ne sera pas traitée d'une façon plus rigoureuse à cause de son motif ou de son but politique.

Article 11. L'extradition ne sera pas accordée pour les infractions aux lois fiscales, ni pour les délits purement militaires.

24:1

Article 12. L'extradition ne sera pas accordée lorsque l'infraction à cause de laquelle elle est .demandée a été commise sur le territoire de la Confédération, ni lorsque cette infraction, bien que commise hors du territoire, a cependant été jugée définitivement en Suisse ou y est l'objet de poursuites.

Article 13. Si l'individu réclamé est poursuivi ou condamné en Suisse, à cause d'une infraction autre que celle qui a donné lieu à la demande d'extradition, sa remise ne sera effectuée qu'après que la poursuite sera terminée ou la peine exécutée. Toutefois, le conseil fédéral pourra permettre que l'individu réclamé soit envoyé temporairement pour comparaître devant les tribunaux de l'état requérant, sous la condition qu'il sera renvoyé en Suisse dès que la justice de l'état requérant aura statué.

Article 14. Lorsque l'extradition sera demandée par plusieurs états différents pour un seul et même fait, elle sera accordée de préférence à celui sur le territoire duquel ce fait a été perpétré; s'il s'agit d'un délit commis en plusieurs pays, à celui sur le territoire duquel le fait principal a été perpétré.

Lorsque l'extradition sera demandée par plusieurs états différents pour des infractions différentes, la préférence sera donnée à l'état dont la demande est motivée par l'infraction la plus grave. A gravité égale, comme en cas de doute sur la gravité relative, le conseil fédéral aura égard, en général, à la priorité de la demande ; mais il pourra prendre aussi en considération la situation géographique des états requérants, ainsi que la nationalité de l'individu réclamé. En accordant l'extradition à l'état qui obtient la préférence, le conseil fédéral pourra réserver la réextradition, après jugement et punition, à l'autre ou aux autres requérants.

Le tout sauf conventions particulières.

Feuille fédérale suisse. Armée XLII. Vol. III.

16

242

Titre deuxième.

De la procédure d'extradition.

Article 15. Toute demande d'extradition sera adressée au conseil fédéral par voie diplomatique. Lorsque la Suisse sera requérante, le conseil fédéral s'adressera également à l'état étranger par voie diplomatique.

La demande d'extradition sera accompagnée, en original ou en copie authentique, d'un jugement ou d'un mandat d'arrêt décerné par l'autorité compétente et expédié dans les formes prescrites par la loi de l'état requérant, ou de tout autre acte usité dans l'état requérant, ayant au moins la marne force qu'un mandat d'arrêt, renfermant l'indication précise du fait incriminé, du lieu où il a été commis et de sa date ; en outre, de l'indication et, si besoin est, d'une copie des textes de loi qui sont applicables an fait incriminé ; autant que possible, du signalement de l'individu réclamé, de renseignements aussi détaillés que possible sur sou identité, sa personne et sa nationalité.

Article 16. Le conseil fédéral, saisi de la demande d'extradition, Ja renverra pour examen au département fédéral de justice et police.

Si l'extradition n'est pas requise en vertu d'un traité, le conseil fédéral décidera, pour ce qui le concerne, s'il accorde l'extradition, avec ou sans la réserve de réciprocité.

Si la demande satisfait aux exigences de l'article 15, le conseil fédéral prendra les mesures nécessaires pour la recherche et l'arrestation de l'individu réclamé, ainsi qu'il est dit à l'article 18.

Si la demande est jugée insuffisante, le conseil fédéral pourra inviter l'état requérant à la régulariser ou à la compléter, tout en prenant d'ores et déjà, s'il le juge à propos,, les mesures prévues à l'article 18.

243

Article 17. Le conseil fédéral prendra les mômes meisures prévues à l'article 18, sur communication faite, par voie diplomatique, d'une demande d'arrestation provisoire, annonçant que le mandat d'arrêt existe et que l'extradition sera demandée, et contenant d'ailleurs les indications indispensables mentionnées à l'article 15.

Dans ce cas, et à moins qu'il ne doive ótre retenu pour un autre motif, l'individu arrêté sera mis en liberté si le mandat d'arrêt décerné par l'autorité compétente et la demande d'extradition ne sont pas régulièrement produits dans un délai déterminé, lequel sera de vingt jours à partir de l'arrestation si l'état requérant est limitrophe, et de trente si c'est un pays européen non limitrophe, et pourra être porté à trois mois si c'est un pays situé hors de l'Europe.

Article 18. Si le canton où l'individu réclamé s'est réfugié est connu, soit grâce aux indications données par la demande, soit autrement, le conseil fédéral, invitera le gouvernement de ce canton à faire rechercher l'individu réclamé et à le faire arrêter aussi promptement que possible.

L'arrestation sera ordonnée et opérée conformément à la loi du canton, par l'autorité compétente. Il sera procédé d'après l'ordonnance d'arrestation à toutes perquisitions et saisies autorisées ou prescrites par la loi du canton.

Si le canton de refuge n'est pas connu, le département fédéral de justice et police prendra les mesures les plus propres à découvrir l'individu reclamò et, si besoin est, fera publier son signalement en inyitant les polices cantonales à le rechercher et à l'arrêter.

Si les recherches demeurent infructueuses, le conseil fédéral en avisera l'état requérant.

Article 19. En cas d'urgence, les gouvernements et les autorités judiciaires des cantons pourront donner suite aux

244

demandes d'arrestation provisoire qui leur seront adressées directement, au moyen du télégraphe ou de la poste, par les autorités étrangères compétentes. Les gouvernements et autorités judiciaires qui recevront de pareilles demandes en informeront sans délai le conseil fédéral. Ils lui feront part, le cas échéant, des motifs qui les engageraient à surseoir à l'arrestation demandée.

Un avis régulier de la demande devra toujours, d'ailleurs, être adressé sur-le-champ, par voie diplomatique, au conseil fédéral.

L'individu arrêté sera mis en liberté dans le cas prévu au second alinéa de l'article 17.

Article 20. Dans les cas graves et s'il y a péril en la demeure, les organes de la police cantonale pourront, de leur propre chef, moyennant qu'ils en informent immédiatement le conseil fédéral, procéder à l'arrestation d'un individu dont une police étrangère a publié le signalement.

Article 21. Aussitôt l'arrestation opérée, le gouvernement cantonal fera procéder à l'interrogatoire de l'individu arrêté, par l'autorité compétente selon la loi du canton.

Après examen de la question d'identité, l'individu sera informé des conditions de l'extradition ; il pourra, s'il le désire, se faire assister d'un conseil. L'individu arrêté sera invité à déclarer s'il consent à être livré sans autre retard, ou si au contraire il a l'intention de s'opposer à son extradition. Le procès-verbal de l'interrogatoire sera transmis au conseil fédéral avec tous les documents et renseignements y relatifs.

Article 22. Si l'individu arrêté a déclaré consentir à être livré sans autre retard, le conseil fédéral rendra un décret accordant l'extradition. Il en donnera communication à l'état requérant, ainsi qu'au gouvernement cantonal,

245

lequel sera chargé de l'exécution du décret, et en fera rapport au conseil fédéral.

Article 23. Si l'individu arrêté s'oppose à l'extradition, le conseil fédéral transmettra le dossier au tribunal fédéral, en avisant le gouvernement du canton de refuge.

Le tribunal fédéral pourra faire compléter les informations.

Le tribunal fédéral ordonnera, s'il le juge nécessaire, la comparution personnelle de l'individu arrêté, lequel pourra se faire assister d'un conseil, le cas échéant nommé d'office; l'audience sera publique, à moins que le huis clos ne soit ordonné par le tribunal pour motifs graves qui seront mentionnés au procès-verbal.

Le procureur général de la Confédération pourra intervenir dans l'enquête et aux débats.

Article 24. Le tribunal fédéral, statuant conformément aux dispositions de la présente loi, des traités ou des déclarations de réciprocité, prononcera à bref délai qu'il y a lieu ou qu'il n'y. a pas lieu à l'extradition.

Article 25. La mise en liberté provisoire pourra être accordée, si cette mesure paraît être exigée par les circonstances.

Elle pourra être ordonnée par le tribunal fédéral, s'il est saisi de la cause ; jusqu'alors par le conseil fédéral.

Article 26. Si l'extradition est accordée, il sera fait comme il est dit à l'article 22.

Si l'extradition est refusée, le conseil fédéral en informera l'état requérant. L'individu arrêté sera mis en liberté sur-le-champ, à moins qu'il ne doive être retenu pour un autre motif.

246

Article 27. Dans les cas prévus par l'article 22 et le premier alinéa de l'article 26, l'extradé sera conduit à la frontière et livré, par les officiers de police judiciaire compétents, aux autorités ou agents qui seront chargés par l'état requérant de le recevoir. On leur remettra, en outre, les papiers, valeurs et autres objets saisis, qui se rattachent à l'infraction pour laquelle l'extradition est opérée.

Si la remise de l'individu réclamé ne pouvait s'effectuer, par suite de son évasion ou de son de as, ou du fait qu'il n'a pu être arrêté, lesdits papiers, valeurs et objets seraient néanmoins livrés à l'état requérant, auquel seront également remis dans la suite les objets de la nature susindiquée, cachés ou déposés par l'individu réclamé et qu'on aura trouvés postérieurement. Les droits que des tiers, non impliqués dans Ja poursuite, auraient pu acquérir sur lesdits objets, demeureront réservés.

Article 28. Si, dans un délai de vingt jours à partir de la communication du décret accordant l'extradition, l'état requérant n'a pas pourvu à la réception de l'extradé, celuici sera mis en liberté. Une prolongation de délai pourra être accordée par le conseil fédéral.

Titre troisième.

Du transit.

Article 29. Le conseil fédéral pourra autoriser le transit, sur le territoire de la Confédération, des individus extradés d'un état étranger à un autre état étranger, sur demande, adressée, par voie diplomatique, par l'état requérant au conseil fédéral et accompagnée d'une des pièces mentionnées à l'article 15. Toutefois, le transit sera refusé dans les cas où l'extradition serait refusée en vertu des articles 2, 10 et 11 de la présente loi.

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Titre quatrième.

Dispositions diverses.

Article 30. L'article 58 de la loi fédérale sur l'organisation judiciaire du 27 juin 1874 est abrogé.

Le conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi fédérale, du 17 juin 1874, concernant la Totation populaire sur les lois et arrêtés, de publier la présente loi et de fixer l'époque où elle entrera en vigueur.

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Message du conseil fédéral à l'assemblée fédérale concernant le projet de loi fédérale sur l'extradition aux états étrangers. (Du 30 mai 1890.)

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Bundesblatt

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1890

Année Anno Band

3

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25

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14.06.1890

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193-247

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