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FEUILLE FÉDÉRALE 91e année

Berne, le 5 avril 1939

Volume I

Paraît une fois par semaine. Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis: 60 Centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative concernant le droit de nécessité et la clause d'urgence.

(Du 3 avril 1939.)

Monsieur le Président et Messieurs, Par décision des 22/23 juin 1938, vous nous avez transmis pour étude et rapport l'initiative concernant « la réglementation constitutionnelle du droit d'urgence ». L'initiative émane de l'union des indépendants. Déposée le 7 avril 1938, elle est appuyée de 55 786 signatures valables.

Nous avons l'honneur de vous exposer notre avis à ce sujet.

Les auteurs de l'initiative proposent de modifier le deuxième et le troisième alinéas de l'article 89 de la constitution fédérale et d'introduire dans la constitution un nouvel article 89 bis.

L'article 89, 2e alinéa, serait ainsi conçu: « Les lois fédérales, de même que les arrêtés fédéraux d'une portée générale, doivent être en outre soumis a l'adoption ou au rejet du peuple si la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons. Les conseils peuvent aussi décider que les lois fédérales ou des arrêtés fédéraux seront immédiatement soumis à l'adoption ou au rejet du peuple. » L'article 89 serait complété par le quatrième alinéa suivant (qui remplacerait le troisième alinéa actuel) : « Les arrêtés fédéraux d'une portée générale et dont l'entrée en vigueur ne saurait être différée peuvent être appliqués provisoirement jusqu'à l'expiration du délai référendaire et jusqu'à une votation populaire éventuelle, pour autant qu'ils ont été adoptés à l'appel nominal par la moitié au moins de tous les membres de chaque conseil. Ils deviennent caducs s'ils ne sont pas soumis au peuple et adoptés par celui-ci dans les quatre mois dès la remise du nombre de signatures requis pour demander la votation du peuple. » Feuille fédérale. 91e année. Vol. I.

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Le nouvel article 89 bis serait rédigé en ces termes : « En cas de mobilisation fédérale, les droits constitutionnels peuvent être provisoirement restreints par des arrêtés fédéraux d'une portée générale.

En cas de détresse économique générale, les conseils peuvent être autorisés, pour une durée maximum de deux années, par une loi qui devra être soumise à l'adoption ou au rejet du peuple, à restreindre, au moyen d'arrêtés fédéraux d'une portée générale, la liberté de commerce et d'industrie et à décréter des mesures financières extraordinaires; dans les deux cas, l'égalité devant la loi sera respectée.

Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux édictés en vertu de l'article 89 bis deviennent caducs une année au plus tard après la fin de la mobilisation au cas prévu dans le premier alinéa, ou après l'expiration de la loi au cas prévu dans le deuxième alinéa. Ils peuvent être soustraits au referendum s'ils sont adoptés à l'appel nominal par la moitié au moins de tous les membres de chaque conseil.

Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux qui auraient été promulgués en méconnaissance des articles 89 et 89 bis de la constitution fédérale n'engagent ni les autorités administratives, ni les tribunaux. » L'initiative est dirigée contre « les atteintes portées à l'exercice des droits populaires ». Elle est le fruit d'un malaise provoqué par des arrêtés fédéraux urgents édictés pendant la crise et notamment par leurs dispositions. Elle a donc une certaine ressemblance avec d'autres initiatives sur lesquelles le peuple a voté récemment: initiative concernant la modification du referendum facultatif (revision de l'art. 89, 2e al.), rejetée le 20 février 1938 par 488 195 voix contre 87 638 et par tous les cantons; initiative pour l'extension de la juridiction constitutionnelle (revision de l'art. 113), rejetée le 22 janvier 1939 par 347 340 voix contre 141 323 et par tous les cantons ; initiative tendante à restreindre l'emploi de la clause d'urgence (revision de l'art. 89), déposée par le comité des lignes directrices, puis retirée en faveur de la contre-proposition de l'Assemblée fédérale.

Le contre-projet a été adopté le 22 janvier 1939 par 346 024 voix contre 155 032 et par 21 cantons contre un.

Conformément à l'article 15 de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour
les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, la votation sur l'initiative de l'union des indépendants a dû être différée tant que l'initiative antérieure tendante à restreindre l'emploi de la clause d'urgence n'était pas liquidée, car les deux initiatives se rapportaient aux mêmes dispositions constitutionnelles. Maintenant que la votation populaire du 22 janvier 1939 a introduit dans la constitution un nouveau texte de l'article 89, le tour de l'initiative de l'union des indépendants est arrivé.

543 L'article 89 soumet au referendum facultatif les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale. Les simples arrêtés, soit ceux qui n'ont pas une portée générale, sont pris définitivement par l'Assemblée fédérale. Les arrêtés de portée générale doivent, en principe, être rendus sous réserve du referendum facultatif, excepté le cas de déclaration d'urgence. Le nouveau texte de l'article 89, accepté le 22 janvier et maintenant en vigueur, restreint l'emploi de la clause d'urgence, en ne considérant l'urgence que par rapport au temps, en exigeant en outre la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils (ce qui exclut toute majorité de hasard) et en prescrivant que la durée de l'application des arrêtés déclarés urgents sera limitée (par quoi le caractère passager des arrêtés urgents est sauvegardé, puisque leur transformation en dispositions durables nécessite l'adoption d'une loi ou d'un arrêté soumis au referendum).

Le titre allemand de l'initiative indique qu'elle a trait « au droit de nécessité et à l'urgence » (Volksbegehren betreffend Notrecht und Dringlichkeit). Le titre français est moins heureux; il porte que l'initiative concerne « la réglementation constitutionnelle du droit d'urgence » et ne mentionne pas le droit de nécessité, alors que, précisément, la réglementation proposée de ce droit est un élément essentiel qui distingue cette initiative des autres, rappelées plus haut. Il convient donc d'accorder la préférence au titre « initiative concernant le droit de nécessité et la clause d'urgence ».

Droit de nécessité et urgence ne sont pas des notions identiques; ils ne se trouvent pas sur le même plan, mais constituent les deux faces de nombreux arrêtés de crise. La déclaration d'urgence est une notion de procédure législative, elle vise la forme de l'arrêté. C'est l'exception à la règle selon laquelle les arrêtés de portée générale sont sujets au referendum facultatif. La clause d'urgence empêche de demander le referendum, l'entrée en vigueur de l'acte législatif ne souffrant aucun délai. Le droit de nécessité est au contraire caractérisé par le fond extraordinaire de l'acte; le fait que son contenu déborde le droit constitutionnel normal ou les lois en vigueur est essentiel pour cet arrêté. Celui-ci renferme des dispositions qui, normalement, ne peuvent être
statuées par des arrêtés fédéraux de portée générale, mais exigent une revision constitutionnelle ou, du moins, une loi fédérale. La forme habituelle des actes de l'Assemblée fédérale qui instituent un droit de nécessité, c'était jusqu'à présent celle de l'arrêté muni de la clause d'urgence. L'emploi de cette voie législative donne force obligatoire à l'arrêté, puisque, en vertu de l'article 113, 3e alinéa, de la constitution, les arrêtés urgents ont aussi force obligatoire.

L'initiative propose une nouvelle réglementation et un renforcement de la collaboration populaire à l'activité législative, et cela notamment pour les arrêtés de portée générale. Elle tend à rendre plus difficile la suppression du referendum et à mieux garantir les droits populaires. Ce qu'il y a de plus important dans la nouvelle réglementation, ce sont les

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propositions relatives au droit de nécessité. Il s'agit de créer une nouvelle catégorie d'arrêtés de portée générale: celle des arrêtés pris en cas de nécessité (décrets dits de nécessité). L'article 89 ois a cherché à en déterminer les conditions, à en circonscrire leur contenu et à en limiter leur validité dans le temps pour en diminuer le nombre. On a essayé de la sorte de définir clairement le droit de nécessité dans la constitution et de le canaliser par là même.

L'initiative crée pour ces décrets de nécessité une forme législative nouvelle, elle institue une catégorie particulière d'arrêtés de portée générale qu'elle distingue des arrêtés urgents. Ceux-ci ne seraient plus qu'une forme d'actes destinés à des époques normales (ou, plus exactement, une forme d'actes législatifs dont le fond resterait dans le cadre du droit constitutionnel normal ou des lois en vigueur). La distinction entre « urgence à des époques normales » et « arrêtés pris en cas de nécessité » permettrait, selon les auteurs de l'initiative, de transformer l'effet de la déclaration d'urgence pour sauvegarder dans la mesure du possible les droits populaires malgré cette déclaration. D'après leur proposition, la clause en question doit seulement permettre l'entrée en vigueur immédiate de l'arrêté et son application jusqu'à la fin du délai de referendum ou jusqu'à une votation populaire (qui devrait intervenir au plus tard quatre mois après le dépôt de la demande de referendum). La déclaration d'urgence n'aurait donc pour effet qu'une application « provisoire » de l'arrêté, soit pendant sept mois au maximum. L'arrêté urgent serait sujet au referendum et deviendrait caduc si l'expiration du délai référendaire sans demande de referendum ou l'adoption par le peuple ne le rend pas définitif.

Il y aurait ainsi trois catégories d'arrêtés fédéraux de portée générale: 1° l'arrêté ordinaire édicté sous réserve du referendum et non muni de la clause d'urgence (comme maintenant) ; 2° l'arrêté déclaré urgent, entrant provisoirement en vigueur pour sept mois au maximum; il serait muni de la clause d'urgence et son application ultérieure dépendrait de la décision tacite ou expresse du peuple; 3° l'arrêté édicté dans les cas de nécessité en vertu de l'article 89 bis (arrêté pris par nécessité) ; ou bien il serait muni de la clause de referendum
-- en ce cas, il se distinguerait de l'arrêté ordinaire seulement en ce sens qu'il pourrait être édicté librement dans le cadre plus large de l'article 89 bis --; ou bien il serait soustrait au referendum en cas d'adoption par la moitié de tous les membres de chaque conseil.

La dernière phrase du deuxième alinéa de l'article 89 introduit une nouvelle variante: Les conseils peuvent décider que des lois fédérales ou des arrêtés fédéraux seront immédiatement soumis au peuple. Les auteurs de l'initiative voient dans cette consultation populaire directe un facteur de rapidité, l'Assemblée fédérale pouvant s'adresser d'emblée au peuple sans attendre l'aboutissement d'un referendum. Lorsque l'Assemblée fédérale ferait usage de ce droit, la votation populaire immédiate remplacerait le referendum facultatif.

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Le quatrième alinéa de l'article 89 bis a pour but de garantir l'observation des nouvelles dispositions; il statue que les lois et arrêtés fédéraux édictés « en méconnaissance des articles 89 ou 89 bis » ne lient ni les autorités administratives ni les tribunaux. Cette disposition, qui s'écarte de l'article 113, 3e alinéa, de la constitution, et la disposition qu'on vient de citer, relative à la consultation directe du peuple, s'appliqueraient aussi aux lois fédérales.

On s'est demandé si l'initiative respecte le principe de l'unité de la matière. Aux termes de l'article 121, 3e alinéa, de la constitution, lorsque l'initiative populaire présente plusieurs dispositions différentes (« mehrere verschiedene Materien ») pour être revisées ou pour être introduites dans la constitution fédérale, chacune d'elles doit former l'objet d'une demande distincte. Il est indifférent que l'intitiative propose la revision d'un ou de plusieurs articles constitutionnels. Ce qui importe, c'est l'homogénéité de son objet. Elle ne doit pas réunir ce qui est distinct quant au fond. Elle ne doit pas non plus former un seul tout de plusieurs matières qui ne peuvent être unies que par un lien extérieur. Une connexité de fond doit exister entre les dispositions proposées. Il est difficile, à la vérité, de savoir quand une telle connexité existe. A l'avis du professeur Giacometti (Revue suisse de jurisprudenee, vol. 32, p. 93 s.), il en serait ainsi lorsque les règles proposées ont entre elles un rapport logique, lorsque l'une a logiquement l'autre pour corollaire, ou que l'une est un moyen nécessaire pour l'autre.

Si, par exemple, l'une des règles n'était pas un moyen nécessaire pour l'autre, en sorte que celle-ci pourrait aussi être mise en oeuvre par des moyens différents, l'unité de la matière ne serait pas respectée. Cette conception est toutefois trop étroite; elle restreint outre mesure le droit d'initiative, car elle empêche de faire des propositions étendues, embrassant un large domaine. Même si un projet est très simple, on ne saurait éviter que tel citoyen ne soit partisan de telle partie de ce projet et adversaire de telle autre, sans que, pour cela, on puisse l'accuser d'être illogique.

Même lorsqu'un principe et un mode d'exécution sont proposés, il peut facilement arriver que des citoyens admettent le principe,
mais préfèrent un autre mode. En ce cas, ils pèseront le pour et le contre et accepteront ou refuseront le projet. Le citoyen doit se prononcer sur une proposition concrète. En revanche, on ne saurait exiger qu'il émette un seul et même vote sur des objets différents sans rapport les uns avec les autres ou dont le lien est seulement apparent. Il eût été ainsi inadmissible de réunir en une seule plusieurs des initiatives pendantes, par exemple l'initiative concernant l'alcool et l'initiative concernant le transport des marchandises, puisqu'il se fût agi de matières dissemblables. L'Assemblée fédérale a eu raison de ne pas adopter la conception étroite définie plus haut. Pour l'initiative concernant la justice mihtaire, pour l'initiative visant un prélèvement sur les fortunes et pour l'initiative de crise (votations des 30 janvier 1921, 3 décembre 1922 et 2 juin 1935), elle a admis qu'il y avait unité

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de matière. Le seul cas où les conseils aient considéré l'unité comme rompue est celui de l'initiative concernant la naturalisation et la police des étrangers (votation du 11 juin 1922); on a estimé que les deux parties étaient indépendantes l'une de l'autre (Burckhardt, Droit fédéral II, n° 570; Kommentar, p. 815; cf. ATF 48, I, 163 à 166).

La réglementation proposée par l'union des indépendants veut assurer la collaboration du peuple à l'activité législative, notamment lors de l'adoption d'arrêtés de portée générale; elle tend à augmenter la garantie contre la suppression des droits populaires et elle forme un tout cohérent. Déjà l'introduction d'une nouvelle catégorie d'arrêtés de portée générale, en particulier la séparation des arrêtés dits de nécessité d'avec les arrêtés urgents, dénote clairement ce lien intime. Car l'institution actuelle de l'arrêté urgent serait divisée en deux institutions distinctes: d'une part l'arrêté urgent édicté aux époques normales et d'autre part l'arrêté urgent édicté en temps de crise. Ces deux institutions remplaceraient celle de l'arrêté urgent actuel, et, en conséquence, les articles 89, 4e alinéa, et 89 bis, pris ensemble, remplaceraient l'article 89, 3e alinéa, en vigueur. Seule la création d'une forme particulière d'arrêtés pour le droit de nécessité permet de transformer la déclaration d'urgence par une application provisoire de l'arrêté. La solution proposée suppose nécessairement une soupape de sûreté pour l'état de nécessité. L'article 89 bis crée cette soupape.

Cela montre la connexité des dispositions proposées pour les arrêtés urgents et pour le droit de nécessité. Il s'avère ainsi que ces dispositions de l'initiative forment bien un tout homogène et que l'unité de l'objet est respectée.

Quant aux deux autres dispositions (possibilité d'une consultation directe du peuple sur des lois et arrêtés fédéraux et invalidité des lois et arrêtés édictés en méconnaissance des art. 89 et 89 bis), elles apparaissent comme des éléments complémentaires, qui ne rompent pas l'unité de la matière.

Dans la suite de ce rapport, nous examinerons sous lettre A la question du droit de nécessité (art. 89 bis, trois premiers alinéas) et sous lettre B les autres questions au sujet desquelles nous pourrons être beaucoup plus brefs: propositions relatives à l'urgence
pendant les époques normales, à la consultation populaire directe et à l'effet de la méconnaissance des articles 89 et 89 bis (art. 89, 2e et 4« al. et art. 89 bis, 4e al., du texte de l'initiative).

A. LE DROIT DE NÉCESSITÉ I.

Le droit de nécessité est le produit d'une activité législative extraordinaire déployée alors que l'Etat se trouve dans un cas de nécessité.

Il a pour fin de parer à un danger qui menace l'existence même de l'Etat.

Par droit de nécessité nous désignons d'une part le principe suivant lequel

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le cas de nécessité autorise l'Etat à prendre des mesures extraordinaires qui dépassent le cadre du droit constitutionnel normal ou des lois en vigueur et, d'autre part, les arrêtés qui procèdent de ce principe. Dans les actes législatifs de la Confédération, les arrêtés pris par l'Assemblée fédérale en cas de nécessité sont au premier plan, car les arrêtés de ce genre, édictés par le Conseil fédéral, s'appuient en règle générale sur une délégation de pouvoir de l'Assemblée fédérale (autorisation préalable ou approbation après coup). L'essentiel, dans le droit de nécessité, c'est le contenu extraordinaire de l'acte, en ce sens que l'arrêté de portée générale établit des règles qui, normalement, sortent de son domaine et exigent soit une revision constitutionnelle, soit, du moins, une loi fédérale. Cette activité législative extraordinaire n'est pas limitée par les droits individuels du citoyen et par les attributions constitutionnelles dans la même mesure que lorsqu'il s'agit d'actes législatifs ordinaires. Le droit de nécessité peut notamment empiéter sur les droits individuels, autant que la nécessité l'exige. Il peut également déroger, en tant que nécessaire, au partage normal de la compétence législative entre la Confédération et les cantons. Il peut enfin déroger à des lois fédérales. En effet, alors que, selon la règle, un arrêté fédéral ne saurait modifier les dispositions d'une loi fédérale, l'état de nécessité comporte exception à la règle ; il permet que, momentanément, un arrêté déroge à des lois fédérales lorsque l'état de nécessité le requiert impérieusement (BS 1920: CE 441; 1917: CE 222; 1914: CN 496; v. aussi Burckhardt, Droit fédéral II, n° 617).

Que l'Etat puisse se trouver dans un cas de nécessité, la guerre mondiale et la crise économique l'ont montré de manière péremptoire. En 1914, l'ouverture des hostilités menaça 'd'emblée notre indépendance politique et économique; l'état de nécessité fut particulièrement manifeste. Quant à la crise économique, elle a pris des proportions tout à fait inattendues; elle a ébranlé jusque dans ses fondements notre économie nationale et l'existence même d'une grande partie de notre population, au point qu'un grave danger a menacé notre pays. A de telles époques, des mesures extraordinaires s'imposent pour la défense de l'Etat. Il est de toute
importance d'agir vite et énergiquement, sans avoir l'obligation d'observer toutes les formalités d'une procédure constitutionnelle normale. Il faut s'adapter immédiatement aux circonstances du moment. Les conjonctures varient.

Des événements inopinés se produisent et des mesures non prévues doivent être prises. Personne ne conteste d'ailleurs qu'il puisse y avoir un véritable état de nécessité et que de fait il en existe. Aucun gouvernement ne peut se passer de la compétence voulue pour y faire face (cf. Fleiner, Schweiz.

Zentralblatt für Staats- und Gemeindeverwaltung 1927, p. 572).

L'Etat démocratique, notamment la démocratie qui reconnaît le droit de referendum, a besoin d'une soupape de sûreté permettant aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour parer aux dangers inhérents à

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l'état de nécessité. La constitution démocratique garantit les libertés des citoyens; elle délimite étroitement les attributions des autorités. C'est pourquoi il faut que, dans les cas de nécessité, elle ait ses coudées suffisamment franches pour que l'adaptation aux circonstances et aux besoins réels soit possible. La démocratie échouerait si l'on ne prenait soin de réserver la liberté d'action indispensable en cas de nécessité. Pour maintenir le régime juridique qui protège la liberté et sert la justice, des mesures extraordinaires peuvent s'imposer, qui dérogent temporairement à la constitution et aux lois. Cela seul permet de traverser la crise et de sauvegarder l'Etat et la constitution malgré les dangers imminents qui les entourent.

La constitution fédérale ne prévoit le droit de nécessité qu'en matière de douanes (art. 29, dernier al.). Nos rapports du 17 septembre 1937 et du 10 mai 1938 sur les initiatives visant à étendre la juridiction constitutionnelle et à restreindre l'emploi de la clause d'urgence ont déjà exposé que, malgré l'absence de règle constitutionnelle expresse, il était possible de s'écarter des dispositions constitutionnelles ou légales en vigueur pour prendre les mesures commandées par l'état de nécessité. En effet, le droit de nécessité non écrit se justifie si l'on considère que les droits constitutionnels des citoyens et la délimitation constitutionnelle de la compétence présupposent l'existence de l'Etat. Si la Confédération disparaît, la constitution disparaît avec elle, et c'en est alors fait des libertés instituées par elle et du pouvoir conféré à la Confédération et aux cantons. Le sens de la constitution peut-il être que les droits individuels et le partage des attributions entre les autorités fédérales et celles des cantons doivent, en toutes circonstances, demeurer intacts, fût-ce au prix de la ruine de la Confédération ? La négation d'un droit de nécessité non écrit conduirait, en dernière analyse, au résultat absurde que l'anéantissement de l'Etat et, avec lui, des libertés et de la constitution serait d'importance secondaire, l'essentiel étant qu'aussi longtemps que l'Etat subsiste, la lettre de chaque disposition constitutionnelle soit à tout prix strictement respectée. De la sorte, on mettrait la lettre des différents articles au-dessus de l'esprit de la
constitution tout entière. Une pareille absurdité est évidemment contraire à la volonté du législateur. La constitution ne peut avoir un sens qui empêcherait de défendre, efficacement l'existence de l'Etat et de son ordre juridique. Or c'est à cela qu'on aboutit en ne permettant de prendre en toutes circonstances que les seules mesures qui laissent intacts les droits individuels et ne franchissent point les limites assignées à la compétence des autorités. Lorsqu'un danger grave menace l'existence même de l'Etat, on doit pouvoir sortir du cadre constitutionnel dans la mesure où la nécessité l'exige. Par cette restriction, temporaire seulement et limitée à l'indispensable, la protection des droits constitutionnels est mieux assurée, puisque, sans eue, ils risqueraient de sombrer. De cette interprétation raisonnable de la constitution, il appert que les mesures

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dictées par la nécessité sont conformes au droit. Au surplus, on ne conteste pas sérieusement qu'en cas de véritable nécessité une dérogation au droit constitutionnel normal ne soit justifiée. Il est du reste certainement conforme à la conception que le peuple suisse se fait du droit de dire que les autorités fédérales ont le devoir de prendre les mesures rapides et énergiques requises par l'état de nécessité. Ainsi, on n'a pas mis en doute la légitimité de l'arrêté du 3 août 1914 qui conférait des pleins pouvoirs au Conseil fédéral. Nous rappelons que le Tribunal fédéral reconnaît lui aussi le droit de nécessité non écrit (ATT 41, I, 553).

Les dérogations susindiquées étant conformes au droit, on ne saurait parler de violation de la constitution, puisque pareille violation suppose nécessairement un acte contraire au droit. L'expression « violation de la constitution » laisse entendre qu'il y a eu abus et que la mesure prise est illicite, alors qu'en cas de nécessité le devoir des autorités est de prendre les mesures de protection indispensables. On a, il est vrai, aussi émis l'opinion que le droit de nécessité est « une violation licite de la constitution », ce qui est une contradiction.

Une autre question est celle de l'emploi judicieux du droit de nécessité dans chaque cas particulier, c'est-à-dire de savoir si le pays se trouve en' état de nécessité et si cet état exige précisément la mesure ordonnée ou proposée. Sur ce point, les avis peuvent différer. L'individu incline à considérer les choses du point de vue de ses intérêts personnels. La mesure qui le protège et lui est utile, il l'a considérera volontiers comme inévitable ; peut-être même ne la trouvera-t-il pas assez radicale, car le danger qu'il court personnellement lui apparaît particulièrement grand. En revanche, il sera, porté à trouver inutile et fausse une mesure qui diminue ses libertés ou lui impose des charges. Les autorités fédérales ne peuvent adopter une manière de voir aussi subjective; elles doivent apprécier la situation d'après des critères objectifs, en considérant l'intérêt général. Sans doute, elles ne peuvent prétendre .à l'infaillibilité, mais elles ont du moins agi en conscience et de leur mieux. Lorsqu'on critique l'usage fait du droit de nécessité et telle ou telle mesure extraordinaire, on ne doit pas perdre
de vue que ces moyens nous ont permis de tenir pendant la guerre, d'atténuer sensiblement les effets de la crise économique et de la rendre supportable.

Le droit de nécessité suppose un danger sérieux pour la communauté et l'impossibilité d'y parer par des mesures prises dans le cadre normal de la constitution et des lois. On ne peut énumérer les différents cas de nécessité, ni les moyens appropriés, car les événements ne sauraient être prévus avec quelque certitude, et leurs effets peuvent être très variés.

Le danger justifie-t-il, dans un cas donné, l'exercice du droit de nécessité et les moyens employés ? C'est une question qu'on peut seulement résoudre après avoir pesé les intérêts publics menacés et si l'on connaît toutes les circonstances importantes de ce cas.

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Le droit de nécessité trouve une limite dans le devoir de déroger le moins possible à la constitution et aux lois fédérales, puisque, aussi bien, il n'y a lieu de prendre que les mesures nécessaires. La validité des mesures extraordinaires doit être temporaire, vu qu'il s'agit de traverser une crise.

Ce caractère passager ne permet pas de voir dans ces arrêtés une atteinte à la démocratie.

II.

L'initiative veut le retour à un état de choses purement démocratique et constitutionnel. Elle veut aussi sauvegarder les libertés. Pour pouvoir les garantir en temps normal, on propose un article réglant le droit de nécessité de manière à ne pas toucher en principe aux droits populaires et à permettre néanmoins aux autorités d'agir en cas de nécessité. Voilà pourquoi les auteurs de l'initiative désirent que la constitution détermine clairement les pouvoirs des autorités et définisse nettement le droit de nécessité afin de créer une base constitutionnelle pour la limitation temporaire des droits conférés par la constitution.

L'initiative prévoit deux cas de nécessité : d'une part, « le cas de mobilisation fédérale » (art. 89 bis, 1er al.) et, d'autre part, « le cas de détresse économique générale » (art. 89 bis, 2e al.): Cette distinction procède apparemment de l'idée qu'en cas de mobilisation les autorités fédérales doivent avoir une plus grande liberté d'action pour pouvoir parer plus efficacement au danger, tandis qu'en temps de crise les mesures extraordinaires comportent de plus étroites limites.

Par « cas de mobilisation fédérale », il faut comprendre la mobilisation en vue du service actif (art. 8, lettre b, et art. 198 OM; art. 102, ch. 11, Cst.). Ce qu'on vise ainsi, c'est le temps pendant lequel les troupes sont « mises sur pied pour un service actif» (voir les art. 86, 87, 89, 97 et 102, etc.

CPM). La condition de l'application de l'article 89 bis, 1er alinéa, serait donc la mise sur pied de troupes pour un service actif; une mobilisation partielle suffit sans aucun doute, et « les cas de mobilisation fédérale » durent aussi longtemps que des troupes sont en service actif. A la vérité, le récent arrêté fédéral du 3 février 1939 « autorisant des levées extraordinaires de troupes en 1939 » (RO 55, 254) montre qu'il peut y avoir un genre intermédiaire de service entre le service actif et le service d'instruction. Mais, comme l'arrêté range ces levées extraordinaires dans les services d'instruction, elles ne constitueraient guère des « cas de mobilisation fédérale ». La question essentielle est cependant de savoir si, suivant les circonstances, il ne faudrait pas prendre des mesures extraordinaires déjà avant une mobilisation. Un pareil cas de nécessité peut exister. La disposition proposée
par les auteurs de l'initiative serait alors inopérante. En ce qui concerne la portée du droit de nécessité prévu pour les cas de mobilisation, ledit alinéa premier statue que « les droits constitutionnels peuvent être restreints provisoirement par des arrêtés fédéraux de portée générale ».

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Nous partons de l'idée qu'un tel arrêté n'exclurait pas une délégation de pouvoirs au Conseil fédéral, puisque cette délégation peut être inévitable en cas de mobilisation. L'alinéa premier règle la relation entre droit de nécessité et droits individuels d'une manière qui laisse aux autorités fédérales la liberté d'action nécessaire. En revanche, on ne voit pas clairement la relation avec les autres dispositions constitutionnelles. Ainsi, le partage de la compétence entre Confédération et cantons constitue-t-il une limite infranchissable pour le droit de nécessité ? L'alinéa premier vise-t-il seulement à régler le rapport avec les droits individuels, dans l'idée que les autres dispositions constitutionnelles ne forment pas un obstacle pour le droit de nécessité, ou bien la restriction des libertés individuelles est-elle seule possible, à l'exclusion de toute dérogation aux autres principes constitutionnels ? Cette question n'est pas résolue. Au surplus, les arrêtés pris en vertu de l'article 89 bis, 1er alinéa, peuvent ordonner toutes les mesures jugées nécessaires pour parer au danger qui a motivé la mobilisation.

Le deuxième alinéa institue une autre réglementation pour le « cas de détresse économique générale ». Les auteurs de l'initiative admettent qu'en dehors du cas de mobilisation seul le peuple lui-même peut « renoncer » à ses droits, en conférant des pouvoirs particuliers à l'Assemblée fédérale.

Pour ce motif, ils font dépendre de l'autorisation par une loi la compétence pour décréter le droit de nécessité en cas de détresse économique générale. Cette loi est soumise au referendum obligatoire, et sa validité est de deux ans au maximum. La loi d'autorisation établirait l'existence d'un cas de détresse économique générale. L'autorisation permettrait aux conseils législatifs de « restreindre, au moyen d'arrêtés fédéraux d'une portée générale, la liberté du commerce et de l'industrie » et de « décréter des mesures financières extraordinaires », tout en respectant, dans les deux cas, l'égalité devant la loi. Cette solution aurait, il est vrai, l'avantage de faire constater par un acte authentique du peuple que la condition du droit de nécessité est remplie et de faire préciser au besoin par la loi l'étendue des pouvoirs conférés. Aussitôt la loi édictée, il y aurait une base sûre pour les
mesures à prendre. En revanche, avant l'adoption de la loi, aucune mesure extraordinaire ne pourrait être ordonnée. La réglementation proposée soulève donc des objections sérieuses. Le cas de nécessité ne surgit pas au moment où la loi d'autorisation permet d'agir, il existe déjà avant cette date. Et entre le moment de l'adoption de la loi par l'Assemblée fédérale et celui de la votation populaire, un certain temps s'écoule nécessairement, durant lequel rien ne pourrait être entrepris. Nous vous rappelons que, d'après la législation en vigueur, l'acte soumis au peuple doit être remis aux citoyens actifs au plus tard quatre semaines avant la votation et qu'auparavant il faut imprimer le texte de la loi et l'envoyer aux cantons et aux communes. A-t-on vraiment voulu interdire de prendre avant l'adoption de la loi par le peuple les mesures indispensables pour écarter

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le danger, -- du moins autant que la loi déroge à la constitution ? Il pourrait arriver que, par suite de l'obligation de consulter le peuple, au sujet de la loi d'autorisation, il soit impossible d'agir à temps. Les difficultés pratiques apparaissent dès qu'on se demande à quel moment il eût fallu édicter une pareille loi pendant la dernière crise économique. Etait-ce déjà en automne 1931 ? Mais à cette époque on ne pouvait guère prévoir l'ampleur que prendraient les mesures dictées par l'état de nécessité.

En outre, il est douteux que la nécessité de prendre des mesures aussi radicales fût alors si généralement reconnue qu'une loi d'autorisation eût été acceptée. Les cas de détresse économique ne se manifestent pas d'un seul coup dans toute leur gravité; ils s'aggravent peu à peu. Au début, on hésitera à édicter une loi conférant aux conseils législatifs des pourvoirs étendus. Et si l'on attend que la détresse soit très grave, il sera impossible d'agir utilement avant l'adoption de la loi. Le pays risque alors de souffrir un dommage irréparable.

La loi fixerait l'étendue de l'autorisation dans le cadre du deuxième alinéa. Ou bien l'autorisation sera générale, permettant d'édicter toutes mesures nécessaires pour combattre la crise, ou bien elle sera limitée et enumererà certains buts à atteindre. Pour les mesures financières, le deuxième alinéa fait une seule réserve: l'égalité devant la loi sera respectée.

La loi d'autorisation pourrait prévoir d'autres limites. Quant aux mesures d'économie politique, le deuxième alinéa dispose que seule la liberté du commerce et de l'industrie peut être restreinte, en sorte que les restrictions d'autres droits individuels sont exclues. On peut se demander si, en cas de détresse économique générale, d'autres droits ne pourraient pas être touchés suivant les circonstances. Quant à l'égalité de traitement, elle exige seulement qu'à l'égalité des faits corresponde l'égalité des droits ou qu'en cas d'inégalité essentielle des faits, une différence adéquate soit faite en droit. Ce principe constitutionnel n'est violé que si, dans le premier cas, une différence est faite et si, dans le second, aucune différenciation n'a lieu. Il sera en général possible de sauvegarder même en temps de crise économique la garantie constitutionnelle ainsi comprise. En ce qui concerne
la liberté du commerce et de l'industrie, il faudra aussi se poser la question du rapport existant entre le deuxième alinéa de l'article 89 bis de l'initiative et les nouveaux articles économiques de la constitution (art. 31 s.) ; nous réservons la question, puisque le texte des nouveaux articles n'est pas encore arrêté. De même que le premier alinéa, le deuxième ne dit pas clairement si les mesures extraordinaires peuvent déroger à d'autres dispositions constitutionnelles.

Qu'en est-il des autres cas de nécessité que ceux de mobilisation ou de détresse économique ? Le sens de l'initiative est vraisemblablement que l'article 89 bis énumère limitativement les cas où des mesures extraordinaires peuvent être décrétées, en sorte qu'il n'y a pas de droit de nécessité en dehors des limites de l'article 89 bis. Mais il pourrait arriver qu'un

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autre état de nécessité se présente et que, pour parer efficacement à un danger menaçant l'existence même de l'Etat, on soit obligé de prendre des mesures extraordinaires, avant la mobilisation ou avant l'adoption de la loi autorisant ces mesures. Dans ce cas, l'article 89bis serait inopérant.

Aux termes du troisième alinéa de cet article, tout arrêté fédéral édicté en vertu des alinéas 1er ou 2e peut être soustrait au referendum s'il est adopté à l'appel nominal par la moitié au moins de tous les membres de chaque conseil. Si cette majorité n'est pas atteinte, l'arrêté est sujet au referendum facultatif. La majorité requise pour exclure le referendum est presque identique à celle que prévoit l'article 89 actuellement en vigueur pour la déclaration d'urgence d'un arrêté fédéral. Cette dernière disposition exige « la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils », l'initiative, « la moitié au moins de tous les membres de chaque conseil ».

Le résultat sera le même lorsque le nombre des membres est impair. S'il est pair, la différence est minime ; lorsque, par exemple, le Conseil des Etats compte 44 membres, il faut 23 voix selon l'article 89 en vigueur, tandis que d'après l'initiative 22 voix suffiraient. D'autre part, tandis que l'article 89 vise la votation sur l'urgence, l'initiative semble viser la votation sur l'arrêté même. L'initiative prescrit en outre la votation à l'appel nominal; on y voit un moyen de déterminer la responsabilité des députés. A notre avis, une telle prescription n'est pas à sa place dans la constitution.

Le mode de votation figure et doit figurer dans les règlements des conseils.

Le règlement du Conseil national permet d'ailleurs au président ou à trente membres d'exiger la votation à l'appel nominal. Au Conseil des Etats, dix députés ont le même droit. Il n'y a guère de motif de prescrire à titre général la votation à l'appel nominal pour les arrêtés pris en cas de nécessité (comme d'ailleurs pour les arrêtés urgents, art. 89, 4e al., de l'initiative); ce mode de votation s'impose d'autant moins que, ces dernières années, la plupart des arrêtés urgents ont réuni l'unanimité ou presque l'unanimité des voix et que, dans ces cas, l'appel nominal ne serait qu'une perte de temps.

D'après le troisième alinéa de l'article SQbis, les lois et les arrêtés fédéraux
édictés en vertu de cet article « deviennent caducs une année au plus tard après la fin de la mobilisation » (ce qui doit sans doute signifier après la fin du service actif) ou après l'expiration de la loi d'autorisation. On ne discerne pas pourquoi l'alinéa mentionne aussi les lois fédérales, car la loi d'autorisation n'est certes pas visée, puisqu'elle est abrogée automatiquement à la fin des deux ans de durée maximum. Cette loi exceptée, les alinéas premier et deuxième ne prévoient que des arrêtés fédéraux, non des lois fédérales. Il est très douteux que, pour les arrêtés pris en cas de mobilisation, le délai d'une année après la fin du service actif soit toujours suffisant, car plus les mesures ordonnées auront été amples, plus il faudra de temps pour revenir à l'état normal. Quant à la durée des arrêtés édictés en cas de détresse économique, on doit considérer que la loi confère

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une autorisation pour deux ans au maximum et qu'après ce laps de temps une seconde loi, soumise également à la votation populaire, peut renouveler l'autorisation pour deux autres années. Au plus tard un an après l'expiration définitive de la loi, tous les arrêtés fondés sur le deuxième alinéa deviennent caducs. Ce délai paraît, lui aussi, trop rigide et mal adapté aux différentes situations possibles. Certes, on a raison de penser que, vu son caractère temporaire, le droit de nécessité ne doit pas durer au-delà du temps voulu pour remédier à la situation, mais il faut se garder d'une solution rigide qui ne répond pas aux besoins réels.

L'examen des trois premiers alinéas de l'article 89 ois révèle donc que ces dispositions ne garantissent pas qu'en cas de nécessité, l'action indispensable pour écarter le danger puisse intervenir à temps. En particulier, les conditions auxquelles l'initiative subordonne le droit de nécessité sont insuffisantes, puisque d'autres cas de nécessité que les deux cas prévus sont possibles et que des mesures extraordinaires peuvent s'imposer avant même qu'une mobilisation soit décrétée ou que la loi d'autorisation soit adoptée. Ces lacunes font qu'au besoin les autorités devraient, malgré l'article 89 ois, s'appuyer sur un droit de nécessité non écrit ou renoncer à intervenir efficacement et à temps pour éloigner le péril, ce qui pourrait avoir des conséquences funestes. Prêtent en outre à la critique l'imprécision des mesures visées aux deux premiers alinéas, notamment le défaut d'un rapport net avec d'autres dispositions constitutionnelles que celles qui ont trait aux droits individuels, et les limites trop étroites assignées au droit de nécessité en cas de détresse économique. Trop peu souple paraît enfin la disposition relative à l'expiration de la validité des arrêtés.

Les dispositions proposées sur le droit de nécessité ont été conçues avec le souci de protéger les droits constitutionnels, mais elles ne fournissent pas suffisamment aux autorités la possibilité de prendre les mesures extraordinaires voulues pour surmonter l'état de nécessité. L'initiative ne se soucie pas assez de maintenir l'Etat et, partant, toute la constitution.

Dès lors, le projet est inacceptable et nous vous proposons de rejeter l'initiative.

III.

Pour savoir si un contre-projet doit être
établi, il faut examiner s'il y a lieu de régler le droit de nécessité dans la constitution. L'idée qu'un article de la constitution devrait définir clairement le droit de nécessité a, en vérité, quelque chose de séduisant à première vue. Mais il ne faut pas se faire d'illusions et il importe de se rendre compte des difficultés de la tâche.

Celui qui préconise une pareille réglementation a principalement en vue une délimitation nette du droit de nécessité; la constitution devrait en préciser les conditions et en limiter la portée et la durée. On part de l'idée qu'ainsi les autorités auraient les moyens de prendre, en cas de

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nécessité, les mesures indispensables et que l'article constitutionnel garantirait au peuple le respect de ses droits et dissiperait la méfiance, ce qui affermirait la position des autorités en les préservant du reproche de violer la constitution.

Mais lorsqu'on veut rédiger une disposition sur le droit de nécessité, on se trouve fatalement devant l'alternative suivante: ou bien on adopte une formule large et élastique, mais alors elle ne permet pas de délimiter clairement le droit de nécessité ni de le restreindre et comporte même le danger que ce droit ne se développe encore bien davantage; ou bien on adopte une formule étroite, mais alors on aboutit à une stricte limitation du droit de nécessité, et l'article constitutionnel risque d'être inopérant quand on devra l'appliquer. La nécessité ne se laisse pas réduire en formules.

Elle apparaît même lorsqu'on ne la prévoit pas. Déjà la prochaine crise pourra avoir un aspect tout autre que celui qu'on se représente au moment de rédiger la règle constitutionnelle. Des événements imprévisibles et des effets inattendus peuvent se produire, en sorte qu'il est impossible de savoir quelles mesures seront nécessaires.

Pour qu'une règle sur le droit de nécessité atteigne son but, elle doit fournir une base suffisante aux mesures indispensables en temps de crise, tout en définissant ce droit de manière claire et nette. Ces deux exigences sont contradictoires. One ne peut les concilier. Si l'on veut que l'article couvre tous les cas de nécessité, on devra le rédiger en termes généraux, qui pourraient être les suivants: « En cas de nécessité, l'Assemblée fédérale peut prendre les mesures qui s'imposent. Ces mesures ne peuvent déroger aux dispositions de la constitution et des lois qu'autant que cela est nécessaire pour écarter le danger. Elles ne resteront pas en vigueur au-delà du temps nécessaire. » Une telle disposition donnerait aux autorités une liberté d'action suffisante pour prendre les mesures commandées par les cas de nécessité.

Mais elle ne contient pas de définition claire et précise. Sa rédaction vague laisserait gravement à désirer, notamment parce qu'elle ne restreindrait pas le droit de nécessité et ne garantirait point contre la méconnaissance des droits populaires. Au contraire, elle conduirait à une extension du droit de nécessité. Aussi
une pareille disposition ne serait-elle pas acceptable.

Si l'on part de l'idée qu'il n'y a pas lieu de prévoir dans la constitution tous les cas de nécessité qui pourraient se produire, mais qu'il serait indiqué de prévoir au moins ceux qui, d'après les expériences faites, ont révélé le besoin impérieux de mesures extraordinaires étendues, alors on peut songer à une réglementation partielle du droit de nécessité; la disposition pourrait, par exemple, être rédigée comme il suit: « L'Assemblée fédérale peut prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du pays et pour parer à des dangers extraordinaires

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menaçant l'économie nationale. Les droits constitutionnels ne pourront être restreints qu'autant que cela est nécessaire pour parer au danger.

Les mesures prises ne resteront pas en vigueur plus longtemps que nécessaire. » Une telle disposition suppose qu'on se rende compte que, le cas échéant, l'état de nécessité pourrait exiger des mesures sortant du cadre de l'article constitutionnel et qu'il faudrait alors combler cette lacune en recourant au principe non écrit du droit de nécessité. On renoncerait alors à épuiser la matière et on laisserait subsister le droit non écrit à côté de la règle positive. Le recours au droit non écrit serait simplement plus rare, puisqu'une base écrite existerait au moins pour les cas prévus. Un deuxième corollaire de la formule plus étroite serait que l'article restreint la limitation des droits constitutionnels mais n'empêche pas la dérogation à d'autres règles de la constitution. Toutefois, même si l'on admet ces deux conditions, la rédaction limitative donnerait lieu à de très sérieuses objections, puisqu'elle ne précise point la portée du droit de nécessité et n'exclut pas le recours aux principes non écrits et qu'elle comporte le risque d'extension de ce droit.

L'article en question ne pourrait pas non plus épargner aux autorités le reproche de violer la constitution. Car la constitutionnalité de telle ou telle mesure extraordinaire serait discutée tout autant que jusqu'ici. En réalité, ce n'est du reste pas le principe du droit de nécessité qui est sérieusement discuté, les avis diffèrent sur son application dans un cas particulier.

On continuerait à discuter si l'état de nécessité existe, s'il requiert précisément la mesure proposée ou prise et si la mesure se justifie objectivement.

Ce sont certains arrêtés qui ont provoqué, quant à leur objet, du mécontentement ça et là. Or l'article qu'on se propose d'introduire dans la constitution n'y changerait rien. Si l'on faisait dépendre l'action des autorités d'une condition de forme comme l'initiative le prévoit, la question de l'existence d'un cas de nécessité ne se poserait sans doute plus aussitôt que la · constatation authentique d'un tel cas serait intervenue (p. ex.

mobilisation ou loi d'autorisation). Mais même cette solution, qui présente du reste de graves inconvénients (v. ci-dessus ch. II), ne met
pas fin à la discussion relative à la constitutionnalité des mesures décrétées; la question de savoir s'il était nécessaire de les prendre et si elles sont justifiées peut continuer à susciter des divergences de vues, ce qui ne manquerait pas de provoquer le reproche de violation de la constitution. On irait même jusqu'à reprocher aux autorités d'abuser du nouvel article constitutionnel adopté pour délimiter exactement le droit de nécessité.

En conséquence, nous ne croyons point qu'un article réglant ce droit renforcerait la confiance dans nos autorités. La confiance ne dépend pas d'un texte écrit fixant le principe du droit de nécessité, elle dépend de la conviction que le cas de nécessité existe et que la mesure ordonnée est nécessaire.

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Nous rappelons, par exemple, que l'assemblée de la société suisse des juristes a abordé en 1934 la question du droit de nécessité, en même temps qu'elle discutait l'extension de la juridiction constitutionnelle. L'idée de réglementer le droit de nécessité a été combattue. Un article sur ce droit serait fort dangereux, a-t-on déclaré, et, même s'il était rédigé avec une extrême prudence, il risquerait d'ouvrir dans la constitution une brèche qui ferait sombrer les libertés constitutionnelles. Mieux vaudrait que les autorités fédérales prennent les mesures extraordinaires en pleine conscience de leur responsabilité; en l'absence d'une règle expresse, elles seraient portées à se limiter aux seuls cas de véritable nécessité. De fait, les réglementations édictées à l'étranger ont eu de mauvais résultats. En Suisse, la situation est, certes, différente, car les conceptions démocratiques essentielles sont profondément ancrées dans le peuple. Mais il faut reconnaître qu'un article sur le droit de nécessité donnerait aux autorités un moyen très commode de tourner certaines difficultés. La tentation d'y recourir sans motif impérieux pourrait à la longue faire admettre trop facilement l'existence d'un état de nécessité justifiant les mesures prises. On ne peut nier le danger d'une interprétation extensive. Si la constitution réglait expressément le droit de nécessité, on ferait valoir qu'il s'agit d'une institution constitutionnelle et que l'Assemblée fédérale est obligée d'user de son pouvoir. Les sollicitations intéressées se multiplieraient; on invoquerait l'article de la constitution et réclamerait encore plus de mesures extraordinaires que jusqu'à présent. Le danger d'une interprétation extensive serait, il est vrai, diminué si la constitution, suivant la proposition des auteurs de l'initiative, subordonnait les arrêtés à l'adoption d'une loi d'autorisation votée par le peuple, mais cette solution doit être rejetée en raison des autres inconvénients qu'elle présenterait.

Par ces motifs, nous arrivons à la conclusion qu'un article sur le droit de nécessité ne saurait remplir la tâche qu'on voudrait lui attribuer. Il ne peut ni limiter nettement ce droit, ni renforcer la confiance, ni mettre fin aux discussions sur la constitutionnalité des mesures en question.

On aura une meilleure garantie contre
l'atteinte portée abusivement aux droits populaires si la constitution ne contient pas de disposition sur le droit de nécessité et si l'on peut seulement invoquer le principe non écrit.

Ou bien l'article prêterait à une extension excessive des mesures extraordinaires, ou bien, s'il constitue un cadre étroit et rigide, il empêcherait, le cas échéant, de prendre des mesures d'une importance vitale, à moins que, même dans ce cas, on ne sorte de ses limites en vertu du droit de nécessité non écrit.

En réclamant l'introduction d'un article sur le droit de nécessité dans la constitution, on surestime la valeur de la lettre et des garanties de pure forme. Des garanties politiques contre une limitation des droits populaires nous sont fournies par le système bicaméral, par le serment constitutionnel, par la responsabilité et le sentiment de responsabilité des autorités Feuille fédérale. 91e année. Vol. I.

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fédérales, par la courte durée des fonctions et par l'opinion publique.

Mais la garantie la plus forte et la plus efficace réside dans les conceptions de droit public du peuple suisse et de ses autorités, notamment dans le sentiment démocratique profondément enraciné et la grande valeur que le citoyen suisse donne à ses libertés et à la structure federative de notre Etat.

Nous renonçons par conséquent à présenter un contre-projet et jugeons préférable d'en rester au droit de nécessité non écrit. Même la proposition de l'initiative d'instituer une forme particulière d'arrêtés pour les mesures extraordinaires (distincts des arrêtés fédéraux urgents) ne nous paraît pas nécessaire.

Nous ajoutons qu'actuellement on abroge dans la mesure du possible le droit de nécessité créé pendant la crise. Le régime transitoire des finances et la modification de l'article 89 de la constitution fédérale ont déjà .été acceptés par le peuple et les cantons, et les conseils s'occupent de la revision des articles économiques. La tension entre la lettre de la constitution et la réalité diminue par suite de ces revisions et de l'introduction des dispositions d'autres arrêtés dans les lois ordinaires, autant qu'elles ne peuvent pas encore être abrogées. Diverses règles édictées pendant la guerre et la crise à titre de droit de nécessité ont passé depuis dans la législation ordinaire. Mais il est possible que, dans un nouvel état de nécessité, de tout autres mesures deviennent nécessaires. Pour cette raison, il est impossible de renoncer au droit de nécessité non écrit.

B. LES AUTRES QUESTIONS /. L'arrêté fédéral urgent.

Depuis le dépôt de l'initiative, la votation du 22 janvier 1939 a consacré une réforme de l'arrêté fédéral urgent. L'article 89 de la constitution a maintenant la teneur suivante: « Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux ne peuvent être rendus qu'avec l'accord des deux conseils.

Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale doivent être soumis à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons.

Les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun délai peuvent être déclarés urgents par une décision prise à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils.

Dans ce cas, la votation
populaire ne peut pas être demandée. La durée d'application des arrêtés fédéraux urgents doit être limitée.

Les traités internationaux conclus pour une durée indéterminée ou pour plus de quinze ans sont soumis également à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons. »

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La première phrase de l'article 89, 2e alinéa, de l'initiative correspond à l'article 89, 2e alinéa, en vigueur (sauf une différence rédactionnelle insignifiante). Pour la seconde phrase proposée, nous renvoyons au chiffre II ci-après.

Le quatrième alinéa proposé pour l'article 89 est ainsi conçu: « Les arrêtés fédéraux d'une portée générale et dont l'entrée en vigueur ne saurait être différée peuvent être appliqués provisoirement jusqu'à l'expiration du délai référendaire et jusqu'à une votation populaire éventuelle, pour autant qu'ils ont été adoptés à l'appel nominal par la moitié au moins de tous les membres de chaque conseil. Ils deviennent caducs s'ils ne sont pas soumis au peuple et adoptés par celui-ci dans les quatre mois dès la remise du nombre de signatures requis pour demander la votation du peuple. » Cette disposition remplacerait le troisième alinéa de l'article 89 en vigueur. Si l'initiative parle d'un quatrième alinéa, cela provient sans doute du fait que l'ancien article 89 ne comptait que trois alinéas et que la disposition proposée devait s'ajouter à la fin de l'article comme nouvel alinéa. Le quatrième alinéa de l'article 89 en vigueur n'est aucunement touché par l'initiative. Celle-ci entend donc -- avec raison -- ne rien changer à la réglementation relative aux traités internationaux.

L'initiative définit l'urgence de la même manière, sinon dans les mêmes termes, que l'article 89 en vigueur. Le critère, c'est l'impossibilité de différer l'acte législatif (arrêtés dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun délai). La majorité requise pour la déclaration d'urgence est également presque la même dans les deux textes. Au sujet de la différence minime entre eux et de l'appel nominal, nous renvoyons à nos explications sur les propositions analogues des auteurs de l'initiative quant à l'article 89 bis, 3e alinéa (v. ci-dessus, p. 553).

L'initiative propose une innovation importante quant à l'effet de la déclaration d'urgence. En examinant cette proposition, il faut considérer que ladite déclaration devrait intervenir à une époque normale, soit pour des arrêtés dont le contenu reste dans les limites du droit constitutionnel normal et des lois fédérales en vigueur. Cette transformation de l'arrêté urgent en une institution destinée à une époque normale explique la proposition de rendre
les prescriptions encore plus rigoureuses que les prescriptions actuelles. Les auteurs de l'initiative reconnaissent que, même à une époque normale, il peut y avoir des cas où la procédure législative doit être plus accélérée que celle de l'adoption d'un arrêté soumis au referendum.

L'initiative restreint en revanche l'effet de la déclaration d'urgence. Elle accentue le caractère strictement transitoire de l'arrêté urgent qui est destiné à parer au péril imminent. Cette intention a, il est vrai, dicté également l'article 89 en vigueur, qui, statuant lui aussi que la durée des arrêtés fédéraux urgents doit être limitée, consacre ainsi l'idée qu'il s'agit

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d'une mesure temporaire, le droit durable (ou la transformation en un tel droit) ne pouvant être créé que par un acte législatif sujet au referendum. Mais l'initiative est plus rigoureuse, puisque, d'après elle, la déclaration d'urgence permet seulement de mettre en vigueur l'arrêté pendant peu de mois. A l'avis des auteurs de l'initiative, cette règle doit pousser l'Assemblée fédérale à édicter des arrêtés tels que, si possible, le peuple les accepte tacitement; c'est lui qui garde alors le contrôle, tandis que les autorités ont la promptitude dans la décision et conservent la confiance générale. Il faut reconnaître que l'initiative exclut la possibilité que la déclaration d'urgence serve à éluder le referendum, du moment que l'arrêté n'est mis en vigueur que pour peu de mois et cesse d'avoir effet sans autre formalité si le peuple le rejette ou si, dans les quatre mois dès le dépôt de la demande de referendum, le peuple n'est pas appelé à voter. On peut en revanche se demander si une déclaration d'urgence à effets si limités constituerait une solution pratiquement utilisable.

L'initiative parle d'une application « provisoire ». Ce qualificatif no « saurait toutefois désigner ici une simple mesure provisionnelle comme, par exemple, une saisie provisoire dans un procès. On n'a apparemment voulu indiquer par là que la durée limitée de l'arrêté, à savoir sa validité transitoire tout d'abord, par opposition à la validité d'une réglementation destinée à rester en vigueur d'une manière durable. Pendant son application « provisoire », l'arrêté produirait sans réserve tous ses effets. Il cesserait simplement d'être applicable si, par suite du rejet par le peuple, il se trouve abrogé. Les faits datant de la période de validité subsistent après l'abrogation. On ne peut les faire disparaître. L'arrêté étant valable pendant son application provisoire, les décisions prises en vertu de cet arrêté pendant ce laps de temps sont également valables. Le rejet par le peuple ferait néanmoins naître de sérieuses difficultés. La caducité de l'arrêté n'aurait pas d'effet ex tune, il ne conduirait vraisemblablement qu'à une liquidation, mais on ignore comment elle s'opérerait. Des peines pourraient encore frapper les infractions commises pendant la période de validité. Et ces peines seraient exécutées. Les subventions
allouées en vertu de l'arrêté provisoire ne seraient pas restituées (sauf condition inhérente à la subvention) et les charges créées par l'octroi des subventions subsisteraient. En revanche, après le rejet de l'arrêté, les subventions ne seraient plus versées. Le bénéficiaire profiterait ou pâtirait donc du fait que la subvention a été payée par hasard plus tôt ou plus tard. Un arrête urgent peut aussi comporter un acte unique, par exemple l'ouverture d'un crédit, une aide ou une participation de la Confédération à une entreprise, etc. En ces cas, également, les effets de l'abrogation ne seraient pas certains et de sérieuses difficultés pratiques surgiraient.

Mais même, abstraction faite du rejet par le peuple, qui se produirait peut-être rarement, il faut se dire qu'une mesure prise d'emblée à titre « provisoire » peut échouer, en sorte que l'arrêté n'atteint pas son but.

561 Le fait que, tout d'abord, il ne serait applicable que pendant quelques mois pourrait paralyser son action; il y aurait une période d'incertitude pendant laquelle l'application de l'arrêté risquerait de rencontrer en pratique de sérieuses résistances, si ceux qu'il atteint s'attendent à son abrogation au bout de quelques mois.

Maintenant que la votation du 22 janvier 1939 a restreint l'emploi de la clause d'urgence, il n'est pas besoin de reviser à nouveau l'article 89.

La réglementation actuelle a l'avantage de faire limiter la durée de l'arrêté urgent lors de son adoption. Si, à l'expiration du temps fixé, il est nécessaire d'en renouveler la durée ou de le transformer en acte législatif ordinaire, les conseils devront prendre une nouvelle décision et, à cette occasion, les expériences faites entre temps peuvent être utilisées. Il est préférable de ne pas décider sur la conversion de l'arrêté en droit durable déjà peu de mois après la première mise en vigueur, car il est souvent impossible d'apprécier si le maintien de la mesure pendant une longue période sera nécessaire et si des modifications ne seront pas désirables.

//. Votation immédiate du peuple sur des lois fédérales et des arrêtés fédéraux.

Aux termes de la seconde phrase du deuxième alinéa de l'article 89 proposé, « les conseils peuvent aussi décider que les lois fédérales ou des arrêtés fédéraux seront immédiatement soumis à l'adoption ou au rejet du peuple. » Les auteurs de l'initiative voient dans cette faculté de ne pas attendre la fin du délai de referendum un autre moyen d'agir vite. Et ce qui, à leurs yeux, est encore plus important, c'est la possibilité pour les conseils d'en appeler à un vote de confiance du peuple dans des situations difficiles, ce qui resserrerait les liens entre peuple et autorités et augmenterait la confiance. Cette idée de recourir à un tel vote procède de la démocratie représentative. Dans notre démocratie armée du droit de referendum, le peuple résout une question de fond, il n'émet pas un vote de confiance.

L'Assemblée fédérale doit exercer ses attributions et en assumer la responsabilité. Elle ne doit pas s'en décharger sur le peuple. Par ce motif, une proposition analogue a déjà été rejetée en 1872 (Burckhardt, Kommentar, p. 712).

Certains cantons connaissent, il est vrai, de pareilles
institutions.

Il est, d'autre part, exact que la consultation immédiate du peuple ferait gagner du temps lorsqu'il est d'ores et déjà certain qu'un référendum aboutirait. Mais cette certitude n'existe généralement pas au moment de l'adoption d'un arrêté par les conseils.

L'initiative ne dit pas si, outre les lois fédérales, elle vise seulement les arrêtés d'une portée générale ou aussi de simples arrêtés fédéraux. Si

562 la phrase citée se rapporte également à ces derniers arrêtés, l'Assemblée fédérale pourrait soumettre au peuple un acte qu'il lui appartient d'édicter définitivement. Ce transfert de compétence ne laisserait pas de provoquer un retard et une certaine complication.

///. Invalidité de lois fédérales et d'arrêtés fédéraux édictés en méconnaissance des articles 89 ou 89bis.

L'initiative propose, pour l'article 896«s, le quatrième alinéa suivant: « Les lois fédérales et les arrêtés fédéraux qui auraient été promulgués en méconnaissance des articles 89 et SQbis de la constitution fédérale n'engagent ni les autorités administratives, ni les tribunaux. » Cette disposition restreindrait la portée des articles 113, 3e alinéa, et 1146Ì5, 3e alinéa, de la constitution, selon lesquels le Tribunal fédéral est lié par les lois fédérales et les arrêtés fédéraux qui ont une portée générale (principe qui vaut, par conséquent, aussi pour tous les tribunaux et toutes les autorités administratives, ainsi que pour le citoyen). D'après la disposition proposée, chaque tribunal et chaque autorité administrative pourrait rechercher si la loi ou l'arrêté qu'il devrait appliquer à un cas concret a été édicté « en méconnaissance » des articles 89 ou 89 ois. Et ils ne seraient pas tenus de les appliquer s'ils estimaient que l'une ou l'autre de ces dispositions a été violée. De la sorte, on confère à tous les tribunaux et à toutes les autorités administratives le pouvoir d'examiner préjudicielloment la constitutionnalité de l'acte législatif applicable. Les auteurs de l'initiative sont partis de l'idée que les actes, soustraits à la votation du peuple contrairement à la constitution, ne devraient lier ni le tribunal, ni l'autorité administrative, ni, partant, le citoyen.

Le contrôle de la constitutionnalité irait d'un côté moins loin que l'initiative rejetée le 22 janvier 1939, puisqu'il se bornerait à vérifier la conformité avec les articles 89 et 89 bis et non avec d'autres articles de la constitution. De l'autre côté, la proposition actuelle va plus loin en conférant ce pouvoir à tous les tribunaux et à toutes les autorités administratives, tandis que l'initiative rejetée voulait le réserver à la cour de droit public du Tribunal fédéral. Autant que le contrôle proposé se rapporte aux lois fédérales, nous ne pouvons
lui trouver aucune valeur pratique. Une loi fédérale ne violerait l'article 89 que si elle était soustraite au referendum facultatif (ou à la votation immédiate du peuple), ce qui n'est pas concevable; tout aussi invraisemblable est-il que la loi d'autorisation prévue par l'article 896«s, 2e alinéa, ne soit pas soumise au referendum obligatoire.

En outre, il y a lieu de relever que l'initiative laisse complètement de côté les traités internationaux pour ne s'occuper que des lois et arrêtés fédéraux.

Pour ces arrêtés, l'initiative est, en revanche, pleine de danger. Lors de l'examen de la « méconnaissance » des articles 89 et 896is par un arrêté

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de portée générale, les questions suivantes se poseraient principalement: L'arrêté déclaré urgent ne souffre-t-il vraiment aucun délai? A l'urgence de la mise en vigueur, on pourrait objecter qu'elle est contraire à l'article 89, 4e alinéa, parce qu'il n'y a pas péril en la demeure ; il incomberait aux autorités judiciaires et administratives de résoudre cette question librement. En ce qui concerne l'article 89bis, 1er alinéa, on pourrait même contester l'existence d'un « cas de mobilisation » (par ex. si elle n'est que partielle) ou encore soutenir que l'atteinte portée à un droit constitutionnel est excessive, parce qu'elle ne le restreint pas, mais le supprime. Pour l'article 89bis, 2e alinéa, la loi d'autorisation établirait péremptoirement le cas de détresse économique générale, mais on pourrait prétendre que la mesure prise n'entre pas dans les limites de l'autorisation, que, notamment, la crise ne requiert pas précisément cette mesure-là ou que l'arrêté viole un autre droit constitutionnel ou l'égalité devant la loi, ou, encore, que l'arrêté passe les bornes fixées par la loi d'autorisation. La solution de ces questions exige une appréciation objective fondée sur une connaissance exacte des circonstances et des besoins. Les tribunaux sont mal placés pour résoudre ces problèmes, car ils ne peuvent connaître comme il conviendrait tous les éléments et conjonctures.

Nous nous référons aux motifs exposés dans notre rapport du 17 septembre 1937 sur l'initiative, rejetée depuis, pour l'extension de la juridiction constitutionnelle (v. aussi la discussion des conseils, BS CE 1937, p. 419 à 427 ; CN 1938, p. 262 à 283). Précisément les questions soulevées par l'examen de la méconnaissance des articles 89 et 89 bis sont des questions éminemment politiques, qui ne se prêtent pas à un contrôle judiciaire.La possibilité de cet examen serait particulièrement dangereuse pour les arrêtés édictés en cas de nécessité. Il saute aux yeux qu'une grave insécurité du droit en résulterait. Qu'on suppose le cas où une autorité inférieure déclare un arrêté fédéral inconstitutionnel. Le citoyen invoquerait cette décision pour refuser de se soumettre dorénavant à l'arrêté. Et même le seul fait de contester la force obligatoire d'un arrêté devant une autorité judiciaire ou administrative inciterait à ne pas se plier
à l'arrêté déjà pendant la durée de l'instance. Si l'arrêté est finalement reconnu constitutionnel après avoir parcouru tous les degrés de juridiction et que les objections se révèlent injustifiées, l'insécurité n'aura pas laissé d'exister, au moins jusqu'au moment où le prononcé de dernière instance sera connu.

Enfin, notons en passant que des jugements divergents des différentes autorités judiciaires ou administratives offriraient des inconvénients.

Ces considérations nous amènent à vous proposer de soumettre au peuple et aux Etats l'initiative concernant la réglementation constitutionnelle du droit d'urgence, en leur recommandant de la rejeter. Nous ajoutons que les signataires de l'initiative ont autorisé son comité à la retirer en

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faveur d'un contre-projet de l'Assemblée fédérale. Nous avons exposé (sous lettre A, ch. III) les motifs pour lesquels nous renonçons à présenter un contre-projet.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 3 avril 1939.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le vice-président, PILET-GOLAZ.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative concernant le droit de nécessité et la clause d'urgence. (Du 3 avril 1939.)

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