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FEUILLE FÉDÉRALE 91e année

Berne, le 14 juin 1939

Volume I

Paraît une fois par semaine. Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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Message du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'insertion de la clause d'urgence dans les arrêtés fédéraux.

(Du 9 juin 1939.)

Monsieur le Président et Messieurs, Dans la votation populaire du 22 janvier 1939, la constitution fédérale a été complétée par la disposition suivante: Les arrêtés fédéraux de portée générale dont l'entrée en vigueur ne souffre aucun délai peuvent être déclarés urgents par une décision prise à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils.

Dans ce cas, la votation populaire ne peut pas être demandée. La durée d'application des arrêtés fédéraux urgents doit être limitée.

Dès qu'il s'est agi d'appliquer cette nouvelle disposition, en février dernier, des divergences de vues se sont manifestées dans vos conseils, et, bien que la conférence des présidents de groupes eût adopté, le 13 mars, un modus vivendi qui semblait régler les questions soulevées en février, des désaccords réapparurent dans la session de mars. C'est pour y mettre fin que le bureau du Conseil national nous a invités, en date du 13 mai, à déposer un projet de revision de là loi sur les rapports entre les conseils qui assurât une application uniforme de la nouvelle disposition constitutionnelle.

Nous examinerons ci-dessous les trois questions que soulève cette application, savoir: 1° Dans quelle phase de la délibération la question de l'urgence doit-elle être posée ? 2° Quelle est la procédure applicable en cas de divergence? 3° Le président a-t-il le droit de voter?

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La prescription d'après laquelle l'urgence ne peut être votée qu'à la majorité de tous les membres de chacun des deux conseils est une innovation de notre droit parlementaire. Elle déroge a la règle de l'article 88 Feuille fédérale. 91e année. Vol. I.

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de la constitution suivant laquelle les décisions sont prises à la majorité des votants. En l'espèce, la proportion des voix négatives n'entre plus en jeu, et il est même inutile de les compter. Ce qui détermine l'acceptation de l'urgence, c'est l'adhésion d'un nombre déterminé de députés, soit -- sous réserve de vacances -- 94 au Conseil national et 23 au Conseil des Etats.

L'application de cette nouvelle disposition peut-elle se faire dans le cadre de la procédure actuelle ? Cette question préalable a été résolue négativement par le bureau du Conseil national, car, dans le cas contraire, il n'y aurait pas lieu de reviser la loi. Nous l'examinerons cependant en toute objectivité.

En l'état actuel de la législation, la question de l'urgence devrait être traitée au cours de la discussion des articles. Aux termes de l'article 4 de la loi sur les rapports entre les conseils, un arrêté n'est transmis, en effet, par le conseil qui a la priorité de la discussion à l'autre conseil que lorsqu'il a été « discuté ». La seule exception faite à cette règle est celle du fractionnement de lois « longues et susceptibles d'être discutées par parties ». Il en ressort que, si l'on s'en tenait à la procédure actuelle, un arrêté ne pourrait être transmis qu'avec la décision sur l'urgence. Ce système présente deux inconvénients.

Le premier, c'est que les députés sont obligés de se prononcer sur l'urgence au vu du résultat de la première délibération, alors que la discussion des divergences peut fort bien entraîner une modification plus ou moins profonde de ce résultat. Or, comme le président de la Confédération l'a déjà fait observer au Conseil des Etats dans le débat sur la revision constitutionnelle, il importe que les députés connaissent la teneur définitive de l'arrêté au moment où ils doivent se prononcer sur l'urgence: «Ce serait méconnaître, disait-il, la nature des choses que de prétendre nier la connexité intime qui existe entre la question de l'urgence et le contenu d'un projet. Seul pourra reconnaître l'urgence d'un arrêté celui qui considère le contenu, dans l'essentiel, comme juste et nécessaire. » (BS., année 1938, p. 327.) Sans doute, même si l'accord s'est établi dans les deux conseils sur la question de l'urgence, celle-ci peut-elle être reprise dans la discussion des divergences. L'article 5,
2e alinéa, de la loi sur les rapports entre les conseils autorise, en effet, cette procédure lorsque, ensuite d'amendements, une autre délibération devient nécessaire. Mais, supposé que la clause d'urgence ait été votée en premier débat, il faudra, pour la maintenir, réunir de nouveau la majorité qualifiée. Or ces votes répétés risquent d'aboutir à des décisions contradictoires qui dépendront peut-être moins de changements d'opinion sur l'urgence même que de la composition momentanée de l'assemblée. Et il ne faut pas que des adversaires de l'urgence soient tentés de profiter d'absences fortuites pour faire revenu- le conseil de sa décision.

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II y a un second inconvénient à suivre la procédure ordinaire: c'est que les députés ne peuvent pas être informés, au début de la discussion des articles, du moment où la question de l'urgence sera mise en délibération. Le président de l'assemblée aura donc beaucoup de peine à faire en sorte que tous les députés partisans de l'urgence soient présents à ce moment. Or, si le parlement veut respecter la décision populaire, il ne doit rien négliger pour obtenir que, quand la majorité de tous les membres d'un conseil est favorable à l'urgence, cette majorité apparaisse au vote. Sans doute le règlement permet-il toujours à un député de demander, après la discussion des articles, que le conseil revienne sur un article déterminé.

Mais comme la clause d'urgence figure régulièrement à la fin du texte de l'arrêté, une telle demande n'aurait d'autre résultat que de faire répéter la votation et, la plupart du temps, n'atteindrait pas son but.

Pour obvier à ces inconvénients, il faut, à notre avis, instituer une procédure spéciale qui réalise trois conditions: 1° Les conseils ne doivent se prononcer sur l'urgence qu'au moment où ils connaissent la teneur de l'arrêté; 2° ils ne doivent se prononcer qu'une fois ou, s'ils sont en désaccord, deux fois au plus ; 3° le moment du vote doit pouvoir être indiqué à l'avance.

La solution la plus simple serait de réserver l'application de la majorité qualifiée pour le vote final. Le texte de la disposition constitutionnelle ne s'y opposerait pas. Mais, comme le faisait observer le rapporteur de la commission du Conseil des Etats à propos de ce texte, « la majorité qualifiée est bien exigée pour l'urgence, mais non pas pour l'arrêté lui-même, qui peut être adopté à la majorité ordinaire ». En exigeant la majorité qualifiée pour le vote final, on confondrait deux idées tout à fait différentes: l'opportunité de la clause d'urgence et l'appréciation de l'arrêté lui-même.

Les députés qui sont opposés à la clause d'urgence, mais qui passeraient outre en raison de l'intérêt que présente pour eux l'arrêté lui-même n'auraient pas l'occasion de manifester leur opinion sur l'urgence. Seuls voteraient contre l'arrêté ceux chez qui l'opposition à la clause d'urgence prime l'intérêt pour l'arrêté. Une telle procédure doit être écartée.

Nous voyons, en revanche, une solution rationnelle
dans le système préconisé au Conseil national par M. Abt lors de la discussion de l'arrêté sur l'extension de la culture des champs (BS., année 1939, p. 85). Selon ce sysr terne, la question de l'urgence est réservée jusqu'au moment où l'accord s'est établi entre les deux conseils sur toutes les autres dispositions de l'arrêté.

C'est alors seulement, en effet, que les députés peuvent se rendre compte de la portée réelle de leur décision. Le conseil qui a la priorité de discussion se prononce en premier lieu. Si l'urgence réunit la majorité du nombre total des membres, il fixe en même temps la durée de validité de l'arrêté.

Si cette majorité n'est pas réunie, la clause référendaire prend la place de la clause d'urgence. La décision est transmise à l'autre conseil, qui

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statue à son tour et dans les mêmes conditions. Une fois l'accord établi entre les deux conseils, puis l'arrêté mis au point par la commission de rédaction, il est procédé au vote final.

Grâce à cette procédure, l'attention des députés est attirée sur le caractère particulier du vote qu'ils ont à émettre. Mais nous croyons utile de renforcer cet effet par une garantie supplémentaire. Nous référant à l'usage qui veut que le vote final soit porté expressément à l'ordre du jour, nous vous proposons de l'étendre au vote sur l'urgence, mais par une prescription de la loi. On aura ainsi fait l'effort maximum pour assurer une application de la nouvelle disposition constitutionnelle qui soit conforme à la volonté populaire.

Examinons maintenant la procédure à suivre en cas de divergence.

Les dispositions de la loi sur les rapports entre les conseils ne sont pas applicables. On ne saurait, en effet, envisager de soumettre la question de l'urgence à la conférence prévue aux articles 5 à 7 ; alors que cette dernière a pour but d'« amener une entente », la question se résout ici par un « oui » ou par un « non ». D'autre part, il nous semble trop rigoureux d'appliquer par analogie la disposition de l'article 11 sur le vote final, aux termes de laquelle il suffit du vote négatif d'un des conseils pour que le projet soit réputé n'avoir pas abouti. Il nous semble expédient, en effet, de réserver le cas où le rejet de l'urgence par un des conseils serait l'effet d'un hasard.

Il faut, à notre avis, qu'en cas de divergence le conseil qui s'est prononcé contre l'urgence ait l'occasion de voter une seconde fois.

Ainsi, au cas où le conseil qui a la priorité de discussion se prononce contre l'urgence et où. l'autre l'adopte, le premier sera appelé à se prononcer une seconde fois. S'il maintient sa décision, l'urgence sera réputée repoussée, et la clause référendaire adoptée. Au cas où, au contraire, le premier des conseils vote l'urgence et où l'autre la rejette, le premier devra voter une seconde fois. S'il maintient sa décision, l'autre se prononcera également à nouveau, et ce second vote décidera du sort de la question de l'urgence.

Cette procédure, qui est suivie depuis longtemps lorsqu'il s'agit du passage à la discussion des articles, respecte le principe de l'égalité entre les deux conseils et tient compte de la part de hasard que peut présenter le résultat d'un scrutin. Elle nous paraît tout indiquée pour le cas qui nous occupe.

Il nous reste à examiner le troisième point, à savoir si le président peut être admis à voter. A ce sujet, la constitution dispose, à son article 78, ce qui suit: Lorsque les avis sont également partagés, le président décide; dans les élections, il vote comme les autres membres.

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Ce texte a toujours été interprété, depuis 1848, en ce sens que le président vote seulement pour départager les voix. Les règlements des deux conseils l'expriment catégoriquement: Le président ne vote pas. En cas d'égalité des voix, il départage; il peut dans ce cas motiver son vote.

Pour permettre au président de voter sur la question de l'urgence il suffirait, suivant les uns, de modifier les règlements. Le fait seul que cette solution est envisagée doit inviter l'Assemblée fédérale à régler la question dans la loi même. Il serait en effet inadmissible que les deux conseils puissent donner, dans leurs règlements, des interprétations différentes d'une disposition constitutionnelle.

Voyons maintenant les arguments de ceux qui croient devoir refuser le droit de vote au président. Le droit parlementaire, disent-ils, connaît deux systèmes: ou bien le président vote, et en cas d'égalité de suffrages sa voix est prépondérante, ou bien il ne vote pas, sous la seule réserve qu'il départage en cas d'égalité de suffrages. Or la constitution s'est prononcée pour ce second système. Pourquoi ? Pour placer le président au-dessus des débats et lui permettre d'exercer son mandat dans des conditions qui garantissent une impartialité absolue. Il n'y a aucune raison pour que l'introduction d'une nouvelle procédure sur l'urgence modifie le rôle du président. La question a été traitée, au reste, dans le débat sur la nouvelle disposition constitutionnelle. Au Conseil des Etats, le rapporteur de la commission a constaté que la présence de 24 membres de cette assemblée serait nécessaire pour qu'on pût réunir la majorité qualifiée, soit les 23 députés requis par la nouvelle disposition constitutionnelle, plus le président, « qui, aux termes du règlement, ne vote pas ». (BS année 1938, p. 318.)

Cette interprétation n'ayant pas été contestée, on doit admettre qu'en se prononçant pour le système de la majorité qualifiée, les chambres n'ont pas songé à modifier la règle qui interdit au président de voter. Le droit de vote du président demeure donc régi par l'article 78 de la constitution.

Cette argumentation ne nous paraît pas convaincante. Sans doute les articles 78, 4e alinéa, et 82, 4e alinéa, de la constitution disposent-ils que, lorsque les avis sont également partagés, 'le président décide, que, d'autre part, dans
les élections, il vote comme les autres membres. Mais cette restriction apportée au droit de vote du président découle de la règle de l'article 88 de la constitution, suivant laquelle les décisions sont prises, dans les deux conseils, à la majorité des membres votants. C'est en application de cette règle que les articles 80 du règlement du Conseil national et 66 du règlement du Conseil des Etats disposent : « La majorité se calcule d'après le nombre des votants ».

Or le nouveau texte de l'article 89 de la constitution, adopté dans la votation populaire du 22 janvier 1939, fait une brèche dans la règle de l'article 88, les arrêtés fédéraux de portée générale pouvant être déclarés

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urgents par une décision prise non plus à la majorité des votants, mais seulement à la majorité de tous les membres des deux conseils. Le président de chaque conseil doit donc être compté, pour l'établissement de la majorité, comme n'importe quel autre des 187 ou 44 députés. Si on ne le comptait pas, il suffirait de 22 voix au Conseil des Etats pour voter l'urgence, tandis que le chiffre demeurerait fixé au Conseil national à 94 jusqu'en 1943 (prochain recensement en 1940). Or il serait contraire au bon sens de compter le président pour déterminer la base de la majorité qualifiée et, en revanche, de lui refuser le droit de vote pour le calcul de cette majorité. On violerait ainsi, à notre avis, l'article 89 de la constitution, suivant lequel la majorité de tous les membres n'est pas seulement requise, mais suffisante; on aggraverait encore la condition posée par cet article pour le vote de l'urgence. En principe, tout député a le même droit de vote que ses collègues. Si, dans le cas de l'article 89, on avait voulu restreindre encore ce droit pour le président, il aurait fallu le dire dans cet article même, comme l'a fait le législateur sous le régime des articles 78 et 82 (majorité des votants) pour une raison d'opportunité, c'est-à-dire pour empêcher que, le président exerçant son droit de vote, il y ait égalité des suffrages empêchant une décision.

Dans le cas de l'article 89, il ne s'agit pas du tout d'une décision au sens de l'article 88, qui est fondé sur le principe d'après lequel la décision est prise à la majorité des votants. La décision à prendre en application de l'article 89 dépend simplement de la question de savoir si l'urgence réunit 94 voix au moins au Conseil national et 23 voix au moins au Conseil des Etats. Si c'est le cas, il n'est même pas nécessaire de compter les voix adverses, pas plus que si le nombre requis n'est pas atteint. En conséquence, le cas des articles 78 et 82, où le président départage en cas d'égalité des suffrages, ne peut plus se produire lorsqu'il s'agit de l'urgence, parce que la décision n'est pas prise suivant le principe de la majorité des votants.

Nous fondant sur les considérations qui précèdent, nous avons l'honneur de vous proposer d'approuver le projet de loi ci-joint et nous vous prions, Monsieur le Président et Messieurs, d'agréer l'assurance de notre haute considération.

Berne, le 9 juin 1939.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, ETTER.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

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(Projet.)

Loi fédérale complétant

celle du 9 octobre 1902 sur les rapports entre le Conseil national, le Conseil des Etats et le Conseil fédéral, ainsi que sur la forme de la promulgation et de la publication des lois et arrêtés.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message du Conseil fédéral du 9 juin 1939, arrête :

Article premier.

La loi fédérale du 9 octobre 1902 sur les rapports entre les conseils est complétée par la disposition suivante: Art. 7 bis. Lorsqu'un projet d'arrêté de portée générale est muni de la clause d'urgence, l'examen de celle-ci est suspendu jusqu'à l'achèvement de la discussion des divergences. Il en est de même si l'urgence est proposée par un député.

L'urgence ne peut être prononcée qu'à la majorité de tous les membres de chacun des conseils, la voix du président comptant comme celle des autres membres. Le vote sur l'urgence doit avoir été porté expressément à l'ordre du jour.

Lorsque la décision d'un des conseils n'est pas conforme à celle de l'autre, elle est transmise à ce dernier, qui statue à nouveau. Si le conseil qui a rejeté l'urgence maintient sa décision, celle-ci est définitive, et la clause référendaire prend la place de la clause d'urgence.

Art. 2.

Le Conseil fédéral fixera la date de l'entrée en vigueur de la présente loi.

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Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'insertion de la clause d'urgence dans les arrêtés fédéraux. (Du 9 juin 1939.)

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14.06.1939

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