Clarification des raisons des différences dans la mise en oeuvre de l'Accord sur la libre circulation des personnes par les cantons Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 14.4005 de la Commission de gestion du Conseil national du 6 novembre 2014 du 4 mars 2016

2016-0129

2705

Condensé L'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP) est en vigueur depuis le 1er juin 2002. Depuis cette date, l'immigration en provenance des pays de l'UE et de l'AELE a augmenté davantage que prévu, nourrissant des discussions sur les répercussions de la libre circulation des personnes et sur son pilotage par les autorités. C'est dans ce contexte que les Commissions de gestion des Chambres fédérales ont chargé le Contrôle parlementaire de l'administration (CPA), en janvier 2012, de réaliser une étude sur le séjour des personnes ayant immigré en Suisse dans le cadre de l'ALCP.

Se fondant sur le rapport d'évaluation du CPA du 6 novembre 2013, la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) a rédigé un rapport sur le séjour des étrangers dans le cadre de l'ALCP, dans lequel elle arrive à la conclusion que l'application de l'ALCP et de la Convention AELE (annexe K) ne fonctionne pas de manière entièrement satisfaisante. Dans ce rapport adopté le 4 avril 2014, la CdGN formule neuf recommandations au Conseil fédéral, qui a fait connaître son avis le 13 août 2014. Dans un nouveau rapport du 6 novembre 2014 relatif à l'avis du Conseil fédéral, la CdG-N conclut que les recommandations 2 «Information concernant les prestations sociales» et 8 «Clarifier la situation juridique» ont déjà été mises en oeuvre, tandis que les sept autres nécessitent des clarifications plus approfondies. Elle invite donc le Conseil fédéral à fournir plus d'informations sur quatre des recommandations (1 «Observer l'évolution des salaires et des pourcentages de personnes percevant des prestations sociales», 4 «Créer les bases nécessaires pour garantir l'accès aux informations», 7 «Mettre à disposition les instruments nécessaires» et 9 «Étoffer les effectifs de la section compétente du SEM»). Les trois recommandations restantes (3 «Faire la lumière sur les disparités intercantonales en matière de divergences entre le but déclaré et le but effectif du séjour», 5 «Tirer parti des possibilités de pilotage» et 6 «Clarifier l'origine des différences constatées dans la mise en oeuvre par les cantons») ont été regroupées dans le postulat 14.4005 «Clarification des raisons des différences dans la mise
en oeuvre de l'Accord sur la libre circulation des personnes par les cantons». Le Conseil fédéral a proposé d'accepter le postulat, que le Conseil national a ensuite adopté le 11 mars 2015.

Le Conseil fédéral a adopté le présent rapport en réponse au postulat de la CdG-N du 6 novembre 2014. Ce postulat chargeait le Conseil fédéral de clarifier avec les cantons les raisons des différences relevées entre les cantons dans la mise en oeuvre de l'ALCP et de déterminer comment les cantons pourraient utiliser de manière plus uniforme les possibilités de piloter l'immigration au moyen du retrait ou de la restriction de l'autorisation de séjour.

Le présent rapport, rédigé sous la houlette du Département fédéral de justice et police (DFJP) en collaboration avec l'Association des services cantonaux de migration (ASM) et l'Association des offices suisses du travail, commence par rappeler les mesures prises par le Conseil fédéral à ce jour pour harmoniser la mise en oeuvre de l'ALCP et pour prévenir d'éventuels abus. Sur ce thème, il se réfère au rapport

2706

adopté par le Conseil fédéral le 18 septembre 2015, en exécution du postulat Amarelle, qui fait le point sur la mise en oeuvre des mesures prises par le Conseil fédéral en 2010 pour améliorer l'application de l'ALCP, mesures de lutte contre le dumping social et contre la perception indue ou abusive de prestations sociales, ainsi que mesures dans le domaine du droit de séjour. Le rapport rédigé en réponse au postulat Amarelle renvoie également au projet de loi «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes». Ce projet prévoit de préciser la situation juridique concernant la possibilité de retirer leur droit de séjour aux ressortissants de l'UE/AELE se retrouvant au chômage involontairement et de créer les bases légales permettant l'échange de données concernant les prestations complémentaires. Il s'agit aussi de régler dans le droit fédéral que les ressortissants de l'UE/AELE qui arrivent en Suisse pour y chercher un emploi sont exclus de l'aide sociale.

Dans une deuxième partie, le présent rapport se penche sur les causes à l'origine des différences dans l'application de l'ALCP et sur les possibilités de piloter l'immigration par le retrait ou la restriction des autorisations de séjour.

Causes à l'origine des différences dans l'application de l'ALCP Le rapport constate que les différences entre les cantons dans l'application de l'ALCP s'expliquent, d'une part, par la marge de manoeuvre, politiquement voulue, dont dispose chaque canton dans le système fédéraliste suisse, mais aussi ­ et surtout ­ par la disparité des situations géographiques et politiques des cantons. En fonction de leur taille et de leur emplacement, les cantons font face à une immigration plus ou moins importante, dont la composition varie aussi d'un canton à l'autre.

Il s'ensuit que les cantons n'accordent pas tous les mêmes ressources humaines et financières au domaine des étrangers. De plus, les ressortissants de l'UE/AELE ne sont pas obligés d'annoncer un changement du but de leur séjour en Suisse, ce qui peut expliquer les divergences constatées entre buts déclarés et buts effectifs du séjour.

Utiliser les possibilités de piloter l'immigration par le retrait ou la restriction des autorisations de séjour Le Conseil fédéral partage l'avis de la CdG-N selon
lequel les possibilités de piloter l'immigration ­ notamment par la révocation ou la non-prolongation des autorisations de séjour lorsque les conditions de ce séjour ne sont plus remplies ­ devraient être utilisées de la manière la plus uniforme possible. Il note cependant dans son rapport que le retrait ou la restriction des autorisations de séjour ne permettrait de gérer l'immigration que de manière restreinte, car ces outils ne peuvent être utilisés que si la personne concernée ne peut plus se prévaloir, à aucun titre, d'un droit de séjour en vertu des dispositions de l'ALCP.

Le Conseil fédéral arrive ainsi à la conclusion que les autorités cantonales ne pourront recourir systématiquement à des mesures d'éloignement fondées sur le retrait ou la non-prolongation d'une autorisation de séjour que s'ils sont informés des changements susceptibles de remettre en cause le droit de séjour, d'une part, et si la Confédération définit avec davantage de précision des notions sujettes à inter-

2707

prétation (comme la qualité de travailleur ou l'extinction du droit de séjour), d'autre part.

Le présent rapport souligne que la création des bases légales permettant l'échange de données entre les autorités chargées des questions migratoires et celles qui s'occupent de l'aide sociale et de l'assurance-chômage, de même que l'échange de données avec les autorités compétentes pour les prestations complémentaires, qu'il est prévu d'instaurer, mettra en place les conditions nécessaires au réexamen du droit de séjour. Le rapport montre par ailleurs que le projet de loi «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes», qui prévoit de préciser les conditions de l'extinction du droit de séjour pour les ressortissants des pays de l'UE/AELE, sera déterminant pour l'optimisation de la mise en oeuvre de cet accord.

Dans la troisième partie sont présentées des mesures possibles pour garantir une application uniforme de l'ALCP. Ces mesures ont été conçues par le Conseil fédéral, en collaboration avec les cantons, sur la base des insuffisances constatées. Elles comprennent ­ conformément aux voeux de la CdG-N ­ un renforcement de la fonction de surveillance de la Confédération et visent simultanément à développer le soutien apporté aux cantons dans l'application de l'ALCP par le biais de formations et d'ateliers sur des questions juridiques de principe et de coordination. En revanche, le Conseil fédéral considère que l'obligation d'annoncer un changement du but d'un séjour n'est pas une mesure appropriée et ne l'a donc pas retenue dans l'arsenal proposé.

Extension de la procédure d'approbation Dans le cadre des investigations sur les disparités cantonales dans la mise en oeuvre de l'ALCP, et des discussions sur la surveillance de la Confédération, l'ASM a proposé que les domaines sensibles de l'ALCP soient soumis au Secrétariat d'Etat aux migrations. Les recommandations de la CdG visant essentiellement à empêcher la perception indue de prestations sociales par une vérification rigoureuse du droit de l'intéressé à séjourner en Suisse, le Conseil fédéral indique dans le rapport qu'il est possible d'étendre la procédure d'approbation dans deux domaines: ­

Extinction du droit de séjour suite à la perte de la qualité de travailleur: Les cantons n'ont aujourd'hui pas les instruments qui leur permettraient de constater l'extinction du droit de séjour en tant que travailleur d'un actif ressortissant de l'UE/AELE pendant la durée de validité de son autorisation de courte durée ou de séjour, car la cessation de l'activité rémunérée n'est pas soumise à une obligation d'annonce. Le projet de loi «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes» prévoit une réglementation claire concernant l'extinction du droit de séjour des ressortissants de l'UE/AELE titulaires d'une autorisation de courte durée ou d'une autorisation de séjour lorsqu'ils cessent involontairement d'exercer une activité lucrative. Le Conseil fédéral indique donc qu'il est possible d'étendre la procédure d'approbation aux cas prévus à l'art. 61a P-LEtr dans ce projet de révision.

2708

­

Extinction du droit de séjour des personnes touchant des aides sociales ou des prestations complémentaires: Le Conseil fédéral considère que les demandes d'aide sociale ou de prestations complémentaires faites par des ressortissants de l'UE/AELE n'exerçant pas d'activité lucrative est un domaine sensible, car la perception de ces aides peut être pertinente pour le droit de ces personnes à séjourner en Suisse. Ces cas devraient donc également être soumis à une procédure d'approbation.

Adaptations techniques du SYMIC Le Conseil fédéral prévoit par ailleurs un développement technique du Système d'information central sur la migration (SYMIC) par l'introduction de nouveaux champs de données et codes d'observation concernant des domaines sensibles.

L'objectif de ce développement est de faire en sorte que la Confédération puisse utiliser le SYMIC comme un instrument adéquat de surveillance de la mise en oeuvre de l'ALCP. Les adaptations techniques envisagées permettraient également, dans une mesure restreinte, d'établir certaines statistiques.

Développement du soutien à l'application La troisième mesure prévue par le Conseil fédéral consiste à développer le soutien à l'application. Il s'agit notamment d'organiser dans les cantons des formations et des ateliers sur des questions juridiques de principe et de coordination, mais aussi de faire des conférences régionales des lieux où les acteurs concernés peuvent discuter de questions complexes relatives à l'application de l'ALCP ou de la nécessité de nouvelles réglementations.

Enfin, le Conseil fédéral se prononce sur la recommandation de la CdG-N de mettre à la disposition de la section compétente du SEM les ressources qui permettraient à la Confédération d'exercer une surveillance plus active. Le Conseil fédéral indique qu'avec les ressources dont elle dispose actuellement, la section concernée n'est pas en mesure de jouer un rôle plus actif dans la surveillance ou d'assumer des tâches supplémentaires. Des postes additionnels seront nécessaires pour la surveillance accrue de la mise en oeuvre de l'ALCP souhaitée par la CdG-N et pour les mesures envisagées (extension de la procédure d'approbation, adaptations techniques du SYMIC et développement du soutien à l'application).

2709

FF 2016

Table des matières Condensé

2706

Abréviations

2711

1

Mandat et organisation des travaux 1.1 Contexte 1.2 Mandat et démarche 1.2.1 Rapport de la CdG-N sur le séjour des étrangers dans le cadre de l'ALCP 1.2.2 Avis du Conseil fédéral sur les recommandations de la CdG-N 1.2.3 Second rapport de la CdG-N relatif à l'avis du Conseil fédéral 1.2.4 Avis du Conseil fédéral sur le rapport de la CdG-N

2712 2712 2712

Mesures prises à ce jour pour harmoniser l'application de l'ALCP 2.1 Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Amarelle 2.2 Paquet législatif «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes» 2.2.1 Contexte 2.2.2 Contenu du paquet législatif

2716 2716

3

Motifs des disparités cantonales dans l'application de l'ALCP 3.1 Résultats des clarifications auprès des cantons 3.1.1 Octroi des autorisations 3.1.2 Divergences entre le but déclaré et le but effectif du séjour 3.2 Points sur lesquels une intervention s'impose

2721 2721 2721 2724 2726

4

Recours aux possibilités existantes pour les cantons de révoquer ou de limiter les autorisations de séjour 4.1 Résultats des clarifications auprès des cantons 4.2 Points sur lesquels une intervention s'impose

2727 2727 2727

2

5

2713 2714 2714 2715

2719 2719 2719

Mesures envisageables 5.1 Renforcement de la surveillance de la Confédération pour l'application de l'ALCP 5.1.1 Procédure d'approbation 5.1.2 Adaptations techniques du SYMIC 5.2 Soutien à l'application 5.2.1 Instruments dont dispose actuellement la Section Libre circulation des personnes pour le soutien à l'application 5.2.2 Développement du soutien à l'application 5.3 Rapport d'évaluation

2728

6

Effectifs de la section compétente du SEM

2736

7

Conclusion

2737

2710

2729 2730 2732 2733 2733 2734 2735

FF 2016

Abréviations AC AELE ALCP

AOST ASM ATF CCDJP CDAS CDEP CdG CdG-N Convention AELE CPA CSIAS Cst.

DFJP FF LEtr LPC OASA OLCP

SECO SEM SYMIC

Assurance-chômage Association européenne de libre-échange Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (Accord sur la libre circulation des personnes, ALCP; RS 0.142.112.681) Association des offices suisses du travail Association des services cantonaux de migration Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral suisse Conférence des directrices et des directeurs des départements cantonaux de justice et police Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales Conférence des chefs des départements cantonaux de l'économie publique Commissions de gestion des Chambres fédérales Commission de gestion du Conseil national Convention du 4 janvier 1960 instituant l'Association européenne de libre-échange (RS 0.632.31) Contrôle parlementaire de l'administration Conférence suisse des institutions d'aide sociale Constitution fédérale (RS 101) Département fédéral de justice et police Feuille fédérale Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr; RS 142.20) Loi fédérale du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI (loi sur les prestations complémentaires, LPC; RS 831.30) Ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (RS 142.201) Ordonnance du 22 mai 2002 sur l'introduction progressive de la libre circulation des personnes entre, d'une part, la Confédération suisse et, d'autre part, l'Union européenne et ses Etats membres, ainsi qu'entre les Etats membres de l'Association européenne de libre-échange (ordonnance sur l'introduction de la libre circulation des personnes, OLCP; RS 142.203) Secrétariat d'Etat à l'économie Secrétariat d'Etat aux migrations Système d'information central sur la migration 2711

FF 2016

Rapport 1

Mandat et organisation des travaux

1.1

Contexte

Par le présent rapport, le Conseil fédéral répond au postulat 14.4005 de la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) «Clarification des raisons des différences dans la mise en oeuvre de l'Accord sur la libre circulation des personnes par les cantons» du 6 novembre 2014. Ce postulat est formulé comme suit: «Le Conseil fédéral est chargé de clarifier avec les cantons: 1.

les raisons des différences parfois considérables relevées entre les cantons dans la mise en oeuvre de l'Accord sur la libre circulation des personnes;

2.

comment les possibilités de piloter l'immigration au moyen du retrait ou de la restriction de l'autorisation de séjour pourraient être mieux utilisées par les cantons et de façon plus uniforme.

Il présentera les résultats de ses investigations dans un rapport qu'il rendra dans un délai d'un an.» Le 28 janvier 2015, le Conseil fédéral a proposé d'accepter le postulat, que le Conseil national a ensuite adopté le 11 mars 2015.

1.2

Mandat et démarche

Se fondant sur le rapport «Évaluation du séjour des étrangers dans le cadre de la libre circulation des personnes»1, présenté par le Contrôle parlementaire de l'administration (CPA) le 6 novembre 2013, la CdG-N a constaté que l'application de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP)2 et de la Convention du 4 janvier 1960 instituant l'Association européenne de libre-échange (Convention AELE, annexe K)3 ne fonctionnait pas de manière entièrement satisfaisante4. Suite à cette constatation, la CdG-N a formulé, dans son rapport «Séjour des étrangers dans le cadre de l'accord sur la libre circulation des personnes» du 4 avril 20145, neuf recommandations au Conseil fédéral, qui a fait connaître son avis le 13 août 20146. Dans un nouveau rapport du 6 novembre

1 2 3 4

5 6

FF 2014 8005 RS 0.142.112.681 RS 0.632.31 Pour les ressortissants de l'AELE, la Convention instituant l'AELE constitue la base légale en matière de liberté de circulation des personnes. Par la suite, lorsque l'ALCP est cité, il faut entendre également la Convention instituant l'AELE.

FF 2014 7985 FF 2014 8061

2712

FF 2016

2014 relatif à l'avis du Conseil fédéral7, la CdG-N a conclu que deux de ses recommandations (recommandations 2 et 8) avaient déjà été mises en oeuvre, tandis que les sept autres nécessitaient des clarifications plus approfondies. Elle a donc invité le Conseil fédéral à fournir plus d'informations sur quatre des recommandations (recommandations 1, 4, 7 et 9) et a regroupé les trois autres (recommandations 3, 5 et 6) dans un postulat.

Le postulat de la CdG-N chargeait le Conseil fédéral de clarifier avec les cantons les raisons des différences relevées entre ceux-ci dans la mise en oeuvre de l'ALCP et de déterminer comment utiliser de manière plus uniforme les possibilités de piloter l'immigration au moyen du retrait ou de la restriction de l'autorisation de séjour.

Le présent rapport, rédigé sous la houlette du Département fédéral de justice et police (DFJP) en étroite collaboration avec l'Association des services cantonaux de migration (ASM) et l'Association des offices suisses du travail (AOST), commence par rappeler les mesures prises par le Conseil fédéral à ce jour pour harmoniser la mise en oeuvre de l'ALCP et pour prévenir d'éventuels abus. Dans une deuxième partie, le rapport se penche sur les causes à l'origine des différences dans l'application de l'ALCP et sur les possibilités de piloter l'immigration par le retrait ou la restriction des autorisations de séjour. Dans une troisième partie enfin, le Conseil fédéral expose les mesures envisageables pour renforcer la fonction de surveillance de la Confédération dans l'application de l'ALCP et pour développer le soutien aux cantons. Il se prononce aussi sur la recommandation de la CdG-N concernant l'attribution de ressources supplémentaires à la section compétente du Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM).

1.2.1

Rapport de la CdG-N sur le séjour des étrangers dans le cadre de l'ALCP

En janvier 2012, dans le contexte d'une augmentation plus importante que prévu de l'immigration en provenance des pays de l'UE/AELE depuis l'entrée en vigueur de l'ALCP le 1er juin 2002 et des discussions qui s'en étaient suivies sur les répercussions de la libre circulation des personnes et son pilotage par les autorités, la CdG-N a chargé le CPA de réaliser une évaluation du séjour des étrangers dans le cadre de l'ALCP.

L'évaluation s'est concentrée d'une part sur les répercussions de l'ALCP et, d'autre part, sur le rôle de la Confédération dans la mise en oeuvre dudit accord. Le CPA a réalisé une étude longitudinale en compilant pour la première fois certaines données.

Les autorités cantonales responsables de l'application de l'ALCP n'ont en revanche pas été consultées.

Sur la base de cette évaluation, la CdG-N a abouti à la conclusion que l'immigration relevant de l'ALCP était avant tout une migration liée au travail, et que les possibilités de piloter l'immigration sous le régime de l'ALCP étaient limitées. Le rapport explore néanmoins les possibilités qu'offrent les instruments disponibles et s'intéresse au devoir de surveillance de la Confédération sur la mise en oeuvre de 7

FF 2015 761

2713

FF 2016

l'ALCP. Au vu des insuffisances constatées, la CdG-N a présenté dans son rapport neuf recommandations à l'intention du Conseil fédéral.

1.2.2

Avis du Conseil fédéral sur les recommandations de la CdG-N

Le Conseil fédéral a pris position, le 13 août 2014, sur les recommandations formulées par la CdG-N dans son rapport du 4 avril 2014, exprimant son accord sur le fait que l'immigration relevant de l'ALCP est avant tout une migration liée au travail. Il considère donc que ce sont en premier lieu les entreprises qui pilotent l'immigration, par le recrutement de main-d'oeuvre étrangère.

Dans son avis, le Conseil fédéral renvoyait par ailleurs aux travaux législatifs en cours pour le projet «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes» (cf. ch. 2.2), aux mécanismes de contrôles existants et aux mesures d'accompagnement. Il évoquait aussi les travaux de mise en oeuvre du nouvel art. 121a de la Constitution fédérale (Cst.)8 et les possibles conséquences concernant les recommandations de la CdG-N.

Lors de l'élaboration du rapport, le SEM a consulté les autorités cantonales compétentes pour l'application de l'ALCP: l'ASM, l'AOST, la Conférence des directrices et des directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP), la Conférence des chefs des départements cantonaux de l'économie publique (CDEP), la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) et la Conférence suisse des institutions d'aide sociale (CSIAS). La consultation a montré que les disparités cantonales dans l'application de l'ALCP ont deux causes principales. D'abord, chaque canton dispose, dans le système fédéraliste suisse, d'une certaine marge de manoeuvre, politiquement voulue, mais dont tous n'usent pas de la même manière. Ensuite, les cantons sont confrontés à des défis différents selon leur situation géographique.

1.2.3

Second rapport de la CdG-N relatif à l'avis du Conseil fédéral

Le 6 novembre 2014, la CdG-N a publié un second rapport relatif à l'avis du Conseil fédéral du 13 août 2014. Elle y constatait qu'avec les mesures déjà adoptées, deux de ses recommandations (2 et 8) pouvaient être considérées comme déjà mises en oeuvre. Elle se félicitait ainsi de la décision du Conseil fédéral de créer les bases légales nécessaires pour instituer un échange d'informations entre les autorités cantonales compétentes en matière de migrations et les organes chargés de verser les prestations complémentaires. Elle saluait, enfin, la volonté exprimée par le Conseil fédéral de clarifier les conséquences juridiques du chômage sur le droit de séjour.

Pour quatre autres de ses recommandations (recommandations 1, 4, 7 et 9), axées pour l'essentiel sur une meilleure utilisation des possibilités existantes de pilotage de 8

RS 101

2714

FF 2016

l'immigration, la CdG-N demandait des renseignements et des clarifications supplémentaires, l'accent devant être mis sur l'accès aux données et aux informations. La commission estime en effet que les données disponibles sont trop limitées pour permettre aux cantons d'appliquer correctement le droit en vigueur et à la Confédération d'exercer de manière adéquate son devoir de surveillance.

La CdG-N a pour finir regroupé les trois recommandations restantes (3, 5 et 6) dans le postulat 14.4005.

1.2.4

Avis du Conseil fédéral sur le rapport de la CdG-N

Le 22 avril 2015, le Conseil fédéral a rendu son avis sur le second rapport de la CdG-N9. Il a pris acte des quatre recommandations qui n'avaient pas été intégrées dans le postulat 14.4005 et procédé à des analyses approfondies en vue de leur mise en oeuvre. Les recommandations 4 «Créer les bases nécessaires pour garantir l'accès aux informations», 7 «Mettre à disposition les instruments nécessaires» et 9 «Etoffer les effectifs de la section compétente du SEM» ont été une nouvelle fois analysées, avec les cantons, lors de l'élaboration du présent rapport. Le résultat de ces analyses est détaillé plus loin, aux ch. 3.1.2, 5.1.2 et 6.

Concernant la recommandation 1 «Observer l'évolution des salaires et des pourcentages de personnes percevant des prestations sociales», le Conseil fédéral notait qu'il approuvait, sur le principe, la recommandation de la CdG-N d'introduire des analyses statistiques plus approfondies grâce à l'appariement périodique des données afin de saisir l'évolution du niveau moyen des salaires, des salaires les plus bas et de la proportion des bénéficiaires de prestations sociales. Pour éviter les doublons, ces analyses statistiques approfondies devront être réalisées dans un cadre existant et éprouvé.

L'Observatoire de l'ALCP Suisse-UE a pour mission d'évaluer l'impact de la libre circulation des personnes sur la démographie et le marché du travail, à l'échelon national et si possible à celui des grandes régions de la Suisse10.

9 10

FF 2015 3197 A ce titre, l'Observatoire assume la fonction de forum de l'administration fédérale pour l'échange d'informations. Il fait périodiquement la synthèse des travaux scientifiques et des analyses des différents offices concernés en vue d'identifier les problèmes que pourrait poser la libre circulation des personnes. Il lance au besoin et suit des études scientifiques à moyen ou à long terme et indique, le cas échéant, les conséquences profondes sur les plans politique, économique et social de la libre circulation des personnes, et formule des propositions sur les moyens d'y faire face. Enfin il rédige un rapport périodique à l'intention du Conseil fédéral sur les aspects essentiels de la libre circulation des personnes. (Source : 11e rapport de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE. Le rapport peut être consulté sur Internet à l'adresse suivante: www.seco.admin.ch > Documentation > Publications et formulaires > Etudes et rapports > Travail > Rapports de l'Observatoire ­ Répercussions de la libre circulation des personnes > 11e rapport de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE).

2715

FF 2016

Un appariement périodique des données entre dans le mandat de l'Observatoire de l'ALCP et devrait dès lors être réalisé dans le cadre de son rapport périodique11.

2

Mesures prises à ce jour pour harmoniser l'application de l'ALCP

2.1

Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Amarelle

Le 24 février 2010, le Conseil fédéral a adopté un catalogue de mesures visant à améliorer l'application de l'ALCP12. Ce catalogue comprend des mesures de lutte contre le dumping social et contre la perception indue ou abusive de prestations sociales et des mesures concernant le droit de séjour. Avec le postulat 13.3597 «Libre circulation des personnes. Suivi et évaluation des mesures relatives à l'application de l'ALCP en matière de prestations sociales et droit au séjour», du 21 juin 2013, la conseillère nationale Cesla Amarelle a chargé le Conseil fédéral d'évaluer les 15 mesures adoptées dans son catalogue du 24 février 2010.

En exécution du postulat, le Conseil fédéral a adopté le 18 septembre 2015 un rapport13 présentant un état des lieux de la mise en oeuvre par la Confédération et les cantons des mesures décidées en 2010. Le rapport montre que ces mesures ont pour l'essentiel été mises en oeuvre par la Confédération et les cantons, et qu'elles portent leurs fruits. Les modifications législatives nécessaires sont déjà en vigueur ou sont en préparation.

Mesures contre la sous-enchère abusive en rapport aux conditions de salaire et de travail Le rapport montre que les mesures d'accompagnement sont des instruments importants pour éviter que la libre circulation des personnes n'ouvre la porte à des violations des conditions suisses en matière de salaire et de travail. Il souligne que ces mesures sont régulièrement évaluées et, le cas échéant, adaptées, afin de protéger ces conditions le plus efficacement possible.

Sur le plan normatif, la loi fédérale du 8 octobre 1993 sur les travailleurs détachés14 a subi en 2013 une modification qui permet de lutter de manière plus ciblée contre les prestataires de services étrangers qui exercent une activité lucrative indépendante fictive. Une responsabilité solidaire des entrepreneurs contractants vis-à-vis de leurs sous-traitants a été instaurée la même année; elle améliore de manière ciblée la 11

12 13 14

L'important est que les données obtenues grâce à l'appariement des données au sens de la recommandation 1 ne soient pas utilisées pour l'application de l'ALCP. Une telle utilisation n'est pas couverte par la loi du 9 octobre 1992 sur la statistique fédérale (RS 431.01).

Les données indiquant l'évolution du niveau moyen des salaires, des salaires les plus bas et de la proportion des bénéficiaires de prestations sociales ne peuvent servir qu'à surveiller l'application de l'accord et seront présentées sous forme anonymisée.

www.sem.admin.ch > Entrée et séjour > Libre circulation des personnes SuisseUE/AELE www.dfjp.admin.ch > Actualité > News > Le Conseil fédéral adopte un rapport concernant l'application de l'accord sur la libre circulation des personnes RS 823.20

2716

FF 2016

protection des conditions de salaire et de travail dans les contrats en chaîne conclus dans les secteurs de la construction, du génie civil et du second oeuvre 15. Par ailleurs, le Conseil fédéral a prolongé jusqu'à fin 2016 la validité du contrat-type de travail du 20 octobre 2010 pour l'économie domestique16, qui règle notamment les temps de travail et de repos des salariés et les salaires minimaux obligatoires. Enfin, le rapport rappelle que le Conseil fédéral a adopté le 1 er juillet 2015, à l'intention des Chambres fédérales, le message concernant la modification de la loi fédérale sur les travailleurs détachés17, qui propose un durcissement des sanctions administratives.

Au niveau de l'exécution, le rapport mentionne en particulier les audits menés depuis 2013 pour évaluer les méthodes de travail des organes d'exécution et recommander des mesures d'amélioration, notamment par des séminaires de formation et des échanges. Le rapport précise encore que l'activité du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), qui est l'autorité de surveillance de l'application des mesures d'accompagnement, a aussi fait l'objet d'un audit réalisé par le Contrôle fédéral des finances. Ce dernier a dressé un bilan positif, tout en émettant des recommandations que le SECO mettra en oeuvre.

Le rapport rappelle enfin que la loi fédérale du 17 juin 2005 sur le travail au noir18, qui, comme les mesures d'accompagnement, est un instrument de surveillance du marché du travail, sera également révisée en vue d'accroître son efficacité.

Mesures contre la perception indue ou abusive de prestations sociales, mesures relatives au droit de séjour Dans le domaine des mesures de lutte contre la perception indue ou abusive de prestations sociales, le rapport commence par définir les termes «indu» et «abusif».

Il montre que ces termes n'ont pas de valeur juridique et qu'il n'en existe pas de définition univoque. En principe, il y a perception indue de prestations sociales lorsque les conditions matérielles y donnant droit ne sont pas remplies. Il y a perception abusive de prestations sociales lorsque la personne, tout en sachant qu'elle n'y a pas droit, agit frauduleusement pour en bénéficier.

Le rapport explique que les développements récents de l'économie et de la société ont amené le Conseil fédéral et le législateur à durcir
les conditions d'obtention de prestations des assurances sociales. Les révisions passées et surtout à venir de la législation dans ce domaine, notamment celles concernant l'assurance-vieillesse et survivants et l'assurance-invalidité, visent à adapter les régimes sociaux aux nouvelles réalités démographiques et à garantir leur pérennité. Les mesures qui sont prises dans ce domaine n'ont toutefois pas pour but de réguler l'immigration.

Les prestations versées par les assurances sociales, telles que les indemnités de chômage ou les prestations complémentaires, peuvent cependant avoir une influence directe sur le droit des ressortissants de l'UE/AELE à séjourner en Suisse. Le Conseil fédéral a donc formulé des propositions complétant le catalogue des mesures et visant une meilleure coordination entre les autorités d'application de l'assurance15 16 17 18

Art. 5 de la loi sur les travailleurs détachés et art. 8a à 8c de l'ordonnance du 21 mai 2003 sur les travailleurs détachés en Suisse (Odét; RS 823.201) RS 221.215.329.4 FF 2015 5359 RS 822.41

2717

FF 2016

chômage et celles qui sont en charge des migrations et du marché du travail. Le SEM les a intégrées dans des bases légales entrées en vigueur le 1er janvier 201419.

Par ailleurs, la révision en cours de la LEtr «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes» prévoit que les données concernant la perception de prestations complémentaires par des étrangers seront transmises aux autorités cantonales des étrangers (cf. ch. 2.2.2).

Cette mesure permettra aux autorités migratoires, en cas d'abus, de tirer les conséquences qui s'imposent en termes de droit de séjour.

Dans le domaine de l'aide sociale, le rapport indique qu'il n'est pas possible pour l'heure d'évaluer de manière fiable le potentiel d'abus existant, car la compétence en la matière appartient aux cantons et aux communes et qu'il n'existe pas de suivi au niveau suisse. Etant donné que l'aide sociale n'est versée qu'aux personnes titulaires d'une autorisation de séjour valable, le rapport conclut qu'un examen resserré des demandes déposées pour obtenir une autorisation de séjour devrait suffire à prévenir les cas de perception indue ou abusive de prestations de l'aide sociale. A cette fin, il est indispensable d'appliquer de manière stricte l'échange de données, déjà prévu par la loi, entre les autorités en charge de l'aide sociale et celles qui sont responsables des migrations, ainsi que la future disposition qui autorisera la communication aux autorités cantonales chargées des étrangers des données concernant la perception de prestations complémentaires. Le rapport considère que les dispositions relatives à la perte de la qualité de travailleur salarié et à l'extinction du droit de séjour pour les personnes à la recherche d'un emploi, qu'il est également prévu d'introduire dans le projet de loi «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes» (cf. 2.2.2), seront elles aussi utiles pour renforcer les contrôles.

Suivi de l'application Le rapport rédigé en exécution du postulat Amarelle revient par ailleurs sur la phase pilote de trois mois de suivi de l'application de l'ALCP. Cette phase visait à tester le suivi dans la pratique et à identifier les mesures qui se révéleraient nécessaires pour lutter contre
les abus dans le cadre de la libre circulation des personnes. Les enseignements tirés de la phase pilote ont été intégrés au rapport et montrent des cas d'abus isolés et non généralisés. Les résultats révèlent également des différences parfois considérables entre les cantons s'agissant du nombre de potentiels cas d'abus relevés.

19

Art. 82, al. 6, de l'ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA; RS 142.201), art. 97, al. 3, let. e, de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (LEtr; RS 142.20) et art. 97a, al. 1, let. bter, de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur l'assurance-chômage (RS 837.0)

2718

FF 2016

2.2

Paquet législatif «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes»

2.2.1

Contexte

Pour le Conseil fédéral, il est essentiel que les mesures d'accompagnement à la libre circulation des personnes soient appliquées de manière rigoureuse et qu'une réponse appropriée soit donnée, par tous les acteurs concernés, aux répercussions négatives de la libre circulation des personnes. Concernant l'application de l'ALCP, il semble que c'est avant tout concernant l'octroi de l'aide sociale ou l'extinction du droit de séjour acquis en tant que travailleur que les choses ne sont pas tout à fait claires et que les pratiques varient d'un canton à l'autre. Indépendamment de la mise en oeuvre de l'art. 121a Cst., le Conseil fédéral a donc chargé le DFJP et le Département fédéral de l'intérieur, le 15 janvier 2014, de préparer un projet de loi pour clarifier ces incertitudes.

Les dispositions proposées ont par la suite été intégrées dans le projet de mise en oeuvre de l'art. 121a Cst., afin de simplifier la procédure législative. De plus, ces améliorations apportées à l'application de l'ALCP ont également pour but d'améliorer la gestion de l'immigration. Il s'agit d'empêcher les personnes étrangères qui viennent en Suisse pour y chercher un emploi de percevoir une aide sociale. Le projet précise par ailleurs les critères de l'extinction du droit de séjour en cas de chômage involontaire et instaure un échange de données entre les autorités lors du versement de prestations complémentaires.

Une consultation a été menée du 2 juillet au 22 octobre 2014. Le projet présenté comprenait également une modification de l'art. 18, al. 2, de l'ordonnance du 22 mai 2002 sur l'introduction de la libre circulation des personnes (OLCP)20. Il s'agissait de préciser que les ressortissants de l'UE/AELE qui demandent une autorisation de séjour de courte durée aux fins de recherche d'un emploi en Suisse doivent disposer de moyens financiers nécessaires à leur entretien. Cette modification est entrée en vigueur le 1er avril 2015.

2.2.2

Contenu du paquet législatif

Les modifications législatives proposées doivent garantir une application uniforme de l'ALCP dans toute la Suisse et clarifier la situation juridique concernant l'interprétation de certaines de ses dispositions. Elles correspondent en outre aux recommandations 2 et 8 de la CdG-N. Il s'agit, d'une part, de clarifier le droit concernant la possibilité de retirer l'autorisation de séjour acquise en qualité de travailleurs à des ressortissants de l'UE/AELE se retrouvant au chômage involontairement et, d'autre part, de créer la base légale permettant l'échange de données relatives au versement de prestations complémentaires. Pour l'essentiel, le projet législatif comprend les trois points suivants:

20

RS 142.203

2719

FF 2016

Exclusion de l'aide sociale des personnes en recherche d'emploi Actuellement, il n'existe aucune disposition légale au niveau fédéral qui règle la question de savoir s'il faut ou non accorder de l'aide sociale à des étrangers en quête d'emploi. Certaines législations cantonales contiennent des règles à ce sujet.

Aujourd'hui, la législation et la pratique varient d'un canton à l'autre. Pour clarifier la situation, harmoniser la pratique et garantir la sécurité du droit, le projet législatif présenté prévoit que le droit fédéral doit exclure du régime de l'aide sociale les étrangers qui viennent en Suisse dans le seul but d'y chercher un emploi, cette exclusion s'étendant également aux membres de leur famille.

Extinction du droit de séjour acquis en qualité de travailleur Le droit de l'UE prévoit que la qualité de travailleur subsiste pendant au minimum six mois après la perte involontaire d'un emploi au cours de la première année de séjour. Cette disposition repose sur une directive que la Suisse n'a pas reprise dans le cadre de l'ALCP. En revanche, le droit européen ne précise pas à quel moment intervient la perte de la qualité de travailleur lorsque la cessation de l'activité se produit au-delà de la première année de séjour. La jurisprudence de la Cour de justice de l'UE (CJUE) pose quelques principes fondamentaux sur la question, mais ne définit pas le moment exact de la perte de la qualité de travailleur. L'ALCP n'est pas non plus très clair à ce sujet. L'objectif des dispositions législatives proposées est donc de créer une règle claire pour déterminer le moment où la personne qui cesse involontairement d'avoir une activité rémunérée perd sa qualité de travailleur.

Echange de données entre autorités migratoires et autorités compétentes en matière de prestations complémentaires L'ALCP prévoit qu'une personne qui séjourne dans un pays sans y exercer d'activité économique doit disposer d'une couverture d'assurance-maladie suffisante et de moyens financiers lui interdisant de toucher une aide sociale, faute de quoi son droit au séjour s'éteint. Les moyens financiers sont réputés suffisants si un citoyen suisse, dans la même situation, ne pourrait pas avoir recours à l'aide sociale ou si les moyens financiers dépassent le montant donnant droit, à un ressortissant suisse qui en fait la demande,
à des prestations complémentaires au sens des dispositions de la loi fédérale du 6 octobre 2006 sur les prestations complémentaires (LPC)21. Il est cependant fréquent que les autorités chargées des questions touchant aux migrations n'obtiennent pas les informations qui leur permettraient, le cas échéant, de révoquer une autorisation de séjour, car il n'existe pas, comme pour les prestations d'aide sociale, de dispositions légales autorisant un échange de données lors du versement de prestations complémentaires.

L'échange de données qu'il est proposé d'instituer entre les organes chargés d'octroyer les prestations complémentaires et les autorités cantonales compétentes en matière de migrations permet d'améliorer le flux d'informations dans le sens voulu. La base légale nécessaire doit être créée par une modification de la LPC et de la LEtr. La réglementation envisagée concernerait en principe tous les étrangers qui séjournent en Suisse sans y exercer d'activité lucrative.

21

RS 831.30

2720

FF 2016

Lors de la consultation, une majorité des participants a souhaité que l'échange de données ne se limite pas au versement de la prestation complémentaire annuelle mais inclue aussi la prestation en nature (remboursement des frais de maladie et d'invalidité, art. 3, al. 1, let. b, LPC), qui est une composante des prestations complémentaires. Le projet a été adapté en ce sens et prévoit désormais un échange de données lors du versement de prestations en nature, à partir d'un certain montant. Il est ainsi proposé que l'échange d'informations se limite aux prestations complémentaires allouées par la Confédération. Le Conseil fédéral précisera au niveau de l'ordonnance quelles données concrètes doivent être transmises.

Il est aussi proposé d'exclure de manière explicite le versement de prestations complémentaires aux étrangers sans titre de séjour en Suisse.

3

Motifs des disparités cantonales dans l'application de l'ALCP

3.1

Résultats des clarifications auprès des cantons

L'évaluation du CPA a mis au jour des différences, sur certains points, dans la manière dont les autorités migratoires cantonales appliquent l'ALCP. Les différences concernent la pratique en matière d'octroi d'autorisations de séjour, mais les données analysées montrent aussi qu'il existe parfois des divergences entre le but déclaré et le but effectif du séjour des ressortissants étrangers. Suite à ces constatations, le postulat de la CdG-N a demandé au Conseil fédéral de clarifier, avec les cantons, les raisons de ces différences dans l'application de l'ALCP.

Le Conseil fédéral et les cantons, plus précisément l'ASM, ont analysé les données issues de l'évaluation du CPA et en ont déduit les causes, qui sont présentées ciaprès.

3.1.1

Octroi des autorisations

L'analyse des données du CPA a montré que les cantons n'avaient pas tous la même pratique concernant l'octroi d'autorisations de séjour dans le cadre de l'ALCP. Dans l'intérêt d'une harmonisation et d'une plus grande efficacité dans l'application de l'ALCP, la CdG-N a donc invité le Conseil fédéral, dans sa recommandation 6, à clarifier avec les cantons l'origine de ces différences.

Comme l'exposait déjà le Conseil fédéral dans son avis du 13 août 2014, les différences entre les cantons dans l'application de l'ALCP résultent ­ en partie du moins ­ de la disparité des situations géographiques et politiques de ceux-ci. Outre la marge de manoeuvre, politiquement voulue, dont disposent les cantons dans le système fédéraliste suisse, la situation géographique et organisationnelle de chacun d'entre eux doit être prise en considération lorsqu'il s'agit d'analyser les différences dans l'application de l'ALCP. Le fait est que les cantons, en fonction de leur taille et de leur emplacement, ne font pas tous face aux mêmes défis en matière d'immigration. Les différences apparaissent aussi dans la jurisprudence des cantons, laquel2721

FF 2016

le influence directement la pratique des autorités cantonales compétentes en matière de migrations. Il faut également relever que les cantons ne consacrent pas tous le même budget ­ en termes de finances ou de personnel ­ au domaine des étrangers.

Pour clarifier les disparités détectées par le CPA dans l'application de l'ALCP, les domaines gérés de manière très différente d'un canton à l'autre ont été analysés avec l'ASM. Des différences ont été constatées notamment dans la prolongation d'autorisations de séjour B et dans l'octroi de permis d'établissement C. Par ailleurs, les données relevées par le CPA montrent que les cantons ne sont pas tous aussi prompts à mettre à jour des informations clés dans le Système d'information central sur la migration (SYMIC). Dans le détail, les analyses ont produit les résultats suivants: Prolongation des autorisations de séjour22 Au-delà de la marge de manoeuvre dont chaque canton dispose en matière d'exécution, les différences constatées entre les cantons concernant la prolongation d'autorisations de séjour B ou l'octroi de permis d'établissement C tiennent essentiellement à la composition différente de l'immigration dans les cantons concernés.

L'autorisation de séjour d'un ressortissant de l'UE/AELE est automatiquement prolongée après cinq ans, pour autant que les conditions de son octroi soient encore remplies. Cependant, des conventions d'établissement ont été conclues avec les pays de l'UE/AELE suivants: Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grèce, Italie, Pays-Bas, Portugal, Principauté de Liechtenstein et République fédérale d'Allemagne. Ces conventions prévoient l'octroi d'un permis d'établissement au bout de cinq ans déjà (l'obtention du permis d'établissement est un droit si les conditions sont remplies). Les cantons sont donc tenus de vérifier d'office si les personnes concernées satisfont aux conditions requises et, le cas échéant, de leur délivrer le permis demandé.

Les choses sont différentes lorsqu'il n'existe pas de droit à l'octroi d'un permis d'établissement, soit parce que la Suisse n'a pas de convention d'établissement avec le pays dont provient la personne, soit parce que cette dernière ne peut se prévaloir d'un droit légal à l'autorisation d'établissement (regroupement familial selon l'art. 43 LEtr). Dans ces cas, l'octroi d'un
permis d'établissement se fait selon l'appréciation du canton, ce qui est une autre raison expliquant les différences constatées.

Par ailleurs, les cantons doivent accorder immédiatement une autorisation d'établissement aux professeurs ordinaires et extraordinaires enseignant dans une université, une école polytechnique fédérale ou à l'Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)23. Cette pratique peut aussi expliquer certains écarts statistiques.

22 23

Rapport du CPA du 6 novembre 2013, ch. 5.1.2 Cf. Directives LEtr, ch. 3.4.3.4 (www.sem.admin.ch > Publications & service > Directives et circulaires > Domaine des étrangers).

2722

FF 2016

Qualité insuffisante des enregistrement dans le SYMIC24 Dans son rapport, le CPA constatait que les données saisies dans le SYMIC n'étaient pas actuelles et que leur mise à jour variait d'un canton à l'autre.

Les clarifications menées sur ce point avec les cantons ont montré que les différences concernant le moment de la mise à jour des informations dans le SYMIC étaient liées à la taille des cantons et à leurs structures. Après l'annonce et le dépôt d'une demande auprès d'une commune, le traitement ultérieur du dossier dépend de la manière dont l'administration cantonale est organisée, ce qui peut expliquer les différences constatées concernant l'enregistrement des arrivées des ressortissants de l'UE/AELE. La mise à jour des informations concernant les départs peut aussi être liée aux procédures en vigueur dans les offices de la population, sans compter que les étrangers n'annoncent pas toujours leur départ auprès de l'autorité compétente, ce qui peut également entraîner un retard dans le report de l'information dans le SYMIC.

Les écarts constatés dans la mise à jour des informations relatives à la prise d'un emploi peuvent aussi avoir différentes causes. Il peut arriver, premièrement, que la personne ne s'annonce pas à temps, car c'est à elle, et non à son employeur, de faire cette démarche. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure d'annonce, les ressortissants de l'UE/AELE peuvent exercer une activité lucrative en Suisse pendant une période de trois mois au maximum par année civile sans qu'un enregistrement dans le SYMIC comme actif occupé soit nécessaire. Enfin, les personnes disposant d'une autorisation de séjour de cinq ans peuvent changer de canton ou de statut professionnel sans que les autorités responsables des questions migratoires le sachent, puisqu'il n'est pas obligatoire d'annoncer un tel changement (à ce sujet, voir ch. 3.1.2).

Autres différences dans l'application de l'ALCP L'analyse des données effectuée par le CPA a montré que, dans certains cas, les autorités cantonales ont accordé des autorisations de séjour en violation des dispositions de l'ALCP, du droit national ou des directives du SEM. Des personnes séjournant en Suisse pour y rechercher un emploi ont par exemple reçu une autorisation de séjour B valable cinq ans en lieu et place d'une autorisation de courte durée
L. Il a également été constaté que des personnes séjournant en Suisse à des fins de formation ont reçu une autorisation de plusieurs années plutôt qu'une autorisation limitée à un an25.

Les clarifications menées avec l'ASM ont montré que, s'agissant des cas cités, les situations et les règles applicables étaient claires et bien expliquées dans les directives du SEM. Les autorisations délivrées dans ces cas l'avaient donc été par erreur.

Pour l'ASM, il appartient au SEM de faire respecter ses directives et les dispositions de l'ALCP par des contrôles ou, éventuellement, par une procédure d'approbation dans les domaines sensibles.

24 25

Rapport du CPA du 6 novembre 2013, ch. 5.1.3 Rapport du CPA du 6 novembre 2013, ch. 5.1.4

2723

FF 2016

3.1.2

Divergences entre le but déclaré et le but effectif du séjour

Il ressort de l'enquête du CPA qu'il y a souvent un décalage entre le but du séjour déclaré à l'origine par les personnes immigrant dans le cadre de l'ALCP et le but effectif de leur séjour, la différence variant fortement d'un canton à l'autre 26. La CdG-N a donc invité le Conseil fédéral, dans sa recommandation 3, à clarifier les raisons du décalage constaté entre le but déclaré et le but effectif du séjour des ressortissants de l'UE/AELE. La CdG-N s'est montrée particulièrement préoccupée de ce décalage concernant les personnes séjournant en Suisse aux fins de l'exercice d'une activité lucrative, car le droit de séjour accordé à ce titre ouvre aussi un accès sans discrimination aux prestations de l'aide sociale.

Dans son avis du 13 août 2014, le Conseil fédéral a déjà indiqué qu'il n'était pas possible d'éviter complètement un certain décalage entre les buts de séjour déclarés et effectifs, du fait que les personnes concernées ne sont pas tenues d'annoncer un changement du but de leur séjour. En outre, les personnes immigrant en Suisse au titre de l'ALCP peuvent ­ pour autant qu'elles satisfassent aux conditions ­ faire valoir un droit à l'octroi d'une autorisation de séjour. Ladite autorisation n'a donc qu'un caractère déclaratoire. Il convient encore de rappeler ici les explications données au ch. 3.1.1 concernant l'enregistrement et la mise à jour des données dans le SYMIC.

Afin de clarifier la divergence constatée entre les buts déclarés et les buts effectifs du séjour, le Conseil fédéral a également été invité, dans la recommandation 4 de la CdG-N, à examiner la possibilité d'introduire une obligation pour les ressortissants de l'UE/AELE d'annoncer tout changement du but de leur séjour. Le Conseil fédéral ­ comme il l'avait annoncé dans son avis du 22 avril 2015 ­ a examiné cette possibilité de manière approfondie dans le cadre des travaux de mise en oeuvre de l'art. 121a Cst. Il est arrivé à la conclusion que l'introduction d'une obligation d'annoncer tout changement du but du séjour pour les ressortissants de l'UE/AELE est en principe possible, pour autant qu'elle ne viole pas l'interdiction de discrimination prévue dans l'ALCP et qu'elle respecte le principe de proportionnalité.

L'examen a cependant aussi montré que l'introduction d'une telle obligation entraînerait pour les cantons
un surcroît de travail considérable et disproportionné par rapport au but visé. On peut ajouter que l'introduction d'une obligation générale pour les ressortissants de l'UE/AELE d'annoncer la fin d'une activité lucrative ­ obligation qui violerait l'interdiction de discrimination prévue dans l'ALCP et le principe de proportionnalité ­ demanderait aussi un effort considérable aux cantons en termes d'administration, et ne serait donc pas très appropriée pour atteindre le but visé27. A cela s'ajoute que la législation sur les étrangers ne punit que le non-respect 26 27

Rapport du CPA du 6 novembre 2013, ch. 5.1.1; documentation relative au rapport du CPA du 6 novembre 2013, partie III, analyse quantitative, ch. 7.1 Les relevés du SECO donnent des indications sur les groupes concernés: en 2015, 40 222 ressortissants de l'UE27 se sont annoncés à l'assurance-chômage. Ces personnes, entre autres, seraient visées par l'obligation d'annoncer la fin d'une activité lucrative et devraient être recensées par les autorités cantonales compétentes en matière de migrations (voir www.seco.admin.ch > Actualités > Informations aux médias > 2016 > 8 janvier 2016, La situation sur le marché du travail).

2724

FF 2016

de l'obligation de déclarer son arrivée et qu'une telle contravention ne justifierait ni une interdiction d'entrée, ni une expulsion28. On peut dès lors douter de l'efficacité d'une obligation d'annoncer un changement du but du séjour (qualité des données).

Par ailleurs, une obligation d'annoncer un changement du but du séjour ne concernerait qu'un nombre restreint de personnes, si elle est conforme à l'ALCP. Ainsi, un changement de poste ou de domicile ne peut pas être soumis à une obligation d'annonce, les ressortissants de l'UE/AELE employés en Suisse ayant droit à la mobilité tant professionnelle que géographique. Par conséquent, introduire une obligation, pour l'employeur ou l'employé, d'annoncer tout changement professionnel ou géographique ne serait pas compatible avec l'ALCP. Ce changement ne modifie d'ailleurs pas le but du séjour. Le passage d'une activité salariée à une activité indépendante (et inversement) n'entraîne pas non plus de modification du but du séjour et ne pourrait donc pas non plus être soumis à une obligation d'annonce. Qui plus est, les membres de la famille de ressortissants de l'UE/AELE seraient également exclus de l'obligation d'annonce, étant donné qu'ils ont un droit d'accès au marché du travail et que le but légal de leur séjour reste inchangé lorsqu'ils commencent ou cessent une activité lucrative.

La cessation ou la perte d'un emploi par un ressortissant de l'UE/AELE n'entraîne pas non plus de modification du but du séjour aussi longtemps que la personne concernée dispose de la qualité de travailleur. Tel est notamment le cas lors du versement de prestations de l'assurance-chômage. Une obligation d'annoncer l'abandon d'une activité rémunérée avant même que des prestations sociales ne soient perçues impliquerait que les autorités d'exécution cantonales vérifient dans chaque cas, sur la base d'un examen préalable, si l'intéressé a encore la qualité de travailleur salarié. Une telle obligation ­ comme dit plus haut ­ nécessiterait des ressources considérables en termes de personnel et de finances et ne se justifierait que difficilement au regard du but visé.

Par conséquent, seuls les ressortissants de l'UE/AELE munis d'une autorisation de courte durée ou d'une autorisation de séjour qui cessent leur emploi salarié ou leur activité indépendante et souhaitent
continuer à séjourner en Suisse comme personne sans activité économique et ceux qui disposent d'une autorisation de séjour comme non-actif et souhaitent pour la première fois exercer une activité lucrative seraient concernés par l'introduction d'une obligation d'annoncer tout changement du but du séjour.

Comme le montrent ces explications, l'obligation d'annoncer un changement du but du séjour ne serait applicable que de manière restreinte. Le Conseil fédéral considère par conséquent qu'elle serait disproportionnée. De plus, l'objectif visé par la CdG-N avec une telle obligation était principalement de faire en sorte que les autorités d'exécution cantonales puissent obtenir les informations nécessaires au pilotage de l'immigration relevant de l'ALCP. Comme expliqué plus haut, l'obligation d'annoncer l'abandon d'une activité lucrative contraindrait les autorités d'exécution cantonales à vérifier dans chaque cas, sur la base d'un examen préalable, si l'intéressé a encore la qualité de travailleur salarié, puisque la fin d'une activité lucrative n'implique pas automatiquement la perte de cette qualité. Les cantons 28

Art. 120, al. 1, let. a, LEtr et art. 32a OLCP

2725

FF 2016

devraient investir des ressources financières et de personnel considérables pour examiner chaque cas.

Le Conseil fédéral estime par ailleurs que l'introduction d'une obligation d'annonce ne serait pas de nature à régler le problème soulevé par la CdG-N de la perception indue ou abusive de prestations sociales. En effet, la perception de prestations sociales ne peut être considérée comme indue que lorsque la personne concernée ne satisfait pas aux conditions de séjour (les ressortissants de l'UE/AELE sans activité lucrative font ici exception, puisqu'ils ne peuvent séjourner en Suisse que s'ils disposent de moyens financiers suffisants). Par conséquent, la perception indue ou abusive de prestations d'aide sociale ne peut être empêchée que par une vérification systématique du droit de séjourner en Suisse, notamment lors de la perte de la qualité de travailleur suite à la cessation involontaire d'une activité lucrative.

Au vu de ces considérations, le Conseil fédéral et l'ASM estiment que la procédure d'approbation dans les domaines sensibles, indiquée au ch. 5.1.1, est une solution plus adéquate.

3.2

Points sur lesquels une intervention s'impose

Pour éliminer autant que possible les divergences cantonales dans l'application de l'ALCP, il convient d'harmoniser les pratiques concernant l'octroi, la prolongation et la révocation des autorisations, tout en tenant compte de la situation particulière de chaque canton. Les clarifications menées avec l'ASM ont montré que ce que les cantons attendent de la Confédération, c'est avant tout qu'elle traite leurs demandes rapidement et correctement, et que les compétences des uns et des autres soient clairement définies, ce qui est bien le cas aujourd'hui selon le Conseil fédéral. Les cantons sont favorables au développement du soutien à l'application par des formations et une intensification des échanges. Ils ne sont pas non plus opposés à un développement mesuré des contrôles de la Confédération et ont proposé, à cet effet, d'introduire une procédure d'approbation dans des domaines particulièrement sensibles.

Le Conseil fédéral estime que l'introduction d'une obligation d'annoncer tout changement du but du séjour n'est pas une solution adéquate, mais il entend examiner la proposition de l'ASM d'introduire une procédure d'approbation dans des domaines sensibles. Se fondant sur les enseignements de l'analyse menée avec les cantons et l'ASM, il a élaboré des mesures qui sont censées permettre de progresser vers une application plus uniforme de l'ALCP (voir ch. 5).

2726

FF 2016

4

Recours aux possibilités existantes pour les cantons de révoquer ou de limiter les autorisations de séjour

4.1

Résultats des clarifications auprès des cantons

Dans sa recommandation 5, la CdG-N invite le Conseil fédéral à inciter, dans les limites de ses compétences, les autorités cantonales compétentes à recourir systématiquement et de la manière la plus uniforme possible aux mesures de pilotage existantes. Il s'agit en particulier d'utiliser systématiquement la possibilité de révoquer ou de ne pas prolonger l'autorisation de séjour des ressortissants de l'UE/AELE qui ne satisfont plus aux conditions de séjour.

Le Conseil fédéral et les cantons partagent l'avis de la CdG-N selon lequel les possibilités existantes devraient être utilisées de la manière la plus uniforme possible. Ils considèrent toutefois que les mesures de retrait et de restriction des autorisations de séjour ne permettent que de façon restreinte de gérer l'immigration, car ces mesures ne sont applicables que dans le cas où la personne concernée ne peut plus faire valoir aucun droit de séjour au titre de l'ALCP. Le Conseil fédéral a également fait remarquer que les procédures de retrait ou de restriction des autorisations de séjour sont coûteuses et compliquées, car il n'est pas rare que la situation de la personne concernée change pendant la procédure. Selon l'ASM, un point crucial est l'interprétation qu'il convient de donner à la notion de la qualité de travailleur et, par extension, à l'extinction du droit de séjour acquis en qualité de travailleur. Une personne se retrouvant au chômage ou percevant des aides sociales ne peut se voir retirer son droit de séjour que si elle n'a plus la qualité de travailleur.

4.2

Points sur lesquels une intervention s'impose

Les autorités cantonales ne peuvent en principe retirer une autorisation de séjour, ou ne pas la prolonger, que si la personne ne satisfait plus aux conditions de séjour selon l'ALCP. Sont réservés les cas d'atteinte à l'ordre public selon l'art. 5, annexe I, ALCP: une mesure d'éloignement peut alors être prise même si la personne satisfait par ailleurs aux conditions de séjour en Suisse prévues dans l'ALCP (qualité de travailleur ou moyens financiers suffisants pour les personnes sans activité lucrative).

Les ressortissants de l'UE/AELE sans activité lucrative ne peuvent faire usage de leur droit de libre circulation qu'à la condition de disposer de moyens financiers suffisants. Les moyens financiers sont réputés suffisants si un citoyen suisse, dans la même situation, ne pourrait pas avoir recours à l'aide sociale ou si les moyens financiers dépassent le montant donnant droit à un ressortissant suisse qui en fait la demande à des prestations complémentaires au sens de la LPC (cf. ch. 2.2.2). En revanche, les ressortissants de l'UE/AELE ne satisfont plus aux conditions de séjour en tant que travailleur dès lors qu'ils n'ont plus la qualité de travailleur.

Les clarifications menées avec l'ASM ont montré que les autorités cantonales ne peuvent prendre des mesures d'éloignement efficaces, au sens de la révocation d'une autorisation de séjour ou de sa non-prolongation, que si elles sont informées des changements pertinents pour le droit à séjourner en Suisse, d'une part, et si, d'autre 2727

FF 2016

part, la Confédération définit plus précisément des notions nécessitant une interprétation, comme celle de la qualité de travailleur ou de l'extinction du droit de séjour acquis en qualité de travailleur.

Avec la création des bases légales pour l'échange de données entre les autorités chargées des migrations et celles qui s'occupent de l'aide sociale et de l'assurancechômage, de même qu'avec l'échange de données qui va être instauré avec les autorités responsables des prestations complémentaires, les conditions sont maintenant en place pour le réexamen du droit de séjour en cas d'événement susceptible de le remettre en cause. A ce sujet, l'ASM a indiqué que les flux d'informations entre les autorités de l'aide sociale et des migrations étaient désormais établis et fonctionnaient bien. L'échange de données avec les autorités de l'assurancechômage fonctionne lui aussi correctement, même si un potentiel d'optimisation existe encore pour les données à communiquer concernant les ressortissants de l'UE/AELE qui se voient refuser le droit aux indemnités de chômage (art. 82, al. 6, let. b, OASA) ou pour lesquels le versement des indemnités de chômage prend fin (art. 82, al. 6, let. d, OASA). Les offices concernés de l'administration fédérale travaillent actuellement à trouver une solution. Par ailleurs, le projet de loi «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes», qui précise les conditions de l'extinction du droit de séjour en tant que travailleur pour les ressortissants de l'UE/AELE, et de la perte du statut de travailleur, revêt une importance majeure pour une application plus uniforme de l'ALCP par les cantons (cf. ch. 2.2.2).

Le Conseil fédéral a repris les domaines que l'ASM a identifiés comme sensibles, et donc pertinents pour le droit à séjourner en Suisse, dans sa proposition concernant la procédure d'approbation (cf. ch. 5.1.1).

5

Mesures envisageables

Les points problématiques relevés aux ch. 3.2 et 4.2 montrent que les différences entre les cantons dans l'application de l'ALCP ne pourront être réduites qu'en s'efforçant d'harmoniser les pratiques en matière d'octroi, de prolongation et de révocation des autorisations. Le Conseil fédéral a donc travaillé avec les cantons à l'élaboration de mesures tenant compte de la disparité des situations cantonales mais susceptibles d'améliorer l'uniformité de l'application de l'ALCP. Comme souhaité par la CdG-N, ces mesures prévoient un renforcement de la fonction de surveillance de la Confédération et un développement du soutien apporté aux autorités cantonales pour leurs tâches d'application, par des formations et des ateliers sur des questions de principe juridiques et de coordination. Les cantons seront associés en amont à la mise en oeuvre de ces mesures.

2728

FF 2016

5.1

Renforcement de la surveillance de la Confédération pour l'application de l'ALCP

L'art. 121, al. 1, Cst., donne à la Confédération une compétence législative complète dans le domaine des étrangers. L'application de la législation relative aux étrangers, y compris l'ALCP, est en revanche de la compétence des cantons. C'est à eux qu'il revient de délivrer les autorisations relevant du droit des étrangers, de les prolonger ou de les révoquer. La compétence de la Confédération est réservée dans les cas où le Conseil fédéral considère qu'une autorisation doit être soumise à l'approbation du SEM (cf. art. 99 LEtr et art. 28 OLCP).

La surveillance de l'application de l'ALCP par les cantons est une compétence du SEM, en vertu de l'art. 124, al. 1, LEtr en lien avec l'art. 33 OLCP. Le SEM contrôle au niveau fédéral l'application de l'accord dans le domaine de la libre circulation des personnes avec l'UE et ses Etats membres et avec les Etats de l'AELE.

Jusqu'à présent, la question de la surveillance que la Confédération pouvait exercer sur l'application de l'ALCP a toujours été interprétée de manière restrictive, et cette surveillance s'est exercée avec une grande retenue. Le SEM a exercé un contrôle principalement indirect, par des échanges, par l'adoption de directives et par un soutien général à l'application (cf. ch. 5.2.1). Une procédure d'approbation n'existe aujourd'hui que pour de rares cas particuliers de regroupement familial concernant des ressortissants d'Etats tiers29.

L'interprétation restrictive des compétences de surveillance de la Confédération sur l'application de l'ALCP a des motifs politiques, mais s'explique aussi par les circonstances de la mise en oeuvre de l'accord. Depuis son entrée en vigueur en 2002, la libre circulation des personnes avec les Etats de l'UE et de l'AELE a été introduite progressivement. L'accès au marché du travail s'est développé dans le cadre défini par les dispositions transitoires (contingents, contrôle des conditions de salaire et de travail, etc.), et ce n'est que depuis juin 2014 que les Etats membres de l'UE bénéficient de la libre circulation pleine et entière (font encore exception la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie). Il n'y a donc pas eu à ce jour de volonté politique pour une surveillance plus complète.

La CdG-N estime cependant que la situation politique s'est modifiée en profondeur ces dernières années. Elle considère
dès lors que le SEM ne peut plus se contenter d'exercer sa surveillance par des échanges avec les cantons et de les soutenir uniquement lorsqu'ils lui soumettent des questions ou des problèmes d'application.

Le Conseil fédéral a pris acte des considérations de la CdG-N sur l'existence d'une volonté politique d'interpréter de manière plus extensive le rôle de surveillance de la Confédération assuré par le SEM et de soumettre l'application de l'ALCP à une surveillance renforcée. Répondant à la demande de la CdG-N et tenant compte des insuffisances identifiées avec les cantons, il a donc examiné la possibilité d'étendre

29

Voir art. 6, let. d à f, de l'ordonnance du DFJP du 13 août 2015 relative aux autorisations soumises à la procédure d'approbation et aux décisions préalables dans le domaine du droit des étrangers (RS 142.201.1)

2729

FF 2016

la procédure d'approbation à d'autres cas ainsi que le développement technique du SYMIC.

5.1.1

Procédure d'approbation

Dans le cadre des clarifications entreprises pour déterminer les causes des différences cantonales dans l'application de l'ALCP et de la discussion concomitante sur la surveillance de la Confédération, les cantons ont proposé de soumettre les domaines sensibles de l'ALCP à une procédure d'approbation. Comme nous l'avons déjà exposé plus haut, l'application de l'ALCP relève de la compétence des cantons. Est réservée la procédure d'approbation prévue dans la LEtr et qui autorise le Conseil fédéral à déterminer les cas dans lesquels les autorisations de courte durée ou de séjour sont soumises à l'approbation du SEM (art. 99 LEtr). Cette disposition vaut également pour l'ALCP (voir art. 28 OLCP, en lien avec les art. 83 et 85 OASA, ainsi que l'art. 99 LEtr)30.

La base légale permettant de soumettre des domaines sensibles de l'ALCP à l'approbation de la Confédération existant déjà, et la CdG-N ayant exigé, dans ses rapports du 4 avril 2014 et du 6 novembre 2014, que les cantons recourent de manière plus systématique et plus uniforme aux possibilités de pilotage et que la Confédération exerce une surveillance plus active, le Conseil fédéral considère que l'extension de la procédure d'approbation est une mesure appropriée.

Les recommandations de la CdG-N visent essentiellement à vérifier systématiquement le droit d'une personne à séjourner en Suisse afin d'empêcher la perception indue de prestations sociales. Pour atteindre ce but, le Conseil fédéral indique qu'il est possible d'étendre l'actuelle procédure d'approbation aux deux domaines suivants: Extinction du droit de séjour après la perte de la qualité de travailleur S'appuyant sur l'analyse du CPA, la CdG-N estime que l'immigration dans le cadre de l'ALCP est à ce jour principalement une migration liée au travail. Il est donc essentiel de vérifier systématiquement si la perte de la qualité de travailleur pendant la durée de validité d'une autorisation de courte durée ou d'une autorisation de séjour entraîne l'extinction du droit de séjourner en Suisse en tant que travailleur.

Au départ, les cantons ne disposaient pas des outils nécessaires pour constater l'extinction du droit de séjour des ressortissants de l'UE/AELE en tant que travailleurs pendant la durée de validité d'une autorisation de courte durée ou de séjour, car il n'est pas obligatoire
d'annoncer la cessation d'une activité rémunérée (cf.

ch. 3.1.2). Avec l'introduction d'un échange de données entre les autorités d'exécution de la législation sur l'assurance-chômage et les autorités compétentes en matière de migrations, le 1er janvier 2014, les cantons reçoivent désormais les in30

L'ordonnance du DFJP du 13 août 2015 relative aux autorisations soumises à la procédure d'approbation et aux décisions préalables dans le domaine du droit des étrangers précise les cas à soumettre au SEM pour approbation. Cette ordonnance doit être adaptée en cas d'extension de la procédure d'approbation.

2730

FF 2016

formations qui leur permettent de vérifier le droit au séjour (cf. ch. 2.1 et art. 82, al. 6, OASA).

Les clarifications menées avec les cantons ont cependant montré que malgré l'introduction de l'échange de données, des disparités subsistaient dans les pratiques des cantons concernant les mesures d'éloignement qu'il peut y avoir lieu de prendre.

L'origine de ces différences tient à la notion de qualité de travailleur, qui nécessite une interprétation (cf. ch. 4.2). Comme le projet de loi «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes» inclut une règle claire pour déterminer à quel moment un ressortissant de l'UE/AELE titulaire, en tant que travailleur, d'une autorisation de courte durée ou de séjour perd son droit au séjour lorsqu'il cesse involontairement son activité lucrative (cf. ch. 2.2.2), le Conseil fédéral indique qu'il est possible d'étendre la procédure d'annonce aux cas prévus à l'art. 61a P-LEtr. Ne seraient cependant soumis au SEM que les cas dans lesquels les autorités cantonales décident d'octroyer un autre titre de séjour.

Extinction du droit de séjour en cas de perception de l'aide sociale ou de prestations complémentaires Les ressortissants de l'UE/AELE sans activité lucrative doivent disposer de moyens financiers suffisants pour obtenir une autorisation de séjour en Suisse. Lorsqu'ils perçoivent des prestations d'aide sociale ou demandent des prestations complémentaires, leur droit de séjour s'éteint (voir art. 24, par. 8, annexe I ALCP et ATF 135 II 265). Dans ce cas, les autorités cantonales doivent vérifier si les conditions de séjour prévues dans l'ALCP sont encore remplies ou si la personne peut se prévaloir, à un autre titre, du droit de séjourner en Suisse.

Au vu de la pratique actuelle et compte tenu des conditions politiques en Suisse, le Conseil fédéral est d'avis que les demandes d'aide sociale ou de prestations complémentaires faites par des ressortissants de l'UE/AELE sans activité économique constituent également un domaine sensible de l'application de l'ALCP, qui devrait être couvert par une procédure d'approbation. Ici aussi, ne seraient soumis à l'approbation du SEM que les cas dans lesquels les autorités cantonales décident d'octroyer un autre titre de séjour à un ressortissant de l'UE/AELE
sans activité lucrative quand bien même celui-ci perçoit une aide sociale ou des prestations complémentaires. Il conviendrait donc, dans ces cas, d'obliger les autorités cantonales compétentes à rendre une décision.

En étendant la procédure d'approbation pour couvrir les domaines sensibles de l'application de l'ALCP cités ici, le SEM pourrait exercer directement son rôle de surveillance sur les autorités cantonales des migrations et empêcher d'éventuels abus. Etendre la procédure d'approbation à ces domaines nécessiterait toutefois d'adapter les ordonnances pertinentes.

2731

FF 2016

5.1.2

Adaptations techniques du SYMIC

Une autre option serait de développer le SYMIC de sorte que la Confédération puisse l'utiliser efficacement pour son rôle de surveillance de l'application de l'ALCP. Dans son avis du 22 avril 2015, le Conseil fédéral a exposé différentes modifications possibles, avec leurs avantages et leurs inconvénients. Il a, dans le même temps, rappelé les limites du cadre légal donné par la protection des données et les dispositions de l'ALCP. Le SYMIC étant avant tout un fichier de registres qui contient des données administratives relevant de la réglementation relative au domaine des étrangers, n'y sont actuellement enregistrées que les données pertinentes au regard du droit des étrangers au moment de l'arrivée de la personne en Suisse.

Les changements ultérieurs ne sont enregistrés que s'ils sont communiqués aux autorités compétentes.

Comme nous l'avons expliqué pour la procédure d'approbation, une surveillance complète et totale de la Confédération sur l'application de l'ALCP n'est pas souhaitée politiquement. De plus, elle exigerait des moyens administratifs et financiers sans commune mesure avec l'utilité escomptée. Le Conseil fédéral considère donc qu'un développement technique du SYMIC uniquement dans certains domaines sensibles serait plus judicieux.

L'idée serait d'introduire des champs supplémentaires permettant aux autorités cantonales de saisir manuellement des données pouvant avoir des conséquences pour le droit de la personne à séjourner en Suisse. Les données en question ne peuvent être que des données dont les autorités cantonales disposent déjà et qu'elles n'ont donc pas besoin de se procurer, en premier lieu les annonces concernant le versement de prestations de l'aide sociale ou de l'AC, ainsi que la durée de ces versements, mais aussi, à l'avenir, le versement de prestations complémentaires (cf. ch. 2.2.2).

Parallèlement, le Conseil fédéral indique qu'il est possible d'utiliser des codes d'observation pour noter non seulement les titres de séjour, comme aujourd'hui, mais aussi les décisions entrées en force concernant les autorisations qui n'ont pas été accordées, qui n'ont pas été prolongées ou qui ont été révoquées. Les procédures d'approbation exposées au ch. 5.1.1 du présent rapport seraient également saisies lorsqu'elles sont en cours.

Par rapport à l'appariement des données
décrit au ch. 1.2.4 du présent rapport, ces nouveaux champs de données présenteraient l'avantage de fournir des données supplémentaires non anonymisées relatives aux personnes et pouvant être utilisées à des fins d'application de l'ALCP. Des codes d'observation supplémentaires livreraient des données et des informations que ne contiennent pas les registres actuels.

Les adaptations techniques nécessaires pour introduire des nouveaux champs de données et codes d'observation pourraient aussi servir, dans une certaine mesure, à des fins statistiques.

La saisie de ces données dans le SYMIC permettrait d'assurer que les annonces faites aux autorités d'exécution d'un canton soient centralisées et visibles par tous les cantons, mais aussi par la Confédération, et puissent être utilisées à des fins de surveillance, en complément de la procédure d'approbation dont il a été question 2732

FF 2016

plus haut. Avec ces données, le SEM pourrait procéder à des contrôles par échantillonnage du droit de séjour de ressortissants de l'UE/AELE. L'ampleur du renforcement de la surveillance que permettrait le SYMIC sur ce point dépendra d'une part des décisions que le Parlement prendra concernant le projet de révision de la LEtr (gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes) et, d'autre part, des ressources en personnel disponibles.

Techniquement, une telle décision serait réalisable par l'extension des codes d'observation existants et l'introduction de nouveaux champs dans le SYMIC ainsi qu'au travers des directives applicables. Selon les estimations actuelles, les coûts de mise en oeuvre technique de ces deux mesures seraient de 100 000 à 500 000 francs, avec une durée de réalisation d'un an au moins. Pour les codes d'observation, les coûts devraient être plutôt faibles, pour les champs supplémentaires, plutôt moyens.

Une estimation précise des coûts n'est pas encore possible à ce stade, car les prescriptions ne sont pas encore connues dans le détail.

La loi devrait également être adaptée, d'une part parce que les données qu'il s'agit d'enregistrer dans le SYMIC sont des données sensibles, et d'autre part en raison de la nécessité de créer une obligation légale, pour les cantons, de saisir les données en question.

Par comparaison avec l'extension de la procédure d'approbation, il convient cependant de souligner que la saisie manuelle de nouvelles données nécessiterait de la part des autorités cantonales un investissement administratif et financier supplémentaire, mais sans représenter pour les cantons une valeur ajoutée concernant le traitement individuel des cas. En revanche, le développement du SYMIC permettrait aux autorités fédérales d'exercer une surveillance plus efficace et, grâce aux nouvelles données contenues dans le système, de procéder à des évaluations statistiques concernant la perception d'aides sociales ou les autorisations de courte durée ou de séjour refusées.

5.2

Soutien à l'application

5.2.1

Instruments dont dispose actuellement la Section Libre circulation des personnes pour le soutien à l'application

La Section Libre circulation des personnes, au SEM, a un vaste domaine d'activité et de nombreuses tâches, parmi lesquelles le soutien aux cantons pour l'application de l'ALCP. Elle est au SEM le centre de compétence et l'interlocuteur principal pour toutes les questions concernant la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'UE et ses Etats membres. Elle est aussi compétente pour l'administration et le développement de l'ALCP. A ce titre, elle prépare les négociations de modification et d'extension de l'ALCP et d'autres accords bilatéraux et multilatéraux relatifs à l'admission sur le marché de l'emploi. La section s'occupe de la mise en oeuvre de l'ALCP dans le droit national et fournit un soutien et des conseils aux cantons. Elle assume d'autres tâches de coordination au sein de l'administration fédérale, organise 2733

FF 2016

chaque année la réunion du comité mixte sur la libre circulation des personnes et contribue aux analyses économiques, statistiques et politiques de la libre circulation des personnes.

La section a ainsi des compétences sur des problèmes de nature purement politique ou économique, mais elle s'occupe aussi d'apporter un soutien direct aux cantons pour l'application de l'ALCP.

Le soutien apporté actuellement aux autorités cantonales compétentes en matière de marché du travail et de migrations comprend les tâches suivantes: ­

adaptation régulière des directives sur la libre circulation des personnes;

­

rédaction de circulaires adressées aux offices cantonaux des migrations et de l'emploi;

­

précision, dans des directives ou des circulaires, de certains termes ou dispositions de l'ALCP nécessitant une interprétation;

­

conseil aux autorités cantonales sur des questions de principe relatives à l'application de l'ALCP et sur des problèmes complexes;

­

participation aux conférences régionales des autorités cantonales.

Ces instruments de soutien à l'application servent aussi à clarifier des notions ou des dispositions de l'ALCP qui nécessitent une interprétation. Les questions juridiques de principe et de coordination, c'est-à-dire celles qui concernent plusieurs cantons, sont identifiées et clarifiées à l'aide des instruments cités. La solution est ensuite communiquée aux autorités cantonales.

Avec les ressources en personnel actuellement disponibles, seules des améliorations ponctuelles peuvent être apportées aux instruments existants de soutien à l'application de l'ALCP, par exemple en fixant des priorités ou en optimisant les canaux de communication utilisés pour la collaboration avec les autorités cantonales.

5.2.2

Développement du soutien à l'application

Le développement du soutien à l'application passe par le développement des instruments existants (cf. ch. 5.2.1), mais aussi par le développement d'instruments nouveaux.

Les mesures suivantes sont envisagées: ­

organisation de formations et d'ateliers dans les cantons;

­

échange régulier avec différentes autorités et collaborateurs sur place;

­

développement des conférences régionales pour en faire des lieux où peuvent être discutées des questions complexes relatives à l'application de l'ALCP ou la nécessité de nouvelles réglementations.

L'organisation dans les cantons de formations et d'ateliers sur des questions juridiques de principe et de coordination est une mesure nouvelle qui pourrait être mise en place. L'objectif est de mieux faire connaître l'ALCP et ses réglementations pertinentes pour le droit de séjour, afin d'arriver à une application plus rigoureuse 2734

FF 2016

des dispositions en vigueur. Ces dernières années, les cantons ainsi que les acteurs concernés ont relevé un nombre croissant de questions juridiques complexes liées à l'ALCP, touchant souvent plusieurs domaines du droit et concernant plusieurs offices. Cette tendance peut s'expliquer notamment par le développement continu de l'accord, par les conséquences de décisions du Tribunal fédéral ou du Tribunal administratif fédéral, ou encore par la revendication plus fréquente par les ressortissants de l'UE/AELE de leurs droits au séjour dans le cadre de l'ALCP. Il semble dès lors judicieux de soutenir les autorités cantonales (par exemple en intensifiant les conseils ou en organisant des formations) pour les aider à clarifier des questions de principe ou des problèmes complexes concernant l'application de l'ALCP.

Un échange régulier avec des autorités et des collaborateurs sur place et un développement des conférences régionales permettraient d'établir entre le SEM et les cantons des contacts plus étroits et marqués par une claire répartition des compétences.

D'éventuels dysfonctionnements pourraient ainsi être plus rapidement détectés.

Le développement du soutien à l'application de l'ALCP renforcerait le rôle de la Confédération, qui exercerait mieux ses fonctions de surveillance et de coordination.

L'institutionnalisation des instruments de soutien à l'application de l'ALCP favoriserait l'harmonisation des pratiques cantonales.

Le développement du soutien à l'application donnerait par ailleurs une meilleure assise aux cantons pour leurs tâches dans ce domaine. Leurs besoins pourraient aussi être identifiés plus rapidement. Les informations que l'on recueillerait serviraient ensuite à enrichir le soutien à l'application.

5.3

Rapport d'évaluation

Une autre proposition est que le SEM publie chaque année, en collaboration avec les cantons, un rapport sommaire sur les aspects essentiels de l'application de l'ALCP.

Ce rapport ferait le point sur la mise en oeuvre des mesures indiquées au ch. 5 et sur les travaux en cours au niveau de la Confédération et des cantons. Il permettrait aussi d'identifier des mesures à prendre concernant l'application de l'ALCP. Il pourrait servir de véhicule pour la publication d'évaluations statistiques tirées des nouvelles données rassemblées dans le SYMIC et utiles pour examiner l'efficacité de l'application de l'accord. Le Conseil fédéral pourrait ainsi fonder sa communication et ses conclusions sur des données pertinentes, complètes et objectives, ce qui renforcerait la transparence et conforterait la confiance dans l'ALCP. Ce nouveau rapport annuel aurait enfin pour but de cerner, avec les cantons, les points posant des problèmes pour l'application de l'ALCP et sur lesquels des formations pourraient être prévues l'année suivante.

2735

FF 2016

6

Effectifs de la section compétente du SEM

Dans ses rapports du 4 avril 2014 et du 6 novembre 2014, la CdG-N arrivait à la conclusion que les disparités cantonales dans l'application de l'ALCP s'expliquent, pour une part au moins, par l'insuffisance de la surveillance exercée par la Confédération. A cet égard, elle constatait un déséquilibre entre la multiplicité des tâches de la Section Libre circulation des personnes et les effectifs dont elle dispose. Dans sa recommandation 9, la CdG-N invitait donc le Conseil fédéral à mettre à la disposition de la Section Libre circulation des personnes des ressources suffisantes pour qu'elle puisse exercer une surveillance plus active de l'application de l'ALCP.

Actuellement, la Section Libre circulation des personnes compte dix postes à plein temps. Compte tenu de ses nombreuses tâches (cf. ch. 5.2.1), il ne lui serait pas possible, avec les ressources dont elle dispose en ce moment, d'exercer une surveillance accrue de l'application de l'ALCP ou d'assumer d'autres tâches dans ce domaine. La surveillance renforcée que demande la CdG-N nécessiterait donc une augmentation des ressources, dont l'ampleur dépendrait des modalités de cette surveillance et des tâches concrètes attribuées à la section à cette fin. Le renforcement de la surveillance pouvant se faire par une extension de la procédure d'approbation ou par le développement du SYMIC, les postes nécessaires pour chacune de ces options sont détaillés séparément ci-après. Le financement des six postes envisagés n'est pas possible par une compensation interne en raison des autres tâches prioritaires auxquelles le SEM doit se consacrer.

Fonction de surveillance de la Confédération (3 postes): ­

Traitement des cas dans le cadre de la procédure d'approbation (2 postes): En l'absence de relevés, il est impossible de déterminer le nombre exact de cas que la Section Libre circulation des personnes serait appelée à traiter dans les domaines sensibles qu'il est proposé d'inclure dans la procédure d'approbation (cf. ch. 5.1.1). L'évaluation du CPA peut néanmoins servir de base pour estimer le nombre de cas qui seraient soumis à la section concernant l'extinction du droit de séjour en tant que travailleur après la fin d'une activité lucrative.

Comme exposé au ch. 5.1.1, la procédure d'approbation s'étendrait aux cas mentionnés à l'art. 61a P-LEtr du projet de loi «gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes» visant à améliorer la mise en oeuvre de l'ALCP. Seraient concernés, entre autres, les ressortissants de l'UE/AELE titulaires d'une autorisation de courte durée ou de séjour et dont le droit de séjour en tant que travailleur s'éteint, au cours de la première année, six mois après la cessation involontaire de l'activité rémunérée. Le rapport du CPA du 6 novembre 2013 estime à 3100 par année le nombre de ces cas (ressortissants de l'UE/AELE avec autorisation de courte durée ou de séjour dont le droit de séjour en tant que travailleur s'éteint, au cours de la première année, six mois après la fin involontaire d'une activité rémunérée) ayant potentiellement des conséquences

2736

FF 2016

en termes de droit de séjour31. S'y ajouteraient les cas de ressortissants de l'UE/AELE dont le droit de séjour s'éteint après la première année en Suisse sur la base de l'art. 61a P-LEtr et les cas de ressortissants de l'UE/AELE sans activité lucrative qui demandent une aide sociale ou des prestations complémentaires.

­

Vérification des données dans le SYMIC (1 poste): Contrôle par échantillonnage du droit de séjour de ressortissants de l'UE/AELE au moyen de codes d'observation existants ou étendus, ou de nouveaux champs de données.

Soutien à l'application (3 postes): Les collaborateurs nouvellement dévolus au soutien à l'application auraient les tâches suivantes:

7

­

soutien aux organes d'exécution pour des questions de principe concernant l'application de l'ALCP ou pour certains problèmes complexes; accompagnement renforcé des cantons, chargés d'appliquer l'ALCP, afin de garantir une application uniforme de la législation;

­

formations et informations à destination des organes d'exécution; organisation de formations et d'ateliers sur des questions juridiques de principe et de coordination pour que les dispositions en vigueur soient appliquées de manière plus rigoureuse;

­

échange avec les autorités cantonales: développement des conférences régionales pour en faire des lieux où les acteurs concernés peuvent discuter de questions complexes d'application et, le cas échéant, repérer assez tôt d'éventuels dysfonctionnements dans l'application de l'ALCP;

­

rédaction d'un rapport annuel d'évaluation.

Conclusion

Le présent rapport constate que les différences entre les cantons dans l'application de l'ALCP s'expliquent, d'une part, par la marge de manoeuvre, politiquement voulue, dont dispose chaque canton dans le système fédéraliste suisse, mais aussi ­ et surtout ­ par la disparité des situations géographiques et politiques des cantons.

En fonction de leur taille et de leur emplacement, les cantons font face à une immigration plus ou moins importante, dont la composition varie aussi d'un canton à l'autre. Il s'ensuit qu'ils n'accordent pas tous les mêmes ressources humaines et financières au domaine des étrangers.

Le Conseil fédéral arrive à la conclusion que les différences entre les cantons dans la mise en oeuvre de l'ALCP pourraient être diminuées, comme l'exige la CdG-N, par une surveillance plus active de la Confédération et par un développement du soutien 31

Documentation relative au rapport du CPA du 6 novembre 2013, partie III; analyse quantitative, ch. 7.2.1

2737

FF 2016

apporté aux cantons. En revanche, il note que le retrait ou la restriction des autorisations de séjour ne permettrait de gérer l'immigration que de manière restreinte, car ces outils ne peuvent être utilisés que si la personne concernée ne peut plus se prévaloir, à aucun titre, d'un droit de séjour en vertu des dispositions de l'ALCP. Il partage cependant l'avis de la CdG-N selon lequel les possibilités de piloter l'immigration ­ notamment par la révocation ou la non-prolongation des autorisations de séjour lorsque les conditions de ce séjour ne sont plus remplies ­ devraient être utilisées de la manière la plus uniforme possible.

Sur la bases de ces constatations, le Conseil fédéral indique différentes mesures, qui peuvent être introduites séparément ou de manière cumulée: une extension de la procédure d'approbation à certains domaines sensibles de l'ALCP, des adaptations techniques du SYMIC et un développement du soutien apporté aux cantons pour la mise en oeuvre de la libre circulation des personnes. L'extension de la procédure d'approbation à certains domaines sensibles de l'ALCP (cf. ch. 5.1.1) est, de l'avis du Conseil fédéral, le meilleur moyen d'harmoniser l'application de l'ALCP et d'empêcher la perception indue de prestations d'aide sociale.

Le présent rapport expose enfin qu'un renforcement de la surveillance exercée par la Confédération ou l'extension des tâches de la section compétente du SEM n'est pas possible avec les moyens actuels. Des postes additionnels seront donc nécessaires pour la surveillance accrue de la mise en oeuvre de l'ALCP souhaitée par la CdG-N.

2738