16.074 Message relatif à l'initiative populaire «Pour une monnaie à l'abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque nationale! (Initiative Monnaie pleine)» du 9 novembre 2016

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour une monnaie à l'abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque nationale! (Initiative Monnaie pleine)», en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

9 novembre 2016

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Johann N. Schneider-Ammann Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2016-0900

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Condensé L'initiative populaire «Pour une monnaie à l'abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque nationale! (Initiative Monnaie pleine)» a pour objectif une profonde transformation du système monétaire actuel en interdisant aux banques commerciales de créer de la monnaie scripturale. Si cette initiative était acceptée, la Suisse deviendrait un terrain d'expérimentation pour des réformes hasardeuses. Il serait plus difficile pour la Banque nationale suisse (BNS) de poursuivre une politique monétaire garantissant la stabilité des prix et contribuant au développement stable de l'économie. L'initiative présenterait en outre des risques considérables, notamment pour le secteur financier. C'est pourquoi le Conseil fédéral rejette l'initiative Monnaie pleine.

Dans le système actuel, il existe deux sortes de monnaie: la monnaie centrale de la BNS et la monnaie scripturale des banques commerciales. La BNS crée de la monnaie centrale (numéraire et avoirs en compte de virement des banques auprès de la BNS), les banques commerciales créent de l'argent sur les comptes bancaires (monnaie scripturale) en octroyant des crédits. Ceux-ci sont crédités aux comptes des emprunteurs. Ainsi, la masse monétaire augmente: les emprunteurs ont alors des fonds supplémentaires à disposition. La création de monnaie par les banques commerciales est donc liée à l'octroi de crédits à l'ensemble de l'économie.

Les auteurs de l'initiative déposée le 1er décembre 2015 critiquent le fait que dans le régime monétaire actuel, la création de monnaie s'accompagne généralement de la création de dettes. Ils demandent, en premier lieu, que les banques ne puissent plus créer de la monnaie scripturale. Le monopole de la création monétaire de la BNS serait donc étendu à la monnaie scripturale actuellement créée par les banques. En second lieu, les auteurs de l'initiative exigent un changement de la politique monétaire. La BNS devrait désormais créer de l'argent «sans dette», c'est-à-dire le transférer directement à la Confédération, aux cantons ou aux citoyennes et citoyens, sans acquérir en contrepartie des valeurs patrimoniales telles que les devises, l'or ou les titres, comme c'est le cas aujourd'hui.

Concrètement, l'initiative prévoit la création par les banques de comptes du trafic des paiements financés intégralement
par de la monnaie centrale, d'où l'expression «monnaie pleine». Ces comptes seraient entièrement protégés contre les risques de défaillance et les retraits massifs. Selon ce système, le monopole de la création monétaire de la BNS serait étendu à l'ensemble de la monnaie scripturale nécessaire aux paiements. Les banques commerciales ne pourraient donc plus créer de moyens de paiement sous forme de monnaie scripturale ni financer leurs activités de crédit par de la monnaie scripturale. Les moyens nécessaires devraient être mis à leur disposition sous forme de dépôts d'épargne, par exemple par le biais du marché des capitaux. Si les ressources nécessaires à l'octroi de crédits venaient à manquer, la BNS devrait consentir des prêts en conséquence aux banques. Ainsi, le volume des crédits serait en partie géré de manière centralisée par la BNS.

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La création de monnaie sans dette interviendrait sous la forme d'un simple transfert sans contrepartie à la Confédération, aux cantons et aux ménages. Étant donné que la BNS n'acquerrait plus de valeurs patrimoniales comme l'or, les devises ou les titres, elle ne serait plus en mesure, à terme, de réduire la masse monétaire ainsi créée en vendant ces valeurs patrimoniales. La création de monnaie sans dette pourrait par conséquent mettre en péril la crédibilité de la politique monétaire. La BNS serait davantage l'objet de convoitises politiques. De même, les répercussions de la politique monétaire sur l'ensemble de l'économie s'en trouveraient modifiées.

Comme le souhaitent les auteurs de l'initiative, la politique monétaire ne serait plus mise en oeuvre par le biais des taux d'intérêt, comme aujourd'hui, mais par la gestion de la masse monétaire, ce qui entraverait de manière générale la politique monétaire.

L'initiative vise une meilleure protection des dépôts à vue contre l'insolvabilité bancaire et promet un système financier plus sûr ainsi qu'un financement plus généreux des collectivités publiques et des ménages. La réforme proposée ne permettra probablement pas d'atteindre entièrement ces deux derniers objectifs. Une acceptation de l'initiative devrait affaiblir dans l'ensemble le secteur financier et l'économie: les bénéfices potentiels des banques reculeraient et la pression sur leurs marges s'accroîtrait, notamment dans le secteur du crédit. Les modèles d'affaires des banques changeraient radicalement. Les dépôts à vue disponibles aujourd'hui sont pour elles une source de financement relativement stable. De plus, il ne faut pas s'attendre à ce que les banques consentent à gérer gratuitement les nouveaux comptes du trafic des paiements: elles pourraient prélever des frais pour compenser la contraction de leurs marges bénéficiaires.

L'initiative ne concerne que les dépôts à vue, qui seraient entièrement à l'abri des retraits massifs. Les autres formes de placement, par exemple les comptes d'épargne assortis de délais de retrait ou les dépôts à terme, continueraient à être exposées à des risques de liquidité ou de solvabilité. Des crises bancaires pourraient encore se produire, mais le trafic des paiements n'en serait plus affecté.

La stabilité du système bancaire et financier est
aujourd'hui garantie par d'autres moyens. En ce qui concerne la sécurité des avoirs sur les comptes bancaires, ces dépôts sont déjà protégés à hauteur de 100 000 francs par la réglementation de la protection des déposants. Par ailleurs la FINMA surveille les banques qui pourraient prendre des risques excessifs. De plus, ces dernières années, la stabilité du système bancaire a été considérablement renforcée par des mesures visant les banques d'importance systémique (too big to fail) et la mise en oeuvre de la norme internationale de réglementation des banques Bâle III.

La réforme ne devrait guère avoir d'effet stabilisateur sur le système financier. De plus, la Suisse ferait cavalier seul et ne serait pas mieux protégée des répercussions négatives de crises financières à l'étranger. L'acceptation de l'initiative impliquerait une réforme profonde et hasardeuse du système monétaire et du secteur financier suisses, ce qui comporterait des risques considérables. De plus, notamment durant la phase de transition, il faudrait s'attendre à des dysfonctionnements du secteur financier et à des conséquences négatives pour l'économie. C'est pourquoi le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander le rejet de l'initiative au peuple et aux cantons sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect.

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte

L'initiative populaire «Pour une monnaie à l'abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque nationale! (Initiative Monnaie pleine)» a la teneur suivante1: I La Constitution2 est modifiée comme suit: Art. 99

Ordre monétaire et marché financier

La Confédération garantit l'approvisionnement de l'économie en argent et en services financiers. Pour ce faire, elle peut déroger au principe de la liberté économique.

1

Elle seule émet de la monnaie, des billets de banque et de la monnaie scripturale comme moyens de paiement légaux.

2

L'émission et l'utilisation d'autres moyens de paiement sont autorisées sous réserve de conformité au mandat légal de la Banque nationale suisse.

3

La loi organise le marché financier dans l'intérêt général du pays. Elle règle notamment: 4

a.

les obligations fiduciaires des prestataires de services financiers;

b.

la surveillance des conditions générales des prestataires de services financiers;

c.

l'autorisation et la surveillance des produits financiers;

d.

les exigences en matière de fonds propres;

e.

la limitation des opérations pour compte propre.

Les prestataires de services financiers gèrent les comptes pour le trafic des paiements des clients en dehors de leur bilan. Ces comptes ne tombent pas dans la masse en faillite.

5

Art. 99a

Banque nationale suisse

En sa qualité de banque centrale indépendante, la Banque nationale suisse mène une politique monétaire servant les intérêts généraux du pays; elle gère la masse 1

1 2

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monétaire et garantit le fonctionnement du trafic des paiements ainsi que l'approvisionnement de l'économie en crédits par les prestataires de services financiers.

2

Elle peut fixer des délais de conservation minimaux pour les placements financiers.

Dans le cadre de son mandat légal, elle met en circulation, sans dette, l'argent nouvellement émis, et cela par le biais de la Confédération ou des cantons ou en l'attribuant directement aux citoyens. Elle peut octroyer aux banques des prêts limités dans le temps.

3

Elle constitue, à partir de ses revenus, des réserves monétaires suffisantes, dont une part doit consister en or.

4

5

Elle verse au moins deux tiers de son bénéfice net aux cantons.

6

Dans l'accomplissement de ses tâches, elle n'est tenue que par la loi.

Art. 197, ch. 123 12. Dispositions transitoires ad art. 99 (Ordre monétaire et marché financier) et 99a (Banque nationale suisse) Les dispositions d'exécution prévoiront que, le jour de leur entrée en vigueur, toute la monnaie scripturale figurant sur des comptes pour le trafic des paiements deviendra un moyen de paiement légal. Il en résultera des engagements correspondants des prestataires de services financiers vis-à-vis de la Banque nationale suisse. Cette dernière veillera à ce que les engagements résultant de la conversion de la monnaie scripturale soient honorés au cours d'une phase de transition raisonnable. Les contrats de crédit existants resteront inchangés.

1

Pendant la phase de transition, notamment, la Banque nationale suisse veillera à ce qu'il n'y ait ni pénurie ni pléthore de monnaie. Pendant ce laps de temps, elle pourra octroyer aux prestataires de services financiers un accès facilité aux prêts.

2

Si la législation fédérale correspondante n'entre pas en vigueur dans les deux ans qui suivent l'acceptation des art. 99 et 99a, le Conseil fédéral édicte dans un délai d'un an les dispositions d'exécution nécessaires par voie d'ordonnance.

3

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Pour une monnaie à l'abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque nationale! (Initiative Monnaie pleine)» a fait l'objet d'un examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 21 mai 20144, et elle a été déposée le 1er décembre 2015 avec le nombre requis de signatures.

Par décision du 22 décembre 2015, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 110 955 signatures valables et qu'elle avait donc abouti5.

3 4 5

Le chiffre définitif de cette disposition transitoire sera attribué par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

FF 2014 3589 FF 2015 8819

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L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi sur le Parlement (LParl)6, le Conseil fédéral avait jusqu'au 1er décembre 2016 pour soumettre un projet d'arrêté et un message à l'Assemblée fédérale. Pour sa part, conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 30 juin 2018 pour décider si elle recommande au peuple et aux cantons d'accepter ou de rejeter l'initiative.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, Cst.: a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties;

c.

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

2

Contexte

La crise financière de 2008 et le fort endettement public et privé au sein de certaines économies ont vraisemblablement joué un rôle prépondérant dans la genèse de l'initiative. Les auteurs de l'initiative voient dans la création massive et excessive de monnaie par le système bancaire la cause principale de la crise financière et de la crise de la dette qui ont suivi en Europe. Ils estiment que dans le système monétaire actuel, la Banque nationale suisse (BNS) ne dispose pas de possibilités suffisantes pour gérer la masse monétaire7.

Les auteurs de l'initiative sont d'avis que le système monétaire existant donne aux détenteurs de comptes bancaires une fausse impression de sécurité quant à leurs avoirs et contribue fortement à l'instabilité du secteur financier. Selon eux, les banques bénéficieraient, grâce à la création de monnaie scripturale, d'avantages concurrentiels injustifiés par rapport à d'autres branches. Ils jugent problématique le fait que l'argent créé par les banques s'accompagne nécessairement de dettes supplémentaires8.

De plus, le concept de monnaie pleine est discuté dans divers pays. Toutefois, à l'heure actuelle, aucun État ne dispose d'un régime monétaire qui présenterait des analogies avec le système de monnaie pleine proposé par l'initiative. À l'étranger, seule l'Islande a rédigé un rapport sur une éventuelle réforme vers la monnaie pleine, que le Parlement a inscrit à son agenda.

6 7 8

RS 171.10 www.initiative-monnaie-pleine.ch/messages-cles/ www.initiative-monnaie-pleine.ch/messages-cles/

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La littérature économique n'offre aucun indice clair qui permettrait de soutenir ou de rejeter l'idée de la monnaie pleine. Des idées similaires ont été émises pour la première fois aux États-Unis durant les années 1930 (plan dit de Chicago). Elles ont toujours suscité l'intérêt académique d'économistes pour partie réputés mais n'ont jamais été appliquées dans des économies développées. L'initiative diverge nettement des conceptions antérieures, en particulier du plan de Chicago, notamment en ce qui concerne la mise en circulation sans dette de monnaie. Les analyses scientifiques menées à ce jour ne sont par conséquent applicables que dans une très faible mesure à l'article constitutionnel proposé par l'initiative.

3

Buts et contenu

3.1

Buts visés

L'initiative est portée par l'association Modernisation Monétaire (MoMo), qui n'est liée à aucun parti politique,) et un Conseil consultatif scientifique. Elle prévoit d'instaurer en Suisse un régime monétaire reposant sur la «monnaie pleine», ce qui signifie que toute la monnaie nécessaire au trafic des paiements serait exclusivement émise par la BNS. Outre les billets et les pièces de monnaie, la monnaie pleine devra donc englober dorénavant la monnaie scripturale déposée sur les comptes destinés au trafic des paiements, c'est-à-dire essentiellement la monnaie électronique déposée sur les comptes bancaires (dépôts à vue). En revanche, l'intention n'est pas d'intégrer les dépôts d'épargne dans la monnaie pleine.

Le passage à la monnaie pleine sur les comptes alimentant le trafic des paiements vise à permettre une protection totale contre l'insolvabilité bancaire. Les auteurs de l'initiative estiment que l'on réduira ainsi les risques de bulles financières qu'ils attribuent en partie à la monnaie émise par les banques. Selon eux, grâce à la monnaie pleine, l'État ne serait plus contraint de sauver des banques en cas de mise en péril du trafic des paiements, et les mesures prises à l'égard des banques d'importance systémique deviendraient donc caduques. Leur ambition est de mettre le secteur financier davantage au service de l'économie réelle et de la société. Ils sont également d'avis que le système monétaire deviendrait plus transparent et plus compréhensible.

Les banques ne devraient plus être autorisées à prêter que de l'argent obtenu des épargnants, d'autres banques ou, si nécessaire, de la BNS sous forme de monnaie pleine. De la sorte, le système monétaire serait déconnecté du crédit. L'initiative prévoit en outre que les opérations pour compte propre des banques pourront être limitées.

Du point de vue des auteurs de l'initiative, le régime actuel viole le principe constitutionnel selon lequel la politique monétaire relève de la compétence de la Confédération (art. 99, al. 1, Cst.). L'initiative vise donc aussi à adapter le contexte de la politique monétaire à la Constitution fédérale telle que l'interprètent ses auteurs: selon la disposition en question, seule la Confédération serait habilitée à créer de la monnaie. Les auteurs de l'initiative veulent dès lors étendre à la monnaie scripturale

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le droit souverain de la Confédération d'émettre des billets de banque et des pièces de monnaie9.

3.2

Dispositif proposé

Dans le système monétaire en vigueur, la monnaie scripturale déposée sur les comptes bancaires n'est pas un moyen de paiement légal 10, mais une promesse ou un engagement contractuel de la banque à verser sur demande les avoirs déposés. Ces moyens de paiement sont disponibles sans restriction et sont également nommés «dépôts à vue» (car disponibles «à vue»). Les auteurs de l'initiative proposent un changement fondamental: dans le système de monnaie pleine, la monnaie scripturale déposée sur les comptes alimentant le trafic des paiements deviendrait de la monnaie centrale, donc un moyen de paiement légal. Les banques commerciales devraient à cette fin gérer les dépôts de leurs clients sur ces comptes du trafic des paiements, hors de leur bilan, et les couvrir intégralement par des avoirs auprès de la BNS. En d'autres termes, elles se borneraient à gérer les dépôts à vue, comme elles le font aujourd'hui pour les dépôts de titres. En particulier, les banques ne pourraient donc plus créer de la monnaie scripturale en octroyant des crédits qu'elles inscrivent à l'avoir des dépôts à vue et modifier de la sorte la masse monétaire en circulation.

Les retraits massifs11, que l'on constate typiquement lorsque la clientèle doute qu'une banque soit capable de rembourser les dépôts, ne devraient plus se produire pour les comptes du trafic des paiements. En soi, cela devrait contribuer à augmenter la sécurité du trafic des paiements. Par contre, les avoirs investis par la clientèle sur des comptes de placement ou sous forme de titres restent exposés aux risques.

La seconde nouveauté que prévoit l'initiative pour une monnaie pleine est la création de monnaie de banque centrale «sans dette». La monnaie serait dorénavant mise en circulation par la BNS qui la remettrait à la Confédération, aux cantons, ou directement aux citoyennes et citoyens. Cette nouvelle manière de mettre la monnaie en circulation équivaudrait à un simple transfert aux collectivités publiques et aux ménages. La BNS déterminerait elle-même l'ampleur de ces transferts dans le cadre de l'accomplissement en toute indépendance de son mandat de politique monétaire.

Selon le comité d'initiative, les critères de politique budgétaire ne devraient pas être pris en compte.

Dès lors, dans le système de monnaie pleine et dans la mise en oeuvre de la
politique monétaire, on n'accorderait plus la priorité aux taux d'intérêt comme c'est aujourd'hui le cas. L'attribution de la monnaie centrale à la Confédération, aux cantons et aux citoyennes et citoyens équivaudrait à une gestion de la masse monétaire.

Par ailleurs, la BNS pourra accorder aux banques des prêts temporaires contre rémunération, comme elle le fait déjà. L'ampleur de ces crédits sert aux ajustements à court terme de la masse monétaire. Cela permet à la BNS de gérer la part variable de 9 10 11

www.initiative-monnaie-pleine.ch/messages-cles/ C'est-à-dire un moyen de paiement qui, en vertu de la loi, doit toujours être accepté pour rembourser une créance.

En anglais bank runs, également désignés en français par «paniques bancaires».

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la masse monétaire. À cet égard, la gestion par les taux d'intérêt pourrait être maintenue. Les auteurs de l'initiative proposent ainsi une combinaison entre une croissance régulière de la masse monétaire et des ajustements liés aux exigences de la politique monétaire.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

Par rapport à la teneur actuelle de l'art. 99 de la Constitution, qui règle la politique monétaire, l'initiative prévoit deux nouveaux articles et un complément aux dispositions transitoires. L'ensemble reprend partiellement les dispositions en vigueur, mais va globalement beaucoup plus loin.

3.3.1

Reprise des dispositions en vigueur

L'initiative ne remet pas en cause les intérêts que sert la politique monétaire de la BNS (art. 99a, al. 1, 1re partie de la phrase). De même, l'art. 99a, al. 4 et 5, traitant de la constitution de réserves monétaires et de la répartition du bénéfice, correspond à l'actuel art. 99, al. 3 et 4, Cst.

La BNS est déjà liée par le principe de légalité de l'art. 5, al. 1, Cst. (Principes de l'activité de l'État régi par le droit). L'art. 99a, al. 6, qui soumet la BNS à la seule loi dans l'accomplissement de ses tâches, ne change donc rien sur le plan matériel.

L'art. 99, al. 2, est largement maintenu en ce qu'il charge la Confédération d'émettre de la monnaie et des billets de banque. Toutefois, la mention de la monnaie scripturale en tant que moyen de paiement légal va au-delà des dispositions en vigueur.

3.3.2

Dispositions nouvelles

Monnaie scripturale des banques commerciales comme moyen de paiement légal En vertu de l'art. 99, al. 2, seule la Confédération est habilitée à émettre les pièces de monnaie, les billets de banque et la monnaie scripturale comme moyens de paiement légaux. On entend par monnaie scripturale les dépôts de clients auprès des banques aux fins de paiements et les avoirs en compte de virement des banques auprès de la BNS. Les banques doivent détenir ces avoirs en tant que réserves minimales ou s'en servent comme moyen de paiement dans les opérations interbancaires.

Conformément à l'art. 2, let. c, de la loi fédérale du 22 décembre 1999 sur l'unité monétaire et les moyens de paiement12, les avoirs en compte de virement sont déjà réputés moyens de paiement légaux, mais non la monnaie scripturale détenue auprès des banques commerciales. L'initiative vise à conférer à cette monnaie scripturale le statut de moyen de paiement légal.

12

RS 941.10

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Les dépôts à vue auprès des banques commerciales sont soumis au risque débiteur pour la banque concernée. En revanche, dans le système de monnaie pleine, un compte destiné au trafic des paiements représente une créance vis-à-vis de la BNS et a de ce point de vue le même statut que l'argent liquide. Les prestataires de services financiers doivent donc gérer les comptes du trafic des paiements de la clientèle hors de leur bilan. En vertu de l'art. 99, al. 5, ces comptes ne font pas partie de la masse de la faillite. La loi devra préciser les comptes qui doivent être réputés comptes du trafic des paiements au sens de l'initiative.

Selon l'art. 197, ch. 12, al. 1, les dispositions d'exécution prévoient que toute la monnaie scripturale figurant sur des comptes pour le trafic des paiements deviendra dès l'entrée en vigueur de l'initiative un moyen de paiement légal et sera exclue du bilan des banques commerciales. Du point de vue de la clientèle des prestataires de services financiers, tous les avoirs sur les comptes du trafic des paiements passeront ex lege du statut de créance vis-à-vis des banques commerciales à celui de moyen de paiement légal sous forme de monnaie scripturale (cf. art. 99, al. 3). Les comptes en question deviendront en quelque sorte des comptes fiduciaires semblables aux dépôts d'actions (cf. art. 99, al. 5). Dès lors, la créance d'un client vis-à-vis de sa banque se transformera en créance vis-à-vis de la BNS. Cette dernière octroiera des prêts aux banques pour qu'elles disposent de suffisamment de monnaie de banque centrale en vue de la mise en place du système de monnaie pleine. Si les banques ne pouvaient fournir les sûretés habituelles, la BNS prendrait un risque de crédit dans le cadre de la mise en oeuvre. En outre, elle devra veiller à ce que les dettes consécutives au changement de statut de la monnaie scripturale soient remboursées dans un délai raisonnable. Les auteurs de l'initiative tablent eux-mêmes sur un délai de 15 à 20 ans.

Selon l'art. 99, al. 3, l'émission et l'utilisation d'autres moyens de paiement sont autorisées sous réserve de conformité au mandat légal de la BNS. Ces «autres moyens de paiement» peuvent être par exemple des chèques, des traites, de la monnaie électronique, des avoirs WIR ou des cartes de débit ou de crédit qui, au sens de la liberté
contractuelle, reposent sur l'accord entre les parties. La limitation du recours à d'autres moyens de paiement prévue par l'art. 99, al. 3, constitue une entorse à la liberté contractuelle.

Réforme du marché financier L'art. 99, al. 4, dispose que le marché financier doit être organisé dans l'intérêt général du pays. Il énumère les domaines que des lois spécifiques doivent régler; certains le sont déjà. De plus, l'initiative prévoit la possibilité de limiter les opérations pour compte propre des banques.

Un système de monnaie pleine présuppose une délimitation claire entre les comptes du trafic des paiements et les comptes d'épargne ou de placement, car seuls les dépôts sur les comptes du trafic des paiements sont des moyens de paiement légaux.

L'art. 99a, al. 2, prévoit par conséquent que la BNS pourra dorénavant fixer des délais de conservation minimaux pour les placements financiers.

L'art. 99, al. 1, renforce la responsabilité de la Confédération quant à la garantie de l'approvisionnement de l'économie en services financiers. Pour atteindre cet objectif, la Confédération est habilitée à limiter la liberté économique, sans pour autant 8234

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pouvoir contraindre les acteurs du marché financier à fournir les services en question. Si les acteurs en question ne fournissaient plus certains de ces services, la Confédération, au sens d'un service public, devrait garantir elle-même leur disponibilité pour répondre aux besoins de l'économie.

En vertu de l'art. 99a, al. 1, la BNS est chargée de gérer la masse monétaire et de garantir le fonctionnement du trafic des paiements ainsi que l'approvisionnement de l'économie en crédits: il s'agit d'une extension du cahier des charges de la BNS qui n'avait jusqu'ici pour tâches que de faciliter et d'assurer le bon fonctionnement de systèmes de paiement sans numéraire13. Désormais, la BNS devra donc non seulement faciliter et assurer, mais faire en sorte que le trafic des paiements fonctionne.

Il en va de même de l'approvisionnement de l'économie en crédits: pour ce faire, la BNS devrait pouvoir intervenir directement, si nécessaire, dans l'octroi de crédits par les prestataires de services financiers. Actuellement, elle influe indirectement sur l'octroi de crédits par le biais des taux d'intérêt à court terme. À l'avenir, elle devrait garantir le trafic des paiements et l'octroi de crédits. Si les prestataires privés renonçaient à ces activités, des institutions de droit public devraient prendre le relais ou la loi devrait proposer des solutions de remplacement.

Création de monnaie Enfin, l'art. 99a, al. 3, règle également les modalités de la création de monnaie en précisant que dans le cadre de son mandat légal, la BNS met en circulation sans dette l'argent nouvellement émis, par le biais de la Confédération ou des cantons ou en l'attribuant directement aux citoyennes et citoyens. La BNS pourra également octroyer aux banques des prêts limités dans le temps.

L'émission de monnaie est réputée sans dette lorsque le bénéficiaire reçoit de la BNS l'argent nouvellement émis sans avoir à fournir une quelconque contrepartie.

En mettant en circulation de la monnaie sans dette au profit de la Confédération et des cantons, on introduirait un financement du secteur public grâce à la création de monnaie par la BNS. La mise en circulation sans dette doit par conséquent être considérée comme le principe de base de la création de monnaie, alors que l'octroi de prêts aux banques constituerait une possibilité
supplémentaire de créer de la monnaie.

Dispositions transitoires L'art. 197, ch. 12, al. 2, dispose que durant la phase de transition notamment, la BNS veillera à ce qu'il n'y ait ni pénurie ni pléthore de monnaie, et qu'elle pourra octroyer aux prestataires de services financiers un accès facilité aux prêts. La loi devra préciser ce qu'il faut entendre par un accès facilité aux prêts.

En vertu de l'art. 197, ch. 12, al. 3, si le Parlement n'adoptait pas la loi dans les deux ans suivant l'acceptation de l'initiative, le Conseil fédéral devrait édicter dans un délai d'un an les dispositions d'exécution nécessaires par voie d'ordonnance.

13

Cf. art. 5, al. 2, let. c, de la loi sur la Banque nationale

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4

Appréciation de l'initiative

4.1

Analyse des propositions

Les demandes formulées dans l'initiative sont en partie légitimes. Depuis la crise financière de 2008, la stabilité financière est devenue un sujet de préoccupation. À maintes reprises, des doutes ont été émis quant à la stabilité du système financier et monétaire, et des voix se sont exprimées en faveur d'une réglementation plus sévère.

Depuis lors, des efforts soutenus ont toutefois été consentis en vue de renforcer la stabilité financière, notamment en Suisse.

Une exigence centrale des auteurs de l'initiative est la protection des déposants. De leur point de vue, une réforme vers une monnaie pleine offre aux citoyennes et citoyens davantage de transparence dans le système monétaire et de sécurité quant à leurs dépôts à vue auprès des banques. Si l'initiative était acceptée, les dépôts à vue de la clientèle auprès des banques seraient définitivement protégés de toute perte en cas de retraits massifs. D'autres avoirs, notamment sous forme d'épargne, ne seraient toutefois pas concernés par la réforme. En ce qui concerne ces créances et d'autres créances des banques (par ex. sur le marché interbancaire), des retraits massifs resteraient possibles.

Lorsqu'ils exigent un monopole étatique de la création de monnaie, les auteurs de l'initiative se fondent sur les dispositions constitutionnelles en vigueur relatives au monopole de l'émission des billets de banque et des pièces de monnaie. Cette norme a certes été créée pour retirer aux banques la faculté d'émettre leurs propres billets de banque, mais on ne saurait pour autant en déduire une interdiction générale d'offrir des dépôts à vue.

L'attribution directe de l'argent nouvellement émis à la Confédération et aux cantons établirait un lien étroit entre la BNS et le financement des budgets publics. La BNS risquerait de faire l'objet de pressions politiques en cas d'importants besoins de financement. Le lien étroit de la BNS avec le financement de l'État pourrait ainsi conduire à de forts taux d'inflation14. Pour éviter les tendances inflationnistes, les banques centrales ont généralement été dotées d'une grande autonomie et le financement direct des collectivités publiques leur a souvent été expressément interdit.

Du point de vue des auteurs de l'initiative, la création de moyens de paiement confère aux banques, par rapport aux entreprises d'autres
branches, des avantages concurrentiels injustifiés, la création de monnaie générant des bénéfices qui devraient revenir à l'État ou aux citoyennes et citoyens. Les auteurs de l'initiative mettent l'accent sur la généralisation de la monnaie centrale en tant que moyen de paiement. Il s'agirait d'une modification radicale de la répartition des tâches entre la BNS et les banques commerciales. Le modèle d'affaires des banques repose pour une grande part sur les opérations d'intérêts, dans lesquelles les intérêts des crédits couvrent les coûts et les intérêts du trafic des paiements. Il en résulte une gestion des activités de crédit sur la base de l'offre et de la demande, qui détermine les taux en vigueur. Ce modèle d'affaires serait fondamentalement remis en cause et le champ d'activités des banques s'en trouverait réduit. Par ailleurs, les banques devraient 14

Cf. par ex. Bernholz, P., Monetary Regimes and Inflation: History, Economic and Political Relationships, Cheltenham, UK, and Northhampton, MA, USA: Edward Elgar, 2003

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compenser financièrement la disparition des dépôts à vue, relativement avantageux, en prélevant par exemple de nouveaux frais sur les services de paiement.

Il est en principe légitime de vouloir des moyens de paiement fiables, mais la revendication visant un système financier sûr peut être satisfaite plus efficacement et plus simplement (cf. ch. 4.2.3). Le Conseil fédéral renonce à présenter un contre-projet direct ou indirect, eu égard à la réglementation en vigueur sur la protection des déposants (cf. ch. 4.2.4), aux mesures prises durant les années écoulées et à celles prévues, qu'il juge plus pertinentes pour garantir la stabilité du système bancaire.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

4.2.1

Le régime monétaire actuel et le système proposé

La monnaie créée aujourd'hui par la BNS (monnaie centrale) est couverte par des actifs, essentiellement des placements en devises et de l'or. Sur le plan comptable, la monnaie centrale représente pour la BNS une dette qui ne doit toutefois pas être remboursée. Pour les banques et l'économie réelle, la monnaie centrale représente une valeur patrimoniale sous forme de billets de banque et d'avoirs des banques en Suisse auprès de la BNS (comptes de virement; cf. illustration 1). Dans le système en vigueur, les banques peuvent elles aussi octroyer des crédits contre de la monnaie scripturale et mettre ainsi des moyens de paiement en circulation. Les crédits alloués sont simultanément crédités sur le compte bancaire de l'emprunteur (compte destiné au trafic des paiements). Il s'agit d'un avoir «à vue», c'est-à-dire d'une créance visà-vis de la banque, disponible en tout temps, qui permet de procéder à des paiements.

Illustration 1

Situation actuelle: bilans agrégés de l'ensemble de l'économie 15 BNS

Banques Monnaie centrale:

billets de banque, Placements en or et en devises comptes de v irement

Fonds propres

Comptes de virement BNS

Secteur privé Billets de banque

Comptes du trafic des paiements

Comptes du trafic des paiements

Crédits

Crédits Fonds de tiers

Placements

Autres placements

Fonds propres

Fonds propres

Les banques perçoivent sur les crédits des intérêts plus élevés que ceux auxquels elles doivent rémunérer les comptes du trafic des paiements de leur clientèle. Elles peuvent ainsi couvrir leurs coûts et réaliser un bénéfice. Mais pour elles, les affaires de crédit comportent des risques et ne sont pas une source illimitée de profits, car la concurrence entre établissements amoindrit leur marge bénéficiaire. Les banques doivent également veiller à ce que les crédits soient remboursés, c'est-à-dire à ce 15

Les illustrations 1 et 2 ne sont que des schémas et ne reflètent pas nécessairement les ordres de grandeur réels.

8237

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que les débiteurs soient solvables. Elles ne peuvent par ailleurs octroyer davantage de crédits que la demande réelle de crédit des entreprises et des ménages au taux d'intérêt en vigueur. L'octroi de crédits dépend donc en priorité des conditionscadres de la politique monétaire (taux d'intérêt) et de la conjoncture (demande d'investissements). De plus, les banques doivent également s'attendre à un retrait partiel des avoirs, notamment des dépôts à vue, ce qui les incite à en couvrir une partie par de la monnaie centrale. Enfin, l'octroi de crédits est influencé par les prescriptions réglementaires concernant les réserves minimales, les liquidités et les fonds propres.

En cas d'acceptation de l'initiative, seule la BNS serait autorisée à mettre en circulation de la «monnaie scripturale en tant que moyen de paiement légal» (proposition d'art. 99, al. 2). Les banques devraient gérer hors bilan tous les comptes actuels et futurs de leurs clients destinés au trafic des paiements. Ces avoirs de la clientèle seraient par exemple versés sur des comptes auprès de banques de dépôt séparées (cf. illustration 2, flèche 1a). Pour permettre une couverture intégrale de ces nouveaux comptes de dépôt ou de trafic des paiements par de la monnaie centrale (flèche 1b), la BNS devrait, durant une phase transitoire, mettre en circulation de la monnaie centrale à hauteur des besoins en liquidités des banques du fait des nouveaux comptes du trafic des paiements. Étant donné qu'ils sont entièrement financés par de la monnaie centrale, les avoirs déposés sur les comptes du trafic des paiements sont réputés «monnaie pleine», cette dernière devenant le seul moyen de paiement légal sans numéraire en Suisse (en francs suisses).

Illustration 2

Passage au système de monnaie pleine: bilans agrégés BNS

Banques

Monnaie centrale: billets de banque,

Comptes de virement BNS

Monnaie centrale: comptes de v irement

Crédits

Placements en comptes de v irement or et en devises des banques de dépôt

Prêt aux banques

Fonds propres

Placements

2

Secteur privé Billets de banque

Prêt de la BNS

Comptes du trafic des paiements

Fonds de tiers

Autres placements

Crédits

Fonds propres

Fonds propres

Banques de dépôt 1b

Comptes de virement BNS

Comptes du trafic des paiements

1a

Durant une phase transitoire, la BNS octroierait un prêt aux banques commerciales en fonction des besoins de liquidités supplémentaires générés par le transfert des comptes du trafic des paiements (flèche 2). En d'autres termes, elle échangerait auprès des banques commerciales les comptes du trafic des paiements contre un prêt de la BNS. Ce prêt ne serait nécessaire que dans la mesure où le financement des banques n'est pas assuré, ou pour garantir l'approvisionnement de l'économie en crédits (art. 99a, al. 1). Selon l'initiative, ce prêt devra être remboursé sur la durée.

À cet égard, il faut tenir compte du fait que dans la perspective de la réforme, la clientèle est susceptible de transformer une partie des dépôts à vue en d'autres

8238

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formes de placements, ce qui pourrait réduire les besoins supplémentaires en monnaie centrale.

Les comptes du trafic des paiements doivent être entièrement couverts par de la monnaie pleine et seraient désormais gérés hors bilan; ils ne feraient pas partie de la masse en faillite de la banque. Les banques auraient tendanciellement plus de difficultés à octroyer des crédits, car elles ne pourraient plus simplement bonifier le montant du crédit au client: elles devraient financer les crédits par d'autres fonds de tiers (ou par des fonds propres), par exemple par le biais de «comptes de placement» (similaires aux comptes d'épargne ou aux comptes de dépôt à terme). Il faudrait limiter dans le temps les possibilités de retrait pour ces comptes de placement de manière à ce qu'ils ne puissent pas servir au trafic des paiements. Concrètement, cela pourrait se traduire par des délais minimaux de conservation des produits financiers, qu'il conviendrait de fixer dans le cadre de la mise en oeuvre. Pour financer les crédits, les banques pourraient également recourir aux emprunts sur le marché monétaire et à d'autres produits financiers qui restent à créer. Les comptes de placement et autres produits financiers seraient (en règle générale) rémunérés.

Il faudrait également préciser qui devra supporter les coûts de la tenue des comptes et des paiements pour les comptes du trafic des paiements. Les banques ne pouvant plus utiliser ces fonds pour réaliser des gains sur les affaires de crédit, les comptes du trafic des paiements concernés ne devraient en principe pas être rémunérés. Les banques devraient donc financer les paiements opérés sur ces comptes par le biais de commissions (comme elles le font pour les dépôts de titres et les coffres-forts). On ne saurait toutefois exclure une intervention de l'État auprès de la banque de dépôt si les banques commerciales, ou les clients en raison de l'absence de rémunération et des nouvelles commissions, montraient trop peu d'intérêt pour de nouvelles affaires par le biais des comptes du trafic des paiements et recouraient à d'autres canaux pour leurs paiements (par exemple en espèces ou par des comptes en devises étrangères).

L'initiative prévoit que les banques devront rembourser le prêt consenti durant la période transitoire, ce qui signifie que dans le système de
monnaie pleine, elles devront soit trouver de nouvelles sources de financement, soit limiter l'octroi de crédits aux entreprises et aux ménages (majoritairement sous forme d'hypothèques).

À titre de solution de rechange, la BNS pourrait encore consentir des «prêts limités dans le temps» après la phase transitoire pour éviter une pénurie de crédits. Une limitation de l'offre de crédits provoquerait en principe une hausse des taux d'intérêt. Néanmoins, si une pénurie de crédits menaçait de se produire malgré les possibilités de financement restant à la disposition des banques, il est envisageable voire vraisemblable que la BNS consentirait des prêts à durée limitée non seulement durant la phase transitoire, mais également au-delà.

4.2.2

Politique monétaire

Le système de monnaie pleine proposé aurait des conséquences fondamentales pour la politique monétaire. En particulier, le taux d'intérêt en tant qu'instrument de pilotage perdrait considérablement de son importance. L'objectif opérationnel 8239

FF 2016

actuel, qui est de maintenir le taux de référence (c'est-à-dire le Libor à trois mois) dans une certaine fourchette devrait être remplacé, du moins en partie, par une courbe de croissance de la masse monétaire.

Dans le système en vigueur, en pilotant le taux de référence, la BNS influe sur l'offre et la demande de crédits. La monnaie est pour une grande part créée par les activités de crédit des banques commerciales. Un recul du taux d'intérêt favorise l'octroi de crédits et la création de monnaie, ce qui stimule la demande globale de l'économie et provoque tendanciellement une augmentation des prix suite à une meilleure utilisation des capacités de production. À l'inverse, une augmentation du taux d'intérêt ralentit l'octroi de crédits et la création de monnaie, ce qui freine la demande globale de l'économie et l'évolution des prix.

Dans son art. 99a, al. 3, l'initiative prévoit que la BNS «met en circulation sans dette» l'argent nouvellement émis, et ce «par le biais de la Confédération ou des cantons ou en l'attribuant directement aux citoyens». Actuellement, la BNS met la monnaie centrale en circulation en octroyant des crédits aux banques commerciales ou en acquérant des valeurs patrimoniales, auparavant principalement de l'or, aujourd'hui avant tout des placements en devises étrangères et des titres. Le transfert sans dette préconisé par l'initiative n'interviendrait toutefois plus par des prêts ou par l'acquisition de valeurs patrimoniales. Lorsque la BNS mettra de l'argent en circulation par un transfert sans dette à la Confédération, aux cantons ou aux citoyennes et citoyens, la masse monétaire pourra augmenter sans progression de l'octroi de crédits. Les corrélations actuelles entre les taux d'intérêt, la masse monétaire et l'évolution des prix s'en trouveraient modifiées.

La stratégie de politique monétaire Actuellement, la stratégie de politique monétaire de la BNS repose sur trois éléments, à savoir (1) une définition explicite de la stabilité des prix, (2) une prévision d'inflation en tant qu'indicateur principal pour les décisions de politique monétaire et d'élément central de la communication, et (3) une fourchette pour le taux d'intérêt de référence, le Libor à trois mois, en tant qu'objectif opérationnel dans la mise en oeuvre de la politique monétaire.

Si la politique monétaire
était réorientée comme le prévoit l'initiative, la priorité devrait être accordée au pilotage de la masse monétaire. Les deux premiers éléments de la stratégie en vigueur pourraient être conservés dans un système de monnaie pleine. En revanche, le troisième élément devrait être adapté, car le taux d'intérêt perdrait de sa signification pour influer sur l'octroi de crédits et la création de monnaie. Au lieu d'une fourchette pour le taux de référence, la BNS devrait définir une courbe de croissance de la masse monétaire: elle suivrait alors une stratégie qui n'est pas sans rappeler l'ancienne gestion de la masse monétaire. Cependant, cette gestion ne s'était pas révélée un bon instrument de pilotage de la politique monétaire, la masse monétaire n'ayant qu'un lien indirect avec la stabilité des prix16.

Pour appliquer sa politique monétaire, la BNS devrait déterminer la masse monétaire supplémentaire qu'elle devrait mettre en circulation sans dette. Elle devrait égale16

Cf. Banque nationale suisse (éd.): Banque nationale suisse 1907­2007, Zurich 2007, p. 254 ss

8240

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ment fixer une clé de répartition pour l'attribution de l'argent nouvellement émis à la Confédération, aux cantons et aux citoyennes et citoyens. La clé de répartition ne relevant pas de la politique monétaire, elle devrait être fixée dans la loi. Il faudrait alors s'attendre à ce que l'attribution d'argent sans dette conduise implicitement à une politisation de la politique monétaire, car une création de monnaie de cette nature aurait des répercussions directes sur la politique budgétaire. Si la BNS mettait de la monnaie en circulation sans dette, elle pourrait financer des tâches publiques ou des baisses d'impôts, ce qui l'exposerait à des pressions politiques croissantes.

On peut se demander comment le renforcement explicite de l'indépendance de la BNS proposé par l'art. 99a, al. 6, serait davantage qu'un voeu pieux et comment il pourrait effectivement contrer les pressions politiques. Par ailleurs, en fonction des estimations des conditions de crédit sur le marché, la BNS devrait décider de l'ampleur des prêts à durée limitée consentis aux banques et fixer les conditions qui les régissent.

Comparaison avec la gestion de la masse monétaire durant les années 1975 à 1999 À première vue, le pilotage de l'accroissement de la masse monétaire dans le système de monnaie pleine rappelle la politique menée par la BNS de 1975 à 1999, qui reposait sur la gestion de la masse monétaire. Les expériences de cette époque ne sont toutefois pas directement comparables à une gestion de la masse monétaire dans le cadre du système de monnaie pleine. Ce système implique une création monétaire uniquement par le biais de la BNS, et non plus par l'octroi de crédits par les banques commerciales. Dans le système de monnaie pleine, la séparation entre la création de monnaie et l'octroi de crédits se répercuterait bien plus fortement sur l'économie qu'un passage du pilotage des taux d'intérêt à la gestion de la masse monétaire dans le système actuel. En ce qui concerne le système de monnaie pleine, on manque notamment d'expérience pour estimer les effets sur les prix d'une augmentation de la masse monétaire. Plus grave encore: il serait beaucoup plus difficile de réduire une masse monétaire trop importante.

Répercussions sur les taux d'intérêt Pour assurer la stabilité des prix dans un système de monnaie pleine, la BNS
devrait recourir à la gestion de la masse monétaire au lieu du pilotage des taux d'intérêt. Les taux d'intérêt du franc et donc le taux de change seraient soumis à de fortes fluctuations, sources d'incertitudes pour l'économie, plus particulièrement durant la phase transitoire. Enfin, un système de monnaie pleine ferait de la Suisse une exception sous l'angle de la politique monétaire.

Répercussions sur la stabilité des prix Dans l'ensemble, il est difficile de prédire sur quelles valeurs la politique monétaire devrait se fonder dans le système proposé et quelles en seraient les répercussions sur les indicateurs économiques globaux. Si l'initiative était mise en oeuvre dans le sens voulu par ses auteurs, il serait plus difficile de gérer à moyen terme la stabilité des prix en tenant compte de la conjoncture. On ne pourrait plus réagir aussi efficacement qu'aujourd'hui à des chocs à court terme, par le biais d'une adaptation des taux directeurs. La focalisation stricte sur la masse monétaire aurait des effets plus diffici8241

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lement évaluables sur les prix, notamment pendant la période transitoire. Relevons à cet égard que la création monétaire sans dette ne doit pas être forcément soumise à des fluctuations à court terme induites par la politique monétaire. Des instruments traditionnels tels que les pensions de titres ou les prêts aux banques commerciales pourraient également avoir une incidence à court terme sur la masse monétaire.

D'une manière générale, il faut s'attendre à ce que la répartition directe de l'argent par transferts affaiblisse la confiance vis-à-vis de la stabilité de la valeur de l'argent parce que ce dernier ne serait pas couvert par des actifs sous forme de réserves de devises ou d'or. La mise en circulation d'argent sans dette exposerait davantage la politique monétaire aux convoitises de la politique budgétaire (cf. ch. 4.2.6), ce qui entraînerait une perte d'indépendance de la BNS. Tous ces facteurs contribueraient à aggraver le risque d'inflation. Il faut souligner par ailleurs que l'argent mis en circulation sans dette serait plus difficile à résorber. Une solution serait de percevoir des impôts spéciaux de résorption, dont le produit serait remis à la BNS qui retirerait ainsi cette monnaie pleine de la circulation. Une autre possibilité serait l'émission d'obligations de la BNS, c'est-à-dire de titres du marché monétaire, que celle-ci devrait toutefois rémunérer.

4.2.3

Stabilité financière

Les auteurs de l'initiative promettent une amélioration de la stabilité financière. De leur point de vue, un système de monnaie pleine contribuerait à éviter l'émergence de bulles financières, et l'État ne serait plus tenu de sauver des banques. De plus, ils insistent sur le fait que la monnaie pleine déposée sur les comptes du trafic des paiements serait entièrement sûre17. Si l'on y regarde de plus près, un système de monnaie pleine ne peut tenir toutes ces promesses.

Même un système de monnaie pleine ne pourrait empêcher l'apparition de cycles de crédit et de bulles d'actifs. En fonction des modalités de mise en oeuvre, ces fluctuations pourraient certes être atténuées dans une certaine mesure. Mais les cycles de crédit et les bulles d'actifs trouvent leur origine dans la sous-estimation des risques par les banques, les ménages et les entreprises, de même que dans des anticipations de prix exagérées. Un système de monnaie pleine n'a aucune incidence sur ces causes.

Dans un système de monnaie pleine, il n'est pas non plus certain que l'État ne doive plus sauver de banques. La garantie du trafic des paiements par un système de monnaie pleine éliminerait certes un motif important pour un sauvetage de banques par l'État. Mais on peut envisager d'autres situations dans lesquelles l'État devrait sauver une banque, par exemple si celle-ci occupait une position importante dans le domaine du crédit ou de l'épargne ou était fortement imbriquée dans le système bancaire national. Même dans un système de monnaie pleine, l'État pourrait dès lors être enclin à sauver une banque menacée d'insolvabilité pour protéger l'économie.

L'initiative protégerait intégralement les dépôts à vue auprès des banques en cas de faillite bancaire. La nécessité de protéger les épargnants (cf. ch. 4.2.4) ne concerne17

www.initiative-monnaie-pleine.ch/messages-cles/

8242

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rait plus ces dépôts. L'épargne et les dépôts à terme, de même que des formes de financement à court terme par des tiers (entre autres par le biais du marché monétaire et du marché des capitaux), resteraient toutefois exposés à des risques de liquidité et de solvabilité et donc de retraits massifs, c'est-à-dire à une situation dans laquelle de nombreux créanciers retirent simultanément leurs avoirs ou ne souhaitent pas les renouveler. Certes, la BNS fixerait des délais de conservation minimaux pour les placements financiers de manière à retarder les retraits massifs de dépôts d'épargne et l'insolvabilité d'une banque, mais on ne pourrait pour autant éviter totalement les retraits massifs, car leurs causes principales subsisteraient dans un système de monnaie pleine. Les incitations à la transformation des échéances (financement des crédits à long terme par des engagements à court terme), activité nécessaire pour l'économie, resteraient pour l'essentiel les mêmes. Certes, fixer des délais de conservation minimaux limiterait plus ou moins fortement la transformation des échéances par les banques ­ en fonction de leur durée ­ mais ne l'empêcherait aucunement.

De plus, le texte de l'initiative18 prévoit une limitation légale des opérations pour compte propre. Le système de monnaie pleine pourrait également voir le jour sans cette limitation. On notera par ailleurs qu'il est compliqué en pratique de délimiter précisément les opérations pour compte propre par rapport aux autres activités, et qu'une limitation de ces opérations serait donc difficilement réalisable.

Un environnement d'affaires moins favorable et les entraves aux activités de crédit pourraient entraîner un rétrécissement du secteur financier, ce qui est susceptible de réduire le risque pour la stabilité financière. Or, il est difficile de prévoir comment les banques réagiraient concrètement à une réforme visant la monnaie pleine. La disparition des dépôts à vue leur ferait perdre une source de financement relativement stable et peu onéreuse, ce qui pourrait entraîner une hausse du coût des crédits et une réduction des marges. Il faut s'attendre à ce que les banques recherchent d'autres sources de financement, et on ne peut pas exclure qu'elles choisissent aussi des solutions plus risquées pour financer les crédits.

Comme le soulignent
les auteurs de l'initiative, le système financier et plus particulièrement le secteur bancaire présentent une fragilité susceptible de conduire à des crises financières et économiques. Ce problème peut toutefois être traité par d'autres moyens. À cet égard, les exigences accrues en matière de fonds propres des banques jouent un rôle essentiel car elles renforcent la capacité de résistance du système bancaire aux pertes éventuelles. Cette voie est suivie aussi bien sur le plan national qu'international. Au niveau international, on citera à ce propos les activités du Comité de Bâle (Bâle III) et du Conseil de stabilité financière.

En Suisse, les banques doivent déjà répondre à des exigences plus sévères en matière de liquidités et de fonds propres par rapport aux années précédentes. Concernant le problème des établissements too big to fail, le Conseil fédéral a récemment relevé encore les exigences quant aux fonds propres des banques d'importance systémique opérant au niveau international, en modifiant l'ordonnance sur les fonds

18

art. 99, al. 4, let. e, du texte de l'initiative

8243

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propres et l'ordonnance sur les banques19. Les exigences suisses restent ainsi plus sévères que les normes internationales. Ce renforcement du régime applicable aux banques d'importance systémique se fonde sur le premier rapport d'évaluation du Conseil fédéral sur les dispositions suisses applicables à ces banques20. Le régime en question comporte des mesures en matière de capital, de liquidités, de diversification des risques et d'organisation des banques.

Globalement, l'initiative ne renforcerait pas substantiellement la stabilité financière.

Des mesures efficaces ont déjà été prises pour renforcer la capacité de résistance du secteur bancaire. De plus, durant la phase transitoire entre le système en vigueur et le système de monnaie pleine, il y aurait une grande incertitude quant à la capacité du système bancaire à assumer ses fonctions en matière de crédit et de dépôt, qui sont importantes pour l'économie.

4.2.4

Protection des déposants et des consommateurs

L'initiative protégerait les dépôts à vue des clients de toute perte consécutive à la faillite d'une banque. Cependant, d'autres avoirs, notamment sous forme d'épargne, ne sont pas concernés par la réforme et resteraient exposés au risque de faillite bancaire. Par ailleurs, il existe déjà des réglementations de protection des épargnants qui poursuivent le même but. En Suisse, afin que les moyens d'existence du client d'une banque ne soient pas mis en danger, 100 000 francs par client et par banque sont considérés comme des dépôts privilégiés, c'est-à-dire qu'en cas de faillite, ce montant sera réglé comme une créance de deuxième rang. De plus, les dépôts privilégiés sont couverts à concurrence d'un plafond de 6 milliards de francs par le système de garantie des dépôts, en vertu duquel le client de la banque se verra verser son dépôt garanti avant même la fin de la procédure de faillite. Renforcé après la crise financière grâce à une révision de la loi sur les banques en 2011, le système de garantie des dépôts fait actuellement l'objet d'un réexamen.

Les conditions des comptes du trafic des paiements sont avantageuses dans le système actuel en dépit du bas niveau des taux d'intérêt. Cela vaut particulièrement pour les coûts du trafic des paiements sans numéraire, car cette activité est étroitement liée aux affaires de crédit des banques. En outre, les dépôts sont généralement protégés de l'inflation par le taux d'intérêt. Par contre, dans le système de monnaie pleine, l'argent des comptes du trafic des paiements serait certes protégé des retraits massifs, mais non de l'inflation.

4.2.5

Secteur financier

Le secteur financier est un pilier important de l'économie suisse: il représentait en 2015 5,6 % de l'emploi total et la valeur ajoutée qu'il a dégagée a contribué à hau19 20

Cf. le communiqué «Le Conseil fédéral approuve la modification des dispositions sur les établissements » du 11.5.2016.

Cf. le «Rapport du Conseil fédéral ­ Examen prévu par l'art. 52 de la loi sur les banques et en réponse aux postulats 11.4185 et 14.3002».

8244

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teur de 9,5 % au produit intérieur brut21. La réforme de la monnaie pleine pourrait restreindre sensiblement les activités des banques. La disparition des dépôts à vue en tant que source de financement pour les banques réduira les fonds disponibles pour les crédits si les besoins de refinancement ne peuvent pas être couverts par les prêts de la BNS. Les instruments de financement encore autorisés ­ par exemple les dépôts d'épargne ­ sont tendanciellement plus onéreux que le financement actuel par les dépôts à vue car l'investisseur veut être indemnisé pour la liquidité moindre de ses avoirs. Par conséquent, la rentabilité des banques baissera ou les coûts supplémentaires seront facturés au client (prélèvement de frais et hausse des taux d'intérêt des crédits).

Dès lors, les banques qui se financent principalement par le biais des dépôts en francs suisses de leur clientèle seront le plus directement affectées par l'initiative.

Selon la statistique des banques de la BNS, les banques détenaient à la fin de 2015 des dépôts à vue de la clientèle à hauteur de 365 milliards de francs dans leurs bilans. Plus particulièrement, les banques de moindre taille réalisant la plus grande partie de leurs revenus grâce aux opérations d'intérêts22 seraient touchées de manière disproportionnée.

D'autres prescriptions, nécessaires en raison de la mise en oeuvre de l'initiative, de même que la réglementation proposée visant à restreindre les opérations pour compte propre, limiteraient encore les opportunités d'affaires.

De plus, l'affaiblissement attendu du secteur financier provoqué par la réforme de la monnaie pleine se répercuterait défavorablement sur la position de la Suisse dans le système financier international. Jusqu'ici, la politique suisse en matière de marchés financiers s'est distinguée par des conditions-cadres stables. La grande incertitude quant aux conséquences d'un passage à la monnaie pleine est susceptible de diminuer l'attrait du secteur financier, ce qui équivaudrait à une perte de compétitivité au plan international. La Suisse en subirait les conséquences, qui ne se limiteraient pas à la seule perte d'emplois dans le secteur financier. Un changement rapide des conditions-cadres pourrait susciter des doutes quant à la stabilité de l'ordre juridique suisse. Eu égard aux risques encourus, la poursuite de la politique actuelle en matière de marchés financiers est préférable à l'instauration d'un régime de monnaie pleine.

4.2.6

Finances publiques

En vertu de l'art. 99a, al. 3, Cst. proposé, la BNS, «dans le cadre de son mandat légal, met en circulation, sans dette, l'argent nouvellement émis, et cela par le biais de la Confédération ou des cantons ou en l'attribuant directement aux citoyens». En ce qui concerne cette dernière possibilité, il faudrait notamment définir si les habitants n'ayant pas la nationalité suisse bénéficieraient de tels transferts, et si oui, dans quelle mesure.

21 22

Cf. SFI, Chiffres-clés de la place financière (avril 2016) C'est-à-dire le financement de crédits à plus fort taux d'intérêt par des dépôts moins rémunérés.

8245

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Actuellement, l'art. 11 de la loi sur la Banque nationale interdit à celle-ci de financer des déficits publics. Cette séparation des politiques budgétaire et monétaire serait ainsi battue en brèche. Si l'État devait durant un certain laps de temps se financer du moins en partie par de la monnaie pleine, il aurait des attentes vis-à-vis de la BNS.

Si cette dernière refusait de mettre en circulation de la monnaie pleine pour des raisons de politique monétaire, cela aurait des répercussions directes sur le financement des tâches publiques. La BNS serait alors exposée à de fortes pressions politiques susceptibles de remettre en question son indépendance. La durabilité du financement de l'État pourrait également se trouver menacée.

Dans le système de monnaie pleine, la BNS serait habilitée à remettre certains montants à la Confédération, aux cantons et aux citoyennes et citoyens sous la forme de transferts directs. Eu égard aux grandes incertitudes en la matière, on ne peut que spéculer sur ces montants. Les auteurs de l'initiative évoquent eux-mêmes un montant annuel de l'ordre de 3 à 10 milliards de francs, conditionné par la croissance économique23.

Ce montant de l'ordre de 3 à 10 milliards de francs par an ne pourrait être atteint que si les habitudes de paiement restaient largement les mêmes après le passage à la monnaie pleine. Si les comptes n'étaient pas rémunérés ou faisaient même l'objet de frais, il faudrait cependant s'attendre à une baisse de la demande de dépôts à vue.

En principe, si les banques ont aujourd'hui la possibilité d'augmenter le volume de crédits, elles peuvent aussi tirer davantage de revenus des opérations d'intérêts, de sorte que pour elles, l'octroi de crédits et la création de monnaie génèrent des bénéfices. Ces bénéfices permettent aux banques d'assurer la tenue des comptes à des conditions relativement avantageuses dans le système actuel. C'est pourquoi elles effectuent généralement sans frais pour leurs clients le trafic des paiements sans numéraire. Pour continuer à couvrir leurs coûts dans un système de monnaie pleine, les banques devraient toutefois exiger des détenteurs de comptes en monnaie pleine des commissions pour le trafic des paiements. En temps normal, ces comptes ne pourraient plus être financés par les affaires de crédit et ne pourraient donc plus être rémunérés.

4.2.7

Effets sur l'octroi de crédits et la conjoncture

Dans le système de monnaie pleine, les banques commerciales ne peuvent plus recourir aux dépôts à vue pour financer les crédits. L'octroi de crédits ­ abstraction faite des prêts à durée limitée que la BNS est autorisée à consentir aux banques ­ devra être financé en premier lieu par des comptes d'épargne et de placement à plus long terme, par l'émission d'emprunts ou par des fonds propres. Étant donné que dans le système de monnaie pleine, la priorité est accordée à la gestion de la masse monétaire, les taux d'intérêt des crédits auront tendance à fluctuer davantage pour équilibrer l'offre et la demande de crédits.

Le passage à un système de monnaie pleine présente des risques supplémentaires pour le système financier et l'économie réelle. La transformation du régime moné23

www.initiative-monnaie-pleine.ch/questions/

8246

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taire devrait générer des incertitudes auprès des entreprises, des ménages et des investisseurs internationaux. Il en résulterait d'une part une grande retenue en matière d'investissements et de consommation, et d'autre part d'importants flux de capitaux internationaux et des fluctuations des cours de change. Simultanément, la politique monétaire devrait être gérée par des instruments non éprouvés, parmi lesquels notamment la création sans dette de monnaie scripturale.

4.3

Compatibilité avec les obligations internationales

L'initiative est en principe compatible avec les engagements internationaux de la Suisse. Toutefois, certains aspects de la mise en oeuvre peuvent entrer en conflit avec des principes internationaux reconnus par la Suisse. D'une façon générale, on retiendra deux domaines qui seraient le plus vraisemblablement touchés par les accords internationaux: les réglementations en matière de stabilité financière et le financement des pouvoirs publics par les banques centrales.

Les normes internationales en matière de stabilité financière, qui ont été reprises par la Suisse ­ notamment Bâle III et les exigences supplémentaires vis-à-vis des banques d'importance systémique ­ pourront être respectées dans le cadre d'un système de monnaie pleine. En ce qui concerne les dispositions régissant les fonds de tiers à court terme, par exemple, l'initiative va plus loin que les exigences de Bâle III relatives au ratio de liquidité à court terme (Liquidity Coverage Ratio, ou LCR), alors que la plupart des autres prescriptions ne sont pas concernées.

Un financement de l'État par la BNS tel qu'il pourrait se produire dans un régime de monnaie pleine contredit toutefois les recommandations de nombreuses organisations internationales24. Mais il ne s'agit pas d'engagements contraignants au sens d'un traité de droit international public.

5

Conclusions

Le Conseil fédéral recommande de rejeter l'initiative. En cas d'acceptation, la Suisse deviendrait un terrain d'expérimentation pour des réformes visant un système de monnaie et de réserves pleines. Elle ferait ainsi cavalier seul dans la mise en oeuvre d'une initiative qui équivaudrait à une transformation profonde et hasardeuse du système monétaire et du secteur financier suisses. En outre, la réforme causerait de grandes incertitudes et des coûts potentiellement élevés pour le secteur financier et l'économie dans son ensemble. Enfin, il existe des moyens plus appropriés pour renforcer la sécurité du secteur financier. Plusieurs mesures en vue du renforcement de la stabilité financière ont été prises ces dernières années et d'autres le seront encore (too big to fail, sécurité des dépôts). Le Conseil fédéral renonce donc à présenter un contre-projet direct ou indirect.

24

Par ex. Jácome, L.I., M. Matamoros-Indorf, M. Sharma & S. Townsend, Central Bank Credit to the Government: What Can We Learn from International Practices?, IMF Working Paper 12/16, January 2012 (en anglais).

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