16.050 Message sur la modification de la loi sur l'assistance administrative fiscale du 10 juin 2016

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Nous vous soumettons par le présent message le projet d'une modification de la loi sur l'assistance administrative fiscale, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

10 juin 2016

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Johann N. Schneider-Ammann Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2016-0869

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Aperçu La modification proposée de la loi sur l'assistance administrative fiscale (LAAF) vise à assouplir la pratique de la Suisse en ce qui concerne les données volées.

Contexte En vertu de la version actuelle de lart. 7, let. c, LAAF, il n'est pas entré en matière lorsqu'une demande d'assistance administrative viole le principe de la bonne foi, en particulier si elle est fondée sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse.

A lété 2013, une procédure de consultation relative à la modification de la LAAF entrée en vigueur le 1er février 2013 a été menée. Le projet proposait de modifier la teneur du texte de lart. 7, let. c, LAAF, afin que la non-entrée en matière s'applique uniquement pour les cas où la demande était fondée sur des renseignements que lEtat requérant avait obtenus activement par des actes punissables au regard du droit suisse. La modification de la disposition a finalement été abandonnée en raison des vives critiques formulées dans le cadre de la consultation afin de ne pas compromettre le principal objectif de la révision, à savoir l'introduction dune exception relative à linformation ultérieure des personnes habilitées à recourir. En effet, de nombreuses demandes étaient bloquées parce que lEtat requérant avait requis quelles soient tenues secrètes, ce qui était impossible en labsence dune telle exception. On était conscient que lattitude de la Suisse en ce qui concerne les données acquises illégalement était considérée par des pays partenaires importants comme non conforme à la norme de lOCDE concernant lassistance administrative en matière fiscale. On supposait aussi que lattitude de la Suisse pourrait avoir un impact négatif sur son évaluation lors de la deuxième phase de lexamen par les pairs dans le cadre du Forum mondial sur la transparence et léchange de renseignements à des fins fiscales (Forum mondial).

Contenu du projet Le présent projet de modification de la loi tient compte des exigences internationales. Dorénavant, il sera entré en matière si la demande de lEtat requérant est fondée sur des renseignements certes obtenus initialement par des actes punissables au regard du droit suisse, mais dont lEtat requérant est entré en possession dans le cadre dune procédure dassistance administrative et en l'absence d'un comportement
actif. En revanche, l'assistance administrative reste exclue lorsque l'Etat requérant a cherché activement à se procurer des données volées en dehors d'une procédure d'assistance administrative. La proposition de révision de la loi permet de clarifier la situation juridique tout en tenant compte de l'évolution internationale.

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Message 1

Contexte

1.1

Présentation de la modification

En vertu de la version actuelle de lart. 7, let. c, de la loi fédérale du 28 septembre 2012 sur lassistance administrative internationale en matière fiscale (LAAF) 1, il n'est pas entré en matière lorsqu'une demande dassistance administrative viole le principe de la bonne foi, en particulier si elle est fondée sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse.

A lété 2013, une procédure de consultation relative à la modification de la LAAF entrée en vigueur le 1er février 2013 a été menée. Le projet proposait de modifier la teneur du texte de lart. 7, let. c, LAAF, afin que la non-entrée en matière s'applique uniquement pour les cas où la demande était fondée sur des renseignements que lEtat requérant avait obtenus activement par des actes punissables au regard du droit suisse. La modification de la disposition a finalement été abandonnée en raison des vives critiques formulées dans le cadre de la consultation afin de ne pas compromettre le principal objectif de la révision, à savoir lintroduction dune exception relative à linformation ultérieure des personnes habilitées à recourir, nécessaire pour permettre à la Suisse de déposer un rapport supplémentaire lui permettant de passer à la phase 2 d'examen par les pairs du Forum mondial. En effet, de nombreuses demandes étaient bloquées parce que lEtat requérant avait requis quelles soient tenues secrètes, ce qui était impossible en labsence dune telle exception et contraire à la norme de l'OCDE. On était déjà conscient que lattitude de la Suisse en ce qui concerne les données acquises illégalement était considérée par des pays partenaires importants comme non conforme à la norme de lOCDE concernant lassistance administrative en matière fiscale.

Dans le rapport supplémentaire de la Suisse lors de la première phase de l'examen par les pairs, le Forum mondial a demandé à la Suisse d'appliquer l'art. 7, let. c, LAAF conformément à la norme de l'OCDE. Le présent projet de modification de la loi tient compte de cette situation et des exigences internationales. Il vise à assurer une application de la LAAF conforme à la norme de l'OCDE en matière d'échange de renseignements sur demande, notamment dans le contexte de la phase 2 d'examen par les pairs de la Suisse, mais aussi en vue du nouveau cycle d'évaluation qui a débuté
en 2016.

Dorénavant, il sera entré en matière si la demande de lEtat requérant est fondée sur des renseignements certes obtenus initialement par des actes punissables au regard du droit suisse, mais dont lEtat requérant est entré en possession dans le cadre dune procédure dassistance administrative et en l'absence d'un comportement actif.

Lorsque l'Etat entre en possession des données via des sources accessibles au public, comme les médias, il ne fait pas preuve d'un comportement actif. En revanche, le principe contenu dans l'art. 7, let. c, LAAF est maintenu. Lobtention de renseigne1

RS 651.1

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ments au moyen dactes punissables selon le droit suisse continuera d'être un motif de refus d'entrée en matière si lEtat requérant est entré en possession des renseignements sur lesquels il fonde sa demande en dehors dune procédure dassistance administrative et par un comportement actif.

1.2

Aspects internationaux

1.2.1

Norme internationale

La norme de lOCDE concernant léchange de renseignements sur demande en matière fiscale prescrit, de manière générale, que les renseignements doivent être échangés sils sont «vraisemblablement pertinents» pour lEtat requérant. Elle ne se prononce pas explicitement sur la problématique de loctroi de lassistance administrative lorsque la demande repose sur des données volées. Tant lart. 26 du Modèle de Convention fiscale de lOCDE que son commentaire mentionnent toutefois de manière exhaustive les exceptions à léchange de renseignements. Celles-ci sont envisagées pour des cas très particuliers. Ainsi, il est mentionné que léchange de renseignements peut être refusé lorsque loctroi de ce dernier serait contraire à lordre public. Ce terme est défini de manière très restrictive et ne sapplique quà des cas extrêmes, comme lorsquune demande est motivée par des persécutions raciales, politiques ou religieuses.

La pratique suisse en matière de données volées se fonde actuellement sur lart. 7, let. c, LAAF et sur le principe de droit international qu'est la bonne foi. Il nest pas entré en matière sur une demande dassistance administrative qui viole le principe de la bonne foi, notamment lorsquelle se fonde sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse. Le fait que l'Etat requérant ait obtenu les informations de manière active ou passive ne joue aucun rôle à cet égard. Le refus de coopérer nest cependant pas systématique, mais fait lobjet dun examen au cas par cas. Il peut être entré en matière lorsque la demande de lEtat partenaire nest pas uniquement basée sur des données obtenues illégalement, mais présente des éléments indépendants fondant la requête. Des renseignements et des documents dont lEtat requérant dispose sur la base de ses propres enquêtes constituent, par exemple, de tels éléments. Cette approche correspond à celle suivie dans le cadre de l'entraide judiciaire2.

Dans les faits, il savère que les Etats partenaires trouvent la pratique suisse actuelle, assimilant un Etat qui ne fait que requérir lassistance administrative en vertu dun traité à un Etat auteur ou complice dun acte illicite, trop restrictive et contraire à la norme de lOCDE. Le cas le plus connu est celui de lInde au sujet de la liste HSBC, mais dautres Etats partenaires importants du G20 ou de
lUE ont également fait part de leurs sérieuses réserves quant à la coopération avec la Suisse sur ce dossier. Les Etats partenaires concernés affirment être de bonne foi lorsquils font des demandes

2

Voir à ce sujet l'arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2012.82-83 du 26 février 2013 dans lequel celui-ci valide une demande d'entraide judiciaire adressée à la Suisse par la Belgique et reposant en partie sur des preuves acquises illégalement.

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à la Suisse3 sur la base de la liste HSBC, argumentant quils ont reçu les données en vertu dun accord international prévoyant léchange de renseignements conforme à la norme et nont pas activement encouragé le vol de ces données. En cela, ces Etats estiment que la Suisse devrait entrer en matière sur leurs demandes sils ont obtenu les données par un mécanisme légal et non en violation du droit suisse.

1.2.2

Impact du refus de coopérer en matière de données volées sur une évaluation par les pairs de phase 2

Une évaluation de phase 2 passe en revue la pratique en matière dassistance administrative4 par rapport aux 10 éléments essentiels qui composent la norme internationale. Elle se conclut par un rapport et une note globale5. Lorsquun des dix éléments de la norme est «non-conforme», le pays évalué reçoit en général la note globale «partiellement conforme» dans le meilleur des cas.

En ce qui concerne les pays qui ont déjà fait lobjet dun examen par les pairs de phase 2, deux cas comparables à la Suisse ont été traités par le Forum, celui du Luxembourg et celui du Liechtenstein. Le refus du Luxembourg de coopérer lorsque les demandes de ses partenaires se fondaient sur des données volées, combiné à dautres problèmes révélés en phase 2, a contribué à ce quil obtienne la note densemble «non-conforme» à lissue de son évaluation de phase 2. Sur cette base, le Luxembourg a radicalement modifié sa législation et adapté sa pratique pour se conformer à la norme internationale. Lautorité compétente luxembourgeoise ne procède plus quà un examen formel des demandes quelle reçoit même si elle a un soupçon que les données à lorigine de la demande ont été acquises de manière illicite. En dautres termes, seul le fait que la demande dun Etat partenaire concerne des éléments qui sont «vraisemblablement pertinents» détermine si le Luxembourg entre en matière sur cette demande. Dans ce cas, même une coopération avec un Etat directement à lorigine du vol des données serait envisageable. Au vu de ces changements radicaux, le Luxembourg a reçu, en octobre 2015, la note de «conforme pour l'essentiel» à l'issue d'une procédure de rapport supplémentaire.

Avec lart. 8, al. 1, let. b, et 2, de sa loi du 30 juin 2010 sur lassistance administrative en matière fiscale (SteAHG)6, le Liechtenstein dispose dune réglementation semblable, sur le plan matériel, à lart. 7, let. c, LAAF. Dans le cadre de l'évaluation de phase 2 du Liechtenstein, publiée en octobre 2015, le Forum mondial a jugé que la pratique de cet Etat en matière de données volées était «partiellement conforme».

Le rapport note que l'interprétation stricte des dispositions législatives du Liechtenstein ont contribué au fait qu'environ 40 % des demandes adressées à cet Etat étaient 3

4 5

6

Le nombre de demandes reçues par la Suisse basées sur des données volées est tenu confidentiel et ne peut être communiqué. Cette pratique a été confirmée par un arrêt du Tribunal administratif fédéral (A-1784/2014).

La phase 2 évalue léchange de renseignements sur demande. Léchange automatique de renseignements ne joue aucun rôle dans ce contexte.

La note peut prendre lune des quatre valeurs suivantes: conforme, largement conforme, partiellement conforme et non-conforme. Les deux dernières valeurs sont considérées comme insuffisantes selon les travaux du G20 et du Forum mondial.

LR 353

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pendantes à l'issue de la période d'évaluation. Le Forum mondial recommande au Liechtenstein de modifier sa loi ou sa pratique, voire les deux, en matière d'assistance administrative de façon à pouvoir répondre aux demandes de ses partenaires.

Etant donné les bonnes notes obtenues par le Liechtenstein dans la plupart des autres éléments de la norme, l'évaluation a toutefois débouché sur une note de «conforme pour l'essentiel».

On rappellera ici que les conséquences dune notation «non-conforme» ont un impact direct pour l'Etat concerné. Premièrement, une telle note donne aux autres Etats la base nécessaire pour infliger des sanctions économiques. Ainsi, à la suite de la note «non-conforme» obtenue par le Luxembourg, la Belgique a placé ce pays sur une liste noire. Concrètement, cela signifie que les entreprises belges seront à lavenir obligées de déclarer toutes leurs transactions supérieures à 100 000 euros avec le Luxembourg. A plusieurs reprises, le G20 a suggéré que l'OCDE prépare une liste de mesures défensives pouvant être prises à lencontre des Etats nonconformes. Ces mesures incluent par exemple la suspension de certaines déductions pour les entreprises accordées sur la base des conventions contre les doubles impositions (CDI). Par ailleurs, de nombreuses organisations internationales de financement comme la Banque mondiale ou la Banque européenne de reconstruction et de développement évitent de travailler avec des Etats qui ne se conforment pas aux normes internationales en raison du risque que cela ferait courir à leur réputation.

Finalement, une notation insuffisante nuirait à la crédibilité de la Suisse dans les enceintes internationales. Elle limiterait la capacité de la Suisse à nouer des alliances et à défendre efficacement et de manière crédible ses intérêts, notamment dans le cadre de lOCDE. De manière générale, la menace de lapplication de telles mesures ajouterait à lincertitude planant sur la Suisse en tant que lieu dimplantation pour les entreprises internationales.

Certaines des mesures mentionnées ci-dessus à l'encontre des Etats ayant obtenu une note de «non-conforme» pourraient également, selon les circonstances, être appliquées aux Etats et territoires ayant obtenu une note de «partiellement conforme».

Au moment de la rédaction de ce message, le Forum mondial a déjà
pris position à deux reprises sur le cadre légal suisse dans le contexte de son processus dexamen par les pairs. En 2011, lors du premier examen par les pairs de la Suisse, lordonnance du 1er septembre 2010 relative à lassistance administrative daprès les conventions contre les doubles impositions (OACDI) 7 abrogée par la LAAF était encore en vigueur. Lart. 5, al. 2, let. c, OACDI prévoyait quune demande dassistance serait rejetée si elle était fondée sur des renseignements obtenus ou transmis au moyen dactes punissables selon le droit suisse. Le rapport du Forum mondial sur le cadre légal de lassistance administrative en matière fiscale en Suisse relève à ce sujet que, dans la mesure où il va parfois au-delà des notions de lordre public ou de la bonne foi, lart. 5, al. 2, let. c, OACDI pourrait créer un obstacle supplémentaire qui ne serait pas conforme à la norme de l'OCDE. La question de savoir si lapplication de cette disposition est conforme à la norme internationale devrait être évaluée lors de la deuxième phase de lexamen par les pairs. La teneur actuelle de lart. 7, let. c, LAAF a tenu compte de ces considérations, dans le sens qu'elle men7

RO 2010 4017

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tionne la non-entrée en matière sur une demande fondée sur des données obtenues dune manière illégale comme un cas dapplication de la violation du principe de la bonne foi.

Le rapport supplémentaire de phase 1 de la Suisse, paru en mars 2015 et validant le passage de la Suisse en phase 2, évoque lui aussi la position suisse en matière de données volées. Lors de la présentation du rapport dans le cadre de la réunion du groupe dexamen par les pairs du Forum mondial de février 2015, cette thématique a fait lobjet de discussions approfondies. La délégation suisse a défendu linterprétation de la norme et de la LAAF suivie jusquà présent en se référant au principe international de la bonne foi, mais la plupart des Etats qui sont intervenus ont marqué leur désaccord, confirmant les tensions constatées sur le plan bilatéral. Le groupe dexamen par les pairs a toutefois accepté de reporter la discussion de fond à la phase 2. Au final, le rapport supplémentaire recommande à la Suisse dappliquer lart. 7, let. c, LAAF en conformité avec la norme internationale et note quun examen de la compatibilité se fera sur la base de la pratique. Le rapport reconnaît ainsi quune demande qui viole le principe de la bonne foi peut en théorie être rejetée, mais quune telle exception ne devrait pas être restrictive au point quelle empêche léchange de renseignements selon la norme internationale. Bien que similaire à celle du rapport de phase 1 de 2011, la recommandation du rapport supplémentaire revêt une signification particulière. En effet, elle a été émise alors quil est déjà avéré que linterprétation suisse de la notion de bonne foi pose problème pour léchange de renseignements en pratique, car la Suisse a reçu de nombreuses demandes basées sur des données obtenues par des actes punissables au regard du droit suisse, ce qui nétait pas le cas en 2011.

La problématique des données volées fera l'objet de discussions animées dans le cadre du rapport de phase 2, mais également lors de la future évaluation de la Suisse sur la base des nouveaux termes de référence du Forum mondial adoptés en 2015, cette dernière étant pour l'instant prévue pour 2018.

1.2.3

Développements récents

De nombreux événements sont survenus depuis que la révision de la LAAF, qui proposait également une modification de l'art. 7, let. c, LAAF, a été mise en consultation en 2013.

Alors que la problématique du vol de données bancaires semblait perdre en actualité, la diffusion à grande échelle par les médias en février 2015 de la liste des données provenant de la banque HSBC et le jugement du TPF concernant Hervé Falciani 8 ont ravivé lattention du public et des autorités pour cette thématique. La publicité accordée à laffaire HSBC a conduit la France à partager les informations, par le 8

En novembre 2015, le TPF a rendu son jugement sur le cas des données soustraites à la banque HSBC par Hervé Falciani. Le TPF a reconnu ce dernier coupable de service de renseignements aggravé et l'a condamné à 5 ans d'emprisonnement, Le TPF n'a en revanche pas retenu les chefs d'accusation liés au viol du secret bancaire et du secret commercial pour des raisons de prescription. Le prévenu a également été acquitté du chef d'accusation de soustraction de données.

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biais de ses accords d'assistance administrative, avec un large cercle d'Etats. La liste des partenaires ayant reçu de la France les données HSBC compte désormais une trentaine de pays. Les pressions de politique intérieure pourraient renforcer l'intérêt des Etats à demander la coopération de la Suisse dans ce contexte, soit par la voie de lassistance administrative, soit, en labsence de clause déchange de renseignements conforme à la norme internationale, par la voie de lentraide judiciaire en matière pénale. Cette situation comporte le risque de développements négatifs pour la Suisse dans sa relation bilatérale avec un nombre plus large de partenaires, ce qui pourrait compromettre les progrès importants réalisés et reconnus en matière de coopération dans le domaine de l'assistance administrative. Les récentes révélations en lien avec les «Panama Papers» devraient contribuer à renforcer cette tendance.

Ces dernières années, plusieurs Etats ont clarifié la situation juridique quant à l'utilisation en matière fiscale de données obtenues illicitement. En avril 2015, la Corte Suprema di Cassazione, la Cour suprême italienne, a jugé que l'utilisation des données de la liste Falciani par l'administration fiscale italienne pour ses enquêtes était permise étant donné que cette dernière avait reçu les informations passivement par une procédure d'assistance administrative. En adoptant la loi numéro 2013­1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, la France a également clarifié la pratique en matière de données volées. L'art. 37 de ladite loi indique, ainsi que l'administration fiscale ne saurait écarter des pièces ou des informations qu'elle obtiendrait, notamment, dans le cadre de l'assistance administrative au seul motif que leur origine serait illicite. La Cour constitutionnelle, dans sa décision du 4 décembre 2013, a validé le contenu de cet article. Elle a néanmoins annulé la disposition de la loi qui visait à permettre à l'administration fiscale d'utiliser ce type de preuves comme justification pour procéder à des visites domiciliaires. Avant cela, la Cour suprême allemande avait confirmé, dès 2010, que des données obtenues de manière illicite (en l'occurrence à la suite d'un vol de données au Liechtenstein) pouvaient être
utilisées en matière de droit pénal fiscal 9. Selon la Cour suprême, l'utilisation de données volées pour fonder un soupçon initial et déclencher une enquête est envisageable pour autant qu'il n'y ait aucune atteinte grave, volontaire ou arbitraire à la procédure par laquelle les protections offertes par les droits fondamentaux seraient ignorées de manière méthodique et systématique et pour autant qu'une pesée des intérêts soit effectuée au cas par cas. Des moyens de preuve ne devraient pas être écartés d'emblée pour le simple fait qu'un délit a été commis par la personne qui se les est procurés et sont donc en principe utilisables. La Cour suprême allemande a reconnu qu'une interdiction absolue d'utiliser de tels moyens de preuve dérivant directement des droits fondamentaux ne s'appliquerait que dans les cas portant atteinte au principe fondamental de la protection de la vie privée. D'autres juridictions européennes suivent une approche comparable.

En Suisse, le Tribunal administratif fédéral (TAF) s'est prononcé sur un cas impliquant des données apparemment obtenues en violation du droit suisse. Dans son arrêt A-6843/2014 du 15 septembre 2015 qui fait l'objet d'un recours devant le Tribunal fédéral, le TAF précise qu'un Etat qui obtient des données susceptibles 9

Bundesverfassungsgericht décision de la première chambre du deuxième sénat du 9 novembre 2010 ­ 2 BvR 2101/09 ­ Rn (1­62)

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d'avoir été acquises illégalement et les utilise pour requérir l'assistance administrative ne peut pas invoquer le principe de la bonne foi envers l'Etat partenaire.

L'art. 7, let. c de la version actuelle de la LAAF ne ferait que rappeler cette règle générale du droit international qui, de l'avis du TAF, serait implicitement englobée dans les CDI conclues par la Suisse. Quelle que soit la décision du TF sur ce cas, cette jurisprudence n'aura d'effet qu'en relation avec la version actuelle de l'art. 7, let. c, LAAF. Elle ne porte pas préjudice à une modification de la loi qui préciserait la portée de l'exception.

Un autre élément à prendre en considération dans l'analyse est l'émergence de la norme internationale de lOCDE sur léchange automatique de renseignements (EAR). La Suisse a accepté cette norme en juillet 2014 et les travaux parlementaires relatifs à la création des bases légales pertinentes se sont achevés en décembre 2015.

Dès le passage à léchange automatique de renseignements dès 2017, les Etats partenaires avec lesquels la Suisse l'aura mis en oeuvre devraient à lavenir avoir moins dintérêt à recevoir des données acquises illégalement puisquils disposeront automatiquement de données bancaires. Il convient cependant de noter que lEAR ne remplacera pas léchange sur demande ni ne règlera les problèmes du passé. Tant que les données de la liste HSBC seront exploitées par les partenaires de la Suisse et que les délits fiscaux qui y sont liés ne seront pas prescrits, la Suisse fera face à de nouvelles demandes dassistance administrative sur la base des accords déjà en vigueur ou sur la base daccords qui entreront en vigueur à lavenir. En l'absence de modification de la loi, cette situation perdurera et affectera la Suisse lors du prochain cycle d'évaluation par les pairs du Forum mondial qui a débuté en 2016.

Ce contexte et les développements récents rendent le refus de coopération de la part de la Suisse pour des demandes basées sur des données obtenues par des actes punissables au regard du droit suisse difficile à justifier aujourdhui. A cela s'ajoute que le refus de coopérer avec des Etats partenaires dans leur lutte contre la fraude fiscale pourrait être perçu comme une protection accrue accordée à certaines personnes soupçonnées de fraude pour la simple raison quelles figurent sur une liste.

1.2.4

Appréciation

Sur le fond, la modification proposée de l'art. 7, let. c, LAAF suit les grandes lignes de la variante mise en consultation en 2013 dans le cadre de la révision de la LAAF.

Elle précise la portée de la bonne foi. Le principe de la bonne foi est inscrit à lart. 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités10.

Daprès cette disposition, un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. En droit international, la pratique et la jurisprudence reconnaissent par exemple que des obligations spécifiques dinformer et de coopérer liant les Etats contractants découlent du principe de la bonne foi et que ce principe renforce la confiance mutuelle de ces Etats et protège les justes attentes dun Etat contractant.

Un traité international prévoyant un échange de renseignements en matière fiscale 10

RS 0.111

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est (notamment) conclu entre deux territoires pour régler léchange de renseignements par la voie de lassistance administrative. Lorsqu'un Etat entre par un comportement actif en possession de renseignements obtenus illégalement et quil fonde sa demande dassistance exclusivement sur ces renseignements, il élude lassistance administrative convenue, ce qui peut être considéré comme une violation du principe de la bonne foi. En revanche, lorsque, dans le cadre dune procédure dassistance administrative, un Etat reçoit des renseignements initialement obtenus illégalement et fonde ensuite sa demande dassistance sur ces renseignements, il devient plus difficile de lui reprocher de violer le principe de la bonne foi tel quil est interprété en droit international. Il en va de même lorsqu'un Etat entre en possession des données par des sources publiques.

La modification de l'art. 7, let. c, LAAF ne remet pas en question le principe selon lequel le vol de données bancaires reste répréhensible et doit être puni. Si un Etat est entré en possession de données volées en dehors dune procédure dassistance administrative par un comportement actif et qu'il fonde sa demande sur ces données, lassistance administrative lui sera toujours refusée à lavenir. Par ailleurs, le 1er juillet 2015 est entrée en vigueur la loi fédérale du 12 décembre 2014 sur l'extension de la punissabilité en matière de violation du secret professionnel11.

Celle-ci assure une meilleure protection des données bancaires des clients. Cette loi, répondant à une initiative parlementaire du groupe PLR, donne la possibilité de punir plus sévèrement quactuellement les personnes qui obtiennent un avantage pécuniaire pour eux-mêmes ou pour d'autres personnes en violant le secret bancaire ou dautres secrets professionnels liés aux marchés financiers. La modification proposée représente dans ce contexte un compromis entre les nécessités internes et externes de conformité aux normes internationales. Cette modification n'affectera pas la capacité de la Suisse de refuser de coopérer avec un Etat complice dactes illégaux. Elle ne modifie pas non plus la pratique actuelle selon laquelle il peut être entré en matière lorsque, indépendamment de la présence d'un comportement actif, la demande de l'Etat requérant n'est pas uniquement basée sur des données obtenues
illégalement, mais présente des éléments indépendants fondant la requête. Des renseignements et des documents dont l'Etat requérant dispose sur la base de ses propres enquêtes constituent par exemple de tels éléments.

Pour ce qui est du calendrier, lévaluation de phase 2 de la Suisse a officiellement débuté en octobre 2015 et porte sur les demandes dassistance administratives adressées à la Suisse entre le 1er juillet 2012 et le 30 juin 2015. La modification de l'art. 7, let. c, LAAF ne permettra certes pas de corriger les refus de coopérer délivrés par le passé. Cependant, elle démontrera une claire volonté politique de la Suisse dappliquer la norme internationale conformément au standard et enverra un message fort à lattention de ses Etats partenaires. Par ailleurs, même en l'absence de résultat global négatif pour la Suisse à l'issue de l'évaluation de phase 2, les conditions de léchange de renseignements sur demande, précisées dans les nouveaux termes de référence (notamment les demandes groupées), font lobjet dun nouveau cycle dévaluation qui a débuté en 2016. La nouvelle pratique, basée sur l'art. 7, let. c, LAAF, dans sa version modifiée, améliorera la position de la Suisse en vue de cette nouvelle phase. Le calendrier actuel prévoit que l'évaluation de la 11

RO 2015 1535

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Suisse selon la nouvelle méthodologie du Forum mondial aura lieu en 2018. Finalement, la modification envisagée donne loccasion à la Suisse de régler de manière pragmatique un problème du passé qui a pris une importance disproportionnée dans les relations dassistance administrative avec ses partenaires, qui jette une ombre sur les autres progrès accomplis en matière de transparence fiscale et qui nuit à sa réputation.

1.3

Entraide judiciaire

En vertu dune décision du Conseil fédéral datant du 6 janvier 2011, la pratique suivie en matière dentraide judiciaire est alignée sur celle établie pour lassistance administrative. En matière dentraide judiciaire, lOffice fédéral de la justice précise les modalités dapplication dans une circulaire adressée aux autorités chargées de lexécution de lentraide judiciaire (ministères publics cantonaux et Ministère public de la Confédération). Daprès la circulaire en vigueur, les demandes dentraide judiciaire doivent être rejetées si la procédure pénale ou la demande dentraide se fonde délibérément et principalement sur des données obtenues illégalement en Suisse ou dans un Etat tiers. Cette circulaire sera donc adaptée conformément à la nouvelle teneur de lart. 7, let. c, LAAF une fois que la présente révision sera entrée en vigueur.

Dans ce contexte, il est cependant important de rappeler que malgré louverture proposée, toutes les autres conditions légales de lentraide doivent être réunies pour que celle-ci puisse être accordée dans un cas concret. En particulier, il ne doit pas y avoir de motif dexclusion au sens de lart. 3, al. 3, de la loi fédérale du 20 mars 1981 sur lentraide internationale en matière pénale (EIMP)12. Cet alinéa précise qu'une demande d'entraide est irrecevable lorsqu'une procédure vise un acte qui paraît tendre à diminuer des recettes fiscales, pour autant toutefois qu'il ne s'agisse pas d'une escroquerie en matière fiscale. En outre, lexposé des faits essentiels doit être suffisant, le critère de la double incrimination en matière de mesures de contrainte doit être rempli et il ne doit pas sagir dune recherche de preuves (fishing expedition). Pour ce qui a trait à plusieurs affaires actuellement pendantes fondées sur les données de la banque HSBC, cela signifie que seule une partie de ces affaires pourra faire lobjet de lentraide judiciaire (notamment si lobjet de la procédure nest pas une simple soustraction dimpôt). Une révision de lart. 3, al. 3, EIMP serait nécessaire pour changer cela, ainsi que la ratification du Protocole additionnel à la Convention européenne dentraide judiciaire en matière pénale13 et le retrait de la réserve dans le Deuxième protocole additionnel14 à la Convention européenne dextradition. Conformément à larrêté du Conseil fédéral du 20 février 2013, le projet législatif correspondant est suspendu jusquà lapprobation du message concernant le droit fiscal pénal.

12 13 14

RS 351.1 RS 0.351.12 RS 0.353.12

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Afin de réserver à lassistance administrative son caractère prioritaire, il y aura lieu de faire usage, chaque fois que cela est possible, des options offertes par lart. 20, al. 3, LAAF. En vertu de cet alinéa, les renseignements obtenus peuvent être utilisés à d'autres fins qu'à des fins fiscales lorsque la convention applicable le prévoit et que l'autorité compétente de l'Etat requis donne son consentement. Les renseignements peuvent ainsi être transmis notamment à des autorités pénales. Il faudra dès lors rendre les Etats requérants attentifs à la possibilité de faire une demande dutilisation subséquente des renseignements obtenus dans le cadre de l'assistance administrative.

1.4

Consultation

1.4.1

Résultats de la consultation

Le projet de révision de la LAAF a fait l'objet d'une consultation entre le 2 septembre et le 2 décembre 201515. Sur les 26 cantons suisses, 25 ont pris position.

24 cantons sont favorables au projet, un canton s'y oppose. Six des douze partis politiques ont exprimé leur avis. Tandis que le PBD, les Verts et le parti socialiste approuvent le projet, le PDC, le PLR et l'UDC le rejettent. Parmi les 16 organisations qui ont pris position, sept (Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances, Economiesuisse, Association suisse des banquiers, Union syndicale suisse, Union des villes suisses, Swissholdings, Alliance Sud) approuvent le projet, sept (Union suisse des arts et métiers, Centre Patronal, Fédération suisse des avocats, Groupement suisse des conseils en gestion indépendants, Association Suisse des Gérants de Fortune, Tribunal administratif fédéral, Ordre des avocats de Genève) le rejettent et, enfin, deux (Expert Suisse, Fiduciaire Suisse) l'approuvent sous certaines conditions.

Alors que les cantons se sont déclarés de manière pratiquement uniforme en faveur de la proposition, on trouve un nombre quasiment égal de partisans et d'opposants à la proposition parmi les partis politiques et les organisations. Au vu de ces résultats, le Conseil fédéral maintient la proposition, car il est de l'avis qu'elle est nécessaire pour la défense des intérêts de la Suisse (cf. ch. 1.2).

1.4.2

Nouveautés par rapport au projet mis en consultation

Le présent projet ne présente pas de différences par rapport au projet destiné à la consultation.

15

Rapport sous www.admin.ch > droit fédéral > consultations > procédures de consultation terminées > 2015 > DFF.

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Commentaire de l'art. 7, let. c, LAAF

Art. 7, let. c Pour les raisons exposées au ch. 1.2, lart. 7, let. c, LAAF doit faire l'objet d'une modification. Il pourra être entré en matière si la demande de lEtat requérant est fondée sur des renseignements obtenus par des actes punissables au regard du droit suisse, mais dont lEtat requérant est entré en possession dans le cadre dune procédure dassistance administrative. En revanche, il ne sera pas entré en matière si lEtat requérant fonde sa demande dassistance administrative sur des renseignements obtenus en dehors du cadre de lassistance administrative et par un comportement actif. Ces conditions sont cumulatives. Un comportement actif est notamment constitué par le fait que lEtat requérant a accordé un avantage à un tiers pour obtenir les renseignements ou qu'il a pris des dispositions, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers, de nature à inciter la commission d'actes punissables au regard du droit suisse pour entrer en possession des renseignements. Si lEtat requérant a acquis des renseignements par un comportement actif et accordé lassistance administrative pour «légaliser» ces renseignements en les recevant en retour par la voie de lassistance administrative afin de pouvoir par la suite fonder une demande sur ces renseignements, son comportement doit également être considéré comme contraire à la bonne foi et lentrée en matière doit être refusée en vertu de lart. 7, let. c, LAAF.

Lorsqu'un Etat ne fait que recevoir des informations sans avoir eu recours à des incitations pour cela ni offert un avantage, son comportement ne doit pas être qualifié d'actif, mais bien de passif. Un Etat se comporte également de manière passive lorsqu'il reçoit les informations par des sources accessibles au public, comme les médias. Dans ces cas-là, l'entrée en matière sur une demande d'assistance administrative est également possible.

3

Conséquences

3.1

Conséquences pour la Confédération

En fonction du nombre de demandes qui seront adressées à la Suisse sur la base de la modification de l'art. 7, let. c., LAAF, on peut sattendre à des conséquences considérables en termes de personnel et de ressources pour la Confédération. Il nest pas possible à ce stade de faire une évaluation quantitative. Plusieurs facteurs pourraient néanmoins amoindrir ces répercussions, en particulier les mesures de régularisation qui ont été prises dans plusieurs Etats partenaires, liées au passage à léchange automatique de renseignements dès 2017, ou l'échéance de délais de prescriptions nationales. Un facteur additionnel tendant à atténuer le besoin en ressources supplémentaires réside dans le fait que certains Etats partenaires ne disposent encore d'aucune clause d'échange de renseignements conforme à la norme internationale avec la Suisse. Il ne leur sera ainsi pas possible de faire des demandes basées sur des données obtenues illégalement au regard du droit suisse même après la modification de l'art. 7, let. c, LAAF.

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3.2

Conséquences pour les cantons

Le présent projet ne devrait avoir que des conséquences minimes sur les finances et létat du personnel des cantons.

3.3

Conséquences économiques

La modification de lart. 7, let. c, LAAF vise à permettre à la Suisse daccorder une assistance administrative conforme à la norme internationale, même si la demande se fonde sur des données acquises illégalement. La modification devrait être accueillie favorablement par la communauté internationale, ce qui est très important pour la place économique suisse.

4

Lien avec le programme de la législature

Le projet a été annoncé dans le message du 27 janvier 2016 sur le programme de la législature 2015 à 2019.16

5

Aspects juridiques

5.1

Constitutionnalité

L'objet se fonde sur l'art. 173, al. 2, de la Constitution17.

5.2

Compatibilité avec les obligations internationales

La modification de l'art. 7, let. c, LAAF tient compte du standard de l'OCDE et de la position des Etats partenaires au sein du Forum mondial.

16 17

FF 2016 1218 RS 101; cf aussi FF 2011 5808

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