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FEUILLE FÉDÉRALE 87 année Berne, le 13 mars 1935 Volume I e

Paraît une fois par semaine. Prix: 20 francs par an; 10 francs pour six mois, plus la taxe postale d'abonnement ou de remboursement.

Avis: 50 centimes la ligne ou son espace; doivent être adressés franco à l'imprimerie des hoirs K.-J. Wyss, société anonyme, à Berne.

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RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire pour combattre la crise économique et ses effets.

(Du 6 mars 1935.)

Monsieur le Président et Messieurs, Notre rapport du 8 janvier 1935 a fait connaître à l'Assemblée fédérale l'aboutissement d'une demande d'initiative qui tend à une revision partielle de la constitution et est appuyée de 334,699 signatures valables.

Cette demande d'initiative est ainsi conçue: « A. La constitution fédérale est complétée par l'article suivant : « 1. La Confédération prend les mesures nécessaires pour combattre la crise économique et ses conséquences.

« Ces mesures ont pour but d'assurer des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens suisses.

« 2. A cet effet, la Confédération veille: « a. à maintenir le pouvoir de consommation du peuple en combattant la baisse générale des salaires et du prix de la production agricole et artisanale; « b. à protéger les salaires et les prix de manière à assurer un revenu du travail suffisant; « c. à procurer du travail par un effort méthodique et à réglementer le placement d'une manière rationnelle; « d. à dégrever les entreprises agricoles surendettées et à alléger le service des intérêts pour permettre aux familles de paysans et de fermiers capables, de conserver leurs domaines; "e. à dégrever les entreprises artisanales tombées dans la gêne sans leur faute; «/. à garantir une assurance-chômage et une aide de crise suffisantes ; Feuille fédérale. 87e année. Vol. I.

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. « g. à utiliser le pouvoir d'achat et la puissance financière du pays, pour développer l'exportation des produits industriels et agricoles ainsi que le tourisme; « h. à réglementer le marché financier et à contrôler l'exportation des capitaux; « i. à contrôler les cartels et les trusts.

« 3. La Confédération peut faire appel aux cantons et aux organismes économiques pour l'accomplissement de ces tâches.

« 4. La Confédération peut, quand l'exécution de ces mesures l'exige, déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

« 5. Pour financer ces mesures spéciales de crise, la Confédération met à disposition les sommes nécessaires, sous forme de crédits complémentaires. Elle se procure ces fonds par l'émission d'obligations à prime ou d'emprunts et sur ses recettes courantes.

« 6. L'Assemblée fédérale édicté définitivement et sans retard, après l'adoption du présent article, les prescriptions nécessaires à son application.

« 7. A chaque session ordinaire, le Conseil fédéral soumettra à l'Assemblée fédérale un rapport sur les mesures prises.

« B. Le présent article est valable pour une période de cinq ans à partir du jour de son adoption. La durée de validité peut être prolongée d'une nouvelle période de cinq ans au plus par un arrêté de l'Assemblée fédérale. » Pour permettre.à l'Assemblée fédérale de se prononcer à bref délai sur cette importante demande d'initiative, nous avons l'honneur de vous présenter dès maintenant notre rapport à, ce sujet.

L'initiative tend à faire insérer dans la constitution un nouvel article, qui serait d'abord valable pour une période de 5 ans. Cet article obligerait la, Confédération à appliquer toute une série de mesures se rapportant à divers objets. Il faut donc examiner si l'article 121, 3e alinéa, de la constitution fédérale, est applicable en l'espèce.

A son chiffre 1, l'initiative exige de la Confédération qu'elle prenne « les mesures nécessaires pour combattre la crise économique et ses conséquences ». D'ailleurs, toute la demande d'initiative, à l'instar de la phrase qui vient d'être citée, est fondée sur l'hypothèse selon laquelle les mesures économiques prises jusqu'à maintenant seraient insuffisantes. Aussi jugeonsnous utile de donner un bref aperçu de ces mesures et indiquer les principes qui ont guidé le Conseil fédéral.

En outre,
les auteurs de l'initiative partent de conceptions bien déterminées sur le rôle de l'Etat et sur la situation économique de la Suisse.

C'est pourquoi, après-avoir exposé les mesures d'ordre économique que la

275 ' Confédération a prises au cours de ces dernières années, nous discuterons les idées dont s'inspirent les auteurs de l'initiative et nous examinerons de plus près la situation économique de la Suisse à l'heure actuelle. Puis nous aborderons les différents points énoncés dans le projet d'article constitutionnel qui est l'objet de l'initiative. Nous terminerons par des considérations générales.

Notre rapport comprend les chapitres ci-après mentionnés: · A. L'article 121, 3e alinéa, de la constitution fédérale, est-il applicable ?

autrement dit les diverses dispositions de l'initiative doivent-elles être soumises séparément au vote populaire ?

B. Bref aperçu des mesures prises jusqu'à maintenant par la Confédération dans le domaine de la politique économique et sociale.

C. L'évolution de notre économie au cours des années passées.

D. La demande d'initiative.

E. Ce que l'initiative de crise exige des finances fédérales.

F. Considérations finales.

A. L'article 121, 3e alinéa, de la constitution fédérale, est-il applicable?

autrement dit, les diverses dispositions de l'initiative doivent-elles être soumises séparément au vote populaire?

1. L'article 121 de la constitution fédérale dispose, à son 3e alinéa, que si plusieurs dispositions différentes sont présentées pour être revisées ou pour être introduites dans la constitution fédérale, chacune d'elles doit former l'objet d'une demande d'initiative distincte. Mais ni la constitution ni la loi ne prescrivent la sanction à appliquer en cas de contravention: La doctrine (Burckhardt, Kommentar, 3e éd., p. 816; Fleiner, Bundesstaatsrecht, p. 396/397 ; pour certains cas aussi von Waldkirch, Mitwirkung ·des Volkes bei der Rechtssetzung, p. 18) se prononce généralement pour l'annulation pure et simple de l'initiative, et elle peut invoquer en sa faveur le message même du Conseil fédéral à l'appui du projet de revision du IIIe chapitre de la constitution (FF 1890, III, 416/417). Mais, dans son rapport du 20 août 1920 sur l'initiative concernant la question des étrangers (FF 1920, IV, 208 s.), le Conseil fédéral s'est refusé à tirer cette conséquence, déclarant « qu'une initiative qui a pour objet plusieurs matières différentes doit être non pas déclarée non valable, mais divisée par l'Assemblée fédérale suivant les matières ». Et l'Assemblée fédérale,
en soumettant ladite initiative en deux parties à la votation populaire, a fait sienne cette opinion.

Nous n'avons donc plus à examiner aujourd'hui si l'initiative de crise doit être annulée, mais seulement s'il y a lieu de la diviser.

2. Ce point avait été discuté et réglé, pour l'initiative concernant la question des étrangers, dans le débat sur l'homologation du résultat de la

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demande. Mais en 1922 déjà, à propos de l'initiative^ concernant le prélèvement sur la fortune, notre département de justice et police se demandait, dans une consultation du 12 juillet, si l'Assemblée fédérale n'était pas qualifiée pour revenir sur la question lors de la discussion de fond (Burckhardt, Droit fédéral n° 570 II). Cela semble indiscutable. Il peut même y avoir un intérêt très grand à ce que la question soit soulevée à ce moment-là, en particulier quand le dépôt d'un contre-projet entre en ligne de compte.

Dans ces conditions, pour ne pas risquer de devoir discuter une telle question dans deux débats, il nous paraît préférable de la traiter avec le fond.

C'est la raison pour laquelle nous ne l'avons pas soulevée dans notre rapport sur le résultat de l'initiative.

3. Pour savoir si une initiative porte sur « plusieurs dispositions différentes », il faut rechercher s'il y a une connexion intime entre ces dernières et si l'initiative peut être divisée sans modification de son contenu. Ce sont les critères qui ont été appliqués à l'initiative concernant le prélèvement sur la fortune et qui ont engagé le Conseil fédéral à ne pas la diviser, bien que la disposition qui eût obligé le contribuable à livrer certains ,,titres et autres valeurs fût, de sa nature, très différente d'une mesure de politique financière telle que le prélèvement sur la fortune (Burckhardt, Droit fédéral, loc. cit.). L'Assemblée fédérale approuva tacitement cette manière de voir, et l'initiative fut soumise telle quelle au vote populaire.

4. L'application de ces critères nous a amenés, en l'espèce, au même résultat. L'initiative qui nous occupe contient, il est vrai, à son chiffre 2, neuf propositions qui, considérées pour elles-mêmes, sont différentes, mais qui doivent toutes servir à atteindre le but énoncé au chiffre 1er, savoir « d'assurer des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens suisses».

En groupant ces neuf propositions, les auteurs de l'initiative entendent dire que leur réalisation est nécessaire au but qu'ils poursuivent. Si l'on prétendait les soumettre séparément au vote populaire, ils pourraient allé-, guer non sans raison que cette procédure romprait la solidarité des intérêts sur laquelle ils comptent pour faire adopter leur projet, et surtout -- ce qui est décisif -- que le peuple
ne serait pas en mesure de se prononcer sur le programme d'ensemble qui est précisément la caractéristique de leur projet. Or, disait avec raison le département de justice et police dans la consultation précitée, il ne peut pas être question de « dispositions différentes » au sens de l'article 121 quand l'initiative n'est pas susceptible d'être divisée pour le vote populaire. Ce critère seul nous amène donc à la conclusion susénoncée. Quant à la « connexion intime » des dispositions qui sont l'objet de l'initiative, nous croyons l'avoir également établie par ce qui précède.

L'initiative de crise forme donc un tout indivisible et doit être soumise telle quelle au vote populaire.

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B. Bref aperçu des mesures prises jusqu'à maintenant par la Confédération dans le domaine de la politique économique et sociale.

Les auteurs de l'initiative prétendent que la Confédération n'a pas fait tout ce qu'il aurait fallu pour remédier et parer à la détresse économique du pays. Le nouvel article constitutionnel obligerait la Confédération à prendre « les mesures nécessaires pour, combattre la crise économique et ses effets ».

Nous allons exposer brièvement les mesures que la Confédération, a déjà prises. Préalablement, nous tenons à préciser une fois de plus que les différentes oeuvres de secours en faveur de plusieurs branches de notre économie nationale ont été organisées progressivement, avec la plus grande circonspection, non pas au hasard, mais avec méthode, contrairement à ce que prétendent certains adversaires de la politique économique du Conseil fédéral. Il faut bien s'en rendre compte: la situation actuelle est le résultat d'une évolution; tandis que celle-ci s'accomplissait, des dangers successifs menacèrent notre économie nationale, de nouveaux problèmes surgirent, qu'il fallut résoudre. C'est la raison pour laquelle il était absolument impossible, surtout dans un pays comme le nôtre, dont l'économie dépend aussi étroitement de l'étranger, d'établir par anticipation des projets bien arrêtés. On ne pouvait pas prévoir comment évoluerait la situation et sous quelles formes se manifesteraient les difficultés économiques.

Les mesures de crise que la Confédération a édictées en matière économique peuvent être rangées dans les catégories suivantes: 1. Mesures de 'politique sociale.

Chronologiquement, c'est l'assurance-chômage qui se place en tête des mesures de crise et de secours édictées par la Confédération. En promulgant la loi fédérale du 17 octobre 1924 portant allocation de subventions en faveur de l'assurance-chômage, la Confédération a contribué à développer de multiples façons et à répandre presque partout l'assurance contre les risques du chômage. Le service de placement en est un complément important. Il serait oiseux de s'appesantir ici sur l'assurance-chômage, le développement du service de placement, les travaux de secours et toutes les autres mesures de politique sociale prises par la Confédération ; en effet, notre message du 9 octobre 1934 sur la création de
possibilités de travail et la lutte contre la crise donne à ce sujet tous renseignements utiles, et dans le chapitre D nous examinerons une série de questions spéciales.

Que l'on veuille bien se reporter au message et audit chapitre. La rédaction du message était déjà commencée lorsque fut lancée la demande d'initiative de crise. Nous avons pu le constater, ce message, qui donnait une fois de plus un aperçu systématique des importantes et multiples

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oeuvres de secours instituées par la Confédération, a dissipé dans la population mal renseignée bien des erreurs et bien des préventions sur l'attitude des pouvoirs publics fédéraux en face de la crise.

2. Mesures de politique commerciale.

a. D'importantes mesures économiques motivées par la crise ont été prises dans le domaine de notre politique commerciale envers l'étranger.

C'est en l'année 1931 que commença la période critique pour la. Suisse.

Nos exportations fléchirent, l'affluence des touristes diminua, l'étranger inonda notre pays de marchandises à bon marché, menaçant de détruire notre production agricole et industrielle. Nos intérêts en tant que créanciers commencèrent à souffrir. Il fallut alors intervenir, défendre notre vie économique et notre existence. C'est ainsi que fut entreprise, vers la fin de l'année 1931, une oeuvre de défense économique de grande envergure qui dure encore aujourd'hui. Nous insistons sur le fait que les mesures adoptées, si elles visent en premier lieu à soutenir les entreprises, contribuent indirectement à procurer du travail; elles ont pour but essentiel de sauvegarder les intérêts des ouvriers et des employés, c'est-à-dire de conserver des possibilités de travail. Ces mesures de politique commerciale se fondent sur l'arrêté fédéral du 23 décembre 1931 concernant la limitation des importations, lequel fut remplacé par celui du 14 octobre 1933 concernant les mesures de défense économique contre l'étranger. Ce nouvel acte législatif a élargi sensiblement les attributions octroyées au Conseil fédéral pour sauvegarder les intérêts économiques du pays. L'application a eu pour effet de transformer notre politique commerciale. De nombreux arrêtés du Conseil fédéral ont soumis à la limitation des importations une grande partie des marchandises énumérées dans notre tarif douanier et ont introduit le système du contingentement, le trafic de compensation et le clearing.

Alors qu'en temps normal le trafic des marchandises se faisait librement, il est subordonné aujourd'hui à des autorisations. Autrefois,, la clause de la nation la plus favorisée dominait notre politique commerciale; depuis trois ans, cette politique repose en partie sur le principe de la réciprocité.

Non seulement nous avons limité l'importation en vue de préserver d'une concurrence ruineuse les
branches de notre activité économique qui travaillent pour le marché intérieur, mais nous avons tiré parti de notre pouvoir de consommation en vue de favoriser l'exportation, de faciliter le tourisme et de sauvegarder nos intérêts en tant que créanciers. A cet égard aussi, nous vous prions de vous reporter à nos messages et aux nombreux rapports que nous avons adressés à l'Assemblée fédérale sur les mesures prises.

b. Les arrêtés fédéraux du 18 mars 1932 et du 20 juin 1934 sur les mesures à prendre pour combattre le chômage par des travaux productifs et l'arrêté fédéral du 28 mars 1934 sur l'encouragement des exportations

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par la garantie contre les risques de perte ont pour but de soulager dans une certaine mesure notre industrie d'exportation, qui souffre particulièrement de la crise.

Les deux premiers arrêtés permettent au Conseil fédéral d'accorder à des entreprises travaillant pour l'exportation, lorsque certaines conditions sont remplies, les sommes que la Confédération devrait dépenser pour secourir les chômeurs, si ces entreprises ne pouvaient accepter telle ou telle commande de l'étranger. Ces mesures facilitent dès lors l'acceptation de commandes et procurent de l'occupation au personnel des entreprises intéressées.

Quant au troisième arrêté, il donne à la Confédération le pouvoir de prendre à sa charge une partie de la perte que l'exportateur pourrait éprouver en exécutant la commande qui lui a été faite à destination de l'étranger. L'étroite relation qui existe entre le montant des subventions et celui des secours que la Confédération devrait verser si le personnel des entreprises dont il s'agit n'était pas occupé, montre bien que l'arrêté fédéral tend en premier lieu à maintenir des occasions de travail. De ce fait les auteurs de l'initiative n'ont pas suffisamment tenu compte.

3. Mesures prises en faveur de certaines branches de l'industrie, du commerce et de l'artisanat.

Dans cette catégorie entrent les actes législatifs ci-après mentionnés: a. L'industrie horlogère, qui luttait pour son existence dans les conditions les plus difficiles, obtint l'aide de la Confédération d'abord par un arrêté fédéral du 26 septembre 1931. Aux termes de cet arrêté, la Confédération participe à une société anonyme appelée à grouper et à sauvegarder l'ensemble des intérêts de l'industrie horlogère. L'arrêté fédéral soutient l'initiative privée et une oeuvre dont l'application est laissée aux milieux intéressés. Quant à l'arrêté fédéral du 23 décembre 1932 accordant une aide temporaire aux petits industriels en horlogerie, il a plutôt un caractère social. Il a pour but d'atténuer les répercussions de la crise et de l'organisation industrielle des branches horlogères, organisation qui a eu certains effets dommageables pour de nombreuses entreprises petites et moyennes.

b. Bien avant la crise qui débuta en 1931, la Confédération avait déjà pris des mesures en faveur de l'hôtellerie. L'arrêté fédéral du 30 septembre 1932
concernant l'aide de la Confédération aux entreprises hôtelières victimes de la crise a permis à la société fiduciaire suisse de l'hôtellerie de reprendre son activité en vue de l'assainissement d'entreprises hôtelières.

L'arrêté fédéral du 27 mars 1934 portant extension des mesures juridiques applicables à l'industrie hôtelière a créé la base juridique nécessaire pour rendre efficace l'oeuvre de secours.

c. L'industrie suisse de la broderie ne s'est en somme plus jamais rétablie depuis la guerre. Il y a plus de dix ans qu'elle marque une régression

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constante. Toutefois, l'arrêté fédéral du 23 décembre 1932 accordant une aide aux brodeurs-façonniers suisses sur machine à navette et l'arrêté fédéral du 27 mars 1934 portant extension des mesures juridiques applicables à la broderie ont contribué à atténuer pour la branche en général et pour certains intéressés les conséquences économiques de cette régression.

d. La crise économique a eu des conséquences funestes pour les entreprises petites et moyennes de l'artisanat et notamment pour le commerce de détail. Le fléchissement des commandes, des prix et du chiffre d'affaires leur a causé un grave préjudice. La liberté du commerce et de l'industrie garantie par la constitution ne permet pas à la Confédération de prendre dans ce domaine des mesures de grande portée. Néanmoins, elle est intervenue jusqu'à un certain point. L'arrêté fédéral du 14 octobre 1933 et les .ordonnances d'exécution y relatives subordonnent à une autorisation du canton l'ouverture et l'agrandissement de grands magasins, de maisons d'assortiments, de magasins à prix uniques et de maisons à succursales multiples dans le commerce de détail des produits alimentaires, de la chaussure et des textiles. Cette autorisation ne peut être accordée que si certaines conditions sont remplies. De même, l'arrêté fédéral du 28 septembre 1934 tend à protéger le métier de cordonnier contre la concurrence de grandes entreprises dotées de capitaux considérables.

4. Les mesures prises en vue de protéger l'agriculture.

Ces mesures ont une importance toute particulière. Elles remontent à bien des années ; depuis la guerre, elles se sont succédé pour ainsi dire sans interruption. En complément des dispositions appliquées à la frontière en vue de sauvegarder notre production agricole, l'Assemblée fédérale a promulgué des arrêtés d'une grande portée qui ont pour but de venir en aide aux producteurs de lait et d'atténuer la crise agricole. Nous vous adressons, en même temps que le présent rapport, un message exposant ce qui a été fait jusqu'à maintenant pour soulager l'agriculture et un projet d'arrêté fédéral qui ouvre de nouveaux crédits en faveur de cette branche si importante de notre activité économique.

Le projet d'arrêté tend principalement à soutenir les prix du lait et du bétail. Les arrêtés fédéraux du 30 septembre 1932 et du 28 mars 1934 relatifs à une aide financière en faveur des agriculteurs dans la gêne, et ceux du 13 avril 1933 et du 28 septembre 1934 instituant des mesures juridiques temporaires en faveur des agriculteurs dans la gêne, permettent de soutenir, par l'intermédiaire des caisses de secours aux paysans obérés, la partie de notre population agricole que la crise a le plus durement frappée. Nous vous prions de vous reporter aux messages que nous vous avons adressés à ce sujet.

Les mesures que nous venons de décrire répondaient aux exigences de la situation. Nous les avons exposées brièvement. En examinant de

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plus près l'ensemble des mesures que la Confédération a prises soit seule, soit avec le concours des cantons, des communes et des associations privées, pour venir en aide à différentes branches de notre activité économique, on constatera qu'il s'agit d'une oeuvre de secours très ramifiée, qui impose une besogne considérable aux administrations. Il a fallu fortement développer ces dernières. Fréquemment, les prestations des pouvoirs publics ne sont pas estimées à leur juste valeur, et souvent le parlement et les autorités sont saisis de propositions qui sont déjà réalisées ou, après mûr examen du pour et du contre, sont inacceptables. Mais il est certain que les pouvoirs publics ont fait tout leur possible, et les finances publiques ont déjà été mises à contribution dans une mesure ne se justifiant en temps de crise que si l'on a de très sérieuses raisons d'attendre dans un avenir assez rapproché une sensible amélioration de la situation économique.

Nous savions parfaitement et dès le début que ces mesures ne donneraient pas le pouvoir de modifier du tout au tout notre économie, en quelque sorte de la diriger et d'instaurer un état de choses satisfaisant qui ressemblât à l'ancien ou qui fût nouveau. Nous n'ignorions pas qu'il s'agissait en partie de mesures dont l'application ne pouvait être que temporaire et qui, tôt ou tard, devaient être abolies progressivement ou adaptées à une situation nouvelle. Nous avons toujours dit qu'il en était ainsi et nous n'avons jamais caché notre conviction à ce sujet. A titre d'exemple, nous rappelons les déclarations que le chef du département fédéral de l'économie publique fit au Conseil national, le 9 mars 1932. Il a dit entre autres: « Voici comment nous voyons les choses. La situation dans laquelle nous nous trouvons et la crise que nous subissons conduisent forcément à certaines conséquences qu'aucun moyen ne nous permet d'éliminer. Il importe peu que nous voulions ou non abaisser les salaires et les prix. Ce n'est pas nous qui commandons, les événements imposent leur volonté et nous n'en sommes que les exécuteurs. » (BS Conseil national 1932, p. 45).

C. L'évolution de notre économie au cours des années passées.

Pour juger de l'initiative de crise, il est d'une importance capitale de se faire une idée très claire des conditions qui ont présidé au développement
économique de la Suisse et de la situation actuelle de cette économie.

Pleinement conscients de la responsabilité que nous assumons envers le peuple suisse en présentant cet exposé, nous considérons l'éclaircissement de ce point comme un élément essentiel de la discussion. Il est indispensable, pour cela, d'embrasser une période d'une certaine durée. Un examen attentif permet de conclure que les forces immanentes du développement économique auraient probablement conduit à la situation actuelle, même si la guerre n'en avait pas hâté soudainement le formidable avènement.

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Mais la présente situation ne se serait sans doute réalisée que dans une ou deux générations, et l'on aurait eu le loisir de s'accommoder du nouvel état de choses, qui, en fait, s'est produit avec une menaçante rapidité et dont, aujourd'hui, il n'y a qu'à reconnaître l'impitoyable réalité.

La Suisse comptait, il y a 100 ans, 2,200,000 habitants en chiffre rond; vers le milieu de 1935, on pourra évaluer à 4,2 millions d'âmes le chiffre de la population domiciliée en Suisse, d'où il ressort que la densité de cette population a, au cours d'un siècle, approximativement doublé. En 1850, on comptait 58 habitants au kilomètre carré; actuellement, il y en a plus de 100. Alors qu'en 1850, 6,4 pour cent seulement de la population habitait les villes (de plus de 10,000 âmes), en 1930, il y en avait 30,4 pour cent.

Les conditions d'existence de cette population se sont, en outre, considérablement améliorées durant la même période, et cela sous tous les rapports.

De plus, le cube de l'épargne s'est accru dans une énorme proportion, ainsi que l'établissent les chiffres ci-après: .

,

Nombre des banques ayant été l'objet de l'enquête

Dépôts d'épargne en millions de francs

1881 -- 514H 1897 -- 985Ì1) 1906 317 1367 1910 321 1691 1915 294 1841 1920 314 2731 1925 301 3410 1930 313 4723 D'une façon générale, la situation moyenne de notre population s'est améliorée, durant le même laps de temps, dans une mesure qu'on n'aurait pas pu concevoir il y a 100 ans. Un progrès d'une nature originale s'est produit au cours de ce siècle, sous la forme d'une participation beaucoup plus large de la classe laborieuse au revenu national accru.

Sur quelles bases s'est opérée cette évolution, soit ce gigantesque accroissement du bien-être populaire, réalisé simultanément avec l'augmentation de la population ? Ce phénomène trouve en partie son explication dans l'exploitation plus intense des ressources économiques nationales, grâce aux progrès réalisés par l'agriculture et à l'utilisation des forces hydrauliques. Mais la part de beaucoup la plus importante de l'accroissement formidable du revenu national et de la fortune se réalisa par voie d'exploitation des domaines économiques extérieurs, -- par l'exportation, par le développement du tourisme et de l'industrie hôtelière, sans oublier le placement de capitaux à l'extérieur et la participation de la Suisse aux entreprises internationales d'assurances et de transports.

(*) D'après Geering et Hotz, Wirtschaftskunde; les autres chiffres d'après l'ouvrage « Das Schweiz. Bankwesen im Jahre 1933 i), page 46.

283

Une étude publiée en 1925 par la Zeitschrift für Geopolitik montre dans quelle mesure nous devons recourir à l'exploitation des domaines économiques extérieurs pour combler les lacunes de notre économie interne.

Ce travail établit que, sur trente pays qui furent l'objet de l'enquête, la Suisse possède l'excédent de population le plus considérable, comparativement aux sources productives naturelles du pays. Voici d'ailleurs les chiffres y relatifs: Densité effective de la population en pour-cent de la densité qui correspondrait aux sources naturelles d'alimentation à l'intérieur des pays considérés^): Suisse 231 Grèce 84 Belgique 221 Indes britanniques 82 Pays-Bas 183 Hongrie 82 Grande-Bretagne et Irlande . 179 France 81 Finlande 174 Espagne 79 Autriche 165 Roumanie 75 Allemagne 140 Yougoslavie 74 Norvège 138 Bulgarie 63 Japon 131 Suède 60 .Italie .113 Russie 50 Tchécoslovaquie 109 Etats-Unis d'Amérique . . . 23 Portugal 95 Indes néerlandaises 20 Danemark .

95 Argentine . . . ; '7 Chine 92 Canada 6.

Pologne 87 Brésil 4 Notre climat et les conditions de notre sol nous forçaient déjà, avec une population moins dense, d'importer les denrées alimentaires et les matières premières nécessaires à nos besoins. Les objets de ces importations nous sont, pour la plus grande partie, indispensables, et si nous sommes en mesure de les payer, c'est en premier lieu grâce à l'exportation de produits alimentaires et de produits manufacturés chez nous à l'usage de l'étranger.

Dans ce domaine, la situation, si on la considère du seul point de vue du développement du commerce extérieur, s'est aggravée dans une mesure qui donne sérieusement à réfléchir. Nous nous référons au tableau ciaprès, dont il ressort que la situation de notre commerce extérieur s'est développée,, avec le temps, d'une façon manifestement défavorable, de telle sorte que, pour compenser le déficit de notre balance commerciale, nous devons compter toujours plus sur l'effort du tourisme et sur le revenu des capitaux placés au dehors.

(*) La densité de population qui correspondrait aux sources productives naturelles des pays considérés est représentée dans ce tableau par 100. C'est le chiffre de la population qui peut tirer de quoi se nourrir des sources naturelles du pays même

284 Balance commerciale dans les années 1886 à 1934.

Année

Importations Exportations en millions en millions de francs de francs

Différence en millions de francs

Différence par tête de population

Exportations en % des Importations

667 -- 132 -- 45 84 799 74 954 -- 251 -- 85 703 -- 84 -- 275 75 1111 836 -- 147 69 1745 1196 -- 549 -- 141 72 1376 -- 544 1920 -- 10 -- 3 99 1680 1670 -- 249 77 3277 -- 966 4243 -- 124 78 2243 1760 -- 483 -- 594 -- 152 77 2633 2039 -- 147 76 2415 1836 -- 579 -- 137 2564 -- 541 79 2023 -- 586 -- 147 78 2719 2133 -- 157 77 2098 -- 633 2731 1762 -- 802 -- 198 2564 69 -- 222 -- 902 60 2251 1349 -- 962 45 -- 235 1763 801 '1933H 1515 (1595) 754 (853) -- 761 (742) -- 184 (180) 50 (54) 1934(!) 1357 (1434) 742 (844) -- 615 (590) -- 148 (142) 55 (59) (*) Dans les chiffres entre parenthèses est également compris le trafic de perfectionnement et de réparations.

Indépendamment des conditions extraordinaires des années de guerre et immédiatement consécutives (la guerre provoqua un fort recul des excédents d'importation; en 1916 même, la balance commerciale fut active; la période d'après-guerre, du fait des extraordinaires majorations des prix, amena une boursouflure des chiffres absolus), le tableau manifeste un accroissement extrêmement sensible du passif de la balance commerciale durant les 50 dernières années. L'aggravation de l'état de notre balance commerciale apparaît particulièrement dans le rapport entre les exportations et les importations. Alors que, dans les périodes « normales», l'exportation pouvait compenser de 70 à 80 pour cent de notre importation, ce rapport est tombé, à partir de 1930, au-dessous de 60 pour cent; en 1932, il est même allé"jusqu'à 45 pour cent(1), et si, durant les deux der(') Pour apprécier justement le changement qui s'est produit dans la proportion entre la valeur des importations et celle des exportations, il faut considérer que les prix des marchandises importées ont accusé un fléchissement plus fort que les prix des marchandises exportées; dès lors, si la proportion entre les quantités était restée la même, il aurait dû en résulter non pas une aggravation, mais une amélioration de la proportion entre la valeur des importations et celle des exportations.

1886 1890 1900 1910 1913 1915 1920 1923 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932

285

nières années, il est remonté quelque peu, c'est bien par suite des restrictions d'importations, et non parce que nos exportations se seraient ranimées.

Le caractère défavorable de la situation se manifeste plus clairement encore si l'on décompose le déficit de notre balance commerciale par catégories de produits: Excédents des importations (--) ou excédents des exportations catégories de produits.

Année

Produits alimentaires, boissons, tabacs et fourrages en mil- Index 1892 lions de à 1895 = fr.

100

par

Matières premières, y Produits compris les marchanTfttal 1 u lai fabriqués dises servant à la fabrication en mil- Index 1892 en mil- Index 1892 en mil- Index 1892 lions de à 1895 = lions de à 1895 = lions de à 1895^ fr.

100

fr.

100

fr.

100

100 126 177

--212

100 129

--909

-- 251 -- 355 227 -- 520 254 -- 854 487 --1472

+ 221 + 283 207 + 397 340 + 1241 586 + 1416

554 632

--275 --543 -- 82 --966

--534 »VIF; t/TttJ --521 --525

289 295 282 284

+ 719 + 694 + 637 + 390

321 310 284 174

--483 --586 --633 --801

227 275 297 376

54 ...(i) ...(i) 26

--902 --962 --742 --590

423 452 348 277

1892/95 1900 1913 1917 1920

--185

1923 1928 1929 1930

--203 --420 ^70

100 110

100 141

-- -- -- --

668 735 749 666

266 293 298 265

257 -- 1931 --476 1932 --411 222 -- 1933(2) --329 178 -- 1934(2) 292 158 -- (*) Excédents d'importation.

(2) A partir de 1933, le trafic

547 432 387 357

218 + 120 172 -- 118 154 -- 26 142 + 59

255 38 454

de réparation et de perfectionnement est compris.

Alors qu'en 1930 et 1931, les excédents d'importation de produits alimentaires et de fourrages s'élevaient encore à 2% fois le chiffre des excédents pour les années 1892 à 1895, l'excédent d'exportation des produits fabriqués atteignait encore en 1930 une fois et trois quarts le chiffre relatif aux années 1892 à 1895, en 1931 la moitié et, dans les années 1932 et 1933, il faisait même place à un excédent des importations. Ces dernières années, les excédents d'importation de produits alimentaires et de fourrages, de matières premières et de marchandises servant à la fabrication s'élevaient à environ une fois et demie le chiffre des excédents qui existaient il y a 40 ans. L'excédent d'exportation des produits fabriqués,

286

y compris le trafic de réparation et de perfectionnement, atteignait encore le quart des excédents d'il y a 40 ans.

Si l'on considère les causes de cette évolution défavorable, on arrive à la constatation d'un formidable revirement, qui se manifeste dans la structure économique internationale, à notre détriment et au préjudice de toute l'Europe.

Au début du puissant développement industriel qui s'est produit dans le cours du siècle dernier, l'exportation suisse comprenait essentiellement des denrées alimentaires et des articles de consommation achevés, de sorte que jusque dans la première décennie du présent siècle, l'exportation d'objets de consommation était de beaucoup la plus considérable. Ce qui est le cas pour la Suisse l'est aussi de façon générale pour l'ensemble des pays industriels de l'Europe centrale, qui, en transformant en produits manufacturés prêts à la consommation des matières premières en partie étrangères, en partie indigènes, et en exportant ces produits dans l'Europe agricole et dans le reste du monde, parvinrent à un bien-être croissant.

Peu à peu, cependant, les Etats acheteurs, instruits en bonne partie par des émigrants européens, des écoles européennes, et aidés par des capitaux européens, en vinrent à procéder eux-mêmes à la fabrication d'articles de consommation qu'ils s'étaient procurés jusqu'alors en Europe, notamment en Suisse. Il en résulta sur notre continent et, dans une mesure prépondérante, chez nous également, une forte demande d'auxiliaires de la production, surtout de machines. Cet état de choses continua tout d'abord à favoriser le développement industriel de l'Europe et, conséquemment, de la Suisse.

Le tableau ci-après concernant la valeur d'exportation d'importants groupes de marchandises, donne un certain aperçu de cette évolution.

Nous représentons par 100 la moyenne des années 1892 à 1895.

Année

1892/95 1900 1905 1910 1913 1915 1920 1923 1925 1926 1927 1928

Denrées aliment., bois- Soieries sons, tabacs

100 130 162 204 254 326 270 181 243 242 270 276

100 114 127 138 139 179 370 193 203 171 179 178

Coton

100 131 146 196 204 248 560 254 273 213 234 213

Autres indust.

textiles

Horlogerie

Machines

100 114

100 140

143 179 177 164 428 246 317 348 408 390

153 172 214 159 381 253 353 302 319 351

100 200 247 337 464 489 1219 631 779 693 763 1028

Industrie mé- Industrie tallurgique chimique Total

100 153

179 226 296 327 624 417 520 469 507 609

100 144 198 258 334 452 1530 582 636 674 776 798

287

On n'hésitait pas à voir cette évolution d'un oeil favorable, parce qu'on pensait que l'industrialisation des pays agraires de l'Europe et des Etats d'outre-mer ne présentait pas de danger, du fait qu'avec le temps, les populations de ces pays amélioreraient leur niveau d'existence, comme cela avait été le cas en Europe, de telle sorte qu'une augmentation pour ainsi dire énorme de la demande de machines et d'articles de consommation continuerait à se produire sans arrêt en Europe. Malheureusement, les choses se développèrent dans un sens diamétralement différent, ainsi que le montrent de façon impressionnante les chiffres ci-après, qui complètent les tableaux précédents (valeur des exportations: 1892/95 = 100): Année

1929 1930 1931 1932 1933

Denrées aliment, boissons, tabacs

Soieries

Coton

266

158

228 168

129 101 44 35

187 142 108 58 50

. 105 89

Autres Indust.

textiles

Horlogerie

Ind.

Ind.

Machines métallurg. chimique Total

391

359 273

1072 1022 712

328 279 156 105

168 101 110

424 389

635 532

363 232 233

866 768 745 560 610

On avait pu constater avant la guerre déjà que la vente de certains produits était entravée par des barrières douanières et par d'autres difficultés d'importation. Mais le déchaînement de la guerre mondiale donna dans tous les Etats une impulsion énorme à l'industrialisation déjà amorcée. Du fait que les pays européens, en partie parce qu'ils étaient à court de matières premières, en partie parce que les industries .existantes avaient été adaptées aux besoins de guerre, n'étaient plus en état de livrer ou ne l'étaient plus que dans une mesure amoindrie, les Etats qui avaient été jusqu'alors acheteurs furent obligés, pour faire face à leurs besoins, de soutenir ces branches industrielles et de poursuivre le développement des installations déjà existantes. En l'espace de peu d'années, il se produisit donc, à l'ombre des événements de la guerre, un développement inouï de la capacité de production internationale, spécialement dans les pays d'outre-mer. Cette tendance fut encore favorisée par la pénurie de main-d'oeuvre durant les hostilités et.par le renchérissement de la maind'oeuvre après la guerre, phénomène auquel il faut attribuer en partie la puissante vague de rationalisation qui se manifesta partout.

La diminution de l'importance de l'Europe dans l'économie universelle se manifeste clairement par la réduction de sa quote-part à la totalité du commerce extérieur mondial., Cette réduction ressort des chiffres suivants :

288

Commerce extérieur de l'Europe en pour-cent du commerce extérieur universel.

importations Exportations Commeroertérleur 1913 1924 1933

69,3 pour cent 62,4 pour cent 66,0 pour cent 61,8 » » 51,0 » » 56,5 » » 60,2 » » 50,7 » » 55,6 » »

Ainsi, au cours de quelques années, une véritable révolution s'est produite dans l'économie internationale. L'Europe a perdu son ancienne prépondérance, qui équivalait à un monopole. Le centre industriel européen, dont la puissance de production s'est fortement développée sans trouver les débouchés correspondants, est aujourd'hui en face de redoutables concurrents: les centres colossalement accrus des Etats-Unis et du Japon en Extrême-Orient. Les anciens pays agraires de l'Europe eux-mêmes se sont aussi fortement industrialisés, et rares sont les Etats où ce développement ne s'est pas encore produit dans une large mesure.

Cela ne signifie rien d'autre qu'un déplacement de l'équilibre économique du monde au détriment de l'Europe, phénomène qui a pour conséquence d'astreindre tous les pays à procéder à une réorganisation de leur économie, fondée plus qu'auparavant sur des facteurs purement nationaux. Mais les populations des pays atteints par ce coup du sort n'ont pas diminué; elles ont, au contraire, augmenté, et des tensions formidables résultent de la disproportion existant entre des possibilités de vente réduites et un besoin de débouchés accru. L'évolution décrite a non seulement fermé à l'Europe de grands marchés étrangers; les marchés du continent euxmêmes sont dangereusement menacés par les importations provenant de nouveaux centres industriels (par exemple du Japon). -- Ajoutons à tous ces facteurs les conséquences directes de la guerre : l'appauvrissement de peuples entiers, les pertes énormes subies par de nombreux milieux des classes moyennes, dont la puissance d'achat était autrefois considérable, la baisse du niveau d'existence de la classe ouvrière, tombé, dans de nombreux pays, à un degré très inférieur à celui de l'avant-guerre.

Les peuples le plus durement atteints par cet état de choses sont ceux qui ont le plus besoin, pour vivre, d'écouler leur production. Le coup est plus particulièrement sensible pour ceux de ces pays dont les exportations consistent non pas en denrées alimentaires nécessaires à la vie et en matières premières, mais, dans une forte proportion, en objets de luxe. Malheureusement, notre pays se trouve remplir tout particulièrement ces deux conditions.

La Suisse a plus que tout autre pays besoin d'exporter. Aucun Etat européen n'accuse, par tête de population,
une exportation de produits fabriqués aussi élevée. L'exportation de produits manufacturés revêt, en toute première ligne, une grande importance du. point de vue de notre politique commerciale, surtout depuis que les progrès de la fabrication à

289 l'étranger du fromage, du chocolat et du lait condensé ont fait subir un recul considérable à l'exporta/tion de nos produits lactés les plus importants.

Cette exportation de produits fabriqués s'est chiffrée, par an et par tête de population, ainsi: Exportation de produits fabriqués en 1892 à fr. 164.-- en 1900 à » 195.-- 1913 266.-- 1917 à » 484.-- 1920 744.-- 1923 à 376.--

par tête de population.

à fr. 437.-1928 1929 à » 425.-- a 1930 358.-- à » 267.-- 1931 1932 153.-- 1933 167.--(i) 1934 167.-(i) Une exportation florissante durant des dizaines d'années a été le fondement principal du développement progressif de toute notre économie.

L'exportation assurait une existence suffisante à une population toujours croissante. L'artisanat, l'industrie des denrées alimentaires et l'agriculture travaillaient en bonne partie pour les branches directement intéressées à l'exportation. La population agricole, elle, qui était demeurée staibionnaire durant 50 ans, est, depuis peu, plutôt en recul. La totalité de l'excédent naturel de la population pouvait trouver emploi dans l'industrie d'exportation et les industries indigènes travaillant directement ou indirectement pour elle. Et comme, en même temps (vivifiés également par l'étranger), le'commerce et le trafic s'étaient développés rapidement, on dut même, pour répondre au besoin de main-d'oeuvre, faire appel temporairement à des ouvriers étrangers.

Mouvement de la population, dans la période de 1870 à 1930.

Année

1870/1880 1 1880/1888 1888/1900 1900/1910 ! 1910/1920 1920/1930.

Excédent des naissances 19,994 21,639 26,964 35,861 24,455 24.512

Gain à l'immigration Augmentation ou perte (-- ) totale à l'émigration -- 2,299 -- 10,893 6,177 7 924 -- 11,762 -- 5.904

17,695 10,746 33,141 43,785 12,703 18.608

en %

6,1 3,, 10,7

12 .

4.,

L'amélioration des conditions d'existence et l'augmentation considérable de la population urbaine, concentrée surtout dans les villes et les localités où l'on travaillait pour l'exportation, permirent aussi au com(*) Y compris le trafic de perfectionnement et de réparations.

Feuille fédérale. 87e année. Vol. I.

23

290

mercé indigene de se développer dans une mesure dépassant largement l'augmentation du chiffre delà population. Voici un état de la main-d'oeuvre utilisée : Année

1905 1929 Augmentation en % .

Commerce Population Industrie et Commerce de maren 1000 artisanat chandises 3515,8 4021,5 + 14,4

630 966 220 823 103,912 802,108 319,194 167,394 +27;1 +44,5 +61a

Trafic

84,566 83,025 -1=8

Du moment où la prospérité de l'industrie-d'exportation est interrompue pour une période prolongée, et où elle accuse même un visible recul, il tombe sous le sens de tout homme clairvoyant que le fondement sur lequel reposent tous les milieux indirectement intéressés à l'exportation, soit l'artisanat, le commerce, etc., se trouve également ébranlé dans une forte mesure. Il en va de même du revenu courant, atteint par le recul des commandes et des affaires, qui sont alimentées indirectement par le travail suisse destiné aux marchés étrangers. En même temps, les capitaux engagés dans de nombreuses entreprises ont perdu toute valeur ou ont vu, du moins, celle-ci fortement réduite. Dans le cas où ces capitaux ont pu être amortis grâce à une prévoyante gestion, les conditions sont encore relativement supportables. Mais comme, particulièrement au cours des quinze dernières années, de nombreuses entreprises de toute nature ont pris de l'extension à l'aide de capitaux étrangers, des pertes sensibles se sont produites, qui se répercutent d'un domaine dans un autre et exercent sur toute l'économie leur action déprimante.

On doit malheureusement constater que toute une série des industries les plus importantes sont ébranlées dans leurs assises. La broderie n'exhibe plus que les débris lamentables de sa prospérité d'antan. Dans l'espace de 15 ans, 35,000 ouvriers ou ouvrières ont abandonné cette branche de production. Le centre de l'industrie de la broderie, la ville de Saint-Gall, accuse, pour la période de 1910 à 1930, un recul de 16 pour cent de sa population; de même, la population des cantons adonnés à l'industrie de la broderie (Saint-Gall et Appenzell) a sensiblement diminué. Les industries de la soie et du coton ont rétrogradé dans une mesure telle que les milieux industriels intéressés, qui pouvaient considérer le marché intérieur comme quantité négligeable, ont sollicité des mesures de protection, afin de pouvoir conserver tout au moins ce marché, les débouchés extérieurs s'étant restreints dans une effrayante mesure. L'industrie du chocolat et l'industrie du lait condensé ont aussi perdu presque tous leurs débouchés à l'étranger. L'industrie horlogère a subi des pertes gigantesques, au point que la contrée où elle s'exerçait est tombée dans une grande misère. Les

291 chances de voir cette industrie retrouver son ancienne prospérité sont malheureusement fort minimes. L'industrie des machines se trouve dans une situation très critique. Le besoin de main-d'oeuvre diminue rapidement, et une série de localités industrielles sont durement frappées. Le nombre des ouvriers de fabrique est, en Suisse, moindre qu'avant la guerre, et l'indice suisse de l'exportation -- indice qui repose non seulement sur les prix, mais encore sur les quantités -- est tombé, pour les industries les plus importantes, au-dessous du niveau de 1921.

Indice, pondéré d'après la valeur des marchandises d'exportation les plus importantes (1).

, (Moyenne de 1921 à 1931 = 100.)

Année

Textiles

Produits métallurgiques

Denrées alimentaires

1921 1922 1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934

88 96 97 113 113 101 118 111 102 87 76 45 39 38

64 64 81 100 112 106 112 133 135 114 80 50 59 64

59

58

81 78 88 102 113 131 120 122 113 94 59 56 47

76 87 98 88 96 110 121 143 111 112 89 98 102

Produits Industrie chimiques chapeliers

63 87 89 86 95 105 113 98 126 130 109 99 83* 65

Chaussures

Exportations secondaires

65

60 102

97 62 84 87 ' 99 131 134 114 118 108 53 61 67

90

111 98 . 96 113 110 121 112 89 58 60 77

Total

71,1 84,4 87,8 104,4 106,8 102,5 116,2 119,0 119,6 104,3 84,2 53,3 54,0 57,7

Ces phénomènes sont en premier lieu, nous l'avons déjà relevé, la conséquence inéluctable d'une nouvelle répartition des marchés mondiaux, due elle-même à une nationalisation plus marquée de l'économie publique de tous les Etats. Il faut ajouter que là où persiste la demande de produits suisses, de nombreuses commandes se perdent, les frais de production en Suisse étant trop élevés comparativement à la capacité dé paiement de l'étranger et aux frais de production des Etats qui sont en concurrence avec nous. On ne doit pas perdre de vue, au surplus, qu'à l'heure actuelle, la concurrence étrangère est aggravée du fait que dans d'importants pays, des primes à l'exportation ou des prestations indirectes de l'Etat assurent (1) Non compris le trafic de perfectionnement et de réparations.

292

aux industries indigènes une situation de faveur qui a des conséquences désastreuses pour notre exportation: à la longue, toutefois, ces pays ne pourront pas maintenir les primes à l'exportation directes et indirectes, à moins de priver l'économie, par la fiscalité, de ressources financières si importantes que ces charges ne manqueront pas de provoquer un nouveau renchérissement.

La décadence de nos anciennes et principales industries d'exportation se manifeste de façon très caractéristique dans le mouvement de l'exportation de quelques catégories particulièrement importantes de produits manufacturés, que nous mettons ci-après en parallèle avec l'importation correspondante :

Année

Industrie de Industrie du coton la soie Articles Total Articles Total fabriqués des fabriqués des Impor- expor- Impor- exportation tations tation tations Millions fr.

1892/95

13

1900 1910 1913 1920 1925

20 24

1928 1929 1930

Millions fr.

Produits alimentaires et fourrages Impor- Exportation tation

Industrie métallurgique Importation totale

Millions fr.

Exportation Total | Machines Horlogerie MIlHmi a fr.

269

81

56

135

25

.86

52 97 93 236 117

170 307 256 557 266 624 729 1127 355 783

105 164 204 218 196

90 137 166 403 257

207 305 399 843 703

50 84 115 302 193

120 147 183 326 302

113 91 78

277 244 184

222 214 183

328 370 360

822 857 719

255 266 254

300 307 234

200

33

228 275 28 . 279 80 740 61 407

76 79 90

355 317 258

81 49 36

204 90 71

130

767 736 709

.*

67 140 630 154 326 490 177 75 496 45 84 258 313 105 66 400 72 219 315 38 96 (*) Pour permettre la comparaison, on n'a pas englobé dans les chiffres de le trafic de perfectionnement et de réparations.

1931 1932 1933H

144 86 94

1933

Si l'on fixe à 100 les chiffres d'importation et d'exportation des années 1892 à 1895, on obtient pour les dernières années les chiffres-indices ci-après, qui ne laissent pas d'être frappants:

293

Année

1892/95 1931 1932 1933l1)

Industrie de la soie

Industrie du coton

Produits alimentaires et fourrages

Industrie métallurgique

Produits fabriqués Importés

Total de l'exportation

Produits fabriqués Importés

Total de l'exportation

Importation

Exportation

100 623 377 278

100 102 45 35

100 206

100

100 234

100

100

100

190

363

184 149

105 89

577 457 388

138 117

108 58 50

Importation

Exportation

232 233

(') Comme point de comparaison; le trafic de perfectionnement et de réparations n'est pas compris.

Bien que l'importation des groupes de marchandises précitées soit restée, quant à la valeur, même dans les dernières années de la crise, encore très supérieure aux importations effectuées il y a 40 ans, l'exportation, spécialement dans l'industrie textile, mais aussi dans les branches des denrées alimentaires et des fourrages, est déjà tombée fortement au-dessous de ce niveau; dans l'industrie métallurgique aussi elle reste sensiblement au-dessous du niveau de l'importation.

Il en résulte qu'en ce qui concerne l'exportation, notre situation est extrêmement critique et que l'un des fondements les plus importants et, pour certaines contrées, capital, de notre économie, est ébranlée. Les chiffres que nous avons reproduits prouvent que' l'état de nos exportations a complètement changé. On ne saurait s'y tromper, et il ne faudrait pas se laisser induire en erreur par de légères reprises passagères dans quelques branches travaillant pour l'exportation ou par une diminution du déficit de notre balance commerciale. C'est ainsi qu'en rédigeant le présent rapport, nous apprenions qu'un des pays voisins du nôtre avait décrété de nouvelles et fortes restrictions à l'importation. Ces restrictions rendront complètement illusoires les légères augmentations constatées dans l'exportation au cours de ces derniers mois, à moins que l'on ne parvienne, par voie conventionnelle, à obtenir une atténuation des mesures prises. Actuellement, nous devons toujours nous attendre à l'avènement brusque d'une telle situation. Il faudra de longues années de patience et de sacrifice pour rétablir nos exportations, si même ce rétablissement est possible.

Cette situation s'aggrave encore du fait que souvent les rendements des exportations encore possibles "sont minimes en raison de la concurrence ; maintes exportations ne peuvent même se faire qu'à perte, uniquement pour maintenir les entreprises en exploitation ou pour ne pas rompre des relations avec des clients étrangers.

294

Nous n'obtenons malheureusement plus, ni dans l'apport de l'industrie hôtelière, ni dans l'exportation des capitaux, la compensation nécessaire au déchet de l'exportation.

: Depuis le début de la guerre, le tourisme n'est pas parvenu à se dégager de l'état de crise. La guerre et l'inflation qui ont suivi ont décimé dans une forte mesure la classe moyenne des pays étrangers, qui était importante et disposait de ressources financières qui en faisaient une clientèle solvable.

La diminution du courant .des étrangers a influé très défavorablement sur notre industrie touristique. Nos hôtes du dehors ont réduit la durée de leurs séjours chez nous. Nos prix élevés comparativement à ceux de l'étranger, les contraignent à l'économie. On constate que nos visiteurs ont déserté les établissements coûteux pour les établissements à meilleur marché.

Simultanément, notre hôtellerie s'est vue contrainte d'engager de nouveaux capitaux dans des travaux d'amélioration, sans que se soit produit l'accroissement de visiteurs escomptés. L'ensemble des capitaux placés dans l'hôtellerie suisse a été évalué en -1929 à 2 milliards de francs en chiffres ronds, contre 1,14 milliard en 1912. Un grand nombre d'hôtels sont dans le marasme, de sorte que les excédents actifs qui provenaient autrefois de l'industrie hôtelière et qui amélioraient le bilan des paiements, sont aujourd'hui très réduits.

Capitaux engagés dans l'hôtellerie

Année 1880 1894 1912 1929

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

Hôtes descendus,

Nuitées,

par 1000

par 1000

_ 5,481

_ 9,507 19,401 22,947

(Evaluations de la société suisse des

hôteliers.)

5,487 5,986 6,736 9,843

fr. par lit » » » » » » » » »

2,228 3,577

Durée moyenne du séjour

_ 4.27 5,42

4.

*>19

Notre message sur l'oeuvre de secours en faveur de l'hôtellerie, adressé aux chambres en même temps que le présent rapport, donne des détails sur le développement du tourisme et de l'hôtellerie au cours des dernières années.

Les revenus des capitaux placés à l'extérieur, qui, dans les périodes favorables, couvraient une partie importante, sinon la totalité du déficit de la balance commerciale, ont subi gravement le contre-coup de la situation internationale. Des sommes considérables sont « gelées ». Les établissements financiers travaillant dans la branche- de l'exportation des capitaux ont subi des pertes énormes, de sorte que, dans cette direction également, on ne saurait tabler sur un excédent ' extérieur 'de notre revenu national, propre à compenser le déchet enregistré dans le rendement de nos exportations.

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II n'est guère possible d'évaluer, à la lumière d'une statistique, le recul intervenu dans la masse du capital suisse; cependant l'arrêt ou même le recul de la constitution de dépôts d'épargne ou autres dépôts dans les banques cantonales et les grands établissements bancaires constituent un symptôme.

' Le tableau ci-après montre que dans les seules grandes banques les retraits de fonds ont dépassé, au cours des deux dernières années, 200 millions de francs. L'augmentation des dépôts dans les banques cantonales n'atteint pas cette somme. En outre, le montant des obligations de caisse des deux catégories de banques a notablement diminué.

Obligations de caisse et bons de caisse

Montant en millions de francs

Date

Décembre 1932 .

Décembre 1933 .

Mars 1934 . . .

Juin 1934 . . .

Septembre 1934.

Décembre 1934 .

Dépôts d'épargne et autres dépôts

.

.

.

.

.

.

Banques cantonales

Grandes banques

2677 2627 2628 2630 2638 2612

1575 1349 1283 1239 1195

Banques cantonales 2567 2618 2698 2691 2693 2687

Grandes banques 825 677 644 619 603

Le tourisme et les services économiques pour l'étranger (transit, opérations internationales d'assurances, etc.), ainsi que le rendement des capitaux suisses placés dans des entreprises ou sur des titres étrangers, constituent normalement les apports nécessaires à la compensation du déficit de notre balance commerciale. On peut même admettre, en tenant compte de la notable réduction de ce déficit dans les deux dernières années, que les revenus tirés des sources énumérées ci-dessus sont encore en mesure d'équilibrer la balance des paiements (balance des rendements).

Mais si, antérieurement, les relations économiques internationales nous procuraient, en plus de la couverture du déficit de la balance commerciale, un excédent qui formait l'essentiel des capitaux destinés à l'exportation, rien ne permet plus de compter sur un si beau résultat. Ainsi, la source est en train de se tarir, sur le rendement complémentaire de laquelle reposait une grande partie le bien-être de notre pays.

Alors que les branches de notre économie publique en relation directe avec l'économie étrangère accusent un fort recul et que le chômage révèle, à fin janvier 1935, un chiffre-record, dépassant même celui de 1922, on constate que notre économie interne se trouve dans une situation relativement favorable. N'oublions pas qu'elle doit cette faveur aux mesures de nationalisation accentuée auxquelles nous avons été contraints de

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recourir, au moyen de notre politique commerciale et d'autres mesures extraordinaires. Cependant, le fait que l'écoulement de nos produits sur le marché indigène est mieux assuré qu'autrefois ne compensera jamais entièrement les pertes que nous avons subies sur le terrain de l'exportation agricole et industrielle. La situation encore supportable du marcké intérieur est redevable, en outre, à une activité intense dans la construction, activité ayant un caractère marqué de spéculation, qui a déjà eu pour conséquence, dans certaines villes, de multiplier à l'excès le nombre des nouveaux logements, sans que se réalisent les conditions d'un accroissement de la population urbaine, soit une situation favorable des industries d'exportation. Certains symptômes indiquent déjà un ralentissement de l'activité dans le bâtiment. D'une façon générale, les influences défavorables dues au marasme durable de l'exportation se feront sentir toujours plus et dans des cercles toujours plus étendus de notre économie interne.

Le nombre des chômeurs, que nous avons déjà cité, constitue un des aspects de cet état de choses.

Le fléchissement considérable du rendement net a frappé ces dernières années non seulement les branches économiques qui travaillent directement ou indirectement pour l'étranger, mais l'agriculture, qui dépend aujourd'hui du marché intérieur. Dès lors, ce n'est pas l'agriculture qui pourra vivifier pour l'instant les autres branches de la production nationale. Les calculs établis par le secrétariat de l'union des paysans permettent de mesurer le fléchissement des rendements nets, quand bien même les rendements bruts ont augmenté. Les relevés dont il s'agit indiquent les chiffres suivants :

Années

1906 à 1913 1914 à 1919 1928 à 1930 1932 1933

Revenu de l'agriculture par ha

Rendement net par ha

313 -- 680 -- 387. -- 128.-- 206.--

188. -- 510. -- 228.-- 2 105.--

Intérêt du capital actif 0 Q 0

o

Notre situation économique actuelle est donc extrêmement sérieuse et le deviendra plus encore. Il serait imprudent de considérer les présentes conditions comme un trouble fonctionnel passager. « Crise et chômage sont devenus un problème mondial et ont le caractère d'un phénomène durable. » Nous considérons comme absolument exacte cette formule du rapport Rothpletz-Grimm; la situation est ainsi clairement définie, dans toute sa portée.

297

D. La demande d'initiative.

. Le marasme économique persistant a porté le trouble dans la population suisse. Comme l'intervention des pouvoirs publics ne pouvait évidemment pas supprimer toutes les conséquences de la crise, on en est venu à se dire, dans divers milieux, que seule une transformation fondamentale de notre régime économique serait de nature à améliorer la situation.

C'est en vue d'amener cette transformation que fut lancée l'initiative de crise; elle tend à englober aussi dans son champ d'action non seulement les intérêts des salariés, mais aussi ceux de l'agriculture et de l'artisanat.

Nous allons discuter cette initiative.

/. Le caractère, général de l'initiative.

1. Encore que beaucoup de ses partisans ne s'en rendent pas compte ou ne le désirent même pas, l'initiative de crise, si elle était adoptée, conduirait en réalité à une socialisation de notre vie économique. Cela.ressort du principe général posé au chiffre 1 de l'initiative et de certaines prescriptions qui suivent l'énoncé de ce principe.

Aux termes du chiffre 1 de la demande d'initiative, les mesures à prendre par la Confédération pour combattre la crise économique et ses conséquences ont pour but d'assurer des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens suisses. Notre politique économique et sociale s'est toujours inspirée du principe selon lequel il appartient en premier lieu à chacun de se subvenir par ses propres moyens. Et nous avons toujours pensé que ce principe avait l'approbation de la majorité du peuple suisse. L'Etat ne doit intervenir à titre subsidiaire que pour soutenir l'effort individuel là où il se heurte à des difficultés insurmontables. A ce propos, signalons l'assistance publique, la protection ouvrière, diverses branches de l'assurance sociale et les oeuvres de secours en faveur des groupements économiques dans la gêne. A notre avis, l'homme est responsable de son sort.

Seule cette responsabilité le stimule et soutient son énergie. Le progrès et l'ascension d'un peuple sont fonctions de la valeur personnelle des citoyens, dont il n'est pas permis de paralyser l'énergie ni la libre initiative.

C'est cette énergie et cette libre initiative qui ont procuré à la Suisse le bien-être dont elle a été gratifiée jusqu'à maintenant. Par ailleurs, nous ne méconnaissons pas que des circonstances
peuvent se produire, dans lesquelles il y a danger à laisser la libre initiative s'exercer sans entrave aucune. Aussi avons-nous été obligés, en cette période de dépression économique, de fixer certaines limites à cette libre initiative et nous l'avons fait en nous fondant sur un droit de nécessité. Mais les mesures exceptionnelles que nous avons prises à cet égard laissent intact le principe. L'Etat doit intervenir lorsqu'un danger menace le bien public.

L'initiative vise à tout autre chose. Elle demande que l'Etat assure à chacun des conditions d'existence suffisantes. L'intervention des pouvoirs

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publics se substituerait donc à l'effort individuel et, partant, affaiblirait celui-ci et amoindrirait le sens de la responsabilité personnelle. Dès lors, la demande d'initiative a un caractère nettement socialiste. Elle veut que les pouvoirs publics soient les dispensateurs du bien-être général, alors que, selon nous, ce bien-être doit être le résultat des efforts de chaque citoyen, de la famille, des groupements sociaux et professionnels, l'Etat ne devant intervenir que comme ordonnateur et, au besoin, accorder son aide. Lors du vote sur la demande d'initiative, le peuple suisse sera donc appelé à se prononcer sur une question fondamentale de la plus haute importance, et c'est pourquoi le Conseil fédéral, sans opposer un contreprojet à la demande d'initiative, en recommande nettement et résolument le rejet.

Pour mieux saisir encore le sens et la portée de l'initiative, il faut la confronter avec le « Elan de Travail » qu'élabora à la même époque la fédération suisse du personnel des services publics. Depuis lors, le parti socialiste suisse a adopté ce « Plan de Travail », qu'il faut considérer comme une espèce de programme gouvernemental. L'initiative de crise forme la base sur laquelle serait réalisé le «Plan de Travail» (1).

(') Pour faire mieux comprendre les vues des auteurs de l'initiative, nous reproduisons ci-après quelques-uns des principaux passages d'ordre économique figurant dans le « Plan de Travail » : « Le but de ce plan est une réforme économique et sociale de la Suisse, dont l'objectif immédiat est d'assurer des moyens d'existence suffisants au peuple suisse. Tout en sauvegardant, par principe, les intérêts des consommateurs suisses, l'exécution de ce plan assurera un salaire équitable et des conditions de travail sans cesse améliorées, aux ouvriers et aux 'employés; procurera du travail aux chômeurs; libérera les paysans du surendettement et les aidera à se créer de nouvelles conditions d'existence, meilleures et plus stables; assurera un revenu du travail convenable à la classe moyenne travaillant pour son propre compte; créera, en conséquence, les conditions essentielles du développement constant de la prospérité des milieux laborieux. » Le développement méthodique des forces économiques du pays, en particulier l'augmentation de notre exportation, l'extension de l'industrie
travaillant pour le marché intérieur, le désendettement de l'agriculture ainsi que la protection de l'épargne exigent la nationalisation des grandes banques et des sociétés d'assurance, et l'organisation du crédit en service public La suppression du chômage comme condition de tout progrès nouveau et durable pour les masses laborieuses exige la nationalisation de toutes les entreprises ayant un caractère de monopole, ainsi qu'une politique industrielle poursuivie en vue de l'intérêt général. Cette politique doit coordonner et développer la production dans son ensemble, notamment encourager l'exportation des produits industriels et la fabrication, pour autant qu'elle est rationnelle, d'articles que la Suisse est actuellement dans l'obligation d'importer Afin de rendre possible cette politique industrielle dirigée, les industries suisses subiront la réorganisation suivante: les industries qui ont un caractère prononcé de monopole (par exemple celles des matériaux de construction), celles qui, aujourd'hui déjà, sont en partie organisées en service public (par exemple la production de l'énergie: gaz, électricité) ou qui encore ont une importance spéciale

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Ce plan est conforme dans ses grandes lignes à des idées socialistes soutenues à l'étranger. Il a du reste été discuté entre des Suisses et des étrangers. A ce propos, nous rappelons la conférence qui eut lieu à l'abbaye de Pontigny (France), du 14 au 16 septembre 1934, conférence qui fut convoquée par le Dr Oprecht, député au Conseil national, et à laquelle participèrent des représentants de la France, de la Belgique, de la GrandeBretagne, de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Tchécopour la sécurité de l'Etat (fabrication des armes), seront nationalisées « Une action de désendettement de grande envergure permettra au paysan de conserver les biens (meubles et immeubles) qui lui permettent de subvenir à son existence. La fixation des prix, des possibilités de vente accrues et la réduction des frais de production par le perfectionnement des méthodes de travail, notamment le développement des institutions coopératives, doivent lui procurer un revenu équitable de son travail Le développement méthodique de la puissance d'achat, la fixation des prix, la réduction des frais, sauveront de la ruine l'artisan et le détaillant Aux fins de créer des conditions d'habitation saines pour tous et de développer la construction de cités-jardins, d'établir un rapport normal entre le loyer et le revenu d' la population travailleuse, tout en élevant le standard d'habitation, le cadastre de la propriété à bâtir sera modifié selon les nécessités de la collectivité; de cette manière, la construction d'habitations pourra être développée rationnellement.

En même temps, la densité accusée par les terrains bâtis sera réglementée.

Le marché des loyers sera soustrait à la spéculation. Les bénéfices injustifiés réalisés sur la propriété foncière feront retour à la collectivité. Ces mesures permettront en même temps d'élever durablement le degré d'occupation dans l'industrie du bâtiment Les transports suisses dans leur ensemble seront organisés méthodiquement. Les chemins de fer privés et les entreprises de transports jouant un rôle important dans l'économie nationale seront nationalisés Les attributions de la direction des transports sont: d'assurer la coordination de la route et du rail; de contribuer, par une réforme appropriée des tarifs, au développement de l'agriculture, de l'industrie, du commerce et du
tourisme. L'assainissement des chemins de fer fédéraux et des chemins de fer nationalisés est la condition première d'une telle politique tarifaire Aux fins de favoriser le tourisme, une partie des hôtels seront nationalisés et transformés en stations de vacances En vue d'assurer les conditions d'existence des ouvriers, employés et fonctionnaires et de mettre fin à la disproportion entre les possibilités de la production et de la vente, il est nécessaire de s'opposer à toute baisse de salaire. Les salaires doivent évoluer méthodiquement en vue de l'adaptation du pouvoir d'achat à l'augmentation du rendement du travail; la durée du travail doit être proportionnellement, réduite.

La législation sur la protection du travail doit être étendue aux ouvriers et employés occupés dans le commerce, l'artisanat, l'industrie à domicile et l'industrie hôtelière, domaines dans lesquels, jusqu'à aujourd'hui, la législation en matière de travail est insuffisante. La liberté d'association doit être garantie à tous les salariés et le droit régissant les contrats collectifs étendu Les conventions de la Conférence internationale du travail qui n'ont pas encore été approuvées par la Suisse seront ratifiées Les mesures de politique financière tendront à réaliser une répartition équitable des charges publiques, à établir un équilibre rationnel entre les finances des communes, de» cantons et de la Confédération, à atténuer les écarts trop marqués en ce qui concerne le revenu et la fortune et à encourager méthodiquement la productivité de l'économie suisse. »

300

Slovaquie. Ce programme tend donc à la réalisation d'une idéologie conçue sur un plan international.

2. L'adoption de l'initiative aurait pour effet d'introduire dans la constitution un nouvel article qui imposerait à la Confédération l'obligation d'assurer par les moyens prescrits dans l'article lui-même des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens suisses. Le nouvel article for.merait la base d'un vaste programme économique pour la réalisation duquel des prescriptions formelles seraient imposées à la Confédération.

Nous devons le reconnaître, la base constitutionnelle des diverses mesures que la Confédération a prises jusqu'ici -- quand bien même elles se meuvent dans des limites infiniment plus restreintes que celles du programme énoncé dans l'initiative et répondent à la conception que nous nous faisons du rôle de l'Etat -- n'est pas satisfaisante à tous égards.

A son dernier alinéa, l'article 29 de la constitution fédérale autorise la Confédération à prendre, dans des circonstances extraordinaires, des mesures qui s'écartent du principe général énoncé dans le même article.

Les mesures de politique économique peuvent se fonder sur la disposition prémentionnée. Mais déjà pour mettre ces mesures en application et à plus forte raison pour réaliser et réglementer les oeuvres de secours en faveur de diverses branches de l'activité économique, les autorités fédérales n'ont pu que se fonder sur un droit de nécessité qu'elles ont invoqué durant la guerre, la première crise d'après-guerre et la période extraordinaire dans laquelle nous vivons. Les autorités fédérales ont édicté dans le domaine économique et financier toute une série de prescriptions qui, si elles ne sont pas conformes à la lettre, répondent à l'esprit de la constitution; c'est ainsi qu'au fond, elles ne s'en tiennent plus complètement au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ; dans la forme, elles sont obligées de recourir à des arrêtés munis de la clause d'urgence pour amener des solutions qui, en réalité, ne seraient admissibles que si elles faisaient l'objet d'une loi ou même d'une revision constitutionnelle.

C'est par ses arrêtés munis de la clause d'urgence que l'Assemblée fédérale a déterminé, suivant les circonstances et selon les nécessités, la direction de notre politique économique. Les auteurs
de l'initiative voudraient que désormais cette politique fût conduite et développée selon des principes nouveaux. Pour y parvenir, les auteurs de l'initiative entendent éliminer les obstacles d'ordre juridique qui s'opposent à une telle solution.

Il est donc parfaitement compréhensible et même désirable à maints égards que l'on veuille introduire dans la constitution fédérale un article qui mette fin à toutes les controverses auxquelles ont donné lieu les actes législatifs édictés dans le domaine économique. Mais l'idée de cristalliser dans la constitution les principes directeurs de la politique économique soulève de graves objections; nous verrons qu'elles sont fondées.

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3. En analysant la demande d'initiative, il convient d'examiner aussi de très près ses conséquences politiques.

En premier lieu, nous constatons que, d'après le chiffre 6 de l'initiative, le peuple, une fois adopté le nouvel article constitutionnel, n'aurait plus rien à dire sur les modalités d'application de cette « nouvelle politique, économique ». En effet, le chiffre 6 de l'initiative dispose que l'Assemblée fédérale édicté, « sans retard et définitivement, les prescriptions nécessaires à l'application du nouvel article ». La constitution assujettirait ainsi le peuple suisse à la dictature économique du parlement. Le corps électoral y consentirait-il ? On peut en douter, vu l'attitude que le peuple suisse a prise jusqu'à maintenant à l'égard des divers arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence.

Le parlement pourrait fixer les salaires et les prix, désendetter qui il* voudrait et comme bon lui semblerait, instituer des monopoles d'importation et d'exportation, régler le marché des capitaux (ce qui ne serait pas possible sans lever le secret des banques), procurer les fonds nécessaires en endettant la Confédération et en les prélevant sur ses « recettes courantes »j autrement dit introduire de nouveaux impôts et de nouvelles contributions, sans que le peuple ni les cantons aient leur mot à dire. La Confédération « peut » faire appel aux cantons, si elle le veut, mais elle n'y est pas tenue. Le parlement aurait donc pour tâche de diriger toute notre vie économique dans des voies socialistes; le peuple et les cantons ne seraient consultés en rien.

Vraisemblablement pour prévenir toute agitation, les auteurs de l'initiative ont inséré dans l'article constitutionnel une disposition aux termes de laquelle celui-ci ne serait valable que pour une période de 5 ans à partir du jour de son adoption. Il s'agirait donc d'un article transitoire. L'Assemblée fédérale pourrait toutefois prolonger sa durée de validité pour une nouvelle période de 5 ans.

' Tout d'abord, il est choquant et inadmissible que la durée de validité d'un article constitutionnel, pour l'adoption duquel la majorité des citoyens et des cantons est nécessaire, puisse être prolongée par un simple arrêté du parlement. Il va sans dire que si l'article constitutionnel était voté, tous les moyens de pression seraient mis en oeuvre pour
en faire prolonger la durée d'application. On ne manquerait pas de dire que cette prolongation répond à la volonté du peuple. Nous devons d'ores et déjà admettre que le nouvel article constitutionnel resterait en vigueur pendant 10 ans, période suffisamment longue pour intégrer toute notre vie économique dans ce nouveau système de socialisation. En réalité, il s'agirait d'une révision définitive de la constitution, et personne ne se laissera leurrer par la disposition qui fixe à 5 ou 10 ans la durée d'application de l'article constitutionnel. L'introduction du nouveau régime se ferait progressivement; elle serait en quelque sorte dosée. Quiconque réfléchit ne se méprendra pas sur la haute importance du verdict que le peuple suisse est appelé à rendre.

302 En outre, ceux qui ne ferment pas les yeux à la réalité comprendront que l'on ne peut pas introduire au petit bonheur un régime économique socialiste pour l'abolir quelques années plus tard. Les exigences et les conceptions humaines ne se laissent pas transformer aussi rapidement.

H faut donc bien s'en rendre compte, la question à résoudre est de savoir si nous entendons modifier du tout au tout les assises de notre vie commune dans l'Etat, les rapports du citoyen envers l'Etat et des citoyens entre eux. Nous devons savoir où l'on voudrait nous conduire et dans quelles voies l'on cherche à nous engager.

4. L'initiative poursuit un but extrêmement vague et utopiste. Elle se borne à dire d'une manière toute générale que les mesures à prendre ,,doivent « assurer des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens ».

Or, le fait est notoire, toutes les controverses au sujet de la répartition du revenu national ont pour objet la question de savoir ce qu'il faut entendre par « conditions d'existence suffisantes ». Cette notion ne se laisse pas définir d'après un étalon déterminé. Elle est fonction des circonstances et de l'histoire; elle est tellement relative que personne n'a encore pu fixer le minimum nécessaire à l'existence physiologique ou sociale.

Aussi le but social visé par l'initiative est-il obscur. Elle laisse à l'application de l'article constitutionnel le soin de déterminer le minimum nécessaire à l'existence. Mais, comme il n'y a aucun critère objectif pour fixer ce minimum, on serait obligé de se laisser guider par le sentiment. On peut dès lors s'imaginer aisément combien serait fragile une politique fondée sur de tels principes et dont dépendrait le sort du pays entier.

II. Conceptions économiques erronées.

1. Les nombreuses mesures de politique économique et sociale dont nous donnons un aperçu au chapitre B, en renvoyant aux messages détaillés, prouvent, croyons-nous, que nous ne sommes nullement résignés à abandonner sans défense notre économie à la crise.

De même qu'au cours de la guerre et durant la première crise d'aprèsguerre, nous avons fait ces dernières années tout ce qui était en notre pouvoir pour venir en aide aux divers groupes professionnels, en particulier à ceux qui sont occupés dans les branches de notre production. Là où des mesures de politique
économique étaient impuissantes, nous avons institué l'aide dont nous avons exposé l'établissement et le plan dans notre message du 9 octobre 1934 sur la création de possibilités de travail. On ne.

peut nier non plus que ces diverses mesures aient eu d'appréciables résultats et que ce soit grâce à elles, en particulier, que la situation de la Suisse, comparée aux conditions dans lesquelles se trouvent d'autres pays, est aujourd'hui encore relativement favorable. Mais, d'autre part, nous n'avons .jamais cessé d'affirmer que l'intervention de l'Etat dans le domaine écono-

303

mique devait être limitée,, aussi bien en ce qui concerne son étendue que sa durée.

En fait, de telles mesures de politique économique et sociale ne sont possibles que si l'économie dans sa généralité et l'Etat sont en mesure de faire les sacrifices voulus, soit que l'économie les supporte directement, soit que l'Etat fournisse les fonds nécessaires et se récupère ensuite de ses prestations par le produit des impôts. Il en résulte que si certaines catégories sociales doivent bénéficier d'une aide, cette aide doit nécessairement trouver sa contre-partie dans les charges que telles autres classes de la population seront capables de supporter. Plus les oeuvres de secours sont restreintes dans leur étendue et leur portée, moins lourdes sont les charges qu'elles imposent, et il est d'autant plus aisé de trouver dans la population les éléments encore capables de les supporter. Mais le maintien des interventions de l'Etat dans le domaine économique devient de plus en plus problématique, à mesure qu'elles s'étendent et s'intensifient.

Or, on ne saurait contester que, depuis le début de la nouvelle période d'intervention de l'Etat en matière économique, soit depuis la fin de l'année 1931, le cercle des groupes professionnels et des catégories sociales qui ont besoin d'une aide et la sollicitent s'élargit sans cesse. Et en même temps s'amplifie l'intensité des besoins à secourir.

En se prolongeant, ces mesures de politique économique deviennent de plus en plus difficiles à appliquer. Non seulement les sacrifices matériels deviennent de plus en plus lourds pour l'Etat et pour les catégories sociales mises à contribution, mais l'expérience a encore montré que toutes ces mesures perdent leur efficacité, si elles ne sont pas suivies et complétées par d'autres mesures, qui ne vont pas sans multiplier les difficultés d'organisation et d'ordre technique.

Nous savions parfaitement bien tout cela, car nous avions fait une expérience fort instructive durant la guerre et la première crise d'après-guerre.

La conclusion de la paix et le rétablissement de conditions économiques plus normales nous avaient épargné le mécompte de l'inefficacité de certaines mesures, inefficacité qui eût été l'inévitable rançon d'une durée prolongée; il en fut de même pour les mesures que nous prîmes» durant les années 1919 à 1923.
C'est la raison pour laquelle, en inaugurant la nouvelle période d'intervention économique, nous avons relevé qu'il ne fallait pas se leurrer d'illusions sur les résultats effectifs de cette action, laquelle devait être limitée dans sa durée.

Il est superflu de dire combien nous sommes conscients du devoir de porter aide partout où cela est possible. Mais, à la longue, une économie réduite dans ses ressources et travaillant à per te-ne saurait être maintenue par l'Etat, et aucun régime, quel que soit le désir qu'il en ait, ne peut opérer ce prodige que l'économie produise au delà de ce qu'elle reçoit.

304

L'Etat peut accorder son aide à des particuliers ou à l'ensemble d'une catégorie sociale, en tant qu'il dispose lui-même des ressources nécessaires ou que l'économie dans sa généralité est en mesure d'en assurer l'apport.

La crainte que notre pays et notre économie en arrivent à manquer de la force nécessaire pour supporter toutes les charges que lui imposent les mesures prises actuellement par l'Etat nous a seule engagés à affirmer qu'il était indispensable d'amener une adaptation aux conditions dans lesquelles se trouve l'étranger. Cette adaptation se réalisera, d'ailleurs, par la force même des choses, et aucune puissance au monde ne pourra l'empêcher. Loin de nous la pensée de désavouer les méthodes pratiquées jusqu'à maintenant et d'y renoncer d'un jour à l'autre, mais notre devoir doit tout d'abord consister à procéder à une adaptation dans les limites de ces mesures et nous habituer à l'idée que les circonstances contraindront notre pays, lui aussi, à procéder à un aménagement dans le sens restrictif.

Or, au moment même où s'affirment impérieusement et s'imposent ces inéluctables réalités, l'initiative de crise est lancée, qui veut conférer à l'intervention de l'Etat un caractère définitif et retendre encore dans une formidable mesure, quant à son champ d'action et quant à son intensité. Nous ne voulons pas mettre en doute les bonnes intentions des signataires de l'initiative, mais nous sommes persuadés qu'ils se sont engagés dans la mauvaise voie, que leur tentative échouera et que les milieux auxquels l'initiative populaire devait venir en aide seraient les tout premiers à en pâtir, si elle était adoptée.

Que nous ne soyons pas en mesure de déterminer nous-mêmes les destins de notre économie, personne ne le regrette plus que le Conseil fédéral.

Si les moyens préconisés par les auteurs de l'initiative nous avaient paru propres à épargner à notre peuple de nouveaux et durs sacrifices, nous aurions été les tout premiers à accueillir ces idées avec joie; nous aurions même proposé nous-mêmes de renforcer la politique de soutien suivie jusqu'ici et de la développer encore. C'est avec un profond sentiment d'amertume que nous considérons les larges fissures et les tensions qui, provoquées par le marasme économique, menacent notre union, à une époque beaucoup plus critique que celle de la
guerre. Mais, pleinement conscients de notre responsabilité, nous regardons les choses telles qu'elles sont et faisons part sans réticences du résultat de notre examen.

2. Le fait que les industries travaillant pour le marché intérieur se trouvent dans une situation relativement favorable, alors que les branches de notre activité économique en relations directes avec l'étranger sont dans des conditions beaucoup moins avantageuses, a suscité, avec l'aggravation des difficultés économiques, la théorie qui prétend, en vue de compenser le fléchissement des revenus provenant des relations économiques internationales, fortifier artificiellement le pouvoir d'achat à l'intérieur.

Des considérations de cette nature sont concrétisées dans la présente

305 initiative de crise, en un programme de politique économique destinée à constituer la base d'une ère nouvelle de prospérité. Les auteurs de l'initiative ne perdent pas de vue, il est vrai, que notre économie ne saurait se passer du tourisme étranger et de l'exportation, mais ils prétendent pouvoir mettre le pouvoir d'achat de là population suisse au service. de l'exportation, par la voie du trafic de compensation. Il y aura lieu d'examiner ultérieurement dans quelle mesure cela est possible et si les conditions de nature économique et technique sont remplies. Il suffit ici d'examiner de façon générale si le pouvoir d'achat de la population suisse, soit le niveau actuel des salaires et des prix, peut être garanti par des mesures d'Etat, compte tenu des difficultés toujours plus généralisées auxquelles se heurtent dans divers domaines nos relations économiques avec l'étranger.

Nous croyons avoir suffisamment établi que le pouvoir de consommation encore considérable de la population suisse doit être attribué à nos relations économiques internationales, sans parler d'une exploitation plus intense du sol productif. Si nous constatons que l'industrie horlogère est dépendante de l'étranger pour 90 pour cent de sa production, l'industrie chimique pour 70 pour cent environ, l'industrie textile, suivant les branches, pour 30 au 85 pour cent, l'industrie des machines pour 65 a 70 pour cent, tandis qu'une série d'autres industries travaillent également dans une mesure moindre, mais encore notable, pour l'exportation, si l'on considère que notre trafic dépend dans une si large proportion de la visite des hôtes du dehors, il est bien évident que l'on ne saurait songer à procurer à notre appareil économique tombé dans le marasme par suite de la baisse des exportations, une demande suffisante à l'intérieur du pays.

Des mesures en ce sens ont été prises, dans les limites des possibilités, par voie de restrictions à l'importation et de contingentements. Mais la capacité de consommation de la population suisse, autrement dit notre niveau d'existence élevé, ne peut pas compenser la baisse des exportations; bien au contraire, le niveau élevé des frais de production, en regard d'une capacité de consommation étrangère diminuée, est justement une des causes de nos difficultés de vente. En effet, pour la détermination
des prix dés produits sur le marché international, le niveau d'existence d'un peuple entre en concurrence avec celui des "autres peuples ; les prix exigés sont finalement l'expression du niveau d'existence d'un peuple, soumis au conflit de la concurrence. La théorie du pouvoir d'achat, selon laquelle les prix des marchandises doivent être fixés en fonction des prétentions à un certain train de vie, méconnaît que ces prétentions influencent la quote-part d'un pays aux débouchés à l'étranger, lorsqu'il existe un déséquilibre entre le chiffre de la, population de ce pays et l'entendue des richesses de son sol et des autres ressources naturelles intérieures. Plus un pays dépend des .relations économiques avec l'étranger, plus est fausse l'application à ce pays de la théorie du pouvoir d'achat. Nous pensons avoir bien démontré que l'économie suisse dépend tout .particulièrement Feuille fédérale. 87e année. Vol. I. '

24

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du marché étranger. Ce fait nous oblige à conclure que s'il est'au mónde un pays où l'application de la théorie du pouvoir d'achat aurait des conséquences désastreuses, c'est précisément le nôtre.

Selon cette théorie, il serait faux de dire qu'une adaptation du niveau de la vie à la réduction du revenu national est la conséquence fatale d'un affaiblissement économique résultant de causes externes. Ses partisans soutiennent avi contraire qu'en présence des graves difficultés qui entravent l'expansion de l'économie vers l'extérieur, on devrait s'efforcer d'accroître à l'intérieur le pouvoir d'achat des masses. On devrait donc, pour compenser la diminution du revenu provenant de l'étranger, "en arriver à une répartition telle du revenu à l'intérieur et à une utilisation telle des réserves qu'il soit possible à la population non seulement de ne pas abaisser son niveau antérieur d'existence, mais au contraire de l'élever. Cette théorie repose sur la conception erronée que le pouvoir d'achat peut être créé ou maintenu indépendamment des rendements de l'économie, sans que l'on ait recours à une augmentation inadmissible du numéraire (inflation).

Suivant la théorie du pouvoir d'achat, les difficultés proviennent d'une consommation insuffisante et d'une accumulation exagérée de capitaux, amenant un état de surproduction. Cette théorie ne prend nullement en considération le fait que, tout spécialement en ce qui concerne notre pays, la surproduction et, partant, le chômage ne découlent pas d'une consommation insuffisante à l'intérieur, mais du trouble économique-provoqué de l'extérieur. Pas plus que la circulation sanguine ne peut rester normale sans un apport régulier d'aliments, le pouvoir de consommation de la population suisse ne peut être maintenu dans son état actuel sans un rendement correspondant de nos affaires avec l'étranger.

Incontestablement, les salaires et un niveau d'existence élevés ne sont pas sans influencer la demande de marchandises. Nous ne perdons pas non plus de vue, cela va sans dire, que par exemple les traitements du personnel de la Confédération exercent une influence sur les affaires d'une ville comme Berne et que le revenu croissant augmente les achats. Mais pour chaque peuple, ces salaires et ce niveau d'existence élevés dépendent des richesses naturelles du pays et de sa
quote-part aux richesses universelles. Il est vrai que pour un temps, les rendements du travail antérieur, soit les réserves qu'il est possible de mobiliser, peuvent contribuer au maintien d'un certain niveau d'existence. Mais le maintien d'un niveau de vie stable et durable sur la base d'un revenu national en diminution est une impossibilité; une telle tentative pourrait être comparée à la recherche d'une sorte de pierre philosophale dans l'ordre économique.

Les vues que nous venons d'exposer pour démontrer l'insuffisance de la théorie du pouvoir d'achat ne sont pas neuves, et les économistes bourgeois ne sont pas les seuls à les défendre. On nous permettra de relever ici que déjà la théorie classique-du socialisme scientifique condamnait

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la thèse du pouvoir d'achat. Il est piquant de constater que Karl Marx s'est exprimé à son sujet en ces termes: «C'est une pure tautologie de dire que les crises proviennent d'un manque de consommation ou de consommateurs solvables. ... Le fait que des marchandises ne se vendent pas signifie seulement qu'il ne s'est pas trouvé d'acheteurs solvables, c'est-à-dire de consommateurs. Mais si l'on veut donner à cette tautologie une apparence de fondement plus sérieux, en disant que la classe ouvrière ne reçoit qu'une trop faible partie de ses propres produits, et que cet abus est redressé dès qu'une part plus considérable lui en échoit et que s'accroît en conséquence le salaire de son travail, on doit relever que les crises s'élaborent précisément dans les périodes où les salaires s'accroissent de façon générale et où la classe ouvrière obtient une part relativement considérable de la production annuelle destinée à la consommation. Or, de telles périodes devraient -- du point de vue de ces chevaliers du bon sens -- éloigner, au contraire, le danger de crise. » 3. Il est vrai que la Suisse a pu affecter une part du rendement de son travail antérieur, dans dés conjonctures économiques plus heureuses, à des réserves qui permettent encore aujourd'hui un niveau de vie relativement élevé. Mais il ne faut pas exagérer la mesure de notre richesse, ni méconnaître le caractère de ces réserves.

Les réserves que le peuple suisse a pu accumuler au cours des années -- avec des interruptions, il est vrai, -- sont elles-mêmes très sensibles à la crise. Elles ne constituent pas un capital indépendant et soustrait aux fluctuations de l'économie. Elles ne représentent pas un montant certain et elles n'ont pas un chiffre intangible. Les sommes constituant l'excédent du revenu national et devenant une source d'épargne ne sont plus, comme autrefois, versées dans un bas de laine ou enterrées dans des caisses et des cassettes; il est dans la nature de notre économie que ces capitaux soient mis le plus rapidement possible dans des placements fructueux. Ils rentrent ainsi, soit directement, soit par l'intermédiaire des banques, dans le processus de production dont ils sont eux-mêmes sortis.

La fortune nationale suisse est évaluée à environ 50 milliards de francs, estimation qui, au surplus, est optimiste et très sujette à
caution. Ces milliards ne constituent pas des montants invariables et mobiles, placés n'importe où, à la disposition de quiconque; cette fortune est investie en terres, bétail, immeubles, fabriques, machines, matières premières, moyens de transports de toute nature et autres biens. La valeur réelle de la fortune nationale s'accroît par l'utilisation de ces capitaux et elle fléchit parallèlement avec le rendement. Pour une bonne part, c'est grâce aux relations économiques de la Suisse avec l'étranger que les fabriques trouvent de l'occupation, les hôtels des clients, les immeubles des locataires, que les

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moyens de transport peuvent être exploités, et c'est en grande partie de ces relations que le commerce et l'agriculture tirent directement ou indirectement leurs revenus. Aussi est-il tout à fait naturel que la fortune nationale et, avec elle, les réserves participent au dépérissement de notre économie. C'est la raison pour laquelle, depuis l'année 1929, la valeur du capital-actions des sociétés suisses a subi, d'après l'indicé des actions, une diminution de près de 2 milliards de francs. La diminution de la valeur de rendement des biens agricoles n'est peut-être pas très inférieure, sans compter que notre agriculture a subi depuis l'année 1929, du seul fait du fléchissement des valeurs investies dans le bétail et malgré l'augmentation du nombre des animaux, une perte de 300 millions de francs en chiffres ronds.

Les réserves dont nous venons de définir le caractère peuvent agitdé deux manières différentes. Quand la situation économique tend à s'améliorer, les réserves ne favorisent un nouvel essor que si les autres conditions économiques de cet essor sont remplies; tel n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui. En revanche, ces réserves perdent de leur valeur et représentent une surcapitalisation lorsque l'économie est en régression, comme c'est présentement le cas: Tout en formant une partie intégrante et non superflue de notre économie, elles ne sont cependant pas la source inépuisable d'un bien-être général. Les considérer comme le fondement d'une nouvelle prospérité, avant que se rétablissent .nos affaires économiques avec l'étranger, c'est mettre la charrue devant les boeufs.

Ces réflexions montrent combien est fausse la théorie selon laquelle on peut affecter sans inconvénient à la consommation les biens servant à la production. On s'imagine que la consommation sera le gage d'une nouvelle production. Cette théorie, nous l'avons démontré, n'est valable que dans une mesure restreinte, lorsqu'il s'agit de surmonter des crises passagères, et même dans ce cas, elle ne vaut que sous certaines conditions.

Mais on ne saurait commettre erreur plus grave que de vouloir ramener la prospérité en dissipant de façon irréfléchie les résidus des réserves créées durant des dizaines' d'années de travail.

La grande période de prospérité qui a précédé la guerre, et la situation relativement favorable de
l'après-guerre jusqu'en 1929, ont eu pour effet d'enfler nos besoins dans une énorme mesure. Tandis que la guerre et ses conséquences ont contraint certains peuples à modifier de façon très sensible leur train d'existence, le nôtre n'a été que peu ébranlé au cours des hostilités et s'est amélioré sensiblement dans la période consécutive, à l'instar de ce qui s'est passé aux Etats-Unis. Les conditions de gain très favorables pour l'agriculture, au cours des hostilités, ont éveillé dans le monde rural comme dans d'autres catégories sociales des besoins nouveaux, qui n'ont pas disparu. En 1918 et 1919, les salaires marquèrent, de façon générale, une courbe ascendante très accentuée, au point qu'en 1922, ils

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réalisèrent un premier record. · Depuis lors, il est vrai, les salaires nominaux ont fléchi, mais la baisse des prix qui s'est produite simultanément a eu pour conséquence, jusqu'à ces derniers temps, d'imprimer aux salaires réels, dans de très nombreux groupes professionnels, une tendance à la hausse. Et comme, dans l'intervalle, les conditions de revenu des grandes masses populaires ont subi une très sensible diminution à l'étranger, la Suisse possède en Europe, du point de vue du niveau de la vie, une situation exceptionnellement élevée. Le gigantesque bouleversement qui s'est produit au cours des dernières décennies dans le domaine des transports, du fait de la motorisation, a ajouté aux besoins, déjà très élevés, de notre peuple un besoin nouveau, le besoin onéreux de la vitesse, lequel exerce des répercussions désastreuses sur les Etats qui ne peuvent se suffire à eux-mêmes, ni dans la branche des combustibles, ni dans celle des véhicules.

Nous avons été assujettis à un besoin dont la satisfaction nous a coûté, encore au cours des dernières années de crise, de 70 à 85 millions de francs par an versés à l'étranger. Or, la satisfaction d'un tel besoin ne serait possible que grâce à un accroissement des exportations, à un afflux plus considérable d'étrangers ou à la création de nouvelles sources nationales de revenu. Et cela à une époque où il est déjà plus difficile que jamais de faire face, au moyen de notre travail pour l'étranger, à nos besoins en denrées alimentaires et en matières premières importées pour notre consommation intérieure.

Psychologiquement, toutes les classes subissent encore l'influence de la période de prospérité et d'accroissement général des besoins. La dépression économique qui s'est produite exige des sacrifices et provoque des tensions, que chacun cherche à éviter le plus commodément possible, le cas échéant aux dépens d'un tiers. Dans une telle situation, l'idée nous vient facilement de prétendre que l'Etat, qui s'est déjà efforcé de venir en aide à la population, doit poursuivre durablement son action de secours.

Nous affirmons clairement et nettement que des limites sont déjà imposées à l'intervention de l'Etat jusqu'à ce jour. On ne peut confier aux pouvoirs publics la tâche économiquement impossible et techniquement irréalisable de déterminer artificiellement,
pour une longue durée, le niveau de vie de tout un peuple. Lorsque les ressources économiques d'un pays, à l'intérieur et à l'étranger, ne sont plus en harmonie avec le chiffre de sa population et avec son train de vie, l'intervention de l'Etat ne saurait jamais suffire. Notre avenir dépend de la façon dont notre population saura s'accommoder à la situation nouvelle. Si l'étranger ne demande pas nos produits et si une reprise ne se manifeste pas dans notre industrie hôtelière, la Confédération ne pourra pas empêcher, avec le temps, une baisse des salaires et il lui sera impossible, les moyens à cet effet lui faisant défaut, de réaliser la stabilisation des prix que l'on sollicite d'elle. Car les ressources de l'Etat dépendent étroitement de la situation économique.

Ce qu'est celle-ci aujourd'hui, nous croyons l'avoir suffisamment démontré.

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Bien loin de penser que l'intervention de l'Etat puisse amener une stabilisation durable du pouvoir d'achat, nous sommes convaincus qu'il est de la plus haute importance pour le peuple suisse de se libérer de fausses conceptions économiques et de se garder de promesses qui, avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent pas être tenues. Nous savons qu'il est extrêmement difficile pour un peuple de renoncer à une part du bienêtre auquel il s'était habitué depuis longtemps. Et cependant nul ne songe à faire fléchir le niveau de la vie en Suisse au point de l'amener à celui d'autres peuples, dont les réserves sont complètement épuisées ou qui produisent dans des conditions toutes différentes. Toutefois, ne pas vouloir reconnaître la nécessité d'une certaine adaptation équivaudrait à abandonner à d'autres pays les possibilités qui existent encore pour nous de faire du commerce avec l'étranger; ce serait aggraver notre situation au lieu de l'améliorer.

III. Les diverses revendications de .l'initiative : Chiffre 2, lettres a et b, de l'initiative.

a. Maintenir le pouvoir de consommation du peuple en combattant la baisse générale des salaires et du prix de la production agricole et artisanale; 6. protéger les salaires et les prix de manière à assurer un revenu du travail suffisant.

Tout d'abord, nous tenons à rappeler que notre politique a toujours tendu a sauvegarder la vie économique, à maintenir des prix raisonnables et à créer en même temps des possibilités de travail. Mais nous avons cherché à réserver autant que possible le marché intérieur à la production nationale en appliquant des droits de douane et en limitant l'importation; et nous nous sommes efforcés, dans nos négociations avec l'étranger, de nous assurer encore des possibilités d'exportation. En outre, nous avons très fortement limité l'entrée des travailleurs étrangers et procuré de l'occupation à de nombreux Suisses. Nous avons complété dans certains cas nos mesures de politique commerciale par des oeuvres de secours, afin d'atteindre, grâce à cette combinaison, le résultat voulu. Il va sans dire que ces mesures étaient propres à assurer des prix et des salaires équitables.

Le Conseil fédéral n'a pas l'intention de modifier les principes de sa politique ; il maintiendra celle-ci tant qu'elle sera de l'intérêt bien entendu de notre
économie nationale et de notre pays. Mais cela n'exclut évidemment pas une adaptation à des conditions nouvelles, en tant que cette adaptation peut se faire dans les limites des mesures que nous avons prises jusqu'à maintenant. Il va sans dire que nous refusons de nous lier de façon rigide à telle ou telle idée, car l'économie est en perpétuel devenir, et des situations nouvelles exigent un changement d'orientation.

311 L'initiative de crise va sensiblement au delà des mesures appliquées aujourd'hui et elle voudrait en outre consacrer dans la constitution certaines revendications et même certaines théories d'ordre économique.

Les deux premières dispositions du chiffre 2 de l'initiative sont fondamentales. Les considérations générales que nous avons développées sous chiffré II du présent chapitre s'appliquent à ces deux dispositions.

Il apparaît toutefois nécessaire d'ajouter aux réflexions d'ordre théorique et scientifique des arguments d'ordre concret et pratique. Nous allons essayer de le faire ci-après.

Tout d'abord, nous tenons à déclarer qu'à notre avis, l'Etat et les entreprises privées doivent être des patrons raisonnables, soucieux du bien-être des personnes qui sont à leur service. Ce principe doit aussi s'appliquer aux salaires. Quant à savoir si l'Etat doit intervenir pour la fixation des salaires payés dans les entreprises privées et si des prescriptions à ce sujet doivent être insérées dans la constitution, c'est là une autre question.

La lettre a demande que l'on combatte la baisse générale des salaires, et des prix de la production agricole et artisanale. Si l'on voulait entrer dans ces vues, il serait logique qu'en premier lieu la Confédération maintînt, par sa législation, les traitements et salaires de son nombreux personnel.

Son exemple influerait sur les traitements et salaires des fonctionnaires, employés et ouvriers des administrations cantonales et communales.

Mais pour être à même de payer des traitements et salaires élevés, les pouvoirs publics doivent être en état de réunir les ressources nécessaires à cet effet ; en d'autres termes, il faut qu'ils perçoivent des impôts suffisants et que l'économie nationale puisse les supporter. La revendication dont il s'agit aurait notamment pour conséquence que les impôts non seule: ment ne pourraient pas être diminués, mais devraient être augmentés.

De même, les tarifs des établissements en régie, tarifs dont la réduction serait si désirable vu la situation économique et la concurrence étrangère, devraient être maintenus à leur niveau actuel.

Il serait plus difficile à la Confédération d'agir directement sur les salaires payés dans les entreprises privées. Les dispositions de l'initiative n'autorisent pas la Confédération à fixer ces
salaires ; mais elles lui imposent tout de même l'obligation de les protéger, de manière à assurer un revenu du travail suffisant. Sans doute les auteurs de l'initiative pensent-ils que la Confédération pourrait imposer aux entreprises privées des conditions sur le niveau des salaires, par exemple lors de l'adjudication de commandes ; et qu'en outre, des offices de salaires -- ils seraient sans doute investis du pouvoir de prendre des décisions obligatoires pour les parties -- seraient créés, ainsi que le demandent plusieurs motions déposées au Conseil national et différentes requêtes, notamment celle des sociétés d'employés. Vraisemblablement, l'intervention de l'Etat en vue d'aplanir les conflits d'ordre collectif serait demandée en matière de salaires. On peut présumer qu'il

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en résulterait certains succès pour les salariés. L'exemple de l'Etat et sa tendance à maintenir des salaires élevés agiraient indubitablement sur les salaires payés dans les entreprises privées. Enfin, ne l'oublions pas, les revendications des syndicats et associations pour qui le problème des salaires est de savoir qui sera le plus fort, de l'employeur ou du salarié, croîtraient et trouveraient un précieux appui dans l'Etat. Et c'est ainsi qu'avec l'aide de l'Etat, sous les auspices duquel agiraient les associations de salariés, une forte pression serait exercée sur les entreprises privées pour qu'elles paient des salaires élevés. Or, il va bien sans dire que les sommes nécessaires à cet effet devraient être récupérées, sinon les salaires élevés finiraient par ne plus pouvoir être payés. Aucun employeur ne dispose de ressources inépuisables qui lui permettent de payer des salaires dont l'entreprise ne récupère pas le montant. Mais dans la mesure où ce montant peut être récupéré, -- nous parlons ici des entreprises travaillant uniquement pour le marché intérieur -- le salaire agit évidemment sur le prix du produit. Cette action a d'autant plus sa raison d'être que l'initiative demande que tout au moins les prix des produits agricoles et artisanaux soient protégés. Mais lorsque, en raison de la concurrence et de la surproduction, le montant des salaires ne peut pas être récupéré, ou que les produits sont exportés et subissent la concurrence de l'étranger quant aux prix et à la qualité, le maintien de salaires élevés devient impossible; en effet, la protection des salaires et des prix rend alors les producteurs incapables de soutenir la concurrence, réduit les commandes et, plus tard, peut entraîner la cessation du travail et le chômage. Le service que l'on veut rendre au salarié est inopérant; les conséquences funestes de cette situation retombent sur celui que l'on voulait protéger. Elles retombent aussi sur l'Etat, qui doit secourir les chômeurs. En maintenant artificiellement les salaires à un niveau élevé et, disons-le franchement, en faisant agir la politique sur leur fixation, on aboutirait à ce résultat que notre pays resterait un îlot de vie chère et que notre économie finirait par s'anémier et par s'anéantir en partie.

D'autre part, nous insistons sur le fait que nous ne songeons pas à
réclamer pour l'Etat le pouvoir d'abaisser les salaires payés dans les entreprises privées. C'est aux parties qu'il appartient de fixer ces salaires.

Si elles étaient adoptées, les dispositions proposées pourraient se retourner contre ceux en faveur desquels elles seraient appliquées. On peut prévoir que cette application ne serait pas possible sur toute la ligne et que les entreprises orientées vers l'exportation ne pourraient pas être atteintes, parce qu'elles sont obligées de fixer les salaires selon des principes économiques. Et c'est ainsi que s'aggraverait encore et serait consacrée par la constitution l'injustice sociale qui existe aujourd'hui déjà, en ce que dans les entreprises travaillant uniquement pour le marché intérieur, les salaires restent élevés, tandis que dans les branches travaillant pour l'exportation, les tentatives faites pour maintenir le niveau des salaires

313 sont inopérantes; l'ouvrier des industries produisant pour l'exportation devrait non seulement se contenter d'un salaire bas, mais, en payant des prix plus élevés, il contribuerait encore indirectement au maintien des salaires payés à ses collègues plus favorisés et occupés dans les branches travaillant pour le marché intérieur. Il existe une disproportion du même genre entre les prix des produits agricoles -- dès lors entre le revenu agricole -- et maints prix et salaires qui dans notre pays n'ont pas subi une baisse correspondante à celle des produits agricoles. Au lieu de disparaître, cette injustice sociale serait en quelque sorte consacrée. Garantir le prix des produits de l'agriculture et de l'artisanat est chose encore plus difficile que de maintenir le niveau des salaires.'

Le prix restera toujours en fonction de l'offre et de la demande. L'expérience n'a-t-elle pas suffisamment démontré que les prix maxima ne servent à rien lorsqu'il y à pénurie et que lès prix minima ne sont pas observés lorsqu'il y a surabondance de marchandises ? Dans des cas de ·ce genre, les circonstances brisent les entraves imposées par les prescriptions officielles et provoquent le désordre. Nous l'avons constaté récemment à propos des prix de façon dans l'industrie de la broderie. En effet, le manque de travail amena les brodeurs-façonniers à lutter entre eux pour obtenir des commandes et à pratiquer réciproquement la sous-enchère en deçà et au delà du Rhin. Aussi bien, de simples prescriptions ne suffiraient-elles pas à empêcher la baisse du prix des produits de l'agriculture et de l'artisanat; des interventions de l'Etat, beaucoup plus profondes, seraient indispensables. Il faudrait créer des organismes à caractère obligatoire, l'Etat aurait à faire des allocations, il faudrait régler et surtout limiter la production et édicter les prescriptions les plus rigoureuses sur le trafic des marchandises à travers la frontière; l'Etat mettrait à notre économie des entraves qui renforceraient les prescriptions actuellement en vigueur, les aggraveraient et les perpétueraient en quelque sorte.

Certes, nous nous en rendons pleinement compte, l'Etat doit, en certaines situations, intervenir dans la vie économique pour y exercer une action ordonnatrice et régulatrice. Nous l'avons fait bien des fois, si pénible que fût
pour nous cette intervention. Aujourd'hui encore, nous vivons sous le régime de l'économie réglementée. Cela nous permet d'en connaître les inconvénients, et nous sommes à même de juger des possibilités. Nous n'ignorons pas combien ce régime est pesant pour beaucoup et supporté à contre-coeur; nous n'ignorons pas les effets fâcheux qu'il entraîne non seulement dans le domaine économique et pratique, mais aussi dans l'ordre psychologique. La réalisation des dispositions énoncées sous chiffre 2 de l'initiative, lettres a et b, obligerait les pouvoirs publics à mettre chaque entreprise dans les entraves doublement gênantes de la protection des salaires et des prix. Ce système provoquerait des dépenses improductives que l'Etat ou l'économie nationale aurait à supporter.

Il finirait par enrayer les libres initiatives et l'esprit d'entreprise; ï'exploi-

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tant et l'homme d'affaires autrefois indépendants seraient entièrement assujettis aux prescriptions officielles. Au cours des années, nous avons pu observer combien l'agriculture trouve pénible la contrainte qu'imposent les pauvres de secours instituées pour soutenir le prix du lait. L'Etat et les fédérations sont l'objet de critiques constantes et acerbes; nous devons désirer que le paysan suisse puisse sortir du réseau des prescriptions qui l'enserrent et recouvre un jour sa liberté. L'initiative de crise va précisément à fins contraires. Au lieu d'assister à l'abolition progressive de dispositions et mesures assurément désagréables et à une transformation de la vie économique, le paysan devrait s'attendre à l'application de prescriptions sur les salaires de son personnel et subirait une nouvelle et forte limitation de son indépendance. L'industrie, l'artisanat, le commerce et les transports seraient aussi assujettis à un régime de contrainte et de coercition.

Nous en sommes convaincus, les prescriptions qu'exigerait la réalisation des principes énoncés sous chiffre 2, lettres a et 6, de l'initiative,, ne pourraient pas être appliquées dans un Etat démocratique tel que la Suisse. La puissance policière de l'Etat devrait s'étendre au delà de toutes limites; employeurs, ouvriers et employés devraient être soumis à un contrôle permanent. De plus, le progrès économique serait enrayé, car c'est l'Etat qui aurait à se soucier des prix et salaires, et. l'exploitant cesserait peu à peu de faire l'effort nécessaire pour diriger son entreprise avec sagesse et prévoyance. Par ailleurs, la disposition constitutionnelle qui garantirait « un revenu du travail suffisant » risquerait de briser chez l'ouvrier ou l'employé l'indispensable élan au travail. Un peuple qui se laisserait mettre de telles entraves serait dépossédé de sa force vitale, ses aptitudes et ses capacités se trouveraient paralysées et il perdrait sa place au soleil.

Nous comprenons parfaitement que les salariés cherchent à améliorer leur situation et à la consolider. Mais des prescriptions du genre de celles dont il est question ici détruiraient l'économie et, par ce fait, la source de tout revenu. L'individu ne serait plus qu'un numéro, et le sentiment de sa responsabilité envers lui-même disparaîtrait. Nous avons la conviction que les
auteurs de l'initiative et un très grand nombre de ses signataires n'ont pas réfléchi à ces conséquences.

Les deux dispositions dont nous venons de nous occuper contiennent l'essence même de l'initiative. Ce sont elles qui lui impriment son véritable caractère. Leur adoption marquerait pour notre économie, et dès lors pour notre, existence, le commencement de la fin. Si le fond même de la question soulève les plus graves objections de notre part, les puissants arguments qui les motivent se trouvent encore surpassés par la perspective de l'immense préjudice moral et spirituel qu'un pareil régime d'immixtion de l'Etat causerait à tout notre peuple. Jamais il ne voudra se soumettre à un tel joug. Et ce serait une erreur de croire que seuls les exploitants en souffriraient. Les ouvriers et employés :-- surtout les plus capables --

315 verraient leur indépendance amoindrie et ils seraient handicapés dans leurs possibilités de développement.

Chiffre 2, lettre c, de l'initiative : Procurer du travail par un effort méthodique et réglementer le placement d'une manière rationnelle.

Dans notre message du 9 octobre 1934 relatif à la création de possibilités de travail et à d'autres moyens de combattre la crise, nous nous sommes prononcés sur les occasions de travail créées et à créer avec l'aide de la Confédération, ainsi que sur le service de placement. Nous avons exposé en détail ce qui a été fait jusqu'à maintenant dans ces deux domaines et ce qui devrait encore être fait. En tant qu'il s'agit de travaux de secours subventionnés par la Confédération, de commandes extraordinaires de travail passées par la Confédération, des mesures à prendre pour tirer meilleur parti des possibilités de travail dans l'économie privée et perfectionner le service de placement, la matière qui fait l'objet du chiffre 2, lettre c, de l'initiative, se trouve déjà réglée provisoirement par l'arrêté fédéral du 21 décembre 1934. Cet arrêté, élaboré après le dépôt de la demande d'initiative, peut, en quelque sorte, être considéré comme un « contreprojet » partiel opposé à l'initiative;- il a réalisé diverses propositions contenues dans cette dernière, mais il les a équitàblement adaptées aux circonstances actuelles et .à la situation des finances fédérales, de sòrte que nous pouvons en prendre la responsabilité.

Les auteurs de l'initiative n'indiquent pas comment ils conçoivent le perfectionnement du service de placement. Ils prévoient sans doute un organisme centralisateur qui grouperait les offices cantonaux et régionaux.

Cette supposition est conforme au chiffre 3 de l'initiative, aux t.ermes duquel la Confédération peut entreprendre seule les tâches mentionnées sous lettres a à i et ne prend contact avec les cantons et les associations économiques que si elle le juge opportun.

Nous ne croyons pas, pour l'instant, à la nécessité d'édicter une nouvelle disposition constitutionnelle sur la création de possibilités de travail.

Nous pourrions plutôt nous rallier en principe à une nouvelle disposition sur le service de placement. Dans son projet d'article constitutionnel qui donnerait à la Confédération le pouvoir de légiférer sur toutes les questions
économiques, le département de l'économie publique a mentionné également ce service et il a prévu que des dispositions uniformes seraient édictées dans ce domaine.

Mais le chiffre 2, lettre c, de la demande d'initiative, va bien au delà de ce qui est admissible et nous devons nous prononcer résolument contre cette disposition; nous sommes persuadés que ,sj elle était adoptée, on réclamerait de la Confédération non seulement qu'elle participe à la créa^

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tion artificielle de possibilités de travail dans une mesure plus étendue que par le passé et dépassant ses moyens financiers, mais qu'elle «procure du travail par un effort méthodique » également dans le domaine de l'économie privée. Si l'on en juge d'après l'initiative et le «plan de travail », cette disposition pourrait conduire à une immixtion obligatoire de l'Etat dans l'engagement d'ouvriers et d'employés. Procurer du travail par un effort méthodique peut aussi signifier répartir des commandes de travail par l'intermédiaire de l'Etat, équilibrer des possibilités d'occupation entre les fabriques et les diverses. régions du pays, diminuer la durée du travail, tout en astreignant les employeurs à engager un' plus grand nombre d'ouvriers, et introduire' obligatoirement le service de travail pour la jeunesse. Qu'il nous soit permis de relever dans ce rapport que l'initiative de crise tendant à « assurer des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens suisses » et à « assurer un revenu du travail suffisant », s'inspire des mêmes idées que l'initiative populaire de 1893 (1) concernant la garantie constitutionnelle du droit au travail. Aujourd'hui comme en 1893, on demande que la constitution garantisse une occupation aux chômeurs. Nous croyons avoir démontré par les considérations économiques qui précèdent que les pouvoirs publics ne sont pas en mesure d'assumer une tâche semblable et que la « création méthodique de possibilités de travail », telle que l'envisagent une partie des signataires de l'initiative et notamment les partisans du « plan de travail », n'exigerait pas seulement une extension exagérée de l'administration, mais encore un contrôle et une réglementation des différentes entreprises. Ce régime paralyserait l'esprit d'initiative, pousserait à l'extrême l'intervention de l'Etat et imposerait aux entreprises un surcroît de travail bureaucratique, au préjudice de toute l'économie nationale.

En résumé, nous déclarons que, sous son apparence inoffensive, cette disposition du projet d'article constitutionnel, considérée à la lumière des chiffres 1, 3, 4 et 6, aurait une portée dont les auteurs de l'initiative eux-mêmes ne se rendirent peut-être pas entièrement compte, mais qui nous inspire les craintes les plus vives quant à l'assainissement de notre économie si durement éprouvée.

Chiffre

2, lettre d, de l'initiative: Dégrever les entreprises agricoles surendettées et alléger le service des intérêts pour permettre aux familles de paysans et de fermiers capables de conserver leurs domaines.

Détachée des autres dispositions du projet d'article constitutionnel et examinée isolément, cette revendication ne contient rieri de nouveau.

(*) Le 3 juin 1894, elle.a été rejetée, par 308,289 voix contre 75,880 et par tous les cantons.

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Elle se borne à consacrer dans la constitution un état de chose déjà existant. Nos messages du 25 août 1932 et du 22 décembre 1933, ainsi que les arrêtés fédéraux y relatifs du 30 septembre 1932 et du 28 mars 1934; démontrent que les autorités fédérales non seulement vouent toute leur attention à la question de l'aide aux'paysans et fermiers dignes d'être secourus, mais sont déjà entrées dans la voie des réalisations. L'article 6, 2e alinéa, de l'arrêté fédéral du 30 septembre 1932 prévoit que l'aide aux agriculteurs dignes d'être secourus doit consister notamment dans l'allocation de prêts avec ou sans intérêts, d'avances pour le paiement des intérêts et de subsides à fonds perdu. En conséquence, les mesures que réclament les auteurs de l'initiative sont déjà prises. On peut donc se demander quels buts ils poursuivent en voulant faire insérer cette disposition dans la constitution.

Examinons les motifs sur lesquels ils ont pu se fonder: 1. Les auteurs de l'initiative désirent poser dans la constitution le principe d'une aide financière en faveur des agriculteurs dans la gêne.

En soi, cette disposition ne nous paraît pas inopportune. Relevons toutefois qu'il serait vain de ne mentionner que l'aide financière dans la constitution, alors que toutes les a,utres mesures de secours en faveur de l'agriculture n'y figureraient pas. Ainsi que nous l'avons déjà exposé en d'autres circonstances, l'aide fédérale en faveur de l'agriculture manque de base constitutionnelle. Il serait dès lors opportun d'insérer dans la constitution un article posant le principe général de 1'« encouragement de l'agriculture ».

Le département de l'économie publique se proposait d'élargir la constitution sur ce point en revisant les articles 34 et 34ier. Nous vous rendons attentifs au fait que si la disposition très restreinte proposée par l'initiative était seule insérée dans la constitution, les adversaires de l'agriculture et de l'aide en faveur de cette branche de notre activité nationale pourraient prétendre plus tard que d'autres mesures de secours ne sauraient être prises, n'étant pas mentionnées expressément dans notre charte fondamentale.

2. En outre, les auteurs de l'initiative peuvent avoir eu l'intention de donner à l'aide financière en faveur des agriculteurs dans la gêne une envergure notablement plus grande. Ni
le texte du projet d'article constitutionnel ni les commentaires y relatifs ne renferment de renseignements précis sur les sommes qui seraient nécessaires. Il est cependant permis de supposer que les auteurs de l'initiative envisagent un sensible accroissement des charges incombant à la Confédération et qu'en tout cas les partisans de l'initiative appartenant aux milieux agricoles attendent de son adoption une extension de l'aide fédérale en leur faveur. Nous donnerons plus loin un aperçu des charges que les diverses dispositions de l'initiative imposent à la Confédération. Jusqu'à maintenant, l'Assemblée fédérale a accordé pour l'aide financière en faveur des agriculteurs les sommes ci-après mentionnées :

318

Arrêté fédéral Arrêté fédéral du 28 mars 1934 du 30 septembre 1932 art. I er , lettre a art. 2, lettre & 1933 . . . . . 3 millions de fr.

1934 3 » » » 6 millions de fr.

3 millions de fr.

1935 . . . . . . 3 » » » 6 » » » 3 » » » 1936 2 » » » » » » » » » Total: 30 millions de francs.

Ces crédits peuvent encore être augmentés par l'Assemblée fédérale sans revision de la constitution. Dès lors, une nouvelle disposition constitutionnelle n'est pas nécessaire. Mais si l'on voulait en établir une, elle devrait avoir une portée bien plus large que celle du chiffre 2 d de la demande d'initiative.

Chiffre

2, lettre e, de l'initiative: Dégrever les entreprises artisanales tombées dans la gêne sans leur faute.

Ces dernières années, de nombreuses entreprises petites et moyennes de l'artisanat et du commerce de détail sont tombées dans la gêne par suite de la dépression économique, de l'accroissement des entreprises disposant de gros capitaux et de l'augmentation exagérée du nombre des établissements modestes. En présence de cette situation, l'union suisse des arts et métiers s'est adressée plusieurs fois aux autorités fédérales. Le postulat Joss, du 28 mars 1934, demande lui aussi que le Conseil fédéral dépose un rapport et des propositions sur la manière dont pourraient être secourues les exploitations artisanales qui se trouvent gênées du fait des assainissements pratiqués avec l'aide de la Confédération dans l'hôtellerie et dans l'agriculture.

L'arrêté fédéral du 21 décembre 1934 concernant la création de possibilités de travail et la lutte contre la crise a jeté les premières bases d'une aide dans ce domaine. L'article 17 de cet arrêté autorise le Conseil fédéral à allouer des subventions à des coopératives de cautionnement artisanales et à d'autres institutions similaires. Les subventions doivent permettre à ces institutions d'établir des bureaux de consultation et de comptabilité et de participer à la couverture des pertes que des cautionnements ont causées à des petits et moyens établissements de l'artisanat et du commerce de détail. L'union suisse des arts et métiers établit actuellement les normes suivant lesquelles ces subventions seront versées. En soutenant ainsi les organismes d'aide financière déjà existants ou en voie de formation, nous croyons être sur le bon chemin pour porter utilement secours à l'artisanat et au commerce de détail. Il faut constater que, dans de nombreux cas, on ne porte pas secours aux entreprises en ne leur procurant que des fonds.

Cette constatation s'applique du reste aussi à l'agriculture. Très souvent, les entreprises ne sont pas dirigées commercialement. La gêne provient

319

fréquemment de mauvais placements, de calculs erronés, de comptabilités imparfaites ou de causes étrangères à l'exploitation.

La solution à laquelle nous nous sommes arrêtés est bien préférable à une vaste oeuvre de désendettement, telle que l'envisagent sans doute les auteurs de l'initiative. Cette solution n'assure pas seulement un emploi judicieux et prudent des sommes allouées; elle procure aussi aux entreprises intéressées une consultation technique et une aide. Les mesures prises marquent une étape; elles peuvent être développées sans qu'il faille reviser la constitution.

De même que pour l'agriculture et les autres branches de l'activité économique, il serait souhaitable que l'on insérât dans la constitution fédérale une disposition prévoyant l'encouragement des « arts et métiers », qui, selon nous, englobent l'artisanat et le commerce de détail. Cette disposition ne devrait pas se borner à mentionner « le dégrèvement des entreprises tombées dans la gêne sans leur faute ». Il faudrait qu'elle eût une portée plus générale et qu'elle permît de prendre des mesures qui ne peuvent actuellement se fonder sur l'article 34fer de la constitution.

Ce que nous avons dit de la lettre d s'applique aussi à la lettre e de l'initiative : Détachée de son contexte, la disposition sous lettre e est en elle-même tout à fait acceptable. Mais cela ne saurait nous amener à recommander l'adoption de l'initiative de 'crise. D'ailleurs, l'Assemblée fédérale a créé une base juridique suffisante pour la réalisation des mesures visées par la lettre e.

Chiffre

2, lettre i, de l'initiative : Garantir une assurance-chômage et une aide de crise suffisantes.

Au point de vue constitutionnel, l'assurance-chômage relève des cantons. Ceux-ci décident en particulier de l'organisation des caisses. Ces dernières sont publiques ou privées. Les caisses privées se divisent à leur tour en caisses syndicales et en caisses paritaires. La loi du 17 octobre 1924 concernant l'allocation de subventions pour l'assurance-chômage détermine les montants à verser par la Confédération et fixe les conditions auxquelles s'opère le versement. Il est superflu d'énumérer dans ce rapport les prestations de la Confédération et les taux appliqués par les caisses d'assurance-chômage. Nous déskons simplement relever que la Confédération a déjà alloué à l'assurance-chômage des subventions très considérables, qui, au cours des dernières années, atteignent les sommes ci-après mentionnées : 1929 . . .

2,468,900 francs 1932 . . . 25,982,700 francs 1930 . . .

6,415,600 » 1933 . . . 26,300,000 » (*) 1931 . . . 14,636,500 » (*) Résultat provisoire.

320 Dans le même laps de temps, les prestations des cantons et des communes s'élèvent à: 1929 . . .

2,428,000 francs 1932 . . . 27,400,000 francs^) 1930 . . .

7,061,000 » 1933 . . . 28,600,000 » (*) 1931 . . . 15,936;000 » (x) L'aide dite « de crise » se fonde sur l'arrêté fédéral du 23 décembre 1931.

Aux termes de cet arrêté, la Confédération accorde certaines subventions aux cantons qui servent dans quelques industries atteintes par la crise une aide extraordinaire aux chômeurs ayant épuise leur droit aux prestations statutaires d'une caisse d'assurance-chômage. C'est ainsi qu'au cours des années passées, la Confédération et les cantons ont alloué les sommes ci-après mentionnées: Confédération Cantons 1932 1933 1934

5,200,000 francs 6,600,000 » 6,700,000 » (i)

5,778,000 francs 6,960,000 » 7,300,000 » f1)

Le tableau ci-après indique le total des sommes versées par l'ensemble des caisses au titre des indemnités de chômage et de l'aide de crise: 1932 76,2 millions de francs 1933 81,5 » » » 1934 72,6 » » » (!)

On peut certes estimer que la Confédération devrait avoir des attributions plus étendues dans le domaine de l'assurance-chômage et être autorisée non seulement à édicter une loi sur le soutien des caisses d'assurance-chômage, mais à légiférer d'une manière uniforme sur toute cette matière, notamment sur les subventions, la constitution 'des ressources nécessaires et le montant des allocations. Et même si la Confédération avait ce pouvoir, le concours des cantons serait indispensable et, sans aucun doute, ils devraient participer aux dépenses de l'assurance-chômage.

Que désirent les auteurs de l'initiative lorsqu'ils réclament la garantie d'une assurance-chômage et d'une aide de crise suffisantes ?

Pour répondre à cette question, il faut s'en rapporter à l'esprit qui anime l'initiative de crise. Pour nous, il est indiscutable que ses auteurs réclameraient une extension des attributions de la Confédération, notamment en ce qui concerne le montant des indemnités journalières et la période pendant laquelle elles sont servies. De telles prescriptions rencontreraient une vive résistance dans les cantons, car, on le sait, ceux-ci ont créé pour une bonne part les caisses d'assurance-chômage et les subventionnent.

Plusieurs d'entre eux se trouveraient dans l'impossibilité d'augmenter ( l ) Résultat provisoire.

321 leurs subventions aux caisses d'assurance. La Confédération subirait vraisemblablement le contre-coup de cette situation; on exigerait, en effet, qu'elle se substitue aux cantons dont les ressources sont insuffisantes.

Du reste, nous ne croyons pas qu'en cette période de crise le moment soit opportun pour reviser la législation fédérale sur l'assurance-chômage.

Nous estimons, en outre, qu'il serait erroné d'adopter une disposition constitutionnelle provisoire qui modifierait les attributions bien déterminées incombant à la Confédération et aux cantons et qui réglerait ces attributions en dérogeant à la loi fédérale en vigueur. Si nous ne pouvons nous rallier à la disposition prévue sous lettre /, c'est avant tout parce que l'adoption de l'initiative provoquerait indubitablement de nouvelles et fortes revendications. La notion très extensible d'une « assurance-chômage » et d'une « aide de crise suffisantes » serait de nature à les susciter.

Abstraction faite d'un allégement temporaire et saisonnier du marché du travail, nous devons malheureusement prévoir que le nombre des chômeurs ira plutôt en augmentant. Cette augmentation aura pour corollaire un accroissement automatique des dépenses de la Confédération et des cantons. Si l'on imposait encore aux pouvoirs publics une augmentation des prestations aux caisses, il en résulterait, pour les finances fédérales, cantonales et communales, des conséquences extrêmement graves, dont on ne peut mesurer toute l'étendue. La disposition que nous venons d'examiner est une de celles qui menacent le plus dangereusement les finances publiques, dans l'intérêt desquelles nous devons nous prononcer catégoriquement contre les tendances qui s'y manifestent. Mais, bien entendu, nous sommes décidés à continuer d'améliorer la situation des chômeurs dans la mesure de nos moyens et d'accomplir le devoir de l'Etat envers ces travailleurs si durement frappés par la crise.

Chiffre

2, lettres g et h, de l'initiative : Utiliser, le pouvoir d'achat et la puissance financière du pays, pour développer l'exportation des produits industriels et agricoles, ainsi que le tourisme; réglementer le marché financier et contrôler l'exportation des capitaux.

Etant donnée la relation qui existe entre les deux problèmes, nous jugeons utile d'examiner simultanément les lettres g et h.

Rappelons en premier lieu les mesures déjà prises en ce domaine. Dans notre politique commerciale, nous avons abandonné l'essentiel de la clause de la nation la plus favorisée pour lui substituer le principe de la réciprocité; en d'autres termes, nous faisons désormais dépendre pour une bonne part nos importations en provenance d'un pays donné des achats que ce même pays effectue chez nous. Ce système se pratique au moyen des contingents, du trafic dit de «· compensation » et des accords de clearing Feuille fédérale. 87e année. Vol. I.

25

322

conclus avec l'étranger. La Confédération a le pouvoir d'intervenir dans ce domaine, car elle est autorisée par la conclusion de traités de commerce à sauvegarder nos intérêts économiques vis-à-vis de l'étranger. Heureusement, la constitution n'impose aucune règle sur ce que doivent être les clauses de ces traités ; il faut évidemment avoir la faculté, dans chaque cas d'espèce, d'agir selon les circonstances.

Depuis le début de la crise, nous avons réalisé le plus judicieusement possible l'idée de tirer parti des besoins des consommateurs suisses en marchandises étrangères, en contraignant les pays fournisseurs, par le moyen de la compensation, à acquérir des marchandises suisses. Déjà dans notre deuxième rapport du 27 mai 1932 (l) sur les mesures prises en vertu de l'arrêté fédéral du 23 décembre 1931 relatif à la limitation des importations, nous avons exposé la question. Mais alors déjà, nous avons signalé les limites tracées à la réalisation générale de ce principe.

Nous écrivions: « Les mesures de contingentement mises au service de notre industrie exportatrice reposent déjà sur l'idée d'une « compensation » entre l'importation et l'exportation. Or, nous avons considéré que cette idée était susceptible de nouvelles réalisations dans l'intérêt de notre exportation. Nous ne saurions toutefois partager l'avis de ceux qui croient que toute l'importation suisse pourrait être « compensée » d'une manière quelconque avec l'exportation et que nous ne devrions admettre de chaque pays que des importations pour une valeur égale à celle des produits suisses dont ce pays se rend acquéreur. La complète réalisation de cette idée, peut-être séduisante en soi, apparaît pratiquement impossible, vu la multiplicité des formes de notre production, d'une part, et les besoins de notre consommation, d'autre part. Non seulement il serait nécessaire de créer chez nous des organismes d'importation et d'exportation d'un fonctionnement compliqué, qui mettraient au commerce et au trafic des entraves presque intolérables, mais il faudrait aussi que, dans les pays avec lesquels nous entretenons des relations commerciales actives, des organismes du même genre existassent ou fussent créés, les moyens d'exercer à cet égard une influence quelconque nous faisant complètement défaut.

Par ailleurs, un tel système exposerait notre politique commerciale à des difficultés quasi insolubles et nous obligerait en tout cas à dénoncer nos traités de commerce. » ^

Dans la suite, nous nous sommes appliqués autant que possible, avec l'aide de groupements spéciaux, dans lesquels sont réunis les acheteurs de catégories déterminées de marchandises, d'organiser de façon uniforme (') FF 1932, I, 934.

323

l'importation et d'en tirer parti dans l'intérêt de nos exportations. Nous signalons les organismes d'achat ci-après dénommés: Centrale suisse pour l'importation du charbon, à Baie.

Société coopérative suisse des céréales et matières fourragères, à Berne.

Carbura, office central suisse pour l'importation des carburants liquides, à Zurich.

Association suisse des importateurs d'huiles de graissage, à Zurich.

Centrale suisse pour l'importation du sucre, à Berne.

Société suisse des brasseurs, à Zurich.

Mais il faut bien s'en rendre compte, les possibilités de compensation et d'utilisation de notre pouvoir de consommation dans nos relations commerciales avec l'étranger sont soumises à des limites naturelles. Il ne faut entraver complètement le trafic avec un pays que s'il y a nécessité absolue de le faire. De telles mesures, l'expérience l'enseigne, ont pour effet de restreindre considérablement les relations commerciales entre les deux pays en cause. Les formalités nécessaires à l'application d'accords conclus dans ce domaine, par exemple celles qu'il faut accomplir pour obtenir les permis d'importation, effrayent le monde du commerce. Si, en plus de ces mesures, il existe encore une convention de clearing, empêchant que le vendeur étranger reçoive des devises suisses, celui-ci perd en bonne partie son intérêt à la livraison de marchandises. On se tromperait en croyant qu'il serait utile d'intensifier encore le trafic actuel de compensation. A notre avis, les possibilités de tirer parti de ce trafic sont pour ainsi dire épuisées; mais cela ne nous empêchera pas de continuer à pratiquer cette méthode de façon logique et judicieuse.

Nous n'avons pas manqué non plus de jeter dans la balance notre pouvoir de consommation, au profit du tourisme et de l'industrie des étrangers. L'exemple le plus important des efforts déployés en ce domaine est la convention de compensation avec l'Allemagne, suivant laquelle les montants que nous aurions à payer pour le charbon acheté en Allemagne sont mis à disposition pour l'acquisition de devises à l'usage des Allemands voyageant dans notre pays.

Il faut aussi se garder d'illusions en ce qui concerne les possibilités de tirer parti de la puissance financière du pays en vue de favoriser l'exportation et l'afflux de touristes étrangers en Suisse. La possibilité de
placer des fonds à l'étranger est faible, car le public n'acquiert, en fait de titres étrangers, que ceux d'un nombre d'Etats relativement restreint. De plus, les ressources de notre pays sont en partie immobilisées. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que des marchés financiers autres que le nôtre sont en mesure d'accorder des prêts à des débiteurs solvables, de sorte qu'en subordonnant l'octroi d'un prêt à la réalisation de certaines conditions d'ordre économique, on court le risque de faire échouer l'opération. Par ailleurs,

324

la loi fédérale déjà en vigueur sur les banques et les caisses d'épargne prévoit que les banques, ainsi que les sociétés financières à caractère bancaire doivent informer la banque nationale des prêts ou des placements qu'elles se disposent à effectuer à l'étranger, pour dix millions de francs ou plus. Si la tendance du change, celle du taux dé l'intérêt de l'argent ou des capitaux ou la protection d'intérêts économiques du pays le justifient, la banque nationale a le droit d'opposer son veto à ces opérations ou de subordonner son autorisation à des conditions. Cette procédure, prévue à l'article 8 de la loi sur les banques est, en fait, appliquée depuis quelque temps déjà; la banque nationale statue sur les requêtes qui lui sont présentées à ce sujet, après avoir consulté le département politique, le département des finances et des douanes et le département de l'économie publique. Ces départements ont la sauvegarde des divers intérêts en jeu; le département de l'économie publique, en particulier, a la faculté de proposer des conditions d'ordre économique auxquelles doit être subordonné l'octroi de prêts. Ces conditions peuvent avoir trait, par exemple, à la création de possibilités de travail, à des commandes ou à des avantages et facilités dans le domaine de la politique commerciale. Cette matière est donc réglementée légalement et, avant d'édicter de nouvelles prescriptions, il faudra voir quels résultats auront celles qui existent déjà.

Mais les auteurs de l'initiative entendent, apparemment, aller beaucoup plus loin dans cette voie et ils se font des idées irréalisables quant à la possibilité de tirer parti de la puissance financière et du pouvoir de consommation du pays. L'article constitutionnel proposé permettrait à l'Etat d'intervenir de la façon la plus étendue dans ces deux domaines. Tandis que les lettres g et A de l'initiative serviraient de base à cette intervention, le chiffre 4, qui permet de déroger au principe de la liberté du commerce et 'de l'industrie, élimine les difficultés qui pourraient s'opposer aux combinaisons les plus étendues. Rappelons à ce sujet que, du côté socialiste, on a proposé non seulement de concentrer et d'organiser, mais aussi de monopoliser l'importation, notamment en ce qui concerne les marchandises introduites en très fortes quantités. Les auteurs de
ces propositions n'ont pas caché leur intention de provoquer, de la sorte, une lézarde dansl'édifice de l'économie privée et de préparer ainsi les voies à l'étatisation de l'économie. Il est aisé de se représenter les plans illimités et les expériences dangereuses que provoquerait l'initiative si elle était adoptée.

Que celui qui en douterait encore lise, outre le « Plan de Travail », un passage de la requête que la fédération des sociétés suisses d'employés a adressée, en date du 28 janvier 1935, à notre département de l'économie publique. Voici ce passage: « Jusqu'à présent, la cause de notre exportation n'a été défendue, tout au moins de la part des intéressés, que d'une façon trop inspirée de considérations individualistes. Cette défense a abouti à une attitude négative qui croit ne pouvoir imposer que des sacrifices aux

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autres branches de l'activité économique. Une telle attitude ne résout pas le problème de l'exportation considéré du point de vue de notre économie publique. Il est nécessaire de créer une organisation nationale d'exportation qui mettrait méthodiquement en oeuvre tous les moyens appropriés dont disposent notre économie et notre puissance financière, en vue d'élargir nos débouchés à l'étranger, si fortement restreints à l'heure actuelle, éliminerait autant que possible la sousenchère, à laquelle se livrent à l'étranger les entreprises suisses. Inévitablement, une telle organisation limiterait jusqu'à un certain point la liberté d'action de l'industriel, mais cet inconvénient serait plus que compensé par les résultats favorables pour notre économie nationale auxquels aboutirait l'application de moyens propres à maintenir et à développer nos exportations. Nous savons que de telles idées rencontrent une vive opposition dans certains milieux industriels.

Mais les autres catégories professionnelles et sociales n'ont-elles pas le droit d'indiquer des voies autres et meilleures que celles qui leur sont proposées aujourd'hui par l'industrie d'exportation et qui conduiraient à une baisse générale du coût de la vie (et du niveau d'existence) ? C'est, en fin de compte, l'ensemble de l'économie qui doit supporter les conséquences de mauvais conseils. Il est inadmissible que l'on s'obstine à opposer des conceptions économiques erronées à une solution préférable pour la collectivité. Peut-être serait-il pénible pour beaucoup de renoncer à ces conceptions et traditions économiques, mais pour nous et pour maints autres, il s'agit d'une chose infiniment plus précieuse: pouvoir vivre convenablement.

« Un tel organisme d'exportation, devant lequel s'ouvrirait un vaste champ d'action, devrait aussi englober une banque nationale d'exportation. Cette banque, nous ne craignons pas de le dire, devrait être dotée d'un quasi-monopole pour le placement de capitaux suisses à l'étranger. Ce n'est qu'ainsi qu'il sera possible de mettre la puissance financière du pays, plus que par le passé, au service de nos exportations. A ce sujet, nous rappelons d'autres propositions qu'a faites un de nos membres, M. le conseiller national Schmid-Buedin dans sa publication « Kann der schweizerische Export gefördert werden ? ».

D'autres Etats,
et même des pays qui sont nos principaux concurrents, nous ont précédés dans cette voie; parmi eux figurent les pays qui financent leurs exportations au moyen des intérêts et amortissements dont ils sont encore débiteurs envers d'autres peuples. » Le mémoire de la fédération des sociétés suisses d'employés recommande la création d'un organisme national de l'exportation, qui trouverait en une certaine mesure son couronnement dans une banque, à laquelle on confierait le monopole des exportations de capitaux. Jusqu'à présent, même des hommes politiques socialistes s'étaient bornés à proposer des monopoles pour l'importation des articles de grande consommation; bien que

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ces propositions ne nous paraissent pas heureuses, on- pourrait cependant les examiner en partie. Mais, à notre connaissance, on n'avait pas encore proposé la création d'un organisme national, qui aurait à pourvoir à l'exportation d'articles les plus divers, tels que machines, horlogerie, produits chimiques et pharmaceutiques, textiles de toute nature, en un mot des innombrables produits manufacturés que la Suisse fournit à l'étranger.

Le mémoire omet de nous dire pourquoi un tel organisme d'exportation pourrait trouver des conditions plus favorables et soutenir plus facilement la concurrence que l'industriel isolé, qui met toute son intelligence, sa puissance d'action et son énergie au service de son entreprise, alors que groupés dans un organisme d'importation, les divers producteurs et exportateurs seraient réduits au rôle de simples .numéros, traités autant que possible sur un pied d'égalité. Il est vrai qu'en vue de faciliter la vente de nos produits, on propose de créer une banque d'exportation. Ce serait une grave erreur de croire qu'une telle banque pourrait, grâce à l'exportation de capitaux, obtenir au profit de notre économie des concessions" plus étendues que celles qui seraient faites aux différents groupes bancaires; en effet, dans des cas de ce genre, il importe que l'opération à réaliser soit discutée personnellement et confidentiellement. Si cette discussion était conduite par un grand organisme, l'affaire échouerait. La proposition dont il .s'agit surestime ce que nous pouvons espérer retirer, en ce domaine, de l'exportation de capitaux; cette exportation n'a d'ailleurs plus grande importance actuellement. Enfin, les auteurs de cette proposition oublient que le libre trafic des capitaux est une des conditions du maintien et du développement des placements étrangers dans notre pays. Rappelons en outre que la création d'une banque d'exportation à caractère monopoliste obligerait la Confédération à participer à la constitution de ses ressources et que l'Etat aurait ainsi à supporter une partie des risques découlant de l'exportation des capitaux. Cela serait d'autant plus dangereux que l'exportation des capitaux et les opérations à l'étranger impliquent aujourd'hui des risques croissants.

On le voit donc, les auteurs de l'initiative préconisent des solutions extrêmes, qui pourraient
avoir pour notre pays les plus funestes conséquences et nous.nous félicitons que ce fait ait été mis en lumière par le mémoire des sociétés d'employés. On tend non seulement à monopoliser les importations et à centraliser les exportations, mais on voudrait aussi monopoliser l'exportation des capitaux. De là à la socialisation des banques et de toute l'économie financière -- et, disons-le d'emblée -- à la décadence de notre économie nationale, il n'y a plus qu'un pas.

Pour réglementer le marché financier, il ne suffit pas de mettre le pouvoir d'achat et la puissance financière du pays au service de l'exportation. Cette réglementation pose aussi un problème ; économique d'ordre intérieur. Les auteurs de l'initiative entendent réglementer méthodiquement le capital, en tant que facteur actif. Evidemment, seul l'Etat pourrait

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réaliser cette réglementation et encore faudrait-il qu'elle fût fédérale.

Toutes les banques et toutes les caisses d'épargne seraient mises au service de l'Etat, leur administration serait indubitablement soumise à son contrôle et à sa surveillance. La suppression du secret des banques serait la conséquence logique des projets fantastiques vraisemblablement conçus dans certains milieux.

Si le peuple suisse adoptait l'initiative de crise, l'Assemblée fédérale pourrait prendre toutes ces mesures à titre définitif. Aux termes du chiffre 6 de l'article constitutionnel proposé, elle serait souveraine dans ses décisions et aucun referendum ne pourrait lui être opposé.

Nous doutons fort que le peuple suisse veuille se livrer à de telles expériences, dont les conséquences seraient infiniment plus dangereuses que celles qu'aurait entraînée l'adoption du projet concernant les prélèvements sur la fortune. Nous sommes persuadés que le bon sens de notre peuple fera à ces propositions le sort qu'elles méritent.

.Chiffre 2, lettre i, de l'initiative : Contrôle des cartels et des trusts.

L'initiative demande qu'un contrôle soit exercé sur les cartels et les trusts. Les cartels sont des organismes qui sont constitués en vue de réglementer les prix et d'autres conditions du marché. Ils visent donc -- c'est le cas tout au moins des cartels des prix -- au but que se proposent les auteurs de l'initiative, lorsqu'ils réclament la protection des prix. Il y a toutefois une différence en ce sens que la formation des cartels a pour mobile la défense d'intérêts économiques privés, alors que les auteurs de l'initiative voudraient une réglementation des prix et des salaires pour des motifs tirés de l'économie publique.

Nous constatons que les cartels sont très répandus en Suisse. Dans notre pays, ce ne sont pas seulement des entreprises à gros capitaux qui recourent à cette forme d'organisation; de nombreuses associations d'artisans et de commerçants sont aussi groupées en cartels. Notre économie publique n'est-elle pas surorganisée plus qu'aucune autre ? Il semble donc que le contrôle général et illimité des cartels soit quelque peu en contradiction avec le but même de l'initiative. La revendication émise par ses auteurs ne peut avoir qu'un sens, charger les associations de contrôler les prix et autres conditions du
marché, limiter les pouvoirs de ces associations et réglementer leur activité. Nous ne méconnaissons pas ce que cette idée peut avoir de sain. Nous avons bien l'impression que l'activité actuelle des cartels, qui jouissent d'une liberté complète et ne sont entravés par aucune prescription légale, a provoqué maints abus. Ces abus contribuent à stabiliser le niveau des prix, ils sont même fréquemment la cause de cette stabilisation. Mais, dès l'instant où l'on affirme qu'il ne faut pas toucher au niveau d'existence, comment justifier un contrôle des cartels ?

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Le but de chaque cartel est de maintenir élevé le niveau d'existence d'un groupe de producteurs, ce qui profite aux employeurs et, indirectement, -aux ouvriers et employés de la branche constituée en cartel. Entendrait-on, peut-être, limiter le contrôle à certaines catégories de cartels et soustraire à ce contrôle les cartels ou organismes similaires qui groupent les petits commerçants et les petits artisans? Le contrôle ne devrait-il s'appliquer qu'aux cartels groupant les grands capitalistes ? A notre avis, un contrôle des cartels devrait être général et s'exercer, moyennant certaines conditions, sur tous les cartels et tous les organismes analogues. Tout autre système conduirait à l'arbitraire et à l'injustice et constituerait une grave entorse au principe de l'égalité des citoyens devant la loi. Mais si l'initiative tend à un contrôle général des cartels, cette revendication nous paraît être en flagrante contradiction avec les autres dispositions fondamentales de l'initiative. Cette revendication apparaît comme un corps étranger dans l'ensemble du programme.

L'initiative prévoit en outre le contrôle des trusts. En Suisse, il n'y a que peu de trusts proprement dits; peut-être même n'en existe-il aucun.

Le fait que l'appellation « trust » figure au registre du commerce n'est pas encore la preuve qu'il y en ait en Suisse. En revanche, de nombreuses succursales de trusts étrangers ont établi domicile chez nous. Si ces sociétés, -elles aussi, devaient être « contrôlées », elles s'en iraient tout simplement et l'initiative n'aurait eu comme résultat que de faire perdre à la Suisse des capitaux imposables.

Si le contrôle, tel que le conçoivent les auteurs de l'initiative, devait être assuré, il faudrait que l'Etat fixât les limites des prétentions de chaque groupe organisé en cartel. Et comme l'Etat devrait garantir de façon générale le niveau des prix et des salaires, il se verrait obligé d'organiser les groupes de la production et du commerce non encore constitués en cartels et de créer sous son contrôle des cartels obligatoires, afin d'empêcher le fléchissement des salaires et des prix. Un tel système aurait pour effet de cristalliser toute notre économie et d'imposer une contrainte alors qu'un contrôle raisonnable des cartels devrait atténuer et non pas renforcer le régime auquel ceux-ci sont
soumis. Nous signalons à ce propos les divers mémoires que les associations d'employés ont adressé aux autorités fédérales, la motion Grimm du 6 juin 1924 sur les prix des produits pharmaceutiques, ainsi que les interpellations Grimm, Brugger et Schmid-Zurich sur les cartels, les trusts et la formation des prix, interpellations auxquelles le chef du département de l'économie publique a répondu le 14 juin 1927.

A la demande du département de l'économie publique, la commission d'étude des prix a fait une enquête sur une série de cartels. Ces enquêtes ont établi que, pour une part, les cartels tels qu'ils existent aujourd'hui, exercent sur notre économie publique une influence plutôt défavorable.

Toutefois, il est impossible de s'attaquer au régime qu'ils appliquent dès l'instant où la nouvelle politique économique que voudraient instaurer

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les auteurs de l'initiative s'inspire du principe suprême, selon lequel l'état actuel des salaires et des prix doit demeurer intangible. Au surplus, nous vous rendons attentifs au fait que notre message sur le contrôle des prix s'occupe de la question dont il s'agit ici et contient des propositions sur la façon dont pourraient être surveillés, dans l'intérêt de notre économie nationale, les prix fixés par les cartels et par des organismes similaires.

Si nous ne repoussons pas, dès lors, l'idée d'un contrôle raisonnable des cartels, cela ne saurait cependant nous engager à adhérer à l'ensemble de l'initiative.

Chiffre

3 de l'initiative : La Confédération peut faire appel aux cantons et aux organismes économiques pour l'accomplissement de ces tâches.

Aux termes de cette disposition, la Confédération « peut » faire appel aux cantons et aux organismes économiques pour l'accomplissement des tâches mentionnées dans l'initiative populaire.

Cette disposition a une grande importance: elle n'oblige pas la Confédération à « faire appel aux cantons », mais lui en donne la faculté. Cela vaut aussi pour les organismes économiques.

S'il s'agissait d'un article de la constitution mis sur pied dans des conditions normales et qui serait exécuté par la voie législative, la disposition énoncée sous chiffre 3 de l'initiative serait suffisante et son adoption pourrait être recommandée, car le concours des cantons ne peut pas être rendu obligatoire dans tous les domaines. Mais il ne faut pas se le dissimuler, l'initiative de crise a été lancée sous le signe de l'agitation qui caractérise la période que nous vivons et si elle était adoptée, ses partisans exerceraient sans doute une forte pression pour que les mesures d'application répondent le plus possible aux idées qu'ils défendent. Mais les cantons feraient à maints égards obstacle à de telles mesures. S'il est vrai que les cantons entravent souvent l'intervention des pouvoirs publics fédéraux, ils exercent plus souvent encore sur elle une action modératrice.

Il y aurait alors un danger certain, c'est que, pour l'exécution des dispositions énoncées dans l'initiative, on se passe largement du concours des cantons par souci d'uniformité. Et on ne pourrait guère espérer que les mesures d'application tinssent suffisamment compte des diverses régions du pays, de la ville et de la campagne, de la montagne et de la plaine.

Il se pourrait fort bien, nous le répétons, que les cantons fussent complètement tenus à l'écart dans la réglementation du placement et n'eussent pas l'occasion de se prononcer sur les dispositions qui diraient ce qu'il faut entendre par « conditions d'existence suffisantes ». On serait tenté d'établir partout des salaires et des prix aussi égaux que possible, quand bien même les conditions seraient différentes et d'appliquer d'une façon uniforme pour tout le pays les diverses dispositions de l'article constitu-

330

tionnel. Nous nous demandons si telles sont les intentions du peuple suisse.

Cet aspect de la question l'amènera sans doute à mesurer toute la portée de l'initiative.

Chiffre 4 de l'initiative : La Confédération peut, quand l'exécution de ces mesures l'exige, déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

Considérée isolément, une disposition de cette nature serait à notre avis justifiée. Aujourd'hui déjà, la Confédération n'est plus à même d'observer intégralement l'article 31 de la constitution fédérale. Néanmoins, diverses raisons nous engagent à mettre en garde contre la teneur de la disposition sous chiffre 4 de l'initiative. Il faut remarquer en premier lieu que la durée d'application de l'article constitutionnel est limitée. Il serait extrêmement difficile de revenir plus tard au principe de la liberté du commerce si l'on y dérogeait pendant un certain temps. En effet, après une période de 5 ou de 10 ans, non seulement les prescriptions légales se seraient adaptées au nouvel état de choses, mais on s'y serait habitué peu à peu.

Lors des études préparatoires relatives à l'insertion d'un nouvel article économique dans la constitution fédérale, on a examiné de très près le problème de la dérogation au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. On a pu constater alors que certains milieux ne sont nullement disposés à renoncer par une revision constitutionnelle au principe général de la liberté du commerce et de l'industrie. C'est pourquoi on a cherché à concilier les différents courants et on en est venu tout d'abord à poser les conditions qui devraient être remplies pour permettre une dérogation au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. On envisage, à bon droit selon nous, que cette dérogation ne pourrait intervenir qu'à titre exceptionnel et ne serait possible que si les intérêts vitaux de notre économie nationale ou de certaines branches de l'activité économique l'exigeaient impérieusement.

Le texte contenu sous chiffre 4 de l'initiative ne prévient en aucune façon une limitation superflue et abusive du principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Si l'initiative était adoptée, on serait fortement tenté d'y déroger dans une large mesure. On résisterait d'autant moins à cette tentation qu'aux termes du chiffre 6 de l'initiative,
l'Assemblée fédérale pourrait édicter souverainement les prescriptions nécessaires à l'application de l'article constitutionnel, alors que, normalement, de telles dispositions ne peuvent être introduites que par la voie législative. On peut présumer que dès l'entrée en vigueur du nouvel article constitutionnel les partisans de l'initiative soutiendraient que cet article accorde à l'Assemblée fédérale le pouvoir illimité de prendre toutes les mesures nécessaires à l'application de l'initiative. Il n'est pas probable que le parlement s'im-

331 poserait alors une grande réserve dans ce domaine. Même lorsque les intérêts vitaux de l'économie nationale ou de certaines de ses branches ne l'exigeraient pas, on abandonnerait purement et simplement le principe de la liberté du commerce et de l'industrie pour pouvoir agir méthodiquement.

La difficulté de trouver la juste solution dans ce domaine est illustrée par une requête que les sociétés coopératives ont adressée au Conseil fédéral le 20 octobre 1934. Toutes les fédérations de syndicats agricoles, parmi lesquelles les fédérations laitières, ainsi que l'union des sociétés coopératives suisses de consommation, l'union des coopératives suisses Concordia, l'association suisse pour l'amélioration du logement et la ligue des coopératrices de la Suisse demandent d'être mises au bénéfice d'un régime spécial. La requête de ces associations, qui porte la signature de 567,138 partisans de l'action coopérative, formule les revendications ci-après: «I. La Confédération favorise le groupement de la population en sociétés coopératives ayant pour but d'améliorer et de rendre moins onéreux la production, l'achat d'objets usuels et autres articles de première nécessité pour le compte des consommateurs, l'obtention de crédit, ainsi» que l'assurance des biens et des personnes. Il conviendra de tenir équitablement compte de ce principe lorsqu'il s'agira de développer les dispositions législatives dans le domaine économique.

II. Lorsque les autorités limiteront les importations, procéderont à la répartition des contingents, concluront des affaires de compensation ou prendront d'autres mesures analogues, elles tiendront compte avant tout de la nécessité, pour les sociétés coopératives, de faire face aux besoins de leurs membres et de tirer parti de leur production.

III. Au cas où serait prolongée la durée de validité de l'arrêté fédéral du 14 octobre 1933, interdisant l'ouverture et l'agrandissement de grands magasins, de maisons d'assortiment, de magasins à prix uniques et de maisons à succursales multiples, il conviendra de spécifier expressément que les sociétés coopératives basées sur le principe de la mutualité seront exclues de l'application de cet arrêté.

IV. Si des arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence étaient édictés dans l'intention de restreindre la liberté du commerce et de l'industrie,
ou si la constitution fédérale devait être revisée dans ce sens, le mouvement coopératif basé sur le principe de la mutualité ne devra pas en subir d'atteinte. » La requête déclare qu'elle n'a pas le caractère d'une pétition que le Conseil fédéral et les conseils législatifs auraient à discuter dans son ensemble, mais qu'elle est une manifestation de la volonté d'une grande partie de la population. Le mémoire demande que les autorités fédérales tiennent compte de cette volonté lors des délibérations de projets de lois,

332 d'arrêtés fédéraux ou d'autres mesures officielles relatives à des matières plus spécialement mentionnées dans la requête.

Nous n'entendons pas nous prononcer ici sur les revendications et les voeux formulés dans la requête. Nous nous bornerons à constater que cette requête réclame un traitement spécial pour le mouvement coopératif.

Elle exige expressément, pour l'action coopérative, le maintien de la liberté illimitée du commerce et de l'industrie. Cette revendication est en contradiction manifeste avec le principe énoncé sous chiffre 4 de l'initiative de crise. Cette initiative non seulement ne tient aucunement compte du désir exprimé par les coopératives de bénéficier d'un traitement spécial et d'être appuyées dans leur action, mais elle donne incontestablement la possibilité d'enrayer comme bon semblera le développement des coopératives. Nous nous bornons à faire cette constatation et nous demandons si les innombrables signataires de la pétition pourront accepter une solution qui est à l'opposé de ce qu'ils désirent. Il importait de poser cette question dès maintenant, car un grand nombre de personnes ont certainement signé et la pétition et l'initiative de crise.

E. Ce que l'initiative exige des finances de la Confédération.

1. Le financement des mesures envisagées par les auteurs de l'initiative.

Les mesures économiques que réclame l'initiative populaire auraient des conséquences incalculables. Il en est de même pour l'aspect financier de cette initiative. Elle ne mentionne aucun chiffre quelconque; nous ne sachions pas, en outre, que ses auteurs aient établi un programme financier définitif. En conséquence, pour juger de la portée financière de l'initiative, nous sommes obligés de nous fonder sur son texte même. Du chiffre 1, aux termes duquel la Confédération prend les mesures « nécessaires » pour combattre la crise économique et ses conséquences, il ressort que l'oeuvre envisagée par les auteurs de l'initiative n'a pas un cadre restreint.

Elle serait au contraire très étendue. Le second alinéa du chiffre 1 ne 'laisse subsister aucun doute à ce sujet; il déclare que les mesures ont pour but d'assurer des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens suisses.

Si nous cherchons à nous représenter les conséquences financières du projet en nous fondant sur les diverses
revendications formulées sous chiffre 2, nous constatons tout d'abord que les auteurs de l'initiative exigent que la Confédération combatte la baisse générale des salaires et du prix de la production agricole et artisanale. Il est clair que cette disposition vise également les traitements et salaires des fonctionnaires, · employés et ouvriers de la Confédération, des cantons et des communes, qui doivent maintenir ces traitements et salaires à leur niveau actuel et donner ainsi le bon exemple. Il est superflu d'insister sur les effets que cette

333

mesure aurait pour la Confédération et en particulier pour ses établissements en régie. Nous en avons fait l'expérience, le soutien du prix en-' traîne, lui aussi, de grands sacrifices financiers. Mais l'initiative s'inspire, semble-t-il, de l'idée que les sacrifices consentis jusqu'ici dans ce domaine doivent être encore plus considérables, notamment en faveur du soutien du prix des produits artisanaux.

Aux termes de la lettre b, la Confédération devrait veiller à protéger les salaires et les prix de manière à assurer un revenu du travail suffisant.

Cette disposition, dont la nature est surtout économique, a également une grande portée financière en ce sens que la Confédération devrait intervenir chaque fois que les salaires et les prix ne pourraient pas être maintenus.

Dans notre message du 9 octobre 1934, nous nous sommes déjà prononcés sur les mesures prévues par la lettre c (procurer du travail par un effort méthodique). Nous avons souligné dans ce message les dépenses énormes qu'entraîné la création méthodique de possibilités de travail.

Les auteurs de l'initiative, croyons-nous, réclament un programme considérablement plus vaste que celui qui est prévu par l'arrêté fédéral du' 21 décembre 1934. Comme vous le savez, nous inspirant de considérations d'ordre financier, nous avons toujours estimé qu'une certaine réserve s'impose dans l'exécution de travaux de secours. Ainsi que nous l'avons souvent déclaré, nous sommes d'avis que notre économie est surcapitalisée et qu'il faut se garder d'y engager de nouvelles sommes qui ne produiraient pas d'intérêt et ne pourraient être amorties. Le message du 9 octobre 1934 démontre aussi que notre pays a déjà exécuté des travaux importants pendant les décennies écoulées, que la correction des rivières et des ruisseaux est achevée, que des routes de.montagne ont été construites, que le réseau ferroviaire de la Confédération et des entreprises privées est déjà beaucoup trop dense et que la production des usines hydroélectriques laisse un excédent inutilisé. Dans ces circonstances, ajoutions-nous, il est difficile de trouver des travaux ayant une réelle valeur productive. Cette opinion fut entièrement confirmée par le rapport Rothpletz-Grimm, qui, lui aussi, met au premier plan les mesures à prendre pour relever l'exportation.

Notre message précité démontre
en outre que le service de travail est onéreux et que l'assurance-chômage au moyen de possibilités de travail créées artificiellement impose aux pouvoirs publics des dépenses qui représentent un multiple de celles de l'assurance-chômage et de l'aide de crise.

Si l'on voulait accéder aux voeux des auteurs de l'initiative, il y aurait lieu de craindre que des sommes considérables fussent nécessaires pour procurer du travail par un effort méthodique. Il est absolument impossible de se faire une idée exacte de l'importance de ces sommes ; mais il est permis de penser que l'adoption de l'initiative par le peuple serait interprétée comme une victoire des partisans d'un vaste programme de travaux à

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créer artificiellement. Si l'on considère que, malgré l'exécution de ce pro'gramme, le mot d'ordre serait certainement d'assurer un revenu du travail suffisant et de refuser toute baisse de salaire, on peut imaginer que les travaux dont il s'agit coûteraient encore plus cher et que les deniers fédéraux ne seraient pas ménagés.

Les dispositions prévues sous lettres d et e obligeraient la Confédération 1° à dégrever les entreprises agricoles surendettées et à alléger le service des intérêts pour permettre aux familles de paysans et de fermiers capables de conserver leurs domaines; 2° à dégrever les entreprises artisanales tombées dans la gêne sans leur faute.

Il est possible de se faire une idée des dépenses qu'entraîneraient les dispositions précitées si l'on se rappelle que le projet présenté par l'union suisse des paysans en janvier 1935 et visant au désendettement de l'agriculture prévoit à lui seul une mise de fonds d'un milliard environ. Cette somme suffirait-elle ? Personne ne peut le dire. Cela dépend entièrement des fluctuations des prix de production et des principes dont s'inspirerait l'oeuvre de désendettement.

Nous avons déjà exposé les mesures prises en matière de désendettement agricole, notamment l'oeuvre de secours exécutée par l'intermédiaire des caisses d'aide aux paysans. Nous ne nous dissimulons pas que dans ce domaine des mesures plus étendues devront encore être prises selon les circonstances. Mais elles ne sauraient dépasser certaines limites.

Il est impossible d'évaluer les montants qu'exigerait l'oeuvre de désendettement des entreprises artisanales. Rappelons-le d'emblée, on ne pourrait guère se borner à secourir uniquement l'artisanat proprement dit. Il faudrait dégrever également les petits commerçants et les entreprises industrielles, d'autant plus que le terme « arts et métiers » figurant dans la constitution comprend aussi et non sans raison l'industrie.

La demande d'initiative prévoit sous lettre / que' la Confédération garantirait une assurance-chômage et une aide de crise suffisantes. Les dépenses qu'entraînerait cette garantie varieraient selon l'interprétation qui serait donnée par la suite à la disposition constitutionnelle proposée par les auteurs de l'initiative. Cette disposition demande sans aucun doute que l'on s'abstienne de toute réduction de
l'assurance-chômage et de l'aide de crise et que, le cas échéant, des taux plus élevés soient fixés. Nous reconnaissons pleinement que les pouvoirs publics doivent aider les chômeurs sérieusement et autant que possible; c'est là une des tâches sociales les plus élevées. Nous redoutons toutefois que l'adoption de l'initiative ait pour conséquence d'amener une forte augmentation des dépenses qui, en 1933 et seulement pour la Confédération, furent déjà d'environ 36 millions de francs.

335

Nous ne chercherons même pas à évaluer en chiffres les dépenses qu'entraîneraient les mesures que nous venons d'examiner brièvement. Les éléments d'appréciation manquent. D'après les expériences qui ont été faites au cours des discussions parlementaires, nous pensons que les mesures proposées par les auteurs de l'initiative seraient appliquées avec beaucoup de largesse et sans qu'il soit suffisamment tenu compte de la situation des finances de l'Etat. L'initiative ne s'inspire pas de l'esprit d'économie.

Ses auteurs croient pouvoir imposer à la collectivité des charges de plus en plus lourdes; il ne se soucient pas d'une bonne gestion financière. Dans le commentaire intitulé « Pour le travail et le pain quotidien » que la communauté nationale d'action a publié au sujet de l'initiative, il est dit que l'on peut évidemment attribuer des proportions fantaisistes aux sommes nécessaires à l'exécution du programme. Le commentaire reconnaît ensuite que la dépense qu'il faudra faire doit être proportionnée aux forces économiques et politiques du pays. Si nous comparons cette affirmation avec un passage du commentaire, aux termes duquel « il faut mettre en oeuvre toutes les ressources encore abondantes dont dispose le peuple suisse pour amener un juste équilibre et une équitable répartition des charges », nous ne pouvons nous empêcher d'éprouver quelque inquiétude quant à l'interprétation future d'une telle disposition et quant à ses conséquences financières.

Nous nous gardons de toute exagération et nous voulons bien croire qu'une grande partie des auteurs et signataires de l'initiative désirent demeurer dans les limites du possible. Comment ces limites seront-elles tracées ? Nous l'ignorons. Nous sommes persuadés que l'adoption de l'initiative susciterait des appétits innombrables auxquels les chambres fédérales, vu le vote affirmatif du peuple, n'auraient guère la force de s'opposer d'une manière efficace. Ce serait le début d'une surenchère effrénée entre les divers groupements économiques et professionnels, et on ne peut nier que la dépense totale se traduirait en milliards et non plus en millions,.

Non seulement le budget actuel ne serait pas allégé, mais un grand nombre des articles de dépenses subiraient une nouvelle augmentation, à laquelle viendraient s'ajouter les dépenses nécessaires pour
faire face à toutes les revendications nouvelles. Comment évaluer cet accroissement annuel des dépenses ? Un calcul définitif ne saurait être fait, faute des éléments nécessaires. Mais, d'après ce que nous savons et vu les courants qui se manifestent aujourd'hui déjà, vu surtout la ferme volonté de venir en aide qui se dégage de l'initiative et qui procède de l'idée que l'Etat est tout-puissant et dispose de ressources inépuisables, il s'agirait, en millions de francs, de nombres à trois chiffres, dont on ignore quel serait le premier.

Sans porter un jugement trop sévère, on peut affirmer que, tout bien considéré, l'adoption de l'initiative entraînerait des dépensés illimitées qui imposeraient des charges inouïes aux finances publiques.

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2. Comment se procurer les sommes nécessaires à l'exécution des mesures ' 'prévues far l'initiative ?

Alors que, s'agissant des mesures économiques, la demande d'initiative est très complète et très explicite en ce qui concerne l'aide promise pour ainsi dire à chacun, elle ne renferme que des dispositions sommaires sur les moyens de se procurer les sommes nécessaires à l'exécution de ces mesures. Ce laconisme est compréhensible. Les impôts ne sont pas populaires.

Lorsque le citoyen évalue la charge qui lui incombe, il s'aperçoit" qu'il est impossible d'aider à tous si chacun ne verse pas sa contribution. C'est pourquoi l'initiative s'est bornée à prévoir que pour financer les mesures spéciales de crise, la Confédération met à disposition les sommes nécessaires, sous forme de crédits complémentaires. L'initiative prévoit que la Confédération se procure les fonds nécessaires par l'émission d'obligations à prime ou d'emprunts et par des prélèvements sur ses recettes courantes. Ainsi a été introduite dans la demande d'initiative une disposition qui est propre à tranquilliser les grandes masses de la population et à leur dissimuler les difficultés du financement. Personne, dira-t-on au peuple, n'est obligé d'acquérir des obligations à prime, mais ceux qui désirent en souscrire peuvent encore tirer un profit pécuniaire de cette opération. Aujourd'hui, le financement au moyen d'emprunts et l'accroissement des dettes de l'Etat ne sont malheureusement plus traités et refusés avec la même prudence qu'auparavant. En parlant de recettes courantes, on cherche à donner au citoyen l'impression que ces recettes jaillissent en réalité d'une source intarissable pour entrer dans les caisses de l'Etat.

Examinons de plus près la question du financement.

Le prélèvement à opérer sur les « recettes courantes » est chose impossible, car il n'y a pas de recettes disponibles. Le compte d'Etat delà Confédération pour 1934 accusera sans doute un déficit d'environ 30 millions de francs, malgré la compression des dépenses et la création de nouvelles recettes par l'application du programme « financier ». Le budget pour 1935 prévoit un déficit de 41,5 millions. Ne sont pas comprises dans le budget toute une série de dépenses importantes qui s'avéreront nécessaires en cours d'exercice. Les dépenses courantes ne sont pas seulement
engagées, mais elles ne suffisent même pas à couvrir les dépenses que la Confédération doit faire. Que serait-ce si l'initiative était adoptée ?

Il est extrêmement difficile de créer de nouvelles recettes. Alors qu'avant la guerre, le peuple suisse payait des impôts et contributions pour un montant d'environ 268 millions de francs, il en supporte aujourd'hui pour 1 milliard de francs. La Confédération a déjà introduit une contribution de crise, c'est-à-dire un impôt sur le revenu et, dans une faible mesure, sur la fortune également. L'imposition du revenu et du bénéfice dans les communes, les cantons et la Confédération est très considérable. Mentionnons en outre l'impôt sur les coupons. S'il fallait tirer de plus fortes recettes

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de la fortune et du revenu, ce qui paraît très problématique, on ne pourrait guère éviter de soumettre également à l'impôt les petites fortunes et les revenus modestes exonérés jusqu'ici. De cette façon seulement, il serait possible d'obtenir une augmentation des recettes. Par ailleurs, il est intéressant de constater que les milieux qui réclament le plus l'aide de l'Etat recommandent de nouveaux impôts de consommation: le blé devrait fournir 50 millions, la benzine 40 millions, l'huile de chauffage 16 millions, le sucre environ 16 millions de francs. De ces diverses impositions, la dernière serait justifiée à condition qu'elle ne dépassât pas certaines limites ; mais elle aussi grèverait la consommation. Une forte imposition du blé, de la benzine, de l'huile de chauffage et autres marchandises' ferait augmenter le coût de la vie à une époque où le nombre des chômeurs augmente et où la Suisse a un intérêt incontestable à diminuer le coût de la production.

D'ailleurs, les impôts de consommation qu'il serait possible d'introduire suffiraient à peine à rétablir l'équilibre des finances fédérales. Que serait-ce si l'initiative de crise, avec les énormes dépenses qu'elle implique, était adoptée ? Les dépenses que provoquerait l'application du nouvel article constitutionnel n'auraient aucune espèce de couverture. Toutes les impositions imaginables devraient être tentées et, en définitive, elles paralyseraient notre vie économique et multiplieraient à l'infini nos difficultés.

Il faut bien s'en rendre compte, notre économie est affaiblie ; à quelques exceptions près, toutes les branches de la production souffrent de la crise, qui menace encore de s'aggraver. Notre industrie ne maintient en activité un grand nombre de ses exploitations qu'en travaillant à perte. En réalité, les pertes qui se sont produites ne se sont pas encore toutes manifestées.

Comment une économie déjà fortement grevée et travaillant trop cher pourrait-elle encore supporter de nouvelles et lourdes charges ? On ne saurait comparer la situation actuelle au temps de guerre, consécutif à une période de prospérité économique. Même pendant la guerre, les affaires commerciales dans notre pays allèrent assez bien. A cette époque et plus tard, l'impôt de guerre et l'impôt sur les bénéfices de guerre furent payés en général au moyen des
recettes courantes. La Confédération et les cantons pouvaient compter sur le produit de ces impôts pour le service de l'intérêt et de l'amortissement des emprunts de mobilisation. Aujourd'hui, la situation est bien différente. Nous n'ignorons pas que la contribution fédérale de crise pèse sur notre économie privée beaucoup plus lourdement qu'autrefois l'impôt de guerre et l'impôt sur les bénéfices de guerre. Nous donnerons plus loin quelques indications sur l'accroissement de la dette fédérale. Bornons-nous ici à constater une chose: la main-mise sur le capital et la fortune, proposée par les auteurs de l'initiative, conduirait à l'abîme notre économie, gravement atteinte aujourd'hui déjà.

Reste le moyen de l'emprunt. En période extraordinaire, il est permis jusqu'à un certain point de recourir à des emprunts qui peuvent être Feuille fédérale. 87° année. Vol. I.

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remboursés à une époque qu'on peut présumer meilleure. Un emprunt se justifie notamment lorsque les sommes qu'il fournit servent à créer des valeurs productives. Même dans les mileux favorables à l'initiative, on estime que cette condition devrait être remplie. Leurs journaux écrivent ce qui suit pour justifier le système des emprunts : « Cela (c'est-à-dire le système des emprunts) est surtout admissible lorsque les sommes fournies par ces emprunts et dues aux souscripteurs servent à des travaux productifs, lorsque des dettes précédemment contractées sont en partie amorties et lorsqu'il existe des réserves considérables. -- Or, la Suisse remplit ces trois conditions. » En est-il bien ainsi? Le rapport Rothpletz-Grimm et notre message du 9 octobre 1934 sur les possibilités de travail montrent qu'il est extrêmement difficile d'exécuter des travaux qui aient une réelle valeur productive. Il suffit de rappeler que notre appareil d'exportation est déjà trop grand et ne trouve plus un emploi suffisant et que dans notre économie intérieure se trouvent engagés beaucoup trop de capitaux, dont il faut payer l'intérêt, qui devraient être amortis, mais qui n'ont aucune espèce de valeur productive. Comment, dans ces circonstances, créer de nouvelles occasions de placement 1 Nous l'avons déjà dit, on a exagéré la construction des maisons d'habitation et une réaction risque de se produire. Nous avons éteint une modeste partie de notre dette, puisque celle-ci s'élève pour la Confédération à environ 1,7 milliard de francs. La dette des chemins de fer fédéraux s'accroît chaque année d'une somme très considérable. Enfin, on ne saurait soutenir sérieusement que notre économie dispose de grandes réserves. Ceux qui l'affirment s'illusionnent eux-mêmes et méconnaissent complètement la véritable situation économique. Par ailleurs, nous avons déjà prouvé que les réserves fiscales font défaut et que la Confédération, les cantons et les communes exploitent déjà tous les impôts imaginables. Les réserves économiques sont presqu'entièrement épuisées. Le capital s'amoindrit, les dépôts d'épargne et autres dépôts de fonds, ainsi que les obligations de caisse de nos banques vont en diminuant; de grosses pertes se sont produites; il faut s'attendre à d'autres.

Toutes les catégories professionnelles se trouvent dans une situation
difficile et même tragique.

Pour toutes ces raisons, la Confédération doit se montrer réservée en matière d'emprunts ; il y va de son crédit et il ne faut pas entraver la baisse du loyer de l'argent, qui, dans les circonstances actuelles, serait de l'intérêt général et contribuerait à surmonter bien des difficultés. D'ailleurs, les dettes de la Confédération (y compris celles des chemins de fer fédéraux), des cantons et des communes s'accroîtront encore, même si la lutte contre la crise ne déborde pas le cadre actuel. En 1933, les comptes des administrations publiques en Suisse accusaient un déficit total de près de 200 millions de francs. Et même si cette énorme somme contient certains éléments amortissables, il faut considérer par ailleurs que différents cantons et diffé-

339 rentes communes ne débitent pas leurs comptes administratifs de toutes les dépenses extraordinaires. Les budgets de la Confédération, des chemins de fer fédéraux, des cantons et des communes prévoient pour l'année 1934 un déficit total qui dépasse 210 millions de francs. Il est clair que, pour couvrir ces déficits, il faudra contracter des dettes auprès des banques et sur le marché des capitaux. Certes, la plupart de nos corporations de droit public cherchent de nouvelles sources de revenus et usent de la plus stricte économie afin de rétablir l'équilibre de leurs finances, continuellement rompu par la crise persistante. Mais elles n'y parviennent pas toujours sans contracter de nouvelles dettes.

Le tableau reproduit ci-après montre combien les emprunts émis par les collectivités publiques mettent à contribution le marché suisse des capitaux. En examinant ce tableau, il faut se rappeler que 1929 a été une année-type de prospérité: Nouveaux apports de capitaux fournis par des obligations et des actions mises en souscription publique.

1929

1933

1934

En millions de francs

Emprunts de collectivités p u b l i q u e s . . .

Emprunts privés Emprunts étrangers Emission d'actions suisses

35 213 110 508

168 108 1 6

314 114 5 8

Total des emprunts et des actions . . .

866

281

441

De ce tableau, il ressort que, dans les bonnes années, les pouvoirs publics n'ont fait appel que dans une faible mesure au marché des capitaux.

En l'année de crise 1933, ils y ont recouru déjà pour un montant de 168 millions et en 1934 pour 314 millions de francs. Si l'initiative de crise était adoptée, le marché des capitaux serait soumis ces années prochaines à une épreuve particulièrement rude.

Pour placer des emprunts, il faut pouvoir faire appel aux épargnes courantes de la population. La fortune et le travail doivent donner un rendement suffisant et constant pour permettre des économies. Dans le peuple, on se nourrit trop souvent de l'idée fallacieuse que la Suisse ne manque pas d'argent, qu'il suffit de le chercher là où il est. Lors de chaque emprunt dont les souscriptions accusent des résultats favorables, on dit que la Suisse nage dans l'or et qu'elle est encore très riche. Ce n'est qu'une illusion.

Les crises économiques libèrent des fonds de roulement qui s'accumulent dans les banques et cherchent un placement à court terme. Mais ce n'est pas de l'épargne courante. Sous la pression de l'offre, le taux de l'intérêt

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baisse sur le marché de l'argent et cette pression se répercute petit à petit sur le marché des capitaux. Mais si la demande de capitaux était aussi forte que dans les années prospères, la hausse rapide du taux de l'intérêt des emprunts révélerait le recul effrayant de l'épargne courante. Nous estimons que l'épargne courante ne représente plus que le quart de ce qu'elle était en temps normal. Comme le démontre le tableau ci-dessus, l'épargne courante n'est actuellement mise à contribution que par les collectivités publiques et par l'industrie du bâtiment, du moins pour une bonne part. Tout accroissement des emprunts de la Confédération, des chemins de fer fédéraux, des cantons et des communes finirait par arrêter la baisse du taux de l'intérêt. Ce n'est pas sans raison que l'année 1934 est marquée par la stabilisation du taux de l'intérêt. Si l'on empruntait sur une plus large échelle encore -- ce serait la conséquence de l'adoption de l'initiative de crise -- tous les taux d'intérêt augmenteraient. Le renchérissement du crédit hypothécaire paralyserait la construction des logements, accroîtrait le chômage et arrêterait la baisse des loyers. L'agriculture fortement endettée, à laquelle la baisse actuelle des intérêts paraît encore insuffisante, serait amèrement déçue. Les collectivités publiques, contraintes de faire des dettes pour financer l'assistance et l'assurance des chômeurs, n'obtiendraient-de l'argent qu'à des conditions plus onéreuses. Il se pourrait même que l'un ou l'autre de nos cantons ou de nos communes se trouvassent dans l'impossibilité d'obtenir du crédit. Mais le taux de l'intérêt serait encore exposé à un autre danger.

Si l'endettement de la Confédération s'accroissait, l'étranger, qui observe avec méfiance l'évolution de la crise en Suisse, ne manquerait pas de saisir cette occasion et de spéculer à la baisse sur le franc suisse. Etant données les fâcheuses expériences faites pendant la guerre, l'après-guerre et tout spécialement au cours de ces dernières années, on est devenu très méfiant dans le monde et l'on prête à chaque Etat l'intention de recourir à la dépréciation de la monnaie ou à l'inflation, si les autres mesures prises pour lutter contre la crise n'aboutissent pas au résultat désiré. Il faut être aujourd'hui plus vigilant que jamais, il faut éviter tout ce qui
serait de nature à éveiller la méfiance, tant à l'étranger qu'en Suisse. Le fléchissement de la confiance dans le franc suisse aurait pour conséquence de forts retraits d'argent, des retraits de dépôts étrangers et la thésaurisation de l'or.

Cette situation entraînerait le resserrement du marché des capitaux et une augmentation du taux de l'intérêt. Ses répercussions ne tarderaient pas à atteindre nos débiteurs.

Quant à savoir si la Confédération doit émettre des obligations à prime, c'est une question d'ordre secondaire. Nous n'entendons pas y répondre · à titre définitif et nous ne voudrions pas nous prononcer négativement d'entrée de cause. Il faudrait d'abord déterminer dans quelle mesure et comment se ferait cette émission. On peut d'ores et déjà affirmer qu'il ne faudrait pas s'attendre à un fléchissement sensible du taux de l'intérêt

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des fonds fournis par l'émission d'obligations à prime. De tout temps, la Confédération a eu le droit d'émettre des titres de cette nature. Cette attribution lui a été conférée expressément par la loi fédérale du 8 juin 1923 sur les loteries et les paris professionnels. Pour des raisons d'ordre moral et technique, la Confédération n'a jamais fait usage de ce droit.

L'emprunt à primes est une forme de la dette.consolidée. Il a le caractère de loterie en tant que le montant des intérêts est employé partiellement ou intégralement à constituer des primes. Ces dernières exercent un attrait particulier sur le public, de sorte que l'Etat peut faire face à ses besoins d'argent à des conditions plus favorables qu'en contractant un emprunt à des conditions normales. L'histoire financière de l'étranger nous apprend que les Etats recourent tout particulièrement à l'émission d'emprunts à primes en des temps où le crédit de l'Etat est ébranlé, quand la situation politique est troublée ou lorsque les finances publiques sont dans le marasme. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si, au cours de ces dernières années, les emprunts à primes, tout spécialement ceux qui ont un but déterminé, sont de nouveau en vogue.

Par la loterie, l'Etat exploite l'attrait que le jeu exerce sur l'homme et procure ainsi une source de revenus au fisc. En émettant des emprunts à primes, il exploite la passion du jeu pour satisfaire ses besoins en capitaux. La critique la plus grave qu'on puisse émettre contre la loterie, c'est qu'elle excite la passion du jeu. Ce reproche peut aussi s'adresser au système des obligations à prime, bien qu'on soit porté à le juger moins sévèrement.

D'ailleurs, nous ne pensons pas que par ce moyen la Confédération pourrait se procurer d'importantes ressources. D'après les observations concordantes des techniciens, les portefeuilles des personnes qui ont de la fortune en Suisse ne contiennent que rarement des valeurs à primes.

Ces titres ne jouissent que de peu de faveur dans ces milieux. Avant l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur les loteries, le colportage des valeurs à primes était fort en vogue. Il fut alors constaté que c'étaient surtout les petites gens, sans expérience des questions financières, qui achetaient de telles valeurs. Une chose paraît acquise, en tout état de cause: les possir
bilités de placement d'emprunts à primes de la Confédération seraient très limitées sur le marché financier suisse.

En résumé, on peut dire que les moyens de financement'prévus sous chiffre 5 de la demande d'initiative sont insuffisants et qu'on ne pourrait pas attendre des résultats efficaces de l'émission d'obligations à prime par la Confédération. Les considérations que nous venons d'exposer prouvent qu'il serait impossible de se procurer les ressources nécessaires pour appliquer les mesures prévues par l'initiative. Un peuple ne peut pas inscrire comme bon lui semble dans sa constitution des revendications et principes d'ordre économique et financier. Au-dessus des lois écrites qui régissent

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un Etat, il y a des lois économiques immuables, dont personne ne saurait briser la puissance. Le peuple qui se donne une législation éloignée de la raison et du possible se ménage des déceptions et devra se rendre compte que l'on ne peut pas lutter contre les lois qu'imposent inéluctablement les phénomènes économiques.

F. CONSIDÉRATIONS FINALES De l'exposé qui précède, il ressort que nous nous trouvons en présence d'un projet dont la portée est fondamentale. Son acceptation aurait une répercussion profonde sur notre politique économique et aiguillerait toute notre vie publique sur une voie nouvelle. Il ne s'agirait pas, comme d'aucuns pourraient le croire, de maintenir et de développer les mesures que nous avons prises jusqu'à présent. Le but et le contenu du nouvel article constitutionnel diffèrent foncièrement de ce qui a été fait jusqu'à maintenant.

La Confédération a tout mis en oeuvre pour sauver notre économie nationale, que menaçaient et que menacent encore dans son existence la paralysie des exportations, la régression considérable du tourisme et l'afflux de produits à bon marché importés de l'étranger. Et sa sollicitude s'est appliquée plus particulièrement aux milieux mêmes que voudrait protéger la demande d'initiative. Dans le réseau de toutes nos mesures s'affirme, tel un fil conducteur, la volonté de venir en aide aux gagne-petit, aux salariés, aux agriculteurs, aux petits commerçants et artisans.

Au début d'un mémoire qu'il a adressé au Conseil fédéral le 25 février 1935, un « comité d'action pour combattre la crise économique » prétend que le seul remède appliqué jusqu'à maintenant en vue de surmonter la crise aurait consisté à « réduire les salaires, diminuer les prix et abaisser le niveau d'existence de toutes les catégories professionnelles ». Affirmer pareille chose, c'est dénaturer effrontément les faits, étant donné surtout l'état actuel des salaires et des prix. Les auteurs du mémoire oublient notamment que les restrictions mises à l'entrée en Suisse de travailleurs étrangers, l'assurance-chômage et les mesures prises dans le domaine de la politique économique ont grandement contribué à soutenir les traitements et salaires. Sans compter les dépenses pour les travaux de secours et le service de travail, les chômeurs ont touché ces dernières années des indemnités dont le
montant total représente, en moyenne annuelle, 70 à 80 millions de francs. Pour les seules années 1932 à 1934, les indemnités de chômage ont atteint un total de 230 millions de francs. Or, la Confédération, les cantons et les communes ont fourni la portion de beaucoup la plus considérable de ces impressionnantes sommes. Apparemment, on oublie en outre que nombre de nos mesures prises en faveur d'exploitations industrielles ont eu aussi pour effet de soulager le sort de milliers d'ouvriers et employés. Quant à l'agriculture, elle touche actuellement plus de

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100 millions de francs par année; ces allocations, combinées avec les mesures économiques étendues que nous avons prises, servent principalement à soutenir les prix, lesquels déterminent à leur tour les salaires et le niveau d'existence des petits paysans et des ouvriers agricoles.

La vérité est que la Confédération, par les mesures qu'elle a'prises, a ralenti et fortement modéré la baisse des prix et salaires, qui, dans aucun autre pays, ne sont plus élevés qu'en Suisse.

Mais nous avons toujours affirmé -- et avec raison, croyons-nous -- qu'aucun pays, et surtout pas un petit pays comme la Suisse, ne saurait soustraire son territoire aux répercussions des grands événements économiques d'ordre universel et préserver sa population des conséquences de la crise. Tout ce qu'elle peut faire, disions-nous, c'est venir en aide temporairement, atténuer les effets de la dépression économique, répartir les' charges, pratiquer'la solidarité et,oau moyen des ressources dont peuvent disposer les collectivités publiques, préserver du pire les victimes de la crise. Nous avons en outre toujours relevé que nous pouvons bien réserver à l'activité nationale certains domaines, dont une bonne part était jusqu'à maintenant laissée à l'étranger; mais, par ailleurs, nous n'avons cessé de répéter que notre pays, dans la nécessité d'importer des matières premières et des denrées alimentaires, doit demander à l'exportation les apports nécessaires pour équilibrer notre balance commerciale et notre balance des comptes et pour procurer du travail à une grande partie de notre population.

Nous n'entendons nullement jeter par dessus bord la politique de solidarité et abandonner notre vie économique à son sort. Mais l'heure est venue où, vu la persistance de la crise, il faut bien distinguer entre le possible et l'impossible et -- nous l'avons dit et redjfc -- se rendre compte de la nécessité pour la Suisse d'ajuster sa vie économique à celle du monde et de se rapprocher des conditions de production dans les pays auxquels elle s'apparente par la mesure et le progrès. Nous devons dire la vérité au peuple et nous n'avons pas le droit de lui cacher que notre pays ne saurait, à la longue, rester dans une voie tout à fait différente de celle que suivent d'autres Etats avec lesquels nous sommes obligés d'entretenir des relations
économiques. Il s'agit ici beaucoup moins de notre volonté que de l'inéluctable nécessité. La situation particulière dans laquelle la Suisse se trouve aujourd'hui devient peu à peu intenable; aussi devons-nous agir judicieusement, avant qu'il soit trop tard, pour feridfe possible une adaptation progressive, de manière à éviter que cette dernière ne s'opère contre notre volonté, brusquement et avec violence, au grand préjudice du peuple.

Les partisans de l'initiative de crise surestiment la force de l'Etat; ils considèrent que la position économique de la Suisse est solide, qu'elle est facile à défendre et qu'il suffit de le vouloir. Ils entendent maintenir en tout état de cause le niveau des prix et salaires et croient ainsi conserver

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au pays un pouvoir de consommation qui lui permettrait de vivre selon son gré, sans tenir compte du niveau d'existence à l'étranger. Pour arriver à leurs fins, les partisans de l'initiative sont prêts à enchaîner l'économie privée, à l'assujettir entièrement à la contrainte de l'Etat et à lui ravir ainsi sa force vitale. Ils perdent de vue que la principale cause de notre faiblesse réside dans l'état de nos relations économiques avec l'étranger, dans l'énorme fléchissement de nos exportations, circonstances qui engendrent le chômage, avec les lourdes pertes qu'il entraîne pour les entreprises directement touchées et, par contre-coup, pour notre économie générale, et qui menacent leur existence même.

Dans son mémoire du 25 février 1935, le « comité d'action pour combattre la crise économique » cherche à calmer les esprits en faisant valoir ·que le fléchissement de nos exportations est parallèle à la diminution du commerce extérieur universel ou qu'il es0t même inférieur à celui des exportations d'autres pays. Cette constatation méconnaît deux faits extrêmement importants. Le premier, c'est que pour un pays comme la Suisse, dont la vie économique dépend à un si haut degré des exportations, un fléchissement égal, proportion gardée, à celui des exportations d'autres pays, a des conséquences infiniment plus graves que pour les Etats dont l'économie générale est beaucoup moins tributaire des revenus tirés de l'exportation. Le second fait méconnu par les auteurs du mémoire, c'est que, pour apprécier l'état des exportations de différents pays, il ne suffit pas de comparer la valeur-or des exportations. En effet, pour un Etat à monnaie dépréciée, dont le pouvoir d'achat à l'intérieur du pays n'a pas fléchi autant que le pouvoir d'achat de la même monnaie à l'étranger, c'est moins la valeur-or des exportations que leur valeur en monnaie nationale qui est déterminante pour les revenus et salaires que ce pays tire de ses exportations. La comparaison établie sur cette base montre que la Suisse se trouve dans une situation sensiblement plus défavorable que d'autres pays exportateurs.- Cela ressort du tableau reproduit ci-après: Recul des exportations de 1929 à 1933 d'après la valeur-or

Moyenne établie pour 12 pays

importants (i) Suisse

-- 65,3% --64 %

d'après la puissance d'achat de la monnaie à l'Intérieur du pays (le pouvoir d'achat en l'année 1929

étant fixé à 100)

--49% --56%

Les auteurs de l'initiative de crise -- c'est là une simple constatation -- ne proposant aucun moyen d'améliorer l'état de nos exportations, sont dès lors incapables de supprimer la principale cause du marasme écono(!) Suisse, Allemagne, Grande-Bretagne, Autriche, Tchécoslovaquie, France, Italie, Belgique, Japon, Suède, Etats-Unis d'Amérique, Hollande.

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mique dont souffre notre pays. Négligeant complètement ce fait indéniable, ils se leurrent de projets téméraires, vagues pour une part. Ils imputent à l'économie privée la responsabilité du malaise économique et s'imaginent qu'une économie dirigée par l'Etat aurait agi beaucoup plus judicieusement, aurait su prévoir et, à l'avenir, ferait beaucoup mieux en toutes choses.

Les auteurs de l'initiative prétendent, armés de dispositions constitutionnelles, engager la lutte contre la crise économique universelle, alors que l'Etat -- ils ne semblent pas s'en rendre pleinement compte -- n'a pas même le pouvoir d'agir de façon entièrement efficace sur l'économie intérieure; à plus forte raison ne saurait-il exercer une influence par delà les frontières. A notre avis, les auteurs de l'initiative n'ont pas suffisamment considéré que notre pouvoir de consommation diminue automatiquement, que les importations fléchissent, que, dès lors, dans nos négociations avec l'étranger, nous n'avons plus de quoi tant nous prévaloir de notre puissance d'achat et de consommation et que les pays d'où nous devons faire venir les marchandises qui nous sont nécessaires ne peuvent pas toujours acheter de nos produits dans une mesure correspondante. · Les auteurs de l'initiative, animés certes de bonnes intentions, mais méconnaissant la réalité, en arrivent à s'illusionner eux-mêmes et à formuler des propositions dont la réalisation aurait pour notre pays, nous l'avons prouvé, les plus graves répercussions dans l'ordre économique.

Mais nous avons démontré aussi que l'application du nouvel article constitutionnel exigerait d'énormes sacrifices d'ordre financier. Le mémoire du 25 février 1935, dont nous avons déjà parlé, affirme que l'initiative de crise n'imposerait au peuple suisse aucune nouvelle charge fiscale! On recommande un expédient: faire des dettes tout simplement, comme ce fut le cas pendant la guerre. Si, à cette époque, on s'est trouvé dans l'amère nécessité de devoir couvrir les pertes par des emprunts, pareil procédé serait condamnable aujourd'hui, en une période de dépression et de transformation économique, dont on ne peut mesurer la durée ; il compromettrait l'avenir de notre pays et chargerait les générations futures de dettes qui atteindraient des proportions incalculables, sans remédier à la cause du mal. Et
puis, il ne faudrait pas l'oublier, la Suisse, au début de la guerre universelle, n'avait une dette que d'environ 150 millions de-francs, non compris les engagements des chemins de fer fédéraux. Aujourd'hui, la dette globale de la Confédération s'élève à 1700 millions de francs. Et, par surcroît, les dettes des chemins de fer fédéraux ont passé de 1600 millions en 1913 à environ 3 milliards de francs. Alors qu'en 1913, les impôts et contributions ont fourni à la Confédération, aux cantons et aux communes une somme de 268 millions, les charges fiscales imposées au peuple suisse représentent aujourd'hui, nous l'avons déjà dit, environ 1 milliard de francs. Aussi serait-il difficile et bientôt impossible de se procurer

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par l'emprunt les sommes nécessaires pour faire face aux charges qu'imposerait l'initiative de crise. La confiance disparaissant, l'emprunt provoquerait une hausse du taux de l'intérêt et ébranlerait le crédit national.

En avouant que le seul moyen sérieux de se procurer les ressources nécessaires consiste à émettre des emprunts, c'est-à-dire à grever les générations futures, le comité d'action pour combattre la crise économique condamne l'initiative dé crise de la façon la plus sévère qui se puisse imaginer.

L'article constitutionnel que proposent les auteurs et signataires de l'initiative, nous le repoussons nettement et catégoriquement. Il est contraire à la conception que nous nous faisons de la vie ; il constitue un très grave péril pour notre Etat. A cette demande d'initiative, nous ne voulons opposer aucun contre-projet. Un contre-projet n'aurait de sens que s'il était de nature à amener une entente. Mais elle nous paraît impossible.

Il faudra mener la lutte jusqu'au bout. Mais qu'on ne l'oublie pas de part et d'autre: nous formons une communauté dont tous les membres sont solidaires dans les bons comme dans les mauvais jours; en définitive, un rapprochement s'imposera par la force des choses, car la Suisse est dans une situation extrêmement sérieuse, à laquelle il n'y a qu'une issue: la conciliation.

Bien que nous n'opposions pas à l'initiative un contre-projet revêtant la forme d'un article constitutionnel, nous n'en avons pas moins un programme pour combattre la crise dans l'ordre économique et social. Ce programme, dont nous avons parlé souvent, est en pleine voie de réalisation ; nous le poursuivrons, en tant que° les ressources financières de la Confédération le permettront. Il se fonde sur les mesures exposées dans le chapitre B. En l'établissant, nous nous sommes uniquement inspirés des intérêts généraux du pays et nous tenons à déclarer que nous n'avons fait nôtre aucun des programmes privés, quand bien même ils émanent de groupements hostiles à l'initiative. Nous rappelons ci-après les principaux points de notre programme: 1. Par notre politique commerciale envers l'étranger, nous chercherons, comme par le passé, à protéger autant que possible notre marché intérieur et à procurer des débouchés à notre exportation.

2. Nous continuerons à promouvoir nos exportations par
l'assistancechômagé productive et par la garantie de l'Etat contre les risques; au besoin, nous proposerons à l'Assemblée fédérale d'augmenter les crédits ouverts à cette fin.

3. Nous poursuivrons l'oeuvre de soutien des prix du lait et du bétail; nous maintiendrons et développerons dans les limites du possible les mesures de secours en faveur de l'agriculture.

4. Nous poursuivrons l'oeuvre de secours en faveur de l'hôtellerie et ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour développer le tourisme.

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5. La broderie et l'horlogerie, ainsi que l'industrie de la chaussure, qui, depuis un certain temps, lutte pour son existence dans des conditions difficiles, ne seront pas privées de notre concours encore nécessaire à leur assainissement. De même, nous ne refuserons pas notre aide morale et matérielle à d'autres industries importantes qui viendraient à chanceler.

6. Nous assurerons aide et protection aux'petites entreprises de l'artisanat et du commerce, par l'octroi de crédits en application de l'arrêté fédéral sur les moyens de combattre la crise. Si les intéressés le demandent, nous proposerons à l'Assemblée fédérale de proroger, le cas échéant après les avoir modifiés, les arrêtés fédéraux sur l'interdiction d'ouvrir des grands magasins et sur la protection du métier de cordonnier. S'il est nécessaire et possible d'étendre cette aide et cette protection à d'autres branches de l'artisanat et du commerce, nous y prêterons la main et présenterons aux conseils législatifs toutes propositions utiles.

7. Nous continuerons à venir en aide aux chômeurs par l'assurancechômage et les allocations de crise.

8. En exécution du programme exposé dans notre message sur Ics possibilités de travail et la lutte contre la crise, nous subventionnerons les travaux de chômage qui sont judicieux. L'élargissement des routes alpestres constitue un heureux complément de ce programme.

9. En développant le service public de placement, en favorisant le perfectionnement professionnel des chômeurs et leur passage à de nouvelles branches d'activité, en répàrtissant et en échelonnant judicieusement les possibilités de travail, nous nous appliquerons à en tirer le meilleur'par ti.

' Nous nous proposons aussi de soumettre aux conseils législatifs un projet tendant à fixer à quinze ans révolus l'âge à partir duquel lei enfants pourraient être admis à exercer une activité professionnelle.

Nous créerons la base qui donnera au Conseil fédéral, d'accord avec les associations intéressées des patrons et salariés, le pouvoir de réduire à moins de 48 heures la durée du travail dans les branches où cette mesure permettrait d'engager un plus grand nombre d'ouvriers et d'employés, sans léser les intérêts de la production.

10. Nous favoriserons la création d'industries nouvelles et tendrons à établir entre les organismes cantonaux et
communaux institués à cette fin une coopération profitable aux intérêts économiques du pays.

11. Nous développerons le service de travail pour les jeunes chômeurs et veillerons à perfectionner leurs connaissances professionnelles par l'organisation de cours; nous nous appliquerons à les faire passer dans des branches d'activité qui manquent encore de main-d'oeuvre.

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12. Nous vous présenterons sous peu un message, accompagné d'un projet d'arrêté fédéral, qui tend à élargir les attributions du service de contrôle des prix et celles de la commission d'étude des prix. Cet arrêté visera à empêcher que des prix injustifiés ne se stabilisent à la faveur de restrictions à l'importation ou d'accords semblables à ceux qui régissent les cartels.

Avant comme après le rejet de l'initiative de crise, le Conseil fédéral agira résolument dans le sens du programme exposé ci-dessus. Mais, cela va sans dire, il le fera dans les limites des ressources dont il dispose et il insiste pour que soit rétabli l'équilibre des finances fédérales. Il répudie expressément une politique malsaine et aventureuse, qui entraînerait des dépenses dont la charge ne pourrait être supportée. Il s'élève avec la plus grande énergie contre l'idée de recourir purement et simplement à des emprunts pour faire face aux dépenses que causerait l'initiative de crise, emprunts qui grèveraient l'avenir de notre pays et compromettraient le sort économique des générations à venir.

Nous ne prétendons pas que notre programme soit une panacée; son application et son succès dépendront non seulement de nous, mais aussi des événements. Cependant, nous croyons pouvoir dire, en nous fondant sur notre expérience, que ce programme reste dans les limites du possible et que, sauf circonstances imprévues, nous pourrons le réaliser.

L'initiative de crise poursuit des chimères. Elle fait des promesses qui ne pourraient être tenues. Sans se préoccuper de^ce qui se passe autour de nous et sans se soucier de la situation des pays dont le sort conditionne le nôtre, ses partisans voudraient que la Suisse vécût isolément et comme bon lui semble. Ce projet implique d'autant plus de contradictions que nombre de ses partisans sont des internationalistes. Les auteurs de l'initiative voudraient imposer à l'Etat la réalisation de projets utopistes; mais ils ne se demandent pas d'où viendraient les ressources nécessaires.

Ils veulent garantir les salaires et les prix, mais ils oublient que cette garantie dépend uniquement des conditions de notre exportation et de notre production, que l'initiative ne saurait guère influencer.

S'il était adopté, le nouvel article constitutionnel étoufferait le sens de la responsabilité individuelle et
enserrerait les libres initiatives et le peuple suisse dans l'étau d'un régime défectueux, à caractère socialiste, qui serait contraire aux idées du citoyen suisse, parce qu'il détruirait la liberté et conduirait notre pays à la ruine.

C'est au peuple qu'il appartiendra de choisir entre le possible et l'impossible, entre un programme qui a fait ses preuves et des projets obscurs et dangereux, entre une gestion publique fondée sur des bases solides et un régime qui renverserait nos conceptions et rendrait l'Etat entièrement responsable de l'évolution économique. Le peuple choisira entre un sys-

349 téme économique qui tient compte du reste du monde, dont nous sommes dépendants, et un antre système qui créerait au coeur de l'Europe un petit Etat socialiste et dont les promoteurs, par une présomption incompréhensible, croient pouvoir éliminer dans notre pays les répercussions de phénomènes économiques d'ordre international.

Que le peuple suisse se garde de toute illusion quant aux possibilités de réaliser l'initiative de crise; s'il l'adoptait, il se préparerait les plus douloureuses déceptions.

Nous vous recommandons de proposer au peuple le rejet de la demande d'initiative. Le projet d'arrêté y relatif est annexé au présent rapport.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 6 mars 1935.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, E. MINGER.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

350 (Projet.)

Arrêté fédéral sur

la demande d'initiative pour combattre la crise économique et ses effets.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu la demande d'initiative pour combattre la crise économique et ses effets et le rapport du Conseil fédéral du 6 -mars 1935 ; vu les articles 121 et suivants de la constitution et les articles 8 et suivants de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution, arrête : Article premier.

La demande d'initiative pour combattre la crise économique et ses effets est soumise au vote du peuple et des cantons. Cette demande d'initiative a la teneur suivante: « Conformément à l'article 121 de la constitution fédérale et à la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, les soussignés, citoyens suisses ayant le droit de vote, présentent la demande suivante: A. La constitution fédérale est complétée par l'article suivant: 1. La Confédération prend les mesures nécessaires pour combattre la crise économique et ses conséquences.

Ces mesures ont pour but d'assurer des conditions d'existence suffisantes à tous les citoyens suisses.

2. A cet effet, la Confédération veille: a. à maintenir le pouvoir de consommation du peuple en combattant la baisse générale des salaires et du prix de la production agricole et artisanale; b. à protéger les salaires et les prix de manière à assurer un revenu du travail suffisant; c. à procurer du travail par un effort méthodique et à réglementer le placement d'une manière rationnelle;

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d. à dégrever les entreprises agricoles surendettées et à alléger le service des intérêts pour permettre aux familles de paysans et de fermiers capables, de conserver leurs domaines; e. à dégrever les entreprises artisanales tombées dans la gène sans leur faute; /. à garantir une assurance-chômage et une aide de crise suffisantes ; g. à utiliser le-pouvoir d'achat et la puissance financière du pays, pour développer l'exportation des produits industriels et agricoles ainsi que le tourisme; h. à réglementer le marché financier et à contrôler l'exportation des capitaux; i. à contrôler les cartels et les trusts.

3. La Confédération peut faire appel aux cantons et aux organismes économiques pour l'accomplissement de ces tâches.

4. La Confédération peut, quand l'exécution de ces mesures l'exige, déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie.

5. Pour financer ces mesures spéciales de crise, la Confédération met à disposition les sommes nécessaires, sous, forme de crédits complémentaires. Elle se procure ces fonds par l'émission d'obligations à prime ou d'emprunts et sur ses recettes courantes.

6. L'Assemblée fédérale édicté définitivement et sans retard, après l'adoption du présent article, les prescriptions nécessaires à son application.

7. A chaque session ordinaire, le Conseil fédéral soumettra à l'Assemblée fédérale un rapport sur les mesures prises.

B. Le présent article est valable pour une période de cinq ans à partir du jour de son adoption. La durée de validité peut être prolongée d'une nouvelle période de cinq ans au plus par un arrêté de l'Assemblée fédérale. »

Art. 2.

L'Assemblée fédérale recommande au peuple et aux cantons le rejet de la demande d'initiative.

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire pour combattre la crise économique et ses effets. (Du 6 mars 1935.)

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273-351

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