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6207 RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative pour le financement des armements et pour la sauvegarde des conquêtes sociales (Du 22 février 1952)

Monsieur le Président et Messieurs, Le 19 décembre 1951, l'initiative du parti socialiste suisse pour le financement des armements et pour la sauvegarde des conquêtes sociales a été déposée à la chancellerie fédérale, munie de 147 092 signatures valables.

Le Conseil national et le Conseil des Etats ont pris acte, le 31 janvier et le 1er février, de notre rapport sur l'aboutissement de l'initiative (FF 1952, I, 65), en. nous invitant à leur présenter un rapport et des conlusions sur le fond.

L'initiative vise à l'utilisation aussi rapide que possible des sources de recettes devant servir à financer les armements. Elle se propose donc le même but que l'arrêté fédéral modifiant la constitution, déjà en délibération devant les chambres selon notre proposition (message du 30 novembre 1951 concernant le financement des dépenses pour l'armement; FF 1951, III, 929). Notre projet et l'initiative sont cependant en concurrence et s'excluent réciproquement. L'une et l'autre proposition de revision doivent être soumises au vote du peuple et ne peuvent être réalisées que si elles sont approuvées par la majorité des votants et par celle des cantons.

Si l'on veut que les efforts en vue du financement de l'armement aboutissent bientôt, il convient de donner aussitôt que possible au peuple et aux cantons l'occasion de se prononcer sur l'initiative. Il faudrait donc que les chambres expriment au plus tôt leur avis. Cette opinion est partagée par le Conseil national, qui nous a invités, par un postulat du 31 janvier 1952, à présenter notre rapport sur l'initiative assez tôt pour

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que les deux chambres puissent prendre leur décision quant au fond déjà lors de la prochaine session de mars.

Selon le mandat que nous avons reçu, nous présentons le rapport suivant.

I. TENEUR DE L'INITIATIVE L'initiative est rédigée comme il suit: t Les citoyens suisses soussignés, ayant le droit de vote, demandent que la Constitution fédérale soit complétée par l'adjonction suivante: Article premier Pour couvrir rapidement les frais du réarmement, s'élevant à 1464 millions de francs, déjà décidés par l'Assemblée fédérale, en vue de sauvegarder les conquêtes sociales et d'éviter l'accroissement de sa dette, la Confédération prend les mesures énumérées aux articles 2 et 3.

Art. 2 1. Les cantons prélèvent un sacrifice de paix pour le compte de la Confédération et sous son contrôle.

2. Le sacrifice de paix sera prélevé sur la fortune nette des personnes physiques après déduction de 60 000 francs et sur la fortune nette des personnes morales. Pour les personnes physiques payant annuellement moins de 100 francs d'impôt pour la défense nationale, le minimum exempt d'impôt sera élevé jusqu'à 100 000 francs.

3. La fortune nette du contribuable, établie par la taxation de l'impôt pour la défense nationale de la période 1951/52, sera prise pour base.

4. Le sacrifice de paix des personnes physiques sera de 1,5 à 4,5 pour cent, celui des personnes morales de 1,5 pour cent de la fortune nette.

5. Le sacrifice de paix sera payé au cours des années 1952--19S4. L'impôt complémentaire sur la fortune de l'impôt pour la défense nationale ne sera pas prélevé au cours de ces années.

6. Un dixième du sacrifice de paix reste au canton.

7. Un arrêté de l'Assemblée fédérale réglera définitivement les modalités d'application.

Art. 3 1. Un supplément pour l'armement sera prélevé sur l'impôt pour la défense nationale au cours des années 1951---1954.

2. Le supplément pour l'armement comporte: a. Pour les personnes physiques et pour les personnes morales qui leur sont assimilées par le droit fiscal, payant annuellement plus de 100 francs d'impôt pour la défense nationale: 10 pour cent pour les 100 francs suivants de l'impôt sur le revenu et la fortune ; 20 pour cent pour les 300 francs suivants de l'impôt sur le revenu et la

fortune; 30 pour cent pour la partie de l'impôt sur le revenu et la fortune qui dépasse 500 francs;

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6. Pour les sociétés à base de capitaux et pour les coopératives: 20 pour cent de l'impôt sur le bénéfice net, sur le capital et les réserves des sociétés par actions et des sociétés à responsabilité limitée et de l'impôt sur le rendement et la fortune des coopératives.

3, Les cantons ne participent pas au rendement des suppléments pour l'armement, 4. Un arrêté de l'Assemblée fédérale réglera définitivement les modalités d'application. » Le texte allemand est déterminant pour l'aboutissement de l'initiative,

II. CONTENU ET EFFETS FISCAUX DE L'INITIATIVE 1. Contenu de l'initiative L'initiative demande (sous la forme d'un projet rédigé de toutes pièces) que la constitution soit complétée par une adjonction autorisant la Confédération à percevoir un sacrifice de paix et des surtaxes pour l'armement majorant l'impôt pour la défense nationale. Le but des mesures proposées est de procurer les moyens pour couvrir les dépenses de 1464 millions de francs déjà décidées par l'Assemblée fédérale en vue de l'armement. Si l'initiative indique encore d'autres buts -- sauvegarder les conquêtes sociales et éviter l'accroissement de la dette fédérale -- c'est que ses promoteurs ont manifestement l'idée que l'insuffisance de la couverture des dépenses pour l'armement troublerait l'équilibre des comptes de la Confédération, ce qui pourrait avoir pour conséquence une diminution des moyens à disposition pour les tâches sociales. Il n'est pas demandé qu'une partie du rendement des mesures fiscales prévues soit affectée à ces tâches sociales.

a. Sacrifice de paix. -- Les propositions sur la structure du sacrifice de paix s'en tiennent, dans leurs grandes lignes, aux règles qui étaient déterminantes pour les deux sacrifices perçus en 1940-1942 et en 1945-1947.

L'objet de la contribution doit être la fortune nette qui a été établie en vue de l'impôt pour la défense nationale de la période 1951-1952 et dont le contribuable disposait le 1er janvier 1951. On admet donc qu'il n'est pas nécessaire de déterminer la fortune imposable d'une manière spéciale, comme cela a été fait pour les deux sacrifices précédents (voir chap. III, ch. 2, lettre e, ci-après).

Le sacrifice de paix dû par les personnes physiques doit être calculé sur la fortune diminuée de 50000 francs. Cette déduction doit s'élever jusqu'à 100 000 francs pour les contribuables « payant annuellement moins de 100 francs d'impôt pour la défense nationale ». La teneur de l'initiative devrait être précisée, en ce sens qu'il doit s'agir ici de l'impôt annuel dû sur le revenu pour la période 1951-1952 de l'impôt pour la défense nationale. Nos calculs de la charge fiscale et du rendement fiscal sont fondés sur cette supposition.

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L'initiative laisse à la législation d'exécution le soin de déterminer l'échelonnement du minimum imposable entre 50 000 et 100 000 francs.

Nous avons pris pour base de nos calculs l'échelonnement suivant: Personne mariée, saus enfants

fr.

fr.

100 ou plus 80-99 60-79 40-59 20-39 0-19

50000 60 000 70000 80 000 90 000 100 000

Aux montants indiqués de l'impôt pour la défense nationale, correspondraient, pour les personnes mariées, sans enfants, les revenus suivants par rapport aux déductions de la fortune: Revenu , Revenu

D

é

d

u

c

t

i

t.

o n n de la fortune fr.

10 000 ou plus 9 000-9 900 8000-8900 7000-7900 6000-6900 jusqu'à 5 900

50 000 60 000 70000 80000 90000 100 000

Le sacrifice de paix dû par les personnes physiques serait de 1,5 à 4,5 pour cent de la fortune nette, celui des personnes morales de 1,5 pour cent.

Les taux prévus correspondent à ceux qui ont été appliqués pour les deux sacrifices antérieurs.

Le sacrifice de paix devrait être payé au cours des années 1952 à 1954. Comme il avait été décidé lors du second sacrifice pour la défense nationale, l'impôt complémentaire sur la fortune perçu au titre de l'impôt pour la défense nationale ne serait pas prélevé pendant les années où le sacrifice de paix devrait être payé.

La part des cantons au rendement du sacrifice de paix serait de 10 pour cent.

b. Surtaxes pour l'armement majorant l'impôt pour la défense nationale. -- L'initiative reprend les grandes lignes des surtaxes de même genre prévues dans notre projet du 16 février 1951, savoir 10 à 30 pour cent pour les personnes physiques et les personnes morales qui leur sont assimilées

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en droit fiscal et 20 pour cent pour les sociétés à base de capitaux et les sociétés coopératives.

Les différences que l'initiative présente par rapport à nos projets du 16 février et du 30 novembre 1951 seront exposées ci-après au chapitre IV.

Contrairement à ce dernier projet, l'initiative renonce aux surtaxes majorant l'impôt pour la défense nationale qui est perçu sur les bénéfices en capital et augmentations de valeur, lors de cessation de l'assujettissement ou lors d'une taxation intermédiaire. Il n'y est pas question non plus des surtaxes majorant l'impôt sur les ristournes et rabais.

2. Estimation du rendement

Le rendement du sacrifice de paix pourrait être estimé comme il suit : Millions do francs

Personnes physiques Personnes morales Total A déduire 10% (part des cantons) Rendement pour la Confédération (arrondi) . . .

480 200 680 68 610

Les surtaxes pour l'armement pourraient rapporter annuellement: Millions do francs

Proposition du Conseil fédéral du 30 novembre 1951 63 Décision du Conseil national du 31 janvier 1952. . 62,2 pour 1951 58 pour chacune des années 1952, 1953 et 1954 44

(

La différence entre la somme qu'assurerait en 1951 l'adoption de l'initiative et celle qui résulterait de cette adoption pour chacune des années 1952, 1953 et 1954 provient de ce que la surtaxe devrait être calculée en 1951 sur l'ensemble de l'impôt pour la défense nationale (impôt sur le revenu et impôt complémentaire sur la fortune), alors que, pour 1952, 1953 et 1954, elle ne majorerait que l'impôt sur le revenu. L'impôt complémentaire ne serait en effet pas perçu durant ces années, en raison du sacrifice de paix.

Pour la période de 1951 à 1954, les surtaxes pour l'armement produiraient donc les sommes suivantes: Proposition du Conseil fédéral 1952-1954

Décision du Conseil national 1952-1954 Initiative 1951-1954

. . . .

Millions de francs 189

186 190

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Le rendement total résultant de l'application du teste de l'initiative serait donc (en millions de francs) : Sacrifice de pais Moins la diminution de recettes de l'impôt complémentaire . . . .

Surtaxes pour l'armement . . . .

Total

Rendement brat

Part de la Confédération

.. .

f.

Cant0m

680

610

70

150 530 190 720

105 505 190 695

45 25 -- 25

III. LE SACRIFICE DE PAIX 1. La contribution sur la fortune dans la politique fiscale suisse L'idée de percevoir une contribution sur la fortune pour couvrir des besoins financiers extraordinaires a été proposée à plusieurs reprises, mais elle n'a jusqu'ici été réalisée que dans les deux sacrifices pour la défense nationale.

a. Motion Goetschel concernant un sacrifice sur la fortune. -- En 1918, le conseiller national Goetschel invita le Conseil fédéral à examiner « s'il n'y a pas lieu de prélever, sur la fortune nationale, quels qu'en puissent être les détenteurs, abstraction faite de la Confédération, une somme dont trois quarts seraient affectés à libérer en tout ou en partie la dette de guerre et un quart serait attribué aus: cantons comme contribution aux charges extraordinaires déterminées par la guerre ». Les taux de ce sacrifice devaient varier entre 1 et 8 pour cent. Le Conseil fédéral et les chambres rejetèrent la motion et se décidèrent pour un nouvel impôt de guerre extraordinaire.

b. Initiative de 1921 concernant un prélèvement sur la fortune, -- Le parti socialiste suisse lança en 1921 une initiative demandant un prélèvement unique sur la fortune. Auraient été assujetties à cette contribution les personnes physiques et les personnes morales pour la partie de leur fortune excédant 80 000 francs. Le montant exonéré aurait été relevé de 30 000 francs pour la femme du contribuable et de 10 000 francs pour chaque enfant. Les taux d'impôt devaient varier de 8 à 60 pour cent pour les personnes physiques (tarif par échelons). Pour une personne mariée, sans enfants, la contribution se serait élevée à 8000 francs pour une fortune de 200 000 francs, à 131 000 francs pour une fortune d'un million. Pour les personnes morales, il était prévu un taux uniforme de 10 pour cent.

On proposait en même temps la levée du secret des banques, le timbrage des titres et l'obligation de fournir des valeurs en paiement. L'initiative fut rejetée lors de la votation du 3 décembre 1922 par tous les cantons et par le peuple (736 952 voix contre 109 702).

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c. Sacrifice, pour la défense nationale. -- Lorsqu'il fallut, en 1938, décider le renforcement de la défense nationale, l'idée de financer les dépenses spéciales nécessaires à cet effet par un impôt extraordinaire sur la fortune rencontra immédiatement un écho favorable dans l'opinion publique. Lorsque la seconde guerre mondiale eut éclaté, le Conseil fédéral n'hésita pas à inscrire dans son programme financier la perception d'une contribution de ce genre (sacrifice pour la défense nationale). Il releva cependant qu'il considérait le sacrifice comme une mesure de nécessité, justifiable seulement de ce point de vue.

Le programme financier de guerre, approuvé par l'Assemblée fédérale le 11 avril 1940 et mis en vigueur par le Conseil fédéral le 30 avril suivant en vertu des pouvoirs extraordinaires qui lui avaient été conférés, prévoyait donc, outre l'impôt pour la défense nationale et l'impôt sur le chiffre d'affaires, un sacrifice pour la défense nationale, désigné comme contribution unique.

La longue durée de la guerre et les dépenses considérables pour la mobilisation et pour un nouveau renforcement de la défense du pays obligèrent le Conseil fédéral à décider la perception d'un second sacrifice pour la défense nationale. Comme le sacrifice de paix qui est l'objet de la présente initiative se rapproche des deux sacrifices pour la défense nationale, nous rappelons ci-après les grandes lignes de ces derniers.

Etaient contribuables les personnes physiques et les personnes morales.

L'objet imposable était la fortune nette totale, tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques.

Pour le premier sacrifice, la fortune devait être calculée au 1er janvier 1940. Les minimums exonérés étaient les suivants : Personnes mariées fr.

Contribuables avec produit du travail . .

Contribuables sans produit du travail . ..

10 000 20000

Célibataires fr.

5 000 10000

Pour le second sacrifice (jour déterminant: 1er janvier 1945), on admit en outre des déductions sociales graduées selon le revenu du contribuable: Personnes mariées

Célibataires

h.

ti.

a. Minimum exonéré . . . 10 000 de la fortune 5000 de la fortune o. Déductions: 20 000 fr. de la fortune pour un revenu jusqu'à 3000 jusqu'à 2000 15 000 » » » » » » » de 3000 à 3500 de 2000 à 2500 10 000 » » » » » » » » 3500 à 4000 » 2500 à 3000 5 000 » » » » » » » » 4000 à 4500 » 3000 à 3500 0 » » » » » » » » 4500 ou plus » 3500 ou plus

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Les taux de l'une et l'autre contribution (1er et 2e sacrifices) variaient de 1,5 à 4,5 pour cent pour les personnes physiques, le maximum s'appliquant aux fortunes de 1,25 million de francs ou plus. Les personnes morales payaient l'impôt au taux uniforme de 1,5 pour cent.

Les deux sacrifices furent perçus chacun en trois tranches. Le premier devait être acquitté en 1940, 1941 et 1942, le second en 1945, 1946, 1947.

Pendant la durée de perception du second sacrifice, l'impôt pour la défense nationale sur la fortune (impôt complémentaire) ne fut pas perçu.

La diminution de rendement en résultant pour la période de trois ans doit être estimée à 150 millions de francs. Le premier sacrifice produisit 617,5 millions de francs et le second 763,6 millions. Si l'on tient compte pour le second sacrifice de la diminution du rendement de l'impôt pour la défense nationale (150 millions de francs), on constate que l'un et l'autre sacrifice ont eu un rendement d'un peu plus de 600 millions de francs.

Le nombre des personnes physiques contribuables s'élevait à 414 000 pour le premier sacrifice et à 382 000 pour le second.

d. Contribution sur la fortune pour Vamortissement des dettes de guerre. -- Après la guerre, on se demanda s'il ne serait pas opportun de procurer à la Confédération par la voie d'une contribution sur la fortune les moyens de couvrir la dette de mobilisation dans une [mesure assez considérable pour qu'il ne soit pas nécessaire de continuer la perception d'un impôt direct fédéral. Le parti du travail proposa d'exiger de la fortune une contribution de 4 milliards de francs. Le parti socialiste suggérait une imposition de la fortune ou un sacrifice de paix du double du second sacrifice.

Toutes ces propositions ont été repoussées par les autres partis, les associations économiques et les cantons. Elles auraient entraîné une répartition unilatérale des charges et grevé démesurément la génération actuelle. H s'y ajoutait que l'on devait considérer la charge relativement lourde que supportent déjà en Suisse la fortune et le rendement de la fortune du fait des impôts ordinaires, en particulier des impôts cantonaux et communaux.

C'est pourquoi, dans notre projet du 22 janvier 1948 concernant la réforme constitutionnelle des finances de la Confédération, nous avons recommandé de renoncer, dans
l'impôt d'amortissement que nous proposions, à frapper la fortune des personnes physiques.

e. Sacrifice pour l'armement. --- Lorsque la Confédération se vit contrainte, au début de 1951, à chercher moyens et méthodes pour financer ses dépenses d'armement, l'idée d'un sacrifice de paix sous forme d'une imposition extraordinaire de la propriété fut reprise. Nous avons étudié cette question et avons derechef répondu par la négative. Les raisons qui nous ont fait tenir pour peu appropriée dans les circonstances actuelles la perception d'une contribution sur la fortune ont été exposées dans

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notre message du 16 février 1951 concernant le programme d'armement et son financement. Les deux chambres ont par la suite approuvé notre manière de voir. La proposition d'envisager un sacrifice de paix a été repoussée au Conseil des Etats par 26 voix contre 4 et au Conseil national par 86 voix contre 58. Dans la session de janvier 1952, le Conseil national a aussi rejeté par 118 vois contre 58 la proposition de percevoir un sacrifice de paix identique à celui que demande l'initiative. Les motifs exposés dans nos messages du 16 février et du 30 novembre 1951 sont aussi valables pour la présente initiative, et nous allons les développer de façon plus détaillée.

2. Objections au sacrifice de paix a. L'évolution de la fortune privée. -- Comme argument en faveur d'un sacrifice de paix, on allègue en particulier que la fortune privée a augmenté en Suisse depuis le début de la guerre et que certaines manifestations de la vie courante permettent de conclure à un accroissement de prospérité.

Quant à l'augmentation de la fortune, les changements peuvent être déterminés par la statistique. La fortune des personnes physiques qui est soumise à l'impôt a passé de 21,6 milliards de francs en 1940 (1er sacrifice) à 27,6 milliards en 1945 (2e sacrifice). Cet accroissement aurait été encore plus grand si l'on n'avait pas accordé des déductions plus fortes lors du second sacrifice. D'autre part, il faut noter que, dans l'augmentation de 6 milliards de francs, on peut estimer que 5 milliards sont dus à l'amnistie accordée en 1945 à l'occasion de l'institution de l'impôt anticipé.

Pour les années d'après-guerre, on dispose des résultats de l'impôt pour la défense nationale comme points de comparaison. Ces comparaisons sont cependant rendues plus difficiles par les diverses modifications apportées à la délimitation de l'objet imposable; les nombres obtenus donnent toutefois des indices utilisables pour juger la suite de l'évolution de la fortune. Si la fortune imposée par la Confédération s'élevait à 27,6 milliards de francs en 1945 (2e sacrifice), elle atteignait 34,1 milliards en 1949 (impôt pour la défense nationale, 5e période), ce qui correspond à une augmentation de 6,5 milliards. Cet accroissement pourrait aussi être dû en partie à ce que l'imposition des éléments de la fortune a été améliorée.

Pour la
période de 1940 à 1949, l'augmentation nominale de la fortune imposée des personnes physiques est de 12,4 milliards de francs. Mais on ne peut considérer ce nombre comme indiquant l'augmentation réelle de la fortune, parce que ce résultat est une conséquence de l'amélioration des méthodes de taxation depuis 1940 et que l'augmentation de valeur de la fortune réelle (immeubles, placements industriels, stocks de marchandises) ne s'exprime pas complètement dans les valeurs fiscales. Si l'on admettait que ces deux correctifs se compensent l'un l'autre, l'accroissement de la fortune serait d'environ 60 pour cent, ce qui correspond à peu près à la modification de la valeur de l'argent.

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On pourrait imaginer que la fortune privée a augmenté dans son ensemble mais qu'il s'est aussi produit un remaniement aboutissant à une concentration plus forte dans les classes les plus élevées de fortune. Une telle conclusion pourrait se déduire de l'augmentation du nombre des millionnaires, qui a passé de 1563 en 1940 (1er sacrifice) à 2427 en 1949 (impôt pour la défense nationale, 5e période). Il se révèle cependant que, dans l'ensemble, la part revenant aux classes supérieures de fortune est restée à peu près la même. Elle s'est élevée en 1940 et en 1949 à un cinquième environ de la fortune imposable excédant 50 000 francs (annexe 2).

Dans toutes les classes de fortune on constate un accroissement du nombre des contribuables et une augmentation de la fortune. Il n'y a pas de concentration plus forte dans les classes les plus élevées.

En résumé, il faut retenir que l'augmentation de la fortune privée ne doit pas être surestimée et qu'il n'y a pas d'indices que la structure de la fortune se soit modifiée.

Sacrifice de paix d'une personne mariée, sans enfants Charge provenant d'un sacrifice d6 P1"* pour un revenu de . . Ir. (l)

Fortune t.

50000 55 000 60 000 70000 80000 90000 100 000 110 000 120 000 150 000 200 000 250 000 300 000 400 000 600 000 1 million 2 millions 5 millions

jusqu'à 6000

6000-6900

7000-7900

8000-8900

.

.--

-- --

--

--

.--

150

300 750

1 600 2550

3600 6600 10400 34200 85500 220 500

. .

-- -- -- --

--

150

150 300 450 912

1 782 2752

3864 6944 10824 34762 85950 220 950

9000-9900

300 450 600

1 078 1 968 2958

4136 7296 11256 35328 86400 221 400

-- -- --

150 300 450 600

150

300 450 600 750

1248 2158 3168

912 1422 2352 3382

4416 7656 11 696 35898 86850 221 850

4704 8024 12 144 36472 87300 222 300

750

loooo

ou plus

.

75 150 300 450 600 750 912

1078 1 600 2550 3600 5000 8400 12600 37050 87750 222 750

l1) Pour un célibataire, chacun des nombres exprimant le revenu se réduit de 1000 franca; il s'augmente de GOO francs par enlant.

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b. La charge fiscale. -- L'initiative propose des taux de 1,5 à 4,5 pour cent pour le sacrifice de paix des personnes physiques. Les déductions qui sont accordées vont de 50 000 à 100 000 francs, selon le montant de l'impôt pour la défense nationale sur le revenu. Cet impôt varie d'après le chiffre du revenu et la situation personnelle du contribuable (état civil, nombre d'enfants, etc.). Pour nn contribuable marié, sans enfants, avec un revenu de plus de 10 000 francs, la déduction s'élèverait à 50 000 francs selon l'initiative. Le revenu diminuant, elle augmenterait et, d'après nos suppositions (voir p. 441), atteindrait 100 000 francs lorsque le revenu est inférieur à 6000 francs. Le tableau de la page précédente indique la charge fiscale qui en résulte pour quelques types de fortune choisis.

Le paiement des montants d'impôt indiqués au tableau ci-dessus devrait être réparti sur trois ans. Considéré en lui-même, le sacrifice ainsi demandé aux contribuables semble supportable. Il ne faut cependant pas oublier que la charge ordinaire qui grève la fortune est déjà relativement élevée et qu'elle augmentera encore en raison des surtaxes pour l'armement.

La charge totale imposée à la fortune et à son rendement ressort du tableau de la page 449.

Si l'on compare la charge totale grevant la fortune et son rendement avec le rendement de la fortune, on constate, d'après les propositions de l'initiative, que les rendements de grosses fortunes supportent des charges excédant 100 pour cent. Mais même pour de plus petites fortunes, le rendement serait frappé dans une mesure telle que le montant restant au contribuable ne constituerait plus qu'un appoint supplémentaire pour couvrir les dépenses de son entretien. Seul celui qui touche un revenu du travail en plus du rendement de sa fortune serait en mesure de payer en tout ou en partie le sacrifice de paix au moyen de son revenu ; le particulier qui a pour seul revenu le rendement de sa fortune devrait s'aquitter au moyen d'une fraction de son capital. Le sacrifice de paix serait ainsi un prélèvement sur la fortune, dont la caractéristique est qu'il ne peut être payé, comme les impôts courants sur la fortune, au moyen du rendement de cette dernière.

La perception d'un sacrifice de paix qui touche la substance même de la fortune répond sans doute à l'idée
des promoteurs de l'initiative.

Ceux-ci avancent pour argument que ce qui resterait au possesseur d'un million après paiement du sacrifice de paix, savoir 962 950 francs, serait encore un montant fort respectable et que, même après une telle ponction, la charge fiscale courante resterait supportable.

Il ne faut toutefois pas oublier que le rendement des capitaux est devenu de plus en plus modeste et que, comme il ressort du tableau de la page suivante, l'imposition de la fortune et de son rendement a déjà atteint un niveau qui n'encourage certes pas le sens traditionnel que notre peuple a pour l'épargne. Notons en outre que les limites d'une imposition rationnelle ne se déterminent pas seulement d'après la possibilité économique de supporter cette imposition. Le succès de mesures fiscales n'est pas entière-

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ment indépendant de la disposition du contribuable à accepter les sacrifices demandés, c'est-à-dire de sa conviction que la charge fiscale est nécessaire et qu'elle est équitablement répartie. Les deux sacrifices pour la défense nationale ont pu être appliqués sans frictions parce que les personnes touchées par ces mesures, conscientes des graves dangers qui menaçaient notre pays, étaient prêtes à verser la contribution demandée. On ne saurait prétendre que ces conditions soient réalisées aujourd'hui au même degré.

Charge grevant la fortune et son rendement (1) Décision du Conseil national du 31 janvier 1952 (')

Charge actuelle

Fortune fr.

m

ii.

%

ft.

%

Initiative du parti socialiste

W

fr.

%

Moyenne dea chefs-lieux de canton 50000 100 000

200 000 500 000 1 000 000 2 000 000 ö 000 000

363 864 2103 6895 17098 40306

106 398

24,2 28,8 35,1 46,0 57,0 67,1 70,9

363 864 2 120 7 109 18 090 43 641 115886

24,2 28,8 35,3 47,4 60,3 72,7 77,3

348 816 2 553 10447 27 373 63872 167 467

23,2 27,2 42,6 69,6 91,2 106,5 111,6

Chefs-lieux de cantons avec la charge la plus forte 50000 100 000 200 000 500 000

1 000 000 2 000 000 5 000 000

673 1471 3467 9910 23228 53067 139 668

44,9 49,0 57,8 66,1 77,4 88,4

93,1

673 1 471 3484 10 124 24220 56402 149 156

44,9 49,0 58,1 67,5 80,7 94,0 99,4

658 1 423 3 917 13462 33 502 76 632 200 737

43,9

47,4 65,3 89,7 111,7 127,7 133,8

1

I ) Oliarle en pour-cent d'un rendement de la fortune supposé do 3 pour cent. (Si le rendement est plus élevé en pour-cent, la charge en pour-cent est plus basse; si l'initiative était adoptée, olle s'Sèverait par exemple, pour uno fortune de 200000 Iranos ayant un rendement do 4%, a 37,0% au lieu de 42,6 % comme dans la dernière colonne du tableau, et, pour une fortune do 1 million ayant un rondement de 4%, a 75,8% au lieu do 91,2%).

(a) Impôts cantonaux et communaux 1951; impôt pour la défense nationale 1952; droit de timbre sur les coupons.

(3) Impôts cantonaux et communaux 1951; impôt pour la défense nationale 1952; droit de timbre sur les coupons; surtaxes pour l'armement majorant l'impôt pour la défense nationale, selon la décision. · du Conseil national du 31 janvier 1952.

(*) Impôt cantonaux et communaux 1951; droit de timbre sur les coupons; impôt pour la défense nationale selon l'initiative (sans impôt complémentaire); Va du sacrifice de paix selon l'initiative; surtaxes majorant l'impôt pour la défense nationale, selon l'initiative (pondant la durée de perception du sacrifice de paix, seulement surtaxes majorant l'impôt pour la défense nationale sur le revenu).

Feuille fédérale. 104° aimée. Vol. I.

31

450

La nécessité de l'armement n'est sans doute pas contestée, mais celle de percevoir un sacrifice de paix en plus des surtaxes pour l'armement qui majorent l'impôt pour la défense nationale n'est pas évidente. Dans notre message du 16 février 1951, nous avons montré dans le détail que l'on peut actuellement faire abstraction d'une mise à contribution de la fortune. Pareille mesure doit rester une mesure de nécessité, à laquelle il ne convient de recourir que dans le cas où se présentent des besoins financiers d'une ampleur extraordinaire.

c. La répartition des charges fiscales, -- Lorsque les frais de la défense nationale prirent des proportions extraordinaires en raison de la guerre et qu'il fallut recourir à des mesures fiscales correspondantes, on admit unanimement que les moyens nécessaires devaient être obtenus tant par la voie de l'imposition directe que par celle de l'imposition indirecte. On considérait comme évident que les impôts sur le revenu et sur la fortune devaient être fortement progressifs et qu'en outre le cercle des contribuables devait être aussi large que possible ; chaque citoyen avait à fournir sa contribution aux charges de la défense nationale, parce que chacun était intéressé au maintien de notre indépendance. Les mêmes considérations nous ont guidés dans l'élaboration de notre programme pour le financement de l'armement, et nous avons pris garde que la répartition des charges fiscales telle qu'elle existe ne subisse pas de remaniements essentiels.

Au contraire, l'initiative prévoit une répartition unilatérale des charges.

Tout le financement de l'armement doit être assuré par des impôts directs, et principalement par ceux qui frappent la fortune; Les nouvelles mesures ne toucheraient qu'un nombre de fortunes relativement bas. Environ 100 000 contribuables devraient payer la plus grande partie des 720 millions de francs (sacrifice de paix et surtaxes pour l'armement) servant à financer les armements.

Notre programme de financement, tel qu'il a été approuvé par le Conseil national, met l'accent sur les impôts directs. Les deux tiers environ des besoins fiscaux supplémentaires doivent être couverts par les surtaxes majorant l'impôt pour la défense nationale. La fortune et son rendement supporteraient la moitié environ de ces deux tiers. D'après notre projet, ce seraient
aussi les grands revenus et les grosses fortunes qui devraient principalement fournir les impôts supplémentaires, mais la répartition des charges serait plus équilibrée que celle qui résulterait de l'adoption de l'initiative.

L'armement est une tâche nationale; il est contraire aux principes de la démocratie qu'une écrasante majorité ne contribue pas ou contribue relativement peu aux dépenses pour une pareille tâche et que les chargea soient reportées unilatéralement sur une petite minorité. En temps de guerre ou en période troublée, il peut devenir nécessaire de faire subir des

451 ponctions sensibles à la substance même de la fortune ; mais ces ponctions seraient difficiles à justifier dans la situation actuelle. Ceux qui seraient touchés auraient l'impression d'être traités injustement et l'on ne pourrait donc guère s'attendre qu'une condition importante pour la réussite d'une mise à contribution de la fortune, savoir la bonne volonté des contribuables, soit réalisée comme ce fut le cas lors des deux sacrifices pour la défense nationale. On ne pourrait pas maintenir la confiance en déclarant que cette mesure fiscale unilatérale serait unique. Celui qui se sent touché par une répartition des charges fiscales considérée comme inéquitable succombe trop facilement à la tentation de voir dans la fraude fiscale et la soustraction d'impôt un acte de légitime défense; Alors que ces dernières années on a fait, avec un succès visible, des efforts considérables pour améliorer les relations entre le citoyen et le fisc, un recul dans ce domarne serait particulièrement regrettable. Il faudrait recommencer une tâche pénible et de longue haleine.

d. Les besoins financiers pour l'armement. -- Dans nos messages du 16 février et du 30 novembre 1951, nous avons exposé que la Confédération doit s'attendre à un déficit annuel moyen de 110 millions de francs de 1951 à 1954, si elle doit dépenser par an environ 250 millions pour le programme d'armement. C'est pourquoi nous avons proposé, pour la période du régime transitoire de 1951 à 1954, des recettes supplémentaires de l'ordre indiqué.

Les partisans d'un sacrifice de paix ont allégué que ces 110 millions de francs de recettes supplémentaires ne suffiraient pas pour équilibrer les comptes, Nous avons examiné de nouveau la situation à la lumière des données les plus récentes, d'où résulteraient les estimations suivantes quant au rendement net ou à la dépense nette dans les comptes d'Etat do 1951 et de 1952, selon que l'on y comprend ou non les dépenses pour l'armement : Rendement net (-1-) sans l'armement

Estimation 1951-1954 (message du · 16 II 51). . . .

Clôture présumée 1951 Budget 1952

Dépenser pour l'armement

Dépense nette (--) avec l'armement

en millions de fnir.cs

+134 -j- 220 +212

250 200 29S

--116 + 20 -- 86

Pour 1951, où il a été dépensé environ 250 millions de francs pour l'armement, le compte d'Etat accusera un excédent de dépenses d'environ.

100 millions, qui sera toutefois à peu près compensé par les variations de ]a fortune. D'après le budget pour 1952, dans lequel les dépenses pour l'armement figurent pour 300 millions, on s'attend à une perte de 86 millions. Si l'actuelle prospérité économique se maintient, on peut donc

452

admettre que, dans chacune des années à venir, les dépenses pour l'armement pourront être couvertes jusqu'à concurrence de 200 millions de francs environ à l'aide des recettes courantes de la Confédération, Mais, dans cette même période, l'armement coûtera chaque année, selon que les chars lourds pourront ou non être fournis, de 270 à 330 millions. De nouvelles ressources sont donc indispensables. Toutefois, une augmentation de recettes de 110 millions par an, comme nous l'avons proposé, devrait suffire à couvrir les besoins financiers supplémentaires que l'armement laisse prévoir. Une insuffisance éventuelle de moins de 100 millions de francs ne saurait en tout cas pas justifier le prélèvement d'un sacrifice de paix d'un demi-milliard, quand bien même il serait en principe souhaitable, pour des raisons de politique économique, d'avoir des excédents plutôt que des découverts, e. Inconvénients de la réglementation proposée. -- La réglementation légale selon laquelle le sacrifice de paix prévu par l'initiative devrait être perçu donne aussi lieu à des objections de détail.

L'initiative (art. 2, ch. 2 et 3) demande que les personnes physiques aussi bien que les personnes morales paient le sacrifice de paix sur leur fortune nette, telle qu'elle est déterminée en vue de la période de l'impôt pour la défense nationale 1951-1952. Elle suppose que l'objet servant de base à la taxation en vue de l'impôt complémentaire pour la défense nationale (jour déterminant: 1er janvier 1951 ou date du début de l'assujettissement s'il se produit ensuite) pourrait être directement pris comme base pour la fixation du sacrifice de paix; cela signifierait que le contribuable n'aurait pas à remettre de nouvelle déclaration et que les autorités fiscales ne seraient pas obligées de procéder à d'autres enquêtes. Mais cette supposition n'est pas pertinente.

D'une part, l'impôt complémentaire dû par les sociétés à base de capitaux est perçu non pas sur la fortune, mais sur le capital et les réserves; ce sont ces éléments, et non pas la fortune nette, qui apparaissent dans les déclarations en vue de l'impôt pour la défense nationale que les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée doivent remettre pour la période fiscale 1951-1952. S'agissant de sociétés à base de capitaux, il faudrait donc, pour fixer le
sacrifice de paix, s'assurer que le capital-actions ou le capital social déterminant quant à la taxation en vue de l'impôt complémentaire était entièrement couvert par les éléments de l'actif le jour déterminant. Il faudrait, si besoin était, faire les corrections nécessaires et procéder à cet effet à de nouvelles enquêtes.

En outre, les promoteurs de l'initiative ont vraisemblablement oublié que, d'après le droit régissant l'impôt pour la défense nationale, la fortune grevée d'usufruit est attribuée en vue de l'imposition non pas au propriétaire, mais à l'usufruitier. Mais une contribution de la nature du sacrifice

453

de paix, pour le paiement de laquelle il faut entamer la substance de la fortune, ne peut être demandée à l'usufruitier. C'est pourquoi le propriétaire d'une fortune grevée d'usufruit devrait être tenu de remettre une nouvelle déclaration d'impôt permettant de déterminer à nouveau sa fortune nette.

Enfin, il n'est pas satisfaisant, à plus d'un égard, que le jour déterminant pour l'estimation soit une date uniforme, déjà ancienne de plus d'une année (1er janvier 1951, début de la 6e période de l'impôt pour la défense nationale). On ne voit ainsi pas clairement si le paiement du sacrifice ne doit incomber qu'aux personnes qui étaient assujetties à l'impôt pour la défense nationale le 1er janvier 1951. Et l'on ne voit pas non plus comment traiter les personnes qui n'ont été assujetties à cet impôt qu'au début ou au cours des années 1952 et 1953 et qui n'avaient donc pas à remettre de déclaration en vue de la période précédente.

IV. LES SURTAXES POUR L'ARMEMENT MAJORANT L'IMPÔT POUR LA DÉPENSE NATIONALE Les surtaxes pour l'armement que prévoit l'initiative correspondent, quant au système, a celles que nous avons proposées dans notre message du 30 novembre 1951. Mais quant au fond, l'initiative s'écarte de notre projet sur les points suivants: Art. 3, ck. leT. -- H y a une première différence quant à la durée de perception. D'après l'opinion des promoteurs de l'initiative, les surtaxes pour l'armement ne devraient pas majorer les seuls impôts pour la défense nationale de 1952 à 1954, mais ceux de 1951 à 1954. Dans notre message du 30 novembre 1951 (FF 1951, p. 954, observations relatives à l'art. 2), nous avons dit qu'il fallait renoncer à percevoir les surtaxes avec effet rétroactif au 1er janvier 1951, ce que l'on pouvait encore prévoir dans le projet du 16 février 1951, mais qui ne se justifiait plus étant donné le retard subi par les mesures de financement. L'expérience apprend que toute application rétroactive de mesures fiscales entraîne des inconvénients notables.

Elle crée aussi de sérieuses difficultés juridiques quant à l'imposition de personnes qui ont cessé d'être assujetties avant l'entrée en vigueur de là loi fiscale en raison de décès ou de départ pour l'étranger (ou encore de dissolution, s'il s'agit de personnes morales).

En corrélation avec la perception rétroactive de surtaxes
majorant l'impôt de 1951, il s'ensuivrait un autre inconvénient du fait que, d'après l'initiative, l'impôt complémentaire, qui serait supprimé en 1952, 1953 et 1954 à cause de la perception du sacrifice de paix (art. 2, ch. 5, de l'initiative), ne serait perçu que pour 1951 et que par conséquent la surtaxe devrait être calculée à part pour chacune des deux années de la 6e période, savoir pour 1951 avec l'impôt complémentaire et pour 1952 sans cet impôt.

454 Une grande partie des contribuables (de 40 à 60% dans certains cantons) paieront au premier terme d'échéance de la 6e période (1er mars 1952) avec l'impôt de 1951 celui de 1952, déduction faite de l'intérêt rémunératoire prévu pour ce paiement avant terme. Si l'initiative était adoptée, il faudrait ainsi faire après coup une imputation compliquée de l'impôt complémentaire payé d'avance pour 1952 avec la surtaxe pour l'armement et le sacrifice de pais.

Chiffre, 2. -- Le tarif s'écarte de notre projet en ce sens qu'il excepte de l'obligation d'acquitter la surtaxe les personnes physiques et les personnes morales qui leur sont assimilées, si elles ne doivent que des montants d'impôt pour la défense nationale allant jusqu'à 100 francs. Cette exception pour les montants jusqu'à 100 francs aurait comme conséquence qu'il n'y aurait plus qu'environ 25 pour cent des contribuables à payer la surtaxe. Ce report sur un petit nombre de personnes de la partie des dépenses pour l'armement qui doit être couverte par les surtaxes donnerait à ces dernières le caractère d'un impôt de classe. Nous sommes d'avis qu'en principe toutes les personnes assujetties à l'impôt pour la défense nationale devraient, par des surtaxes majorant cet impôt, contribuer aux frais de l'armement selon leur capacité fiscale. Si l'on veut exonérer de la surtaxe les classes les plus basses de l'impôt pour la défense nationale, il suffit de modifier notre projet comme l'a fait le Conseil national, en renonçant à la perception des surtaxes inférieures à 5 francs.

Contrairement à notre projet, l'initiative ne prévoit pas de surtaxes majorant l'impôt spécial sur les bénéfices en capital et l'impôt sur les ristournes et rabais. Il ne semble pas justifié d'exonérer complètement des surtaxes les bénéfices en capital réalisés lors de liquidations et les ristournes et rabais pour achats de marchandises. Dans notre projet (message du 16 février' 1951, FF 195.1, 669 et 670, lettres c et d), nous avons tenu compte de la nature spéciale de ces éléments du revenu et du rendement en proposant des taux proportionnels. Le principe de l'égalité de traitement des contribuables et celui de l'assujettissement de toutes les sources de revenus demandent que ces bénéfices et bonifications, dans la mesure où les frappe l'impôt pour la défense nationale,
fournissent aussi leur contribution au financement de l'armement.

V. CONCLUSIONS Nos conclusions demeurent essentiellement les mêmes que celles que nous avons exposées dans notre message du 16 février 1951 concernant le programme d'armement et son financement.

A l'heure actuelle, les besoins fiscaux supplémentaires ne justifient pas la perception d'une contribution extraordinaire sur la fortune, et cela d'autant moins que le rendement des capitaux est relativement bas et que la fortune et ses revenus sont déjà frappés fortement par les impôts

455

courants. Une mesure fiscale aussi incisive doit être réservée pour les temps de guerre et autres périodes troublées. Nous ne prétendons pas que le sacrifice de paix avec les taux prévus serait absolument insupportable dans la situation économique actuelle. Mais cette modération des taux pour une mise à contribution de la fortune renferme le germe d'une tentation de renouveler l'expérience. La fortune constitue pour la Confédération et pour les cantons une source fiscale très abondante, qui, si l'on ne veut pas nuire au sens de l'épargne répandu dans le peuple, ne devrait pas être affaiblie par des prélèvements extraordinaires continus. Dans la situation actuelle, nous estimons appropriée, opportune et suffisante la charge supplémentaire limitée que demandent à la fortune les surtaxes pour l'armement majorant l'impôt pour la défense nationale. Les deux sacrifices antérieurs ont prouvé que les contribuables suisses sont disposés à supporter des charges extraordinaires lorsqu'ils sont convaincus de leur nécessité. En revanche, les mêmes contribuables ont en général peu de compréhension pour l'emploi d'une mesure fiscale massive et unir latérale lorsque des mesures moins incisives peuvent satisfaire aux besoins existants. Si les besoins fiscaux supplémentaires peuvent être à peu près couverts par une modification judicieuse des tarifs d'impôts en vigueur, le citoyen suisse inclinera à rejeter l'institution d'un nouvel impôt promettant des rendements beaucoup plus élevés, en objectant que cette mesure n'est pas nécessaire au maintien de l'équilibre financier et qu'elle contredit par conséquent les principes d'une politique fiscale prudente, ne mettant pas à trop dure épreuve la bonne volonté des contribuables.

Pour les raisons indiquées au chapitre IV, nous estimons en outre que les surtaxes pour l'armement recommandées dans notre projet du 30 novembre 1951 doivent être préférées à celles que prévoit l'initiative.

Vu ce qui précède, nous vous proposons de repousser l'initiative et de la soumettre au vote du peuple et des cantons, conformément au projet d'arrêté ci-joint, en leur proposant de la rejeter.

Veuillez, Monsieur le Président et Messieurs, agréer les assurances de notre haute considération.

Berne, le 22 février 1952.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le. président de la Confédération, KOBELT Le chancelier de la Oonfédération, Ch. OSER

456

(Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL sur

l'initiative populaire pour le financement des armements et pour la sauvegarde des conquêtes sociales

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse,

vu l'initiative du 19 décembre 1951 pour le financement des armements et pour la sauvegarde des conquêtes sociales, ainsi que le rapport du Conseil fédéral du 22 février 1952; vu l'article 121, 6e alinéa, de la Constitution et les articles 8 et suivants de la loi du 27 janvier 1892/5 octobre 1950 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, arrête :

Article premier L'initiative pour le financement des armements et pour la sauvegarde des conquêtes sociales sera soumise au vote du peuple et des cantons.

Cette demande a la teneur suivante: Les citoyens suisses soussignés, ayant le droit de vote, demandent que la constitution fédérale soit complétée par l'adjonction suivante: Article premier Pour couvrir rapidement les frais du réarmement, s'élevant à 1464 millions de francs, déjà décidés par l'Assemblée fédérale, en vue de sauvegarder les conquêtes sociales et d'éviter l'accroissement de sa dette, la Confédération prend les mesures énumérées aux articles 2 et 3.

Art. 2 1. Les cantons prélèvent un sacrifice de pais pour le compte de la Confédération et sous son contrôle.

2. Le sacrifice de pais sera prélevé sur la fortune nette des personnes physiques après déduction de 00 000 francs et sur la fotluju« jueLle des personnes morales. Pour les personnes physiques payant annuellement moins de 100 francs d'impôt pour la défense nationale, le minimum exempt d'impôt sera élevé jusqu'à 100 000 francs.

457 3. La fortune netto du contribuable, établie par la taxation de l'impôt pour la défense nationale de la période 1951/52, sera prise pour base.

4. Le sacrifice de paix des personnes physiques sera de 1,5 à 4,5 pour cent, celni des personnes morales de 1,5 pour cent de la fortune nette.

5. La sacrifice de paix sera payé au cours des années 1952-1954. L'impôt complémentaire sur la fortune de l'impôt pour la défense nationale ne sera pas prélevé au cours de ces années.

G. Un dixième du sacrifice de paix reste au canton.

7. Un arrêté de l'Assemblée fédérale réglera définitivement les modalités d'application.

Art. 3 1. Un supplément pour l'armement sera prélevé sur l'impôt pour la défense nationale au cours des années 1951-1954.

a. Pour les personnes physiques et pour les personnes morales qui leur sont assimilées par le droit fiscal, payant annuellement plus de 100 francs d'impôt pour la défense nationale: 10 pour cent pour les 100 francs suivants de l'impôt sur le revenu et la fortune; 20 pour cent pour les 300 francs suivants de l'impôt sur le revenu et la fortune ; 30 pour cent pour la partie de l'impôt sur la revenu et la fortune qui dépasse 500 francs; 6. Pour les sociétés à base de capitaux et pour les coopératives: 20 pour cent de l'impôt sur le bénéfice net, sur le capital et les réserves des sociétés par actions et des sociétés à responsabilité limitée et de l'impôt sur le rendement et la fortune des coopératives.

3. Les cantons ne participent pas au rendement des suppléments pour l'armement.

4. Un arrêté de l'Assemblée fédérale réglera définitivement les modalités d'application.

Art. 2 Le peuple et les cantons sont invités à rejeter l'initiative.

!

Art. 3 Le Conseil fédéral est chargé d'assurer l'exécution du présent arrêté.

9160

458 Annexe l

Evolution de la fortune des personnes physiques et des personnes morales

Sacriflce 1940 1er janvier 1940

Catégories

Impôt pour la Impôt pour la défense nationale, défense nationale, 4o période période 1er janvier 19-15 1er janvier 1947 1er5ojanvier 1949 Sacrifice 1945

Nombre de contribuables .

414 186

382 048

502 661

Sociétés anonymes . .

13415

14358

18 884

531 000 20 762

Sociétés coopératives .

9063

9271

8522

8 785

12 919

16 265

7 207

7 595

449 583

421 942

537 274

568 142

Personnes physiques

Autres personnes moTotal

Fortune en 1000 francs

Sociétés anonymes . .

7 054 300 !)

Sociétés coopératives .

849 329

34 067 782 31 781 056 8 504 605 l) 11 250 609 2) 12 593 381 2) 1 169 656 1 031 606 1 090 428

944 362

1 088 284

Personnes physiques .

21 646 355

27 636 221

Autres personnes moTotfil

*) Fortune nette.

!

) Capital et réserves.

30 494 346

38 260 716

1 158 588 45 280 681

1 278 143 49 108 962

459

Annexe 2

Evolution de la fortune des personnes physiques par classes de fortune Nombre de contribuables Classes de fortune en 1000 francs l1)

Fortune en 1000 francs

Sacrifice 1940

Impôt pour la défense nationale, 5e période

Sacrifie e 1910

Impôt pour la défense nationale, 5e période

50-100. . .

50502

80415

3 457 855

5 540 724

100-200. . .

22900

5 358 518

11 515

38298 19079

3 141 748

200-500

3 438 970

5 670 743

500-1000

2899 1 563

4668 2427

1 965 225

3 189 592

3 229 039

5 622 094

89379

144 887

15 232 837

25 381 671

1000 ou plus Total

Indice (sacrifice 1940 = 100) 100

160 171

- 50-100 . .

100-200 200-500. . .

100 100

159 167

100

166

100 100

500-1000

100 100

161

100

165 162

155

100

174

100

162

100

167

1000 ou plus Total

(L) Les fortunes jusqu'à 50 000 francs ont été omises parec que les nombres dont on dispose quant au sacrifice 1940 et quant à l'impôt pour la défense national 5e période, ne sont pas comparables en raison de la diversité dos exonérations.

BIEG

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative pour le financement des armements et pour la sauvegarde des conquêtes sociales (Du 22 février 1952)

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1952

Année Anno Band

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6207

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28.02.1952

Date Data Seite

438-459

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