12.076 Message relatif à l'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» et à la loi fédérale sur l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique (modification du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs) en tant que contre-projet indirect du 10 octobre 2012

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre l'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter. Nous vous soumettons simultanément un contre-projet indirect sous la forme d'une modification du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs.

Par la même occasion, nous vous proposons de classer l'intervention parlementaire suivante: 2009

M 08.3373

Prévention pénale accrue en matière de pédocriminalité et autres infractions (N 3.10.08, Sommaruga Carlo; E 12.3.09)

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

10 octobre 2012

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Eveline Widmer-Schlumpf La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2012-1517

8151

Condensé L'initiative souhaite mieux protéger les enfants et les personnes dépendantes contre les récidivistes. Le Conseil fédéral partage pleinement cet objectif, mais estime que le contre-projet qu'il propose est plus approprié pour l'atteindre.

L'initiative est en effet imprécise, incomplète et contraire à certains principes fondamentaux de notre ordre juridique. Le contre-projet, qui propose l'extension de l'actuelle interdiction d'exercer une profession, ainsi que la création d'une interdiction de contact et d'une interdiction géographique, ne comporte pas ces désavantages. Le Conseil fédéral propose donc de rejeter l'initiative.

Le 16 mai 2011, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative populaire fédérale «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» avait abouti, avec 111 681 signatures valables. Cette initiative exige que les personnes condamnées pour avoir porté atteinte à l'intégrité sexuelle d'un enfant ou d'une personne dépendante soient définitivement privées du droit d'exercer une activité professionnelle ou bénévole avec des mineurs ou des personnes dépendantes.

En principe, il existe différentes manières d'appréhender l'interdiction d'exercer une activité. En effet, plusieurs domaines du droit sont concernés par cette thématique: le droit privé, singulièrement le droit du travail ou le droit des personnes, le droit administratif, singulièrement le droit relatif à l'octroi ou au retrait d'une autorisation de pratiquer ou encore le droit pénal. Malgré cela, les discussions se cristallisent quasi systématiquement autour du droit pénal, principalement parce que le code pénal contient une disposition expresse sur l'interdiction d'exercer une activité professionnelle.

En effet, l'interdiction d'exercer une profession existe depuis la date d'entrée en vigueur du code pénal, en 1942. A l'époque, il s'agissait d'une peine accessoire qui ne pouvait toucher que des professions subordonnées à une autorisation officielle.

Peu appliquée et critiquée dans sa conception, cette interdiction d'exercer une profession a été modifiée dans le cadre de la révision de la partie générale du code pénal, entrée en vigueur le 1er janvier 2007. Les nouvelles dispositions classent l'interdiction d'exercer sous les autres mesures et l'étendent aux professions non soumises à
autorisation. Malgré cette modification, les cas d'application de l'interdiction d'exercer sont restés peu nombreux.

Parallèlement à cette révision de la partie générale du code pénal, de nombreuses interventions parlementaires ont été déposées, qui chargent notamment le Conseil fédéral de renforcer l'interdiction d'exercer: allonger la durée de l'inscription au casier judiciaire de l'interdiction d'exercer une activité, l'étendre aux activités bénévoles, obliger les futurs employeurs à exiger un extrait du casier judiciaire, telles ont été par exemple les mesures proposées par les parlementaires pour rendre cet instrument plus efficace. Sur la base de l'une de ces interventions parlementaires, la motion Carlo Sommaruga 08.3373 (Prévention accrue en matière de pédocriminalité et autres infractions), le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet de modification du code pénal en février 2011. Cet avant-projet prévoit

8152

notamment d'étendre l'interdiction d'exercer aux activités non professionnelles, d'introduire deux formes aggravées de l'interdiction d'exercer, de créer une interdiction de contact et une interdiction géographique et d'instaurer une obligation, pour les employeurs et les responsables des associations, d'exiger un extrait du casier judiciaire avant l'engagement. Les grandes lignes de cet avant-projet ont été plutôt bien accueillies, même si une partie non négligeable des participants a estimé que certaines dispositions allaient trop loin.

L'initiative s'inscrit donc dans un contexte politique où l'interdiction d'exercer est déjà analysée de manière approfondie. De plus, le Conseil fédéral estime que cette initiative est problématique sur plusieurs points: de par le fait qu'elle prévoit une interdiction obligatoire et illimitée dans le temps, elle se heurte non seulement à l'ordre juridique suisse, mais également à l'ordre juridique international. Ce manque de souplesse va en effet à l'encontre du principe de proportionnalité, principe essentiel lorsqu'il s'agit de restreindre un droit fondamental. Par ailleurs, l'initiative est incomplète. Non seulement elle exclut de son champ d'application les infractions contre la vie et l'intégrité physique, mais surtout, elle ne donne aucune indication sur la façon dont elle doit être mise en oeuvre.

Par conséquent, et en tant que garant d'un ordre juridique cohérent, efficace, juste et conforme à ses engagements internationaux, le Conseil fédéral propose de rejeter l'initiative. Il partage entièrement l'idée selon laquelle il est intolérable qu'une personne ayant fait l'objet d'une condamnation pour avoir porté atteinte à l'intégrité sexuelle de mineurs ou de personnes dépendantes puisse recommencer à travailler avec la même catégorie de personnes tant qu'elle représente un danger pour la collectivité. C'est la raison pour laquelle il oppose à l'initiative constitutionnelle un contre-projet indirect au niveau de la loi, qui étend l'interdiction d'exercer une profession aux activités extraprofessionnelles et qui crée deux formes aggravées d'interdiction d'exercer une activité en cas d'infraction sur un mineur ou une personne particulièrement vulnérable. Le contre-projet crée également une interdiction de contact et une interdiction géographique, notamment
pour faire face aux violences domestiques et à la persécution obsessionnelle. Le Conseil fédéral est convaincu que ces nouvelles mesures répondent pleinement aux problèmes soulevés par l'initiative, tout en ayant l'avantage d'être plus complètes et proportionnées que celles proposées par l'initiative.

8153

Table des matières Condensé

8152

1 Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Aboutissement et délais de traitement 1.3 Validité 1.3.1 Critères de validité 1.3.2 Compatibilité de l'initiative avec les règles impératives du droit international 1.3.3 Praticabilité

8158 8158 8158 8159 8159

2 Contexte dans lequel l'initiative a vu le jour 2.1 Possibilités actuelles d'interdire l'exercice d'une activité professionnelle 2.2 Possibilités actuelles d'interdire l'exercice d'une activité non professionnelle, des contacts avec des personnes définies ou une proximité géographique 2.3 Appréciation et application de l'interdiction d'exercer une profession 2.4 Interventions parlementaires déposées en relation avec l'interdiction d'exercer une activité 2.5 Besoin d'agir du point de vue des auteurs de l'initiative 2.6 Droit comparé

8160

3 Buts et interprétation de l'initiative 3.1 Buts de l'initiative 3.1.1 Offrir une meilleure protection aux victimes potentielles (prévention spéciale) 3.1.2 Renforcer la lutte contre la délinquance sexuelle dirigée contre les enfants (prévention générale) 3.2 Interprétation de l'initiative 3.2.1 Méthode 3.2.2 Auteurs visés par l'initiative 3.2.3 Comportements susceptibles de mener à l'interdiction d'exercer 3.2.4 Victimes protégées 3.2.5 Condamner 3.2.6 Privation définitive du droit d'exercer une activité 3.2.7 Activité professionnelle ou bénévole 3.2.8 Activité en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes 3.3 Modalités pratiques

8166 8166

4 Appréciation de l'initiative 4.1 Appréciation des buts de l'initiative 4.1.1 Offrir une meilleure protection aux victimes potentielles 4.1.2 Renforcer la lutte contre la délinquance sexuelle dirigée contre les enfants

8174 8174 8174

8159 8160

8160

8161 8163 8164 8165 8166

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8175 8154

4.2 Commentaire du texte de l'initiative 4.2.1 Notions imprécises 4.2.2 Proposition incomplète 4.2.3 Une mise en concordance pratique délicate 4.2.4 Un conflit avec les règles non impératives du droit international 4.2.5 Conséquences inattendues 4.3 Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative populaire 4.4 Mérites et lacunes de l'initiative

8175 8175 8175 8175 8176 8176 8177 8177

5 Conclusions sur l'initiative populaire et proposition du Conseil fédéral

8178

6 Contre-projet indirect 6.1 Contexte 6.1.1 Genèse de l'avant-projet 6.1.2 Résultats de la procédure de consultation 6.1.3 Modifications de l'avant-projet et utilisation de celui-ci en tant que contre-projet indirect 6.2 Principaux éléments du contre-projet 6.2.1 Interdiction d'exercer une activité non professionnelle organisée 6.2.2 Interdiction d'exercer une activité faite aux auteurs d'actes qui n'ont pas été commis dans l'exercice de cette activité 6.2.3 Interdiction qualifiée d'exercer une activité au nom de la protection des mineurs et autres personnes particulièrement vulnérables 6.2.4 Interdiction systématique d'exercer une activité au nom de la prévention des actes d'ordre sexuel contre des mineurs et autres personnes particulièrement vulnérables 6.2.5 Durée supérieure des interdictions qualifiées d'exercer une activité 6.2.6 Interdiction de contact et interdiction géographique 6.2.7 Mise en oeuvre des interdictions: trois approches simultanées 6.2.8 Modification du droit du casier judiciaire 6.2.9 Modification du code pénal militaire (CPM) 6.2.10 Modification du droit pénal des mineurs (DPMin) 6.3 Appréciation de la solution retenue 6.3.1 Portée limitée des interdictions 6.3.2 Une règlementation sévère dans la ligne des interventions parlementaires et de l'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» 6.4 Commentaire des dispositions 6.4.1 Modification du code pénal Art. 19, al. 3 Art. 67 (Interdiction d'exercer une activité, conditions) Art. 67a (Contenu et étendue) Art. 67b (Interdiction de contact et interdiction géographique) Art. 67c (Exécution de l'interdiction) Art. 67d (Modification d'une interdiction ou prononcé ultérieur d'une interdiction)

8178 8178 8178 8179 8180 8181 8181 8182 8183 8184 8185 8186 8187 8189 8190 8191 8191 8191 8192 8192 8192 8192 8193 8195 8196 8197 8198

8155

Art. 95, al. 1, 1re phrase, et al. 3 Art. 105, al. 3 Art. 187, ch. 3 Art. 294 (Infraction à l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact ou l'interdiction géographique) Art. 295 (Non-respect de l'assistance de probation ou des règles de conduite) Art. 366, al. 3 Art. 369, al. 4ter Art. 369a (nouveau) Art. 371, titre marginal et al. 1, 2e phrase (Extrait du casier judiciaire destiné à des particuliers) Art. 371a (Extrait spécial du casier judiciaire destiné à des particuliers) 6.4.2 Modification du code pénal militaire 6.4.3 Modification du droit pénal des mineurs Art. 16a (Interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique) Art. 19, al. 4 6.4.4 Modification du droit en vigueur Code de procédure pénale Procédure pénale applicable aux mineurs Procédure pénale militaire Loi sur les profils d'ADN 6.5 Conséquences 6.5.1 Conséquences pour la Confédération 6.5.2 Conséquences pour les cantons et les communes 6.6 Relation avec le programme de la législature 6.7 Aspects juridiques 6.7.1 Constitutionnalité Compétence législative Conformité aux droits fondamentaux 6.7.2 Compatibilité avec les engagements internationaux de la Suisse Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte I de l'ONU) Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU) Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant Convention du Conseil de l'Europe du 25 octobre 2007 sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote)

8156

8198 8199 8199 8199 8199 8200 8200 8200 8200 8201 8201 8202 8202 8202 8203 8203 8204 8205 8205 8205 8205 8206 8207 8207 8207 8207 8208 8211 8211 8212 8212 8212 8213

Loi fédérale sur l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique (Modification du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs) (Projet)

8215

Arrêté fédéral concernant l'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» (Projet)

8231

8157

Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 123c (nouveau)

Mesure consécutive aux infractions sexuelles sur des enfants, des personnes incapables de résistance ou de discernement

Quiconque est condamné pour avoir porté atteinte à l'intégrité sexuelle d'un enfant ou d'une personne dépendante est définitivement privé du droit d'exercer une activité professionnelle ou bénévole en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» a été soumise à l'examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 6 octobre 20092 et déposée le 20 avril 2011 avec le nombre requis de signatures. Par décision du 16 mai 2011, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait abouti, avec 111 681 signatures valables3.

L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral propose de la rejeter en lui opposant un contre-projet indirect. Conformément à l'art. 97, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)4, le Conseil fédéral a jusqu'au 20 octobre 2012 ­ à savoir 18 mois à compter du dépôt de l'initiative ­ pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. En vertu de l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 20 octobre 2013 pour prendre une décision sur l'initiative. Elle peut cependant prolonger ce délai d'une année si l'un des conseils a pris une décision sur un contre-projet direct au niveau de la Constitution ou un projet de loi (contre-projet indirect) en rapport étroit avec l'initiative populaire (art. 105 LParl).

1 2 3 4

RS 101 FF 2009 6359 FF 2011 4125 RS 171.10

8158

1.3

Validité

1.3.1

Critères de validité

L'initiative respecte les exigences de validité prévues à l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.): a.

elle revêt la forme d'un projet rédigé de toutes pièces et respecte ainsi l'exigence d'unité de la forme;

b.

elle respecte le principe d'unité de la matière;

c.

elle ne viole aucune disposition impérative du droit international public (voir ch. 1.3.2).

L'initiative doit donc être déclarée valable.

1.3.2

Compatibilité de l'initiative avec les règles impératives du droit international

La notion de règle impérative du droit international comprend, selon la pratique des autorités fédérales, notamment la prohibition du recours à la force entre Etats, la prohibition de la torture (art. 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales [CEDH]5 et art. 7 du Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques [Pacte II]6), la prohibition du génocide, de l'esclavage, de la servitude et du travail forcé (art. 4, par. 1, CEDH et art. 8, par. 1 et 2, du Pacte II), la privation arbitraire de la vie (art. 2, par. 1, CEDH et art. 6, par. 1, du Pacte II), les principes nulla poena sine lege et ne bis in idem (art. 7 CEDH et art. 15 du Pacte II), la dimension intérieure de la liberté religieuse (droit de développer sa propre pensée religieuse et de changer de conviction: «forum internum», art. 18, par. 3, a contrario, du Pacte II) et le noyau du droit international humanitaire (art. 3 des Conventions de Genève du 12 août 19497).

Force est donc de constater que la notion de règles impératives du droit international est plus large que celle de jus cogens consacrée par la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités8 puisqu'elle couvre aussi en particulier les garanties intangibles de la CEDH.

Le fait d'interdire à une personne s'étant rendue coupable d'une infraction le droit d'exercer une activité professionnelle ou bénévole en relation avec une certaine catégorie de personnes ne contrevient à aucune des règles impératives susmentionnées du droit international. Par conséquent, elle doit être déclarée valable et peut être soumise au vote du peuple et des cantons.

5 6 7 8

RS 0.101 RS 0.103.2 RS 0.518 RS 0.111

8159

1.3.3

Praticabilité

L'impossibilité manifeste d'appliquer une initiative dans les faits constitue la seule limite matérielle non écrite à la révision constitutionnelle9. Pour qu'une initiative soit déclarée nulle, il faut qu'elle apparaisse, de toute évidence et sans aucun doute possible, irréalisable dans les faits. De simples difficultés matérielles ne suffisent pas si elles peuvent être levées soit par une interprétation souple, soit par la diligence des autorités10. La présente initiative demande la mise en place d'une interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes. Même si la réalisation de cet objectif nécessite la mise en place d'un système relativement complexe et la collaboration de nombreux acteurs de la vie judiciaire et civile, il n'en demeure pas moins réalisable. L'initiative doit donc être déclarée valable.

2

Contexte dans lequel l'initiative a vu le jour

2.1

Possibilités actuelles d'interdire l'exercice d'une activité professionnelle

Le code pénal (CP)11 prévoit une interdiction d'exercer une profession applicable aux adultes depuis 1942, date de son entrée en vigueur. Avant la révision de la partie générale du code pénal de 2002, entrée en vigueur le 1er janvier 200712, l'interdiction d'exercer une profession était une peine accessoire, qui ne pouvait toucher que des professions subordonnées à une autorisation officielle (art. 54 aCP). Dans la mesure où l'autorisation pouvait déjà faire l'objet d'un retrait par l'autorité de surveillance de la profession concernée, l'utilité de cette disposition a été remise en question. Le fait qu'une telle interdiction constituait un obstacle important à la resocialisation du condamné a également été avancé. De plus, cette interdiction n'était presque jamais ordonnée dans la pratique (7 cas d'application entre 1993 et 1996, soit sur un ensemble de 289 373 jugements)13. Pour ces motifs, l'avant-projet de révision du code pénal prévoyait de supprimer cette mesure. Cependant, suite à la procédure de consultation, la possibilité d'ordonner l'interdiction d'exercer une profession a été réintégrée dans le code pénal ­ en tant que mesure (art. 67 et 67a CP) ­ et étendue aux professions non soumises à autorisation14.

D'après l'art. 67 CP, si l'auteur a commis un crime ou un délit dans l'exercice d'une profession, d'une industrie ou d'un commerce et qu'il a été condamné pour cette infraction à une peine privative de liberté de plus de six mois ou à une peine pécuniaire de plus de 180 jours-amende, le juge peut lui interdire totalement ou partiellement l'exercice de cette activité ou d'activités comparables pour une durée de six mois à cinq ans s'il y a lieu de craindre de nouveaux abus. En principe, seul l'exercice d'une activité à titre indépendant, c'est-à-dire sans possibilité de contrôle 9 10 11 12 13 14

FF 1997 I 441 E. Grisel, Initiative et référendum populaires, 2e éd., Berne 1997, p. 241.

RS 311.0 RO 2006 3459 C. Haffenmeyer, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht I, Art. 1­110 StGB, 2e éd., Bâle 2007, Art. 67 N 1.

Message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire ainsi que la loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 1787, p. 1909 ss.

8160

par un supérieur, est interdit. Cependant, si le danger existe que l'auteur abuse de son activité professionnelle pour commettre des infractions, alors même qu'il agit sous le contrôle d'un supérieur, l'exercice de l'activité peut lui être entièrement interdit (art. 67, al. 2, CP). L'interdiction d'exercer prend effet le jour de l'entrée en force du jugement. La durée de l'exécution d'une peine privative de liberté ou d'une mesure entraînant une privation de liberté n'est cependant pas imputée sur celle de l'interdiction (art. 67a, al. 1, CP). En outre, lorsque l'interdiction a duré deux ans ou plus, l'auteur peut demander à l'autorité compétente la levée de cette interdiction ou la limitation de sa durée ou de son contenu. Enfin, s'il n'y a pas lieu de craindre que l'auteur commette de nouveaux abus et s'il a réparé le dommage qu'il a causé autant qu'on pouvait l'attendre de lui, l'autorité compétente lève l'interdiction d'exercer une profession (art. 67a CP).

L'interdiction d'exercer une profession telle que prévue par le code pénal a également été intégrée dans le code pénal militaire du 13 juin 1927 (CPM)15, au moment de la révision de la partie générale du code pénal (art. 50 CPM). En revanche, le droit pénal des mineurs du 20 juin 2003 (DPMin)16 ne prévoit pas, à l'instar de l'ancien droit (art. 82 ss aCP), d'interdiction d'exercer une profession pour les délinquants mineurs.

2.2

Possibilités actuelles d'interdire l'exercice d'une activité non professionnelle, des contacts avec des personnes définies ou une proximité géographique

Les tribunaux et les autorités d'exécution peuvent, sur la base du code pénal, limiter les activités professionnelles ou non professionnelles du condamné ou lui interdire certains contacts ou certains lieux en lui imposant des règles de conduite. Ils ne peuvent cependant avoir recours à cet instrument que pendant le délai d'épreuve (lié à une peine assortie d'un sursis ou d'un sursis partiel ou bien à une libération conditionnelle d'une sanction entraînant une privation de liberté, art. 44, al. 2, 62, al. 3, 64a, al. 1, et 87, al. 2, CP) ou pendant un traitement ambulatoire (art. 63, al. 2, CP).

Il appartient à l'autorité compétente d'apprécier la nécessité des règles de conduite (art. 94 et 95 CP). Les mêmes dispositions se retrouvent dans le CPM, en partie sous forme de simple renvoi au CP (art. 34, al. 1, 38, al. 2, 47 et 54 CPM).

Sur la base de l'art. 66 CP (cautionnement préventif), l'autorité compétente peut également, à certaines conditions, exiger d'une personne ayant menacé de commettre un crime ou un délit l'engagement de ne pas commettre l'infraction et l'astreindre à fournir des sûretés suffisantes. Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a précisé que l'élément constitutif de la menace posée par l'art. 66 CP n'implique pas une menace au sens de l'art. 180 CP. Il ne suppose ainsi pas que la menace soit expresse ni qu'elle soit adressée à celui qui en est l'objet17. Le cautionnement préventif se rapproche ainsi d'une interdiction de contact et peut être utile pour

15 16 17

RS 321.0 RS 311.1 ATF 137 IV 258, c. 2.5.

8161

interdire, par exemple, à un ex-partenaire menaçant ou violent de s'approcher de la personne à protéger. L'art. 66 CP est cependant très peu appliqué en pratique18.

L'art. 221, al. 2, du code de procédure pénale (CPP)19 donne à l'autorité compétente la possibilité d'ordonner la détention d'une personne s'il y a sérieusement lieu de craindre qu'elle passe à l'acte après avoir menacé de commettre un crime grave.

D'après le Tribunal fédéral, ce motif de détention peut non seulement s'appliquer à une personne ayant commis des actes préparatoires délictueux au sens de l'art. 260bis CP ou ayant commis une tentative au sens de l'art. 22 CP, mais également à une personne s'étant livrée à d'autres actes non prévus par la loi, lorsque ceux-ci sont en tous points comparables s'agissant du risque de commission d'un crime20. Cette détention, qui revêt un caractère purement préventif, permet d'éloigner durant un certain temps21 la personne dangereuse de sa ou ses victimes potentielles. Durant la procédure d'instruction et de jugement, l'autorité compétente peut également ordonner, en lieu et place de la détention provisoire et de la détention pour des motifs de sûreté, des mesures de substitution qui s'apparentent fortement à l'interdiction de contact et à l'interdiction géographique, comme l'assignation à résidence ou l'interdiction de se rendre dans un certain lieu ou encore l'interdiction d'entretenir des relations avec certaines personnes (art. 237, al. 2, let. c et g, CPP).

Le DPMin prévoit lui aussi des règles de conduite, fixées pour la durée du délai d'épreuve, qui peuvent inclure une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique. Le délai d'épreuve est lié soit à une réprimande (art. 22, al. 2, DPMin), soit à la libération conditionnelle d'une privation de liberté (art. 29, al. 2, DPMin), soit à une peine avec sursis ou sursis partiel (art. 35, al. 2, en relation avec l'art. 29 DPMin).

Des interdictions de contact et des interdictions géographiques peuvent aussi être ordonnées à titre de protection contre la violence (en particulier la violence domestique), les menaces et le harcèlement, sur la base de l'art. 28b du code civil (CC)22.

D'après la jurisprudence récente, on entend par violence l'atteinte directe à l'intégrité physique, psychique,
sexuelle ou sociale d'une personne. Cette atteinte doit présenter un certain degré d'intensité, tout comportement socialement incorrect n'étant pas constitutif d'une atteinte à la personnalité. De plus, le juge doit respecter le principe fondamental de la proportionnalité lorsqu'il prend des mesures pour protéger la victime23. Cette interdiction peut être demandée au moyen d'une requête de mesures superprovisionnelles ou provisionnelles, afin que la décision soit rendue très rapidement. Une telle requête est souvent déposée dans un contexte de séparation entre époux ou partenaires. Lorsque l'interdiction est ordonnée, elle est très

18

19 20 21

22 23

A. Bichovsky, in: Roth/Moreillon (éd.), Commentaire romand, code pénal I, art. 1­110 CP, Bâle 2009, Art. 66 N 4; M. Jean-Richard/S. Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, Zurich/Saint-Gall 2008, Art. 66 N 1; E. Züblin, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht I, Art. 1­110 StGB, 2e éd., Bâle 2007, Art. 66 N 4.

RS 312.0 ATF 125 I 361, c. 4c, en l'occurrence, il s'agissait de menaces de mort.

Deux mois au maximum d'après la doctrine. Voir M. Hug, in: A. Donatsch/T. Hansjakob/ V. Lieber (éd.), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, Zurich 2010, Art. 221 N 45 s et la jurisprudence citée.

RS 210 Tribunal fédéral, arrêt du 5.10.2009, 5A_526/2009, c. 5.1; Tribunal fédéral, arrêt du 3.09.2009, 5A_377/2009, c. 5.3.

8162

souvent assortie de la menace de la sanction pénale prévue par l'art. 292 CP, ce qui renforce d'autant son efficacité.

Enfin, les interdictions géographiques dont on a le plus parlé sont sans doute celles qui frappent les hooligans. Inscrites jusqu'à la fin 2009 à l'art. 24b de la loi fédérale du 21 mars 1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI)24, elles font depuis le 1er janvier 2010 l'objet des art. 4 et 5 du concordat du 15 novembre 2007 instituant des mesures contre la violence lors de manifestations sportives25.

On peut le constater, l'éventail des possibilités permettant de protéger les personnes contre des actes indésirables en dehors d'une procédure pénale ou durant celle-ci est large et varié. Ceci est valable tant pour les actes graves que pour ceux de moindre gravité (mais toujours potentiellement dangereux), comme les violences domestiques (voies de fait, insultes, etc.) ou la persécution obsessionnelle («stalking») par exemple. Le Tribunal fédéral a d'ailleurs tout récemment souligné à quel point la protection civile et pénale contre toutes formes de violence était étendue26. En outre, ces différents instruments permettent de circonscrire bon nombre de situations et se complètent; à titre d'exemple, si les violences redoutées sont insuffisamment graves pour justifier l'ouverture d'une procédure pénale, la victime pourra passer par la voie civile.

2.3

Appréciation et application de l'interdiction d'exercer une profession

Depuis son introduction dans le code pénal, l'interdiction d'exercer une profession est une institution qui ne fait pas l'unanimité. Ses détracteurs estiment notamment qu'elle implique une trop grande restriction à la liberté économique de la personne touchée et qu'elle n'a pas sa place dans le code pénal. En outre, elle ne devrait être appliquée qu'avec retenue27. En 1991 déjà, un auteur exprimait le principe de la proportionnalité par la formule «Maximale Präventionswirkung bei minimaler Verbotsintensität»28 (prévention maximale pour une intensité d'interdiction minimale). De plus, la doctrine et la jurisprudence reconnaissent qu'elle peut constituer un obstacle sérieux à la resocialisation29.

24 25 26 27

28

29

RS 120 Voir www.kkjpd.ch > Archives > Contrats/conventions.

Tribunal fédéral, arrêt du 3.05.2012, 6B_819/2010, c. 6.2.

C. Haffenmayer, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht I, Art. 1­110 StGB, 2e éd., Bâle 2007, Art. 67 N 6; M. Jean-Richard/S. Trechsel, Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, Zurich/Saint-Gall 2008, Art. 67 N 1, 2 et 5; voir ég. le rapport du Conseil fédéral de janvier 2011 concernant une modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs (interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique) (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP), p. 46: «Une interdiction systématique d'exercer une profession à vie (sans appréciation par le juge) ne serait pas conforme au principe de proportionnalité».

D. Mühlemann, Prävention von Wirtschaftsdelikten durch Berufsverbote: Prävention von Wirtschaftsdelikten durch Beschränkung der wirtschaftlichen Betätigungsmöglichkeiten charakterlich Ungeeigneter, Entlebuch 1987, p. 151 ss.

Arrêt de la Cour de cassation pénale du canton de Neuchâtel du 13 juillet 2009, c. 8 in fine.

8163

A l'inverse, les partisans de l'interdiction d'exercer une profession estiment qu'elle permet de mieux prévenir la récidive d'infractions contre l'intégrité sexuelle des enfants et lutter contre la criminalité économique grandissante. Ils soutiennent également que, dans la mesure où l'interdiction ne s'étend pas à toutes les professions ou activités, l'atteinte à la liberté économique est acceptable30.

2.4

Interventions parlementaires déposées en relation avec l'interdiction d'exercer une activité

La question de l'interdiction d'exercer une activité préoccupe le Parlement depuis un certain temps, de sorte que plusieurs interventions parlementaires ont été déposées.

Les forces et les faiblesses de ces interventions ont été analysées dans le rapport du Conseil fédéral de janvier 201131, de sorte que l'on peut se contenter ici de les résumer:

30

31

­

Initiative parlementaire Freysinger 04.441 (Condamnation pour pédophilie.

Non-radiation du casier judiciaire): l'initiative demande que les condamnations pour infraction à l'art. 187 CP (actes d'ordre sexuel avec des enfants) ne soient jamais radiées du casier judiciaire. Elle a été rejetée par le Conseil national le 6 mars 2008.

­

Initiative parlementaire Simoneschi-Cortesi 04.469 (Obligation d'exiger un extrait du casier judiciaire des personnes qui travaillent avec les enfants): cette initiative demande une modification du droit du travail, afin de garantir la production d'un extrait du casier judiciaire pour toute personne susceptible d'être engagée dans une fonction la mettant en relation avec des enfants de moins de seize ans. Elle demande également une norme analogue dans le domaine extraprofessionnel. Acceptée par le Conseil national, contre l'avis de la commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N), elle a été rejetée par le Conseil des Etats. Les délibérations au sein de la CAJ-N ont ensuite été suspendues.

­

Initiative parlementaire Darbellay 04.473 (Interdiction d'exercer une profession en rapport avec les enfants pour les auteurs d'actes pédophiles): cette initiative demande que soit prononcée une interdiction d'au moins dix ans d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact régulier avec des mineurs en cas d'infraction à l'art. 187 CP. Acceptée par le Conseil national, contre l'avis de la CAJ-N, elle a été rejetée par le Conseil des Etats. Les délibérations au sein de la CAJ-N ont ensuite été suspendues.

­

Motion Rickli 08.3033 (Créer un registre national pour les pédophiles récidivistes): cette motion charge le Conseil fédéral de créer les bases légales nécessaires à la création d'un registre des délinquants pédophiles récidivisA. Bichovsky, in: Roth/Moreillon (éd.), Commentaire romand, code pénal I, art. 1­110 CP, Bâle 2009, art. 67 N 2; C. Haffenmeyer, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht I, Art. 1­110 StGB, 2e éd., Bâle 2007, Art. 67 N 4 s; M. Lehner, Das Berufsverbot als Sanktion im schweizerischen Strafrecht, Zurich 1991, p. 86 ss.

Voir le rapport du Conseil fédéral de janvier 2011 concernant une modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs (interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique) (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP), p. 8 ss.

8164

tes. Elle a été acceptée par le Conseil national en juin 2009, puis rejetée par le Conseil des Etats le 29 novembre 2010.

­

Motion Carlo Sommaruga 08.3373 (Prévention accrue en matière de pédocriminalité et autres infractions): cette motion charge le Conseil fédéral de faire une proposition de révision du code pénal, afin d'y introduire des mesures applicables aux auteurs d'infractions à l'intégrité sexuelle des enfants, tendant notamment à l'interdiction d'une activité professionnelle ou bénévole, à l'interdiction d'entrer en contact avec des personnes et au suivi par un tutorat judiciaire pénal des personnes soumises à ces mesures. La motion souhaite également que l'interdiction puisse être ordonnée lorsque les infractions en cause n'ont pas été commises dans l'exercice d'une profession. Elle a été acceptée par les deux Chambres. Sur la base de cette motion, le Conseil fédéral a élaboré un avant-projet qu'il a mis en consultation. Cet avant-projet, retravaillé à la lumière des résultats de la procédure de consultation, va servir de contre-projet indirect à l'initiative «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants»32.

­

Initiative parlementaire de la CAJ-N 08.448 (Interdiction d'exercer une profession pour les auteurs d'actes pédosexuels): cette initiative demande une modification des art. 67 et 67a CP afin de permettre au juge d'interdire à un auteur d'actes délictueux sur un enfant de moins de 16 ans l'exercice de toute activité professionnelle ou bénévole pour une durée indéterminée, si le danger existe que l'auteur commette l'un des actes prévus par les art. 187 ss CP. La commission des affaires juridiques du Conseil des Etats (CAJ-E) a donné suite à cette initiative, mais la CAJ-N a décidé en mars 2009 d'attendre que le Conseil fédéral présente un projet en exécution de la motion Carlo Sommaruga avant de la mettre en oeuvre.

­

Initiative parlementaire Rickli 09.423 (Registre des pédophiles, des délinquants sexuels et des auteurs de violences): cette initiative demande une modification du code pénal afin que l'Office fédéral de la justice gère, en collaboration avec d'autres autorités fédérales et les cantons, en plus du casier judiciaire, un casier séparé sur les pédophiles, les délinquants sexuels et les auteurs de violences qui ont été condamnés. Cette initiative a été acceptée par le Conseil national en septembre 2010, puis rejetée par le Conseil des Etats le 29 novembre 2010.

2.5

Besoin d'agir du point de vue des auteurs de l'initiative

Sur le site internet de Marche Blanche, association dont la présidente a lancé l'initiative, on pouvait lire à l'appui de son texte les arguments suivants: «Actuellement, un pédophile ayant purgé sa peine est libre d'exercer une activité professionnelle ou bénévole avec des enfants. L'enseignant [c]ensé représenter l'autorité, l'entraîneur sportif, l'éducateur, l'accompagnateur de camps de vacances ...

L'immense majorité d'entre eux est digne de confiance. Toutefois, nous savons que celui qui est sexuellement attiré par des enfants ira là où il pourra assouvir ses 32

Voir ch. 6.1.1 et 6.1.2 pour les grandes lignes de l'avant-projet et son accueil en consultation.

8165

pulsions. Un pédophile ayant été condamné pour abus sexuel sur un enfant ne devrait pas avoir la possibilité de réintégrer un milieu où il pourrait à nouveau s'en prendre à des mineurs»33.

Les auteurs de l'initiative estiment donc que la législation actuelle n'est pas suffisante pour protéger les enfants et les personnes dépendantes contre les délinquants sexuels. D'après eux, un délinquant de ce type sera soumis à ses pulsions durant toute sa vie, de sorte qu'il faut obligatoirement et définitivement l'éloigner des personnes susceptibles de le faire passer à nouveau à l'acte (mineurs, personnes dépendantes).

2.6

Droit comparé

Une analyse de droit comparé très complète a déjà été effectuée dans le cadre du rapport explicatif de janvier 2011 relatif à l'interdiction d'exercer une activité, à l'interdiction de contact et à l'interdiction géographique34. Il n'est pas nécessaire de mentionner à nouveau ici tous les détails des réglementations. De manière générale, on peut dire que tous les Etats étudiés (Allemagne, Autriche, France, Italie, Belgique, Royaume-Uni, Suède, Canada) connaissent une forme ou une autre d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou non professionnelle en relation avec des mineurs ou des adultes vulnérables. Il faut relever que les interdictions automatiques sont plutôt l'exception, la règle étant de doter l'autorité compétente d'un pouvoir d'appréciation ou de conditionner l'interdiction à l'existence d'un pronostic défavorable. Les interdictions peuvent durer d'un à cinq ans (Allemagne, France, Autriche), jusqu'à dix ans (Suède), d'un à vingt ans (Belgique) ou être prononcées pour une durée illimitée (Allemagne, France, Autriche, Italie, Royaume-Uni, Canada). A noter enfin que la France et l'Italie ne prévoient pas expressément de mécanisme de contrôle périodique de l'utilité de la mesure.

3

Buts et interprétation de l'initiative

3.1

Buts de l'initiative

3.1.1

Offrir une meilleure protection aux victimes potentielles (prévention spéciale)

Les auteurs de l'initiative estiment que le système actuel d'interdiction d'exercer une profession ne va pas assez loin et qu'il ne garantit pas suffisamment la protection des enfants et des personnes dépendantes contre les délinquants sexuels. Ils souhaitent donc doter la législation suisse d'un instrument plus incisif, afin que l'auteur ne soit plus en mesure d'entrer en contact avec les catégories de personnes pour lesquelles il pourrait ressentir une attirance.

33 34

www.marche-blanche.ch, consulté en juin 2011.

Rapport du Conseil fédéral de janvier 2011 concernant une modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs (interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique) (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP), p. 24 ss.

8166

3.1.2

Renforcer la lutte contre la délinquance sexuelle dirigée contre les enfants (prévention générale)

L'interdiction à vie d'exercer une activité professionnelle ou bénévole est une atteinte importante à la liberté personnelle et économique d'une personne. A moyen terme, elle peut mettre ladite personne en situation difficile du point de vue financier et constituer à ce titre une forme de deuxième sanction, à côté de la peine principale.

En ce sens, la menace d'une telle interdiction pourrait ainsi dissuader une personne de passer à l'acte une première fois.

3.2

Interprétation de l'initiative

3.2.1

Méthode35

L'art. 123c du texte de l'initiative (P-Cst.) contient des notions imprécises qui ne permettent pas immédiatement d'en déterminer le champ d'application exact. Or, dans la mesure où il n'est possible d'apprécier l'initiative que si l'on en connaît ­ au moins dans les grandes lignes ­ le contenu, il est nécessaire de procéder à un travail d'interprétation.

D'après le Tribunal fédéral, «l'interprétation des dispositions constitutionnelles obéit, en Suisse, aux mêmes règles que celle des lois ordinaires»36. Il faut par conséquent recourir aux critères d'interprétation suivants: interprétation littérale, interprétation systématique, interprétation historique, interprétation téléologique37. L'interprétation littérale consiste à rechercher la signification des termes de la loi; elle implique la prise en considération équivalente des trois langues officielles et la détermination du sens naturel des termes utilisés. L'interprétation systématique permet de déterminer le sens de la loi au travers de son contexte juridique et d'éviter des situations contradictoires entre certaines normes ou institutions juridiques. La méthode historique consiste à rechercher l'intention du législateur au moment de l'adoption du texte légal et la méthode téléologique est fondée sur l'idée que toute disposition légale a nécessairement une finalité qui éclaire sur le sens de celle-ci38.

Enfin, on rappellera ici que le titre d'une disposition n'a pas de portée normative autonome, mais qu'il peut être exploité pour interpréter le texte légal.

35

36 37 38

Les considérations relatives à la méthode d'interprétation s'inspirent en grande partie du rapport du groupe de travail du 21 juin 2011 pour la mise en oeuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles sur l'expulsion des étrangers criminels à l'intention du Département fédéral de justice et police (disponible sous www.ejpd.admin.ch).

ATF 128 I 288, c. 2.4.

Voir le message du Conseil fédéral du 22 juin 2011 relatif à la loi fédérale portant mise en oeuvre de l'art. 123b Cst., FF 2011 5565, p. 5578.

F. Werro, in: P. Pichonnaz/B. Foëx (éd.), Code civil I, Art. 1­359, Commentaire, Bâle 2010, Art. 1 N 65 ss; H. Honsell, in: Honsell/Vogt/Geiser (éd.), Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch I, Art. 1­456 ZGB, 4e éd., Bâle 2010, Art. 1 N 8 ss; voir ég. J. Hurtado Pozo, Droit pénal, Partie générale, Genève/Zurich/Bâle 2008, p. 56 s. et la jurisprudence citée.

8167

Deux éléments d'interprétation spécifiques des normes constitutionnelles doivent en outre être pris en considération en complément des méthodes d'interprétation générales39: ­

la mise en concordance pratique (ou interprétation «coordonnée»), qui implique que les normes constitutionnelles doivent être interprétées de manière à éviter, dans la mesure du possible, des conflits de normes à l'intérieur de la Constitution;

­

l'interprétation conforme au droit international, qui constitue une obligation visant à concilier le droit international et le droit interne.

3.2.2

Auteurs visés par l'initiative

Le titre de l'initiative et son argumentation se réfèrent au terme de «pédophile» pour désigner l'auteur des actes répréhensibles. D'après la classification des troubles mentaux et des troubles du comportement de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS)40, la pédophilie est définie comme étant la préférence sexuelle pour des enfants, le plus souvent prépubères. Toujours d'après cette classification, la personne doit être âgée d'au moins 16 ans et avoir au moins 5 ans de plus que la victime.

Les critères diagnostiques posés par le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV-TR)41 sont quant à eux les suivants: (A) présence de fantaisies imaginatives sexuellement excitantes, d'impulsions sexuelles, ou de comportements, survenant de façon répétée et intense, pendant une période d'au moins 6 mois, impliquant une activité sexuelle avec un enfant ou des enfants prépubères (généralement âgés de 13 ans ou plus jeunes), (B) la personne a cédé à ces impulsions sexuelles, ou les impulsions sexuelles ou les fantaisies imaginatives sont à l'origine d'un désarroi prononcé ou de difficultés interpersonnelles, (C) le sujet est âgé de 16 ans au moins et a au moins 5 ans de plus que l'enfant mentionné en A.

Le texte de l'initiative ne fait pas mention de la notion de pédophile. Il est plus large dans sa formulation puisqu'il vise non seulement les personnes ayant commis une infraction sur un enfant, mais également celles ayant commis une infraction sur une personne dépendante. Or, il est envisageable qu'un mineur exploite une position dominante pour accomplir des actes répréhensibles (grand frère à l'égard d'une petite soeur par exemple). En ce sens, l'initiative pourrait s'adresser à tous les auteurs d'infraction contre l'intégrité sexuelle, sans égard pour leur âge, et donc pas seulement aux personnes répondant à la définition de pédophile.

Cependant, en appliquant les autres critères d'interprétation, en particulier celui de l'interprétation téléologique et de l'interprétation systématique, et compte tenu de la gravité de la mesure proposée ­ interdiction à vie d'exercer une activité ­ on constate que l'application de l'initiative devrait se limiter aux auteurs majeurs. En effet, 39

40

41

Voir le rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010, La relation entre droit international et droit interne, FF 2010 2067, p. 2108, et le rapport du 21 juin 2011 du groupe de travail pour la mise en oeuvre des nouvelles dispositions constitutionnelles sur l'expulsion des étrangers criminels à l'intention du Département fédéral de justice et police, p. 20.

Classification internationale des maladies (dixième révision): Chapitre V (F): troubles mentaux et troubles du comportement: critères diagnostiques pour la recherche, Genève 2000.

Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, quatrième édition, texte révisé, version internationale, Paris 2003, ch. F65.4 (302.2), p. 659 ss.

8168

celle-ci part du principe que l'auteur d'actes d'ordre sexuel sur des personnes vulnérables ne pourra jamais se débarrasser complètement de ses pulsions et qu'il faut l'empêcher définitivement d'entrer en contact avec lesdites personnes. Or, ce présupposé est à nuancer lorsque les auteurs sont mineurs; ceux-ci sont encore en plein processus de construction du point de vue personnel et corporel et il est permis de penser qu'un traitement approprié et précoce aurait des chances d'aboutir. De plus, le cas du délinquant mineur sort manifestement de la configuration prévue par l'initiative selon laquelle l'auteur profite de sa position dominante au travail ou dans le cadre d'une activité bénévole, étant donné que la plupart des jeunes de moins de 18 ans ne sont pas encore entrés dans la vie active. Du point de vue de l'interprétation systématique, il faut rappeler que le droit pénal des mineurs met clairement l'accent sur les possibilités de réinsertion sociale des délinquants mineurs et qu'il consacre essentiellement des solutions flexibles et limitées dans le temps, permettant au juge de tenir compte de la personnalité du délinquant. Le législateur a en effet constaté que la délinquance des jeunes pouvait constituer une manifestation accessoire du développement et qu'une réaction énergique ne s'imposait pas nécessairement, du fait de son caractère passager42. Or, il faut rappeler ici que l'initiative souhaite supprimer tout pouvoir d'appréciation au juge et le contraindre à prononcer une interdiction d'exercer une activité à vie. A la lumière de ce qui précède, le Conseil fédéral estime que l'interdiction d'exercer une activité telle que prévue par l'art. 123c Cst. ne devrait pas s'appliquer aux auteurs mineurs. La récente décision du Parlement de ne pas appliquer l'art. 123b Cst. (imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine) aux auteurs mineurs alors que le texte de la disposition ne contient aucune restriction à ce sujet confirme cette interprétation43.

3.2.3

Comportements susceptibles de mener à l'interdiction d'exercer

Pour désigner les comportements pouvant mener à une interdiction d'exercer, le titre de l'initiative utilise la notion d'«infractions sexuelles sur des enfants, des personnes incapables de résistance ou de discernement». Le texte de l'initiative parle quant à lui d'une condamnation «pour avoir porté atteinte à l'intégrité sexuelle d'un enfant ou d'une personne dépendante». Ces termes doivent s'interpréter de manière autonome.

Etant donné que seule une condamnation peut mener au prononcé d'une interdiction d'exercer, il faut que le comportement en question réunisse les éléments constitutifs d'une infraction pénale. Ledit comportement doit porter atteinte à l'intégrité sexuelle de la victime, ce par quoi il faut entendre la liberté sexuelle (en exerçant une contrainte ou en profitant de l'état de vulnérabilité de la victime) et le développement sexuel (en agissant contre une jeune victime). Les atteintes à la vie ou à l'intégrité physique sont donc exclues du champ d'application de l'art. 123c P-Cst.

Un acte porte atteinte à l'intégrité sexuelle d'une personne non seulement lorsqu'il implique un contact direct entre l'auteur et la victime, mais également lorsque 42

43

Message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire ainsi que la loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 1787, p. 2023.

Voir le vote final des deux chambres du 15 juin 2012 (BO 2012 N 1239 et BO 2012 E 640).

8169

l'auteur, soit demande à la victime de se livrer à des actes d'ordre sexuel sur ellemême ou sur un tiers, soit confronte celle-ci à des actes d'ordre sexuel contre sa volonté44. L'acte doit en outre revêtir une certaine gravité et illustrer le danger potentiel que représente l'auteur pour la collectivité. Revêt une certaine gravité l'acte d'ordre sexuel par lequel l'auteur contraint sa victime à l'acte sexuel, lui impose des attouchements, lui demande de le toucher ou de le caresser, ou lui demande d'exercer des actes d'ordre sexuel sur elle-même. En revanche, le fait de se masturber ou de s'exhiber devant la victime ou le fait de la confronter à de la pornographie douce ne constitue pas un acte d'ordre sexuel d'une certaine gravité.

3.2.4

Victimes protégées

Les victimes sont désignées par le terme «enfants» dans le titre de l'initiative, par les termes d'«enfants» et de «personnes incapables de résistance ou de discernement» dans le titre de l'art. 123c P-Cst. et enfin par les termes d'«enfants» et de «personnes dépendantes» dans le texte même de l'art. 123c P-Cst. On peut donc déceler quatre catégories de victimes:

44

45 46 47 48

­

les enfants (Kinder, fanciulli): la notion d'enfant peut dépendre du contexte juridique dans lequel elle se trouve et ne correspond pas nécessairement à celle de mineur. L'art. 1 de la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant45 définit l'enfant comme un «être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable». L'art. 11 Cst., qui consacre la protection des enfants et des jeunes, ne donne pas de définition plus précise. Toutefois, la doctrine s'accorde pour dire qu'il s'agit probablement de protéger avant tout les mineurs46. Il est donc cohérent d'admettre que les enfants au sens de l'art. 123c P-Cst. doivent être compris comme des mineurs47;

­

les personnes incapables de résistance (zum Widerstand unfähige Personen, persone inette a resistere): cette terminologie couvre un nombre assez important de situations. En effet, une personne peut être incapable de résistance de manière temporaire ou durable, chronique ou provoquée et peut avoir plusieurs causes: consommation excessive d'alcool ou de drogue, invalidité physique, impossibilité de bouger (être ligoté par exemple) ou de voir l'auteur (se trouver sur le dos sur une table d'examen gynécologique ou sur le ventre sur une table de massage48), menace, recours à la violence, etc.;

­

les personnes incapables de discernement (urteilsunfähige Personen, persone incapaci di discernimento): la capacité de discernement est une notion juridique importante pour tous les domaines du droit. En se fondant sur l'art. 16 CC (discernement), la jurisprudence admet que la capacité de disPour une énumération plus complète des actes incriminés, voir P. Maier, in: Niggli/ Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht II, Art. 111­392 StGB, 2e éd., Bâle 2007, Art. 187 N 10.

RS 0.107 J.-F. Aubert/P. Mahon, Petit commentaire de la Constitution fédérale, Zurich/Bâle/ Genève 2003, Art. 11 N 3.

Le fait que l'art. 123c Cst. interdise les activités avec les mineurs confirme cette interprétation.

ATF 133 IV 49, c. 7; ATF 103 IV 165.

8170

cernement comporte un élément intellectuel, la capacité d'apprécier le sens et les effets d'un acte déterminé, et un élément caractériel, la faculté d'agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté. La capacité de discernement est relative, cela signifie qu'elle doit se déterminer in concreto, pour un acte déterminé. Dans le contexte des infractions contre l'intégrité sexuelle, cela signifie qu'il faut déterminer, pour chaque cas concret, si la victime était psychiquement apte à se défendre ou à consentir aux relations; ­

les personnes dépendantes (Abhängige, persone dipendenti): la notion de personne dépendante est extrêmement large. Elle va au-delà d'une incapacité physique ou psychique de se défendre et couvre un nombre important de réalités. La dépendance peut résulter d'un rapport hiérarchique, d'un rapport de confiance, de la crainte ou encore de difficultés financières. Ce type de rapport peut apparaître dans le cadre d'une relation de travail, dans le cadre d'une relation thérapeutique ou encore dans le cadre d'une relation où l'un des protagonistes dispose d'un certain pouvoir (enseignant, policier, agent de détention, etc.).

En résumé, l'auteur doit avoir profité d'une situation ou provoqué une situation lui permettant d'exercer un certain pouvoir sur la victime. L'auteur démontre ainsi qu'il est particulièrement dangereux, ce qui justifie le prononcé d'une interdiction d'exercer une activité pour limiter tout risque de récidive.

Il découle de ce qui a été mentionné aux ch. 3.2.3 et 3.2.4 qu'une interdiction d'exercer au sens de l'art. 123c P-Cst. ne devrait pouvoir être prononcée qu'en cas d'infraction aux art. 187 à 193 CP. Les comportements réprimés par ces dispositions portent atteintes à la liberté ou au développement sexuel, ils sont pour la plupart graves et dirigés contre des personnes dépendantes, incapables de se défendre ou ayant été contraintes à subir l'acte sexuel. En revanche, les atteintes à la vie et à l'intégrité physique (art. 111 ss CP) ou à la liberté (art. 182 CP) ne sont pas visées par l'art. 123c P-Cst.

3.2.5

Condamner

D'après les définitions que l'on peut tirer des dictionnaires, condamner signifie «frapper d'une peine, fair subir und punition (à qqn), par un jugement»49 ou «prononcer une peine par jugement contre la personne jugée coupable d'une infraction»50. En allemand, condamner signifie «durch Gerichtsbeschluss mit einer bestimmten Strafe belegen»51. En italien enfin, condamner est un «detto dell'autorità giudiziaria, imporre una pena o una sanzione a un imputato riconisciuto colpevole»52. Dans les trois langues, on constate que la notion de condamnation est intimement liée à celle de peine. Une condamnation suppose ainsi non seulement une reconnaissance de la culpabilité, mais également le prononcé d'une peine. Cette définition est plus restrictive que la définition juridique de la condamnation, qui 49 50 51 52

Le Nouveau Petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris 2008.

Le Petit Larousse illustré en couleurs, Paris 2006.

Deutsches Universalwörterbuch, Mannheim/Leipzig/Vienne/Zurich 2001.

Dizionario della Lingua Italiana, Milan 2003.

8171

consiste en la reconnaissance, par une autorité judiciaire, de la culpabilité d'une personne, indépendamment du fait qu'une peine ait été prononcée53. La possibilité de condamner une personne sans prononcer de peine à son encontre est notamment prévue par les art. 52 à 54, 187, al. 3, 188, al. 2, 192, al. 2, et 193, al. 2, CP et par les art. 45, 46 et 156, al. 3, CPM. Cette comparaison ne permet pas de déterminer clairement quel type de condamnation devrait être soumis à l'art. 123c Cst. Cependant, et compte tenu de l'objectif de l'initiative qui, rappelons-le, est d'écarter tout danger de récidive, on peut raisonnablement admettre qu'une condamnation sans peine devrait déjà suffire à permettre le prononcé d'une interdiction d'exercer une activité.

Il faut cependant relever qu'une telle solution serait très probablement contraire au principe de la proportionnalité, ce d'autant que l'interdiction doit être prononcée à vie (voir ch. 3.2.6). Pour qu'une interdiction d'exercer si stricte soit un tant soi peu défendable, il faudrait sérieusement envisager d'en limiter l'application aux infractions d'une certaine gravité.

3.2.6

Privation définitive du droit d'exercer une activité

Ce passage du texte de l'art. 123c P-Cst. soulève en fait trois questions bien distinctes: (1) le juge doit-il ordonner obligatoirement une interdiction dès qu'il prononce une condamnation? (2) l'interdiction doit-elle être systématiquement prononcée à vie? et (3) la privation du droit signifie-t-elle que la profession à interdire est soumise à autorisation?

Le caractère obligatoire du prononcé de l'interdiction ne fait aucun doute. Dès que le juge condamne une personne ou, plus précisément, lorsqu'il reconnaît la culpabilité d'une personne (voir ch. 3.2.5), il doit ordonner une interdiction d'exercer. Contrairement au système actuel, le juge ne dispose sur ce point d'aucun pouvoir d'appréciation ni ne doit démontrer qu'il y a lieu de craindre de nouveaux abus.

Le terme «définitivement» est dépourvu d'ambiguïté: lorsque les conditions sont données, l'interdiction d'exercer une activité doit être prononcée à vie. Là encore, une telle solution irait vraisemblablement à l'encontre du principe de la proportionnalité. Pour atténuer ce risque, on pourrait imaginer d'introduire un système d'examen périodique ou autoriser le condamné à demander un réexamen de son cas après une période minimale de dix ou quinze ans.

La troisième et dernière question est plus délicate. Le fait de dire que le condamné doit être privé de son droit d'exercer une activité peut laisser entendre qu'il doit avoir préalablement obtenu le droit d'exercer un travail ou une activité et que celleci doit lui être retirée en cas de commission d'une infraction pénale. Une telle interprétation serait cependant trop restrictive et susceptible de vider l'initiative de sa substance. Aussi faut-il partir du principe que l'auteur doit être privé du droit d'exercer une activité avec des enfants de manière générale, que l'acte ait été commis dans l'exercice de sa profession ou pas et que la profession soit soumise à autorisation ou pas. Cette conclusion est d'autant plus logique que l'interdiction devra 53

Voir à ce sujet P. Gruber, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht II, Art. 111­392 StGB, 2e éd., Bâle, 2007, Art. 366 N 15, avec le renvoi au message du Conseil fédéral du 21 septembre 1998 concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire ainsi que la loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs, FF 1999 1787.

8172

également concerner les activités bénévoles, qui ne sont en principe pas soumises à autorisation.

3.2.7

Activité professionnelle ou bénévole

L'argumentation du comité d'initiative à l'appui de son texte donne quelques exemples d'activités professionnelles ou bénévoles en contact avec des enfants: celles d'enseignant, d'entraîneur sportif, d'éducateur, d'accompagnateur de camps de vacances. Ces activités ont ceci de commun qu'elles se déroulent dans un cadre organisé, raison pour laquelle le Conseil fédéral considère que l'interdiction doit se limiter aux activités organisées. Cela a pour conséquence que la prise en charge des mineurs ou des personnes dépendantes dans un cadre strictement privé (au sein de la famille, par des amis, etc.) ne tombe pas dans le champ d'application de l'initiative.

Dans ces cas-là, le choix des personnes à qui les enfants sont confiés dépend de la responsabilité des parents ou des personnes auxquelles l'autorité parentale a été octroyée. Quant à l'exercice de l'autorité parentale, il est clair qu'il ne constitue pas une activité professionnelle ou bénévole et qu'il n'est donc pas visé par l'art. 123c P-Cst. S'il existe un danger pour le développement de l'enfant, l'autorité tutélaire ­ avisée de l'existence d'une condamnation par les autorités de poursuite pénale (art. 75, al. 2, CPP) ­ prendra les mesures qui s'imposent en vertu des art. 307 ss CC relatifs à la protection de l'enfant (mesures protectrices, retrait du droit de garde, retrait de l'autorité parentale).

3.2.8

Activité en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes

Conformément au texte de l'initiative, les activités à prohiber doivent être exercées «en contact» avec des mineurs ou des personnes dépendantes. Le terme de «contact» est large et laisse une marge d'appréciation significative. Il ne donne en particulier aucune information sur la fréquence des contacts, leur durée ou leur intensité. La version allemande diverge quelque peu de la version française puisqu'elle utilise le terme «mit», qui souligne un peu plus clairement que l'activité implique, par sa nature même, le fait de se trouver régulièrement en relation directe avec les personnes visées et de pouvoir développer avec celles-ci un lien étroit. Par régulièrement, il faut entendre aussi bien les relations de courte durée ou peu fréquentes pouvant s'étaler sur une période relativement longue que les relations intensives pouvant s'étaler sur une courte période. En revanche, la simple probabilité qu'un contact puisse avoir lieu ne devrait pas être suffisante.

Les activités susceptibles de mettre en contact avec des mineurs devraient ainsi comprendre toutes les activités exercées au sein de crèches, d'écoles, d'institutions parascolaires, de foyers d'éducation, d'internats, de clubs sportifs, de paroisses, de camps de vacances, de divisions pédiatriques, etc., pour autant qu'elles permettent de développer un lien de confiance avec les enfants (celles d'enseignant, d'accompagnant, de médiateur, etc.). Les activités d'intendance exercées dans de tels établissements (concierge, secrétaire, cuisinier, personnel de ménage) ne devraient en revanche pas pouvoir être interdites.

8173

Les activités susceptibles de mettre en contact avec des personnes devraient comprendre toutes les activités exercées au sein d'établissements de soins (hôpitaux, établissements médico-sociaux, établissements spécialisés pour personnes handicapées physiquement ou mentalement, etc.), et même les activités thérapeutiques en général, comme la médecine ou la psychothérapie, ou encore les activités impliquant un contact avec des personnes détenues, internées ou prévenues. Ces activités impliquent en effet la création d'un lien de dépendance, de subordination ou de confiance.

3.3

Modalités pratiques

L'art. 123c P-Cst. ne prévoit pas la façon dont l'interdiction d'exercer une activité doit être réalisée sur le terrain. Les auteurs de l'initiative laissent donc implicitement au législateur le soin de concrétiser cette disposition constitutionnelle. Cet aspect du dossier est fondamental pour garantir le succès de la mesure proposée.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des buts de l'initiative

Les objectifs de l'initiative ont été brièvement évoqués au ch. 3.1. Il y a lieu à ce stade de les analyser plus précisément et de voir dans quelle mesure l'initiative permettrait de les réaliser.

4.1.1

Offrir une meilleure protection aux victimes potentielles

Le Conseil fédéral partage totalement l'objectif des auteurs de l'initiative d'offrir la meilleure protection possible aux enfants et aux personnes dépendantes face aux infractions contre l'intégrité sexuelle. En ce sens, l'initiative met en lumière certaines carences du système actuel en matière d'interdiction d'exercer une activité, comme le fait que la possibilité de prononcer une interdiction d'exercer soit limitée aux infractions commises dans l'exercice d'une profession, que la durée de l'interdiction d'exercer soit de cinq ans au plus et qu'elle ne puisse concerner que les activités professionnelles, à l'exclusion des activités bénévoles. Cette interdiction n'est pas la panacée contre la récidive, mais peut avoir un intérêt pour certains délinquants sexuels qui présentent un risque résiduel. Il est en effet possible de diminuer ce risque en évitant de placer l'intéressé dans une situation susceptible de provoquer un nouveau passage à l'acte.

Cela étant dit, le succès de l'initiative dépend en grande partie de la façon dont elle serait, le cas échéant, concrétisée et mise en oeuvre. Sans mesures d'accompagnement (création d'un extrait du casier judiciaire spécial, suivi du condamné par un agent de probation, soumission à un traitement médical, utilisation éventuelle de bracelets électroniques, etc.), elle ne pourrait que partiellement atteindre son objectif.

8174

4.1.2

Renforcer la lutte contre la délinquance sexuelle dirigée contre les enfants

Pour lutter contre la délinquance sexuelle, il faut agir à trois niveaux: la prévention, la dissuasion et la répression. L'interdiction d'exercer une activité, qui déploie des effets dissuasifs et répressifs, est donc effectivement un des moyens permettant de lutter contre la délinquance sexuelle. Elle ne doit cependant pas faire oublier le fait que la prévention revêt une importance capitale et il ne faut absolument pas relâcher les efforts dans ce domaine (voir ch. 6.3.1 in fine).

4.2

Commentaire du texte de l'initiative

4.2.1

Notions imprécises

L'exercice d'interprétation effectué au ch. 3.2 a montré que plusieurs points de l'initiative étaient susceptibles d'être compris de diverses manières. Comme on l'a vu plus haut, la condamnation, la privation du droit d'exercer une activité en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes, sont autant de termes qui doivent être soigneusement analysés avant d'en comprendre le sens réel. Les auteurs visés et les infractions susceptibles de mener à une interdiction doivent également être déterminés.

4.2.2

Proposition incomplète

Quand bien même on pourrait dissiper les incertitudes que soulève l'art. 123c P-Cst., la solution ainsi obtenue ne serait pas complète. Tout d'abord, l'interdiction serait limitée aux infractions contre l'intégrité sexuelle des mineurs et des personnes dépendantes. Les infractions contre la vie et l'intégrité physique seraient exclues du champ d'application de cette disposition (voir ch. 3.2.3). Une telle solution ne serait pas très cohérente, dans la mesure où les infractions précitées sont considérées comme très graves. Ensuite, l'art. 123c P-Cst. ne se prononce absolument pas sur la façon dont l'interdiction doit être réalisée sur le terrain.

4.2.3

Une mise en concordance pratique délicate

Comme cela a déjà été dit plus haut sous ch. 3.2.1, l'interprétation d'une disposition constitutionnelle doit également permettre d'éviter les contradictions au sein de la Constitution fédérale. Or, la création d'un automatisme entre la condamnation et l'interdiction d'exercer ou, en d'autres termes, le fait de supprimer tout pouvoir d'appréciation au juge, entre en conflit direct avec le principe de la proportionnalité consacré par les art. 5 et 36 Cst. Pour harmoniser les deux principes de rang constitutionnel, il faudrait relativiser la portée absolue de l'art. 123c P-Cst., en prévoyant par exemple de ne permettre le prononcé d'une interdiction d'exercer une activité que si l'infraction a été sanctionnée par une peine minimale et/ou de permettre à l'autorité ou au condamné de demander périodiquement un examen de l'utilité de la mesure.

8175

4.2.4

Un conflit avec les règles non impératives du droit international

L'initiative populaire est susceptible de restreindre la liberté personnelle visée à l'art. 8 CEDH, qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. En vertu de l'art. 8, al. 2, CEDH, une ingérence dans l'exercice de ce droit n'est possible que si elle est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et des libertés d'autrui. Selon la jurisprudence établie par la Cour européenne des droits de l'homme (Cour EDH), de telles ingérences doivent répondre à un besoin social impérieux, ce qui exige une pesée des intérêts dans chaque cas concret. Dans ce contexte, la Cour EDH attache beaucoup d'importance à la portée radicale d'une restriction donnée, à la sévérité d'une sanction prononcée ou au caractère absolu d'une obligation imposée54. Ces conditions de restriction correspondent en grande partie au principe de proportionnalité tel que prévu en droit constitutionnel suisse.

Ce principe fondateur de l'Etat de droit doit servir de guide tant dans l'application du droit que dans l'activité législative55. Chaque fois qu'il s'agit de restreindre un droit fondamental, une pesée minutieuse des intérêts en présence s'impose. Un automatisme aveugle, qui ne tiendrait compte ni de l'adéquation, ni de la nécessité, ni de la proportionnalité au sens strict d'une mesure, serait manifestement en contradiction avec l'ordre juridique fondamental56.

Certains éléments de l'art. 123c P-Cst. posent des problèmes en vertu des principes développés par la Cour EDH, en particulier le fait de coupler l'obligation de prononcer une interdiction avec le fait que celle-ci soit définitive. Il est tout à fait vraisemblable que la rigidité de cette solution aboutisse, dans certains cas particuliers, à une solution allant «au-delà de ce qui est nécessaire dans une société démocratique», pour reprendre l'expression de la Cour EDH, et aboutisse à des constats de violation de l'art. 8 CEDH par la Cour EDH. On pourrait atténuer ce risque ­ sans pouvoir totalement le supprimer ­ en subordonnant l'interdiction d'exercer à vie à une peine privative de
liberté minimale, tout en donnant au condamné la possibilité de demander la levée de la mesure après une période de plusieurs années (cinq ou dix ans par exemple).

4.2.5

Conséquences inattendues

Le Conseil fédéral admet que l'interdiction d'exercer une profession ou une activité bénévole peut contribuer à la lutte contre la récidive d'infractions contre l'intégrité sexuelle des mineurs et des personnes dépendantes. Les modalités de son application doivent cependant être soigneusement élaborées, afin d'en garantir une application proportionnée. Or, l'introduction, dans le système pénal suisse, d'une interdiction automatique d'exercer une activité professionnelle ou bénévole à vie pourrait, du fait 54

55 56

A. Auer/G. Malinverni/M. Hottelier, Droit constitutionnel suisse, Volume II, Les droits fondamentaux, Berne 2006, p. 115; voir ég. arrêt de la CEDH Vogt c. Allemagne du 26 septembre 1995, § 54 ss; arrêt de la CEDH Emre c. Suisse du 22 mai 2008, § 85 s.

ATF 96 I 234, c. 5.

ATF 130 I 16, c. 5.4; ATF 117 I 472, c. 3g.

8176

de son manque de souplesse, déployer des effets négatifs. Pour les personnes ne disposant que d'une seule formation, une extension importante du champ d'application matériel et temporel de l'interdiction d'exercer pourrait les mettre, ainsi que leurs familles, en difficulté et contribuer à leur marginalisation. En outre, une interdiction d'exercer à vie pourrait être considérée comme une deuxième peine et inciter les juges à se montrer plus cléments, ce qui serait un mauvais signal vis-à-vis de la lutte contre la délinquance sexuelle.

4.3

Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative populaire

En cas d'acceptation de l'initiative populaire, le Conseil fédéral doit la mettre en oeuvre. Or, l'art. 123c P-Cst. n'est pas directement applicable, car il contient des notions imprécises et ne prévoit pas la manière dont l'interdiction d'exercer une activité doit être concrétisée et mise en pratique. Le législateur devra concrétiser les notions imprécises et compléter le système au niveau de la loi. Cependant, en cas d'interprétation stricto sensu de la nouvelle disposition constitutionnelle, cette loi d'application entrerait en conflit avec les obligations internationales de la Suisse (voir ch. 4.2.4).

4.4

Mérites et lacunes de l'initiative

Le Conseil fédéral partage entièrement l'idée selon laquelle il est intolérable qu'une personne ayant fait l'objet d'une condamnation pour avoir porté atteinte à l'intégrité sexuelle de mineurs ou de personnes dépendantes puisse recommencer à travailler ou à exercer une activité bénévole avec la même catégorie de personnes tant et aussi longtemps qu'elle présente un danger pour ces personnes. En ce sens, les dispositions actuelles relatives à l'interdiction d'exercer une activité sont perfectibles; l'un des mérites de l'initiative est d'avoir conforté l'avis du Conseil fédéral selon lequel des modifications doivent être envisagées dans le domaine de l'interdiction d'exercer une activité, afin de supprimer les défauts du système actuel, comme le fait que la possibilité de prononcer une interdiction d'exercer soit limitée aux infractions commises dans l'exercice d'une profession, que la durée de l'interdiction d'exercer soit de cinq ans au plus et qu'elle ne puisse concerner que les activités professionnelles, à l'exclusion des activités bénévoles.

Cependant, aussi louable soit-elle, l'initiative n'est pas suffisamment complète pour atteindre le résultat qu'elle souhaite obtenir. En outre, la terminologie utilisée est soumise à interprétation et il n'est pas exclu qu'elle déploie des effets indésirables.

Enfin, l'obligation de prononcer automatiquement une interdiction à vie risque de se heurter aux dispositions de la CEDH.

8177

5

Conclusions sur l'initiative populaire et proposition du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral tient encore à souligner qu'il partage totalement l'idée de fond soutenue par les auteurs de l'initiative, à savoir protéger les mineurs et les personnes dépendantes de manière plus efficace contre la récidive, tout en ne montrant aucune complaisance envers les auteurs d'infractions contre l'intégrité sexuelle de cette catégorie de personnes. Cependant, en tant que garant d'un ordre juridique cohérent, efficace et juste, il estime qu'il faut proposer le rejet de l'initiative populaire. Le texte de l'initiative est en effet incomplet et il pourrait, en fonction de l'interprétation que l'on donne à la disposition constitutionnelle, poser des problèmes de compatibilité avec les principes fondamentaux de notre ordre juridique et avec ceux du droit international.

Afin de prendre en compte les besoins exprimés par les auteurs de l'initiative et de supprimer les faiblesses du système actuel, qu'il avait par ailleurs identifiées avant le dépôt de l'initiative populaire, le Conseil fédéral estime qu'il est approprié d'opposer à l'initiative les travaux en cours relatifs à la mise en oeuvre des interventions parlementaires mentionnées au ch. 2.4, en tant que contre-projet indirect.

6

Contre-projet indirect

6.1

Contexte

6.1.1

Genèse de l'avant-projet

Parmi les interventions parlementaires mentionnées au ch. 2.4, seule la motion 08.3373 charge le Conseil fédéral de faire des propositions de modification destinées à renforcer la protection des enfants contre les personnes ayant déjà fait l'objet d'une condamnation pour actes d'ordre sexuel sur des enfants. Les autres objets ont été rejetés ou consistent en des initiatives parlementaires qui ne relèvent pas de la compétence du Conseil fédéral. En exécution de cette motion, le Conseil fédéral a mis en consultation un avant-projet, accompagné de son rapport explicatif, le 23 février 201157, soit environ deux mois avant le dépôt de l'initiative populaire. L'avantprojet prévoyait d'introduire les modifications suivantes:

57

­

Extension de l'interdiction d'exercer une profession aux activités non professionnelles, exercées dans une association ou autre organisation. En conséquence, l'interdiction d'exercer une profession deviendra une «interdiction d'exercer une activité».

­

Introduction de deux formes aggravées d'interdiction d'exercer une activité.

Premièrement, le juge pourra interdire l'exercice d'une activité à l'auteur, même si ce n'est pas dans le cadre de cette activité qu'il a commis une infraction, si la victime est un mineur ou une autre personne particulièrement

Rapport du Conseil fédéral de janvier 2011 concernant une modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs (interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique) (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

8178

vulnérable. Deuxièmement, l'interdiction sera infligée d'office dans le cas de certains actes d'ordre sexuel contre des mineurs.

­

Création de deux interdictions complémentaires: l'interdiction de contact et l'interdiction géographique, inspirées par l'art. 28b du code civil (CC).

­

Intégration des modifications au CPM et, sous une forme atténuée, au DPMin, qui ne comporte pas aujourd'hui de norme sur l'interdiction d'exercer une profession.

­

Instauration d'un extrait spécial du casier judiciaire destiné à des particuliers, qui devra toujours être demandé aux candidats à une activité professionnelle ou non professionnelle impliquant des contacts réguliers avec des mineurs ou autres personnes particulièrement vulnérables.

6.1.2

Résultats de la procédure de consultation

La consultation s'est déroulée du 23 février au 31 mai 2011. 75 prises de position ont été envoyées, pour un total d'environ 500 pages. Sur les 117 destinataires de la procédure de consultation, 61 ont répondu, parmi lesquels 5 ont expressément refusé de se prononcer sur le fond. 14 participants ont donc décidé de se joindre à la procédure de consultation de leur propre initiative.

Généralités L'objectif poursuivi par l'avant-projet, à savoir protéger les mineurs et les personnes particulièrement vulnérables contre les personnes ayant déjà fait l'objet d'une condamnation par l'introduction d'une interdiction d'exercer une activité, d'une interdiction de contact et d'une interdiction géographique, a été approuvé par pratiquement tous les participants à la procédure de consultation. L'introduction d'un extrait spécial du casier judiciaire et la création d'une norme de compétence dans la Constitution fédérale ont également été approuvées par une majorité des participants. La proposition consistant à exiger impérativement l'extrait spécial de la part des personnes souhaitant exercer une activité auprès de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables a en revanche provoqué d'âpres débats: tandis que de nombreux cantons approuvent cette nouveauté, les organisations extraprofessionnelles directement concernées sont les premières à s'y opposer. Elles voient dans l'obligation d'exiger un extrait du casier judiciaire une tâche insurmontable. Les cantons principalement craignent que la mise en oeuvre occasionne des coûts élevés.

De plus, plusieurs participants ont appelé à un renforcement de la prévention et de l'éducation, à côté ou à la place de la création de nouveaux instruments pénaux.

Création d'une nouvelle norme de compétence dans la Constitution fédérale La création d'une nouvelle norme de compétence dans la Constitution fédérale a été approuvée par une majorité, même si quelques remarques et suggestions ont été faites. Une minorité soutient que la norme doit être rédigée de manière plus précise et plus restrictive. Quelques participants la rejettent, au motif que les mesures de prévention relèvent des prescriptions de police et, partant, de la compétence des cantons.

8179

Extension aux activités extraprofessionnelles et aux actes commis en dehors d'une activité professionnelle L'extension de l'actuelle interdiction d'exercer une profession aux activités extraprofessionnelles, ainsi que la règle selon laquelle l'infraction ne doit pas nécessairement avoir été commise dans l'exercice de l'activité à interdire, ont été approuvées par une grande majorité des participants. L'introduction d'une interdiction obligatoire d'exercer une activité a par contre provoqué d'âpres débats: dix cantons, l'UDC, les Femmes PDC et six organisations, qui s'occupent en particulier de la protection des enfants, approuvent une interdiction obligatoire d'exercer une activité pour certaines infractions contre l'intégrité sexuelle des mineurs; huit cantons, le PS et cinq organisations et institutions rejettent cette idée, car elle peut se révéler disproportionnée.

Interdiction de contact et interdiction géographique L'interdiction de contact et l'interdiction géographique sont certes soutenues par une majorité, mais des réserves ont été émises quant à leur financement et leur contrôle.

En outre, plusieurs participants se montrent critiques sur l'interdiction de quitter un endroit déterminé.

Exécution de l'interdiction Les règles relatives à l'exécution des interdictions ont été diversement appréciées.

En particulier les cantons soulignent qu'il faudra renforcer les capacités dans le domaine de la probation et que des coûts supplémentaires, qu'il n'est pas encore possible d'évaluer, sont à prévoir. L'utilisation de moyens techniques (Electronic Monitoring, EM) pour surveiller l'interdiction de contact et l'interdiction géographique a été soutenue par une majorité.

Extrait spécial du casier judiciaire et obligation de l'exiger L'instauration d'un extrait spécial du casier judiciaire et la proposition consistant à l'exiger impérativement des personnes souhaitant exercer une activité auprès de mineurs ou de personnes particulièrement vulnérables ont été sujettes à controverse.

De nombreux cantons et plusieurs organisations saluent ces propositions, mais expriment cependant quelques réserves. Lesdites propositions ont principalement été rejetées par les organisations bénévoles. Les partis sont également divisés sur cette question.

6.1.3

Modifications de l'avant-projet et utilisation de celui-ci en tant que contre-projet indirect

Etant donné la particularité de la situation ­ l'avant-projet devient en cours de procédure un contre-projet indirect à une initiative populaire ­, le texte n'a pas seulement été retravaillé à la lumière des résultats de la procédure de consultation, mais également à la lumière de l'initiative populaire. Il ne s'agit pas de faire une mise en oeuvre anticipée de l'initiative populaire, mais de tenir compte du fait que plus de 100 000 citoyens ont d'ores et déjà soutenu le principe d'un durcissement dans le domaine de l'interdiction d'exercer une profession. Malgré tout, le contre-projet indirect est fortement imprégné des principes généraux régissant les mesures en droit

8180

suisse, en particulier le principe de la proportionnalité (adéquation, nécessité et proportionnalité stricto sensu).

Conformément à ce qui a été dit au ch. 6.1.2, une grande majorité des participants à la procédure de consultation a soutenu, du moins dans son principe, la révision proposée. Cependant, les participants ont fait de très nombreuses propositions, qui ont nécessité un nouvel examen minutieux de l'ensemble de l'avant-projet. Un nombre relativement important de ces propositions a été pris en considération parce qu'elles émanaient d'un grand nombre de participants et/ou qu'elles mettaient en lumière une faiblesse de l'avant-projet. Les grandes lignes du projet sont exposées au ch. 6.2.

6.2

Principaux éléments du contre-projet

6.2.1

Interdiction d'exercer une activité non professionnelle organisée

Les actes d'ordre sexuel commis contre des enfants sont souvent perpétrés par des personnes qui ont acquis la confiance de l'enfant. Or, c'est surtout dans le cadre extraprofessionnel, plus que dans le cadre d'une activité professionnelle, que peut s'instaurer une telle relation.

Il est possible aujourd'hui d'interdire des activités non professionnelles durant le délai d'épreuve, sous forme de règles de conduite (en cas de sursis ou de libération conditionnelle d'une peine ou d'une mesure). Il s'agit de pouvoir le faire à l'avenir en dehors du délai d'épreuve58.

L'initiative parlementaire de la CAJ-N 08.448 circonscrit les activités non professionnelles pouvant être interdites aux activités de loisirs organisées mettant l'auteur en relation avec des enfants de moins de seize ans. La motion Sommaruga demande que le juge puisse interdire à une personne condamnée de faire partie comme membre bénévole, membre du personnel ou organe de toute personne morale, association ou groupement dont l'activité concerne des personnes du type de la victime. Bien que le mandat au Conseil fédéral ne se réfère qu'aux auteurs d'infractions à l'intégrité sexuelle des enfants, le titre et le développement de la motion étendent son domaine d'application à d'autres infractions. L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» prévoit de priver les personnes concernées «du droit d'exercer une activité professionnelle ou bénévole en contact avec des mineurs ou des personnes dépendantes».

Le contre-projet ne prévoit pas que l'on puisse interdire toutes les activités extraprofessionnelles, mais seulement celles qui ont lieu dans un cadre organisé (art. 67 P-CP). Il vise principalement les situations dans lesquelles les parents confient leur enfant à la garde d'un tiers (association ou autre organisation). Les parents doivent pouvoir supposer que leur enfant ne court pas de danger en étant remis entre les mains d'un repris de justice. L'interdiction d'exercer une activité non professionnelle organisée ne concernera par contre pas la prise en charge de mineurs dans le cadre privé, par des membres de la famille ou par des proches. Sur ce point, la

58

Il ne suffirait pas de prolonger la durée de la mise à l'épreuve au lieu de créer de nouvelles interdictions, comme l'ont suggéré certains participants à la consultation.

8181

distinction est nette entre cette mesure et l'interdiction de contact ou l'interdiction géographique (art. 67b P-CP) qui couvrent tous types de situations.

L'interdiction d'exercer une activité professionnelle et l'interdiction d'exercer une activité non professionnelle organisée seront soumises aux mêmes conditions et regroupées dans le même article, sous la notion commune d'«interdiction d'exercer une activité» (art. 67 P-CP).

6.2.2

Interdiction d'exercer une activité faite aux auteurs d'actes qui n'ont pas été commis dans l'exercice de cette activité

L'art. 67 CP permet aujourd'hui d'ordonner une interdiction d'exercer une profession à l'auteur d'une infraction commise dans le cadre de cette même profession.

Quelqu'un qui aurait commis des abus sexuels sur des enfants au cours de ses loisirs ne pourrait pas se voir interdire de devenir enseignant d'école primaire. La portée de cet article est trop réduite, raison pour laquelle le contre-projet prévoit de l'étendre.

Cependant, s'il est facile de concevoir l'intérêt qu'il y a à étendre l'interdiction dans le domaine des actes d'ordre sexuel commis contre des mineurs, il ne serait pas évident, pour ce qui est des autres types d'infractions, de déterminer quelle activité interdire lorsque l'acte punissable n'a pas été commis dans le cadre de cette activité.

Quelle profession proscrire à un jardinier de métier qui, dans son temps libre, falsifie des documents à des fins d'escroquerie? On le voit, étendre sans distinction la portée de l'art. 67 CP ferait perdre tout contour à cette norme. Le juge serait obligé de considérer, dans chaque cas, quelles activités il faut empêcher l'auteur d'exercer, en considérant toutes celles que celui-ci pourrait potentiellement embrasser.

Il faut garder à l'esprit que toute condamnation pour un crime ou un délit figure un certain temps sur l'extrait du casier judiciaire destiné à des particuliers (voir art. 371 CP). Quelqu'un peut donc se voir empêché d'exercer une activité professionnelle alors qu'il a commis un acte punissable dans ses loisirs et que le juge n'a pas pu ordonner une interdiction d'exercer une profession. Dans de nombreux domaines d'activité, on demande aujourd'hui un extrait du casier judiciaire aux candidats à un emploi. Dans les secteurs sensibles tels que la banque, les assurances, les aéroports, etc., on va même jusqu'à en demander régulièrement, avec le consentement des personnes concernées, afin de contrôler l'aptitude du personnel.

L'interdiction d'exercer une activité au sens de l'art. 67 P-CP ne sera donc pas indistinctement étendue à toutes sortes de cas; elle ne le sera qu'à des actes punissables ­ en particulier d'ordre sexuel ­ commis à l'encontre de mineurs et autres personnes particulièrement vulnérables (art. 67, al. 2, 3 et 4, P-CP, voir ch. 6.2.3 et 6.2.4).

8182

6.2.3

Interdiction qualifiée d'exercer une activité au nom de la protection des mineurs et autres personnes particulièrement vulnérables

Le contre-projet institue une forme plus sévère de l'interdiction d'exercer une activité, qui vise spécifiquement à protéger les mineurs et les autres personnes particulièrement vulnérables (art. 67, al. 2, P-CP). Cette interdiction qualifiée pourra frapper des personnes ayant commis une infraction en dehors de l'exercice de l'activité interdite (voir ch. 6.2.2). Elle ne sera pas infligée en fonction d'une certaine peine minimale. Elle pourra être prononcée contre une personne irresponsable (comme l'interdiction actuelle d'exercer une profession en vertu de l'art. 19, al. 3, CP). Sa durée maximale sera aussi plus longue (un à dix ans, si nécessaire à vie; art. 67, al. 2 et 6, P-CP).

Cette protection particulière couvre les mineurs (à savoir les personnes de moins de 18 ans, voir ch. 6.4.1 ad art. 67) et pas seulement les enfants de moins de 16 ans. La disposition proposée reflète l'art. 11 Cst. qui garantit une protection particulière aux enfants et aux jeunes. La Convention de l'ONU du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant protège elle aussi les êtres humains de moins de 18 ans (art. 1).

Que l'on songe d'ailleurs au nombre de mineurs de 16 ans et plus qui vont à l'école et qu'il se justifie de protéger dans ce cadre par l'interdiction d'exercer une activité.

Outre les mineurs, la disposition couvrira les personnes qui ne peuvent pas mener leur existence sans assistance extérieure, surtout les personnes gravement malades et les personnes âgées. Comme les plus jeunes, elles ont un lien de dépendance particulier envers ceux qui s'occupent d'elles. Il est donc particulièrement important qu'elles ne se trouvent pas entre les mains de personnes qui ont déjà commis une infraction envers des gens vulnérables et qui sont susceptibles de récidiver.

Dans le domaine des soins, les agressions sexuelles peuvent aussi toucher des personnes qui ne sont pas particulièrement dépendantes d'une assistance. On n'étendra cependant pas la protection particulière prévue à l'art. 67, al. 2, P-CP à l'ensemble du domaine de la santé, car elle n'aurait plus de limites. Si la victime n'est pas un mineur ou une autre personne particulièrement vulnérable, ces actes pourront tomber sous le coup de l'interdiction générale d'exercer une activité prévue par l'art. 67, al. 1, P-CP.

Par ailleurs, les interdictions
d'exercer une activité au sens de l'art. 67, al. 1 et 2, P-CP ne seront ordonnées qu'en cas de pronostic défavorable. Précisons qu'elles ne visent pas des délinquants très dangereux. Au contraire, il s'agira plutôt de personnes qui ont été condamnées à une peine avec sursis ou qui ont été libérées conditionnellement, ce qui implique, selon les termes de la loi, un bon pronostic. Cette contradiction n'est qu'apparente, en ce sens que le pronostic défavorable qui justifie l'interdiction se réfèrera à des situations précises qui présentent un risque résiduel (par ex. l'exercice d'une activité donnée avec des enfants). Dans certains cas, l'auteur pourra probablement bénéficier d'un pronostic général favorable précisément parce que telle activité lui aura été interdite.

8183

6.2.4

Interdiction systématique d'exercer une activité au nom de la prévention des actes d'ordre sexuel contre des mineurs et autres personnes particulièrement vulnérables

Le juge sera tenu d'infliger une interdiction d'exercer des activités professionnelles et des activités extraprofessionnelles organisées impliquant des contacts réguliers avec des mineurs à toute personne qui aura commis un acte sexuel et à l'encontre de laquelle une peine minimale déterminée ou une mesure stationnaire aura été prononcée (art. 67, al. 3, P-CP).

Il devra ordonner cette mesure même si l'auteur ne présente pas de pronostic défavorable. Les parents doivent pouvoir donner leur enfant en garde à des tiers en ayant la certitude qu'il ne s'agit pas de délinquants condamnés pour des actes d'ordre sexuel contre des mineurs. Dans ces cas-là, ce n'est pas le pronostic quant au risque de récidive qui importe, mais l'existence même de mauvais antécédents: parce qu'il a eu tel comportement dans le passé, on présume que l'auteur n'est pas apte à exercer certains métiers ou certaines activités.

Dès lors que les conditions de l'art. 67, al. 3, P-CP seront remplies, le juge n'aura pas de marge d'appréciation. C'est une mesure qui va très loin, surtout au regard du principe de l'activité de l'Etat régi par le droit et du principe de proportionnalité (art. 5, al. 2, Cst.). La question de la proportionnalité se pose d'ailleurs de manière particulièrement aiguë du fait que l'interdiction d'exercer une activité appartient, dans le système du droit pénal, à la catégorie des mesures: dans ce domaine, le principe est que l'atteinte aux droits de la proportionnalité de l'auteur ne doit pas être disproportionnée au regard de la vraisemblance qu'il commette de nouvelles infractions et de leur gravité (voir art. 56 ss, notamment art. 56, al. 2, CP)59. Lors de la consultation, des préoccupations se sont fait jour quant à la proportionnalité de cette interdiction systématique60. On a donc choisi de n'obliger le juge à ordonner l'interdiction d'exercer une activité qu'à l'encontre des auteurs d'infractions ayant été condamnés à une peine privative de liberté de plus de six mois, une peine pécuniaire de plus de 180 jours-amende ou une mesure au sens des art. 59 à 61 et 6461.

L'interdiction systématique s'applique même si l'infraction n'a pas été commise dans l'exercice de l'activité interdite (voir ch. 6.2.2).

Sa durée est plus longue (dix ans, si nécessaire à vie; art. 67, al. 3 et 6, P-CP).

59 60

61

Voir G. Stratenwerth, Schweizerisches Strafrecht, Allgemeiner Teil II: Strafen und Massnahmen, Berne 1989, § 9 N 20.

Voir la synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs (interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique), Berne, novembre 2011, p. 8 (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

Le droit actuel prend souvent la limite des six mois comme distinction entre infractions et peines graves et moins graves: art. 37 CP (travail d'intérêt général), art. 40 et 41 CP (limitation de la courte peine privative de liberté), art. 352 CPP (procédure de l'ordonnance pénale). Selon le message du 4 avril 2012 sur la modification du droit des sanctions, la limite maximale de la peine pécuniaire sera aussi de 180 jours-amende (ce qui équivaut à six mois de peine privative de liberté en vertu du système de conversion de l'art. 36 CP).

Le CP actuel se fonde déjà sur la quotité de la peine pour justifier une sanction particulière (art. 67 CP, interdiction d'exercer une profession), le renoncement à une sanction (art. 53 CP, réparation) ou des formes d'exécution particulières (art. 42 et 43 CP, sursis et sursis partiel).

8184

Lors de la consultation, quelques-uns ont exprimé leur incompréhension devant le fait que l'interdiction systématique protège les mineurs mais non les autres personnes particulièrement vulnérables62. L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» demande que l'interdiction porte sur les activités en contact avec des «personnes dépendantes». Un dispositif similaire a donc été prévu à l'art. 67, al. 4, P-CP, concernant les adultes particulièrement vulnérables.

6.2.5

Durée supérieure des interdictions qualifiées d'exercer une activité

Aujourd'hui, l'interdiction d'exercer une profession peut durer jusqu'à cinq ans. La durée des futures interdictions qualifiées sera supérieure.

L'initiative parlementaire de la CAJ-N 08.448 demande une interdiction de durée illimitée sous réserve de l'art. 67a, al. 4, CP (c'est-à-dire de la possibilité de lever l'interdiction ou de limiter sa durée ou son contenu après deux ans sur demande de l'auteur). L'initiative parlementaire Darbellay 04.473 prévoit une durée minimale de dix ans. La motion Sommaruga ne se prononce pas sur la durée de l'interdiction.

L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» demande une interdiction à vie dans tous les cas.

La durée des interdictions prévues par l'art. 67 P-CP dépendra de leur degré de qualification: ­

interdiction «simple» au sens de l'al. 1: six mois à cinq ans

­

interdiction qualifiée au sens de l'al. 2: un à dix ans

­

interdiction systématique au sens des al. 3 et 4: dix ans

L'interdiction qualifiée (al. 2) et les interdictions systématiques (al. 3 et 4) pourront être prolongées de cinq ans en cinq ans par le juge, si ce dernier l'estime nécessaire.

Sur le modèle de certaines législations étrangères (voir ch. 2.6), le contre-projet prévoit des interdictions à vie. Elles seront prononcées si, au moment du jugement, il est déjà prévisible qu'une durée de dix ans ne suffira pas à écarter le risque de récidive (art. 67, al. 6, P-CP)63. L'interdiction à vie ne cible pas les délinquants à qui tout contact avec les enfants doit être interdit ­ ceux-là devront sans doute être internés ­ mais les délinquants qui peuvent présenter un bon pronostic du moment que certaines activités spécifiques (pour lesquelles il existe un risque) leur sont défendues sur une très longue durée.

62

63

Voir la synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 8 (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

Pour fixer la durée, il faudra tenir compte du fait que les interdictions prendront éventuellement effet après une peine privative de liberté ou une mesure institutionnelle de longue durée (art. 67c, al. 2, P-CP); dans ce cas, le délinquant se verra interdit bien plus longtemps que ce qui sera inscrit dans le jugement.

8185

6.2.6

Interdiction de contact et interdiction géographique

Il est déjà possible, aujourd'hui, d'interdire à un délinquant d'approcher une personne ou un lieu, sous forme de règles de conduite émises pendant le délai d'épreuve (en cas de peine avec sursis ou de libération conditionnelle). Comme l'interdiction d'exercer une nouvelle activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique devront pouvoir être prononcées en dehors de cette période.

L'initiative parlementaire de la CAJ-N 08.448 ne prévoit rien de tel. La motion Sommaruga mentionne l'interdiction de contact et évoque dans son développement l'interdiction géographique. L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» porte uniquement sur une interdiction des activités professionnelles ou bénévoles; elle est muette quant à une interdiction de contact ou une interdiction géographique visant les délinquants sexuels.

Ce qui est en question dans le contre-projet, ce n'est pas d'empêcher les personnes visées d'avoir tout contact avec les enfants ou d'autres groupes de personnes. Ce serait leur interdire toute vie normale au sein de notre société. De plus, il serait impossible de contrôler et de faire respecter une interdiction de ce type. Il n'est d'ailleurs pas nécessaire d'aller si loin car la future interdiction de contact s'appliquera surtout à des personnes présentant un pronostic assez favorable. S'il advenait qu'il faille interdire à un délinquant tout contact avec les enfants, cela signifierait que les conditions sont remplies pour un traitement institutionnel ou pour un internement.

Le contre-projet fait la liste des types de contact visés, qui sont ceux que l'auteur risque de rechercher pour commettre une nouvelle infraction.

Il en va de même pour l'interdiction géographique. Son but premier n'est pas d'empêcher l'auteur d'un acte pédophile de s'approcher à moins de 30 mètres de toute école. Cela ne serait pas applicable, du moins pas sans des moyens considérables. Dans un cas pareil, on serait d'ailleurs en droit de se demander si l'interdiction géographique suffit ou s'il ne faudrait pas prendre des mesures plus sévères. Même les interdictions géographiques locales, par exemple l'interdiction de venir à moins d'une certaine distance de l'école du village d'A., ne paraissent pas très sensées. Le délinquant potentiel pourrait facilement la
contourner en s'approchant d'écoles d'autres localités.

Les interdictions géographiques sont adaptées à des situations dans lesquelles il faut protéger une victime potentielle précise, par exemple dans un contexte de violence domestique ou de persécution obsessionnelle. Rappelons que l'interdiction de contact et l'interdiction géographique ne sont pas restreintes aux auteurs d'infractions commises contre des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables.

L'interdiction de contact et l'interdiction géographique seront limitées aux personnes ayant commis un crime ou un délit. Certes, très souvent, les actes de violence domestique et de persécution obsessionnelle sont des contraventions (par ex. les voies de fait, art. 126 CP; les injures, art. 177 CP; l'utilisation abusive d'une installation de télécommunication, art. 179septies CP) ou ne tombent même pas sous le coup du droit pénal, bien que le potentiel de nuisance pour les victimes puisse être considérable. Néanmoins, il n'est pas indiqué que l'interdiction de contact et l'interdiction géographique puissent être appliquées à tous les auteurs de contraventions indistinctement. D'une part, cela serait en contradiction avec le principe de proportionnalité 8186

du droit pénal64. D'autre part, surtout dans le domaine de la persécution obsessionnelle, une grande part des actes ne sont pas pénalement punissables et il faut recourir de toute façon à d'autres instruments. Par conséquent, en cas de contravention dans le domaine de la violence domestique ou de la persécution obsessionnelle, ce ne sont pas prioritairement les instruments du droit pénal, mais les instruments de la législation en matière de police et les interdictions de contact et géographiques de l'art. 28b CC qui s'appliqueront (voir ch. 2.2).

L'exemple des autres pays montre qu'il est difficile de définir abstraitement les conditions auxquelles l'interdiction de contact et l'interdiction géographique peuvent être ordonnées. Les circonstances particulières et l'analyse concrète des risques sont des facteurs de premier plan. En ce sens, on peut envisager des interdictions visant à protéger un grand nombre de victimes potentielles. La disposition proposée permet donc de prononcer des interdictions très vastes, à l'instar des règlementations étrangères, lorsque ce type de mesure est utile et applicable.

6.2.7

Mise en oeuvre des interdictions: trois approches simultanées

Le problème crucial que posent les interdictions envisagées est: comment les faire appliquer? Aujourd'hui, l'exécution de l'interdiction d'exercer une profession est assurée grâce à l'extrait du casier judiciaire destiné à des particuliers. En d'autres termes, elle incombe en fin de compte aux employeurs, qui peuvent exiger un extrait du casier judiciaire de leurs employés potentiels65. Ce n'est pas le cas des interdictions similaires ordonnées par le biais des règles de conduite pendant la mise à l'épreuve: celles-là sont contrôlées par les services d'assistance de probation (art. 95 CP).

La motion Sommaruga demande un «suivi par un tutorat judiciaire pénal» des personnes frappées par une interdiction. L'initiative parlementaire de la CAJ-N 08.448 tend (comme l'initiative parlementaire Simoneschi-Cortesi 04.469 qui l'a précédée) à résoudre le problème de la mise en oeuvre par le biais d'un registre spécial et d'une obligation d'en présenter un extrait. L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» ne dit rien des questions d'exécution.

Dans plusieurs pays européens (par ex. la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas), les interdictions géographiques sont contrôlées au moyen d'une surveillance électronique couplée à un système GPS (Global Positioning System, système de guidage par satellite fonctionnant au niveau mondial). Cette surveillance est la plupart du temps passive, c'est-à-dire que les mouvements du condamné sont enregistrés par un ordinateur et les écarts éventuels signalés. La surveillance électronique se prête aussi au contrôle des interdictions de prendre contact avec une personne (violence domestique, persécution obsessionnelle, etc.).

64

65

Selon l'art. 105 P-CP, dans le domaine des contraventions, l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique ne pourront être ordonnées que si une loi le prévoit expressément.

En vertu de l'art. 372 CP, l'interdiction actuelle d'exercer une profession doit être exécutée (c'est-à-dire contrôlée et mise en oeuvre) par les autorités d'exécution cantonales; pour des raisons financières, ce n'est pas toujours le cas.

8187

Le contre-projet prévoit trois approches simultanées pour faire respecter les nouvelles interdictions.

­

La mise en oeuvre des interdictions passera d'abord par l'extrait du casier judiciaire destiné à des particuliers, que les employeurs et les responsables des associations et autres organisations pourront exiger. Ils pourront demander qu'on leur produise l'extrait destiné à des particuliers tel qu'il existe actuellement, mais le contre-projet instaure en plus un extrait spécial qui ne contiendra que les jugements dans lesquels est prononcée une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique ordonnée en vue de protéger les mineurs ou les autres personnes particulièrement vulnérables (voir ch. 6.2.8).

­

Deuxièmement, dans la mesure où l'extrait du casier judiciaire ne permettra pas d'assurer l'application sans faille des interdictions prévues, il faut également prévoir le suivi par une personne, comme le demande la motion Sommaruga. En effet, le fait d'exiger un extrait du casier judiciaire est souvent inopérant dans le cas des interdictions de contact et des interdictions géographiques. Il peut aussi être utile qu'une personne exerce un suivi du condamné en faisant des contrôles réguliers lorsque l'interdiction porte sur des activités bénévoles. De plus, comme les interdictions de longue durée peuvent amener le condamné à devoir se réorienter tant professionnellement que dans ses activités de loisir, il peut être indiqué de lui apporter un soutien personnel.

Lors de la consultation, certains cantons ont exprimé le souhait que soit laissé aux cantons le soin de désigner qui doit exécuter les interdictions, ou que l'on en charge la police au lieu des services d'assistance de probation.

L'Association de probation suisse et de travail social dans la justice (prosaj) était au contraire d'avis que les interdictions proposées complétaient les règles de conduite et devaient incomber aux assistants de probation66.

Si certains participants à la consultation ont demandé que l'on ordonne dans tous les cas une assistance de probation, d'autres préfèreraient qu'elle soit facultative67.

Il semble logique de confier cette tâche de surveillance et d'encadrement aux services de probation, qui contrôlent déjà les règles de conduite (donc les interdictions d'exercer une activité, de contact et géographiques émises sous cette forme). Le juge ne devra pas ordonner systématiquement une assistance de probation, parce qu'elle n'est pas utile dans tous les cas et que la charge serait trop lourde pour les cantons. Si le juge n'ordonne pas d'assistance de probation, les cantons pourront déterminer eux-mêmes comment il convient d'exécuter les interdictions. Seuls les délinquants frappés d'une interdiction d'exercer une activité pour avoir commis une infraction sexuelle

66

67

Voir la synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 12 (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

Voir la synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 11 s. (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

8188

auront obligatoirement un assistant de probation, lequel assumera le «tutorat judiciaire pénal» que demande la motion Sommaruga. Même ainsi, les cantons devront accroître leurs capacités pour faire face à ces tâches de contrôle et de soutien, ce qui entraînera pour eux un surcoût (voir ch. 6.5.2).

­

Troisièmement, pour les personnes frappées d'une interdiction de contact ou d'une interdiction géographique, les autorités chargées de l'exécution pourront utiliser des moyens électroniques qui faciliteront leurs tâches de surveillance (art. 67b, al. 3, P-CP). L'avant-projet a été précisé de manière qu'il soit clair qu'elles peuvent aussi utiliser des appareils de localisation. On se sert aujourd'hui en général du GPS, qui facilite nettement la surveillance technique d'une interdiction géographique, quand il n'est pas le seul moyen de la rendre possible.

6.2.8

Modification du droit du casier judiciaire

Suite aux résultats de la consultation, nous nous sommes écartés de l'idée d'un recours obligatoire, pour certaines activités, à un extrait spécial du casier judiciaire, comme le prévoyait l'avant-projet (voir ch. 6.1.2 et synthèse des résultats de la procédure de consultation, p. 16 ss). Pour instaurer une obligation d'exiger un extrait du casier judiciaire, il faudrait créer une base constitutionnelle. De plus, il serait absurde, tant de point de vue du temps perdu68 que du coût engendré69, de l'inscrire dans le droit actuel du casier judiciaire puis de l'intégrer à la nouvelle loi sur le casier judiciaire qui est en préparation. L'idée d'un extrait spécial est conservée.

L'extrait ordinaire du casier judiciaire destiné à des particuliers continuera de contenir tous les jugements pour crime ou pour délit, y compris ceux qui s'assortissent d'une interdiction d'exercer une activité. Afin de ne pas entraver inutilement la réinsertion du délinquant, on ne prolongera pas la période pendant laquelle les jugements y figurent. De ce fait, les interdictions qualifiées d'exercer une activité impliquant des contacts avec des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables (art. 67, al. 2, 3 et 4, P-CP), interdictions qui dureront parfois très longtemps, ou bien les interdictions de contact et les interdictions géographiques prolongées (art. 67b P-CP) n'apparaîtront plus, au bout d'un certain temps, sur l'extrait ordinaire du casier judiciaire. De cette façon, le condamné aura une certaine chance, après un certain temps, de trouver de nouveau facilement un logement ou un emploi qui n'implique pas de contacts réguliers avec des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables. L'interdiction d'exercer une activité au sens de l'art. 67, al. 1, P-CP, qui dure au maximum cinq ans, figurera toujours jusqu'à son terme sur l'extrait destiné à des particuliers.

Le nouvel extrait spécial du casier judiciaire, lui, contiendra seulement les jugements dans lesquels est prononcée une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique ordonnée pour protéger les mineurs ou autres personnes particulièrement vulnérables. Ces jugements y resteront inscrits 68

69

L'obligation d'exiger un extrait du casier judiciaire introduite dans le code pénal serait, au mieux, tout juste opérationnelle quand la nouvelle loi sur le casier judiciaire prendrait elle-même effet.

Une obligation de ce type demanderait une modification du casier judiciaire informatisé, d'un coût considérable. Il vaut mieux attendre qu'ait été achevée la reprogrammation totale dont s'accompagnera le projet de réforme du droit du casier judiciaire.

8189

pour toute la durée des interdictions, même si elle excède les délais prévus pour l'extrait ordinaire. L'extrait spécial destiné à des particuliers, avec son contenu limité, a l'avantage, concernant les activités bénévoles, que le postulant n'est pas obligé de divulguer dans tous les cas l'ensemble de ses antécédents pénaux (par ex.

des peines pour infraction routière ou vol à l'étalage), mais seulement les interdictions pertinentes pour l'activité visée. Les organisations du domaine des loisirs craignent en effet de ne plus pouvoir trouver de bénévoles pour l'encadrement ou l'entraînement. Il reste cependant loisible aux employeurs et aux organisations du domaine des loisirs d'exiger, à côté de l'extrait spécial, l'extrait normal du casier judiciaire.

Les jugements rendus à l'encontre de mineurs contenant une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique seront aussi inscrits dans le casier judiciaire (art. 366, al. 3, let. c, P-CP). Comme les autres jugements, ils ne figureront sur l'extrait ordinaire destiné à des particuliers qu'à la condition fixée à l'art. 371, al. 2, CP. Ils seront par contre portés sur l'extrait spécial du casier judiciaire s'ils ont été ordonnés pour protéger des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables (art. 371, al. 3, let. c, P-CP).

C'est, on l'a vu, sur une base volontaire que les employeurs et responsables d'associations et autres organisations demanderont un extrait spécial du casier judiciaire aux candidats à des activités professionnelles ou non impliquant des contacts réguliers avec des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables. Ils assumeront donc une certaine responsabilité. S'ils ont engagé une personne sans lui demander d'extrait du casier judiciaire ou en dépit d'une précédente interdiction et que cette personne récidive, ils devront se justifier. Cela pourrait être un critère de qualité pour une école ou une association que de demander systématiquement à ses collaborateurs ou à ses membres qui travaillent avec les enfants ou les autres personnes vulnérables de produire un extrait du casier judiciaire.

Comme aujourd'hui, les employeurs, les bailleurs, les associations et autres organisations pourront demander à leurs employés, locataires ou membres de fournir un extrait
ordinaire du casier judiciaire. Par contre, seul celui qui veut engager une personne en vue d'une activité en contact régulier avec des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables pourra demander (en plus) l'extrait spécial, dans lequel, rappelons-le, les interdictions figurent pendant toute leur durée.

Le message du 25 janvier 2012 sur le programme de la législature 2011 à 2015 annonce un message relatif à la loi fédérale sur le casier judiciaire informatisé VOSTRA70. Cela signifie que les modifications des dispositions sur le casier judiciaire que nous proposons dans le présent message (art. 366 ss P-CP) seront intégrées en temps voulu dans le concept de la nouvelle loi.

6.2.9

Modification du code pénal militaire (CPM)

Bien que l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique n'aient qu'une portée limitée dans le monde militaire, il faut les inscrire dans le CPM comme on l'a fait par le passé pour l'interdiction d'exercer une profession (art. 50 et 50a CPM). Compte tenu de l'art. 8 CPM, on ne prévoira 70

FF 2012 349, p. 479

8190

pas dans le code pénal militaire de norme pénale correspondant à l'art. 294 et au nouvel art. 295 P-CP.

6.2.10

Modification du droit pénal des mineurs (DPMin)

L'interdiction qualifiée d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique prévues par le droit pénal applicable aux adultes seront reprises sous une forme atténuée, et notamment sans interdiction systématique, dans le droit pénal des mineurs (art. 16a DPMin).

6.3

Appréciation de la solution retenue

6.3.1

Portée limitée des interdictions

Le Conseil fédéral a souligné dans son avis relatif à la motion Sommaruga, dont nous citons ci-dessous un extrait, la portée limitée des interdictions d'exercer une profession ou d'exercer une activité; il serait erroné de placer des espoirs démesurés dans cet instrument.

«Outre l'interdiction d'exercer une profession, le droit actuel permet déjà d'imposer des règles de conduite interdisant certaines activités aux personnes condamnées à une peine assortie d'un sursis ou bénéficiant d'une libération conditionnelle. Ces interdictions ne sont pas la panacée contre la récidive mais peuvent avoir un intérêt pour certains délinquants sexuels qui présentent un risque résiduel. Il est en effet possible de diminuer ce risque en évitant de placer l'intéressé dans une situation susceptible de déclencher un nouveau passage à l'acte.

Les modalités à donner aux interdictions proposées par l'auteur de la motion devront être examinées avec soin, afin d'en garantir une application proportionnée. Il ne serait pas concevable, par exemple, d'interdire à une personne condamnée tout contact avec des enfants, car elle ne pourrait plus se mouvoir dans l'espace public et toute vie sociale lui deviendrait pratiquement impossible. De plus, des interdictions aussi rigoureuses ne sont pas nécessaires puisqu'elles concerneront non pas les délinquants véritablement dangereux, mais ceux qui, grâce à un pronostic favorable, auront été libérés de l'exécution de leur peine ou mesure, ou qui n'auront pas été condamnés à une peine privative de liberté ferme.» Les personnes chargées du suivi, que propose la motion, ne pourront pas faire en sorte de manière infaillible que les condamnés respectent les interdictions. On relèvera qu'une surveillance totale n'est pas nécessaire du fait que, comme nous l'avons déjà souligné, les personnes frappées d'une interdiction ne seront pas de celles qui risquent de récidiver dès le moment où elles se retrouvent sans surveillance.

Ajoutons que les interdictions pénales proposées, même si elles sont très sévères, n'interviennent qu'au moment où toutes les mesures préventives (comme la sensibilisation, la formation ou le contrôle) ont échoué et où la personne concernée a déjà commis un acte punissable. Elles n'offrent aucune protection contre les personnes qui n'ont pas encore été condamnées. La forte part d'abus qui se déroulent dans le cadre de la famille et des proches ne sera appréhendée qu'en partie (au travers des 8191

interdictions de contact et des interdictions géographiques). Il faudra donc continuer de mettre au premier plan les mesures préventives telles que la sensibilisation des enfants dans le cadre scolaire, la formation des personnes qui s'occupent d'enfants ou autres personnes particulièrement vulnérables, la mise en place de structures et de mécanismes de contrôle dans les établissements scolaires, les homes, etc.

6.3.2

Une règlementation sévère dans la ligne des interventions parlementaires et de l'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants»

Le contre-projet prend en considération non seulement la motion Sommaruga mais également d'autres interventions parlementaires ayant pour but la protection des enfants contre les abus sexuels et l'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants». Il est donc relativement sévère. En particulier, l'interdiction systématique d'exercer une activité infligée pour dix ans aux auteurs d'actes d'ordre sexuel sur mineurs ou autres personnes particulièrement vulnérables va très loin. Il n'est pas facile de mettre en place une mesure obligatoirement ordonnée par le juge qui demeure proportionnée dans tous les cas, à preuve les restrictions qu'il a fallu apporter concernant la peine prononcée (peine de plus de six mois ou mesure institutionnelle). En règle générale, les mesures prévues par le CP reposent sur une appréciation du cas d'espèce par l'autorité. Le principe de proportionnalité doit faire l'objet d'une évaluation dans chaque cas (la confiscation de valeurs patrimoniales au sens des art. 70 s. CP constitue l'exception).

L'interdiction systématique d'exercer une activité est un moyen ultime destiné à créer un certain sentiment de sécurité et de confiance. Elle est l'aboutissement et la concrétisation explicite de ce qui se produit souvent, sur la base de prescriptions de droit administratif, lorsqu'une personne est condamnée pour un acte d'ordre sexuel contre un enfant ou un jeune et que cette condamnation apparaît sur son extrait du casier judiciaire: on lui interdit de travailler avec des mineurs.

6.4

Commentaire des dispositions

6.4.1

Modification du code pénal

Art. 19, al. 3 Il peut arriver que l'auteur d'une infraction contre un mineur ou une autre personne particulièrement vulnérable ne puisse pas être puni ou que la peine soit atténuée parce que, par exemple à cause d'une affection mentale grave, il est irresponsable (art. 19, al. 1, CP) ou seulement partiellement responsable (art. 19, al. 2, CP). Or ce type de personnes peut précisément présenter un risque de récidive qu'une mesure pénale permettrait d'écarter. L'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique pourront donc être ordonnées même dans ces

8192

cas, comme aujourd'hui l'interdiction d'exercer une profession71. Cela requiert une adaptation de l'art. 19, al. 3, CP.

Art. 67 (Interdiction d'exercer une activité, conditions) L'al. 1, qui prévoit une interdiction générale, s'inspire de l'al. 1 de l'article actuel, mais avec un champ d'application étendu aux activités non professionnelles organisées. Comme aujourd'hui, l'interdiction ne pourra être ordonnée que si l'acte commis précédemment est puni d'une peine minimale (peine privative de liberté de six mois ou peine pécuniaire de 180 jours-amende). Si, l'auteur étant irresponsable ou ayant une responsabilité limitée, le juge a renoncé à infliger une peine ou que, l'ayant atténuée, il a prononcé une peine privative de liberté de moins de six mois ou une peine pécuniaire de moins de 180 jours-amende, il pourra ordonner une interdiction d'exercer une activité en se fondant sur l'art. 19, al. 3, CP (voir plus haut ad art. 19).

La mention du risque de nouveaux abus a été reformulée mais la condition reste la même. La nouvelle expression met en lumière le fait que la crainte de voir l'auteur commettre à l'avenir une contravention ne justifie pas qu'on lui interdise d'exercer une activité.

L'activité professionnelle ou extraprofessionnelle qu'il s'agit d'interdire en vertu des al. 2 à 4 devra mettre la personne concernée régulièrement en contact avec des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables. Grâce à cette régularité, il est plus facile de capter la confiance de la personne vulnérable, si bien que le danger d'abus est particulièrement élevé. On vise typiquement des fonctions d'enseignant, d'éducateur, d'entraîneur sportif, de médecin, de soignant ou d'assistant social. La régularité des contacts est sans conteste assurée dans les cas où l'auteur et les personnes à protéger seraient en présence sur une longue durée au total, comme ce peut être le cas à l'école, dans un home ou dans un club de loisirs.

La durée de chaque contact et leur fréquence sont des critères. Il y a contact régulier lorsque les rencontres sont certes brèves et peu fréquentes mais s'étalent sur un long laps de temps (répétiteur, concierge de l'école). A l'inverse, un contact quasi permanent sur une période assez brève (moniteur dans un camp de vacances d'une semaine) est aussi à considérer comme tel.

Un «mineur» est, conformément à la définition de l'art. 14 CC, une personne qui n'a pas achevé sa dix-huitième année (voir
ch. 6.2.3). Notons que dans la version allemande du contre-projet, on adopte le terme de «Minderjährige». En effet, le nouveau droit de la protection de l'adulte72, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2013, remplacera à l'art. 14 CC le terme de «Mündigkeit» par celui de «Volljährigkeit» (majorité). Pour des raisons de cohérence, «unmündig» est partout remplacé par «minderjährig» (mineur); le projet comporte une adaptation de ces termes dans le CP, qui prendra elle aussi effet le 1er janvier 201373. Cette problématique ne concerne pas le français.

71 72 73

Pour prononcer une interdiction systématique d'exercer une activité (art. 67, al. 3 et 4, P-CP), il faudra toutefois qu'une mesure institutionnelle soit aussi ordonnée.

RO 2011 725 RO 2011 772

8193

Quant au concept ­ nouveau ­ d'«autres personnes particulièrement vulnérables», il englobe surtout les personnes âgées ou souffrant d'une affection physique ou mentale qui ne peuvent pas mener leur vie sans l'assistance d'autrui. Parce qu'elles ont besoin de cette aide extérieure et ne peuvent pas entièrement déterminer ellesmêmes leur existence, elles sont particulièrement susceptibles d'être les victimes de certains actes punissables (par ex. les infractions contre le patrimoine, contre l'honneur, contre le domaine secret ou le domaine privé et contre l'intégrité sexuelle). Dans certains cas, le terme de «personne particulièrement vulnérable» recouvre la notion de «personne hors d'état de se défendre» utilisée à l'art. 123, ch. 2, par. 3, CP (par ex. lorsqu'une infirmité mentale ou physique ou bien son grand âge rend à cette personne toute résistance impossible). Mais un individu peut être considéré comme particulièrement vulnérable même sans être hors d'état de se défendre.

Inversement, il est possible de se trouver hors d'état de se défendre, par exemple en raison d'une faiblesse passagère due à l'alcool ou à la drogue, sans faire partie de la catégorie visée ici.

Comme l'ont fait les législateurs étrangers, on a décidé de ne pas fixer de peine minimale comme condition de l'interdiction qualifiée réglée à l'al. 2. Celle-ci pourra donc être ordonnée, à l'instar des mesures thérapeutiques et de l'internement, qui dépendent du pronostic, indépendamment de la quotité de la peine prononcée pour l'acte considéré.

Il en va autrement pour les interdictions systématiques prévues aux al. 3 et 4. Les auteurs des infractions d'ordre sexuel qui y sont citées doivent avoir été frappés d'une peine privative de liberté de plus de six mois, d'une peine pécuniaire de plus de 180 jours-amende ou d'une mesure au sens des art. 59 à 61 ou 64 CP. Cette restriction est nécessaire car la plupart des articles mentionnés recouvrent aussi des actes de moindre gravité (avec une peine minimale d'un jour-amende)74.

Dans le message concernant l'approbation et la mise en oeuvre de la convention de Lanzarote75, le Conseil fédéral propose de définir de nouvelles infractions afin de protéger les mineurs76. S'il y a lieu, ces nouvelles infractions devront être intégrées le moment venu à la liste de l'al. 3.

La loi ne trace
pas clairement la ligne à partir de laquelle un acte d'ordre sexuel devient punissable. Plusieurs auteurs estiment qu'il devrait être d'une certaine gravité pour tomber sous le coup de ces articles, mais cette position est controversée77.

Des exemples dans le domaine des foyers éducatifs montrent qu'il est possible de sanctionner une personne sur la base de l'art. 187 CP pour des méfaits mineurs qui se situent dans une zone grise et qui ne justifieraient en rien une interdiction automa-

74

75

76

77

La seule exception est le viol (art. 190 CP), puni d'un an de peine privative de liberté au minimum; il est à noter que cette peine minimale peut être réduite sur la base de circonstances atténuantes.

Message du Conseil fédéral du 4 juillet 2012 concernant l'approbation de la convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (convention de Lanzarote) et sa mise en oeuvre (modification du code pénal), FF 2012 7051 Nouvelle infraction dans le cadre de l'art. 195 (Encouragement à la prostitution); nouvel art. 196 (Actes d'ordre sexuel avec des mineurs contre rémunération); nouvelles infractions dans le cadre de l'art. 197 (Pornographie).

S. Sutter-Zürcher, «Die Strafbarkeit der sexuellen Handlungen mit Kindern nach Art. 187 StGB», Zürcher Studien zum Strafrecht, vol. 41, 2003, p. 57.

8194

tique d'exercer une activité78. Les cas d'infractions de moindre gravité doivent pouvoir être appréciés par le juge et relèveront donc de l'al. 2.

Il n'est pas rare qu'un délinquant soit condamné pour plusieurs infractions dans un seul et unique jugement. Ce ne sera donc pas forcément l'acte propre à justifier une interdiction obligatoire qui lui vaudra une peine de plus de six mois ou une mesure institutionnelle, mais les autres infractions qui lui sont reprochées. L'al. 5 permet au juge d'en tenir compte.

On a pu lire plus haut (ch. 6.2.5) les explications relatives à la durée de l'interdiction. Rappelons ici que les interdictions visées aux al. 2, 3 et 4 peuvent être infligées à vie, mais uniquement, selon l'al. 6, si le pronostic est négatif.

L'al. 7 prévoit qu'une interdiction systématique d'exercer une activité, ordonnée suite à un acte commis contre un mineur ou une autre personne particulièrement vulnérable, s'accompagne obligatoirement d'une assistance de probation. Cette règle répond à une exigence de la motion Sommaruga qui demande un suivi du délinquant.

Art. 67a (Contenu et étendue) La 1re phrase de l'al. 1 définit le terme d'«activité professionnelle» conformément au droit actuel. Il faut le comprendre lato sensu dans le contexte de la disposition. Le fait que l'activité soit exercée à titre principal ou accessoire est sans importance79.

De même, elle peut indifféremment être dépendante ou indépendante. La qualification d'une activité comme professionnelle peut reposer sur le temps et les ressources qui y sont employés, sur sa fréquence à l'intérieur d'un certain laps de temps, ou sur les revenus escomptés et obtenus80.

La 2e phrase de l'al. 1 définit le terme d'«activité non professionnelle organisée», correspondant aux «activités de loisirs organisées» de l'initiative parlementaire de la CAJ-N 08.448. L'initiative populaire «Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants» veut interdire toute «activité bénévole». L'expression «activité non professionnelle organisée» choisie dans le projet de loi recouvre les activités bénévoles menées dans des associations sportives, des associations de la jeunesse et des sports, des structures scolaires, ecclésiastiques, sanitaires, etc. Les interdictions qualifiées des al. 2, 3 et 4 porteront surtout sur des activités au sein d'associations et d'institutions du domaine de l'éducation, de la formation, de la surveillance ou de la garde de personnes mineures ou particulièrement vulnérables.

Les al. 2 et 3 reprennent pour l'essentiel l'art. 67, al. 2, CP, qui décrit l'interdiction d'exercer une activité. A l'al. 2, cette notion est étendue à l'interdiction de faire exercer cette activité par une personne liée par ses instructions. A l'al. 3, afin de tenir compte des activités non professionnelles organisées, on a précisé que l'interdiction totale inclut l'exercice de l'activité sous le contrôle d'un surveillant.

78

79 80

Voir la brochure intitulée Affektive Erziehung im Heim, Handeln im Spannungsfeld zwischen Pädagogik und Justiz, Beispiele und Erwägungen zum Thema körperliche Nähe im Heim, 8e éd., publiée par Curiaviva Suisse.

Voir C. Haffenmeyer, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht I, Art. 1­110 StGB, 2e éd., Bâle 2007, Art. 67 N 13.

Voir ATF 119 IV 129, p. 132 sur la notion de «par métier».

8195

Art. 67b (Interdiction de contact et interdiction géographique) Les caractéristiques essentielles de l'interdiction de contact et de l'interdiction géographique sont exposées plus en détail au ch. 6.2.6.

L'al. 1 ne prévoit pas peine minimale. En effet, l'art. 28b CC permet de prendre des mesures analogues avant même qu'une infraction soit commise. De la même manière, il n'y aura pas de durée minimale de l'interdiction de contact et de l'interdiction géographique.

Par «une ou plusieurs personnes déterminées», on entend des individus qui peuvent être nommés. Par «membres d'un groupe déterminé», on entend des personnes qui ne peuvent pas forcément être désignées par leur nom mais qui présentent une caractéristique commune, par exemple les apprentis de moins de 18 ans, les filles mineures, les personnes affectées d'un trouble psychique.

L'al. 2 décrit le contenu de l'interdiction de contact et de l'interdiction géographique. Il s'inspire de l'art. 28b, al. 1, CC. La let. a mentionne en sus le fait d'employer, d'héberger, de former, de surveiller ou de soigner les personnes protégées. Certes, ces occupations peuvent tomber sous le coup de l'interdiction d'exercer une activité, mais elles pourront ainsi être interdites, si nécessaire, alors qu'elles ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une profession ou d'une activité non professionnelle organisée.

La let. d, qui prévoit une interdiction de quitter un lieu déterminé, n'a pas son équivalent à l'art. 28b CC. Il s'agit d'une sorte d'interdiction géographique négative, le lieu concerné pouvant être par exemple une maison, un quartier ou une localité.

Plusieurs participants à la consultation ont reproché à cette mesure de revenir au même qu'une peine privative de liberté81. Il ne faut toutefois pas y renoncer, car il paraît judicieux, par exemple pour prévenir la violence domestique ou la persécution obsessionnelle, d'empêcher le délinquant de quitter son logement ou son quartier certains jours de la semaine, à certaines heures, pour que sa victime puisse se déplacer sans crainte de le rencontrer. Pour parer au fait que l'interdiction de quitter un lieu très circonscrit pendant une longue période peut ressembler à une peine privative de liberté82, on a précisé dans le projet que l'interdiction devait valoir pour certaines heures seulement (p.ex. durant
certaines heures de jours de la semaine déterminés). Tout comme à l'al. 2 let. c, le «lieu» que le délinquant sera assigné à ne pas quitter ne sera pas forcément de taille réduite, il pourra s'agir d'un périmètre relativement vaste (p.ex. un quartier ou un village).

Comme dans plusieurs autres pays européens, il sera possible d'utiliser des moyens électroniques pour surveiller l'application des interdictions de contact et des interdictions géographiques (al. 3). En règle générale, il faudra employer un système GPS pour ce qui est des interdictions géographiques. Les données de localisation seront enregistrées sur ordinateur et les transgressions de l'interdiction seront signalées à l'assistant de probation ou à l'autorité d'exécution. Il n'est pas indispensable que la surveillance ait lieu en temps réel et qu'une unité d'intervention se tienne prête en tout temps à empêcher le condamné d'outrepasser les limites qui lui ont été 81

82

Voir synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 10 (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

Spécialement, une peine privative de liberté exécutée sous surveillance électronique en dehors d'un établissement de détention.

8196

fixées. Il suffit que ce dernier sache qu'il est possible de prouver à tout moment qu'il a désobéi aux règles et qu'il devra en supporter les conséquences.

Les cantons pourront, en se fondant sur l'al. 3, instaurer une surveillance électronique plus pointue, permettant de contrôler les faits et gestes du délinquant 24 heures sur 24 en temps réel et, si nécessaire, de faire intervenir la police83.

La surveillance électronique se prête aussi particulièrement à la surveillance des personnes frappées d'une interdiction de contact dans des cas de violence domestique ou de persécution obsessionnelle. La victime potentielle est munie d'un récepteur qui lui indique si le condamné (qui porte un émetteur) s'approche à moins d'une certaine distance.

Il n'est pas possible de statuer de manière générale que la surveillance électronique est indiquée pour telle ou telle infraction (aux Pays-Bas, elle est aussi utilisée dans le cas des auteurs d'actes de violence et d'actes d'ordre sexuel). Elle ne pourra être ordonnée qu'après une analyse méticuleuse des risques concrets. En règle générale, elle sera appropriée si ces risques sont faibles à moyens. Elle devra en outre être assortie d'autres mesures (notamment d'une assistance de probation).

Art. 67c (Exécution de l'interdiction) Cette disposition reprend largement le contenu de l'art. 67a actuel. Comme aujourd'hui pour l'interdiction d'exercer une profession, les trois nouvelles interdictions du contre-projet ne pourront pas être assorties du sursis. En droit pénal, le sursis s'applique aux peines (art. 42 ss CP), mais non aux mesures (art. 59 à 61, 63 et 64 CP) ni aux «autres mesures» (art. 66 à 73 CP).

Les délais d'exécution seront les mêmes pour l'interdiction de contact et l'interdiction géographique (art. 67b P-CP) que pour l'interdiction «simple» d'exercer une activité (art. 67, al. 1, P-CP).

L'al. 5 reprend l'art. 67a, al. 4, actuel, mais complété de sorte que l'autorité examine s'il est opportun de lever l'interdiction qualifiée d'exercer une activité (art. 67, al. 2, 3 ou 4, P-CP) après un délai plus long (let. b, c et d). Suite aux réactions exprimées lors de la consultation, les délais ont été légèrement raccourcis84. Les interdictions qualifiées prévues par l'art. 67, al. 3 et 4, P-CP, qui sont prononcées pour dix ans, pourront être réexaminées après cinq ans seulement, selon l'al. 5, let. c.

L'Association de probation suisse et de travail social dans la justice (prosaj) serait favorable à ce que les conséquences soient plus lourdes si quelqu'un ne respecte pas une interdiction, se soustrait à l'assistance de probation ou enfreint les règles de

83

84

Voir synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 13 (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

Voir synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 13 s. (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

8197

conduite85. Elle craint que les mesures ne perdent de leur crédibilité si les autorités n'arrivent pas à les faire respecter et que cela sape le travail des assistants de probation. Elle a souligné la nécessité de leur donner les moyens de faire appliquer ces mesures si l'on veut instaurer les interdictions proposées et confier leur surveillance aux services d'assistance de probation.

Tant le CP en vigueur que le contre-projet contiennent des dispositions propres à réaliser cette exigence.

L'al. 7 prévoit une obligation de rapporter les cas de non-respect des interdictions ou de problème lié à l'assistance de probation aux autorités compétentes, de sorte que ces dernières puissent réagir et prendre les mesures nécessaires.

Les al. 8, 9 et 10 n'énumèrent que les mesures qui ne sont pas déjà réglées à d'autres endroits ou pour lesquelles il pourrait y avoir incertitude dans le cas des nouvelles interdictions. L'al. 8 s'applique lorsque les incidents visés à l'al. 7 se produisent hors du délai d'épreuve. Les al. 9 et 10 précisent quelles règles s'appliquent s'ils ont lieu pendant le délai d'épreuve.

Que l'auteur soit mis à l'épreuve ou non, le juge pourra, si l'auteur commet un manquement au sens de l'al. 7, modifier l'interdiction en cours ou en ordonner une nouvelle, en vertu de l'art. 67d P-CP (voir plus bas, ch. 6.4.1 ad art. 67d P-CP). Il lui sera aussi possible de sanctionner la violation d'une interdiction d'exercer une activité, d'une interdiction de contact ou d'une interdiction géographique sur la base de l'art. 294 P-CP (voir plus bas, ch. 6.4.1 ad art. 294 P-CP). Enfin, il pourra punir d'une amende quiconque se soustrait à l'assistance de probation ou viole les règles de conduite, en vertu de l'art. 295 P-CP (voir plus bas, ch. 6.4.1 ad art. 295 P-CP).

Art. 67d (Modification d'une interdiction ou prononcé ultérieur d'une interdiction) Comme toute autre sanction, les interdictions feront en principe partie du jugement sur le fond. Mais elles auront ceci de commun avec les mesures thérapeutiques qu'elles pourront être modifiées ou ordonnées ultérieurement par le juge, à la demande de l'autorité d'exécution (voir art. 62c, al. 6, et 65, al. 1, CP).

Art. 95, al. 1, 1re phrase, et al. 3 L'al. 1, 1re phrase, est complété de sorte que le juge et les autorités d'exécution puissent convenir au préalable des interdictions les plus utiles et applicables avec l'autorité chargée de l'exécution de l'interdiction d'exercer une activité, de contact ou géographique et, si nécessaire, avec le service d'assistance de probation (comme c'est aujourd'hui le cas pour l'assistance de probation et les règles de conduite, voir art. 95, al. 1, CP).

A l'al. 3, il s'agit seulement d'une correction rédactionnelle du texte français.

85

Voir synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avantprojets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 14 (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

8198

Art. 105, al. 3 Cette disposition est complétée par les nouvelles interdictions. Comme l'actuelle interdiction d'exercer une profession, elles ne pourront être ordonnées en cas de contravention que dans les cas expressément prévus par la loi.

Art. 187, ch. 3 Actuellement, l'art. 187, ch. 3, CP est formulé de telle sorte que des personnes tout juste majeures qui entament une relation amoureuse à long terme avec quelqu'un de moins de seize ans sortent de son champ d'application dès qu'elles atteignent leur 20e année86. On mentionnera à l'avenir le «moment du premier acte commis» en plus du «moment de l'acte».

Art. 294 (Infraction à l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact ou l'interdiction géographique) Il s'agit de mentionner les nouvelles interdictions dans cette disposition. Le nonrespect d'une interdiction ne sera punissable que s'il est intentionnel (voir art. 12, al. 1, CP). Les mineurs qui violent l'art. 16a DPMin seront soumis aux sanctions du DPMin.

Si les conditions sont remplies, une condamnation en vertu de l'art. 294 P-CP pourra donner lieu à la révocation d'un sursis ou à la réintégration dans l'exécution d'une peine ou d'une mesure. En outre, le juge pourra ordonner une mesure thérapeutique institutionnelle (art. 59 à 61 CP) ou un traitement ambulatoire (art. 63 CP) en plus ou à la place d'une condamnation à une peine privative de liberté en vertu de l'art. 294 CP. Il disposera donc d'un large éventail de sanctions en cas de non-respect de l'interdiction d'exercer une activité, de l'interdiction de contact ou de l'interdiction géographique.

Art. 295 (Non-respect de l'assistance de probation ou des règles de conduite) Comme on l'a dit plus haut (ch. 6.4.1.5), l'Association de probation suisse et de travail social dans la justice (prosaj) serait favorable à ce que les conséquences soient plus lourdes si quelqu'un ne respecte pas une interdiction, se soustrait à l'assistance de probation ou enfreint les règles de conduite. Elle désire en particulier que le non-respect des règles de conduite ou de l'assistance de probation puisse être sanctionné en soi, même s'il n'existe pas de risque de récidive accru au sens de l'art. 95, al. 5, CP.

Le nouvel art. 295 P-CP est ajouté pour satisfaire à cette exigence. En effet, lorsqu'il prononcera une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou 86

Par ex. un homme de 19 ans qui a entamé une longue relation avec une jeune fille de quatorze ans; voir P. Maier, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Basler Kommentar, Strafrecht II, Art. 111­392 StGB, 2e éd., Bâle 2007, Art. 187 N 20.

8199

une interdiction géographique, le juge pourra ­ devra dans certains cas ­ ordonner une assistance de probation, mais indépendamment d'une mise à l'épreuve. Si le condamné se soustrait à l'assistance de probation et qu'il n'y a pas mise à l'épreuve, les mesures de l'art. 95, al. 4 et 5, ne peuvent pas s'appliquer. L'art. 295 P-CP permettra que ce manquement ne reste pas sans conséquences.

Art. 366, al. 3 Puisque le projet intègre au DPMin l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique, on ajoute ces mesures aux jugements à l'encontre des mineurs qui doivent être inscrits dans le casier judiciaire (art. 366, al. 3, let. c). Ils n'apparaîtront sur l'extrait ordinaire destiné à des particuliers que lorsque la condition énoncée à l'art. 371, al. 2, CP sera remplie. Mais ils figureront sur l'extrait spécial au sens de l'art. 371a P-CP (voir plus bas, ch. 6.4.1 ad art. 371a P-CP) avant les 18 ans de l'intéressé.

Art. 369, al. 4ter Les interdictions qualifiées d'exercer une activité (art. 67, al. 2, 3 et 4, P-CP et art. 50, al. 2, 3 et 4, P-CPM), l'interdiction de contact et l'interdiction géographique (art. 67b AP-CP et art. 50b P-CPM) et leurs équivalents dans le DPMin (art. 16a P-DPMin) ne seront éliminés du casier judiciaire qu'après un délai spécial, fixé à l'art. 369a P-CP. Il faut donc clairement les exclure du champ d'application de l'art. 369, al. 4ter, CP.

Art. 369a (nouveau) Les interdictions qualifiées d'exercer une activité (art. 67, al. 2, 3 et 4, P-CP et art. 50, al. 2, 3 et 4, P-CPM), l'interdiction de contact et l'interdiction géographique (art. 67b P-CP et 50b P-CPM) et leurs équivalents dans le DPMin (art. 16a P-DPMin) pourront, selon les circonstances, être ordonnées pour très longtemps, si nécessaire à vie. Les règles actuelles concernant l'élimination des données du casier judiciaire (art. 369, al. 1 à 6, CP) ne permettent pas d'en tenir compte. Il faut donc prévoir, dans un nouvel article, que les interdictions de longue durée ne seront pas éliminées du casier judiciaire avant de prendre fin. Elles resteront en outre visibles pour les autorités jusqu'à dix ans après avoir pris fin.

Art. 371, titre marginal et al. 1, 2e phrase (Extrait du casier judiciaire destiné à des particuliers) En allemand, on remplace le terme «Strafregisterauszug für Privatpersonen» par «Privatauszug», plus conforme aux usages modernes.

Dans la 2e phrase de l'al. 1, la mention des contraventions est adaptée: l'art. 105 P-CP permet d'ordonner une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique en cas de contravention si la loi le prévoit 8200

expressément. Il n'existe actuellement aucune disposition légale de ce genre, mais si ce devait être le cas un jour, il faudrait que ces jugements apparaissent aussi dans l'extrait du casier judiciaire destiné à des particuliers.

Art. 371a (Extrait spécial du casier judiciaire destiné à des particuliers) L'al. 1 donne au candidat à une activité professionnelle ou extraprofessionnelle impliquant des contacts réguliers avec des mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables le droit de demander un extrait spécial du casier judiciaire. Les employeurs et les organisations pourront également demander aux personnes déjà en place d'en produire un, comme cela se pratique d'ailleurs aujourd'hui dans certains secteurs sensibles (les banques, les assurances, le personnel des aéroports, etc.), où les employés, avec leur consentement, produisent périodiquement un extrait du casier judiciaire.

L'attestation prévue par l'al. 2 permet d'assurer que l'extrait spécial ne sera pas utilisé pour une recherche de logement par exemple mais seulement aux fins visées.

L'ordonnance sur le casier judiciaire devra préciser quels employeurs et quelles organisations pourront exiger cet extrait.

Selon l'al. 3, l'extrait spécial comprendra tous les jugements, qu'ils soient prononcés à l'encontre d'adultes ou de mineurs, qui contiennent une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique visant à protéger les mineurs ou les autres personnes particulièrement vulnérables.

Selon l'al. 4, les interdictions qui figurent sur l'extrait spécial conformément à l'al. 3 y demeureront aussi longtemps qu'elles auront effet.

6.4.2

Modification du code pénal militaire

Les art. 50 à 50d P-CPM répètent les art. 67 à 67d P-CP.

Il n'est pas nécessaire de compléter l'art. 18 CPM sur le modèle de l'art. 19, al. 3, P-CP car il contient une réserve en faveur de l'ensemble des mesures du CPM.

Aux art. 50e et 50f P-CPM, seule la numérotation des articles est adaptée.

L'art. 60b, al. 3, P-CPM est précisé de la même manière que l'art. 105, al. 3, P-CP.

Le CPM ne contient pas de disposition similaire à l'art. 294 CP. Au regard de l'art. 8 CPM, il n'est pas nécessaire d'en créer une. Il en va de même pour l'art. 295 P-CP.

Le droit du casier judiciaire du CP (art. 365 ss) s'applique aux jugements rendus en vertu du CPM, conformément à l'art. 226, al. 2, CPM. Les dispositions du CP ont été adaptées en fonction des modifications du CPM.

8201

6.4.3

Modification du droit pénal des mineurs

Art. 16a (Interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique) Cette disposition reprend, sous une forme atténuée, l'interdiction qualifiée d'exercer une activité (al. 1) et les interdictions de contact et géographique (al. 2) du droit pénal applicable aux adultes. Ces interdictions sont formulées de manière très ouverte, comme il est habituel pour les mesures du droit pénal des mineurs, afin de donner aux autorités compétentes une grande marge d'appréciation.

Aucune infraction n'aura comme conséquence, pour les délinquants mineurs, une interdiction systématique d'exercer une activité. De plus, l'autorité de jugement ne pourra ordonner une interdiction que s'il est à craindre que l'auteur commette des infractions d'ordre sexuel dans l'exercice de l'activité en question.

Elle pourra en revanche ordonner une interdiction de contact ou une interdiction géographique (al. 2) aux auteurs de toute infraction, du moment qu'une telle mesure est appropriée, nécessaire et conforme au principe de proportionnalité.

L'al. 3 prévoit que les mineurs condamnés sont accompagnés et surveillés par une personne idoine, conformément aux exigences de la motion Carlo Sommaruga.

Selon l'al. 4, les jeunes pourront aussi, au besoin, faire l'objet d'une surveillance électronique en relation avec les interdictions de contact et les interdictions géographiques. Les dispositions du DPMin en matière d'exécution (art. 17 ss) s'appliqueront aussi aux interdictions.

Art. 19, al. 4 L'âge auquel les mesures prévues par le DPMin prennent fin passera de 22 à 25 ans à l'occasion de la réforme prochaine du système des sanctions dans le CP et le DPMin (art. 19, al. 2, DPMin)87. Après cette réforme, les nouvelles interdictions qui sont l'objet de l'art. 16a P-DPMin pourront durer sept ans voire plus88. Or, si une mesure aussi sévère que le placement en établissement fermé prévu à l'art. 15, al. 2, DPMin doit prendre fin lorsque la personne concernée atteint ses 25 ans, il doit en aller de même pour les interdictions prévues à l'art. 16a P-DPMin.

En même temps, il faut tenir compte du fait que certaines situations ou certains problèmes ne disparaissent pas subitement lorsque l'individu atteint un certain âge.

Le nouvel art. 19, al. 4, P-DPMin permet donc de poursuivre les interdictions prononcées en vertu du droit pénal des mineurs, mais, avec certaines restrictions, selon le droit pénal applicable aux adultes. Dans un tel cas, l'autorité d'exécution devra déposer une demande auprès du tribunal compétent pour juger les adultes au lieu de domicile de la personne concernée.

87 88

Message du Conseil fédéral du 4 avril 2012 relatif à la modification du code pénal et du code pénal militaire (réforme du droit des sanctions), FF 2012 4385.

Si l'auteur est condamné avant d'avoir 18 ans. Dans certains cas, la condamnation a lieu plus tard, si bien que l'interdiction durera moins longtemps.

8202

6.4.4

Modification du droit en vigueur

Code de procédure pénale Art. 214, al. 4, 1re phrase Lors de la consultation, la suggestion a été faite de compléter le CPP de sorte à informer la victime d'une éventuelle interdiction de contact ou géographique.

L'interdiction de contact et l'interdiction géographique peuvent être ordonnées durant la procédure, en lieu et place de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté (art. 237, al. 2, let. c et g, CPP). L'art. 214, al. 4, 1re phrase, CPP sera donc précisé de sorte que la victime soit aussi informée lorsqu'une de ces mesures de substitution est ordonnée ou levée89. En vertu de l'art. 3, al. 1, de la procédure pénale applicable aux mineurs (PPMin)90, cette disposition s'appliquera aussi aux procédures relevant du droit pénal des mineurs.

On n'inscrira cependant pas dans le CPP l'obligation d'informer la victime d'une interdiction de contact ou d'une interdiction géographique. En effet, la victime peut participer à la procédure en qualité de partie plaignante (art. 118 CPP) et, en tant que telle, se voit remettre ou notifier le dispositif du jugement, sur lequel figureront ces interdictions (art. 84, al. 2, CPP). De plus, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique seront prononcées dans une procédure ordinaire (voir plus loin le commentaire de l'art. 352, al. 2, P-CPP); de ce fait, le jugement sera notifié publiquement (art. 84, al. 1, CPP). Enfin, une interdiction de contact ou une interdiction géographique prononcée pour protéger une ou plusieurs personnes bien définies ne peut sans doute être appliquée que si ces personnes sont informées de l'interdiction et que la protection est adaptée à leur cas. L'interdiction doit en effet être aménagée en fonction par exemple du lieu de domicile ou de travail des personnes à protéger, et adaptée en cas de déménagement ou de changement de lieu de travail.

Art. 352, al. 2 L'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique ne seront pas prononcées par ordonnance pénale.

Le CPP détermine l'autorité compétente pour juger d'une infraction en fonction de la sanction encourue dans le cas d'espèce. Le ministère public rend une ordonnance pénale s'il estime suffisante une peine de six mois au plus (ou son équivalent en jours-amende ou en temps de travail d'intérêt général)
et que l'affaire est claire en fait et en droit (art. 352 CPP). Si ces conditions sont réunies, on peut considérer comme justifié que le prévenu ne bénéficie pas d'un examen par un juge indépendant dans une procédure publique ­ à moins qu'il refuse la procédure de l'ordonnance pénale et fasse opposition.

89

90

La liste des mesures de substitution à l'art. 237, al. 2, n'est pas exhaustive. L'interdiction d'exercer certaines activités pourrait donc aussi être ordonnée en tant que mesure de substitution.

RS 312.1

8203

L'interdiction «simple» d'exercer une activité au sens de l'art. 67, al. 1, P-CP et les interdictions systématiques au sens de l'art. 67, al. 3 et 4, P-CP échappent à la procédure de l'ordonnance pénale vu les peines minimales exigées pour les ordonner91.

Quant à l'interdiction d'exercer une activité prévue à l'art. 67, al. 2, P-CP, qui peut être prononcée pour dix ans ou à vie, et à l'interdiction de contact et l'interdiction géographique, qui peuvent être prolongées de cinq ans en cinq ans aussi longtemps qu'il est nécessaire, ce ne sont pas là des sanctions mineures que le ministère public pourrait ordonner.

Selon le contre-projet, les interdictions et leur durée dépendent dans certains cas d'un pronostic négatif quant au risque de récidive de l'auteur. Le juge doit aussi décider, dans les cas où la loi le laisse libre de prononcer ou non une interdiction, si une assistance de probation est utile. Une procédure rapide par écrit n'est appropriée ni pour l'un ni pour l'autre de ces éléments. D'ailleurs, dans de nombreux cas, ni les faits, ni la situation juridique ne sont clairs.

La procédure de l'ordonnance pénale n'est pas sans présenter quelques faiblesses vis-à-vis des principes de l'Etat de droit. La procédure n'étant pas publique, il n'y a pas de contrôle de la jurisprudence par la collectivité comme dans la procédure ordinaire. Dans la phase de la procédure de l'ordonnance pénale, le prévenu n'a pas droit à un défenseur. L'ordonnance elle-même est établie uniquement dans la langue de la procédure, que le prévenu la comprenne ou non. Enfin, la sanction ne doit pas être motivée et le prévenu n'est pas forcément entendu.

On voit donc que la procédure de l'ordonnance pénale doit être réservée à des sanctions mineures et ne convient pas pour les interdictions d'exercer une activité, les interdictions de contact et les interdictions géographiques, qui peuvent être de longue durée.

L'art. 352, al. 2, CPP sera donc complété en ce sens.

Art. 374, al. 1 Cette disposition est complétée par la référence aux nouvelles interdictions de contact et géographique prévues par l'art. 67b P-CP, qui peuvent aussi être prononcées contre des auteurs irresponsables.

Procédure pénale applicable aux mineurs Art. 26, al. 1, let. c Cette disposition est complétée de sorte que l'interdiction prévue à l'art. 16a P-DPMin puisse être ordonnée à titre provisionnel.

91

Une interdiction d'exercer une activité au sens de l'art. 67, al. 1, P-CP pourrait être prononcée par ordonnance pénale, sur la base de l'art. 19, al. 3, CP, si la responsabilité restreinte de l'auteur justifiait une peine de moins de six mois.

8204

Procédure pénale militaire92 Art. 119, al. 2, let. e Aujourd'hui, l'interdiction d'exercer une profession prévue par l'art. 50 CPM ne peut pas être prononcée par ordonnance de condamnation, selon l'art. 119, al. 2, let. e, de la procédure pénale militaire. L'interdiction d'exercer une activité (art. 50 P-CPM), l'interdiction de contact et l'interdiction géographique (art. 50b P-CPM) seront exclues de cette procédure pour les mêmes motifs que ceux qui s'appliquent à la procédure de l'ordonnance pénale dans le CPP (voir plus haut, ch. 6.4.4 ad modification du CPP).

Loi sur les profils d'ADN93 Art. 16, al. 1, let. l Cette disposition portant sur l'effacement des profils d'ADN est complétée par la mention des jugements contenant une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique.

6.5

Conséquences

6.5.1

Conséquences pour la Confédération

Pour ce qui est des frais de personnel et autres conséquences financières, il faut faire la distinction entre les dépenses dues à la reprogrammation de VOSTRA et celles liées à son exploitation.

La reprogrammation de VOSTRA devrait coûter entre 300 000 francs et un million de francs. Dans la mesure du possible, ces travaux seront intégrés à ceux qu'entraînera la réforme du droit du casier judiciaire. S'agissant des coûts d'exploitation, et même si le projet ne prévoit pas l'obligation d'exiger un extrait du casier judiciaire, il faut s'attendre à une augmentation des demandes d'extrait du fait de la prise de conscience toujours croissante de la problématique et de la volonté commune de lutter contre la récidive. Dans le cadre de l'avant-projet de modification du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs relatifs à l'interdiction d'exercer une activité, l'augmentation des demandes avait été estimée à 200 000 par année. Comme le contre-projet indirect ne prévoit plus l'obligation d'exiger un extrait du casier judiciaire, l'augmentation devrait se situer dans une fourchette inférieure, entre 50 000 et 100 000 par année. Cette augmentation impliquerait la création de deux à quatre postes supplémentaires au sein de l'Office fédéral de la justice, qui représenteraient entre 250 000 et 500 000 francs de frais de rémunération et d'infrastructure.

Il faut cependant préciser que le projet aura également pour conséquence une augmentation des recettes annuelles, puisque l'extrait spécial du casier judiciaire coûterait ­ tout comme l'extrait actuel ­ 20 francs. Sur la base des chiffres qui viennent 92 93

RS 322.1 RS 363

8205

d'être mentionnés, il devrait en découler des recettes annuelles supplémentaires d'un million à deux millions de francs (soit 50 000 × 20, resp. 100 000 × 20), qui couvriraient tant les coûts de reprogrammation de VOSTRA que les coûts afférents à la création de postes supplémentaires.

6.5.2

Conséquences pour les cantons et les communes

Les cantons et les communes devront très probablement supporter des charges supplémentaires dans le domaine de l'exécution des peines et des mesures puisque les services de l'assistance de probation auront de nouvelles tâches. Ces charges seront surtout occasionnées par la nécessité d'engager du personnel supplémentaire.

Il n'est pas aisé de procéder à une estimation du nombre de cas où une assistance de probation devrait être obligatoirement ordonnée. En effet, il faut non seulement connaître le nombre de condamnations prononcées en application des infractions mentionnées à l'art. 67, al. 3 et 4, P-CP, mais également déterminer lesquelles de ces condamnations réunissent les trois conditions suivantes: (1) l'auteur est majeur, (2) la victime est mineure ou particulièrement vulnérable et (3) la peine prononcée est de six mois au moins. Sur la base des informations statistiques à disposition94, et en procédant par recoupement, on peut estimer que 180 à 250 personnes par année devront faire l'objet d'une assistance de probation obligatoire. Il faut cependant immédiatement préciser que nombre de ces cas font déjà l'objet d'une assistance de probation en vertu du droit actuel, de sorte que l'augmentation ne devrait pas être aussi élevée (100 à 150 cas par année en plus des cas actuels). Par contre, le fait que la durée des interdictions obligatoires d'exercer une activité soit revue à la hausse ­ au minimum cinq ans ­ va provoquer une augmentation constante du nombre d'assistances de probation durant cinq ans au moins après l'entrée en vigueur de la loi. Par la suite, l'augmentation devrait se tasser, voire disparaître, puisqu'un tournus devrait progressivement s'installer entre les personnes libérées de l'interdiction d'exercer et celles contre lesquelles une interdiction d'exercer vient d'être prononcée.

Selon les informations publiées par l'Office fédéral de la statistique95, les services de probation assistent chaque année entre 700 et 900 personnes libérées conditionnellement de l'exécution des peines, environ 200 personnes condamnées à des peines avec sursis et entre 250 et 300 personnes soumises à l'observation de règles de conduites. En outre, tous mandats confondus (mandats «classiques», assistance sociale, tâches additionnelles, etc.), on dénombrait environ 7000 personnes faisant l'objet
d'une assistance de probation en 2009. Par conséquent, on peut constater que l'impact du projet de loi sur le nombre d'assistances de probation devrait rester dans 94

95

Voir OFS, Condamnations d'adultes pour crime ou délit 1) du code pénal (CP) 2), disponible sous: www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/19/03/03/key/straftaten/ haeufigste_delikte.html; OFS, Infraction pénale et prévenus, disponible sous: www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/19/03/02/key/02/01.html; OFS, Peine principale et combinaison peine-amende selon antécédents judiciaires et choix d'infraction, disponible sous: www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/19/03/03/key/Sank/uberblick.html; OFS, Victimes ­ Données/Indicateurs, disponible sous: www.bfs.admin.ch/bfs/portal/fr/index/themen/19/03/01/key/ueberblick/01.html.

OFS, L'assistance de probation, de 2001à 2009, Chiffres-clés concernant la pratique et son évolution, Neuchâtel, octobre 2011, p. 7 ss.

8206

une proportion raisonnable, même s'il n'est évidemment pas à négliger. L'augmentation des cas serait à court terme de l'ordre de 2 % par rapport à l'ensemble des cas existant actuellement (soit environ 150/7000) et à moyen terme de l'ordre de 10 % (soit environ 150 × 5/7000). Il faut également rappeler dans ce contexte que les dépenses liées à l'assistance de probation (environ 25 millions de francs) restent modestes par rapport à celles consenties pour les établissements de privation de liberté (750 millions de francs)96.

A cela s'ajouteront vraisemblablement des assistances de probation facultatives (art. 67, al. 7, et 67b, al. 4, P-CP, art. 50, al. 7 et 50b, al. 4, P-CPM), dont il est difficile d'estimer le nombre. On peut certes s'attendre à une augmentation, mais celle-ci ne devrait pas contribuer à alourdir considérablement la charge des autorités de probation par rapport à la situation actuelle.

La surveillance électronique des interdictions de contact et des interdictions géographiques pourrait aussi engendrer des coûts supplémentaires. Lors de la procédure de consultation, certains ont suggéré que les cantons s'associent pour ce qui est des moyens techniques nécessaires, par exemple dans le cadre des concordats d'exécution des peines97.

6.6

Relation avec le programme de la législature

Le message du 25 janvier 2012 sur le programme de la législature 2011 à 201598 annonce un «message relatif à la modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire du 13 juin 1927 et du droit pénal des mineurs du 20 juin 2003 (interdiction d'exercer une activité, interdiction de contact et interdiction géographique)». La modification de la Constitution n'est pas citée dans le titre du présent message car son éventualité sera examinée dans le cadre d'un autre objet (voir ch. 6.2.8).

6.7

Aspects juridiques

6.7.1

Constitutionnalité

Compétence législative L'art. 123 Cst. habilite la Confédération à légiférer dans le domaine du droit pénal.

96 97

98

OFS, L'assistance de probation, de 2001à 2009, Chiffres-clés concernant la pratique et son évolution, Neuchâtel, octobre 2011, p. 4.

Synthèse des résultats de la procédure de consultation sur le rapport et les avant-projets de modification de la Constitution, du code pénal, du code pénal militaire et du droit pénal des mineurs, Berne, novembre 2011, p. 12 (www.admin.ch > Actualité > Procédures de consultation > Procédures terminées > 2011 > DFJP).

FF 2012 349, p. 478

8207

Conformité aux droits fondamentaux L'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique touchent plusieurs droits fondamentaux garantis par la Constitution tels que la liberté économique (art. 27, al. 2, Cst.), la liberté personnelle (art. 10, al. 2, Cst.) et la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.). Les droits fondamentaux peuvent être restreints lorsque cette restriction repose sur une base légale, qu'elle répond à un intérêt public prépondérant, qu'elle est conforme au principe de proportionnalité et que l'essence des droits fondamentaux est préservée (art. 36 Cst.). Le confinement d'une personne dans un espace réduit au travers d'une interdiction géographique peut être une restriction de la liberté de mouvement qui requiert la prise en considération des droits garantis par l'art. 31 Cst. sur la privation de liberté99.

En l'occurrence, le droit des enfants et des jeunes à une protection particulière de leur intégrité, consacré à l'art. 11 Cst., constitue une limite à la liberté économique, à la liberté personnelle et à la liberté de conscience et de croyance. En d'autres termes, il est possible de porter atteinte aux droits fondamentaux de tiers pour protéger les enfants100.

Les interdictions que nous proposons sont prévues par une loi au sens formel. On peut considérer qu'elles répondent à un intérêt public prépondérant; en acceptant l'art. 123b Cst. (Imprescriptibilité de l'action pénale et de la peine pour les auteurs d'actes d'ordre sexuel ou pornographique sur des enfants impubères), le 30 novembre 2008, le souverain a manifesté sa volonté de prendre des mesures énergiques pour protéger les enfants. Enfin, les interdictions proposées ne portent pas atteinte à l'essence des droits fondamentaux101. Quant aux garanties de procédure, relevons que les interdictions seront ordonnées par un juge dans une procédure pénale ordinaire. Seule la question de la proportionnalité demande un examen plus approfondi.

Le principe de proportionnalité revêt une grande importance lorsqu'il s'agit de mettre en place des interdictions. En relation avec quelles infractions une interdiction sera-t-elle appropriée et nécessaire pour prévenir la récidive (par ex. pertinence d'une interdiction de contact ou géographique en cas d'infraction contre le patrimoine)? A
partir de quel degré de gravité y a-t-il un rapport raisonnable entre l'utilité de l'interdiction et les moyens employés? Une interdiction à vie peut-elle être conforme au principe de proportionnalité lorsque l'on sait que les condamnés ne seront pas des délinquants très dangereux? Quelles possibilités de réexamen et de levée de l'interdiction faut-il prévoir pour qu'elle puisse prendre fin au moment où les circonstances qui l'ont justifiée ne sont plus réunies?

La garantie constitutionnelle de la liberté économique (art. 27, al. 2, Cst.) impose que l'infraction commise ait un lien étroit avec l'activité qu'il s'agit d'interdire.

L'absence de ce lien représenterait une restriction disproportionnée de l'activité professionnelle.

99

J. P. Müller/M. Schefer, Grundrechte in der Schweiz: im Rahmen der Bundesverfassung, der EMRK und der UNO-Pakte, 4e éd., Berne 2008, p. 86.

100 Voir H. Koller/M. Wyss, «Kinder haben Anspruch auf besonderen Schutz ...», Verfassungsrechtliche Überlegungen zu Art. 11 Abs. 1 BV; in: Festschrift für Heinz Hausheer zum 65. Geburtstag, Berne 2002, p. 435 ss.

101 J. P. Müller/M. Schefer, Grundrechte in der Schweiz: im Rahmen der Bundesverfassung, der EMRK und der UNO-Pakte, 4e éd., Berne 2008, p. 85 ss, 89 ss, 267 ss et 1078 s.

8208

Quant à l'exercice d'activités non professionnelles, il n'est pas exclu que certains types de loisirs touchent les droits élémentaires au développement de la personnalité (liberté personnelle, art. 10, al. 2, Cst.).

On peut aussi imaginer des cas de figure où l'exercice d'une activité bénévole au sein d'une église touche la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.). Ici aussi, il est nécessaire d'établir un lien étroit entre l'infraction commise et l'interdiction.

L'interdiction «simple» d'exercer une activité visée à l'art. 67, al. 1, P-CP (ou à l'art. 50, al. 1, P-CP) tient compte de ces limites: seules peuvent être interdites des activités dans l'exercice desquelles l'auteur a commis l'acte à l'origine de l'interdiction. Cet acte doit être sanctionné d'une peine minimale déterminée et il doit y avoir risque de nouvel abus. La formulation potestative garantit d'ailleurs que le juge examinera dans chaque cas l'adéquation, la nécessité et la proportionnalité de l'interdiction.

Quant à l'interdiction qualifiée d'exercer une activité au sens de l'art. 67, al. 2, P-CP (ou de l'art. 50, al. 2, P-CPM) et aux interdictions de contact et géographique au sens de l'art. 67b P-CP (ou de l'art. 50b P-CPM), elles répondent aux exigences mentionnées du fait qu'elles ne peuvent être ordonnées que s'il y a lieu de craindre que l'auteur ne récidive s'il se trouve au contact de certaines personnes (en exerçant une activité ou en entrant en relation avec elles). Ici aussi, le juge examinera dans chaque cas l'adéquation, la nécessité et la proportionnalité de l'interdiction.

Dans les cas visés à l'art. 67, al. 3 et 4, P-CP (ou à l'art. 50, al. 3 et 4, P-CPM), où le juge doit obligatoirement prononcer l'interdiction, le lien entre l'infraction et l'interdiction existe: il s'agit de la nature sexuelle de l'infraction et du type de victime (enfants et jeunes, autres personnes particulièrement vulnérables). Seules les activités offrant une occasion de récidive à l'encontre d'un groupe défini de victimes potentielles seront interdites. De plus, l'acte commis devra être d'une certaine gravité.

Autre aspect important, l'interdiction d'exercer une activité ne consiste pas à interdire totalement l'exercice d'une profession. Ainsi, les activités exercées en relation avec la liberté de conscience et de croyance
ou avec la liberté personnelle ne seront pas entièrement interdites, mais uniquement certaines tâches ou les tâches en contact avec certaines personnes.

Il ne faut pas non plus oublier que l'acte commis peut aussi entraîner une condamnation à une peine privative de liberté de longue durée, à une mesure thérapeutique institutionnelle ou à un internement à vie. Les nouvelles dispositions proposées ne sont pas en ce sens un durcissement du droit pénal. Grâce à elles, le condamné pourra bénéficier d'un meilleur pronostic (parce qu'il est soumis à une interdiction d'exercer une activité, une interdiction de contact ou une interdiction géographique et qu'il pourra avoir à présenter un extrait spécial du casier judiciaire pour exercer certaines activités) et donc d'une meilleure chance de se voir accorder soit un sursis total ou partiel, soit une libération conditionnelle. En d'autres termes, les nouvelles dispositions permettront dans certains cas d'éviter une sanction bien plus dure.

Durée des interdictions systématiques D'un point de vue constitutionnel, la durée des interdictions systématiques ne doit pas être uniforme et appliquée sans distinction: la loi peut prévoir une durée minimale de dix ans, par exemple, mais fixer une durée supérieure doit relever de la 8209

décision du juge. Une interdiction systématique d'exercer une profession prononcée à vie (sans appréciation par le juge) ne serait pas conforme au principe de proportionnalité.

Interdictions à vie Sur le modèle des législations étrangères, le contre-projet prévoit des interdictions à vie d'exercer une activité, qui seront ordonnées si, au moment où le jugement est rendu, il est déjà prévisible que la durée de dix ans ne suffira pas à écarter le risque de récidive (art. 67, al. 6, P-CP, art. 50, al. 6, P-CPM).

Les interdictions à vie soulèvent la question de la proportionnalité. Pour ce qui est des peines, le respect de ce principe est assuré au travers du principe selon lequel la peine est fixée en fonction de la culpabilité de l'auteur (art. 47 ss CP). Pour ce qui est des mesures thérapeutiques et de l'internement, qui ne dépendent pas de la culpabilité de l'auteur, le principe de proportionnalité a été expressément intégré dans la nouvelle partie générale du CP (art. 56, al. 2) et concrétisé dans diverses dispositions (notamment les art. 56, al. 1 et 6, 56a, 57, al. 1, 59, al. 1, 60, al. 1, 61, al. 1, et 63, al. 1, CP).

L'interdiction d'exercer une activité fait partie des «autres mesures» du CP. Comme pour les mesures thérapeutiques et l'internement, son prononcé et sa durée ne dépendront pas en premier lieu de la culpabilité de l'auteur, mais du risque particulier que celui-ci présente et que l'interdiction permettra de prévenir. Le principe de proportionnalité doit donc être pris en compte par le juge qui ordonne l'interdiction et par l'autorité d'exécution qui l'examine et qui la lève.

Lorsque l'interdiction est prononcée à vie, le principe de proportionnalité tient dans le fait qu'elle ne peut l'être qu'à cause de certaines infractions ou à cause d'infractions contre certaines catégories de personnes qui bénéficient d'une protection particulière. De plus, elle ne peut être ordonnée que si le pronostic est défavorable.

L'art. 5, ch. 4, CEDH ne garantit le droit à un examen périodique qu'aux personnes frappées par une sanction entraînant une privation de liberté (toute personne privée de liberté en raison de caractéristiques personnelles telles que l'aliénation, l'alcoolisme ou la toxicomanie ou en raison d'autres circonstances altérables a également droit à l'examen périodique de la
légalité de sa détention). Cependant, en vertu du principe de proportionnalité, le CP prévoit un réexamen non seulement pour les sanctions entraînant une privation de liberté mais également (au sens où elles sont renouvelées formellement et périodiquement) pour les mesures de traitement ambulatoire, la mise à l'épreuve, les règles de conduite et l'assistance de probation. Par analogie, il convient de prévoir une possibilité de réexamen pour l'interdiction d'exercer une activité, l'interdiction de contact et l'interdiction géographique.

L'interdiction «simple» d'exercer une activité (art. 67, al. 1, P-CP, art. 50, al. 1, P-CPM), l'interdiction de contact et l'interdiction géographique (art. 67b P-CP, art. 50b P-CPM) bénéficieront des mêmes modalités de réexamen que l'interdiction actuelle d'exercer une profession, conformément aux art. 67c, al. 3, 4 et 5, let. a, P-CP et 50c, al, 3, 4 et 5, let. a, P-CPM. Les interdictions qualifiées pourront être réexaminées au terme de délais plus longs, fixés à l'art. 67c, al. 5, let. b à d, P-CP et à l'art. 50c, al. 5, let. b à d, P-CPM. En effet, ces interdictions sont censées assurer une protection particulière. Il ne serait pas logique de prévoir de longues interdictions d'exercer une activité tout en permettant de les remettre en question après peu 8210

de temps. On pourrait par contre envisager que les interdictions doivent être examinées lorsque l'auteur a exécuté une longue peine ou une longue mesure (de même qu'on examine l'internement à la fin de l'exécution de la peine privative de liberté qui le précède; art. 64, al. 3, CP).

6.7.2

Compatibilité avec les engagements internationaux de la Suisse

Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) L'art. 6 CEDH confère à tout un chacun le droit qu'un tribunal décide des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. L'interdiction d'exercer une activité (ou l'interdiction d'exercer une profession) touche un droit de caractère civil, selon une jurisprudence constante102; l'art. 6 s'applique, pour ce qui concerne le droit civil, dès lors qu'il est possible qu'une interdiction d'exercer une profession soit ordonnée dans la procédure103. Or le contre-projet prévoit que l'interdiction d'exercer une activité est prononcée par le juge (qui a soit la faculté, soit l'obligation de le faire). Il satisfait donc à l'art. 6 CEDH sans qu'il soit même besoin d'examiner plus avant si cet article est aussi applicable à l'interdiction d'exercer une activité non professionnelle.

Les activités professionnelles d'une personne peuvent être considérées comme relevant de sa vie privée104 (art. 8 CEDH105), mais la convention ne garantit pas le droit à une activité professionnelle. Il peut y avoir ingérence dans la vie privée si l'interdiction d'activités de nature professionnelle s'étend dans une très large mesure à l'exercice d'une telle activité dans le cadre de la vie privée106. Une autorité publique n'a le droit de s'ingérer dans l'exercice du droit à la vie privée que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire pour atteindre l'un (ou plusieurs) des buts énumérés à l'art. 8, al. 2, CEDH. La base légale et le but des mesures proposées n'appellent pas ici de commentaires. Pour ce qui est de leur proportionnalité, le contre-projet prévoit une gradation dans la sévérité des mesures (interdiction facultative ou systématique, durée variable, portée matérielle de l'interdiction). Il permet donc en principe une application conforme à la CEDH, étant donné qu'une interdiciton systématique d'une durée minimale de dix ans peut être considérée comme proportionnée (art. 67, al. 3 et 4, P-CP et art. 50, al. 3 et 4, P-CPM).

Selon la jurisprudence de la Cour, l'art. 8 CEDH implique pour les parties des obligations positives: ils doivent notamment mettre en place des mécanismes per-

102 103 104 105

Voir notamment l'arrêt de la CEDH du 28 juin 1978, affaire König, A/28.

Voir notamment l'arrêt de la CEDH du 15 décembre 2005, Hurter c. Suisse, no 53146/99.

Voir l'arrêt de la CEDH du 16 décembre 1992, Niemietz c. Allemagne, A/251-B.

Selon l'art. 8 CEDH, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

106 Meyer-Ladewig, Handkommentar EMRK, 2e éd., 2006, Art. 8 N 9; arrêt de la CEDH du 27 juillet 2004, Sidabras et al. c. Lituanie, no 55480/00 et 59330/00, arrêt de la CEDH 2004-VII.

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mettant à chacun de se défendre contre les atteintes à sa vie privée107. Or, les abus sexuels à l'encontre de mineurs ou d'autres personnes particulièrement vulnérables sont une atteinte à la vie privée de ces personnes. Les nouvelles interdictions proposées et l'extrait spécial du casier judiciaire répondent donc à l'obligation positive de protéger les victimes qui découle de l'art. 8 CEDH.

Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pacte I de l'ONU)108 Le droit au travail, tel que consacré par l'art. 6 du Pacte I de l'ONU, affirme l'obligation des États parties de garantir aux individus leur droit à un travail librement choisi ou accepté, notamment le droit de ne pas en être privé injustement109.

Pour les raisons exposées plus haut (voir ch. 6.7.1 et 6.7.2 ad CEDH), l'interdiction d'exercer une activité est compatible avec le Pacte.

Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques (Pacte II de l'ONU) Les dispositions concernées du Pacte II de l'ONU (art. 14, 17 et 26) coïncident en grande partie avec celles de la CEDH (voir ch. 6.7.2 ad CEDH).

Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant Par l'art. 19 de la convention, la Suisse s'est engagée à prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié. Par l'art. 34 de la convention, elle s'est engagée à protéger l'enfant contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle. Les nouvelles règles proposées ici s'inscrivent dans le cadre de ces obligations.

107

Voir par ex. l'arrêt de la CEDH du 26 mars 1985, X et Y c. Pays-Bas, A//91, absence de sanction pour le viol d'une handicapée mentale; l'arrêt de la CEDH du 4 déc. 2003, M.C.

c. Bulgarie, no 39272/98, ACEDH 2003-XII, preuve d'une résistance physique comme condition d'une condamnation pour viol; l'arrêt de la CEDH du 2 décembre 2008, K.U. c.

Finlande, impossibilité d'obliger un fournisseur d'accès Internet à donner des informations sur l'auteur d'un abus sexuel à l'encontre d'un mineur.

108 RS 0.103.1 109 Voir Comité des Droits économiques, sociaux et culturels, Le droit au travail, Observation générale no 18, adoptée le 24 novembre 2005, § 4.

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Convention du Conseil de l'Europe du 25 octobre 2007 sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (Convention de Lanzarote) La Suisse a signé la Convention de Lanzarote le 16 juin 2010. Le Conseil fédéral a adopté un message en vue de sa ratification le 4 juillet 2012110.

Selon l'art. 5, al. 3, de la Convention111, «chaque Partie prend les mesures législatives ou autres nécessaires, conformément à son droit interne, pour que les conditions d'accès aux professions dont l'exercice comporte de manière habituelle des contacts avec les enfants permettent de s'assurer que les candidats à ces professions n'ont pas été condamnés pour des actes d'exploitation ou d'abus sexuels concernant des enfants». Les dispositions proposées ici sont un grand pas vers la réalisation de cette obligation.

110

Message du Conseil fédéral du 4 juillet 2012 concernant l'approbation de la convention du Conseil de l'Europe sur la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels (convention de Lanzarote) et sa mise en oeuvre (modification du code pénal), FF 2012 7051.

111 FF 2012 7135

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