ad 08.458 Initiative parlementaire Investigation secrète. Restreindre le champ d'application des dispositions légales Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 3 février 2012 Avis du Conseil fédéral du 23 mai 2012

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement, nous vous transmettons notre avis concernant le rapport du 3 février 2012 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national relatif à l'initiative parlementaire 08.458 intitulée «Investigation secrète. Restreindre le champ d'application des dispositions légales».

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

23 mai 2012

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Eveline Widmer-Schlumpf La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2012-0756

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Avis 1

Contexte

Le 29 septembre 2008, le conseiller national Daniel Jositsch a déposé une initiative parlementaire (08.458) visant à modifier le code de procédure pénale du 5 octobre 2007 (CPP)1 de façon à exclure du champ d'application des dispositions sur l'investigation secrète des mesures d'investigation élémentaires telles que le simple fait de mentir et le simple fait d'acheter quelque chose aux fins de l'enquête.

Le 4 mai 2009, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) a procédé à l'examen préalable de l'initiative et décidé d'y donner suite par 21 voix contre 0 et 2 abstentions, comme l'y autorise l'art. 109, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)2. La Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a approuvé cette décision sans opposition le 22 avril 2010, ce qui a permis à la CAJ-N d'élaborer un projet et un rapport, conformément à l'art. 109, al. 3, LParl.

Dans son rapport du 3 février 2012, la CAJ-N demande que le CPP et la procédure pénale militaire du 23 mars 1979 (PPM)3 soient modifiés de façon à réserver la notion d'investigation secrète aux mesures d'investigation par lesquelles des membres d'un corps de police ou des personnes engagées à titre provisoire pour accomplir des tâches de police tentent, sous le couvert d'une fausse identité attestée par un titre, d'infiltrer un milieu criminel afin d'élucider des infractions particulièrement graves. Les dispositions sur l'investigation secrète ne s'appliqueront donc pas lorsqu'un policier dissimulera sa fonction véritable sans se servir pour autant de faux titres, qu'il n'a pas l'intention d'instaurer une relation de confiance particulière, que la mesure n'est pas destinée à s'inscrire dans la durée et qu'elle ne vise pas à élucider des crimes ou des délits. Ces mesures particulières, moins intrusives que celles qui relèvent de l'investigation secrète, feront nouvellement l'objet d'une réglementation explicite sous la dénomination de «recherches secrètes».

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Avis du Conseil fédéral

Introduction Bien que regrettant que le CPP subisse des changements si peu de temps après son entrée en vigueur, le Conseil fédéral convient avec la CAJ-N que les modifications proposées sont nécessaires au vu de la jurisprudence du Tribunal fédéral sur l'investigation secrète.

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RS 312.0 RS 171.10 RS 322.1

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Concernant le choix de ne pas régler l'investigation secrète préventive au niveau fédéral Les dispositions proposées se limitent à définir les mesures d'investigation secrètes qui sont prises en vue d'élucider des infractions commises. Cette limitation est adaptée tant juridiquement que matériellement.

Conformément à l'art. 123, al. 1, de la Constitution (Cst.)4, la législation en matière de procédure pénale relève de la Confédération. L'ouverture d'une procédure pénale est subordonnée à la présomption qu'une infraction a été commise. Le droit de la procédure pénale régit à cet égard les différentes mesures et étapes mises en oeuvre en vue de vérifier le bien-fondé de cette présomption et, le cas échéant, de poursuivre l'auteur de l'infraction.

A l'inverse, la définition des moyens permettant de prévenir les infractions ou d'établir qu'elles peuvent être commises relève du droit de police, c'est-à-dire pour l'essentiel des cantons.5 Le projet de la commission tient pleinement compte de cette répartition des compétences, puisqu'il ne régit que les mesures secrètes visant l'élucidation des infractions déjà commises.

Le Conseil fédéral recommande de rejeter au contraire la proposition de minorité concernant l'art. 298b, al. 1, let. a, P-CPP et l'art. 73p, al. 1, let. a, P-PPM, selon laquelle le CPP doit également régler les recherches secrètes effectuées dans le but de détecter des infractions susceptibles d'être commises. En effet, non seulement cette proposition méconnaît la répartition constitutionnelle des compétences, mais elle est étrangère aux principes qui fondent le CPP, et qui veulent que les mesures préventives ne ressortissent pas aux autorités pénales. Elle introduirait en outre une contradiction dans l'art. 298b P-CPP (et dans l'art. 73p P-PPM), puisqu'elle vise d'une part à permettre une recherche secrète même en l'absence de commission d'une infraction, et d'autre part à autoriser la police à ordonner cette mesure dans le cadre d'une procédure d'investigation. Or une telle procédure vise précisément à confirmer ou à infirmer le soupçon qu'une infraction a été commise (cf. art. 299, al.

2, CPP: «lorsque des soupçons laissent présumer qu'une infraction a été commise, des investigations sont effectuées et des preuves administrées dans la procédure préliminaire [laquelle comprend entre
autres la procédure d'investigation, aux termes de l'art. 299, al. 1, CPP] ...»).

Comme le note très justement la CAJ-N (cf. ch. 2.2.2 du rapport), ni les investigations menées sur Internet en l'absence d'une présomption d'infraction, ni les achatstests d'alcool ne pourraient se fonder sur les nouvelles dispositions puisque ces mesures ne reposent pas sur des soupçons concrets. Il est à noter toutefois que le Conseil fédéral, usant de la compétence législative qui lui est conférée par les art.

105 et 118 Cst., propose dans son message du 25 janvier 2012 concernant la révision totale de la loi sur l'alcool6, une disposition visant à encadrer clairement les achatstests (art. 13 du projet de loi sur le commerce de l'alcool).

4 5

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RS 101 Pour plus de détails sur la répartition fédérale des compétences, voir le rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat Malama 10.3045 du 3 mars 2012 (Sécurité intérieure.

Clarification des compétences), FF 2012 4161.

FF 2012 1111 ss

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Le choix de ne régler que les mesures d'investigation secrètes relevant de la procédure pénale ne répond pas seulement à la répartition des compétences entre Confédération et cantons, il est également en accord avec l'approche arrêtée conjointement par la Confédération et la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP) pour la mise en place d'une réglementation exhaustive. De l'avis de la CCDJP, en effet, il appartient à la Confédération de régler les mesures d'investigation secrète relevant de la procédure pénale, et aux cantons de compléter leur droit de police par un volet préventif. Au printemps 2011, la CCDJP a adopté à cet égard un modèle de réglementation afin de garantir une cohérence minimale entre les solutions cantonales. Si, comme le voudrait la proposition de minorité, la Confédération décidait maintenant de régler également l'investigation secrète préventive, non seulement cela serait contraire à l'approche convenue avec la CCDJP, mais invaliderait des dispositions cantonales dont la plupart viennent tout juste d'être adoptées.

Concernant le règlement de l'investigation secrète Le Conseil fédéral est favorable à la nouvelle réglementation proposée. Elle précise la notion d'investigation secrète et en donne une définition qui à elle seule permet de prendre la mesure de l'atteinte aux droits fondamentaux que cette investigation implique, justifiant qu'elle doive être ordonnée par le tribunal des mesures de contrainte.

En précisant qu'il s'agit de «nouer des contacts avec des individus de manière active, ciblée et trompeuse, en ayant l'intention d'instaurer avec eux une relation de confiance», la réglementation proposée permet, selon le Conseil fédéral, de signifier que les actes que cela suppose portent à ce point atteinte aux droits fondamentaux qu'ils doivent être soumis aux conditions sévères régissant l'investigation secrète.

Cela ne signifie pas pour autant qu'une intervention moins intrusive (d'ordre par ex.

plutôt passif) d'un enquêteur muni d'une identité d'emprunt ne puisse pas elle aussi être soumise aux règles régissant l'investigation secrète et ne doive pas par conséquent être autorisée en tant que telle. Ne serait-ce que pour cette raison, la loi serait plus claire si la précision «de manière active» était supprimée. De
même, il y aurait lieu de supprimer l'adjectif «ciblée», car la finalité même de l'investigation secrète (instaurer une relation de confiance) suppose forcément une action «ciblée».

Contrairement à l'avant-projet, le projet ne demande plus que l'investigation secrète vise à instaurer une relation de confiance particulière. La suppression de cette précision paraît juste, car il serait difficile de distinguer nettement une relation de confiance normale d'une relation de confiance particulière. C'est pourquoi, dans le projet, le critère adopté pour distinguer entre investigation secrète et recherche secrète est l'utilisation d'un faux titre. Le fait que la mesure serve à infiltrer un milieu criminel induit cependant indirectement que l'investigation secrète vise forcément à instaurer une relation de confiance étroite (quelle que soit la manière dont on la définit) avec la personne-cible. A contrario, ces considérations permettent de conclure que l'établissement d'une relation de confiance est également possible à travers des recherches secrètes.

Concernant le règlement des recherches secrètes Bien que, dans la pratique, il soit sans doute plus fréquent de recourir aux recherches secrètes pour établir une infraction susceptible d'être commise que pour confirmer ou infirmer un soupçon, les principes de l'Etat de droit plaident en faveur de leur 5186

inscription dans le code de procédure pénale. Du moins les recherches secrètes relevant du droit de la procédure pénale se fonderont-elles ainsi sur une base légale explicite.

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Propositions du Conseil fédéral

Pour les motifs qui viennent d'être évoqués, le Conseil fédéral propose d'approuver la proposition de la CAJ-N.

Il propose toutefois de supprimer les adjectifs «active, ciblée», qui n'apportent rien au texte.

Il propose par ailleurs de rejeter les propositions de minorité.

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