12.013 Message portant approbation de l'engagement de l'armée en service d'appui à l'étranger pour la protection de l'ambassade de Suisse à Tripoli du 18 janvier 2012

Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, Conformément à l'art. 70, al. 2, de la loi fédérale sur l'armée et l'administration militaire, nous vous soumettons, en vous proposant de l'adopter, un projet d'arrêté fédéral portant approbation de l'engagement de l'armée en service d'appui à l'étranger pour la protection de l'Ambassade de Suisse à Tripoli.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

18 janvier 2012

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Eveline Widmer-Schlumpf La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2012-0015

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Condensé Par souci de solidarité et compte tenu des intérêts en jeu, la Suisse a maintenu dans toute la mesure du possible sa présence en Libye, même pendant la période des combats (par son bureau de l'aide humanitaire, ensuite par le bureau de liaison à Benghazi).

L'Ambassade de Suisse à Tripoli a été rouverte, le 15 octobre 2011. Bien que la situation en matière de sécurité se soit stabilisée à partir du mois de septembre 2011, les représentations étrangères en Libye doivent faire face à un certain nombre de risques liés aux tensions et aux conflits entre milices et à la présence d'un nombre important d'armes au sein de la population, sans parler d'un risque accru de criminalité.

Partant de ce constat, le Conseil fédéral a décidé, le 9 décembre 2011, d'envoyer pour une durée de six mois un détachement de l'armée pour assurer cette tâche de protection. Cet engagement est fondé sur l'art. 69, al. 2 de la loi sur l'armée (LAAM) et est renouvelable selon la situation sur place. La responsabilité de l'engagement relève du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

Le Conseil fédéral est compétent pour la mise sur pied de l'engagement selon l'art. 70, al. 1, LAAM. Vu que la durée de l'engagement dépasse trois semaines, l'approbation de l'Assemblée fédérale est requise selon l'art. 70, al. 2, LAAM.

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Message 1

Historique

Le 27 février 2011, l'Ambassade de Suisse à Tripoli a été fermée en raison des combats qui opposaient les rebelles aux forces loyalistes. Ces combats, ainsi que l'engagement des forces de l'OTAN et les sanctions adoptées par la communauté internationale rendaient la présence d'étrangers sur le sol libyen très dangereuse voire impossible; nombreux sont ceux qui ont quitté le pays à ce moment-là.

Dès que la situation l'a permis, avec le déplacement vers l'ouest des combats, la Suisse a ouvert à la mi-mars un bureau de l'aide humanitaire à Benghazi afin de prendre en compte les besoins humanitaires dans le pays. Le 12 juillet 2011, un bureau de liaison a été établi afin de marquer une présence politique et le soutien aux forces en lutte contre le régime.

Depuis la fin des combats, un grand nombre de pays occidentaux ont réactivé leurs représentations à Tripoli à l'instar de la Suisse qui a rouvert son ambassade, le 15 octobre 2011.

A travers la présence de son ambassade, la Confédération entend soutenir la transition en Libye notamment dans les domaines du désarmement, de la réforme des secteurs de la sécurité, du déminage humanitaire, de la justice transitionnelle et du traitement du passé, sur la base de partenariats avec la Libye. Il s'agit également de relancer les relations bilatérales dans tous les secteurs classiques de l'activité gouvernementale.

2

Situation en Libye

2.1

Situation politique

La phase militaire du conflit libyen s'est terminée avec l'effondrement de la résistance loyaliste et la mort du colonel Kadhafi. La Libye se trouve tout au début d'un processus de transformation politique et devra faire face à de nombreux défis. Dans cette première phase de l'ère post-Kadhafi, il s'agit de fixer les priorités dans de nombreux domaines essentiels: renforcement de la sécurité nationale, établissement d'une armée nationale et de forces de protection intégrées, mise sur pied d'un système gouvernemental provisoire fonctionnel, réorganisation d'une administration et relations avec les membres et proches de l'ancien régime.

La position et le comportement des acteurs internationaux (p. ex. ONU, pays membres de la coalition militaire anti-Kadhafi) ainsi que des cités, régions, tribus, sociétés religieuses libyennes et autres groupements qui avaient jusqu'ici conservé une attitude de neutralité, sont aussi des facteurs d'influence importants dans cette première phase.

Si la Libye devrait somme toute pouvoir se maintenir comme Etat dans son ensemble, la question de savoir comment cet Etat va se constituer politiquement est par contre encore indécise. Le dénominateur commun des différents groupes impliqués dans la rébellion était leur opposition au régime. Depuis la chute de celui-ci, les avis

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sur l'avenir du pays peuvent diverger largement et pourraient se révéler aussi incompatibles entre eux.

Bien que les différents acteurs aient fait preuve jusqu'ici d'une certaine retenue, compte tenu de ces clivages et des intérêts en jeu le risque d'une guerre civile ­ ou du moins de sérieux affrontements internes ­ ne peut être totalement exclu. Dans un pays où le pétrole et le gaz représentent environ 90 % des revenus de l'Etat, le contrôle et la distribution des rentes énergétiques représentent un élément déterminant.

De plus l'est du pays, d'où est partie la rébellion et dont la culture est fortement empreinte par le conservatisme religieux, exige une position forte et la fin de la mise à l'écart connue pendant le régime précédent. Les villes et les districts ayant fourni d'importants contingents de rebelles réclament également leur part d'influence. Si sur le plan constitutionnel les structures du pouvoir devaient se construire sur un modèle classique et «arithmétique» de démocratie, l'ouest libyen, plus séculaire et ayant compté de nombreuses entités loyalistes, bénéficierait ­ pour des raisons démographiques ­ d'un poids prépondérant, ce qui conduirait à de fortes tensions.

La capacité à intégrer les groupements précédemment fidèles à la famille Kadhafi ou, du moins, à réserver un traitement et des procès corrects aux représentants principaux de l'ancien régime constituera également un des facteurs les plus importants.

Le processus de transformation pourrait toutefois être saboté par des actes de violence et de vengeance, d'où qu'ils viennent.

La condition essentielle de ce processus de transformation est que la sécurité publique puisse être garantie. Cette condition est cependant fortement menacée par la quantité d'armes tombées dans les mains des milices et de la population. Pour le moment, il est difficile de dire par qui cette sécurité publique pourrait être assurée à court terme au niveau national. La réforme des forces armées et de sécurité constitue un défi majeur auquel le peuple libyen ne pourra vraisemblablement faire face sans appui externe.

Le futur de la Libye est donc encore très incertain. Les défis en termes de stabilité sont nombreux et complexes.

2.2

Conditions de sécurité à Tripoli

Les conditions de sécurité et la situation du point de vue humanitaire se sont stabilisées dans la capitale après l'arrêt des combats sur place vers la fin du mois d'août 2011. En particulier dans la zone où se trouve l'ambassade de la Suisse, la situation est décrite par des sources locales comme étant relativement tranquille. Des zones telles que Abu Salem et Gharghour sont par contre encore considérées comme très dangereuses.

Les deux aéroports (International, Mitiga) sont partiellement opérationnels, mais ils restent sous le contrôle des milices, qui veillent à préserver leurs acquis sur le terrain provoquant aux points de contact des escarmouches. Les milices cherchent à accroître leur contrôle sur les infrastructures critiques (ports, raffineries, axes routiers principaux) sans pour autant rechercher l'affrontement décisif.

Un potentiel considérable de déstabilisation dans la capitale et dans le reste du pays provient en effet des différentes brigades de milices (Katiba) et du nombre important 1018

d'armes à leur disposition. Chacune de ces brigades essaie de renforcer son influence sur la ville. Il n'existe pas encore de ligne de commandement unifiée qui pourrait les rassembler et les efforts visant à désarmer les milices n'ont pas encore donné les résultats escomptés. Le Conseil national de transition (CNT) a élaboré un plan national de désarmement et d'intégration des milices et a nommé aux postes de ministre de la défense et de l'intérieur, chargés de l'exécution de ce plan, des leaders de katibas influentes. Cette stratégie, renforcée par la libération des fonds nécessaires, devrait contribuer à accélérer le processus.

Particulièrement pendant la nuit surviennent des coups de feu d'origine incertaine qui ont causé la mort de plusieurs personnes et blessé des habitants. Un risque concret d'augmentation de la criminalité est également à envisager, aggravé par des libérations mal contrôlées de prisonniers de droit commun.

Malgré le fait que l'ambassade de la Suisse se trouve dans une zone relativement calme et qu'il n'y ait pas de menace spécifique contre l'infrastructure ou le personnel suisse sur place, des risques réels existent pour le personnel de l'ambassade. Il peut s'agir d'attaques contre des représentations étrangères, de combats dans lesquels notre personnel pourrait être involontairement impliqué ou de risques liés à la criminalité et au banditisme (p. ex. risque d'enlèvement).

3

Protection de l'Ambassade de Suisse

3.1

Première phase avec l'entreprise AEGIS

Conformément à la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, l'Etat accréditaire a l'obligation spéciale de prendre toutes les mesures appropriées afin d'empêcher que les locaux de la mission diplomatique ne soient envahis ou endommagés. Or, en Libye, les forces du CNT ne sont pas encore en mesure d'offrir une protection adéquate aux représentations étrangères. Une partie des pays qui ont rouvert leur ambassade sont protégés par leurs propres forces de sécurité armées (gendarmerie nationale ou armée). D'autres font appel à des entreprises de sécurité internationales.

En octobre 2011, le DFAE a confié la protection à court terme de l'ambassade (premiers 3 mois) à l'entreprise AEGIS.

En août-septembre 2011, il y avait peu d'entreprises de sécurité internationales présentes en Libye. Le DFAE a recherché les entreprises offrant les qualités professionnelles nécessaires. L'entreprise AEGIS a signé le Code de conduite international des entreprises de sécurité privées. Son engagement correspond aux exigences contenues dans l'ordonnance du 31 octobre 2007 sur l'engagement d'entreprises de sécurité1 , reprises dans la section 7 du projet de loi sur les prestations de sécurité privées fournies à l'étranger2 que le Conseil fédéral a mis en consultation, en septembre 2011.

1 2

RS 124 www.ejpd.admin.ch/content/dam/data/sicherheit/gesetzgebung/sicherheitsfirmen/ vorentw-f.pdf

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3.2

Protection par l'armée suisse

Parallèlement, le DFAE et le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) ont étudié l'option d'une protection de l'ambassade par des spécialistes de l'armée suisse dans la phase suivante, c'est-àdire à partir de janvier 2012.

Sur la base d'une proposition du DFAE en collaboration avec le DDPS, le Conseil fédéral a décidé le 9 décembre 2011 l'envoi d'un détachement de l'armée pour protéger l'Ambassade de Suisse.

L'option d'une protection par des spécialistes de l'armée suisse permet d'économiser des moyens, puisque le DDPS dispose des personnes et du matériel nécessaires pour un tel engagement. Ce genre d'engagement a déjà été conduit par le DDPS (en Algérie de 1998 à 2004, en Iran en 2006) et correspond au profil de prestations prévu par le nouveau rapport sur la politique de sécurité.

La responsabilité de l'engagement relève du DFAE. La première phase doit durer six mois. Ce laps de temps correspond à la période fixée par le CNT pour l'organisation des premières élections nationales. L'engagement sera renouvelable selon les besoins et sur la base d'une analyse approfondie de la situation, pour une période additionnelle de six mois au maximum. Le Conseil fédéral est compétent pour décider d'une telle prolongation. Il est également habilité à interrompre, voire à mettre fin en tout temps à l'engagement. Dans les deux cas, il informe les Commissions de politique étrangère et celles de la politique de sécurité des deux conseils conformément à l'art. 152, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)3.

3.3

Éléments du plan d'engagement

3.3.1

Missions du détachement de l'armée

Le Conseil fédéral est d'avis que les mesures de protection du dispositif mises en place doivent être aussi légères que possible, mais adaptées aux circonstances locales. Il s'agit d'une mission dont la nature répond davantage aux critères de protection policière qu'à ceux d'une opération militaire. Cet engagement requiert cependant des formations spécialisées (détachement de reconnaissance de l'armée, détachement spécial de la police militaire).

Les forces de protection ont la tâche de protéger le personnel et l'infrastructure du DFAE (chancellerie, résidence). Ils doivent également protéger le personnel de l'ambassade pendant les déplacements dans la capitale ou à l'extérieur et conseiller la mission dans l'optimisation des mesures de protection. Ceci implique également la planification pour d'éventuelles situations de crise, y compris des mesures d'évacuation. Le suivi de la situation et l'analyse permanente des risques, ainsi que le maintien des contacts avec des forces homologues, font également partie de leurs tâches.

3

RS 171.10

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3.3.2

Chaîne de commandement

L'engagement du détachement de l'armée est placé sous la responsabilité du chef de mission.

La définition et la mise en place du dispositif de protection statique et mobile, de ses aspects techniques et des processus y relatifs relève de la responsabilité du chef du détachement. Pour ce qui est de l'organisation du travail et des déplacements, et de l'influence de ceux-ci sur les mesures de protection, le chef du détachement dépend des instructions du chef de mission.

3.3.3

Planification de l'engagement

Le plan d'engagement de l'armée prévoit une première mission de reconnaissance à Tripoli pour l'analyse de détail de la situation sur place et un contact avec le personnel de l'entreprise AEGIS, pour assurer un transfert adéquat des tâches et des responsabilités. Cette mission s'est déroulée du 21 au 24 décembre 2011.

L'envoi du détachement de l'armée et de son matériel est prévu à la mi-janvier. Ce détachement assure la reprise du dispositif de protection mis en place. A partir de la deuxième moitié de janvier 2012, le détachement militaire protège l'ambassade et son personnel et contribue au renforcement des mesures passives de sécurité sur place. Les détails des différents aspects de l'engagement sont contenus dans l'Ordre d'opération cosigné par le DFAE et le DDPS.

Le déroulement de l'engagement et la répartition des responsabilités correspondent à l'Ordonnance du 3 mai 2006 concernant l'engagement de la troupe pour la protection de personnes et de biens à l'étranger (OPPBE)4.

La fin de l'engagement et le retour du détachement sera décidé par le Conseil fédéral sur la base de l'analyse de la situation sur place.

3.3.4

Précisions sur la planification

Le personnel du détachement de protection est issu du commandement des forces spéciales de l'armée, en l'occurrence le détachement de reconnaissance de l'armée 10 et le détachement spécial de la police militaire.

Le dispositif tactique et le volume du détachement de protection sont constamment adaptés en fonction de l'évolution de la situation.

Le personnel militaire est équipé d'armes légères; il ne fait usage de ses armes qu'en dernier recours et de façon proportionnelle, pour la légitime défense et l'état de nécessité de la représentation et de son personnel.

Les coopérations locales, en particulier avec d'autres représentations diplomatiques et leurs éléments de protection, seront exploitées.

4

RS 513.76

1021

4

Conséquences financières et sur le personnel

4.1

Conséquences financières

Les coûts supplémentaires liés à l'engagement ne devraient pas dépasser la somme de 600 000 francs pour une période de 6 mois. Il s'agit d'une estimation des coûts basée sur les engagements comparables de l'armée ces dernières années: frais de transport 210 000 francs, frais de nourriture et petites dépenses 150 000 francs et indemnités de sécurité 240 000 francs. Les coûts de l'engagement et d'une éventuelle prolongation de six mois sont inscrits au budget du DFAE.

4.2

Conséquences sur le personnel

Les moyens militaires prévus pour cet engagement seront disponibles pour une durée d'une année au minimum, avec des rotations préservant l'endurance du personnel engagé, et ceci sans entraîner des réductions dans les autres tâches opérationnelles des unités concernées.

Le personnel militaire bénéficiera en Libye du statut accordé au personnel administratif et technique (selon l'art. 37, par. 2, de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques) et sera annoncé comme tel auprès des autorités libyennes. Il sera soumis au droit militaire. Le Ministère des affaires étrangères libyen livre l'autorisation nécessaire pour le port d'armes.

Pour la réalisation de tâches de support le détachement bénéficiera de l'appui de personnes engagées localement.

5

Aspects juridiques

5.1

Bases légales

S'agissant de la préservation des intérêts suisses par la protection d'une représentation de la Suisse à l'étranger, l'engagement se fonde sur l'art. 69, al. 2 de la loi du 3 février 1995 sur l'armée (LAAM)5. Il s'agit d'une mission d'intérêt public qui répond au principe de subsidiarité, parce que les moyens de l'armée sont requis pour l'exécution d'une tâche dont les autorités civiles ne sont pas en mesure de s'acquitter (cf. art. 67, al. 2, LAAM).

5.2

Compétences

La mise sur pied d'un tel engagement et l'équipement en armes prévu pour l'engagement (cf. ch. 3.3.4) sont du ressort du Conseil fédéral conformément aux art. 70, al. 1 et 69, al. 2, LAAM. Etant donné que la durée de l'engagement dépasse trois semaines, l'approbation de l'Assemblée fédérale est requise ( cf. art. 70, al. 2, LAAM), d'où le présent message.

5

RS 510.10

1022

Le 9 décembre 2011, la chef du DFAE a informé par écrit les secrétariats des Commissions de politique extérieure et des Commissions de la politique de sécurité des deux conseils de la décision prise le jour-même par le Conseil fédéral d'envoyer un détachement de l'armée suisse. Une réunion d'information entre la chef du DFAE, le chef du DDPS et les présidents désignés des commissions a eu lieu le 22 décembre 2011. Pendant cette séance un certain nombre d'informations concrètes relatives au Plan d'engagement ont été communiquées.

5.3

Forme de l'acte

L'arrêté fédéral ci-joint prend la forme d'un arrêté fédéral simple, car il ne contient pas des règles de droit et n'est pas sujet au référendum (art. 163, al. 2, de la Constitution6 et art. 29, al. 1, LParl7).

6 7

RS 101 RS 171.10

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