Rapport de la Commission de gestion du Conseil des Etats concernant les mesures prises par le DETEC lors des événements survenus à la tête de la direction générale de la Poste (fin 1997 et début 1998) du 21 juin 1999

1999-4825

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Rapport 1

Introduction

11

Situation initiale

Durant l'année 1998 la Commission de gestion du Conseil des Etats (CdG-CE) s'est penchée sur les événements qui sont survenus à la tête de la direction générale de la Poste à fin 1997 et au début 1998. Ces événements ont conduit Jean-Noël Rey, directeur général de la Poste, à ne pas se porter candidat au poste de président du comité directeur de la Poste et à résilier ses relations de service avec la Confédération pour fin juin 1998. Le 25 mai 1998, la commission s'est entretenue avec Moritz Leuenberger, conseiller fédéral, chef du Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication (DETEC), lequel représentait l'instance de surveillance de l'entreprise des PTT jusqu'à fin 1997.

De nombreuses interventions parlementaires ont également abordé ces événements: interpellation Columberg du 2 mars 1998 (98.3058): Direction de la Poste. Evénements étranges; interpellation du groupe socialiste du 3 mars 1998 (98.3065): Affaire Haymoz et politique des entreprises de la Confédération en matière de personnel; Question Steinemann du 9 mars 1998 (98.5001): Affaires et copinage. Jusqu'où Jean-Noël Rey pourra-t-il aller? Question ordinaire Schmid Odilo du 16 mars 1998 (98.1025): Direction générale de la Poste; question ordinaire Pini du 18 mars 1998 (98.1028): Que se passe-t-il à la tête de la direction générale de la Poste?

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Objectifs de l'inspection

A la suite de l'entretien mené avec le conseiller fédéral Leuenberger, la commission a chargé sa section «prestations» de mener une inspection sur le rôle joué par le DETEC dans cette affaire.

L'inspection a pour objectifs: a.

d'examiner la manière avec laquelle le département a exercé son devoir de surveillance sur les organes directeurs de la Poste lors des événements survenus à la tête de la direction générale de la Poste;

b.

de procéder à une appréciation des mesures prises.

Pour la Commission de gestion, il s'agit de porter une appréciation sur le comportement du DETEC du point de vue politique afin d'en tirer des leçons pour l'avenir.

La commission n'est pas un organe judiciaire, ni une autorité administrative. Il ne lui appartient donc pas de prononcer des mesures administratives, disciplinaires voire pénales ou civiles. De telles mesures sont l'affaire des autorités administratives et des organes judiciaires, et c'est à eux qu'il incombe, le cas échéant, d'ouvrir les procédures nécessaires.

La commission s'abstient également de se prononcer sur le comportement de M.

Rey et sur les reproches formulés à l'égard de l'ancien directeur général de la Poste, étant donné que la haute surveillance parlementaire ne porte que sur les domaines de responsabilité du Conseil fédéral.

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13

Procédure

La section «prestations» était composée des personnes suivantes: MM. les députés au Conseil des Etats Bruno Frick (président), Peter Bieri (par ailleurs président de la CdG-CE), Hans-Peter Schallberger et Hans Uhlmann. La section s'est tout spécialement employée à étudier chaque élément du volumineux matériel constituant le dossier et à l'apprécier. La section a disposé pour ce faire de tous les avis de droit diligentés par la Poste ou par le département ainsi que du dossier de l'enquête interne effectuée par le conseil d'administration de la Poste. La section a également entendu le chef du service juridique du DETEC, Rolf Lüthi, secrétaire général suppléant. Tous les faits étant connus, la section n'a effectué aucune investigation supplémentaire. La section a tenu sept séances de travail au total.

A la fin des travaux, le DETEC a reçu une version provisoire du rapport pour prise de position. La section a discuté l'avis du DETEC avec le chef du département, M.

le conseiller fédéral Moritz Leuenberger, ainsi qu'avec le chef du service juridique du DETEC. Dans la mesure où cela a semblé possible et utile, les observations reçues ont été prises en considération dans la version définitive du rapport.

La Commission de gestion a adopté le présent rapport le 21 juin 1999 et en a autorisé la publication.

2

Constatations et appréciation

L'analyse des faits pertinents permet de distinguer trois cas différents qui ont fait l'objet d'un examen séparé:

21

Versement d'une indemnité de départ à M. Urs A. Haymoz

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Chronologie des événements les plus importants

­

Le 19 septembre 1997, le conseil d'administration de l'entreprise des PTT (dans la suite du texte: CA PTT) nomme Urs A. Haymoz directeur général suppléant de la Poste (chef de l'unité d'affaire «Réseau postal et vente») à compter du 1er janvier 1998. Du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1997 M. Hayoz avait participé en tant que conseiller indépendant au sein du projet «Change post». Les rapports de travail de M. Haymoz doivent être régis par un contrat de travail soumis au code des obligations (CO). La nomination de M. Haymoz est formellement confirmée par lettre du 1er octobre 1997.

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Le 12 octobre 1997, le journal Sonntagszeitung publie un article selon lequel le Ministère public de Halle/Saale (Allemagne) mène une procédure d'instruction à propos de M. Haymoz. Ce dernier est soupçonné de gestion déloyale d'une usine est-allemande.

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Lors de la séance du 16 octobre 1997, le CA PTT décide de mener une enquête sur le cas Haymoz. A l'issue de la séance, la résiliation du contrat d'engagement est négociée entre M. Haymoz d'une part et Bernard Schneider, président du CA PTT et Jean-Noël Rey, directeur général de la Poste, d'autre part. En l'occurrence, il s'agit de résilier le contrat de M. Haymoz

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dans les plus brefs délais, sans attendre le résultat des investigations ordonnées par le CA PTT. Une convention de renonciation est passée entre MM.

Haymoz et Schneider. M. Rey signe lui aussi ce document.

1

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Le 21 octobre 1997, le conseiller fédéral Leuenberger, chef du DETEC, exige de plus amples informations sur le cas Haymoz.

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Le chef du DETEC fait savoir à MM. Schneider et Rey, le 4 décembre 1997, qu'il n'est pas d'accord avec le versement d'une indemnité de départ à M. Haymoz. Il exige la rétrocession de l'indemnité versée.

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Le 18 décembre 1997, MM. Schneider et Rey constatent, dans une lettre adressée au conseiller fédéral Leuenberger, que «la possibilité que (M.

Haymoz) doive passer en jugement devant une cour pénale allemande à une date encore inconnue à ce jour risquerait de peser pendant une période d'une durée indéterminée sur les relations entre l'entreprise, M. Haymoz, le personnel et la clientèle. La tranquillité nécessaire au développement du domaine «Réseau postal et vente» n'aurait plus été assurée».

Quant à la demande de rétrocession formulée par M. Leuenberger dans sa lettre du 4 décembre 1997, MM. Schneider et Rey y répondent de la manière suivante: «Nous espérons avoir pu vous montrer avec nos explications qu'il n'est pas possible légalement d'exiger la rétrocession du paiement».

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La nouvelle loi fédérale du 30 avril 1997 sur l'organisation de l'entreprise fédérale de la poste (loi sur l'organisation de la Poste; LOP)1 entre en vigueur le 1er janvier 1998. Le nouveau conseil d'administration de la Poste (dans la suite du texte: CA Poste) entre en fonctions sous la présidence de Gerhard W. Fischer.

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Le 12 janvier 1998, le conseiller fédéral Leuenberger critique l'indemnité de départ versée à M. Haymoz dans une lettre officielle à l'intention de MM.

Schneider et Rey: «Du point de vue du code des obligations, les obligations contractées envers M. Haymoz n'auraient pas dû être honorées.» Le chef du DETEC ajoute que le comportement de MM. Schneider et Rey lors de la conclusion de la convention avec M. Haymoz est difficilement explicable.

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Le 20 février 1998, M. Rey communique à la presse que M. Haymoz a reçu une indemnité de départ de Fr. 227 268. -- pour solde de tout compte. Il déclare par ailleurs que le professeur Frank Vischer de Bâle sera chargé d'analyser en détail la procédure choisie pour la résiliation du contrat et de rédiger un avis de droit à ce sujet.

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Le 27 février 1998, un entretien a lieu entre les personnes suivantes: MM.

les conseillers fédéraux Leuenberger et Villiger, chef du Département fédéral des finances (DFF), MM. Gerhard W. Fischer, Schneider et Rey.

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Le 9 mars 1998, le professeur Vischer remet son avis de droit au CA PTT. Il parvient à la conclusion que M. Haymoz n'avait aucun droit à une indemnité mais qu'il n'existe plus aucune voie de droit permettant d'exiger le remboursement de la somme versée. En ce qui concerne la responsabilité de M.

Rey, il émet la constatation suivante: «La responsabilité de M. Rey pour les prestations de renonciation ne peut pas être évaluée».

RS 783.1

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Le 12 mars 1998, M. Rey fait savoir au CA Poste qu'il ne sera pas candidat au poste de président du comité directeur de la Poste. Il résilie ses rapports de travail avec la Confédération pour le 30 juin 1998.

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Dans un avis complémentaire du 16 mars 1998, le professeur Vischer étudie, sur mandat du CA PTT, la possibilité du remboursement des versements effectués en faveur de M. Haymoz. L'expert ne laisse que peu d'espoir en l'espèce: si des témoins indépendants pouvaient confirmer que M. Haymoz ait eu connaissance, au moment de sa nomination, de la procédure d'instruction ouverte à son endroit, une telle demande de restitution aurait quelques chances d'aboutir.

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Le CA PTT se réunit pour la dernière fois le 18 mars 1998. Il prend acte de l'avis de droit de M. Vischer du 9 mars 1998 ainsi que de son avis complémentaire du 16 mars 1998. Le CA PTT recommande à son successeur en droit, le CA Poste, d'étudier les possibilités d'obtenir la rétrocession de l'indemnité versée.

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Lors de sa séance du 26 mai 1998, le CA Poste renonce à demander à M. Haymoz la restitution du montant versé. Il s'agit d'éviter un procès de plusieurs années, à l'issue incertaine, qui ternirait l'image de la Poste et sèmerait le trouble au sein du personnel.

­

Le 30 juin 1998, M. Rey remet sa charge de directeur général de la Poste entre les mains de son successeur et quitte le service de la Confédération.

212

Aspects juridiques

Les faits en relation avec le cas Haymoz ont eu lieu en 1997 exclusivement, soit à une époque où la Poste faisait encore partie de l'administration fédérale. C'est donc l'ancienne loi sur l'organisation de l'entreprise des PTT qui s'applique dans le cas présent. Selon la loi fédérale du 6 octobre 1960 sur l'organisation des PTT (LOPTT)2, il appartient au Conseil fédéral d'exercer la haute surveillance sur la gestion et les finances de l'Entreprise des PTT (art. 14, al. 1, LO-PTT). Selon l'art. 15, c'est au DETEC qu'il revient principalement de surveiller la gestion et les finances des PTT pour le compte du Conseil fédéral. Le DETEC est également, aux termes des dispositions du règlement des fonctionnaires (2) du 15 mars 1993 3, autorité disciplinaire de première instance pour le directeur général de la Poste (art. 34, al. 2, RF 2), et ce pour autant que ce dernier ait statut de fonctionnaire.

2

3

(RO 1961 17, 1970 706 1623, 1977 2117, 1979 114 art. 68 679, 1992 288 annexe ch.

31 581 appendice ch. 3, 1995 3680 ch. II 4 5489 ch. II; RS 170.512 art. 17 ch. 4, 173.51 annexe ch. 16).

RS 172.221.102

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213

Appréciation des mesures prises par le DETEC

213.1

En général

Dès qu'il a eu connaissance des faits, le département est intervenu rapidement et à plusieurs reprises auprès de l'entreprise des PTT afin d'exiger des éclaircissements et de critiquer les mesures prises. Cela se traduit par diverses interventions, notamment le 21 octobre 1997, le 4 décembre 1997 et le 12 janvier 1998 ainsi que par la rencontre, le 27 février 1998, entre MM. Schneider, Fischer et Rey d'une part et les conseillers fédéraux Leuenberger et Villiger d'autre part. Il convient de remarquer que le DETEC s'est employé activement à obtenir les informations requises, et ce en dépit d'une réticence manifeste de la Poste à fournir les renseignements utiles. En agissant de la sorte, le département a montré la détermination nécessaire et a fait valoir les intérêts de la Confédération. En outre, des mesures ont été prises afin que de telles situations ne puissent plus se reproduire à l'avenir.

Se fondant sur l'état des faits et sur ses travaux, la commission estime que le DETEC a rempli correctement sa fonction de surveillance sur les organes directeurs de la Poste dans l'affaire Haymoz. Il est en effet immédiatement intervenu auprès des responsables concernés afin de critiquer leur comportement et d'exiger le remboursement de l'indemnité accordée à M. Haymoz. Le DETEC a appliqué à temps les mesures adéquates et a pris l'affaire en mains.

En ce qui concerne plus particulièrement la question de l'enquête administrative et de la procédure disciplinaire, la commission émet les considérations suivantes:

213.2

La question de l'enquête administrative

Par définition, une enquête administrative est une procédure qui ressortit à la surveillance hiérarchique4. Elle a pour but de déterminer s'il existe des faits exigeant une intervention de l'autorité pour sauvegarder l'intérêt public. L'enquête administrative ne doit pas être dirigée contre des personnes déterminées. S'il existe des indices suffisants permettant d'admettre que les faits à élucider sont dus à une violation des devoirs de service, une enquête disciplinaire doit être ordonnée et non une enquête administrative.

Le DETEC a indiqué qu'il n'avait pas ouvert d'enquête administrative au motif qu'il s'est avéré très rapidement, et au plus tard lors de la remise de l'expertise du professeur Vischer, que le versement de l'indemnité à M. Haymoz avait été décidé par MM. Schneider et Rey. Les faits et responsabilités étant connus, une enquête administrative ne se justifiait pas.

La décision prise par le DETEC de ne pas ouvrir d'enquête administrative dans l'affaire Haymoz est défendable. Elle n'appelle aucune critique de la part de la commission.

4

Directives du Conseil fédéral du 18 novembre 1981 concernant les enquêtes administratives, FF 1981 III 982.

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213.3

La question de la procédure disciplinaire

L'art. 30, al. 1, du statut des fonctionnaires (StF)5 stipule que «le fonctionnaire qui viole ses devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, est passible de mesures disciplinaires». Les sanctions disciplinaires vont du blâme à la révocation en passant par la mise au provisoire (art. 31, al. 1, StF). C'est l'autorité disciplinaire compétente qui décide de l'ouverture d'une procédure disciplinaire. Contrairement au droit pénal qui connaît le principe de la légalité de la répression, le droit disciplinaire répond au principe d'opportunité: un fonctionnaire qui viole ses devoirs de service peut, mais ne doit pas, être puni. Ce système s'explique par le but du droit disciplinaire qui vise à maintenir l'ordre dans l'administration afin d'en assurer le bon fonctionnement. Le droit disciplinaire a pour objectif de pousser le fonctionnaire à se mieux conduire à l'avenir; il ressort à l'ordre administratif interne et constitue un moyen parmi d'autres d'assurer le bon fonctionnement de l'appareil administratif. La responsabilité disciplinaire se limite à la durée des relations de service: si une personne quitte le service de la Confédération, la condition préalable à toute poursuite disciplinaire disparaît ipso iure à l'expiration des rapports de service.

S'agissant de l'application du pouvoir disciplinaire dans le cas concret, il convient de distinguer entre le cas de l'ancien président du conseil d'administration, M.

Schneider, et celui de l'ancien directeur général de la Poste, M. Rey.

Jusqu'au 31 décembre 1997, date à laquelle il a remis son mandat, M. Schneider était soumis au droit disciplinaire de la Confédération, car lié à elle par des rapports de service. Dès le 1er janvier 1998, ce n'était plus le cas: si le DETEC avait voulu ouvrir une enquête disciplinaire en 1997 contre M. Schneider, cette enquête aurait dû être suspendue au 31 décembre 1997. Pour l'ancien directeur général, une enquête disciplinaire aurait pu être envisagée jusqu'à fin juin 1998, date à laquelle M.

Rey a quitté le service de la Confédération.

En d'autres termes, une enquête disciplinaire aurait été possible jusqu'à fin 1997 contre les deux protagonistes de l'indemnisation de M. Haymoz; dès le 1er janvier 1998, elle aurait été concevable uniquement contre l'ancien directeur général de la Poste, M. Rey.
Le DETEC a renoncé à ouvrir une enquête disciplinaire pour des raisons d'opportunité et d'égalité de traitement. En effet, l'administration détient une grande liberté d'appréciation dans l'application du droit disciplinaire. Elle décide librement de l'opportunité d'une telle enquête. Dans le cas Haymoz, le département a renoncé à engager une procédure disciplinaire, estimant que le rappel à l'ordre prononcé dans la lettre du 12 janvier 1998 était suffisant pour que de tels cas ne se reproduisent plus à l'avenir. De plus, le déroulement des événements aurait rendu pratiquement impossible l'ouverture d'une enquête avant janvier 1998. Cela aurait exclu d'emblée M. Schneider et l'enquête n'aurait donc pu être dirigée que contre M. Rey.

Cette situation aurait constitué une inégalité de traitement manifeste.

Outre les motifs mentionnés ci-dessus, il faut ajouter qu'une enquête disciplinaire n'était pas urgente dans la mesure où le département ne savait pas à l'époque s'il était effectivement en présence d'une violation des devoirs de service. En effet, une

5

Statut des fonctionnaires du 30 juin 1927 (StF); RS 172.221.10.

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appréciation juridiquement fausse d'un état des faits ne constitue pas ipso facto une violation des devoirs de service.

La commission comprend donc la décision prise par le DETEC de renoncer à ouvrir une procédure disciplinaire dans l'affaire Haymoz. La commission se borne à constater que le département a fait usage en la matière de la marge d'appréciation que lui confère la loi.

22

Style de conduite de l'ancien directeur général de la Poste

221

Chronologie des événements les plus importants

6

­

En février 1998, dans le prolongement de l'affaire Haymoz, la presse émet des critiques à l'encontre du directeur général de la Poste, M. Rey6. Il lui est reproché notamment de faire preuve de népotisme et de favoritisme. Selon divers médias, M. Rey aurait converti la Poste en une sorte d'entreprise familiale. Certains voyages effectués en Chine, à Cuba et au Japon par M. Rey et sa compagne Bettina Ramseier sont également critiqués.

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Le 27 février 1998, le CA Poste, en accord avec M. Rey et le DETEC, ouvre une enquête interne destinée à éclaircir les violations des devoirs de service qui sont imputées à M. Rey.

­

Le 3 mars 1998, l'avocat de M. Rey sollicite l'ouverture d'une enquête administrative auprès du Conseil fédéral afin d'éclaircir les reproches émis à l'encontre de son mandant. Le même jour, le DETEC fait savoir qu'une décision ne sera prise qu'une fois connus les résultats des investigations du CA Poste. Il s'agit en l'occurrence d'éviter deux procédures parallèles.

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Les résultats des investigations du CA Poste sont disponibles le 11 mars 1998. Ils comprennent des rapports du service de révision interne de la Poste sur des mandats donnés par la Poste à des conseillers extérieurs et sur l'engagement par la Poste de proches de M. Rey. Les résultats comprennent également deux rapports de la société de révision KPMG sur la filiale Telepost SA/Crea Post Consulting SA et sur un prêt accordé par la Poste à un avocat bernois. Les investigations donnent lieu entre autres aux constatations suivantes: 1. L'engagement des deux fils de M. Rey à la direction d'arrondissement de la Poste de Berne et à la direction générale PTT/Poste n'est pas intervenu sous la pression de M. Rey, alors directeur général de la Poste.

2. L'engagement de Mme Ramseier dans l'entreprise Crea Post Consulting SA s'est effectué selon la procédure habituelle. Malgré les réticences du service juridique de la Poste, une garantie d'emploi figure dans son contrat d'engagement. Le rapport constate: «Dans les autres cas, de telles garanties ne sont accordées qu'aux collaborateurs ayant été transférés de la Poste dans des filiales.»

Par exemple, La Liberté, 21.2.1998; Journal de Genève, 21.2.1998; Berner Zeitung, 21.2.1998; Basler Zeitung, 21.2.1998; SonntagsBlick, 22.2.1998; SonntagsZeitung 22.2.1998; Die Weltwoche, 26.2.1998; SonntagsZeitung, 1.3.1998, etc.

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3.

4.

5.

L'engagement de la soeur de Mme Ramseier a eu lieu grâce à «une douce pression venue d'en haut. Le poste en question aurait dû être supprimé dans le cadre de Change Post, ce qui n'a visiblement pas eu lieu.» L'avocat bernois Walo C. Ilg a reçu de la Poste un prêt qui n'a jamais été remboursé. Ce prêt lui a été accordé en sa qualité de membre unique de deux conseils d'administration de filiales de la Poste afin de couvrir d'éventuelles prétentions envers la Poste. «Par la suite le prêt a été comptabilisé avec les honoraires de mandats. (L'intéressé) a reçu de la Poste différents mandats qu'il n'a pas toujours rempli à la satisfaction du mandant tout en touchant des honoraires confortables.» Deux experts-comptables diplômés de KPMG qualifient la justification pour l'octroi du prêt de «peu convaincante» et d'«exceptionnelle».

La réponse à certaines questions, non examinées, demeure floue après la clôture de ces courtes investigations. Il s'agit notamment du personnel engagé par la filiale Telepost SA/Crea Post Consulting SA, de questions en rapport avec le poste de professeur dont M. Rey est titulaire à l'Institut de Hautes Etudes en Administration publique (IDHEAP) ainsi que des voyages effectués par Mme Ramseier à Cuba et au Japon. L'enquête menée précise également que de nombreux éléments ayant conduit à l'engagement de proches de M. Rey n'ont pas été consignés par écrit ou n'ont pas pu être examinés faute de temps (prof.

H. Schmid, D. Robbiani, A. Züger).

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Le même jour, le 11 mars 1998, le président du CA Poste informe sommairement le conseiller fédéral Leuenberger des résultats de l'enquête.

L'entretien porte principalement sur le fait que M. Rey a l'intention de renoncer au poste de directeur général de la nouvelle Poste et qu'il quittera le service de la Confédération à fin juin 1998.

­

Le 12 mars 1998, le comité d'enquête institué par le CA Poste parvient à la conclusion qu'aucune violation de la loi ne peut être reprochée à M. Rey.

Les résultats des investigations ne sont pas publiés. Le même jour, on apprend officiellement que M. Rey ne se portera pas candidat au poste de président du comité directeur de la Poste. M. Rey résilie ses rapports de travail avec la Confédération avec effet au 30 juin 1998.

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Le 3 avril 1998, le DETEC reçoit des informations plus détaillées concernant les travaux du CA Poste. Le DETEC exige des informations supplémentaires concernant l'octroi du prêt. Elles lui sont livrées une semaine plus tard.

­

Le 27 mai 1998, le DETEC déclare avoir «attentivement examiné les reproches adressés à M. Rey (...). Son enquête confirme les conclusions du conseil d'administration (de la Poste): les reproches concernent surtout le style personnel de M. Rey et non des questions structurelles. Par conséquent, il n'y aucune raison d'entamer une procédure pénale. De plus aucune enquête administrative ou disciplinaire ­ réclamée par les personnes concernées ­ ne s'impose, puisque M. Rey démissionne à fin juin 1998».

­

Le 30 juin 1998, M. Rey remet sa charge de directeur général de la Poste entre les mains de son successeur et quitte la Confédération.

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222

Aspects juridiques

La plupart des reproches émis publiquement à l'encontre de M. Rey concernent des faits qui se sont déroulés avant le 1er janvier 1998 (exception: le voyage à Nagano), c'est-à-dire à une époque où la Poste était encore partie intégrante de l'administration fédérale. Dès lors il appartenait légalement au DETEC d'intervenir en qualités d'organe de surveillance de la Poste et d'autorité disciplinaire du directeur général.

223

Appréciation des mesures prises par le DETEC

223.1

En général

Dans les faits, c'est le nouveau conseil d'administration de la Poste qui a été actif en lieu en place du DETEC.

Le déroulement des événements conforte cette affirmation: le 27 février 1998, le CA Poste décide, d'entente avec M. Rey et le département, d'ouvrir une enquête interne sur les reproches formulés à l'encontre de M. Rey. A cet effet, il institue un comité d'enquête ad hoc. Le 3 mars suivant, le DETEC informe qu'il renonce pour l'instant à de propres investigations afin d'éviter de faire double emploi avec l'enquête interne de la Poste. A la suite de la communication, le 11 mars 1998 et le 3 avril 1998, des résultats de l'enquête interne suivie de l'annonce de la démission de M. Rey, le DETEC décide finalement, le 29 mai 1998, de renoncer à toute enquête administrative ou disciplinaire.

En l'espèce, il convient de relever que les investigations effectuées par le CA Poste n'ont donné lieu ni à une véritable enquête ni à un examen attentif des faits. Ces investigations ont, de toute évidence, été ordonnées afin de fournir au CA Poste des bases pour la reconduction de M. Rey dans sa fonction de directeur général.

De l'avis de la commission, le DETEC a fait preuve d'une retenue excessive dans l'examen des reproches adressés à M. Rey. Alors que le département s'était montré très actif dans le cas Haymoz, il a fait preuve d'attentisme par la suite. A l'évidence, le DETEC a laissé l'initiative au nouveau conseil d'administration de la Poste qui a profité de l'occasion pour manifester son indépendance à l'égard des autorités politiques.

Le DETEC justifie sa réserve en invoquant certains problèmes juridiques consécutifs au passage de la Poste du statut d'unité de l'administration fédérale à celui d'une entreprise disposant de la personnalité juridique. Cette situation a créé une certaine insécurité quant aux compétences respectives du DETEC et du conseil d'administration de la Poste en matière de surveillance et de personnel.

La commission ne partage pas le point de vue du DETEC. Elle estime que les compétences sont clairement réglées: jusqu'au 31 décembre 1997 la Poste était une unité administrative de la Confédération en vertu de la loi du 6 octobre 1960 sur l'organisation des PTT (LO-PTT). Comme nous l'avons vu plus haut, la Poste était soumise alors à la surveillance directe du Conseil
fédéral en général et du DETEC en particulier. Ses directeurs étaient nommés par le Conseil fédéral (art. 14, al. 1, let. e, LO-PTT). A partir du 1er janvier 1998, la situation a changé. Aux termes de la loi fédérale du 30 avril 1997 sur l'organisation de l'entreprise fédérale de la poste 8108

(Loi sur l'organisation de la Poste, LOP), il appartient au conseil d'administration d'exercer la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion. Il doit également s'assurer qu'elles observent la loi, les règlements et les instructions données (art. 9, let. d, LOP). La nomination des directeurs généraux est également du ressort du conseil d'administration (art. 9, let. c, LOP). Les rapports de service du personnel de la Poste sont régis par la législation concernant le personnel de la Confédération (art. 15, al. 1, LOP).

En ce qui concerne M. Rey comme directeur général et fonctionnaire, il continuait jusqu'à sa démission au 30 juin 1998 d'être soumis au statut des fonctionnaires et donc à la surveillance disciplinaire du DETEC (art. 34, al. 2, RF 2).

Etant donné l'ampleur et la virulence des critiques adressées à M. Rey, la commission estime que la retenue dont le DETEC a fait preuve dans cette affaire n'était pas justifiée. La plupart des faits incriminés s'étant déroulés sous l'empire de l'ancien droit, le DETEC aurait dû se montrer plus actif et faire toute la lumière sur les reproches adressés à M. Rey. En effet même si le législateur a voulu, dans la nouvelle loi sur l'organisation de la Poste, garantir une large autonomie décisionnelle au conseil d'administration de la Poste, cela ne dispense en aucune manière le DETEC d'exercer ses responsabilités pour des faits antérieurs à la nouvelle loi.

223.2

La question de l'enquête administrative

Comme dans le cas Haymoz, il est rapidement apparu que les reproches émis à l'endroit de M. Rey concernaient sa personne et non les structures de la Poste. Dans de tels cas, l'enquête administrative ne représente pas l'instrument approprié; l'ouverture d'une procédure disciplinaire doit être ordonnée.

En conséquence, c'est avec raison que le DETEC a décidé de renoncer à l'ouverture d'une enquête administrative afin d'examiner le style de conduite de M.

Rey.

223.3

La question de la procédure disciplinaire

Le DETEC n'a ouvert une procédure disciplinaire contre M. Rey ni en février 1998 ni plus tard.

On peut s'interroger sur les motifs qui ont retenu le DETEC d'ouvrir une telle enquête. En effet, après l'affaire Haymoz, les reproches adressés publiquement à M.

Rey constituaient des indices suffisamment importants pour présumer une violation des devoirs de service. Dès lors, il aurait été pleinement justifié que le DETEC ouvre dès février 1998 une enquête disciplinaire afin de tirer définitivement au clair la situation et de déterminer si M. Rey avait commis ou non des manquements. Cela se justifiait d'autant plus au regard des très hautes responsabilités exercées par M. Rey dans la hiérarchie de la Poste, de sa réputation et des répercussions que les événements ne manqueraient pas d'avoir sur le fonctionnement de l'entreprise.

La principale motivation du département contre une procédure disciplinaire semble avoir été le souci d'éviter deux procédures parallèles. Le DETEC voulait tout d'abord attendre les résultats de l'enquête du CA Poste avant de décider l'ouverture d'une enquête disciplinaire.

8109

Il ne fait aucun doute que l'enquête interne demandée par le CA Poste s'est déroulée de manière sommaire et sous la pression du temps. Le mandat en a été décidé le 27 février 1998 et les résultats étaient connus le 11 mars 1998. Cependant, selon les résultats d'enquête, «certains faits n'ont pas pu être examinés faute de temps.». Par ailleurs l'organe responsable de l'enquête interne n'était pas neutre dans la mesure où il se composait de membres du CA Poste.

La commission ne peut pas se défaire de l'impression que l'objectif véritable de l'enquête interne effectuée à la demande du CA Poste a servi à clore de manière rapide et peu transparente un problème qu'une procédure disciplinaire n'aurait pas permis de régler aussi vite et aussi aisément7. D'ailleurs, l'enquête interne poursuivait un objectif bien précis: le conseil d'administration devait examiner si M. Rey pouvait être reconduit ou non dans ses fonctions de directeur général de la Poste. La décision sur cette question était attendue pour le 13 mars 1998; c'est pourquoi les résultats de l'enquête devaient être connus auparavant. Selon le chef du DETEC le conseil d'administration ne pouvait pas attendre les résultats d'une enquête administrative ou disciplinaire, car ces dernières auraient, vu les dispositions légales, duré plusieurs mois. Le but des recherches du CA Poste différait donc fondamentalement d'une enquête disciplinaire dont l'objectif est d'être utile à la manifestation de la vérité.

De l'avis de la commission, le DETEC aurait dû ouvrir une procédure disciplinaire bien avant la démission de M. Rey, quitte à différer provisoirement la décision de nomination du nouveau directeur général8.

Le 12 mars 1998, après la démission de M. Rey, il n'y avait plus de raison d'ouvrir une enquête disciplinaire. En effet, lorsqu'un fonctionnaire quitte le service de la Confédération, la condition préalable à toute poursuite disciplinaire disparaît ipso iure. Il est vrai que, théoriquement du moins, le Conseil fédéral aurait pu refuser formellement la démission de M. Rey et invoquer un «intérêt important de la Confédération» (art. 53, al. 1, StF) pour ouvrir une procédure disciplinaire. Il est douteux que le refus de la démission eût pu être justifié ainsi.

Dans le temps, il n'aurait pas été possible par ailleurs, entre le 12 mars 1998 et le
30 juin 1998, de clore une procédure disciplinaire en première instance.

Les mesures prises par le DETEC s'agissant de la procédure disciplinaire se justifiaient au titre de l'économie de procédure. Sous l'angle de la surveillance de l'administration en général, elles ont été insuffisantes. En effet, il appartient aux départements d'intervenir chaque fois que se présentent des situations susceptibles de prêter flanc à la critique. Il ne s'agit pas seulement de sanctionner les abus, mais également de prendre des mesures d'ordre préventif.

Pour la commission, il n'est pas admissible que des critiques importantes soient adressées publiquement à un fonctionnaire et fassent l'objet d'une enquête interne,

7

8

Malgré de nombreuses déclarations à la presse selon lesquelles le rapport d'enquête serait publié, cette promesse n'a jamais été tenue (cf. Neue Zürcher Zeitung du 2 mars 1998, p. 9: «Les résultats de l'enquête, consignés dans un rapport écrit, seront rendus accessibles au public»).

La décision n'aurait toutefois pas pu être reportée à trop long terme, l'art. 20, al. 2, let. d, LOP prévoyant les dispositions suivantes en la matière: «En vue de l'entrée en vigueur de la présente loi, les mesures suivantes sont prises: (. . .) le conseil d'administration de la Poste nomme les personnes chargées de la gestion et de la représentation (. . .)».

8110

et qu'il suffit ensuite à la personne mise en cause (M. Rey) de démissionner pour que cesse toute procédure. Le système qui veut que la Confédération oublie d'autant mieux les reproches adressés à un fonctionnaire que ce dernier démissionne rapidement ne doit en aucun cas faire école.

L'ouverture d'une procédure disciplinaire est également dans l'intérêt du fonctionnaire concerné lorsque les reproches formulés sont très sérieux. Nous avons vu que la procédure choisie par le DETEC visait à éviter des doubles emplois. Une telle ambition est certes louable, mais cela ne doit pas conduire à réduire la protection juridique des personnes concernées. Même si une enquête disciplinaire avait exigé plus de temps que l'enquête interne du CA Poste, elle aurait assuré à M. Rey une procédure impartiale et équitable. L'enquête interne n'a pas offert à M. Rey les mêmes garanties en matière de procédure qu'une enquête disciplinaire (droit d'être entendu, droit de consulter le dossier, réglementations de récusation, etc.) laquelle sert aussi à protéger le fonctionnaire contre des reproches injustifiés. Finalement, chaque procédure disciplinaire aboutit à une décision susceptible de recours, ce qui n'a pas été le cas pour l'enquête interne.

La marge d'appréciation étendue dont dispose un département en matière de procédures disciplinaires ne doit pas conduire à éluder certaines garanties minimales de procédure.

Cette remarque vaut jusqu'à la démission de M. Rey. En démissionnant, M. Rey a accepté le fait qu'il ne pourrait plus se défendre dans une procédure ordinaire contre les reproches formulés à son endroit.

223.4

Les enquêtes et la politique d'information du DETEC

Les travaux effectués par la commission ont fait apparaître que les conclusions du DETEC concernant M. Rey ne reposaient ni sur un examen approfondi ni sur une contre-enquête. A l'exception du cas Ilg (cf. ch. 23), le DETEC n'a ni ordonné ni mené une enquête complémentaire en sus des investigations de la Poste. En conséquence, les conclusions du DETEC se sont basées uniquement sur les résultats de l'enquête interne du Conseil d'administration, laquelle n'a pas éclairci de manière exhaustive l'ensemble des faits principaux (personnel engagé par la filiale Telepost SA/Crea Poste Consulting SA, questions en rapport avec le poste de professeur dont M. Rey est titulaire à l'Institut de Hautes Etudes en Administration publique (IDHEAP), voyages effectués à Cuba ainsi qu'au Japon par Mme Ramseier, engagement de conseillers). Le DETEC a adhéré trop vite et sans mener sa propre enquête aux conclusions du CA Poste. Il a lavé M. Rey de tout soupçon (aux niveaux disciplinaire, pénal, patrimonial) sans tenter d'éclaircir lui-même le bien-fondé des critiques formulées à l'égard de l'ancien directeur général.

En ce sens, le communiqué de presse du DETEC du 27 mai 1998 ne correspond pas aux faits. Le communiqué mentionne que «Le DETEC a terminé ses enquêtes sur les reproches publiquement adressés à M. Jean-Noël Rey.» Plus loin, il est indiqué: «Son enquête (du DETEC) confirme les conclusions du conseil d'administration.» Le communiqué de presse suggère que le DETEC a comparé les résultats obtenus par la Poste avec les résultats de ses propres investigations, ce qui ne correspond pourtant pas à la réalité.

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23

Octroi d'un prêt à M. Walo C. Ilg

231

Chronologie des événements

­

Walo C. Ilg a été institué par la Poste comme administrateur unique de MT Mondial Transport SA et de MT Services SA. Le 21 décembre 1994, il reçoit à cet effet un prêt portant intérêts de Fr. 100 000.­. Le contrat est passé entre l'entreprise des PTT, représentée par M. Rey, et M. Ilg. Ce prêt est accordé pour les raisons suivantes: si des prétentions en responsabilité au sens des articles 752 à 754 CO devaient être émises à l'encontre de M. Ilg en sa qualité d'administrateur, lesdites prétentions seraient alors couvertes par avance au moyen du prêt en question. A la fin du mandat, le prêt devait être remboursé par cinq versements annuels d'un même montant.

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Le 24 janvier 1995, l'inspectorat des finances des PTT exige un extrait du registre des poursuites et faillites. Selon l'extrait fourni le 26 janvier 1995, l'état des poursuites contre Walo C. Ilg se monte à 1,2 million de francs (22 poursuites du 5.11.1993 au 12.1.1995).

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Le 6 juin 1995, MM. Ilg et Rey concluent une convention complémentaire.

Cette dernière met fin par anticipation au prêt et dispose que M. Ilg peut compenser Fr. 50 000.­ (les intérêts en sus) avec des prestations qu'il doit encore fournir jusqu'au 17 mai 1997. Pour ce faire, des honoraires de Fr. 500.­ de l'heure avaient déjà été fixés dans le contrat du 21 décembre 1994. Le reste (y compris les intérêts) doit être remboursé en deux acomptes de Fr. 25 000.­ chacun aux 17 mai 1996 et 17 mai 1997.

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Le 4 novembre 1997, M. Ilg reçoit un commandement de payer sur le montant arriéré de Fr. 43 000.­ (+ intérêts), les prestations convenues n'ayant pas été fournies.

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En date du 3 avril 1998, le CA Poste charge des experts-comptables diplômés d'examiner en détail les conditions ayant donné lieu à l'octroi du prêt.

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Le 7 avril 1998, le rapport des experts-comptables parvient aux conclusions suivantes: 1. «Vu les circonstances, la nomination de M. Ilg dans les fonctions d'administrateur des sociétés «Mondial» allait de soi; elle est donc compréhensible. (. . .) Toutefois, force est de constater que les PTT employaient également des juristes qui auraient pu ou même dû éventuellement avoir connaissance des enquêtes pénales en cours concernant M. Ilg et que l'inspectorat des finances avait déjà connaissance, en janvier 1995, de réquisitions de poursuites élevées. Pourquoi donc cette information n'a-t-elle pas été demandée un mois plus tôt, à savoir avant l'octroi du prêt?

2. A notre avis, les motifs invoqués pour l'octroi du prêt sont peut convaincants et exceptionnels. La question se pose par conséquent de savoir si les investigations d'usage ont été effectuées avec le soin nécessaire ou si l'argumentation de M. Ilg a été suivie avec trop de bonne foi en raison des excellentes relations d'affaires entretenues précédemment.

8112

3.

Les mesures décidées par la direction générale afin de remédier à la situation ont été appliquées avec retard sans qu'il ait été fait preuve de la cohérence nécessaire.»

­

Le 29 avril 1998, le DETEC charge le professeur Niklaus Schmid, de Zurich, d'examiner les conditions du prêt sur le plan pénal. En l'occurrence, il s'agit d'examiner si l'octroi du prêt constitue une infraction au sens de l'art.

314 du Code pénal (CP) («gestion déloyale des intérêts publics»), le cas échéant, au sens de l'art. 158 CP («gestion déloyale»).

­

Le 11 mai 1998, le professeur Niklaus Schmid remet son expertise au DETEC. Dans son avis, il parvient à la conclusion que les éléments objectifs de l'infraction de gestion déloyale des intérêts publics aux termes des art.

314 ou éventuellement 158 CP sont réunis en ce qui concerne M. Rey; en effet la Poste a subi un préjudice de quelque Fr. 50 000.­. Par contre, le professeur Schmid ne se prononce pas définitivement sur la réalisation des éléments subjectifs. Selon l'expert, la réponse à cette question dépend de «quelle connaissance M. Rey avait, lors de la signature du contrat, du caractère courant de ce prêt-garantie ainsi que de la solvabilité de M. Ilg. En admettant (. . .) que des juristes des PTT aient examiné la conformité aux règles et usages des accords convenus avec W. C. Ilg, il y a lieu d'écarter une forte présomption de réalisation de l'élément intentionnel de l'infraction (. . .). Par contre, si aucune appréciation positive en ce sens ne devait être intervenue avant la signature du contrat, la situation se présenterait de manière différente. Il s'agirait alors vraisemblablement d'un dol éventuel et il y aurait donc une forte présomption de réalisation de l'infraction (. . .).» D'après le professeur Schmid, il est facile pour le DETEC de savoir si les juristes des PTT ont donné un préavis positif à la conclusion de la transaction avant la signature du contrat. L'expert ajoute également qu'indépendamment de la question de la culpabilité de M. Rey, «on peut affirmer sans aucun doute (. . .) qu'en cette affaire, les responsable de la Poste ont mal défendu les intérêts de la Confédération. Force est de constater qu'ils ont fait preuve d'une grande légèreté (. . .)».

­

Pour examiner l'élément subjectif de l'infraction, le DETEC procède, le 14 mai 1998, à l'audition du directeur de la Poste responsable au moment des faits pour les domaines finances, stratégie et controlling. M. Rey, accompagné de son avocat, est entendu le 25 mai 1998. Il s'agit d'examiner, lors de ces auditions, si les conditions subjectives de l'infraction sont réunies. Lors de son audition M. Rey indique qu'au moment de signer la convention de prêt, le directeur des finances ainsi qu'un juriste de la direction des finances lui avaient confirmé qu'un tel prêt était possible. Pour appuyer ses dires, M. Rey produit une lettre rédigée par M. Ilg en date du 24 avril 1998. Il ressort de ce document que l'ancien directeur des finances était responsable de la transaction. Au cours de son audition par le DETEC, l'intéressé nie avoir joué le moindre rôle dans l'examen de la légalité du prêt. Il relève que c'est M. Rey qui a examiné la question sur le plan juridique, probablement après s'être informé auprès de juristes extérieurs, éventuellement auprès d'un juriste de la direction des finances. Toujours selon l'ancien directeur des finances, M. Rey aurait déclaré que l'octroi du prêt en question ne posait aucun problème et sur ce il aurait signé le contrat. Les ju-

8113

ristes de la Poste, cités dans le contexte de cette transaction, n'ont pas été auditionnés. M. Ilg n'a pas été entendu non plus par le DETEC.

­

232

Le 27 mai 1998, le DETEC diffuse un communiqué de presse selon lequel aucune infraction ne peut être reprochée à M. Rey vu qu'il n'y avait pas préméditation. Le DETEC fait savoir qu'il renonce par conséquent à dénoncer le cas au Ministère public. Le département constate toutefois un manque de professionnalisme dans la conclusion de la transaction. Il déclare par ailleurs que les résultats de l'expertise seront transmis au CA Poste afin que celui-ci puisse en tirer des conséquences pour les pratiques à observer dans la future gestion de la Poste.

Aspects juridiques

Lorsqu'un agent public est soupçonné d'une infraction pénale, le règlement des fonctionnaires prévoit que le dossier est transmis au Ministère public de la Confédération. L'obligation de dénonciation des autorités nécessite, selon une pratique constante, une forte présomption, laquelle doit inclure aussi bien les éléments objectifs que subjectifs de l'infraction. La transmission du dossier au Ministère public incombe au chef de département pour les fonctionnaires de son ressort.

Le délit défini à l'art. 314 CP («gestion déloyale des intérêts publics») est un délit intentionnel. En d'autres termes, une infraction est réalisée non seulement s'il y a préjudice (éléments objectifs de l'infraction), mais également si l'acteur a agi intentionnellement (éléments subjectifs de l'infraction). La condamnation implique une faute consciente et volontaire; si l'auteur de l'acte ne nourrissait pas le dessein de se procurer ou de fournir à un tiers un avantage illicite, il ne peut pas être reconnu coupable. Le dol éventuel suffit.

233

Appréciation des mesures prises par le DETEC

Les travaux de la commission montrent que les conclusions du DETEC concernant les éléments subjectifs de l'infraction ne reposaient ni sur un examen approprié ni sur une contre-enquête. Malgré les déclarations différentes et partiellement contradictoires de M. Rey et de son directeur des finances, le DETEC n'a pas cherché à savoir quels juristes avaient effectivement procédé à l'appréciation juridique du contrat du 21 décembre 1994. La commission s'étonne que le DETEC n'ait entendu ni les juristes concernés ni M. Ilg à ce propos. Aux yeux de la commission, il s'agit là d'une faute grave étant donné que l'expertise du professeur Schmid considère de telles investigations comme indispensables pour apprécier l'éventuelle culpabilité de M. Rey. Les conclusions du DETEC se basent presque uniquement sur les déclarations de M. Rey qui avait tout intérêt à sa propre décharge. La lettre produite par M.

Rey n'éclaircit pas la question de savoir si le contrat du 21 décembre 1994 avait été examiné au préalable par des juristes des PTT; elle traite avant tout de la convention complémentaire du 6 juin 1995. De plus, cette lettre a été rédigée près de quatre ans après les faits.

Pour des raisons que la commission ne peut s'expliquer, le DETEC est parvenu à la conclusion que M. Rey n'avait commis aucune faute intentionnelle; il a par conséquent renoncé à transmettre le dossier au Ministère public de la Confédération.

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De l'avis de la commission, le DETEC a agi de manière peu prudente et superficielle dans l'examen de la réalisation des éléments subjectifs de l'infraction. La question de la présomption n'a pas été examinée avec le soin voulu. Pour la commission, le DETEC n'était pas encore en mesure, après les auditions effectuées les 14 et 25 mai 1998, d'exclure définitivement toute intention de gestion déloyale. Il en va de même en ce qui concerne la question de la responsabilité patrimoniale de M.

Rey qui n'a pas non plus été examinée. Les déclarations du chef du DETEC à l'adresse de la Commission de gestion du Conseil des Etats selon lesquelles «les négociations sur le contrat de prêt en question n'ont pas été menées par M. Rey, qui n'a pas non plus émis de directives quant au contenu dudit contrat» 9, n'ont pas pu être confirmées sur la base des auditions menées par le DETEC. Il en va de même pour l'affirmation selon laquelle «(M. Rey) s'est encore assuré au sein de la Poste que l'octroi d'un prêt en liquide était possible dans de tels cas».

Le communiqué de presse du 27 mai 1998 s'avère ambigu, voire inexact, également en ce qui concerne cette affaire. En effet, il donne clairement l'impression que le DETEC a procédé à toutes les investigations nécessaires afin de déterminer s'il y avait eu infraction avec préméditation dans le cas Rey et que c'est après ample examen que le département a renoncé au dépôt d'une plainte pénale.

La commission estime que le département aurait dû mener des auditions supplémentaires et/ou transmettre de son propre chef le dossier au Ministère public de la Confédération.

Notons finalement que le Ministère public de la Confédération a ouvert d'office, le 26 août 1998, une enquête préliminaire de police contre Jean-Noël Rey en raison de présomptions de gestion déloyale des intérêts publics au sens de l'art. 314 CP (il s'agit d'un délit poursuivi d'office). Cette enquête porte entre autres sur l'octroi du prêt à Walo C. Ilg. Selon le Ministère public de la Confédération, le soupçon de gestion déloyale réitérée des intérêts publics s'est confirmé dans l'intervalle. Le 29 janvier 1999, le Ministère public a délégué la cause aux autorités de poursuite pénale du canton de Berne pour instruction complémentaire et jugement. Il n'est pas possible pour l'instant de déterminer quand l'enquête cantonale sera terminée.

3

Conclusions

La question posée par la commission était de savoir dans quelle mesure le DETEC avait exercé son devoir de surveillance sur la Poste; il incombait en outre à la commission d'apprécier les mesures prises.

Sur la base de ses investigations, la Commission de gestion arrive aux conclusions suivantes: ­

9

Dans le cas Haymoz, le DETEC a exercé correctement son mandat de surveillance. Il est intervenu rapidement auprès des personnes responsables pour blâmer leur comportement et exiger la restitution de l'indemnité de départ octroyée à M. Haymoz. En renonçant à l'ouverture d'une enquête admi-

Lettre du chef du DETEC au président de la Commission de gestion du Conseil des Etats, en date du 8 juin 1998.

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nistrative ou disciplinaire, le DETEC a fait usage de la marge d'appréciation que lui confère la loi.

­

Dans le cas des critiques adressées publiquement à M. Rey, le DETEC a exercé son mandat de surveillance avec trop de retenue. Le DETEC s'est appuyé exclusivement sur l'enquête interne effectuée par le CA Poste. Le DETEC a renoncé par ailleurs à effectuer une enquête disciplinaire à propos de M. Rey, quand bien même un soupçon d'une violation des devoirs de fonction était manifeste dès février 1998 déjà. La commission reproche également au DETEC, mis à part un cas, de ne pas avoir examiné ni fait examiner la possibilité d'intenter une action pénale et/ou patrimoniale.

­

Le communiqué de presse du DETEC du 27 mai 1998 ne reflète pas la réalité des travaux effectués par le département. Ce communiqué donne à croire que le département a procédé de son propre chef, en sus de l'enquête interne de la Poste, à un examen des reproches adressés à M. Rey. Dans la réalité, le DETEC n'a effectué des investigations complémentaires que dans un seul cas. Pour le reste, le département a fait siennes les conclusions du CA Poste sans se soucier de les soumettre à contre-examen.

­

Dans l'examen du volet pénal de l'octroi du prêt à M. Ilg, le DETEC a fait preuve d'imprudence et de superficialité dans sa démarche. Il n'a pas examiné avec suffisamment de soin la question de savoir si les conditions légales pour déférer l'affaire au Ministère public de la Confédération étaient remplies.

21 juin 1999

Pour la section «prestations»: Le président, Bruno Frick, député au Conseil des Etats Le secrétaire, Philippe Schwab Pour la Commission de gestion: Le président, Peter Bieri, député au Conseil des Etats

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Liste des abréviations CA Poste

Conseil d'administration de la Poste

CA PTT

Conseil d'administration de l'entreprise des PTT

CdG-CE

Commission de gestion du Conseil des Etats

CO

Loi fédérale du 30 mars 1911 complétant le code civil suisse (Livre cinquième: Droit des obligations)

CP

Code pénal suisse du 21 décembre 1937

DETEC

Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication

DFF

Département fédéral des finances

IDHEAP

Institut de Hautes Etudes en Administration Publique

LOP

Loi fédérale du 30 avril 1997 sur l'organisation de l'entreprise fédérale de la poste (Loi sur l'organisation de la Poste, LOP)

LO-PTT

Loi fédérale du 6 octobre 1960 sur l'organisation des PTT

RF 2

Règlement des fonctionnaires 2 (RF 2) du 15 mars 1993

StF

Statut des fonctionnaires du 30 juin 1927

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