19.023 Message relatif à l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» et au contre-projet indirect (loi fédérale sur la dissimulation du visage) du 15 mars 2019

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage», en leur recommandant de la rejeter. Nous vous soumettons simultanément un contreprojet indirect sous la forme d'une loi fédérale sur la dissimulation du visage, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

15 mars 2019

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ueli Maurer Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2018-4090

2895

Condensé Le Conseil fédéral propose au Parlement de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage». En exigeant l'instauration d'une interdiction générale de se dissimuler le visage dans l'espace public, l'initiative va trop loin. Elle restreint l'autonomie dont bénéficient les cantons en matière de réglementation et monte en épingle un phénomène marginal. Le Conseil fédéral oppose à l'initiative un contre-projet indirect, à savoir une nouvelle loi, qui règle de manière ciblée les problèmes liés à la dissimulation du visage.

Contenu de l'initiative L'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» a été déposée le 15 septembre 2017. Elle demande que la Constitution soit complétée par un nouvel art. 10a visant à interdire la dissimulation du visage dans l'espace public et dans les lieux accessibles au public. Des exceptions pourront être justifiées par des motifs de santé ou de sécurité, par des raisons climatiques ou par des coutumes locales. L'initiative prévoit aussi une interdiction de contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe. Un délai transitoire de 2 ans pour l'élaboration de la législation d'exécution est prévu.

Avantages et inconvénients de l'initiative L'initiative, selon le Conseil fédéral, respecte le principe de l'unité de la forme, de l'unité de la matière, et ne contrevient pas non plus aux règles impératives du droit international. Les conditions de recevabilité de l'art. 139, al. 2, de la Constitution sont ainsi respectées.

L'initiative entend renforcer la cohésion sociale et assurer les conditions minimales du «vivre ensemble». Le Conseil fédéral partage l'opinion selon laquelle le fait de montrer son visage joue un rôle important dans l'interaction sociale. Il reconnaît en particulier que la dissimulation du visage pour des motifs religieux, comme le port de burqa ou le niqab, suscite un malaise chez de nombreuses personnes. Celle-ci est l'expression d'un courant fondamentaliste au sein de l'Islam et d'un refus de s'intégrer, et ne correspond pas aux valeurs d'ouverture et d'échange portées par notre démocratie. Il est toutefois extrêmement rare de croiser en Suisse des personnes ayant le visage caché dans la rue. La question du voile intégral concerne
le plus souvent des touristes, qui ne participent par essence pas à la cohésion sociale du pays. Le Conseil fédéral rappelle au surplus que la législation en vigueur, en particulier dans le domaine du droit des étrangers et de la naturalisation, fournit des réponses concrètes aux préoccupations justifiées concernant la capacité d'intégration et l'incompatibilité des courants radicaux de l'Islam avec les valeurs de la Suisse. Une interdiction générale au niveau national aurait ainsi avant tout un caractère symbolique et serait en conséquence disproportionnée.

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L'initiative vise aussi à renforcer l'ordre public en permettant d'identifier et de poursuivre plus facilement les criminels et les vandales. Les situations visées concernent principalement les infractions commises en marge de manifestations. Or, il existe déjà au plan cantonal des prescriptions qui interdisent de se masquer le visage lors de manifestations. Une règlementation fédérale sur ce point paraît peu utile.

L'initiative empiète sur l'autonomie des cantons. Ces derniers doivent pouvoir rester libres de décider s'ils veulent interdire la dissimulation du visage ou non. Ils doivent notamment pouvoir choisir l'attitude à adopter à l'égard des touristes voilées provenant de pays arabes. L'initiative entraînera au surplus des coûts pour les cantons car il leur incombera notamment de veiller au respect de l'interdiction.

L'initiative prétend renforcer la liberté individuelle et l'égalité des sexes. Elle affirme que le voile intégral constitue le symbole d'une conception de la société qui scelle l'oppression des femmes. Le Conseil fédéral partage l'avis des initiants selon lequel il n'est pas tolérable de forcer une personne à se dissimuler le visage. Il constate toutefois que la personne qui agirait de la sorte est déjà punissable en vertu de l'art. 181 du code pénal (contrainte). Il faut par ailleurs garder à l'esprit que le port du voile intégral peut résulter d'un libre choix, comme c'est le cas par exemple des ressortissantes suisses qui se convertissent. Il n'est en outre pas exclu que l'interdiction de porter le voile intégral dans l'espace public prévue par l'initiative ait pour conséquence que les femmes concernées restent confinées chez elles, ce qui risquerait en plus de les isoler.

La Suisse adhère aux valeurs d'une société libérale, auxquelles s'oppose l'édiction de prescriptions vestimentaires générales. Cela vaut d'autant plus que les exceptions à l'interdiction tolérées par l'initiative, formulées de manière exhaustive, ne permettent de tenir compte du tourisme, ni des intérêts de personnes manifestant de manière non violente ou souhaitant s'adonner à des activités économiques dans l'espace public.

L'initiative ne confère pas de compétence constitutionnelle à la Confédération et devra ainsi être mise en oeuvre par les cantons et la Confédération dans le cadre de leurs compétences
respectives existantes. Par ailleurs, comme toute prescription vestimentaire, l'interdiction de se dissimuler le visage dans l'espace public entraînera des problèmes pratiques d'application.

Proposition du Conseil fédéral Pour les raisons évoquées ci-dessus, le Conseil fédéral propose au Parlement de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage».

Le Conseil fédéral est toutefois d'avis qu'il y a des situations dans lesquelles le port de vêtements qui dissimulent le visage peut poser problème. Hormis les cas de contrainte, déjà réprimés par le droit actuel, des situations problématiques peuvent se créer lorsqu'une autorité doit identifier une personne et que celle-ci refuse de montrer son visage. Le Conseil fédéral propose donc un contre-projet indirect, sous la forme d'une loi fédérale, qui permettra de résoudre de manière ciblée ce problème spécifique.

2897

Contrairement à l'initiative, le contre-projet ne restreint pas l'autonomie des cantons; ceux-ci n'ont pas l'obligation d'interdire la dissimulation du visage dans l'espace public, mais peuvent le faire s'ils le jugent approprié.

La nouvelle loi fédérale sur la dissimulation du visage vise à introduire des règles claires en matière de comportement destinées à éviter l'apparition de tensions sociales et à s'assurer que les autorités puissent accomplir leurs tâches. La loi instaure l'obligation de montrer son visage lorsqu'une autorité suisse, en vertu du droit fédéral, doit, dans l'accomplissement de sa tâche, établir l'identité d'une personne (art. 1, al. 1). L'obligation n'englobe pas les domaines régis par le droit cantonal, car une modification de la Constitution serait alors nécessaire. La nouvelle loi contient également une disposition pénale qui prévoit que toute personne qui refuse de donner suite à une injonction répétée de montrer son visage est punie de l'amende (art. 2). Ce sont les cantons qui sont chargés de poursuivre et de juger les infractions (art. 3).

L'art. 4 précise que le contre-projet indirect n'entre en vigueur que dans le cas où l'initiative populaire est retirée ou rejetée (incompatibilité entre l'initiative et le contre-projet).

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Table des matières Condensé

2896

1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Examen préliminaire et aboutissement 1.3 Délais de traitement 1.4 Validité 1.4.1 Unité de la forme 1.4.2 Unité de la matière 1.4.3 Compatibilité avec les règles du droit international impératif

2901 2901 2901 2902 2902 2902 2902

2

Contexte 2.1 Introduction 2.2 Situation à l'étranger 2.2.1 France 2.2.2 Belgique 2.2.3 Autriche 2.2.4 Danemark 2.2.5 Italie 2.2.6 Allemagne 2.2.7 Pays-Bas 2.2.8 Grande-Bretagne 2.2.9 Canada 2.2.10 Australie 2.3 Situation en Suisse 2.3.1 Au niveau fédéral 2.3.1.1 Législation en vigueur 2.3.1.2 Interventions parlementaires 2.3.2 Au niveau cantonal 2.3.2.1 Tessin 2.3.2.2 Saint-Gall

2904 2904 2904 2904 2906 2907 2907 2907 2907 2908 2908 2909 2909 2910 2910 2910 2910 2911 2911 2913

3

Buts et contenu de l'initiative 3.1 Buts visés 3.2 Réglementation proposée 3.3 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative 3.3.1 Interdiction de se dissimuler le visage 3.3.2 Interdiction de contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe 3.3.3 Exceptions 3.3.4 Disposition transitoire

2913 2913 2914 2914 2914

2903

2915 2915 2916

2899

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4

Appréciation de l'initiative 4.1 Appréciation des buts de l'initiative 4.1.1 Préservation des exigences minimales de la vie en société 4.1.2 Maintien de l'ordre et de la sécurité publics 4.1.3 Renforcement de la liberté et de l'égalité des sexes 4.2 Conséquences en cas d'acceptation 4.2.1 Une ingérence inutile dans les compétences cantonales 4.2.2 Des difficultés de mise en oeuvre 4.2.3 Une restriction disproportionnée des libertés fondamentales 4.2.4 Une contradiction avec les valeurs libérales 4.2.5 Charge pour les cantons 4.3 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 4.3.1 CEDH 4.3.2 Pacte ONU II

2916 2916 2916 2917 2918 2919 2919 2919

5

Conclusions

2922

6

Le contre-projet indirect: la loi fédérale sur la dissimulation du visage 6.1 Travaux préliminaires 6.2 Grandes lignes du contre-projet 6.3 Evaluation des résultats de la procédure de consultation 6.4 Principales modifications par rapport à l'avant-projet 6.5 Commentaire des dispositions 6.6 Conséquences du contre-projet 6.6.1 Conséquences pour la Confédération 6.6.2 Conséquences pour les cantons et les communes 6.6.3 Conséquences économiques 6.7 Aspects juridiques 6.7.1 Constitutionnalité 6.7.2 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 6.7.3 Forme de l'acte à adopter 6.8 Relation avec le programme de la législature

2920 2921 2921 2921 2921 2922

2923 2923 2923 2923 2925 2926 2928 2928 2928 2928 2928 2928 2929 2929 2929

Arrêté fédéral relatif à l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» (Projet)

2931

Loi fédérale sur la dissimulation du visage (Projet)

2933

2900

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire fédérale «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 10a

Interdiction de se dissimuler le visage

Nul ne peut se dissimuler le visage dans l'espace public, ni dans les lieux accessibles au public ou dans lesquels sont fournies des prestations ordinairement accessibles par tout un chacun; l'interdiction n'est pas applicable dans les lieux de culte.

1

Nul ne peut contraindre une personne de se dissimuler le visage en raison de son sexe.

2

La loi prévoit des exceptions. Celles-ci ne peuvent être justifiées que par des raisons de santé ou de sécurité, par des raisons climatiques ou par des coutumes locales.

3

Art. 197, ch. 122 12. Disposition transitoire ad art. 10a (Interdiction de se dissimuler le visage) La législation d'exécution doit être élaborée dans les deux ans qui suivent l'acceptation de l'art. 10a par le peuple et les cantons.

1.2

Examen préliminaire et aboutissement

L'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» a fait l'objet d'un examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 1 er mars 20163 et a été déposée le 15 septembre 2017. Lors de l'examen préliminaire, la Chancellerie fédérale a constaté que la liste de signatures et le titre de l'initiative satisfaisaient, quant à la forme, aux exigences de la loi. Par décision du 11 octobre 2017, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait abouti, avec 105 553 signatures valables4.

1 2 3 4

RS 101 Le numéro définitif de la présente disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

FF 2016 1501 FF 2017 6109

2901

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1.3

Délais de traitement

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral a décidé de lui opposer un contre-projet indirect. Conformément à l'art. 97, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)5, le Conseil fédéral est dès lors tenu de soumettre au Parlement dans les 18 mois qui suivent le dépôt de l'initiative, soit au plus tard le 15 mars 2019, le message et un projet d'arrêté fédéral. En vertu de l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale doit statuer sur l'initiative d'ici au 15 mars 2020, sauf si l'un des conseils prend une décision sur un contre-projet ou un projet d'acte en rapport étroit avec l'initiative, auquel cas l'Assemblée fédérale peut proroger d'un an le délai imparti pour traiter l'initiative (art. 105, al. 1, LParl).

1.4

Validité

1.4.1

Unité de la forme

Les initiatives populaires fédérales tendant à la révision partielle de la Constitution (Cst.) peuvent revêtir la forme d'une proposition conçue en termes généraux ou celle d'un projet rédigé (art. 139, al. 2, Cst.). Conformément à l'art. 75, al. 3, de la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (LDP)6, les formes mixtes ne sont pas admissibles. L'initiative «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» est présentée sous la forme d'un projet rédigé. L'unité de la forme est par conséquent respectée.

1.4.2

Unité de la matière

Selon l'art. 75, al. 2, LDP, l'unité de la matière est respectée lorsqu'il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d'une initiative populaire. Cette règle vise à garantir un vote libre et non faussé, ce qui suppose que les électeurs soient appelés à donner leur avis sur une question précise, au sujet bien délimité. Il faut en effet éviter le regroupement dans une seule requête de plusieurs propositions hétérogènes dans le but d'obtenir plus facilement le soutien à l'initiative et, partant, le nombre de signatures requis7. La notion d'unité de la matière est admise dans un sens plutôt large par l'Assemblée fédérale8. En l'occurrence, le Conseil fédéral est d'avis que l'initiative «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» respecte cette exigence.

5 6 7 8

RS 171.10 RS 161.1 Voir le message du 5 juillet 2017 relatif à l'initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l'autodétermination)», FF 2017 5027 5035.

Voir le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 1 441.

2902

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1.4.3

Compatibilité avec les règles du droit international impératif

Lorsqu'une initiative populaire ne respecte pas les règles impératives du droit international, elle est déclarée totalement ou partiellement nulle (art. 139, al. 3, Cst.). Le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale ont développé une pratique s'agissant de ce qu'il faut entendre par «règles impératives du droit international». Il en ressort que doivent être qualifiées comme telles les normes et droits suivants9: ­

les normes du droit international impératif telles que les décrit de manière générale l'art. 53, 2e phrase, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités10 (jus cogens); il s'agit des normes fondamentales du droit international ne souffrant aucune dérogation; il n'existe pas de liste officielle ou faisant autorité des normes concernées; on peut toutefois en déduire certaines de la pratique des États et des traités internationaux en matière de droit international humanitaire11;

­

les droits garantis par la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) 12 auxquels il ne peut être dérogé, même en cas d'état d'urgence (art. 15): l'interdiction d'infliger la mort arbitrairement (art. 2), l'interdiction de la torture (art. 3), l'interdiction de l'esclavage et du travail forcé (art. 4, al. 1), le principe «pas de peine sans loi» (art. 7), ainsi que l'interdiction de la double peine en vertu du principe ne bis in idem (art. 4 du protocole no 7 du 22 novembre 1984 à la CEDH13);

­

certains droits garantis par le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques14 (Pacte ONU II) auxquels il est impossible de déroger, même en cas d'état d'urgence; il s'agit du droit à la vie (art. 6), de l'interdiction de la torture (art. 7), de l'interdiction de l'esclavage et de la servitude (art. 8, par. 1 et 2), de l'interdiction de l'emprisonnement pour dette (art. 11), du principe «pas de peine sans loi» (art. 15), de la reconnaissance universelle de la personnalité juridique (art. 16) et, enfin, de certains aspects de la liberté religieuse (art. 18) (art. 4, al. 2, du Pacte ONU II)15.

En l'occurrence, l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage», en tant qu'elle instaure une interdiction de se dissimuler le visage dans l'espace public, est susceptible d'affecter différents droits et garanties consacrés par la CEDH

9

10 11

12 13 14 15

Voir le message du 5 juillet 2017 relatif à l'initiative populaire «Le droit suisse au lieu de juges étrangers (initiative pour l'autodétermination)», FF 2017 5027 5037 et références citées.

RS 0.111 Voir la liste figurant dans le message du 20 novembre 2013 concernant l'initiative populaire «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en oeuvre)», FF 2013 8493 8501.

RS 0.101 RS 0.101.07 RS 0.103.2 Voir le message du 20 novembre 2013 concernant l'initiative populaire «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels (initiative de mise en oeuvre)», FF 2013 8493 8503.

2903

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ou le Pacte ONU II, tels que la liberté religieuse, le droit au respect de la vie privée, la liberté de réunion ou d'expression, ou encore l'interdiction de discrimination.

En ce qui concerne la CEDH, ces droits, non visés par l'art. 15 CEDH, ne font pas partie du droit international impératif.

Il pourrait à première vue en aller différemment du Pacte ONU II, étant donné que l'art. 18 concernant la liberté de pensée, de conscience et de religion est cité à l'art. 4, par. 2, comme un droit auquel on ne peut déroger même en état de nécessité.

Tel n'est toutefois pas le cas. Cette disposition ne peut en effet pas être considérée comme du droit international impératif, car l'art. 18, al. 3, du Pacte ONU II autorise des restrictions au droit de manifester sa religion, ce que vise précisément l'initiative. Ainsi, quand il est dit qu'un état de nécessité ne permet pas de dérogation à l'art. 18, cela ne concerne pas les restrictions mentionnées à l'al. 3.

Il découle de ce qui précède que l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» n'est pas contraire au droit international impératif.

2

Contexte

2.1

Introduction

La thématique de la dissimulation du visage dans l'espace public intéresse la société civile depuis plusieurs années, en Suisse comme à l'étranger. Sont principalement visés le port du voile intégral (niqab ou burqa), la participation masquée à des manifestations (sportives, politiques) ou plus généralement la commission d'infractions par des personnes non identifiables. Les partisans d'une interdiction générale de se masquer le visage dans l'espace public invoquent notamment le respect des valeurs d'une société démocratique et le principe de la laïcité, ainsi que des motifs liés à la sécurité et à l'ordre publics. Les opposants dénoncent une ingérence injustifiée dans leur liberté religieuse, de réunion, d'expression ou économique, de même qu'une atteinte à leur vie privée ou une violation du principe de non-discrimination.

2.2

Situation à l'étranger

2.2.1

France

La France a adopté en 2010 une loi interdisant de porter une tenue destinée à se dissimuler le visage dans l'espace public, soit les voies publiques ainsi que les lieux ouverts au public ou affectés à un service public16. L'interdiction ne s'applique pas si la tenue est prescrite ou autorisée par des dispositions législatives ou réglementaires, si elle est justifiée par des raisons de santé ou des motifs professionnels, ou si elle s'inscrit dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles. La sanction est une amende de 150 euros au maximum.

16

Loi no 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public.

2904

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L'art. 4 de cette loi a par ailleurs introduit une disposition dans le code pénal français prévoyant une peine d'un an d'emprisonnement ou 30 000 euros d'amende pour celui qui impose par menace, violence, contrainte, abus d'autorité ou abus de pouvoir à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage en raison de leur sexe. La peine est aggravée lorsque le fait est commis au préjudice d'un mineur.

La loi française a fait l'objet d'un arrêt de la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l'Homme (CourEDH)17. La Cour s'est prononcée sur les violations alléguées des art. 8 (droit au respect de la vie privée) et 9 CEDH (liberté de manifester sa religion) en lien avec l'interdiction de discrimination (art. 14 CEDH).

Il s'agissait principalement de juger de la légitimité de l'intérêt public poursuivi par la loi française, au regard des art. 8, par. 2, et 9, par. 2, CEDH et de la nécessité, soit de la proportionnalité de l'ingérence.

Selon l'exposé de motifs du projet de loi, le but de la loi est de répondre à des questions de sécurité publique d'une part, et à s'assurer du «respect des exigences minimales de la vie en société», soit du «vivre ensemble», d'autre part. Si le premier motif figure expressément aux art. 8, par. 2, et 9, par. 2, CEDH, tel n'est pas le cas du second. La cour, suivant le gouvernement français, a toutefois estimé que cette finalité pouvait être rattachée à la «protection des droits et libertés d'autrui», figurant elle aux art. 8, par. 2, et 9, par. 2, CEDH. Elle a en revanche rejeté les motifs tirés de l'égalité entre femmes et hommes et de la protection de la dignité d'autrui.

Sous l'angle de la proportionnalité des mesures, la cour a estimé que la préservation du «vivre ensemble» justifiait l'interdiction. Elle a relevé à cet égard qu'il s'agit d'une question de politique générale, pour laquelle les États membres disposent d'une grande marge de manoeuvre, et sur laquelle elle doit faire preuve de retenue.

Elle a encore relevé qu'il n'y avait pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l'Europe contre l'interdiction qui justifiât qu'elle sorte de sa réserve. En revanche, la cour a estimé que les motifs de sécurité publique invoqués à l'appui de la loi ne sauraient justifier une interdiction générale. La nécessité d'identifier des individus
en tout temps et en tout endroit pour prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens ou de lutter contre la fraude identitaire ne peut passer pour proportionnée que dans un contexte révélant une menace générale contre la sécurité publique, ce qui n'était pas le cas en France. Les sanctions prévues, compte tenu de leur faible montant, ont également été jugées conformes au principe de proportionnalité.

Il est à noter que cet arrêt ne fait pas l'unanimité18, y compris au sein de la cour.

Deux juges ont en effet émis une opinion dissidente. Ils estiment que la pénalisation du port du voile intégral constitue une mesure disproportionnée au but de l'idée du «vivre ensemble», but qui s'insère selon eux difficilement dans la liste des motifs prévus aux art. 8, par. 2, et 9, par. 2, CEDH.

17 18

Arrêt S.A.S. c. France du 1er juillet 2014, req. no 43835/11.

Voir notamment Edenharter Andrea, «Rechtliche Implikationen eines Verbots der Vollschleierung ­ EMRK, Deutschland, Schweiz», in: JZ 20/2018, p. 973; Fateh-Moghadam Bijan, «Dresscodes: Verhüllungsverbote im liberalen Rechtsstaat», in: recht 2017, p. 226; Tanquerel Thierry, «L'expression religieuse sur le domaine public», in: Études en l'honneur de Tristan Zimmermann. Constitution et religion ­ Les droits de l'homme en mémoire, Genève, 2017, pp. 245 ss et 256 s.

2905

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Le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies ne partage pas l'avis de la CourEDH. Dans deux constatations, rendues publiques le 23 octobre 2018, il a estimé que la France avait violé les droits de deux femmes en les ayant verbalisées parce qu'elles portaient le niqab. Au contraire de la CourEDH, il estime que la préservation du «vivre ensemble» ne peut pas être rattachée à la «protection des droits et libertés d'autrui». Ne figurant pas dans la liste exhaustive de l'art. 18, par. 3, Pacte ONU II, le but d'intérêt public invoqué ne serait ainsi pas légitime. Et même à admettre que tel serait le cas, la pénalisation du non-respect de l'interdiction serait disproportionnée. Le comité a demandé à la France qu'elle lui envoie un rapport s'agissant des mesures prises pour mettre en oeuvre ses recommandations qui demandent, entre autres, la compensation des plaignantes et la prise de mesures visant à éviter que des cas similaires ne se reproduisent à l'avenir, y compris une révision de la loi incriminée19. A noter qu'ici non plus les avis ne concordent pas entièrement, certains membres du comité ayant émis des avis dissidents allant dans le sens des conclusions de la CourEDH.

Les recommandations du Comité des droits de l'Homme ne remettent pas en cause l'arrêt de la CourEDH. Ce comité, à l'instar des autres comités des Nation Unies, n'a pas de compétences juridictionnelles et ne dispose d'aucun moyen de contrainte pour faire appliquer ses recommandations. Leur mise en oeuvre varie selon les pays.

2.2.2

Belgique

La Belgique a inscrit en 2011 une interdiction générale de se dissimuler le visage à l'art. 563bis de son code pénal20. Cette disposition prévoit une amende de 15 à 25 euros et/ou un emprisonnement d'un à sept jours pour celui qui se présente dans les lieux accessibles au public le visage masqué ou dissimulé en tout ou en partie, de manière telle qu'il ne soit pas identifiable. Les dispositions légales contraires sont réservées. L'interdiction ne vaut pas lorsque le fait de se dissimuler le visage est prescrit par un règlement de travail ou autorisé par une ordonnance de police à l'occasion de manifestations festives.

Cette loi a également fait l'objet d'un contrôle par la CourEDH21. La cour a admis l'interdiction pour les mêmes raisons qui l'ont conduite à valider la loi française.

S'agissant de la proportionnalité des sanctions prévues, la cour relève que les amendes sont faibles et que l'emprisonnement n'est prévu qu'en cas de récidive.

19

20 21

Voir l'article «France: l'interdiction du niqab viole la liberté de religion de deux musulmanes (Comité des droits de l'homme)», publié sur le site ONU Info le 23 octobre 2018 (https://news.un.org/fr/story/2018/10/1027302).

Code pénal du 8 juin 1867, dossier no 1867-06-08/01.

Arrêt Belcacemi et Oussar c. Belgique du 11 décembre 2017, req. n o 37798/13.

2906

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2.2.3

Autriche

L'Autriche a adopté en 2017 une loi fédérale interdisant de se dissimuler le visage dans l'espace public22. Il n'y a pas de violation de la loi si la dissimulation du visage est prescrite par une loi fédérale ou celle d'un Land, si elle est liée à une manifestation artistique, culturelle ou traditionnelle ou est nécessaire pour l'exercice d'une activité sportive ou encore si elle repose sur des motifs sanitaires ou professionnels.

L'infraction est sanctionnée d'une amende administrative de 150 euros au maximum.

2.2.4

Danemark

Le Parlement danois a aussi adopté, le 31 mai 2018, une loi interdisant de se dissimuler le visage dans l'espace public. L'interdiction concerne la burqa et le niqab, mais aussi les cagoules, les foulards ou les fausses barbes qui couvrent largement le visage. La loi est entrée en vigueur le 1er août 2018. La sanction en cas de violation de l'interdiction est une amende de 1000 couronnes danoises (env. 135 euros). Ce montant peut atteindre 10 000 couronnes en cas de récidive (1350 euros)23.

2.2.5

Italie

L'Italie dispose d'une loi qui interdit, à des fins de protection de l'ordre public, toute dissimulation du visage, que ce soit par un voile, un masque ou un casque, sauf motif justificatif (art. 5)24. L'interdiction vaut dans l'espace public et les lieux ouverts au public, les manifestations sportives étant exclues. La sanction est de 2 ans d'emprisonnement au plus et de 1000 à 2000 euros d'amende.

Il convient de mentionner que les tribunaux ont systématiquement rejeté les arrêtés municipaux se prévalant de cette loi pour interdire le voile intégral, au motif que le voile résultait plus d'une tradition que d'une volonté de dissimuler son identité.

Deux régions tenues par la Ligue du nord, la Lombardie et la Vénétie, ont interdit le voile intégral et la burqa dans les hôpitaux et les bâtiments publics.

2.2.6

Allemagne

Il n'y a pas, en Allemagne de loi fédérale, ou d'un Land, qui interdise de manière générale de se dissimuler le visage dans l'espace public. Ce pays connaît des interdictions ponctuelles.

22 23 24

Anti-Gesichtsverhüllungsgesetz (AgesVG), BGBl. I n o 68/2017.

Voir l'article publié sur le site «bazonline.ch» > «Burkaverbot jetzt auch in Dänemark».

Legge 22 maggio 1975, n. 152, Disposizioni a tutela dell'ordine pubblico, GU n o 136 du 24 mai 1975.

2907

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Ainsi, depuis 2017, les fonctionnaires, les soldats et les juges ont l'interdiction de se dissimuler le visage pendant l'exercice de leur fonction25. Les motifs indiqués par le Bundestag sont le bon fonctionnement de l'administration et la confiance que doit inspirer le représentant de l'État26.

Certaines législations prévoient par ailleurs qu'on puisse demander aux personnes de se montrer à visage découvert dans certaines situations, notamment lors d'élections, lors de l'établissement d'une pièce d'identité munie d'une photo ou à des fins de contrôle d'identité. Les infractions sont punies du refus de fournir la prestation demandée27 ou d'une amende pouvant atteindre 3000 euros28.

Plusieurs Länder ont aussi adopté des lois interdisant de se dissimuler le visage de manière ciblée, dans les hôpitaux ou les écoles par exemple.

2.2.7

Pays-Bas

Le Parlement néerlandais a adopté le 29 novembre 2016 une interdiction de se dissimuler le visage dans les bâtiments administratifs, les hôpitaux, les écoles et les transports publics. Les infractions sont sanctionnées d'une amende d'environ 400 euros. Le projet a été adopté par le Sénat le 25 juin 201829.

2.2.8

Grande-Bretagne

Il n'existe pas d'interdiction générale de se dissimuler le visage en Grande-Bretagne, mais certaines restrictions sont applicables à l'école et au lieu de travail. L'introduction d'une interdiction générale a dans le passé été demandée par certains milieux politiques, qui souhaitaient qu'une discussion soit menée à l'échelon national30.

25

26

27 28

29

30

Gesetz zu bereichsspezifischen Regelungen der Gesichtsverhüllung und zur Änderung weiterer dienstrechtlicher Vorschriften, du 8 juin 2017, BGBl. I, p. 1570, publiée le 14.06.17.

Deutscher Bundestag (18. Wahlperiode), Beschlussempfehlung und Bericht des Innenausschusses (4. Ausschuss) zu dem Gesetzentwurf der Bundesregierung ­ Entwurf eines Gesetzes zu bereichsspezifischen Regelungen der Gesichtsverhüllung, Drucksache 18/11813, du 30 mars 2017; voir Greve/Kortländer/Schwarz, «Das Gesetz zu bereichsspezifischen Regelungen der Gesichtsverhüllung», in: NVwZ 2017, p. 992.

Bundeswahlordnung (BWO), révisé par publication du 19 avril 2002, BGBl. I, p. 1376; modifié en dernier lieu par l'art. 5 de la loi du 8 juin 2017, BGBl. I, p. 1570.

Personalausweisgesetz (art. 1 de la loi du 18 juin 2009, BGBl. I, p. 1346 [no 33]; modifié en dernier lieu par l'art. 4 de la loi du 18 juillet 2017, BGBl. I, p. 2745; entré en vigueur le 1er novembre 2010; § 21 entré en vigueur le 1er mai 2010); Aufenthaltsgesetz (révisé par publication du 25 février 2008, BGBl. I, p. 162; modifié en dernier lieu par l'art. 10, al. 4, de la loi du 30 octobre 2017, BGBl. I, p. 3618); Freizügigkeitsgesetz/EU (art. 2 de la loi du 30 juillet 2004, BGBl. I, pp. 1950 et 1986; modifié en dernier lieu par l'art. 6 de la loi du 20 juillet 2017, BGBl. I, p. 2780).

Le texte de loi proposé peut être consulté sur le site du Sénat (www.tweedekamer.nl, vergaderjaar 2015­2016, 34 349, nr. 2); des informations complémentaires et l'ensemble des documents sont disponibles sur le site de la Première Chambre (www.eerstekamer.nl).

Voir l'article paru dans le quotidien The Telegraph le 15 septembre 2013: «Britain needs about banning Muslim girls from wearing veils in public».

2908

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2.2.9

Canada

La «loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à encadrer les demandes d'accommodements pour un motif religieux dans certains organismes31» du 18 octobre 2017, qui a été édictée par la province de Québec, exige des prestataires et des bénéficiaires de services publics qu'ils se présentent à visage découvert. Les employés de l'État comme les enseignants, les policiers ou les infirmiers ne peuvent ainsi pas se couvrir le visage. Il en va de même des personnes qui sont en contact avec les autorités et sollicitent des services32. La loi vise à favoriser le respect de la neutralité religieuse de l'État (art. 1). Cette loi a été attaquée judiciairement en décembre 2017. L'application de son art. 10, qui prévoit qu'une personne qui se présente pour recevoir un service par un membre d'une autorité doit avoir le visage découvert lors de la prestation du service, a été suspendue jusqu'à l'adoption, par le gouvernement, de lignes directrices sur le traitement d'une demande d'accommodement religieux. Ces lignes directrices sont aujourd'hui adoptées33. Malgré cela, l'entrée en vigueur de l'art. 10 reste suspendue jusqu'à ce que la lumière sur sa constitutionnalité soit faite dans un jugement au fond 34.

2.2.10

Australie

L'État australien de Nouvelle-Galles du Sud a édicté en 2011 une loi qui exige de toute personne de se montrer à visage découvert lorsque des employés de l'État le demandent35. La loi vise à garantir l'identification des personnes.

L'introduction d'une interdiction de se dissimuler le visage à des fins de protection contre des attentats terroristes a été discutée à l'échelon national. Une intervention parlementaire déposée en 2017 demande qu'une loi sanctionnant le fait de contraindre une personne à se dissimuler le visage soit édictée. Elle prévoit une peine de six mois d'emprisonnement pour toute personne contraignant un adulte à porter la burqa, et une peine de douze mois si la victime est un enfant. Ces propositions n'ont pas été adoptées à l'heure actuelle.

31 32 33 34

35

Disponible à l'adresse suivante: http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/ShowDoc/cs/R-26.2.01.

Voir l'article paru dans le quotidien The Independent le 19 octobre 2017: «Quebec bans Muslim women from wearing face veils on public transport».

Ces lignes directrices peuvent être consultées à l'adresse suivante: www.justice.gouv.qc.ca/ministere/dossiers/neutralite/.

Voir l'article paru sur le site du quotidien Le Devoir le 11 août 2018: «Québec renonce une fois de plus à défendre sa loi sur la neutralité religieuse» (www.ledevoir.com/ politique/quebec/534329/quebec-renonce-une-fois-de-plus-a-defendre-sa-loi-sur-laneutralite-religieuse).

Identification Legislation Amendment Act 2011.

2909

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2.3

Situation en Suisse

2.3.1

Au niveau fédéral

2.3.1.1

Législation en vigueur

La compétence d'édicter des règles sur la façon de s'habiller dans l'espace public appartient aux cantons. Il n'existe pas de dispositions légales fédérales prévoyant une interdiction générale de se dissimuler le visage.

Par ailleurs, le code pénal (CP)36 ne contient pas de disposition autonome interdisant expressément le fait de contraindre une personne à se dissimuler le visage. Un tel comportement tombe toutefois sous le coup de l'art. 181 CP, qui sanctionne la contrainte.

2.3.1.2

Interventions parlementaires

La thématique de l'interdiction de se dissimuler le visage a occupé ponctuellement le Parlement ces dernières années. On peut citer les interventions suivantes:

36

­

Interpellation Caroni 16.3966 «Burqa et responsabilité individuelle». Cette interpellation posait toute une série de questions au Conseil fédéral concernant les conséquences négatives déjà en vigueur du voile intégral pour les femmes en lien notamment avec l'octroi de certaines autorisations (en matière de droit des étrangers, de naturalisation, de prestations sociales) et leurs rapports avec les autorités. Elle a été liquidée le 3 mars 2017.

­

Initiative parlementaire Wobmann 14.467 «Interdiction de se dissimuler le visage»: l'initiative visait à insérer à l'art. 57 Cst. un nouvel al. 3 libellé comme suit: «Nul ne peut se dissimuler le visage sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public (sauf les lieux de culte) ou affectés à un service public. Et nul ne peut obliger une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe.» Le Conseil des États, suivant sa commission et contrairement au Conseil national, a décidé de ne pas donner suite à l'initiative.

­

Motions Fehr 13.3525 et Föhn 13.3520 «Inscrire dans le Code pénal l'interdiction de dissimuler son visage»: les motions chargeaient le Conseil fédéral de soumettre au Parlement une modification du CP de manière à ce que les personnes qui dissimulent leur visage lors de manifestations soient passibles de poursuites pénales. La première motion a été classée faute d'avoir été traitée à temps par le Conseil national. La seconde motion a été rejetée par le Conseil des États.

­

Motion Fehr 11.3043 «Interdiction nationale de porter une cagoule»: la motion chargeait le Conseil fédéral d'élaborer un projet visant à interdire le port de cagoules dans tout le pays. Cette motion, adoptée par le Conseil national, a été rejetée par le Conseil des États.

RS 311.0

2910

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­

Motion Freysinger 10.3173 «Bas les masques!»: la motion chargeait le Conseil fédéral d'ajouter un art. 22bis à la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure du 21 mars 1997 (LMSI)37 prévoyant notamment une obligation de se présenter à visage découvert devant toute autorité, une interdiction d'utiliser les transports publics avec le visage masqué et une interdiction de manifester sur le domaine public aux personnes dont le visage est masqué. Cette motion, adoptée par le Conseil national, a été rejetée par le Conseil des États.

2.3.2

Au niveau cantonal

La plupart des cantons ont introduit des dispositions interdisant de se dissimuler le visage dans l'espace public lors de manifestations publiques ou sportives. Des initiatives populaires ou interventions parlementaires visant une interdiction générale de se dissimuler le visage dans l'espace public ­ et donc aussi l'interdiction de porter la burqa et le niqab ­ ont été déposées dans plusieurs d'entre eux: Berne (2010), Tessin (2013), Bâle-Ville (2013)38, Saint-Gall (2013), Zurich (2016) et Glaris (2017). Elles n'ont abouti que dans les cantons du Tessin et de Saint-Gall.

A noter encore l'adoption en votation populaire, le 10 février 201939, de la loi genevoise sur la laïcité de l'État40. Cette loi ne prévoit pas d'interdiction générale de se dissimuler le visage dans l'espace public, et ne vise pas spécifiquement la burqa, mais le port de signes extérieurs religieux quels qu'ils soient. Il est en particulier prévu que le Conseil d'État peut, afin de prévenir des troubles graves de l'ordre public, restreindre ou interdire dans l'espace public et les bâtiments publics, pour une durée limitée, le port de signes religieux ostentatoires. La loi prévoit aussi que dans les administrations publiques, les établissements publics et subventionnés ainsi que les tribunaux, le visage doit être visible.

2.3.2.1

Tessin

En 2013, la population du canton du Tessin a adopté une initiative populaire cantonale qui prévoyait d'introduire un nouvel art. 9a dans la constitution cantonale41.

Cette disposition est entrée en vigueur le 1er juillet 2016. Elle prévoit qu'il est interdit de se dissimuler le visage dans l'espace public ainsi que dans les lieux librement accessibles au public. Sont concernés les rues et places publiques, mais aussi les bâtiments administratifs, les lieux destinés à un service public (par ex. la poste ou les bâtiments des CFF) et les établissements privés ouverts au public (par ex. les restaurants, les centres commerciaux, les cinémas, etc.). L'interdiction touche avant tout 37 38

39 40 41

RS 120 Le Grand Conseil de Bâle-Ville a rejeté l'initiative pour cause d'irrecevabilité. Voir le procès-verbal des délibérations du Grand Conseil de Bâle-Ville du 15 mai 2013, 10e et 11e séances de l'exercice 2013­2014.

Résultats du scrutin sous: https://fao.ge.ch/avis/6263647021977960785.

Loi disponible sous: www.ge.ch/legislation/modrec/f/11764.html.

RS 131.229

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deux groupes cibles: les manifestants qui se camouflent le visage pour rester anonymes et les personnes qui se voilent le visage pour des raisons religieuses 42. Le texte prévoit aussi que nul ne peut contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe. Enfin, il précise que les exceptions et les sanctions sont déterminées par la loi.

L'Assemblée fédérale a accordé la garantie constitutionnelle à cette disposition43 sur la base du message du Conseil fédéral du 12 novembre 2014 qui fait en grande partie sienne l'argumentation de l'arrêt de la CourEDH S.A.S contre France44 (voir ch. 2.2.1).

La disposition constitutionnelle a été mise en oeuvre par les lois et règlement tessinois suivants:

42

43 44

45 46

47

­

la loi du 23 novembre 2015 sur la dissimulation du visage dans les espaces publics (LDiss), en vigueur depuis le 1er juillet 201645; cette loi vise à garantir les conditions fondamentales du vivre ensemble (art. 1 LDiss); l'interdiction ne s'applique pas si la dissimulation est commandée par la loi ou un règlement, si elle est justifiée pour des motifs de santé ou de sécurité, pour des raisons professionnelles ou tenant à la pratique d'un sport, ou si elle est utilisée dans le cadre de manifestations religieuses, traditionnelles, artistiques ou récréatives; la loi fixe des amendes allant de 100 à 10 000 francs;

­

une modification totale de la loi du 23 novembre 2015 sur l'ordre public (LOrP)46, également entrée en vigueur le 1er juillet 2016; cette loi vise à maintenir l'ordre et la sécurité publics; les exceptions à l'interdiction sont sensiblement les mêmes que dans la LDiss; l'interdiction de contraindre une personne à se dissimuler le visage a été introduite dans cette législation;

­

le règlement du 6 avril 2016 sur l'ordre public et la dissimulation du visage dans les espaces publics47; ce règlement fixe les tarifs des infractions à la LOrP; le montant de l'amende se situe entre 100 et 1000 francs pour qui dissimule son visage et entre 200 et 2000 francs pour qui contraint une personne à se dissimuler le visage (art. 2).

Voir le message du 12 novembre 2014 sur la garantie des constitutions révisées des cantons de Berne, d'Uri, de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, d'Appenzell Rhodes-Extérieures, d'Appenzell Rhodes-Intérieures, du Tessin, de Vaud et du Jura, FF 2014 8899 8916 s.

FF 2015 2811 Message du 12 novembre 2014 sur la garantie des constitutions révisées des cantons de Berne, d'Uri, de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, d'Appenzell RhodesExtérieures, d'Appenzell Rhodes-Intérieures, du Tessin, de Vaud et du Jura, FF 2014 8899 8916 ss.

www4.ti.ch > Tematiche > Leggi cantone Ticino > Apri raccolta delle Leggi > Sicurezza > 550.200 > Legge sulla dissimulazione del volto negli spazi pubblici www4.ti.ch > Tematiche > Leggi cantone Ticino > Apri raccolta delle Leggi > Sicurezza > 550.100 > Legge sull'ordine pubblico. Modification publiée dans le bulletin officiel 17/2016, 194) www4.ti.ch > Tematiche > Leggi cantone Ticino > Apri raccolta delle Leggi > Sicurezza > 550.250 > Regolamento sull'ordine pubblico e la dissimulazione del volto negli spazi pubblici

2912

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Des recours au Tribunal fédéral ont été interjetés contre les deux lois susmentionnées en 2016. Ils ont été partiellement admis. Dans deux arrêts datés du 20 septembre 201848, le Tribunal fédéral a jugé que les exceptions prévues à l'interdiction de se dissimuler le visage, formulées de manière exhaustive, étaient problématiques sous l'angle du principe de proportionnalité s'agissant de la liberté d'expression (art. 16 Cst.), de la liberté de réunion (art. 22 Cst.) et de la liberté économique (art. 27 Cst.). Le Tribunal fédéral a renvoyé la cause au Grand Conseil du canton du Tessin, avec le mandat de compléter les deux lois en prévoyant des exceptions supplémentaires. Dans la mesure où les recourants n'ont pas soulevé d'incompatibilité avec la liberté personnelle et la liberté religieuse (art. 10 et 15 Cst.), le Tribunal fédéral n'a pas statué sur ces questions.

2.3.2.2

Saint-Gall

Dans le canton de Saint-Gall, des interventions parlementaires (de l'UDC et du PDC) déposées en 2017 ont abouti à une modification49 de la loi saint-galloise du 13 décembre 1984 sur les contraventions50. La modification prévoit que toute personne qui, dans l'espace public ou dans des lieux publics, se dissimule le visage pour se rendre méconnaissable et ce faisant menace ou compromet la sécurité publique ou la paix sociale ou religieuse, est punissable d'une amende. Un référendum a été lancé contre la loi et a abouti fin janvier 2018. La population saint-galloise a accepté la modification de la loi le 23 septembre 201851.

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

Selon ses auteurs, l'initiative a pour but de renforcer la liberté, pour laquelle la Suisse s'engage par tradition. Cette liberté implique que les gens se parlent à visage découvert. Le comité d'initiative estime que la dissimulation de son visage dans l'espace public, qu'elle soit consentie ou imposée, est en opposition avec le principe de la cohabitation dans une société libre.

L'initiative vise aussi à renforcer la protection de l'ordre public, dans la mesure où l'interdiction concerne également les moyens utilisés par les criminels, les terroristes et les vandales pour se rendre méconnaissables. Selon les initiants, il s'agit de stopper et de prévenir les agissements des vandales qui dissimulent leur visage afin de pouvoir attaquer et menacer des personnes sans être reconnus ou encore pour causer des dégâts pour des millions de francs. L'initiative doit mettre fin aux «promenades 48 49

50 51

Arrêts du TF 1C_211/2016 et 1C_212/2016.

Les documents des sessions des 27 et 28 novembre 2017 du Parlement cantonal sont disponibles à l'adresse suivante: www.ratsinfo.sg.ch > Geschäftssuche > III. Nachtrag zum Übertretungsstrafgesetz.

La loi peut être consultée sur le site www.gesetzessammlung.sg.ch (sGS 921.1).

Voir le tableau chronologique des votations cantonales disponible sur le site www.abstimmungen.sg.ch.

2913

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du soir antifascistes» et aux agissements des hooligans cagoulés lors de manifestations sportives52.

Les initiants estiment que tout homme libre ­ femme ou homme ­ doit pouvoir montrer son visage. S'agissant en particulier du voile intégral, ils relèvent que dans les sociétés islamiques radicales, les femmes sont considérées comme la propriété de l'homme, qui peut leur imposer de cacher leur visage en public. La vague de migration qui a lieu actuellement en Europe contribuerait à importer, en Suisse, cette vision archaïque de la femme53, allant à l'encontre des impératifs d'égalité de traitement qui prévalent dans notre pays. L'interdiction prévue par l'initiative renforcerait ainsi la liberté personnelle de manière générale, et la position de la femme et l'égalité des sexes en particulier54.

3.2

Réglementation proposée

Le texte de l'initiative s'inspire très largement de la loi française de 2010 et de l'art. 9a de la constitution du canton du Tessin. Il prévoit une interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public et dans les lieux accessibles au public ou dans lesquels sont fournies des prestations ordinairement accessibles par tout un chacun à l'exception des lieux de culte. Il est précisé que la loi prévoit des exceptions pour certains motifs énumérés exhaustivement: santé, sécurité, raisons climatiques, coutumes locales.

L'initiative prévoit également une interdiction de forcer une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe.

Elle prévoit enfin que la législation d'exécution doit être élaborée dans les deux ans qui suivent son acceptation par le peuple et les cantons.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

3.3.1

Interdiction de se dissimuler le visage

L'interdiction de se dissimuler le visage prévue à l'art. 10a, al. 1, du texte de l'initiative vaut pour toute la Suisse. Elle s'applique notamment à tous les lieux accessibles au public, à savoir les lieux publics (par ex. routes), les lieux librement accessibles (par ex. piscines municipales, terrains de sport) ou encore les locaux où «sont fournies des prestations ordinairement accessibles par tout un chacun». Sont ainsi concernés les lieux destinés au service public (par ex. transports publics, services administratifs, poste), ainsi que les lieux librement accessibles où sont dispensées des prestations privées (par ex. restaurants, centres commerciaux, cinémas, stades de 52 53 54

Voir le site du comité: www.interdiction-dissimuler-visage.ch (consulté le 23 janvier 2019).

Voir le site du comité: www.verhuellungsverbot.ch > Darum geht es > Begriffe (en allemand uniquement) (consulté le 23 janvier 2019).

Voir le site du comité: verhuellungsverbot.ch > Darum geht es > Argumente (en allemand uniquement) (consulté le 23 janvier 2019).

2914

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football). L'interdiction ne vaut pas dans les lieux de culte, ni dans le domaine privé.

Pour autant qu'un véhicule puisse être considéré comme un lieu privé, l'interdiction ne s'y appliquera pas non plus55.

L'initiative vise principalement deux comportements: le port d'une cagoule par des personnes pour commettre des violences et des infractions de manière anonyme, dans le cadre de manifestations notamment, et la dissimulation du visage pour des raisons religieuses (burqa, niqab). La burqa couvre l'entier du visage et comprend un petit grillage en tissu qui permet de voir. Le niqab couvre l'entier du visage à l'exception des yeux. D'autres vêtements, tels que le hijab, le jilbab ou le tchador ne couvrent pas le visage et ne sont donc pas visés.

L'interdiction s'applique aussi aux manifestants pacifistes ainsi qu'aux personnes qui portent des déguisements pour faire des campagnes publicitaires dans la rue. Elle vaut tant pour les touristes que pour les personnes résidant en Suisse.

L'initiative ne décrit pas ce qu'il faut comprendre par «se dissimuler le visage». Le simple fait de se dissimuler les cheveux ou le pourtour du visage n'est pas couvert par l'initiative. Le port d'un simple voile ou foulard couvrant les cheveux demeure donc possible. Selon le Conseil fédéral, le visage doit rester visible du front au menton.

A noter que l'art. 10a n'attribue pas de nouvelle compétence de légiférer à la Confédération. Dès lors, il incombera au législateur fédéral et aux législateurs cantonaux de mettre en oeuvre l'initiative selon leurs compétences respectives.

3.3.2

Interdiction de contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe

L'art. 10a, al. 2, du texte de l'initiative interdit toute contrainte exercée à l'encontre d'une personne pour qu'elle se dissimule le visage en raison de son sexe. Là non plus les conséquences d'une violation ne sont pas définies. Il incombera également au législateur de prévoir une sanction.

3.3.3

Exceptions

L'art. 10a, al. 3, du texte de l'initiative prévoit que la loi introduit des exceptions à l'interdiction, et liste de manière exhaustive les cas entrant en ligne de compte. Ces exceptions peuvent être prévues pour des raisons de santé ou de sécurité, des raisons climatiques ou résultant de coutumes locales. Ainsi, aucune exception n'est prévue pour des motifs tenant au tourisme, pour des manifestations politiques ou pour des événements commerciaux et publicitaires (par. ex. utilisation d'une mascotte représentant une marque).

55

Voir le message du 12 novembre 2014 sur la garantie des constitutions révisées des cantons de Berne, d'Uri, de Soleure, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, d'Appenzell Rhodes-Extérieures, d'Appenzell Rhodes-Intérieures, du Tessin, de Vaud et du Jura, FF 2014 8899 8918.

2915

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3.3.4

Disposition transitoire

Une disposition transitoire (prévue à l'art. 197, ch. 12, Cst.) fixe un délai de deux ans à partir de l'acceptation de l'initiative populaire par le peuple et les cantons pour élaborer la législation d'exécution.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des buts de l'initiative

4.1.1

Préservation des exigences minimales de la vie en société

L'un des buts de l'initiative est de préserver le «vivre ensemble», soit les conditions minimales pour une cohabitation dans une société libre.

En Suisse, montrer son visage joue un rôle important dans l'interaction sociale. Le fait d'être confronté à des personnes qui se dissimulent le visage pour des motifs religieux, expression d'un courant fondamentaliste de l'Islam, peut inquiéter ou susciter le malaise et être perçu comme une volonté de s'isoler et un refus de s'intégrer. Le Conseil fédéral relève cependant qu'il est très rare de croiser dans l'espace public des personnes intégralement voilées ou masquées. Le nombre de femmes portant le voile intégral en Suisse (burqa ou niqab) est extrêmement faible. Cela concerne principalement des touristes (à Lucerne, Interlaken ou Genève par ex.), qui ne participent par essence pas à la préservation des conditions du «vivre ensemble».

La cohésion et l'interaction sociales doivent être assurées par d'autres moyens permettant de créer des liens entre les individus et les communautés, favorisant une compréhension mutuelle et une meilleure intégration. Ceci passe par des mesures de soutien aux personnes concernées, mais aussi par des exigences formulées à l'égard des personnes souhaitant vivre en Suisse. La Confédération et les cantons oeuvrent déjà en ce sens. A titre d'exemple, on peut citer la révision du 16 décembre 2016 56 de la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers57 («loi fédérale sur les étrangers et l'intégration [LEI]» depuis le 1er janvier 201958) visant à améliorer l'intégration des étrangers ou encore les programmes d'intégration cantonaux.

Enfin, l'initiative semble postuler que le droit actuel n'appréhende pas le port de la burqa ou du niqab comme obstacles à l'intégration, à la cohésion sociale ou à l'octroi de prestations de la part de l'État. Cela est faux. En effet, dans de nombreux domaines, la loi permet d'en tenir compte. Ainsi, par exemple: ­

56 57 58

Dans le domaine du droit des étrangers, la LEI prévoit qu'il doit être tenu compte de l'intégration de la personne pour l'obtention ou la prolongation d'une autorisation de séjour ou d'établissement. Les autorités compétentes RO 2017 6521 RS 142.20 www.dfjp.admin.ch > Actualité > News > 2018 > Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration: améliorer l'intégration par des incitations

2916

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examinent de nombreux critères, dont le respect des valeurs inscrites dans la Constitution fédérale (art. 58a LEI). Amenées à se prononcer dans un cas d'espèce, elles doivent examiner dans quelle mesure le port du voile intégral fait obstacle à l'intégration. Tel pourrait être le cas si la participation à la vie économique, l'accès à une formation ou l'acquisition de connaissance linguistiques s'en trouvaient entravés.

­

En matière de naturalisation, la loi du 20 juin 2014 sur la nationalité suisse (LN)59 exige que l'intégration soit réussie. Cela implique entre autres, que les requérants prennent part à la vie sociale et culturelle suisse. Dans l'examen du cas particulier, les autorités doivent évaluer si le port du voile intégral constitue un indice d'intégration insuffisante. Par ailleurs, l'encouragement et le soutient de l'intégration par le conjoint constitue un élément d'intégration (art. 12, al. 1, let. e, LN). Si les autorités remarquent qu'un requérant s'oppose à l'intégration de sa femme, il sera considéré comme n'étant lui-même pas intégré.

­

Dans le domaine des assurances sociales, le port du voile intégral peut conduire à un refus de prestation principalement s'il entrave ou rend impossible le respect de l'obligation de collaborer de la personne assurée. Dans le domaine de l'assurance-chômage, il peut même selon les cas conduire à constater une inaptitude au placement.

Compte tenu de ce qui précède, force est de constater que l'initiative a avant tout une valeur symbolique. Le Conseil fédéral estime ainsi qu'elle manque son but.

4.1.2

Maintien de l'ordre et de la sécurité publics

L'initiative vise également à préserver l'ordre et la sécurité publics. Elle permettra selon les initiants d'appréhender les vandales et hooligans qui se camouflent le visage pour commettre des infractions et de prévenir les infractions, y compris des actes terroristes.

Le Conseil fédéral conçoit qu'une interdiction de dissimuler son visage puisse contribuer à garantir l'administration de la justice en permettant d'identifier plus facilement certains délinquants qui se cachent le visage pour commettre des infractions.

Cet argument vaut toutefois principalement lorsque les faits se déroulent en marge de manifestation, soit lorsque l'affluence favorise déjà un certain anonymat. Or, dans la mesure où la plupart des cantons disposent déjà de réglementations interdisant de se dissimuler le visage lors de manifestations publiques, l'initiative paraît peu utile.

Par ailleurs, les cantons qui connaissent des interdictions de se dissimuler le visage lors de manifestations jouissent d'une grande marge de manoeuvre, et ne les appliquent souvent pas de manière conséquente, pour des raisons de tactique policière.

Les polices cantonales renoncent par exemple très souvent à la mettre en oeuvre afin

59

RS 141.0

2917

FF 2019

d'éviter que les situations ne s'enveniment60. Ces aspects de tactique policière entreraient aussi en ligne de compte dans le cadre de la mise en oeuvre de l'initiative.

Cette dernière n'assurerait ainsi pas une poursuite plus stricte et homogène des violations des interdictions de se dissimuler le visage.

En ce qui concerne la prévention d'infractions, on peut douter qu'une interdiction de dissimuler son visage empêche les personnes susceptibles d'actes de violence de passer à l'acte, qu'il s'agisse de causer des dégâts matériels lors de manifestations, ou de commettre des actes terroristes. En effet, la personne peut sans autre avoir une cagoule dans la poche. Par ailleurs, il est de nombreux cas dans lesquels les actes terroristes ne sont pas commis par des personnes cagoulées.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil fédéral estime qu'ici aussi, l'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» manque son but.

4.1.3

Renforcement de la liberté et de l'égalité des sexes

D'après les initiants, l'initiative permet de renforcer la liberté personnelle en s'assurant que personne n'est contraint de se dissimuler le visage. Par ailleurs, l'initiative devrait aussi renforcer l'égalité des sexes en permettant aux femmes de se présenter en public le visage découvert.

Le Conseil fédéral partage l'avis des initiants selon lequel nul ne doit être contraint de se dissimuler le visage. S'agissant particulièrement des femmes, il est indéniable que le port du voile intégral est susceptible de constituer un moyen d'oppression. Le Conseil fédéral estime toutefois qu'il est inutile de créer de nouvelle disposition punissant spécifiquement le fait de contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe, dans la mesure où un tel comportement est déjà puni par l'art. 181 CP sur la contrainte.

Certes, le fait de tolérer le port du voile intégral en Suisse pourrait être interprété comme un mauvais signal, particulièrement face aux femmes qui, dans de nombreux pays, se battent pour ne pas le porter. Par ailleurs, interdire le voile intégral dans l'espace public pourrait aussi aider les femmes qui, en Suisse, sans pour autant être victimes de contrainte, subissent des pressions (familiales, culturelles). Il faut toutefois garder à l'esprit que le port du voile intégral peut aussi résulter d'un libre choix de la personne, comme c'est le cas par exemple des ressortissantes suisses qui se convertissent. Dans ce cas on voit mal que des motifs d'égalité des sexes puissent justifier l'interdiction en Suisse. C'est aussi l'avis de la CourEDH, qui, dans les affaires française et belge, n'a pas admis cet argument 61: «(...) un État partie ne saurait invoquer l'égalité des sexes pour interdire une pratique que les femmes ­ telle la requérante ­ revendiquent dans le cadre de l'exercice des droits que consacrent ses dispositions (...)».

60

61

Voir l'avis du Conseil fédéral sur les motions Fehr 13.3525 et Föhn 13.3520 «Inscrire dans le Code pénal l'interdiction de dissimuler son visage» ainsi que le rapport de la Commission de la politique de sécurité du 12 novembre 2013 concernant la motion Föhn 13.3520 «Inscrire dans le Code pénal l'interdiction de dissimuler son visage», disponible à l'adresse suivante: www.parlement.ch > 13.3520 > Rapports de commission.

Arrêt S.A.S. c. France du 1er juillet 2014, req. no 43835/11.

2918

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Par ailleurs, force est de constater que la discrimination à l'égard des femmes revêt de nombreuses facettes, qui sont bien plus courantes que la burqa ou le niqab en Suisse.

En résumé, le Conseil fédéral est d'avis que l'interdiction de se dissimuler le visage dans l'espace public ne constitue pas une solution pour améliorer l'égalité des sexes et la liberté des femmes et que l'interdiction de contraindre une personne à se dissimuler le visage est inutile dans la mesure où elle résulte déjà de l'art. 181 CP.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

4.2.1

Une ingérence inutile dans les compétences cantonales

La réglementation de l'espace public relève de la compétence des cantons. Ces derniers sont aujourd'hui libres d'interdire ou non la dissimulation du visage. Comme mentionné au ch. 2.3.2, seuls les cantons du Tessin et de Saint-Gall ont fait le choix d'une interdiction générale. Plusieurs cantons ont explicitement refusé d'introduire une telle réglementation (notamment les parlements des cantons de Zurich, Soleure, Schwyz et Bâle-Ville ainsi que la Landsgemeinde de Glaris).

Si l'initiative est acceptée, elle aura pour effet de transposer au plan national l'interdiction en vigueur dans le canton du Tessin. Les besoins et les sensibilités spécifiques des différents cantons ne pourront plus être pris en considération.

Les destinations touristiques ont une autre attitude envers les touristes voilées que les régions où les visiteurs des pays arabes sont rares. Avec l'initiative, il ne sera en particulier pas possible de prévoir des exceptions pour des raisons touristiques. Cela pourrait être préjudiciable aux cantons qui accueillent des touristes venant du Golfe.

Les sensibilités cantonales sont aussi différentes s'agissant des interdictions de se dissimuler le visage en cas de manifestations62. Avec l'initiative, on imposerait l'interdiction à des cantons qui ne l'ont jusqu'à présent pas jugée utile.

Le Conseil fédéral estime ainsi, comme de nombreux participants à la procédure de consultation (voir ch. 6.2), que le choix de réglementer le port de vêtements dans l'espace public doit rester de la compétence des cantons (voir ch. 6.5).

4.2.2

Des difficultés de mise en oeuvre

Comme mentionné précédemment, l'initiative populaire ne confère pas de nouvelles compétences constitutionnelles à la Confédération. Cette dernière ne peut en particulier pas, faute de norme constitutionnelle l'y autorisant, édicter de loi fédérale prévoyant une interdiction générale dans tout l'espace public. En effet, dans la mesure 62

Voir le rapport de la Commission de la politique de sécurité du 12 novembre 2013 concernant la motion Föhn 13.3520 «Inscrire dans le Code pénal l'interdiction de dissimuler son visage», disponible à l'adresse suivante: www.parlement.ch > 13.3520 > Rapports de commission.

2919

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où l'utilisation de l'espace public relève des cantons, il incombe principalement au législateur cantonal de mettre en oeuvre l'initiative. Le législateur fédéral est en revanche compétent dans le domaine pénal ainsi que dans le domaine des transports publics soumis au droit fédéral par exemple. Cette situation pourrait entraîner des différences dans la mise en oeuvre de l'interdiction.

Certes l'art. 123, al. 1, Cst. permettrait en principe à la Confédération d'inscrire dans le CP une interdiction de se dissimuler son visage. Des motifs importants s'y opposent cependant. Premièrement, une telle disposition déclarerait punissable un comportement qui, en soi, ne menace ni ne viole directement aucun bien juridique concret, ce qui irait à l'encontre des principes du droit pénal. Deuxièmement, force est de constater qu'une telle solution ne permettrait pas non plus une application uniforme de l'interdiction. En effet, les cantons, dans le cadre de la mise en place de leurs tactiques policières, disposeraient toujours d'une certaine marge d'appréciation dans l'application même de l'interdiction et dans la poursuite de l'infraction (ch. 4.1.2).

4.2.3

Une restriction disproportionnée des libertés fondamentales

L'initiative, en tant qu'elle vise à interdire de masquer son visage dans l'espace public et les lieux accessibles au public, est susceptible de restreindre certains droits fondamentaux garantis par la Constitution.

En première ligne figurent le droit au respect de la vie privée (art. 13, al. 1, Cst.), la liberté de conscience et de croyance (art. 15 Cst.,) ainsi que l'interdiction de discrimination (art. 8, al. 2, Cst.). Pour ces cas de figure, le Conseil fédéral considère qu'un intérêt à la préservation du «vivre ensemble» peut être admis. Cela va dans le sens de la jurisprudence de la CourEDH. On peut toutefois légitimement se demander si la situation de la Suisse est véritablement comparable à celle de la Belgique et de la France.

L'initiative restreint l'exercice d'autres droits encore, tels que la liberté d'expression (art. 16 Cst.), la liberté de réunion (art. 22 Cst.) ou encore la liberté économique (art. 27 Cst.). En effet, l'interdiction vise aussi les personnes prenant part à des manifestations politiques non violentes, ou à des événements commerciaux. Pour ces restrictions-ci, il ne s'agit ici pas de préserver le «vivre ensemble», mais bien plutôt de garantir l'ordre et la sécurité publics. Or, il paraît douteux que ces motifs puissent justifier une interdiction générale de se dissimuler le visage dans les situations susmentionnées63.

63

Voir aussi les arrêts du TF 1C_211/2016 et 1C_212/2016, s'agissant des lois d'application de l'art. 9a de la constitution tessinoise. Le Tribunal fédéral a jugé que les exceptions à l'interdiction de se dissimuler le visage prévues dans ces lois, formulées de manière exhaustive, étaient problématiques à l'égard de la liberté d'expression (art. 16 Cst.), de la liberté de réunion (art. 22 Cst.) et de la liberté économique (art. 27 Cst.).

Il a renvoyé la cause au Grand Conseil du canton du Tessin, afin qu'il complète les deux lois en prévoyant des exceptions supplémentaires.

2920

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4.2.4

Une contradiction avec les valeurs libérales

La Suisse est attachée aux valeurs d'une société libérale et en particulier aux libertés individuelles. Celles-ci constituent un pilier fondamental de la Suisse moderne. La dissimulation du visage pour des motifs religieux contredit les valeurs libérales.

Toutefois, l'édiction de prescriptions vestimentaires générales qu'implique une interdiction nationale de se dissimuler le visage inscrite dans la Constitution est également contraire à ces valeurs. Il appartient aux cantons d'intervenir dans les cas où le port du voile intégral dans l'espace public constitue effectivement un problème.

4.2.5

Charge pour les cantons

L'acceptation de l'initiative pourrait avoir des conséquences financières pour les cantons, qui devront le cas échéant contrôler le respect de l'interdiction et poursuivre les infractions. L'acceptation de l'initiative pourrait également avoir des conséquences économiques, en réduisant l'attrait de la Suisse comme destination touristique pour les personnes en provenance de pays où le port du voile intégral est de mise.

4.3

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

4.3.1

CEDH

L'initiative populaire «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» est susceptible de porter atteinte à plusieurs droits garantis par la CEDH. Il s'agit en particulier du droit au respect de la vie privée (art. 8), de la liberté religieuse (art. 9), de la liberté d'expression (art. 10), de la liberté de réunion (art. 11) et de l'interdiction de discrimination (art. 14).

La CourEDH, dans les affaires française64 et belge65, a admis la compatibilité d'une interdiction générale de se dissimuler le visage motivée par le souci de préserver le «vivre ensemble» avec les art. 8, 9, et 14 CEDH. Comme mentionné au ch. 2.2.1, elle a considéré que ce but pouvait être rattaché à la «protection des droits et libertés d'autrui» prévue aux art. 8, par. 2, et 9, par. 2, CEDH comme motif de restriction.

Dans la mesure où l'interdiction ne visait pas uniquement le port de vêtements religieux, elle a considéré qu'il n'y avait pas de violation de l'interdiction de discrimination. Dans l'affaire belge, la Cour a par ailleurs considéré que les mêmes conclusions devaient s'appliquer s'agissant de l'art. 10 CEDH. Dans les deux cas, le maintien de l'ordre public n'a en revanche pas été admis comme mesure justifiant une interdiction générale de se dissimuler le visage. La CourEDH ne s'est en revanche pas prononcée s'agissant de la liberté de réunion (art. 11 CEDH)66.

64 65 66

Arrêt S.A.S. c. France du 1er juillet 2014, req. no 43835/11.

Arrêt Belcacemi et Oussar c. Belgique du 11 décembre 2017, req. n o 37798/13.

Arrêt Belcacemi et Oussar c. Belgique du 11 décembre 2017, req. n o 37798/13, ch. 77 et 78.

2921

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Compte tenu de ce qui précède, l'initiative «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» paraît pour l'heure compatible avec la CEDH.

4.3.2

Pacte ONU II

Les droits mentionnés au ch. 4.3.1 sont aussi protégés par le Pacte ONU II (art. 18, 19, 21, 26). Les motifs permettant une restriction se recoupent largement avec ceux prévus par la CEDH. S'agissant de la liberté religieuse, et comme mentionné au ch. 2.2.1, le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies se positionne différemment de la CourEDH sur la question de l'interdiction générale de se dissimuler.

Il a en effet constaté le 22 octobre 2018, dans deux cas d'application de la loi française, que la préservation du «vivre ensemble» ne peut pas être rattachée à «la protection des droits et libertés d'autrui» (art. 18, par. 3, Pacte ONU II) et qu'elle ne permet donc pas de restreindre la liberté religieuse. Pour le comité, la pénalisation du non-respect de l'interdiction serait dans tous les cas une mesure disproportionnée.

Le Conseil fédéral relève que les constatations du Comité des droits de l'Homme ne sont pas juridiquement contraignantes et que ce dernier s'est en outre prononcé sur des cas d'application concrets de la loi française. On peut retenir de ses constatations qu'une interprétation de cette loi conforme au Pacte ONU II serait certes difficile, mais pas impossible. Par ailleurs, l'initiative «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» ne prévoit elle-même pas de sanction pénale, mais laisse au législateur le soin de le faire, ce dernier ne devant pas forcément prévoir une norme pénale.

Pour ces raisons, le Conseil fédéral estime que l'initiative n'est pas incompatible avec le Pacte ONU II.

5

Conclusions

En substance, le Conseil fédéral estime que l'initiative «Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage» va trop loin en prévoyant une interdiction générale de se dissimuler le visage dans l'espace public et en interdisant au législateur de prévoir d'autres exceptions que celles qu'elle mentionne. Le port de la burqa et du niqab sont des phénomènes marginaux en Suisse et concernent principalement des touristes. Au demeurant, la question du port de masques et de cagoules par les vandales et hooligans lors de manifestations publiques est déjà largement réglementée au niveau cantonal. Dans tous les cas, les cantons doivent rester libres de légiférer lorsqu'ils l'estiment nécessaire. On ne peut au demeurant exclure que l'initiative ait des effets négatifs sur la cohésion sociale et qu'elle conduise à exclure purement et simplement certaines femmes de l'espace public. Au demeurant, l'interdiction de contraindre une personne à se dissimuler le visage en raison de son sexe est inutile car elle déjà prévue par le CP. Le Conseil fédéral propose donc au Parlement de recommander le rejet de l'initiative.

2922

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Le Conseil fédéral est toutefois d'avis que le fait de se dissimuler le visage peut poser problème lorsqu'une autorité doit identifier une personne et que celle-ci refuse de montrer son visage. Pour cette raison, le Conseil fédéral propose un contre-projet indirect, sous la forme d'une loi fédérale.

6

Le contre-projet indirect: la loi fédérale sur la dissimulation du visage

6.1

Travaux préliminaires

Le 20 décembre 2017, le Conseil fédéral a décidé de proposer le rejet de l'initiative et de lui opposer un contre-projet indirect, et il a chargé le Département fédéral de justice et police (DFJP) de lui soumettre un texte pour la consultation. La procédure de consultation relative à l'avant-projet de loi fédérale sur l'interdiction de se dissimuler le visage a eu lieu du 27 juin au 18 octobre 2018. Les cantons, le Tribunal fédéral et le Tribunal administratif fédéral, les partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale, les associations faîtières qui oeuvrent au niveau national, des communes, des villes et des régions de montagne et de l'économie ainsi que d'autres organisations intéressées ont été invités à se prononcer.

6.2

Grandes lignes du contre-projet

Le contre-projet apporte une réponse plus ciblée aux problèmes que peut poser le port de vêtements dissimulant le visage. Contrairement à l'initiative, il préserve les prérogatives cantonales. Les cantons qui souhaitent aller plus loin et interdire la dissimulation du visage dans l'espace public pourront continuer à le faire. Cela a été relevé comme un élément positif par de nombreux participants lors de la procédure de consultation.

Le contre-projet du Conseil fédéral instaure une obligation de montrer son visage lorsque le représentant d'une autorité suisse, en vertu du droit fédéral, doit, dans le cadre de l'accomplissement de sa tâche, identifier la personne. La violation de l'obligation de montrer son visage est sanctionnée par une amende ou un refus de prestation.

6.3

Evaluation des résultats de la procédure de consultation

Au total, 63 prises de position ont été reçues. Ont répondu 25 cantons67, 8 partis politiques représentés à l'Assemblée fédérale68 et 30 organisations et autres partici-

67 68

ZH, BE, LU, SZ, OW, NW, GL, ZG, FR, SO, BS, BL, SH, AR, AI, SG, GR, AG, TG, TI, VD, VS, NE, GE, JU.

PDC, PLR, PS, UDC, Les Verts, PBD, PEV, pvl.

2923

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pants69. Le Tribunal fédéral et le Tribunal administratif fédéral ont expressément renoncé à formuler un avis. Le canton d'Uri n'a pas pris position non plus70.

L'avant-projet de loi est soutenu par 44 participants. 17 participants y adhèrent purement et simplement (7 cantons, 2 partis et 8 participants issus des milieux concernés) alors que 27 l'approuvent tout en émettant des réserves (11 cantons71, 3 partis politiques72 et 13 participants issus des milieux concernés73). 19 participants s'opposent au contre-projet74. Il convient ici de préciser que l'avant-projet de loi prévoyait de compléter le CP pour sanctionner explicitement le fait de contraindre une personne à se dissimuler le visage, alors que le projet opte finalement pour une pénalisation au travers de la norme générale sur la contrainte (art. 181 CP).

Les participants ne sont pas unanimes quant au besoin de légiférer sur la question même de la dissimulation du visage. La majorité d'entre eux ne s'est pas expressément exprimée sur ce point. Parmi ceux qui reconnaissent expressément un besoin de légiférer, une partie estime que le contre-projet est adéquat et une autre qu'il ne va pas assez loin et qu'une interdiction générale de se dissimuler le visage est nécessaire. Parmi les participants qui doutent de l'existence d'un besoin de légiférer, ou qui le nient, la plupart sont aussi opposés au contre-projet. Plusieurs participants, dont la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police, estiment que le cadre légal cantonal et/ou fédéral actuellement applicable est suffisant. Certains participants, tout en doutant du besoin de légiférer, soutiennent néanmoins le contre-projet.

A noter que la modification du CP concernant la contrainte est accueillie de manière assez contrastée, y compris auprès des participants favorables au contre-projet. En effet, certains participants approuvent le contre-projet dans son ensemble mais s'opposent à cette disposition, alors qu'au contraire, d'autres rejettent le contre-projet mais approuvent néanmoins cette disposition. Tout compte fait, la disposition est explicitement approuvée par 27 participants.

Le fait que le contre-projet respecte l'autonomie des cantons en leur laissant le choix de légiférer sur la question de la dissimulation du visage est salué. Par
ailleurs, certains participants relèvent que le contre-projet répond aux problèmes de manière ciblée, pragmatique ou proportionnée. Le fait qu'il ne vise pas une religion ou un groupe de personnes est aussi salué, au regard de l'interdiction de discrimination en particulier. S'agissant de la disposition sur l'interdiction de la contrainte, ceux qui l'approuvent expressément relèvent qu'elle signale clairement que de tels agissements ne sont pas tolérés en Suisse. Certains précisent qu'elle permettra aussi de 69

70

71 72 73 74

ACS, alliance f, Amnesty, ASOEC, ASSH, CEC, CCDJP, CFQF, CFR, CPS, CSDE, ECC, EK, FJS, FOIS, FPS, Frauenzentrale, FSCI, FST, hotelleriesuisse, Intellectio, IntUN, LFC, MPCVD, PJLS, TDF, UDF, USS, UVS, VFG.

L'avant-projet, le rapport explicatif et le rapport sur les résultats de la consultation sont disponibles à l'adresse www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2018 > DFJP.

OW, GL, FR, SO, SH, AR, GR, AG, TG, VS, NE.

PBD, PLR, PS.

Alliance f, ACS, Amnesty, ASOEC, ASSH, CEC, CFQF, CPS, CSDE, FJS, Frauenzentrale, Intellectio, UVS.

ZH, BE, SZ, ZG, BS, BL, VD, UDC, Les Verts, PEV, CCDJP, CFR, EK, IntUN, MPCVD, TDF, UDF, USS, VFG.

2924

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mieux protéger les femmes contre des restrictions de leur droit à l'autodétermination.

Les principales critiques sur le contre-projet sont les suivantes: ­

remarques générales: le contre-projet n'est pas utile ou l'est peu, le cadre légal actuel étant suffisant; il ne va pas assez loin, et devrait prévoir une interdiction générale de se dissimuler le visage; il ne renforce pas l'égalité entre les sexes et la position de la femme, ces objectifs devant être réalisés autrement que par des prescriptions vestimentaires; il restreint les libertés individuelles; il ne conduira pas les initiants à retirer leur initiative;

­

titre: le titre ne correspond pas au contenu de la loi, qui ne prévoit pas une interdiction de se dissimuler le visage, mais une obligation de montrer son visage dans certaines situations;

­

obligation de montrer son visage (art. 1): cette obligation devrait être étendue à d'autres situations ou autorités (dans les bâtiments administratifs, dans les rapports avec d'autres autorités, lors de manifestations sportives, aux devoirs d'identification prévus par le droit cantonal, aux autorités communales);

­

non-respect de l'obligation de montrer son visage (art. 2): les conséquences du non-respect d'une injonction sont floues, et la disposition sera difficile à mettre en oeuvre; l'exception à l'amende est rédigée de manière confuse;

­

contrainte: la disposition est inutile car l'état de fait visé est déjà puni aujourd'hui; par ailleurs, des doutes sont émis quant à l'efficacité de la norme.

6.4

Principales modifications par rapport à l'avant-projet

Pour tenir compte notamment des remarques formulées dans le cadre de la procédure de consultation, les modifications suivantes ont entre autres été apportées à l'avant-projet: ­

le titre de la loi a été modifié;

­

il est désormais fait référence aux autorités suisses dans l'art. 1, al. 1, afin de ne pas laisser penser que les autorités communales sont exclues;

­

l'art. 2, al. 2, a été supprimé;

­

l'art. 4 a été supprimé.

Par ailleurs, les commentaires de différentes dispositions ont été complétés ponctuellement.

2925

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6.5

Commentaire des dispositions

Art. 1

Obligation de montrer son visage

Al. 1 L'art. 1, al. 1, prévoit qu'une personne doit montrer son visage lorsque, en vertu du droit fédéral, une autorité doit, dans le cadre de l'accomplissement de ses tâches, établir son identité. Le devoir d'identifier la personne peut découler d'une norme expresse (par ex. art. 20 de loi du 20 mars 2009 sur le transport de voyageurs [LTV]75, ou art. 100 de la loi du 18 mars 2005 sur les douanes76). Il peut également résulter de l'accomplissement d'une tâche qui nécessite d'identifier la personne. Tel est le cas par exemple si l'autorité doit fournir une prestation ou vérifier qu'une prestation a été sollicitée à bon droit. Ainsi, par exemple, si une personne présente un abonnement général, un demi-tarif ou tout autre titre de transport lié à des caractéristiques personnelles, l'accomplissement des tâches prévues par la LTV impliquera que le représentant de l'autorité puisse voir son visage afin de l'identifier. Dans ces situations, la personne concernée doit se découvrir le visage du front au menton le temps nécessaire à l'identification.

S'il est possible pour une autorité d'identifier la personne sans voir son visage, mais que cela implique des efforts disproportionnés, l'obligation de montrer son visage s'applique aussi. On ne peut par exemple pas raisonnablement exiger des personnes chargées d'effectuer des contrôles dans les transports publics qu'elles identifient un individu en demandant des renseignements de tiers qui soient fiables au lieu de chercher à voir son visage.

L'obligation d'établir l'identité d'une personne doit se fonder sur le droit fédéral. La loi ne porte pas sur les obligations exigeant une identification qui relèvent du droit cantonal. Une telle réglementation, empiétant sur les compétences cantonales, impliquerait une modification constitutionnelle. Les normes spéciales impliquant une interdiction de se dissimuler le visage pour d'autres motifs ou en raison de rapports de droit particulier avec l'État (par ex. les soldats) sont réservées.

Al. 2, let. a à e L'al. 2 dresse une liste de personnes devant être assimilées à des représentants des autorités suisses. Cette liste reprend largement celle de l'art. 286 CP relative à l'empêchement d'accomplir un acte officiel, qui emploie encore l'ancien terme de fonctionnaire. Cette assimilation est justifiée par le fait que
ces personnes sont employées par des entreprises soumises au droit fédéral et à qui l'on a confié ou délégué, par contrat ou concession, l'accomplissement de tâches d'intérêt public (transport de voyageurs ou de marchandises, sécurité dans les transports publics ou de l'aviation civile).

L'obligation de montrer son visage s'applique ainsi notamment lors des contrôles effectués dans les transports publics par les employés des entreprises définies par la LTV. Cette loi prévoit que le voyageur qui ne peut présenter un titre de transport 75 76

RS 745.1 RS 631.0

2926

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valable doit attester de son identité et payer le prix de sa course ainsi qu'un supplément (art. 20, al. 1, LTV). Dans ces cas, un contrôleur doit pouvoir voir le visage de la personne afin de contrôler que le document d'identité présenté est bien le sien.

Art. 2

Non-respect de l'obligation de montrer son visage

L'art. 2 prévoit une sanction pénale en cas de violation de l'obligation de montrer son visage. Selon cette disposition, la personne qui, malgré une injonction répétée du représentant de l'autorité, refuse de montrer son visage, est punie de l'amende. L'injonction doit être données au moins deux fois. Par ailleurs le représentant doit s'assurer que, dans sa forme et son contenu, l'injonction a bien été comprise par son destinataire. La personne doit avoir compris ce que l'on attend d'elle et les conséquences d'un refus de montrer son visage.

Il s'agit d'une infraction intentionnelle. S'agissant d'une contravention, la tentative n'est pas punissable (art. 105 CP).

Cette disposition diffère de l'art. 292 CP en ce sens que la punissabilité ne dépend pas de la notification d'une décision sous la menace de la peine prévue à cet article.

L'art. 2 du contre-projet constitue également une lex specialis par rapport à l'art. 286 CP77.

Le montant maximum de l'amende est de 10 000 francs. Il est à prévoir que dans la grande majorité des cas, les amendes ne devraient pas excéder quelques centaines de francs, au risque d'être disproportionnées78. L'action pénale se prescrit par trois ans (art. 109 CP).

Il convient ici de préciser que dans la plupart des cas, lorsque la personne sollicite une prestation d'une autorité et refuse de montrer son visage, ce refus entraînera, pour autant que le droit spécial applicable en l'espèce le permette, le simple refus de la prestation. Dans ce cas, la personne pourra même éviter l'amende en renonçant elle-même à la prestation. En revanche, le fait de payer l'amende n'impliquera jamais que la prestation doit être octroyée.

Art. 3

Poursuite et jugement

Cette disposition prévoit que la poursuite et le jugement des infractions à la présente loi sont de la compétence des autorités cantonales. La partie générale du code pénal s'applique. L'autorité peut notamment renoncer à poursuivre ou à punir la personne concernée dans les cas de peu de gravité (art. 52 CP).

Art. 4

Référendum et entrée en vigueur

Le contre-projet indirect, dès lors qu'il s'agit d'une loi fédérale, est sujet au référendum conformément à l'art. 141, al. 1, let. a, Cst.

77 78

Par analogie: art. 323 CP; voir Heimgartner Stefan, ad. art. 286, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), Commentaire bâlois du Code pénal, vol. II, Bâle 2013, n o 17.

Sur la question de la proportionnalité de la sanction, voir l'arrêt S.A.S. c. France du 1er juillet 2014, req. no 43835/11.

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L'initiative populaire et le contre-projet indirect ne peuvent entrer en vigueur tous les deux, en raison de leur contenu en partie incompatible. Pour cette raison, l'al. 3 prévoit une clause alternative.

Le Conseil fédéral fixera la date de l'entrée en vigueur.

6.6

Conséquences du contre-projet

6.6.1

Conséquences pour la Confédération

Le contre-projet ne devrait pas entraîner de coûts ni de besoins supplémentaires en personnel pour l'administration fédérale.

6.6.2

Conséquences pour les cantons et les communes

Le contre-projet institue une nouvelle infraction pénale dont la poursuite et le jugement incombent aux cantons. Il pourrait en découler une augmentation des besoins financiers et en personnel. Ceux-ci devraient cependant disparaître à terme, compte tenu de l'effet dissuasif de la sanction pénale. Les cas à traiter ne devraient par ailleurs pas être nombreux.

6.6.3

Conséquences économiques

Le contre-projet n'aura aucune conséquence pour l'économie. Contrairement à l'initiative, il n'aura en particulier pas d'incidences sur les cantons où séjournent des touristes intégralement voilées en provenance des pays du Golfe.

6.7

Aspects juridiques

6.7.1

Constitutionnalité

La compétence de la Confédération en matière pénale repose sur l'art. 123, al. 1, Cst. Dans la mesure où les autorités fédérales sont concernées, la compétence inhérente de la Confédération de s'organiser trouve aussi application. Par ailleurs, dans les domaines spécifiques où vaudra l'interdiction de se dissimuler le visage, la Confédération pourra s'appuyer sur les normes constitutionnelles spéciales attributives de compétences, telles que l'art. 87, 112 ou 114 Cst. Au lieu de procéder à l'énumération (inéluctablement lacunaire) de toute une série de compétences sectorielles, le choix a été fait de ne citer que l'art. 173, al. 2, Cst. Selon une nouvelle pratique en effet, les compétences de la Confédération que la Constitution ne lui attribue pas explicitement sont déduites de cette disposition.

Les éventuelles restrictions aux droits fondamentaux qui pourraient découler du contre-projet (liberté religieuse et liberté personnelle principalement) sont prévues dans une loi au sens formel et sont justifiées par un intérêt public, à savoir la néces2928

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sité, pour les autorités, d'identifier une personne ou d'accomplir leurs tâches légales.

Les mesures sont au surplus nécessaires et aptes à atteindre le but visé et ne portent pas atteinte au noyau dur des droits constitutionnels des personnes concernées.

6.7.2

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Entrent ici en ligne de compte les garanties prévues par la CEDH et le Pacte ONU II, et en particulier la liberté religieuse. On l'a vu: tant la convention que le pacte admettent des restrictions à cette liberté. Sont notamment possibles les restrictions prévues par la loi et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

En l'occurrence, le contre-projet, au contraire de l'initiative, ne prévoit pas d'interdiction générale de se dissimuler le visage, mais uniquement des obligations ponctuelles de le montrer. Dans les situations visées, un intérêt public, le plus souvent en lien avec la sécurité et l'ordre publics, voire la santé publique, justifie que la personne se découvre le visage.

Compte tenu de ce qui précède, le Conseil fédéral estime que le contre-projet est compatible avec les engagements internationaux de la Suisse.

6.7.3

Forme de l'acte à adopter

Le présent projet contient des dispositions importantes fixant des règles de droit qui, en vertu des art. 164, al. 1, Cst. et 22, al. 1, LParl, doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale. En tant que telle, la loi est sujette au référendum (art. 141, al. 1, let. a, Cst.).

6.8

Relation avec le programme de la législature

Le projet ne figure pas dans le message du 27 janvier 2016 sur le programme de la législature 2015 à 201979, ni dans l'arrêté fédéral du 14 juin 2016 sur le programme de la législature 2015 à 201980.

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