19.026 Message relatif à l'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» du 7 juin 2019

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre l'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

7 juin 2019

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ueli Maurer Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2019-1385

4807

Condensé L'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» demande que l'immigration des étrangers en Suisse soit réglée de manière autonome sans libre circulation des personnes. Elle exige du Conseil fédéral qu'il dénonce l'accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l'UE dans le cas où la Suisse ne parviendrait pas à mettre fin à cet accord par la voie de la négociation dans le délai d'un an. L'abandon de la libre circulation des personnes aurait des conséquences préjudiciables pour le pôle économique suisse et compromettrait des emplois. De plus, la dénonciation unilatérale de cet accord remettrait fondamentalement en question la voie bilatérale que la Suisse a poursuivie avec l'UE. Par conséquent, le Conseil fédéral propose à l'Assemblée fédérale de soumettre l'initiative au vote du peuple et des cantons sans contre-projet, en leur recommandant de la rejeter.

Contenu de l'initiative L'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» a été déposée à la Chancellerie fédérale le 31 août 2018. Elle demande que l'immigration des étrangers en Suisse soit réglée de manière autonome sans libre circulation des personnes. En outre, aucun nouveau traité international ne doit accorder de régime de libre circulation des personnes. L'initiative exige également du Conseil fédéral qu'il mette fin, par la voie de la négociation, à l'accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l'UE (ALCP) dans les douze mois qui suivent l'acceptation de l'initiative. Si cet objectif n'est pas atteint, le Conseil fédéral doit dénoncer l'ALCP dans un délai supplémentaire de 30 jours.

Importance de la libre circulation des personnes En proposant l'abandon de la libre circulation des personnes, les auteurs de l'initiative souhaitent que la Suisse puisse à nouveau gérer elle-même l'immigration en provenance des États de l'UE/AELE. Cependant, le Conseil fédéral estime qu'un abandon de l'ALCP aurait des coûts considérables. En effet, selon certaines études, des sept accords bilatéraux I conclus avec l'UE (Bilatérales I), l'ALCP est celui dont l'impact économique est le plus important. Il permet aux entreprises de puiser dans un large réservoir de main d'oeuvre, y compris qualifiée, en fonction de leurs besoins et pour une charge administrative
réduite. Il préserve donc des emplois en Suisse et renforce notre économie et sa compétitivité. Par ailleurs, l'ALCP confère aux Suisses qui remplissent les conditions requises un droit de vivre et de travailler dans l'UE. Fin 2018, près d'un demi-million de Suisses de l'étranger vivaient en Europe, principalement en France, en Allemagne et en Italie.

Pa ailleurs, l'ALCP n'accorde pas de droit de séjour inconditionnel. En effet, les intéressés doivent soit disposer d'un contrat de travail valable, soit exercer une activité indépendante, soit, s'ils n'exercent pas d'activité lucrative, être en mesure de prouver qu'ils disposent de moyens financiers suffisants et d'une d'assurancemaladie suffisante. Par conséquent, l'immigration relevant de l'ALCP est avant tout

4808

liée au travail: près de deux tiers de l'ensemble des ressortissants de l'UE immigrent en Suisse pour y exercer directement une activité lucrative. Dans l'ensemble, l'immigration relevant de l'ALCP n'a pas entraîné de hausse du recours à l'aide sociale ni de détérioration des conditions du marché du travail.

L'immigration en provenance des États de l'UE/AELE est liée à la conjoncture économique en Suisse et dans l'UE. Après une forte augmentation, à la suite de la crise économique de 2008/2009, l'immigration nette a de nouveau marqué un important recul depuis 2013. Du fait de la solide croissance économique enregistrée en Europe, le solde migratoire des ressortissants de l'UE/AELE a diminué de moitié entre 2013 et 2018, passant de 61 000 à 30 900 personnes pendant cette période. À l'avenir, la Suisse sera encore tributaire de la main-d'oeuvre étrangère pour compléter son réservoir de travailleurs et faire face aux défis posés par les mutations démographiques (vieillissement de la population) et structurelles (liées notamment à la numérisation). La fin de l'ALCP réclamée par les auteurs de l'initiative ainsi qu'un éventuel retour au système antérieur de contingents, très bureaucratique, compliqueraient considérablement cette tâche.

L'initiative de limitation n'a pas d'effet direct sur l'immigration en provenance d'États tiers car le droit en vigueur ne confère aucun droit à la libre circulation aux ressortissants de ces États. Elle n'a pas non plus d'incidence directe sur les personnes relevant du domaine de l'asile.

Fin des accords bilatéraux I L'ALCP fait partie des accords bilatéraux I. Il est juridiquement lié aux six autres accords. Par conséquent, si la Suisse doit dénoncer l'ALCP à la suite de l'acceptation de l'initiative, les accords bilatéraux I s'éteindront automatiquement en l'absence d'une solution consensuelle avec l'UE dans un délai d'un an.

Les accords bilatéraux I garantissent à l'économie suisse dans divers domaines essentiels (notamment les obstacles techniques au commerce, l'agriculture, les transports terrestres et aériens) un accès largement non discriminatoire au marché intérieur européen et créent des conditions analogues à celles du marché intérieur dans plusieurs secteurs. Leur extinction modifierait considérablement les conditions-cadres applicables à l'économie suisse,
menacerait directement certains emplois et aurait des effets néfastes pour les consommateurs en Suisse. L'initiative risquerait donc de désordonner différents domaines importants pour la Suisse, alors même qu'il est essentiel, pour notre pays, d'entretenir des relations bilatérales bien ordonnées avec l'UE. Compte tenu de sa proximité géographique et culturelle ainsi que de son poids politique et économique, l'UE est de loin le premier partenaire de la Suisse. Or les accords bilatéraux I constituent un élément-clé de ces relations bilatérales. Une acceptation de l'initiative remettrait fondamentalement en question la voie bilatérale avec l'UE.

Minimiser les effets sur le plan intérieur Le Conseil fédéral reconnaît cependant que l'immigration n'est pas sans poser un certain nombre de difficultés. Elle peut en effet créer, en particulier dans le cadre de l'ALCP, des conditions plus concurrentielles sur le marché du travail. Il s'agit donc

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d'exploiter les instruments de gestion existants afin de minimiser la pression exercée sur les travailleurs en Suisse. Dans le domaine de l'ALCP, ces instruments comprennent le recours à des mesures d'accompagnement telles que l'obligation d'annonce, le contrôle des travailleurs détachés en provenance de l'espace UE/AELE et la mise en oeuvre systématique de l'obligation, entrée en vigueur le 1er juillet 2018, d'annoncer les postes vacants dans les branches qui affichent un taux de chômage élevé.

Le 15 mai 2019, le Conseil fédéral a adopté une série de mesures complémentaires pour soutenir et encourager de manière ciblée les travailleurs en Suisse et garantir que la libre circulation des personnes continue de ne pas supplanter la maind'oeuvre en Suisse, mais de la compléter là où il le faut. De plus, il est prévu de mettre en place une prestation transitoire visant à atténuer certains effets sociaux en faveur des travailleurs d'un certain âge et de condition économique modeste arrivés en fin de droits. Les mesures proposées partent du principe que l'immigration n'est nécessaire que dans la mesure où le marché intérieur du travail ne suffit pas à couvrir les besoins de main-d'oeuvre de l'économie suisse.

Proposition du Conseil fédéral Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» au vote du peuple et des cantons sans contre-projet, en leur recommandant de la rejeter.

4810

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Table des matières Condensé

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1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Aboutissement et délais de traitement 1.3 Validité

4813 4813 4813 4814

2

Contexte 2.1 Le système binaire d'admission dans le domaine des étrangers 2.1.1 Admission liée à la libre circulation des personnes 2.1.2 Principaux événements depuis l'introduction de l'ALCP 2.1.3 Admission dans le cadre de la LEI 2.2 Développement économique et immigration 2.3 Développements dans les principaux domaines 2.3.1 Introduction 2.3.2 Marché du travail 2.3.3 Régions frontalières 2.3.4 Sécurité sociale 2.3.5 Autres domaines

4814 4814 4815 4816 4816 4817 4818 4818 4818 4820 4820 4822

3

Buts et contenu de l'initiative 3.1 Buts visés 3.2 Commentaire du texte de l'initiative 3.2.1 Art. 121b P-Cst.

3.2.2 Art. 197, ch. 12, P-Cst.

3.3 Interprétation et explication du texte de l'initiative

4824 4824 4824 4824 4825 4825

4

Appréciation de l'initiative 4.1 Appréciation du but général de l'initiative 4.2 Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative 4.2.1 Extinction de l'ALCP 4.2.2 Remise en question des accords bilatéraux I 4.2.3 Remise en question des accords bilatéraux II 4.2.4 Effets sur d'autres accords 4.2.5 Mise en oeuvre de l'initiative 4.2.6 Conséquences pour les finances et le personnel 4.2.7 Entrée en vigueur et dispositions transitoires 4.3 Lacunes de l'initiative

4828 4829 4830 4830 4831 4834 4836 4836 4837 4838 4838

4811

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5

6

7

Évolution démographique, numérisation, changement structurel et immigration 5.1 Conséquences de l'évolution démographique 5.2 Conséquences de la numérisation et du changement structurel sur le marché suisse du travail 5.3 Mesures actuelles liées à la numérisation et au changement structurel Mesures relevant du droit des étrangers, du marché du travail ou de la politique économique ou sociale 6.1 Mesures déjà prises 6.1.1 Mesures en relation avec l'ALCP 6.1.1.1 Protection des conditions de travail et de salaire, mesures d'accompagnement 6.1.1.2 Mesures liées au droit de séjour 6.1.2 Mesures en relation avec la LEI 6.1.3 Introduction de l'obligation d'annoncer les postes vacants 6.1.4 Mesures visant à épuiser le potentiel offert par la maind'oeuvre en Suisse 6.2 Mesures supplémentaires 6.2.1 Garantir la compétitivité des travailleurs plus âgés 6.2.2 Mieux intégrer les étrangers déjà présents en Suisse dans le marché du travail (loi sur les étrangers et l'intégration) 6.2.3 Prestation transitoire pour les chômeurs âgés Conclusions

4839 4839 4841 4842 4844 4845 4845 4845 4846 4847 4849 4850 4850 4851 4853 4854 4855

Bibliographie

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Arrêté fédéral concernant l'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» (Projet)

4859

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire du 31 août 2018 «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 121b 1

Immigration sans libre circulation des personnes

La Suisse règle de manière autonome l'immigration des étrangers.

Aucun nouveau traité international ne sera conclu et aucune autre nouvelle obligation de droit international ne sera contractée qui accorderaient un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers.

2

Les traités internationaux et les autres obligations de droit international existants ne pourront pas être modifiés ni étendus de manière contraire aux al. 1 et 2.

3

Art. 197, ch. 122 12. Disposition transitoire ad art. 121b (Immigration sans libre circulation des personnes) Des négociations seront menées afin que l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes3 cesse d'être en vigueur dans les douze mois qui suivent l'acceptation de l'art. 121b par le peuple et les cantons.

1

Si cet objectif n'est pas atteint, le Conseil fédéral dénonce l'accord visé à l'al. 1 dans un délai supplémentaire de 30 jours.

2

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» a fait l'objet d'un examen préliminaire par la Chancellerie fédérale le 29 décembre 20174 et a été déposée par le comité d'initiative le 31 août 2018.

Par décision du 25 septembre 2018, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 116 139 signatures valables et qu'elle avait donc abouti5.

1 2 3 4 5

RS 101 Le numéro définitif de la présente disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

RS 0.142.112.681; RO 2002 1529 FF 2018 106 FF 2018 5837

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L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé de toutes pièces. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)6, le Conseil fédéral a jusqu'au 31 août 2019 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 28 février 2021 pour adopter la recommandation de vote qu'elle présentera au peuple et aux cantons. Elle peut prolonger d'un an le délai imparti pour traiter l'initiative si les conditions visées à l'art. 105 LParl sont réunies.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.).

a.

elle revêt la forme d'un projet entièrement rédigé et respecte donc le principe de l'unité de la forme;

b.

il existe un lien objectif entre les différentes parties de l'initiative; le principe de l'unité de la matière est donc également respecté;

c.

l'initiative ne viole aucune règle impérative du droit international; elle remplit donc les conditions de compatibilité avec le droit international.

2

Contexte

La présente initiative vise à mettre fin à la libre circulation des personnes avec l'UE.

Elle se veut une réponse à l'immigration en provenance de l'espace UE/AELE, liée à l'introduction de la libre circulation des personnes avec l'UE à la suite de l'Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d'une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d'autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP)7. Cette immigration a atteint des niveaux relativement élevés durant les années 2007 à 2013. Une acceptation de l'initiative entraînerait un retour au système des contingents pour les États de l'UE/AELE alors même que l'immigration affichait déjà, par intermittence, des niveaux très élevés sous les anciens systèmes d'admission sans la libre circulation des personnes. En effet, l'évolution de l'immigration dépend fortement des besoins de l'économie suisse et de la situation économique à l'étranger.

2.1

Le système binaire d'admission dans le domaine des étrangers

La Suisse connaît actuellement un système binaire d'admission fondé sur la distinction entre les personnes en provenance des États de l'UE/AELE et celles provenant 6 7

RS 171.10 RS 0.142.112.681

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d'États tiers. La présente initiative ne touche que la première de ces catégories de personnes dès lors que le droit suisse ne confère aucun droit à la libre circulation aux ressortissants d'États tiers.

2.1.1

Admission liée à la libre circulation des personnes

L'immigration en provenance de l'UE/AELE concerne essentiellement des étrangers qui viennent en Suisse pour y exercer une activité lucrative; les travailleurs recrutés peuvent être plus ou moins qualifiés. Elle est régie par l'ALCP ou par la Convention du 4 janvier 1960 instituant l'Association européenne de libre-échange8 (convention AELE)9.

L'ALCP a été conclu le 21 juin 1999 en tant que partie des accords bilatéraux I (Bilatérales I). Le 21 mai 2000, la population suisse a accepté les accords bilatéraux I à 67,2 % des voix. L'ALCP est entré en vigueur le 1er juin 2002. La libre circulation des personnes entre la Suisse et les États de l'UE/AELE a libéralisé l'accès au marché du travail. En parallèle, les ressortissants suisses ont obtenu le droit de choisir librement leur lieu de travail et de domicile sur le territoire des États parties.

L'ALCP conclu entre la Suisse et les États de l'UE/AELE n'accorde pas de droit de séjour inconditionnel. En effet, les intéressés doivent soit disposer d'un contrat de travail valable, soit exercer une activité indépendante, soit, s'ils n'exercent pas d'activité lucrative, être en mesure de prouver qu'ils disposent de moyens financiers suffisants et d'une d'assurance-maladie suffisante.

Le droit à la libre circulation des personnes est complété par dispositions sur la coordination des systèmes de sécurité sociale et la reconnaissance mutuelle des diplômes professionnels.

La libre circulation des personnes a été introduite par étapes. Les mesures prises jusqu'ici dans le domaine de l'ALCP sont présentées au ch. 6.1.

La libre circulation des personnes a remplacé le système des contingents appliqués précédemment aux ressortissants de l'UE/AELE et, en particulier, le statut de saisonnier. À partir des années 30, la politique menée par la Suisse à l'égard des étrangers reposait essentiellement sur le principe dit de rotation. Selon ce principe, les travailleurs étrangers, dits saisonniers, jouaient le rôle de «tampons conjoncturels».

Divers modèles de contingentement ont ensuite été introduits à partir de la moitié des années 60.

8 9

RS 0.632.31 L'Accord du 21 juin 2001 amendant la Convention du 4 janvier 1960 instituant l'Association européenne de libre-échange (FF 2001 4729; RS 0.632.31) prévoit quasiment les mêmes dispositions que l'ALCP et son protocole (annexe 1). Par conséquent, la libre circulation des personnes s'applique également aux ressortissants des deux États membres de l'AELE que sont la Norvège et l'Islande (ressortissants de l'AELE) et aux membres de leurs familles.

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2.1.2

Principaux événements depuis l'introduction de l'ALCP

À la suite de l'élargissement de l'UE, le 1er mai 2004, l'ALCP a été complété par le protocole I. Ce dernier règle l'introduction progressive de la libre circulation des personnes aux dix pays de l'UE suivants: Estonie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie, Slovénie, République tchèque, Hongrie et Chypre. Le 21 mai 2005, le peuple suisse a accepté le protocole I à 56 %. Ce dernier est entré en vigueur le 1er avril 2006.

Le 8 février 2009, le peuple suisse a accepté, à 59,6 %, la reconduction de l'ALCP et son protocole II, qui étendait l'ALCP à la Roumanie et à la Bulgarie. Le protocole II est entré en vigueur le 1er juin 2009.

La Croatie est devenue membre de l'UE le 1er juillet 2013. L'extension de l'ALCP à la Croatie a été négociée dans le cadre du protocole III. Le 17 juin 2016, l'Assemblée fédérale a approuvé le protocole III, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2017.

Le 9 février 2014, l'initiative populaire «Contre l'immigration de masse» a été acceptée par 50,3 % des votants et 14,5 cantons. Cette initiative réclamait l'introduction du nouvel art. 121a Cst. qui devait permettre à la Suisse de gérer l'immigration des étrangers de manière autonome, notamment en soumettant tous les types d'autorisations relevant du droit des étrangers à des nombres maximums et à des contingents annuels.

Le 16 décembre 2016, le Parlement a adopté la loi d'application de l'art. 121a Cst.

Cette loi, qui prévoit une obligation de communiquer les postes vacants10, est entrée en vigueur le 1er juillet 2018.

2.1.3

Admission dans le cadre de la LEI

L'admission de ressortissants d'États non-membres de l'UE/AELE en vue de l'exercice d'une activité lucrative est réglée de manière restrictive dans la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l'intégration (LEI)11. L'employeur suisse doit déposer une demande de permis de travail auprès de l'autorité cantonale. L'admission de ressortissants d'États tiers est limitée à la main-d'oeuvre qualifiée indispensable à l'économie suisse, dont l'intégration professionnelle et sociale à long terme semble assurée. De plus, elle est soumise à des nombres maximums fixés chaque année par le Conseil fédéral (art. 20 LEI), soit, pour 2019, 4500 autorisations de séjour et 4000 autorisations de séjour de courte durée12. Sont par ailleurs prioritaires les travailleurs en Suisse et les ressortissants des États avec lesquels un accord sur la libre circulation des personnes a été conclu (art. 21 LEI). En outre, les conditions de rémunération et de travail usuelles du lieu, de la profession et de la branche doivent être respectées (art. 22 LEI). Les conditions d'admission sont d'abord examinées par 10 11 12

RO 2018 733 RS 142.20 Cf. les annexes 1et 2 de l'ordonnance du 24 octobre 2007 relative à l'admission au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA), RS 142.201.

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l'autorité cantonale, puis par le Secrétariat d'État aux migrations (SEM). S'agissant d'une procédure d'autorisation prévue par le droit des étrangers, la délivrance d'un permis de travail pour des ressortissants d'États tiers entraîne des coûts élevés.

Depuis le 1er janvier 2019, la LEI contient un certain nombre de nouvelles dispositions13. Son titre est une extension de celui de la loi fédérale sur les étrangers14 dans la mesure où elle contient un certain nombre de nouvelles dispositions qui portent essentiellement sur l'intégration. Des explications plus détaillées figurent au ch. 6.1.

2.2

Développement économique et immigration

Ces dernières décennies, l'immigration en Suisse était fortement liée au développement économique. La situation économique favorable de la Suisse après la Seconde Guerre mondiale a déclenché une forte demande de main-d'oeuvre étrangère, essentiellement recrutée en Italie et employée dans des branches saisonnières (telles que l'agriculture), la construction et l'industrie. Malgré la récession économique qui a sévi au milieu des années 1970 et en dépit de l'introduction de contingents cantonaux15 pour les titulaires d'une autorisation de séjour à l'année et les saisonniers, la population étrangère permanente a continué d'augmenter d'année en année. Entre 1960 et 1974, 108 000 étrangers actifs et 205 000 saisonniers, en moyenne, sont entrés chaque année en Suisse16. En 1994, la proportion d'étrangers a pour la première fois dépassé la barre des 20 %.

L'immigration dans le cadre de l'ALCP a connu une hausse marquée après l'introduction, en 2007, de la libre circulation intégrale pour les ressortissants des États de l'UE-15/AELE. Cette hausse s'explique par un effet d'ouverture, mais également par le fait que l'immigration dans le cadre de la libre circulation des personnes dépend fortement de la situation économique et du marché du travail en Suisse et dans l'UE. En effet, près des deux tiers des ressortissants de l'UE/AELE entrent en Suisse afin d'y exercer une activité lucrative. En outre, la libre circulation intégrale a été introduite à la même période que la crise économique de 2008/2009, laquelle a touché de manière nettement plus dure les États du Sud de l'UE que la Suisse. Par conséquent, l'immigration en Suisse a fortement augmenté durant ces années. En revanche, elle affiche un recul important depuis 2014. Ainsi, le solde migratoire (immigration nette) de la population étrangère résidante permanente n'a cessé de baisser, passant de 81 000 personnes en 2013 à 54 800 en 2018. Le solde migratoire des ressortissants de l'UE/AELE, pour sa part, a diminué de moitié entre 2013 et 2018, passant de près de 61 000 à 30 900 personnes.

En chiffres bruts, 140 000 étrangers sont entrés en Suisse en 2014. Près de 70 % d'entre eux étaient originaires de l'UE. Si la grande majorité des ressortissants de l'UE/AELE immigrent en Suisse pour y exercer directement une activité lucrative, le regroupement familial constitue le motif premier d'immigration des ressortissants 13 14 15 16

RO 2018 3171 RO 2017 6521 Le principe dit de rotation introduit dans la période de l'après-guerre a été suivi, au milieu des années 60, par différents modèles de contingentement des travailleurs étrangers.

Il s'agit là de chiffres bruts, aucun chiffre net n'étant disponible pour cette période.

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d'États tiers (presque 50 % des cas). En 2018, près de 7000 personnes relevant du domaine de l'asile ont reçu une autorisation de séjour fondée sur le droit des étrangers.

2.3

Développements dans les principaux domaines

2.3.1

Introduction

L'immigration dans le cadre de l'ALCP est fortement liée au marché du travail; elle a été bien absorbée. Par le passé, la libre circulation des personnes a joué un rôle important pour soulager la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Dans l'ensemble, l'immigration n'a pas entraîné de hausse des prestations sociales perçues ou de détérioration des conditions sur le marché du travail. Dans divers domaines politiques, des mesures ciblées ont déjà été prises contre les effets secondaires indésirables (cf. explicitations ci-dessous et ch. 6.1). Par nature, la libre circulation des personnes crée des conditions plus concurrentielles sur le marché du travail. C'est pourquoi le Conseil fédéral estime que des mesures économiques et sociopolitiques supplémentaires sont judicieuses et nécessaires pour accroître encore la compétitivité de la main-d'oeuvre en Suisse (Suisses et étrangers déjà présents dans notre pays) et renforcer la sécurité sociale, en particulier pour les personnes âgées. Ces mesures sont exposées au ch. 6.2.

2.3.2

Marché du travail

Structure de formation et de l'emploi Ces dernières années, l'immigration dans le cadre de l'ALCP concernait essentiellement des travailleurs fortement qualifiés: 54 % des immigrés au titre de l'ALCP possédaient une formation de niveau tertiaire. Ce taux était de 39 % chez les Suisses17. La libre circulation des personnes a donc joué un rôle important pour couvrir la forte demande de l'économie suisse en travailleurs qualifiés. Elle a facilité les changements structurels observés sur le marché du travail, contribuant ainsi à la croissance des emplois nécessitant une formation élevée et à atténuer les pénuries temporaires de main-d'oeuvre.

L'espace UE s'est également avéré important pour recruter de la main d'oeuvre dans des domaines qui nécessitent des qualifications moins élevées. Concernant l'immigration de personnes faiblement qualifiées en provenance de l'espace UE, il faut garder à l'esprit que désormais, le recrutement de travailleurs étrangers dans des professions élémentaires n'est en principe plus possible que dans le cadre de l'ALCP.

Autrefois, les travailleurs exerçant des professions élémentaires étaient souvent recrutés dans des États tiers. Aujourd'hui, l'immigration liée au marché du travail de ressortissants d'États qui ne font pas partie de l'UE/AELE est limitée aux cadres, spécialistes et autres travailleurs qualifiés (art. 23, al. 1, LEI). Elle est également 17

Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Secrétariat d'État aux migrations (SEM), Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Office fédéral de la statistique (OFS) (2018).

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soumise à des restrictions quantitatives (art. 20 LEI). En Suisse, la part de personnes sans formation postobligatoire a rapidement diminué parmi les actifs, au point que le recrutement de travailleurs en provenance de l'UE dans des branches où les qualifications requises sont plutôt faibles sert souvent à compenser la baisse de l'offre de main-d'oeuvre en Suisse.

Certaines études comportent des indications selon lesquelles, sur divers marchés partiels, la concurrence s'est renforcée pour les travailleurs établis en Suisse et le taux de chômage des groupes de personnes concernés a légèrement crû. Une étude publiée en 201318 relève des indices selon lesquels la pression migratoire a entraîné des effets d'éviction chez les personnes hautement qualifiées. Une autre étude de 201119 a montré que l'immigration avait accru le risque de chômage des étrangers peu qualifiés établis en Suisse et originaires de pays non-membres de l'UE et, dans certains cas, des Suisses faiblement qualifiés. Les mesures déjà mises en place et celles actuellement planifiées (cf. ch. 6.1 et 6.2) sont donc particulièrement importantes pour encourager le potentiel de la main-d'oeuvre en Suisse. Elles permettent d'assurer la compétitivité et d'encourager l'intégration ou la réintégration professionnelle et revêtent les formes suivantes: mesures de formation et de perfectionnement, mesures visant à améliorer la réintégration des chômeurs difficiles à placer et des personnes en fin de droits et, tout particulièrement, des travailleurs d'un certain âge, ou encore, initiation ciblée de certains groupes d'étrangers à la formation professionnelle et au marché du travail.

Depuis le 1er juillet 2018, les branches qui affichent un taux de chômage élevé sont soumises à l'obligation de communiquer les postes vacants (cf. art. 21a LEI). Cette mesure offre aux chômeurs inscrits dans les offices régionaux de placement (ORP) une longueur d'avance en matière d'information concernant les postes vacants dans les branches qui affichent un taux de chômage d'au moins 8 %. Le 1er janvier 2020, ce seuil passera à 5 %. L'obligation d'annoncer les postes vacants, comme l'initiative visant à combattre la pénurie de personnel qualifié, visent à mieux exploiter le potentiel de la main-d'oeuvre en Suisse (cf. ch. 6.1.3 et 6.1.4).

Évolution des revenus et
des salaires Une étude récente sur l'évolution des revenus des immigrés20 réalisée par les universités de Saint-Gall et de Zurich a montré que les immigrés ont des revenus légèrement inférieurs à ceux des Suisses peu de temps après leur arrivée mais parviennent rapidement à rattraper cet écart. Ce constat vaut pour les personnes de tous les niveaux de formation. Si l'on observe l'évolution des salaires, on constate que les immigrés, en particulier ceux de l'espace UE, parviennent à s'intégrer rapidement et efficacement sur le marché du travail.

L'absence d'écarts majeurs ou durables entre les revenus des immigrés et ceux des Suisses présentant le même profil contredit l'argument selon lequel la discrimination salariale ou les très faibles salaires des immigrés engendreraient des effets d'éviction sur le marché du travail.

18 19 20

Favre, Sandro et al. (2013).

Sheldon, George et Dominique Cueni (2011).

Favre, Sandro et al. (2018).

4819

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Dans l'ensemble, les salaires nominaux en Suisse ont progressé en moyenne de 1,1 % entre 2005 et 2017 et les salaires réels de 0,7 % par an. L'analyse de l'évolution des salaires en fonction du niveau de formation montre qu'entre 2002 et 2016, les salaires des actifs titulaires d'un diplôme d'une université ou d'une haute école ont connu une progression inférieure à la moyenne. Ainsi, l'immigration de personnes hautement qualifiées provenant de l'espace UE/AELE a eu un certain effet atténuateur. À noter que les salaires des personnes sans formation professionnelle achevée affichent une croissance légèrement supérieure à celle des autres catégories21.

2.3.3

Régions frontalières

En Suisse, la libre circulation des personnes a eu des répercussions variables d'une région à l'autre. Ces dernières années, la Suisse romande et le Tessin ont non seulement enregistré une immigration nette supérieure à celle de la Suisse alémanique, mais également une croissance plus élevée de l'emploi frontalier, ce qui a parfois renforcé la concurrence sur le marché du travail dans ces régions. Point positif à signaler: entre 2010 et 2018, le taux d'activité des personnes âgées de 15 à 64 ans a progressé dans chacune des trois régions linguistiques. Le Tessin et la Suisse romande sont aussi parvenus à mieux exploiter le potentiel de la main-d'oeuvre en Suisse.

Sur le plan structurel, en revanche, la Suisse romande et le Tessin affichent des taux de chômage plus élevés que la Suisse alémanique. Au Tessin, le taux de chômage a connu une forte hausse en 2013, mais depuis, la situation sur le marché du travail s'est quelque peu détendue. En Suisse romande, par contre, ce taux stagne à un niveau élevé22.

2.3.4

Sécurité sociale

Le 14e rapport de l'Observatoire sur la libre circulation des personnes23 réfute toute détérioration de l'intégration de la population établie en Suisse sur le marché du travail ainsi que toute hausse du recours aux prestations de l'aide sociale qui serait liée à l'immigration et ce, malgré une immigration de main-d'oeuvre parfois élevée.

Assurance-chômage En 2016, le taux de salariés, proche du taux d'activité, s'élevait à 85 % de l'ensemble des personnes ayant immigré dans le cadre de l'ALCP, ce qui représente une 21

22

23

Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Secrétariat d'État aux migrations (SEM), Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Office fédéral de la statistique (OFS) (2018), p. 26 s.

Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Secrétariat d'État aux migrations (SEM), Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Office fédéral de la statistique (OFS) (2018), p. 87 ss.

Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Secrétariat d'État aux migrations (SEM), Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Office fédéral de la statistique (OFS) (2018).

4820

FF 2019

participation au marché du travail très élevée. De plus, la participation au marché du travail augmente avec la durée du séjour, ce qui montre que les personnes qui ont immigré en Suisse à la suite d'un regroupement familial sous le régime de l'ALCP tendent elles aussi à exercer une activité lucrative par la suite.

Par contre, les immigrés au titre de l'ALCP, notamment ceux d'Europe du Sud et de l'Est, sont davantage exposés au risque de chômage que les Suisses24. Ce phénomène s'explique avant tout par le fait qu'ils sont plus souvent actifs dans des branches et des professions où le chômage conjoncturel ou structurel est plus fréquent. D'une part, il s'agit souvent d'engagements saisonniers: en raison du cadre réglementaire, la main d'oeuvre saisonnière ne peut être recrutée que dans la zone UE/AELE, et non plus dans les États tiers, de sorte que le risque de chômage s'est déplacé sur les immigrés au titre de l'ALCP. D'autre part, ces dernières années, une main d'oeuvre vouée à exercer des activités peu qualifiées a été particulièrement sollicitée et son recrutement s'est fait en partie dans la zone UE, la seule maind'oeuvre déjà présente en Suisse ne suffisant pas.

Le risque accru de chômage qu'affichent les ressortissants de certains États de l'UE du fait qu'ils sont plus souvent employés dans des activités saisonnières se reflète également dans le bilan de l'assurance-chômage. En 2016, les ressortissants de l'UE/AELE comptaient pour 24,4 % des cotisations versées à l'assurance-chômage et 31,0 % des indemnités de l'assurance-chômage versées. Quant aux ressortissants suisses, ils comptaient pour 70,4 % des cotisations versées à l'assurance-chômage mais seulement 55,0 % des indemnités de l'assurance-chômage perçues. Ces chiffres montrent que, du fait de leur situation professionnelle, les Suisses présentent un risque de recours à l'assurance-chômage nettement inférieur à la moyenne. Enfin, ces taux s'élèvent à 5,2 % pour les cotisations et 14,0 % pour les indemnités s'agissant des ressortissants d'États tiers.

Assurance-vieillesse et survivants (AVS) S'agissant de l'AVS, les chiffres de 2017 montrent que les ressortissants étrangers ont contribué de façon déterminante au financement et au maintien de cette institution sociale. Les ressortissants de l'UE/AELE comptent pour 25,8 % des cotisations
versées mais seulement 16,0 % des indemnités perçues. Sans immigration en provenance de l'UE/AELE, le résultat de la répartition de l'AVS aurait été négatif déjà en 2009. À long terme, cependant, les cotisations versées donnent naturellement droit à des rentes, qui grèveront l'AVS.

Assurance-invalidité (AI) Les étrangers ne perçoivent pas plus d'indemnités de l'AI que les Suisses. Parmi les nouveaux inscrits à l'AI, les étrangers sont légèrement plus nombreux que les Suisses (2016: 1,05 % contre 1,10 %). Pour autant, un nombre d'inscriptions plus élevé n'est pas synonyme de hausse des prestations perçues: ­

24

Environ 249 200 rentes d'invalidité ont été versées en 2017: 71 % à des ressortissants suisses et 29 % à des étrangers.

En 2018, le taux de chômage des ressortissants de l'UE/AELE était de 4,2 %, contre 1,9 % pour les Suisses et 6,0 % pour les ressortissants d'États tiers.

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­

Toujours en 2017, les rentes représentaient 60 % du volume des dépenses de l'AI. La part versée à des Suisses est de 77 %, celle (convertie en francs suisses) versée à des étrangers de 23 %25.

L'ALCP n'a pas entraîné de hausse du nombre de bénéficiaires de rentes de l'AI.

Après un pic en 2005, le taux de croissance du nombre de rentiers a régulièrement diminué. Depuis 2011, tous les groupes de nationalités ont affiché un recul. Cette tendance est plus prononcée pour les ressortissants de l'UE/AELE que pour les Suisses26.

Aide sociale L'aide sociale constitue le dernier filet du système de protection sociale suisse. Son organisation relève des cantons et des communes. Les ressortissants de l'UE/AELE sont en principe autorisés à demander des prestations de l'aide sociale. Dans la mesure où ils disposent d'une autorisation de séjour ou d'un permis d'établissement, ils bénéficient à cet égard du même traitement que les ressortissants nationaux. Sont toutefois explicitement exclues de l'aide sociale les personnes qui se sont rendues en Suisse pour y trouver un emploi (art. 29a LEI). Les autres personnes sans activité lucrative (rentiers, étudiants, etc.) qui justifient d'un droit de séjour au titre de l'ALCP doivent disposer de moyens financiers suffisants pour couvrir leur séjour. Si elles perçoivent des prestations d'aide sociale, ces personnes peuvent se voir retirer leur droit de séjour.

En 2016, le taux de recours à l'aide sociale s'élevait à 2,3 % pour les Suisses, à 3,0 % pour les ressortissants de l'UE/AELE et à 6,3 % pour l'ensemble des étrangers27.

2.3.5

Autres domaines

L'immigration compte pour beaucoup dans la croissance démographique. La hausse du nombre d'habitants en Suisse a une incidence sur l'utilisation des infrastructures, la consommation d'énergie et le trafic. Il n'en reste pas moins que la croissance démographique n'est qu'un facteur d'influence parmi d'autres. D'autres éléments et d'autres conditions-cadres sont responsables de ces changements. Diverses mesures ont déjà été prises dans les domaines concernés afin que la Suisse soit en mesure de faire face à de futurs changements des conditions-cadres.

Marché du logement La demande de logements est liée à l'évolution économique, à l'évolution des salaires et de la population ainsi qu'au climat de consommation.

25 26

27

Office fédéral des assurances sociales (OFAS) (2018).

Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Secrétariat d'État aux migrations (SEM), Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Office fédéral de la statistique (OFS) (2018), p. 30.

Secrétariat d'État à l'économie (SECO), Secrétariat d'État aux migrations (SEM), Office fédéral des assurances sociales (OFAS), Office fédéral de la statistique (OFS) (2018), p. 36 ss.

4822

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Depuis l'introduction de la libre circulation des personnes, la Suisse a connu aussi bien des phases de pénurie que des phases d'offre excédentaire, comme aujourd'hui (malgré des disparités régionales). Par endroits, une augmentation de la population peut créer des tensions sur le marché du logement, tandis qu'ailleurs, elle peut être vivement souhaitée pour éviter qu'un trop grand nombre de logements restent vacants.

Ces 40 dernières années, la consommation de surface habitable moyenne par personne a nettement augmenté. Des modèles de calcul favorisant les comparaisons permettent d'établir que cette surface a progressé de 5 m2 par décennie entre 1980 et 2000, puis de 2 m2 entre 2000 et 2012.

Le fait que la surface habitable affiche une hausse moins marquée depuis 2000 et soit stable depuis 2012 s'explique de plusieurs manières. Ces dernières années, la surface habitable par nombre de pièces des logements nouvellement construits est repartie à la baisse. Que ce soit en chiffres relatifs ou absolus, les constructions de maisons familiales ont été moins nombreuses que par le passé. La révision de la loi du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire28 pourrait avoir joué un rôle en la matière.

Transports Disposer d'un système de transport efficace est essentiel pour la population et l'économie suisse. Par le passé, la croissance de la mobilité était principalement dictée par la croissance de la population et de l'économie, mais également par des changements structurels tels que le développement des infrastructures et les offres de transport, la baisse des prix relatifs de l'énergie, une répartition des tâches plus intense sur le plan tant national qu'international, ou encore une plus grande séparation entre habitat, travail, commerces et loisirs.

Les perspectives d'évolution du transport 2040 de l'Office fédéral du développement territorial29 dresse un scénario de référence (évolutions de fond comme par le passé, mais également tendances telles que le vieillissement de la population et les nouvelles formes de travail), selon lequel les prestations annuelles de transport en matière de trafic voyageurs vont augmenter de 25 % de 2010 à 2040 et atteindre 145 milliards de personnes-kilomètres. S'agissant du fret, les prestations (en tonnes transportées) vont sur la même période progresser de 37 %,
pour passer à 37 milliards de tonnes-kilomètres.

Des aménagements supplémentaires du transport routier et des transports publics seront nécessaires pour absorber l'augmentation du trafic. La création de deux fonds spéciaux, le fonds d'infrastructure ferroviaire (FIF) et le fonds pour les routes nationales et le trafic d'agglomération (FORTA), a donné une assise solide et durable au financement des infrastructures terrestres d'importance nationale dans un avenir prévisible. Cependant, gérer la forte croissance des transports uniquement par des aménagements ne serait pas judicieux. C'est pourquoi la Confédération cherche à utiliser au mieux les infrastructures existantes en s'appuyant sur des mesures ciblées.

28 29

RS 700 Office fédéral du développement territorial (2016).

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Énergie À court terme, la consommation d'énergie dépend surtout des conditions météorologiques: la quantité d'énergie employée à des fins de chauffage est plus élevée lors d'un hiver froid que lors d'un hiver doux. À long terme, la croissance de la consommation d'énergie dépend de l'évolution du prix des énergies, des progrès technologiques (gains d'efficacité énergétique) et des mesures politiques adoptées pour réduire la consommation d'énergie (stratégie énergétique 2050). L'évolution économique et la croissance démographique, de même que des facteurs dérivés (comme la surface de référence énergétique ou le nombre de voitures) peuvent également jouer un rôle.

Les études de systèmes réalisées récemment par l'Office fédéral de l'énergie (OFEN) et la Commission fédérale de l'électricité30 incluent aussi la situation dans les pays qui fournissent de l'électricité à la Suisse. Ces analyses montrent que, jusqu'en 2025 au moins, la sécurité de l'approvisionnement de la Suisse n'est pas menacée.

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

L'initiative de limitation demande que l'immigration des étrangers en Suisse se fasse sans libre circulation des personnes; de même, les nouveaux traités internationaux ne doivent accorder aucune libre circulation des personnes. Concrètement, l'initiative exige que l'ALCP cesse d'être en vigueur, par voie de négociation, dans un délai de douze mois à compter de l'acceptation de l'initiative. Si cet objectif n'est pas atteint, le Conseil fédéral doit dénoncer l'ALCP dans un délai supplémentaire de 30 jours.

Du point de vue des auteurs de l'initiative, l'introduction de la libre circulation des personnes a eu des conséquences principalement négatives, en particulier dans les domaines mentionnés au ch. 2.3. Les initiants reprochent en outre au Conseil fédéral et au Parlement de ne pas avoir mis en oeuvre l'initiative populaire fédérale «Contre l'immigration de masse» avec l'introduction de l'obligation de communiquer les postes vacants (cf. ch. 6.1)31.

3.2

Commentaire du texte de l'initiative

3.2.1

Art. 121b P-Cst.

Il est proposé d'inscrire dans le texte constitutionnel un nouvel art. 121b intitulé «Immigration sans libre circulation des personnes».

L'al. 1 du projet de disposition constitutionnelle propose que la Suisse règle l'immigration des étrangers de manière autonome. Tant le titre de l'article constitutionnel 30 31

Office fédéral de l'énergie (OFEN) (2017).

Argumentaire du comité d'initiative de l'initiative populaire fédérale «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)», p. 4.

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que son al. 2 indiquent clairement que le système d'admission doit à l'avenir être organisé de manière à n'accorder la libre circulation des personnes à aucun ressortissant étranger.

L'al. 2 dispose qu'aucun nouveau traité international ne sera conclu et aucune autre nouvelle obligation de droit international ne sera contractée qui accorderaient un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers. Cette disposition vise à empêcher la conclusion d'accords qui accorderaient la libre circulation des personnes après que l'initiative a été acceptée.

En vertu de l'al. 3 du texte de l'initiative, ni les traités internationaux en vigueur, ni d'autres obligations de droit international ne pourront être modifiés ou étendus d'une manière qui soit en contradiction avec les al. 1 et 2.

3.2.2

Art. 197, ch. 12, P-Cst.

Conformément à l'al. 1, le Conseil fédéral doit mener des négociations avec l'UE de manière à ce que l'ALCP cesse d'être en vigueur dans les douze mois qui suivront l'éventuelle acceptation de l'initiative.

L'al. 2 prévoit que si les négociations échouent, le Conseil fédéral devra dénoncer l'ALCP dans un délai supplémentaire de 30 jours.

3.3

Interprétation et explication du texte de l'initiative

L'interprétation de la Constitution ­ comme celle des lois et ordonnances ­ s'appuie en premier lieu sur la formulation de la norme (élément d'interprétation grammaticale). Lorsque le texte est peu clair ou qu'il permet plusieurs interprétations, il convient d'en déterminer la portée véritable en considérant d'autres éléments d'interprétation tels que la genèse de la norme (élément d'interprétation historique) et son but (élément d'interprétation téléologique). Il est également important de tenir compte du sens qui se dégage de la norme dès lors qu'elle est placée en contexte avec d'autres dispositions (élément d'interprétation systématique). Dans l'interprétation de la loi comme de la Constitution, aucun élément ne peut s'appliquer de manière privilégiée, et encore moins de manière exclusive. Il faut, au contraire, considérer l'ensemble des éléments d'interprétation et déterminer, dans chaque cas, quelle méthode (ou combinaison de méthodes) est la plus propre à restituer le véritable sens de la norme à interpréter (pluralisme des méthodes).

Relation avec les art. 121a et 197, ch. 11, Cst.

En cas d'acceptation de l'initiative de limitation, l'art. 121a Cst. resterait (inchangé) dans la Constitution. La comparaison entre l'art. 121a Cst. et l'art. 121b P-Cst.

révèle un certain nombre de redondances mais également de différences et met en évidence le fait que l'acceptation de l'initiative de limitation rendrait l'interprétation cohérente («harmonisante») des art. 121, 121a Cst. et 121b P-Cst. plus difficile:

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L'art. 121 Cst. accorde à la Confédération la compétence générale de légiférer dans le domaine des étrangers. Les art. 121a Cst. et 121b P-Cst. réglementent la manière dont la Confédération doit faire usage de cette compétence législative dans le domaine de la gestion de l'immigration. Si l'art. 121a Cst. prévoit un système de gestion de l'immigration fondé sur des nombres maximums et des contingents, l'art. 121b P-Cst. dispose que l'immigration ne doit pas être réglementée avec des États en particulier par un système de libre circulation des personnes.

La teneur des deux premiers alinéas des art. 121b P-Cst. (régulation autonome de l'immigration) et 121a Cst. (gestion autonome de l'immigration) est quasi identique.

La notion de gestion implique un contrôle plus fort que la régulation et met davantage l'accent sur l'autonomie.

De même, l'art. 121b, al. 2, P-Cst. est comparable à l'art. 121a, al. 4, Cst., selon lequel aucun (nouveau) traité (international) ne sera conclu (et aucune autre nouvelle obligation de droit international contractée) qui accorderaient un régime de libre circulation des personnes à des ressortissants étrangers (initiative de limitation), ou contraire au présent article (art. 121a, al. 4, Cst.). La précision apportée par l'initiative de limitation réside dans la notion de régime de libre circulation des personnes.

En revanche, les dispositions transitoires des deux initiatives présentent des différences essentielles. L'art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst. (initiative de limitation) exige, en effet, que des négociations soient menées avec l'UE afin que l'ALCP cesse d'être en vigueur dans les douze mois. Selon l'art. 197, ch. 11, al. 1, Cst., par contre, les traités internationaux contraires à l'art. 121a doivent être renégociés et adaptés dans un délai de trois ans à compter de l'acceptation dudit article par le peuple et les cantons. Or le Conseil fédéral a déjà mené des entretiens avec l'UE sur ce dossier, dans le cadre de la mise en oeuvre de l'art. 121a Cst., mais ils n'ont débouché sur aucun résultat concret. Malgré les efforts intenses déployés par la Suisse (et par le Royaume-Uni, avant la votation sur le Brexit), l'UE a montré qu'elle n'était pas disposée à renégocier la libre circulation des personnes32.

L'initiative de limitation va plus loin que les art. 121a et 197,
ch. 11, Cst. notamment dans la mesure où il appartient désormais expressément au Conseil fédéral de dénoncer l'ALCP, dans un délai supplémentaire de 30 jours, en cas d'échec des négociations menées avec l'UE, pour que «l'ALCP cesse d'être en vigueur».

L'initiative contre l'immigration de masse et le droit constitutionnel en vigueur laissent en revanche ouverte la question de savoir que faire si les négociations sur l'ALCP à mener avec l'UE n'aboutissent pas, ce qui est d'ailleurs le cas jusqu'à présent. Dans ce cas de figure, l'initiative de limitation oblige explicitement le Conseil fédéral à dénoncer l'ALCP dans un délai supplémentaire de 30 jours.

Art. 121b, al. 1, P-Cst.

Cette disposition prévoit que la Suisse règle l'immigration des étrangers de manière autonome. Il ressort du titre de l'art. 121b, P-Cst. et de son al. 2 que le caractère 32

Voir la réponse de l'UE du 24. 7.2014., disponible sur www.europa.admin.ch > Accords bilatéraux > Vue d'ensemble > Accords bilatéraux I (1999) > Libre circulation des personnes > Réponse de l'UE à la demande de révision suisse de l'ALCP (en anglais).

4826

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autonome de la régulation de l'immigration doit inclure un système d'admission sans libre circulation des personnes. La gestion ou la régulation autonome de l'immigration se font de manière unilatérale et indépendante et ne doivent pas dépendre de la volonté d'une autre partie contractante. Qui plus est, elles ne portent que sur les étrangers qui souhaiteront à l'avenir entrer en Suisse. À noter qu'une régulation autonome de l'immigration n'exclut pas la possibilité pour la Suisse d'accorder un statut privilégié en matière d'admission à certains États et dans un cadre clairement défini, pour autant que ce statut n'accorde pas de libre circulation des personnes.

De plus, cette disposition a aussi un caractère programmatoire. Comme pour l'art. 121a Cst., les termes «immigration» et «régulation [gestion] autonome» ont besoin d'être interprétés. L'immigration se produit lorsque des personnes quittent leur ancien lieu de résidence soit individuellement soit collectivement pour s'installer ailleurs de façon durable, ou du moins pour une assez longue période. Il n'y a immigration ni en cas de séjour d'une durée maximale d'un an, ni dans le cas de frontaliers qui conservent leur résidence à l'étranger.

Art. 121b, al. 2, P-Cst.

Cette disposition précise par quels moyens l'objectif d'une régulation autonome visé à l'art. 121b, al. 1, P-Cst doit être atteint. L'al. 2 entend empêcher que les étrangers se voient accorder des droits de libre circulation («régime de libre circulation des personnes»). Il interdit de conclure des traités internationaux ou de contracter d'autres obligations de droit international qui accorderaient de tels droits aux ressortissants des États parties concernés. La signification à inférer au sujet de l'interdiction de contracter une «nouvelle obligation de droit international» associée à l'interdiction de conclure «aucun nouveau traité international» devrait s'avérer limitée. En effet, des obligations découlant de principes généraux du droit ou du droit international coutumier ne sauraient être contractées (de manière active). Dans la pratique, il faudrait en tout état de cause déterminer quels actes, concrètement, seraient ainsi susceptible d'être contracté (allemand: eingegangen; italien: assunti). La notion de libre circulation des personnes désigne en premier lieu la liberté
d'habiter et de travailler dans un autre État partie. À cet égard, le droit de prendre un emploi dans un autre État parti (liberté de circuler des travailleurs), d'y exercer une activité indépendante ou, lorsque les moyens financiers suffisants sont réunis, d'y séjourner joue un rôle central. Par ailleurs, la libre circulation des personnes (dans la dimension que lui confère l'ALCP) englobe un droit de séjour pour fournir des prestations dans une mesure limitée, la reconnaissance mutuelle des diplômes professionnels, la coordination des systèmes d'assurances sociales, l'égalité de traitement avec les nationaux en matière de versement de prestations sociales et le droit d'acquérir des immeubles.

Par contre, la notion de libre circulation des personnes ne couvre vraisemblablement pas les traités bilatéraux d'établissement par exemple, car ces traités visent uniquement à permettre des facilités en matière d'établissement des étrangers et non la libre circulation des personnes en tant que telle. Ne sont pas non plus réputés accorder la libre circulation des personnes au sens de l'al. 2 les accords de libre-échange qui facilitent l'admission de main-d'oeuvre en vue d'exercer certaines activités qualifiées

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en matière de prestation de services («échanges de cadres»). La Suisse resterait donc en mesure de conclure de tels accords.

Art. 121b, al. 3, P-Cst.

Si l'art. 121b, al. 2, P-Cst. se réfère à tout nouveau traité international, ou à toute autre nouvelle obligation de droit international, l'al. 3 inclut tout traité international, ou toute obligation de droit international, en vigueur. De tels traités ou obligations ne doivent pas être contraires aux al. 1 et 2, c'est-à-dire être modifiés ou étendus en accordant la libre circulation des personnes.

Art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst.

Cette disposition impartit au Conseil fédéral un délai de douze mois au plus à compter de l'acception de l'initiative pour négocier un abandon de l'ALCP. Ainsi, elle donne à la Suisse la possibilité de chercher une solution avec l'UE concernant la reconduction des accords bilatéraux I ou de régler les conséquences de la disparition des accords si les négociations devaient s'avérer infructueuses. Les négociations pourraient également porter sur la clause guillotine des différents accords. La clause guillotine ne serait pas applicable en cas de solution consensuelle avec l'UE pour que l'ALCP cesse d'être en vigueur. L'expérience a toutefois jusqu'à présent montré qu'il serait irréaliste d'envisager un abandon de l'ALCP ou de la clause guillotine par la voie de la négociation (cf. cf. 4.2.5).

Art. 197, ch. 12, al. 2, P-Cst.

Si l'objectif d'obtenir par la négociation que l'ALCP cesse d'être en vigueur dans le délai fixé à l'art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst. n'était pas atteint, le mandat de dénonciation prévu par l'al. 2 de la disposition transitoire serait déclenché. Cette disposition désigne également l'organe fédéral habilité à dénoncer l'accord, et même tenu de le faire, à savoir le Conseil fédéral. L'art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst. ne prévoit pas de procédure d'approbation par le Parlement ou d'acceptation par le peuple. L'ALCP et les autres accords bilatéraux I cesseraient d'être en vigueur six mois plus tard.

4

Appréciation de l'initiative

Les commentaires suivants s'emploient à donner une appréciation de l'initiative. Ils montrent, entre autres, l'impact qu'aurait son acceptation pour l'économie suisse et les relations bilatérales avec l'UE. Faisant suite au ch. 4, le ch. 5 présente l'importance de l'immigration à la lumière de l'évolution démographique et des changements structurels entraînés notamment par la numérisation. Dans ce cadre, le ch. 6 décrit les mesures existantes et des mesures complémentaires. L'initiative est replacée dans un contexte plus large.

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4.1

Appréciation du but général de l'initiative

L'initiative de limitation nécessite une réorientation fondamentale de la politique de la Suisse dans le domaine de l'admission des étrangers. Elle vise à ce que l'ALCP cesse d'être en vigueur ou soit dénoncée, de même qu'à empêcher la conclusion de nouveaux traités internationaux qui accorderaient la libre circulation des personnes.

L'ALCP revêt une importance capitale pour l'économie suisse et la sauvegarde de l'emploi. Il permet aux entreprises de puiser, avec souplesse et sans trop de contraintes administratives, dans un large bassin européen de travailleurs. C'est ainsi qu'à ce jour, l'ALCP a contribué dans une large mesure à atténuer la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Des sept accords bilatéraux conclus avec l'UE dans le cadre des Bilatérales I, l'ALCP est celui qui a le plus grand impact sur notre économie; le prix de sa suppression serait donc extrêmement élevé33.

Le Conseil fédéral ne conteste pas que l'immigration générée par la croissance économique entraîne la nécessité de relever toute une série de défis. Aussi a-t-il décidé de continuer à préserver la compétitivité de la main-d'oeuvre résidante, notamment âgée, de mieux intégrer certains groupes d'étrangers ayant le droit de séjourner en Suisse dans le marché du travail. En outre, il est prévu de mettre en place une prestation transitoire visant à atténuer certains effets sociaux en faveur des travailleurs d'un certain âge et de condition économique modeste en fin de droits (cf. ch. 6.2).

En raison du changement démographique et de la numérisation croissante, la Suisse continuera par ailleurs, en complément de son potentiel indigène, d'être tributaire de sa capacité à recruter à l'étranger de la main-d'oeuvre sujette à pénurie, en particulier celle qualifiée. Elle est, à cet égard, en concurrence avec d'autres pays occidentaux, confrontés à une évolution similaire, ce qui devrait compliquer le recrutement de spécialistes en provenance de ces pays. L'abandon de l'ALCP exigé par l'initiative, de même que l'interdiction générale de conclure de nouveaux traités internationaux qui accorderaient la libre circulation des personnes, réduiraient drastiquement le bassin de main-d'oeuvre qualifiée et occasionneraient des difficultés majeures pour l'économie et la société suisses.

Si la Suisse devait dénoncer l'ALCP de manière unilatérale
suite à l'acceptation de l'initiative et à l'impossibilité de trouver une solution à l'amiable avec l'UE afin de mettre fin à cet accord, la clause guillotine de l'ALCP entraînerait l'extinction automatique des autres accords des Bilatérales I six mois après réception de la notification de dénonciation de l'ALCP et la voie bilatérale que la Suisse a jusqu'ici empruntée dans ses relations avec l'UE s'en retrouverait fondamentalement remise en question.

33

BAK Basel (2015): «Die mittel- und langfristigen Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I auf die Schweizerische Volkswirtschaft», Ecoplan (2015): «Volkswirtschaftliche Auswirkungen eines Wegfalls der Bilateralen I ­ Analyse mit einem Mehrländergleichgewichtsmodell».

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4.2

Conséquences en cas d'acceptation de l'initiative

4.2.1

Extinction de l'ALCP

L'initiative de limitation exige explicitement que l'ALCP cesse d'être en vigueur ou qu'il soit dénoncé. En cas d'acceptation de l'initiative de limitation, les dispositions de la LEI concernant l'admission et le séjour des étrangers applicables aux ressortissants de pays tiers vaudraient également pour les ressortissants des pays membres de l'UE/AELE, et ce, dès l'échéance des délais prévus à l'art. 197, ch. 12, P-Cst. (cf.

ch. 4.2.5).

Conséquences économiques d'un abandon de l'ALCP L'ALCP constitue un pilier central des accords bilatéraux conclus avec l'UE. Il revêt une grande importance pour les relations économiques étroites tissées entre la Suisse et l'UE. Élaboré en 2015 par le Secrétariat d'État à l'économie (SECO), le rapport intitulé «Conséquences économiques d'une extinction des Accords bilatéraux I» met en lumière l'importance l'ALCP pour l'économie: un contingentement de l'immigration se traduirait par une réduction de l'offre de main-d'oeuvre et rendrait le processus de recrutement plus coûteux. L'augmentation des coûts pour les entreprises entraîne une baisse de la productivité et une diminution de la compétitivité internationale. Ces facteurs se répercutent ensuite sur la performance économique globale. À elle seule, l'extinction de l'ALCP suffirait à faire baisser notre PIB de 3,0 à 4,5 % à l'horizon 2035 par rapport au scénario de référence.

Ces dernières années, l'ouverture du marché du travail suisse aux États de l'UE/ AELE a permis à l'économie suisse d'atteindre une croissance économique et de l'emploi supérieure à la moyenne. La demande accrue de biens et de prestations de services suisses enregistrée depuis l'entrée en vigueur des accords bilatéraux I a pu être satisfaite grâce à la disponibilité de la main-d'oeuvre garantie par l'ALCP.

Même durant les périodes de basse conjoncture et pendant la crise financière de 2009, l'immigration a eu un effet stabilisateur sur l'économie intérieure helvétique; elle a donc également eu un effet positif sur l'emploi. Ces dernières années, la consommation privée et le secteur de la construction, en particulier, ont été largement soutenus par l'immigration.

Une étude commandée par Swissmem pour l'industrie des machines, l'industrie électrique et la métallurgie34 confirme l'importance de l'ALCP pour ces branches.

Selon l'enquête réalisée
dans le cadre de l'étude, l'atout principal de l'ALCP réside en effet dans les échanges de main-d'oeuvre entre la Suisse et l'UE et l'amélioration de la situation en matière de main-d'oeuvre engendrée de ce fait dans les entreprises.

Trois quarts des entreprises interrogées ont déclaré que l'ALCP leur permettait de recruter la main-d'oeuvre adaptée à leurs besoins. Près de la moitié d'entre elles sont parvenues à accroître leur capacité d'innovation en procédant à des recrutements stratégiques. Dans l'ensemble, elles estiment que l'accord permet également d'optimiser les processus commerciaux liés aux ressources humaines.

34

BAK Basel (2015): «Die Auswirkungen der bilateralen Verträge auf die Unternehmen der MEM-Industrie».

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L'immigration induite par la libre circulation des personnes est donc aujourd'hui étroitement liée aux besoins du marché du travail, et ce, tant sur le plan quantitatif que du point de vue qualitatif. En outre, les niveaux du chômage et de l'immigration favorisée par l'ALCP ont évolué en sens contraire: si l'immigration a augmenté à chaque période de haute conjoncture et de baisse du chômage, elle a suivi par contre une tendance opposée pendant les périodes de croissance faible ou même négative et de hausse du chômage. La capacité d'attirer des professionnels étrangers a d'autant plus d'importance dans le contexte du vieillissement démographique, puisqu'elle se traduit par une hausse de la proportion des personnes en âge de travailler.

Avec un système d'immigration contingentée, le recrutement de main-d'oeuvre serait beaucoup plus lourd sur le plan administratif pour les entreprises et des restrictions quantitatives à l'admission les priveraient de la sécurité requise dans le domaine de la planification. Si l'initiative était acceptée, la place suisse perdrait de son attrait, d'où une baisse de la productivité, une moindre croissance et, partant, des pertes d'emplois durables avec, en corollaire, une hausse du chômage structurel.

De surcroît, l'ALCP offre aux ressortissants suisses l'égalité des chances et l'égalité d'accès au vaste marché du travail de l'UE, de même que la possibilité de s'établir à des conditions facilitées dans l'UE. Près de 11 % de la population suisse vit à l'étranger. Fin 2018, on comptait ainsi non moins de 760 200 Suisses de l'étranger, dont plus de 62 % vivaient en Europe, majoritairement en France, en Allemagne et en Italie35. En cas de dénonciation de l'ALCP, la garantie de l'accès aux marchés du travail de l'UE ­ dont les citoyens suisses bénéficient aujourd'hui ­ tomberait également.

4.2.2

Remise en question des accords bilatéraux I

L'ALCP fait partie des sept accords bilatéraux I. Il est juridiquement lié aux six autres par la clause guillotine. En cas de dénonciation de l'ALCP, les six autres accords ­ obstacles techniques au commerce, marchés publics, agriculture, transports terrestres, transport aérien et recherche36 ­ cesseront donc automatiquement d'être applicables six mois après réception de la notification de dénonciation (art. 25, par. 4, ALCP). Cela remettrait en question non seulement l'accès privilégié de l'économie suisse au marché intérieur de l'UE, mais aussi la voie bilatérale poursuivie avec l'UE.

35 36

Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) (2019).

Est aujourd'hui en vigueur, dans le domaine de la recherche, l'Accord du 5 décembre 2014 de coopération scientifique et technologique entre la Confédération suisse et l'Union européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique associant la Confédération suisse au programme-cadre pour la recherche et l'innovation «Horizon 2020» et au programme de recherche et de formation de la Communauté européenne de l'énergie atomique complétant le programme-cadre Horizon 2020, et réglementant la participation de la Confédération suisse aux activités d'ITER menées par Fusion for Energy, RS 0.424.11, lequel établit le lien avec l'ALCP ­ ou sa dénonciation ­ à son art. 13, par. 4.

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Reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité L'accord de reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité (ARM)37 vise à supprimer les obstacles techniques au commerce. L'harmonisation des prescriptions relatives aux produits et la reconnaissance de l'équivalence des prescriptions au moyen de l'ARM ont considérablement réduit la charge administrative qui pèse sur les entreprises exportatrices ou importatrices qui commercent avec l'UE. L'accord facilite également encore davantage l'accès au marché pour les acteurs économiques suisses. Par exemple, il dispense les fabricants suisses de l'obligation d'avoir un représentant autorisé dans l'UE. Grâce à cet accord, les entreprises suisses sont soumises dans l'UE pour l'essentiel aux mêmes conditions d'accès au marché que leurs concurrents de l'UE. Elles profitent ainsi de coûts réduits et d'un raccourcissement des délais d'attente qui leur sont imposés avant de pouvoir commercialiser leurs produits dans toute l'Europe. De surcroît, les consommateurs bénéficient d'une variété de produits potentiellement plus large et de prix plus bas, car les produits homologués au sein de l'UE peuvent être commercialisés également en Suisse sans certification supplémentaire.

En 2017, les secteurs couverts par l'ARM représentaient plus de deux tiers du commerce entre la Suisse et l'UE dans le domaine des produits industriels. La même année, les 20 secteurs de produits couverts par l'ARM ont représenté un volume d'exportation vers l'UE de près de 75 milliards de francs et, à l'inverse, un volume d'importation depuis l'UE de plus de 73 milliards de francs. Ces chiffres incluent des produits pharmaceutiques et chimiques pour lesquels l'accord ne couvre que certaines parties de l'évaluation de conformité («bonnes pratiques de fabrication» et «bonnes pratiques de laboratoire»). Selon les estimations sectorielles, les économies réalisées par les entreprises suisses grâce à la reconnaissance des inspections dans le seul domaine des «bonnes pratiques de fabrication» sont de l'ordre de 150 à 300 millions de francs par an. Les fabricants suisses de dispositifs médicaux réalisent à eux seuls plus de 90 % de leur chiffre d'affaires à l'exportation (volume des exportations 2017: 11,3 milliards de francs suisses), dont environ la moitié vers l'UE.
Marchés publics L'accord sur les marchés publics38 élargit le champ d'application de l'accord de l'OMC sur les marchés publics, permettant ainsi aux entreprises de la Suisse et de l'UE d'accéder à des marchés publics supplémentaires (tels les appels d'offres des communes ou ceux lancés dans les secteurs des transports ferroviaires et de l'approvisionnement énergétique). Compte tenu de l'étendue des marchés publics européens, cet accès supplémentaire au marché ouvre de nouvelles perspectives pour l'industrie exportatrice et le secteur des services, ainsi que pour la création et le maintien d'activités économiques et d'emplois en Suisse.

37

38

Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d'évaluation de la conformité, RS 0.946.526.81.

Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics, RS 0.172.052.68.

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Recherche L'accord sur la recherche39 a jeté les bases d'une pleine participation de la Suisse aux programmes-cadres de recherche de l'UE40. Il revêt beaucoup d'importance pour la Suisse en tant que site de recherche et, indirectement, pour l'économie suisse, dans la mesure où il contribue de manière déterminante à préserver l'excellence internationale de la Suisse comme pôle de recherche public.

Transports aérien et terrestres Les deux accords sur les transports aérien et terrestres41 ouvrent aux entreprises suisses de nouvelles opportunités d'affaires sur des marchés qui leur étaient auparavant fermés. Grâce aux accords de transport, les fournisseurs suisses peuvent plus facilement opérer sur le marché européen dans ces secteurs et exploiter ainsi de potentielles économies d'échelle. Les accords sur les transports aérien et terrestres permettent d'améliorer les liaisons de transport, d'accroître l'efficacité du transport de marchandises et de simplifier l'accès pour les entreprises suisses de développement et de production. Une bonne intégration au réseau européen des transports est également une condition essentielle à l'attrait de la Suisse en tant que pôle sis au coeur de l'Europe. En outre, l'accord sur les transports terrestres conclu avec l'UE a permis à la Suisse d'imposer de manière le transfert modal (de la route vers le rail) prévu par la Suisse eu égard à sa politique en matière de transit alpin.

Agriculture L'accord sur l'agriculture42 facilite les échanges de produits agricoles entre la Suisse et l'UE. Il abolit, pour certains produits, les obstacles au commerce, qu'ils soient d'ordre tarifaire (par ex., libre-échange du fromage) ou non tarifaire (par ex., reconnaissance mutuelle des prescriptions sur les produits). Sur le plan tarifaire, il prévoit la libéralisation complète du marché du fromage et des concessions douanières mutuelles dans plusieurs secteurs (par ex., fruits et légumes, horticulture et spécialités à base de viande). Sur le plan non tarifaire, certaines prescriptions techniques sont reconnues comme équivalentes dans les domaines de la santé végétale, des aliments pour animaux, des semences, de l'agriculture biologique, de la viticulture et des spiritueux et des normes de qualité des fruits et légumes. Au surplus, l'annexe 11, officieusement baptisée «accord vétérinaire», établit un espace vétérinaire 39

40

41

42

Accord de coopération scientifique et technologique du 25 juin 2007 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et la Communauté européenne de l'énergie atomique, d'autre part, RS 0.420.513.1.

Depuis le 1er janvier 2017, la Suisse participe au 8e programme-cadre de recherche (PCR) «Horizon 2020» en tant qu'État intégralement associé, après n'avoir pu temporairement y participer qu'en tant que pays partiellement associé à la suite de l'acceptation de l'initiative populaire «Contre l'immigration de masse». L'association pleine et entière aux programmes-cadres de recherche de l'UE permet aux acteurs suisses de la recherche et de l'innovation d'être intégrés à des réseaux internationaux et de participer aux appels à projets et de bénéficier des financements européens.

Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur le transport aérien, RS 0.748.127.192.68; Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur le transport de marchandises et de voyageurs par rail et par route, RS 0.740.72.

Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne relatif aux échanges de produits agricoles, RS 0.916.026.81.

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commun entre la Suisse et l'UE qui permet la suppression mutuelle des contrôles vétérinaires aux frontières entre les parties. Enfin, l'accord sur l'agriculture protège, sur les territoires de la Suisse et de l'UE, une liste de dénominations de denrées alimentaires et de produits agricoles (appellation d'origine protégée [AOP] ou contrôlée [AOC] et indications géographiques protégées [IGP]). Par ailleurs, il apporte à la Suisse de nouvelles opportunités d'exportation avec son principal partenaire commercial: en 2017, environ 58 % des exportations agricoles suisses, pour un montant de 5,6 milliards de francs, ont eu pour destination des États membres de l'UE, tandis qu'environ 74 % de nos importations agricoles provenaient de l'UE. Dans le même temps, une protection importante à la frontière est maintenue pour les domaines de production sensibles de l'agriculture suisse, à l'instar des céréales, du lait ou de la viande.

Conséquences économiques d'un abandon des accords bilatéraux I Un accès au vaste marché intérieur européen au coût le plus bas possible est d'une importance capitale pour la Suisse. Entrés en vigueur en 2002, les accords bilatéraux I l'ont grandement facilité en créant entre la Suisse et l'UE, dans différents domaines, des conditions similaires à celles qui prévalent sur le marché intérieur de l'UE.

Le rapport du Secrétariat d'État à l'économie (SECO) de 2015 «Conséquences économiques d'une extinction des Accords bilatéraux I» montre qu'une dénonciation des accords bilatéraux I aurait d'importants effets négatifs pour l'économie nationale. La simulation établie dans le cadre de ce rapport, en cas d'extinction des accords bilatéraux I en 2017, laisse entrevoir un PIB inférieur d'environ 5 à 7 %, à l'horizon 2035, par rapport au scénario d'un maintien des accords bilatéraux I.

Ainsi, en moins de 20 ans, la disparition de ces accords coûterait à la Suisse la quasitotalité de son actuel revenu annuel, soit de 460 à 630 milliards de francs.

Un abandon des accords bilatéraux I entraînerait aussi des changements radicaux des conditions économiques. Au vu des défis méthodologiques posés par l'estimation des effets de cet abandon sur l'attrait de la place économique suisse et sur la sécurité juridique, la quantification de ces facteurs n'a pu être traitée qu'en partie. Il convient néanmoins de supputer que ses conséquences économiques excéderaient les résultats présentés dans les estimations.

4.2.3

Remise en question des accords bilatéraux II

Parallèlement à l'annulation des accords directement visés, on ne saurait exclure la possibilité ­ et donc le risque ­ que l'UE remette en question une série d'autres traités qu'elle estime être liés à l'ALCP. Ce risque pourrait concerner notamment les accords d'association à Schengen (AAS43) et à Dublin (AAD44), mais également d'autres accords45.

43 44 45

RS 0.362.31 RS 0.142.392.68 Par ex., accords sur l'Europe créative, Erasmus et Jeunesse ou Horizon Europe.

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Ni l'AAS ni l'AAD (qui ne prévoient pas de clause guillotine) ne sont formellement liés à l'ALCP. Une dénonciation de l'ALCP n'entraînerait donc pas forcément leur résiliation. Toutefois, en cas de cessation de l'ALCP, il y a bel et bien un risque que l'UE remette également en question ces deux accords. D'une part, parce qu'il s'agit là de deux éléments essentiels de la voie bilatérale; d'autre part, parce que, du point de vue de l'UE, la libre circulation des personnes constitue la base même sur laquelle s'est construite l'association de la Suisse à l'acquis de Schengen lors des négociations menées à ce sujet. L'AAS et l'AAD complètent l'ALCP en facilitant la mobilité dans l'espace Schengen. Au vu des interactions entre l'AAS et l'AAD, une dénonciation de l'AAS n'irait pas sans entraîner également celle de l'AAD, et vice versa (cf. art. 14, par. 2, AAD et art. 15, par. 4, AAS).

Conséquences économiques d'un abandon des accords bilatéraux II La coopération Schengen contribue à faciliter la mobilité dans le cadre de la libre circulation des personnes en supprimant les contrôles aux frontières intérieures et en renforçant la sécurité des frontières extérieures de l'Europe. Ces conditions facilitent les voyages et la politique d'uniformisation des visas est favorable au secteur touristique, les voyageurs n'ayant plus à obtenir un visa distinct pour voyager en Suisse.

La coopération Schengen crée également un espace commun de recherche au niveau européen aujourd'hui indispensable en matière de poursuites pénale. Le rattachement au Système d'information Schengen permet d'effectuer chaque année plus de 15 000 recherches en Suisse et à l'étranger. La coopération de Dublin est au coeur de la politique d'asile de la Suisse. Elle garantit qu'une demande d'asile n'est examinée que par un seul État de l'espace Dublin et empêche ainsi les requérants d'asile d'être repoussés d'un État à l'autre ou de déposer une nouvelle demande dans un autre État Dublin après un premier rejet de leur demande, ce qui aurait pour conséquent d'élever la charge administrative et d'augmenter le nombre de demandes d'asile.

De plus, les accords bilatéraux II profitent à la Suisse sur les plans économique et financier. Au début de l'année 2018, le Conseil fédéral a exposé les conséquences économiques et financières de l'association
de la Suisse à Schengen/Dublin dans un rapport élaboré en exécution du postulat 15.3896 «Avantages économiques de la coopération Schengen»46. L'arrêt de la coopération Schengen/Dublin pèserait sur le secteur public à hauteur de 220 millions de francs suisses nets par an au plus. Des investissements supplémentaires ne permettraient pas non plus de compenser les lacunes en matière de sécurité qui en résulteraient. Si un terme devait être mis aux accords de Schengen et de Dublin, la perte de revenu annuelle pour l'économie suisse pourrait atteindre 11 milliards de francs.

46

Le rapport est disponible sous www.parlement.ch > 15.3896 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

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4.2.4

Effets sur d'autres accords

La Suisse est membre de l'Association européenne de libre-échange (AELE). L'initiative exige explicitement l'abandon ou la dénonciation de l'ALCP. Toutefois, le texte de l'initiative n'exige pas expressément que la convention AELE soit dénoncée. En cas de dénonciation de l'ALCP, il ne sera pas possible de maintenir telle quelle la convention AELE, cette dernière étant en principe fondée sur les accords bilatéraux que la Suisse a conclus avec l'UE. L'immigration des pays de l'AELE vers la Suisse est faible: en 2018, elle ne s'est élevée qu'à 385 personnes, soit environ 0,3 % de l'immigration totale. Même le maintien de la convention AELE serait donc loin de pouvoir compenser le tarissement du bassin des travailleurs qualifiés de l'UE.

L'art. 6 de l'Accord-cadre du 3 décembre 2008 entre la Confédération suisse et la Principauté de Liechtenstein sur la coopération concernant la procédure de visa, l'entrée et le séjour ainsi que sur la coopération policière dans la zone frontalière47 prévoit une reconnaissance de la libre circulation des personnes. L'acceptation de l'initiative aurait donc également des répercussions sur les réglementations que la Suisse a conclues avec la Principauté de Liechtenstein.

En principe, la libre circulation des personnes n'est pas accordée aux États membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'accord général sur le commerce des services (AGCS) s'applique en principe à tous les secteurs principaux des services et aux principales formes du commerce international des services. L'AGCS prévoit, en faveur des cadres et des spécialistes hautement qualifiés qui sont transférés temporairement en Suisse par des entreprises étrangères, des facilités applicables dans la limite des nombres maximums. Un certain nombre d'accords de libreéchange que la Suisse a conclus avec des pays non-membres de l'UE/AELE prévoient même qu'en cas d'épuisement des contingents, les nombres maximums ne peuvent être invoqués à l'encontre des transferts de cadres et de spécialistes. Toutefois, le groupe de personnes qui peuvent bénéficier de cette réglementation est très limité et n'a donc, globalement, que peu d'incidence en termes de chiffres. L'acceptation de l'initiative n'aurait donc aucun impact dans ce domaine.

4.2.5

Mise en oeuvre de l'initiative

L'initiative de limitation met l'accent en premier lieu sur les négociations à mener avec l'UE afin que l'ALCP cesse d'être en vigueur, ainsi que sur sa dénonciation en cas d'échec de ces négociations (art. 197, ch. 12, P-Cst.). En outre, elle exige que l'immigration soit réglée de manière autonome conformément aux prescriptions du nouvel art. 121b P-Cst., y compris pour les ressortissants des États membres de l'UE/AELE. La LEI servirait désormais de base légale à la réglementation du séjour des ressortissants des États membres de l'UE/AELE. Dans le contexte du régime LEI actuellement applicable aux ressortissants de pays tiers, cela signifierait notamment ce qui suit pour les ressortissants UE/AELE: limitation de l'immigration par un 47

RS 0.360.514.2

4836

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nombre maximum (art. 20 LEI), priorité des travailleurs en Suisse (art. 21 LEI) et limitation de l'admission aux seuls travailleurs qualifiés (art. 23 LEI).

Toutefois, l'initiative demande explicitement que l'ALCP cesse d'être en vigueur en accord avec l'UE, par le biais de négociations. En cas de succès des négociations, la clause guillotine (art. 25, par. 4, ALCP) ne serait pas applicable puisque la dénonciation ne serait pas unilatérale.

L'initiative ne se prononce pas sur la question de savoir si, et dans l'affirmative, comment, la Suisse doit préserver les accords bilatéraux I en cas de dénonciation unilatérale de l'ALCP. La réponse à cette question repose en principe sur deux scénarios.

D'une part, la Suisse pourrait tenter d'échapper à la clause guillotine par la négociation. Toutefois, la clause guillotine qui figure dans l'ALCP constitue une condition sine qua non posée par l'UE pour l'accès à son marché intérieur dans le cadre des Bilatérales I. Lors des négociations sur l'accord institutionnel, la Suisse a d'ailleurs déjà tenté en vain de supprimer la clause guillotine des accords bilatéraux I. L'UE s'est catégoriquement opposée à cette revendication.

D'autre part, la Suisse pourrait s'efforcer de renégocier les accords bilatéraux I dans le cadre d'éventuelles négociations menées en vue d'un «abandon de l'ALCP».

Comme l'ont montré les expériences réalisées en lien avec la mise en oeuvre de l'initiative contre l'immigration de masse, envisager que l'UE adopte un mandat de négociation pour ces deux objectifs (extinction de l'ALCP ou renégociation des accords bilatéraux I) n'est nullement réaliste. En effet, pour l'UE, la libre circulation des personnes constitue toujours une condition sine qua non pour accéder à son marché intérieur (quatre libertés fondamentales). Cela a également été démontré lors des négociations sur le Brexit. En outre, si l'on songe que le processus de négociation des Bilatérales I avait duré cinq ans en tout, on se rend compte que le délai de douze mois fixé par l'initiative pour la conclusion des négociations pourrait difficilement suffire. À cet égard, les négociations relatives au Brexit entre l'UE et le Royaume-Uni illustrent bien toute la problématique de la définition d'un calendrier.

Vu les très courts délais de négociation et de dénonciation prévus dans
l'initiative et dans l'ALCP, la Suisse courrait donc réellement le risque de se retrouver en situation de vide juridico. L'ALCP et les autres accords bilatéraux I deviendraient automatiquement caducs six mois après réception de la notification de dénonciation, très probablement sans qu'aucun accord transitoire n'ait pu être conclu avec l'UE dans des domaines pourtant cruciaux pour la Suisse.

4.2.6

Conséquences pour les finances et le personnel

Les coûts qui seraient engagés si l'ALCP et les autres accords bilatéraux I et II étaient abandonnés sont indiqués aux ch. 4.2.1, 4.2.2 et 4.2.3. Ils vont bien au-delà des coûts supplémentaires engendrés par un tel abandon pour le recrutement de main-d'oeuvre.

4837

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Une étude sur la mesure des coûts de la réglementation pour le recrutement de personnel48 a montré qu'en 2011, l'admission très réglementée et quantitativement limitée de ressortissants de pays tiers sur le marché du travail suisse a coûté, au total, 9,7 millions de francs aux entreprises49. Les charges du personnel dans les entreprises, notamment pour assurer le traitement des aspects administratifs, représentent également une part importante des coûts engendrés.

4.2.7

Entrée en vigueur et dispositions transitoires

Selon l'art. 195 Cst., la Constitution partiellement révisée entre en vigueur le jour de son acceptation par le peuple et les cantons. Le délai de douze mois relatif au mandat de négociation inscrit à l'art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst. en vue de l'abandon de l'ALCP commencerait alors à courir immédiatement. En cas d'échec des négociations, le Conseil fédéral devrait dénoncer l'ALCP dans un délai supplémentaire de 30 jours (art. 197, ch. 12, al. 2, P-Cst.). Conformément à l'art. 25, par. 4, ALCP, l'ALCP et les six autres accords bilatéraux I expireraient six mois après réception de la notification de dénonciation50.

4.3

Lacunes de l'initiative

L'initiative exige une réglementation autonome de l'immigration des étrangers en Suisse, sans la libre circulation des personnes. Le Conseil fédéral reconnaît que l'immigration en provenance de l'espace UE/AELE est liée à des défis qu'il relève au moyen de différentes mesures qui sont détaillées au chapitre 6. En raison du lien juridique entre l'ALCP et les six autres Accords bilatéraux I, sa résiliation entraînerait l'abolition automatique des Accords bilatéraux I.

Comme cela a été mentionné aux ch. 4.2.1, 4.2.2 et 4.2.3 l'ALCP et les autres accords bilatéraux revêtent une grande importance pour la Suisse. L'abolition de l'ALCP réduirait à elle seule le PIB de 3,0 à 4,5 % en moins de 20 ans par rapport au scénario de référence. Si les Accords bilatéraux I étaient abolis, le PIB de la Suisse serait même inférieur d'environ 5 à 7 pour cent. L'initiative remet fondamentalement en question la voie bilatérale. Le peuple a toutefois confirmé et soutenu la voie bilatérale lors de plusieurs votations.

L'entretien des relations avec l'UE et, en particulier, avec nos États voisins constitue dès lors aussi l'une des quatre priorités fixées dans la stratégie de politique extérieure de la Suisse pour la période 2016 à 2019.

48 49

50

Secrétariat d'État à l'économie (SECO) (2013), p. 31 ss.

Une entreprise suisse ayant décidé d'employer un ressortissant d'un État membre de l'UE/AELE doit consacrer moins de 30 francs par cas au stade de la prise d'emploi.

Pour employer un ressortissant d'un État tiers (évaluation sous l'angle du marché du travail et contingentement), les coûts réglementaires représentent un multiple de cette somme (soit de 600 à 900 francs par cas pour une autorisation initiale).

Est aujourd'hui en vigueur, dans le domaine de la recherche, l'accord RS 0.424.11, lequel établit le lien avec l'ALCP ­ ou sa dénonciation ­ à son art. 13, al. 4. Cf. ch. 4.2.2.

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5

Évolution démographique, numérisation, changement structurel et immigration

L'immigration dans le cadre de l'ALCP se concentre fortement sur le marché du travail. Elle a ainsi contribué de manière importante à l'accroissement de la population active et à l'atténuation de la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée (cf. ch. 2.3.1).

La fin de l'applicabilité de l'ALCP aggraverait donc sensiblement la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Même en tenant compte de l'évolution démographique dans les États occidentaux, l'UE/AELE reste pour la Suisse le plus grand réservoir de main-d'oeuvre qualifiée. Avec les progrès de la numérisation et la diminution de la proportion des personnes en âge de travailler, les besoins de la Suisse en maind'oeuvre qualifiée continueront de croître, en complément de l'augmentation des qualifications de la population active locale. Une immigration complémentaire aide à recruter des spécialistes qu'on ne trouve pas en nombres suffisants sur le marché suisse du travail et à augmenter la proportion de la population active. Pour que la Suisse continue de faire face avec succès au changement structurel qu'amène notamment la numérisation, et à l'évolution démographique, il est vital que son marché du travail puisse continuer d'être alimenté par de la main-d'oeuvre très qualifiée en provenance de l'étranger proche. L'initiative de limitation va à l'encontre de ces besoins.

5.1

Conséquences de l'évolution démographique

Ces prochaines années, indépendamment des flux migratoires, la population suisse va considérablement vieillir. Selon le scénario moyen établi par l'Office fédéral de la statistique (OFS) en 2015, la population âgée de 65 ans ou plus passera de 1,5 million en 2015 à 2,2 millions en 2030 et à 2,7 millions en 2045. Durant la même période, la population âgée de 20 à 64 ans croîtra nettement plus lentement, passant de 5,2 millions en 2015 à 5,5 millions en 2030 et à 5,6 millions en 2045. Le nombre d'enfants et de jeunes adultes de moins de 20 ans ne devrait lui aussi augmenter que légèrement, passant de 1,7 million en 2015 à 1,9 million en 2030 et en 2045. Ce vieillissement que l'on observera au cours des 30 prochaines années est dû premièrement à la basse fécondité des dernières décennies et deuxièmement aux générations nombreuses nées ou immigrées en Suisse dans les années 50 à 70 (génération du baby-boom) et qui ont déjà atteint l'âge de la retraite ou qui l'atteindront ces prochaines années. La hausse continue de l'espérance de vie permettant à une plus grande proportion de personne d'atteindre des âges élevés accentue encore ce vieillissement. Il faut noter qu'en raison de la stagnation des taux de fécondité à des niveaux bas et de la baisse régulière des taux de mortalité au-delà de 2045, le pourcentage de personnes âgées restera toujours élevé même lorsque les générations issues du baby-boom auront disparu dans plus de 50 ans. La structure démographique va donc se transformer, entraînant une diminution constante de la proportion de personnes en âge d'être actives par rapport à l'ensemble de la population: si en

4839

FF 2019

2015, les 20 à 64 ans représentaient 62 % de la population, ils ne seront plus que 58 % en 2030 et 55 % en 204551.

La diminution de la population active représentera un défi pour la Suisse aussi dans les années qui viennent. L'évolution démographique est pour l'instant amortie par l'immigration ­ principalement en provenance des États de l'UE/AELE. Il faut néanmoins considérer que ces États connaissent eux aussi une transformation de leur structure démographique et que le recrutement de main-d'oeuvre devrait à terme s'y révéler plus difficile. Les scénarios d'Eurostat52 montrent qu'en 2080, la population totale de l'UE aura quelque peu augmenté par rapport à 2016, mais que la part de la population en âge de travailler aura sensiblement diminué. Si l'on comptait trois actifs par personne âgée en 2016, le rapport ne devrait plus être que de 2:1 en 2080.

Les premiers résultats d'un projet de recherche en cours du Fond national suisse confirment que l'évolution démographique accentuera la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée en Suisse et que toutes les branches ne seront pas également touchées: l'aggravation sera la plus marquée pour les professions de la santé, l'informatique et les métiers classiques de la construction53.

Ces dernières décennies, l'immigration a toujours été une composante importante de l'accroissement de la population en Suisse. Au cours des quinze années qui ont précédé l'entrée en vigueur de la libre circulation des personnes (1987 à 2001), l'immigration nette a généré une augmentation annuelle moyenne de la population de 0,4 %. L'accroissement naturel de la population (excédent des naissances) était durant la même période de 0,3 % par année. Au total, la population a donc crû annuellement de 0,7 %. Pendant les quinze premières années du régime de libre circulation des personnes (2002 à 2016), l'augmentation de la population a atteint un rythme annuel de 1,0 %, mû encore plus fortement que dans les années précédentes par une immigration nette importante. Les soldes migratoires élevés ont induit un accroissement annuel de la population de 0,8 %, tandis que l'accroissement naturel a ralenti durant la même période.

La structure par âge de la population résidante permanente étrangère est très différente de celle des ressortissants suisses. Pour ces derniers, la structure est marquée
par les générations nombreuses du baby-boom. Le groupe le plus important est aujourd'hui celui des personnes proches de la cinquantaine. Les générations suivantes sont considérablement moins nombreuses. Les immigrés, en revanche, sont fortement surreprésentés dans la tranche des 30 à 40 ans et nettement sous-représentés dans la population plus âgée.

Selon les scénarios d'évolution démographique de l'OFS (2015), l'ampleur de la croissance démographique et de la progression de la population active au cours des prochaines décennies dépendra quasi exclusivement des mouvements migratoires durant cette période. L'immigration dans le cadre de l'ALCP se concentre fortement sur le marché du travail. Elle a jusqu'ici contribué à l'accroissement de la population active et, de ce fait, à l'atténuation de la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée. Avec la fin de l'ALCP, il deviendrait singulièrement plus difficile pour l'économie suisse de 51 52 53

Office fédéral de la statistique (2015).

Eurostat (2017).

Wunsch, Conny et al. (2019).

4840

FF 2019

recruter de la main-d'oeuvre qualifiée dans le réservoir étranger, en complément du potentiel existant en Suisse, ce qui aggraverait sensiblement les conséquences négatives de l'évolution démographique.

5.2

Conséquences de la numérisation et du changement structurel sur le marché suisse du travail

L'impact grandissant de la numérisation et de l'automatisation constituent une chance, mais aussi un défi pour les entreprises et pour les travailleurs. L'économie suisse a toujours davantage besoin de personnes très qualifiées qu'elle a jusqu'ici pu recruter à l'étranger, en complément de son marché interne. On constate en revanche un recul des professions moyennement qualifiées et une stagnation des professions faiblement qualifiées.

Une étude de 201754 montre quels ont été les effets du changement structurel sur les différents secteurs du marché suisse du travail au cours des 20 dernières années.

De 1996 à 2015, l'emploi a augmenté de 19 % en Suisse, passant de 3,3 à près de 4 millions d'équivalents plein temps. Cette croissance est entièrement réalisée dans le secteur tertiaire. Le secteur industriel a maintenu son volume d'emploi, alors que le secteur primaire affiche un recul de 30 %. La Suisse a donc poursuivi sa mue vers une société de services, une évolution caractéristique qui se retrouve dans tous les États membres de l'OCDE.

S'agissant des professions, les métiers de cadres, les professions universitaires et les métiers qualifiés non universitaire ont fortement progressé. Le recul des professions administratives est sans doute une conséquence directe de l'informatisation et de la numérisation. Concernant le niveau des qualifications, on observe un fort déplacement des métiers exigeant des qualifications moyennes vers les professions hautement qualifiées, tandis que la part des professions faiblement qualifiées stagne.

L'évolution en Suisse ressemble ainsi à celle que connaissent les pays d'Europe du Nord et de l'Ouest, à ceci près qu'en Suisse, la part des emplois faiblement qualifiés n'a pas augmenté, alors qu'elle est légèrement en hausse dans les pays comparables.

L'évolution en Suisse est ainsi davantage marquée par une montée en gamme des qualifications requises et des compétences (upskilling) que par une polarisation.

L'évolution des professions et des activités a pour corollaire le relèvement des qualifications professionnelles (c'est-à-dire des diplômes). D'après des analyses, la structure des qualifications professionnelles a suivi en parallèle le renforcement des compétences requises, dans la mesure où elle a fortement évolué vers les actifs hautement qualifiés, dont la
part est passée de 22 % en 1996 à 38 % en 2015. Par contre, la part des actifs moyennement qualifiés a chuté de 61 % à 49 %, tandis que la part des actifs peu qualifiés a baissé de 17 % à 13 %. Cette tendance se retrouve dans presque toutes les branches.

Les analyses montrent également que le système d'éducation suisse est bien placé pour répondre aux évolutions actuelles et escomptées du marché du travail. Ces 54

Rütter Soceco (2017).

4841

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dernières années, cependant, il n'y avait pas suffisamment de main-d'oeuvre qualifiée en Suisse pour satisfaire une demande élevée. C'est la raison pour laquelle l'immigration ­ en complément du relèvement des qualifications de la population active résidante ­ a joué un rôle très important en Suisse pour répondre à la demande de main-d'oeuvre qualifiée et parfois très spécialisée. Grâce à l'ALCP, les entreprises suisses ont pu, ces dernières années, recruter à l'étranger la main-d'oeuvre qualifiée qu'elles ne trouvaient pas en quantité suffisante en Suisse. Les personnes qui ont immigré dans le cadre de l'ALCP disposent en majorité de bonnes qualifications, ce qui a favorisé la transition de l'économie suisse vers des activités à forte valeur ajoutée. Pour l'équilibre futur entre l'offre et la demande sur le marché du travail, l'élément déterminant sera la capacité de la Suisse de prendre des mesures ciblées pour encourager l'acquisition par la population active résidante des compétences qui seront requises à l'avenir. La capacité de continuer à attirer en Suisse des personnes très qualifiées pour des secteurs dont les besoins sont très élevés jouera un rôle important. Il faut dans ce contexte souligner que les États occidentaux sont confrontés à une évolution démographique comparable à celle que connaît la Suisse, ce qui rendra plus difficile le recrutement de main-d'oeuvre spécialisée dans ces États.

5.3

Mesures actuelles liées à la numérisation et au changement structurel

La numérisation a une influence essentielle sur le changement structurel et la croissance économique. Dans le cas d'un pays pauvre en ressources naturelles, comme la Suisse, il est d'autant plus important d'utiliser au mieux les opportunités de la numérisation. Pour sauvegarder les emplois et la prospérité, l'économie suisse doit être bien positionnée pour relever les défis actuels et à venir.

Le Conseil fédéral a récemment examiné de manière approfondie les effets de la numérisation sur l'économie suisse. On peut mentionner le rapport du 11 janvier 2017 sur les principales conditions-cadres pour l'économie numérique, le rapport du 8 novembre 2017 sur les conséquences de la numérisation sur l'emploi et les conditions de travail, ou encore le rapport du 29 août 2018 présentant les résultats de l'enquête «Test de compatibilité numérique», un examen des obstacles que la réglementation pose à la numérisation55. Ces rapports arrivent à la conclusion que la Suisse est bien positionnée pour profiter de la numérisation. Le Conseil fédéral estime que celle-ci ­ tout comme les précédents progrès technologiques ­ révélera de nouveaux gisements d'emplois et entraînera un accroissement du taux d'occupation.

Pour que la Suisse puisse profiter au mieux des opportunités qu'offre la numérisation, les conditions doivent encore être améliorées. Deux objectifs sont à ce titre prioritaires. Premièrement, la formation doit être encore davantage axée sur les compétences et les connaissances requises dans l'économie numérique. Et deuxièmement, le marché suisse du travail doit continuer d'avoir la flexibilité nécessaire pour 55

Ces rapports sont disponibles à l'adresse www.seco.admin.ch > Situation économique & Politique économique > Numérisation.

4842

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prendre le virage de la transformation numérique. La protection contre les risques sociaux doit parallèlement continuer d'être garantie.

Le 8 novembre 2017, le Conseil fédéral a adopté les mesures suivantes: Développement du droit des assurances sociales Le Département fédéral de l'intérieur (DFI), en collaboration avec le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR), le Département fédéral de justice et police (DFJP) et le Département fédéral des finances (DFF), a été chargé de présenter pour la fin de 2019 un rapport examinant un assouplissement du droit des assurances sociales, avec des options concrètes. L'objectif d'une évolution du cadre juridique est de maintenir les atouts de la pratique actuelle de qualification de travailleur salarié ou de travailleur indépendant tout en améliorant les conditions permettant l'émergence de nouveaux modèles d'activité innovants. Le rapport devra dégager des pistes pour atteindre cet objectif en réduisant autant que possible les risques de précarisation et les risques d'un transfert des charges à la collectivité et au budget fédéral. Le rapport répondra également aux postulats 17.4087 du groupe libéral-radical («Société numérique. Étudier la création d'un nouveau statut de travailleur») et 18.3936 Bruderer Wyss («Entreprises plateformes et économie à la tâche ou gig economy. Mieux protéger les travailleurs indépendants»).

Développement de la formation Il est essentiel d'adapter la formation aux exigences qui évoluent dans le sillage de la révolution numérique. D'une part, en développant l'acquisition des compétences demandées sur le marché du travail, par exemple dans le domaine de la numérisation et, d'autre part, en aménageant le système de formation de manière à permettre une reconversion efficace des personnes qui doivent se réorienter en raison de changements structurels liés à la numérisation. Dans le cadre de la stratégie «Formation professionnelle 2030», une réflexion est en cours avec les lignes d'action «Orientation de la formation professionnelle vers l'apprentissage tout au long de la vie» et «Flexibilisation des offres de formation» pour rendre la formation professionnelle plus accessible et plus attrayante pour les adultes.

Le DEFR a étudié en 2017 les défis que le tournant numérique représente pour la formation
et la recherche en Suisse et élaboré le plan d'action «Numérisation pour le domaine FRI durant les années 2019 et 2020». Des mesures concrètes sont prévues dans huit champs d'action. Dans le domaine des hautes écoles, par exemple, les défis concernent les infrastructures d'information scientifiques, l'évolution constante des contenus et des formes d'enseignement et d'apprentissage, la formation continue de main-d'oeuvre spécialisée et la transmission des compétences d'utilisation des technologies numériques (compétences numériques) dans toutes les disciplines. Pour renforcer les compétences numériques dans l'apprentissage, la Conférence suisse des hautes écoles (CSHE) encourage des projets des hautes écoles dans les années 2019 et 2020 avec des contributions liées à des projets selon la loi du 30 septembre 2011 sur l'encouragement et la coordination des hautes écoles (LEHE)56. Pour la formation continue, l'objectif est de préparer les travailleurs aux exigences numé56

RS 414.20

4843

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riques du monde du travail. À cette fin, le Conseil fédéral a lancé au début de 2018 un programme de promotion de formation visant à l'acquisition de compétences de base sur le lieu de travail, à l'intention des personnes peu qualifiées et en particulier des travailleurs âgés. La numérisation sera l'un des thèmes du message FRI pour les années 2021 à 2024.

Manque de données Compte tenu des diverses incertitudes liées à la numérisation, il a été décidé de remédier au manque de données dans deux domaines. Premièrement, l'OFS, en collaboration avec le SECO et l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS), a développé pour 2019 un module complémentaire sur les nouvelles formes de travail pour l'enquête suisse sur la population active (ESPA). Les résultats en seront présentés l'année prochaine. Deuxièmement, la Suisse participera au programme de l'OCDE pour l'évaluation internationale des compétences des adultes (PIAAC)57.

Monitorage Le SECO et l'OFAS ont été chargés de mettre en place ensemble un monitorage des conséquences de la transformation numérique sur le marché du travail et de soumettre au Conseil fédéral un rapport sur le sujet d'ici fin 2021. Les résultats du monitorage devront faire l'objet d'un rapport tous les cinq ans et donner une vue d'ensemble.

La numérisation ouvre des perspectives pour l'économie et la société suisses. L'objectif des mesures citées ici est de faire en sorte que ces chances soient utilisées au mieux et de préparer la population active en Suisse aux défis de l'avenir. Avec le tournant numérique et la diminution de la population active, l'économie continuera d'être tributaire de la main-d'oeuvre spécialisée en provenance de l'étranger. Pour renforcer encore le potentiel et la compétitivité de la main-d'oeuvre déjà présente en Suisse et pour renforcer la sécurité sociale, d'autres mesures de politique économique et sociale s'imposent. Ces mesures sont présentées au ch. 6.2.

6

Mesures relevant du droit des étrangers, du marché du travail ou de la politique économique ou sociale

Dans le cadre de la libre circulation des personnes, les possibilités de pilotage offertes par le droit des étrangers et le droit relatif au marché du travail sont restreintes.

Il s'agit donc d'utiliser de manière systématique les instruments existants, à savoir les mesures d'accompagnement et celles résultant du domaine des étrangers. Les mesures déjà prises sont exposées au ch. 6.1.

Le 15 mai 2019, le Conseil fédéral a adopté de nouvelles mesures de politique économique et sociale pour assurer la compétitivité de la main-d'oeuvre présente sur le territoire et pour renforcer la sécurité sociale. Ces nouvelles mesures sont exposées au ch. 6.2.

57

Programme for the International Assessment of Adult Competencies.

4844

FF 2019

6.1

Mesures déjà prises

6.1.1

Mesures en relation avec l'ALCP

6.1.1.1

Protection des conditions de travail et de salaire, mesures d'accompagnement

L'introduction progressive de la libre circulation des personnes à partir du 1er juin 2004 a eu pour corollaire l'abandon du contrôle préalable du respect des conditions de travail et de salaire usuelles comme conditions de la délivrance d'une autorisation de séjour et de travail. Face à la crainte d'une éviction des travailleurs en Suisse et d'une pression sur les salaires, des mesures d'accompagnement ont été arrêtées. Le but de ces mesures est d'empêcher une sous-enchère abusive des conditions de travail et de salaire suisses et de préserver des conditions de concurrence équitables pour les entreprises suisses et étrangères.

Les mesures d'accompagnement englobent aujourd'hui pour l'essentiel les mesures au titre de la loi du 8 octobre 1999 sur les travailleurs détachés (LDét)58, l'extension facilitée du champ d'application de la convention collective de travail (CCT), conformément à la loi du 28 septembre 1956 permettant d'étendre le champ d'application de la convention collective de travail (LECCT)59 et la possibilité d'édicter des contrats-type de travail (CTT). Elles prévoient une observation du marché du travail et des contrôles ciblés des conditions de travail et de salaire auprès d'employeurs suisses, dans des entreprises étrangères détachant de la main-d'oeuvre en Suisse, de même qu'auprès de prestataires de services indépendants soumis à l'obligation de s'annoncer.

La mise en oeuvre des mesures d'accompagnement a été à dessein organisée de manière décentralisée. Les commissions tripartites observent le marché du travail suisse dans son ensemble et, pour ce faire, contrôlent les entreprises suisses et étrangères.

Si elles constatent d'éventuelles sous-enchères abusives et répétées aux salaires usuels dans la localité et la branche, elles peuvent proposer de fixer, pour une durée limitée, des salaires minimaux. Dans les branches couvertes par une convention collective de travail étendue, les commissions paritaires contrôlent le respect des dispositions de la convention collective de travail auprès des entreprises suisses et étrangères. La décentralisation permet de tenir compte des risques spécifiques aux différentes régions et branches.

Depuis l'introduction des mesures d'accompagnement en 2004, le système a connu de nombreux développements. Les outils de contrôle et de sanction ont
ainsi été étendus à plusieurs reprises (par ex. renforcement des sanctions) pour remédier à des lacunes. Parallèlement, les activités de contrôle ont été développées et l'exécution adaptée en permanence pour répondre aux besoins de la pratique. Ces dernières années, l'attention s'est portée principalement sur l'amélioration de la qualité et de l'efficacité des activités de contrôle déployées au titre des mesures d'accompagnement, en axant davantage ces contrôles sur une évaluation des risques. Aujourd'hui, le dispositif fonctionne de manière ciblée et efficiente.

58 59

RS 823.20 RS 221.215.311

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FF 2019

La Confédération, les cantons et les partenaires sociaux oeuvrent ensemble à lutter contre les abus sur le marché suisse du travail. La coopération étroite de tous les acteurs garantit des conditions de travail et de salaire équitables aux populations suisse et étrangère et une concurrence équitable aux prestataires de services suisses et étrangers.

6.1.1.2

Mesures liées au droit de séjour

Restrictions d'accès selon l'ALCP L'ALCP prévoit la possibilité, à titre de réglementation transitoire, d'activer une clause de sauvegarde spéciale (art. 10, par. 4, ALCP). Cette clause peut être invoquée lorsque, pour une année donnée, le nombre de titres de séjour délivrés à des travailleurs est supérieur de plus de 10 % à la moyenne des trois années précédentes.

Dans ce cas, l'admission de nouveaux travailleurs peut être limitée, pour les deux années suivantes, à la moyenne des trois années précédentes augmentée de 5 %. Le Conseil fédéral a fait usage à plusieurs reprises de cette possibilité: entre le 1er juin 2013 et le 31 mai 2014, la clause de sauvegarde s'appliquait aux ressortissants des États de l'UE-1760; de même, entre le 1er mai 2012 et le 30 avril 2014, les autorisations de séjour pour les ressortissants des États de l'UE-861 étaient contingentées; le 10 mai 2017 enfin, le Conseil fédéral a invoqué la clause de sauvegarde à l'égard des États de l'UE-262, si bien que l'admission de travailleurs en provenance de ces deux pays était soumise à des nombres maximaux jusqu'au 31 mai 2019.

Seuls les ressortissants croates font encore l'objet de restrictions d'accès au marché suisse du travail. Le Conseil fédéral a décidé, le 7 décembre 2018, de prolonger jusqu'à la fin de 2021 la phase de transition de l'extension de la libre circulation des personnes à la Croatie. Pendant cette phase transitoire, l'admission en vue de l'exercice d'une activité lucrative est régie par des conditions spéciales.

Clause de sauvegarde générale prévue par l'ALCP L'art. 14, par. 2, ALCP dispose qu'en cas de difficultés sérieuses d'ordre économique ou social, le Comité mixte se réunit, à la demande d'une des parties contractantes, afin d'examiner les mesures appropriées pour remédier à la situation. L'activation de cette clause de sauvegarde générale n'a encore jamais été demandée.

Catalogue de mesures ALCP du Conseil fédéral Le catalogue de mesures du Conseil fédéral du 24 février 2010 relatif à l'application de l'ALCP prévoit des mesures contre l'obtention indue ou abusive de prestations sociales, des mesures de protection contre la sous-enchère salariale et sociale, et des mesures concernant les conditions d'admission. La mise en oeuvre de ces mesures

60 61 62

Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Grèce, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal et Suède, Malte et Chypre.

Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie, Slovénie, République tchèque.

RO 2017 3093

4846

FF 2019

est documentée dans le rapport du Conseil fédéral du 22 septembre 2015 en exécution du postulat Amarelle 13.359763.

Amélioration de la mise en oeuvre de l'ALCP L'ALCP confère le droit aux ressortissants de l'UE de choisir librement leur lieu de travail et de séjour en Suisse dès lors qu'ils remplissent les conditions prévues. Il n'accorde en revanche aucun droit de demeurer sur le territoire de l'État d'accueil en cas d'abus. Des mesures sont entrées en vigueur le 1er juillet 2018 afin d'améliorer la mise en oeuvre de l'ALCP.

Ces mesures déterminent le moment à partir duquel les ressortissants de l'UE/AELE perdent leur droit de séjourner en Suisse en cas de cessation involontaire des rapports de travail. L'extinction du droit de séjour des ressortissants des États membres de /AELE qui perdent involontairement leur emploi a en outre été précisée dans le cadre du statut de travailleur (art. 61a LEI): ­

En cas de cessation involontaire des rapports de travail pendant les douze premiers mois de séjour en Suisse, le droit de séjour d'un ressortissant d'un État membre de l'UE/ELE titulaire d'une autorisation de courte durée ou d'une autorisation de séjour prend fin six mois après la fin des rapports de travail ou à l'échéance du versement des indemnités de chômage si leur versement perdure à l'échéance de ce délai de six mois. Pendant ces périodes, la personne est exclue de l'aide sociale.

­

En cas de cessation involontaire des rapports de travail après les douze premiers mois de séjour en Suisse, le ressortissant d'un État membre de l'UE/ AELE titulaire d'une autorisation de séjour conserve sa qualité de travailleur pendant six mois après la fin des rapports de travail ou pendant six mois après la fin du versement des indemnités de chômage. Pendant ces périodes, la personne ne peut pas être exclue de l'aide sociale.

Les demandeurs d'emploi et les membres de leur famille sont désormais expressément exclus de l'aide sociale (art. 29a LEI).

Ces mesures destinées à améliorer la mise en oeuvre de l'ALCP doivent aussi permettre de renforcer la coopération entre les différentes autorités et de contenir d'éventuelles évolutions problématiques.

6.1.2

Mesures en relation avec la LEI

La loi sur les étrangers et l'intégration règle l'admission des ressortissants d'États tiers. Elle n'est pas directement concernée par l'initiative de limitation. La révision de la LEI du 15 août 201864, entrée en vigueur le 1er janvier 2019, a renforcé les exigences en matière d'intégration pour les ressortissants d'États tiers et introduit des mesures visant notamment à accroître l'employabilité des réfugiés et des per-

63 64

www.parlement.ch > 13.3597 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire RO 2018 3171

4847

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sonnes admises à titre provisoire. Les principales modifications apportées à la LEI concernent les aspects suivants: Les réfugiés reconnus et les personnes admises à titre provisoire peuvent désormais exercer une activité lucrative, même en dehors de leur canton de domicile, après s'être simplement annoncés aux autorités du marché du travail65. Ni les intéressés, ni les entreprises ne doivent plus attendre une autorisation. Cette mesure facilite l'accès à l'emploi des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire et allège la tâche des employeurs. Le potentiel qu'offre la main-d'oeuvre présente en Suisse sera ainsi mieux exploité et les dépenses de l'aide sociale diminueront.

Les critères d'intégration à prendre en compte dans les décisions relevant du droit des étrangers ont en outre été précisés au niveau des ordonnances. Ces dernières définissent ainsi les compétences linguistiques requises pour l'octroi ou la prolongation d'une autorisation: le principe directeur est que plus le statut visé accorde de droits, plus les exigences sont élevées. Il en va de même du droit et de l'incitation des intéressés à l'apprentissage de la langue nationale locale et à l'approfondissement continu de leurs connaissances linguistiques. Leurs chances d'accéder à une formation et à un emploi s'en trouveront améliorées.

Les mesures arrêtées par le Parlement concernant les étrangers qui ne manifestent pas une volonté suffisante de contribuer à leur intégration ont également été précisées, ce qui permettra aux autorités migratoires compétentes de lier l'octroi d'une autorisation de séjour à une convention d'intégration et, ainsi, de montrer à l'intéressé ce que l'on attend de lui. La convention d'intégration a un caractère obligatoire et son non-respect pourra donner lieu à des sanctions. Si les critères d'intégration ne sont pas remplis, l'étranger pourra voir son autorisation d'établissement (permis C) rétrogradée en autorisation de séjour (permis B). Les autorités disposent ainsi d'un outil pour imposer, au besoin, des exigences en matière d'intégration.

Mesures supplémentaires envisageables en lien avec le postulat 17.3260 Le 8 juin 2017, le Conseil des États a adopté le postulat 17.3260 de sa Commission des institutions politiques «Prestations de l'aide sociale octroyées à des ressortissants de pays
tiers. Compétences de la Confédération». La conception et le versement de l'aide sociale aux personnes qui relèvent de la législation sur les étrangers sont de la compétence des cantons. La marge de manoeuvre de la Confédération dans ce domaine est restreinte. Seules des interventions ponctuelles sont possibles. La Confédération dispose en revanche de compétences étendues en ce qui concerne la réglementation du droit de séjour, dont dépend le versement de l'aide sociale par les cantons.

Le rapport du Conseil fédéral en exécution du postulat 17.3260 présente donc des options qui prévoient en priorité un durcissement possible des réglementations existantes et des règles préventives en matière de droit des étrangers et de l'intégration, mais aussi de droit de la nationalité.

65

Cf. art. 61, al. 2, de la loi du 16 juin 1998 sur l'asile (LAsi), RS 142.31, pour les réfugiés et 85a, al. 2, LEI pour les personnes admises à titre provisoire.

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Le Conseil fédéral a chargé le DFJP de faire examiner par un groupe d'experts ­ comprenant notamment des représentants des autorités d'exécution cantonales ­ la faisabilité et les conséquences des options envisagées dans le rapport et de lui soumettre les résultats de cette analyse et une proposition sur la suite à donner aux travaux.

6.1.3

Introduction de l'obligation d'annoncer les postes vacants

Le 16 décembre 2016, le Parlement a adopté la loi d'application de l'art. 121a Cst., qui instaure notamment l'obligation d'annoncer les postes vacants66. Les Chambres fédérales ont sciemment opté pour une réglementation compatible avec l'accord sur la libre circulation des personnes en vigueur entre la Suisse et l'UE. Le référendum n'a pas été saisi contre la loi. Dans les modifications d'ordonnances qu'il a adoptées le 8 décembre 2017, le Conseil fédéral a suivi le Parlement et opté lui aussi pour une solution compatible avec l'ALCP. Le processus législatif pour la mise en oeuvre de l'art. 121a Cst. s'est formellement achevé avec l'entrée en vigueur de ces modifications le 1er juillet 201867.

L'obligation d'annoncer les postes vacants s'applique donc depuis le 1er juillet 2018.

Elle concerne, jusqu'au 31 décembre 2019, les groupes de professions dont le taux de chômage national atteint au moins 8 %; ce taux sera abaissé à 5 % le 1er janvier 2020. La phase transitoire permet aux employeurs et aux cantons d'ajuster leurs procédures et leurs ressources en vue du traitement des postes soumis à l'obligation d'annonce et d'adapter les modalités de leur collaboration pour se conformer à la nouvelle réglementation.

Les employeurs sont tenus d'annoncer aux offices régionaux de placement (ORP) tous les postes à pourvoir dans les groupes de professions pour lesquels le taux de chômage atteint ou dépasse le seuil défini.

Les postes soumis à l'obligation d'annonce sont interdits de publication durant cinq jours ouvrables. Cette interdiction court à partir du jour ouvrable qui suit l'enregistrement du poste dans le système. Les demandeurs d'emploi en Suisse ont un accès exclusif aux informations relatives aux postes vacants pendant ces cinq jours et bénéficient d'un temps d'avance qui leur permet de postuler rapidement et de leur propre initiative pour un des emplois vacants.

Il ressort des premières évaluations que le démarrage de cette mesure a été dans l'ensemble positif. Le SECO signale que dans les mois qui ont suivi l'introduction de l'obligation d'annonce, entre 25 000 et 35 000 postes vacants ont été communiqués tous les mois, contre 10 000 environ auparavant. Ce chiffre a même été multiplié par six pour les professions soumises à l'obligation d'annonce, passant de 3000 66

67

Modification du 16 décembre 2016 de la loi fédérale sur les étrangers (Gestion de l'immigration et amélioration de la mise en oeuvre des accords sur la libre circulation des personnes), modification du 16 décembre 2016, en vigueur depuis le 1er juillet 2018; RO 2018 733; FF 2016 8651.

RO 2018 841 845

4849

FF 2019

à 18 000 communications. Un premier rapport détaillé de monitorage sera publié à l'automne 2019.

Une certaine durée de mise en oeuvre est indispensable pour disposer de données pertinentes sur l'efficacité de ce dispositif. Aussi les premiers résultats ne seront-ils disponibles qu'à l'automne 2020 au plus tôt.

6.1.4

Mesures visant à épuiser le potentiel offert par la main-d'oeuvre en Suisse

La loi d'application de l'art. 121a Cst. visant à mieux mettre à profit le potentiel offert par la main-d'oeuvre en Suisse dans les groupes de professions affichant un taux de chômage élevé (obligation d'annoncer les postes vacants, ch. 6.1.3) complète les mesures prévues dans l'initiative visant à combattre la pénurie de personnel qualifié. Comme son nom l'indique, cette initiative a été lancée dans le but d'atténuer la pénurie de personnel qualifié, mais aussi de réduire la dépendance à la maind'oeuvre étrangère en mettant mieux à profit et en épuisant le potentiel offert par les travailleurs en Suisse. Les mesures portent sur quatre champs d'action: ­

formation continue et rehaussement du niveau de qualification pour répondre aux besoins du marché du travail;

­

amélioration de la conciliation entre vie professionnelle et vie privée;

­

création de bonnes conditions pour l'emploi jusqu'à l'âge de la retraite et au-delà;

­

promotion de l'innovation afin d'atténuer, au travers d'une augmentation de la productivité, la pénurie de personnel qualifié.

6.2

Mesures supplémentaires

Pour que la libre circulation des personnes ne soit pas à l'avenir non plus un instrument d'éviction des travailleurs résidents, mais permette de compléter la maind'oeuvre en cas de besoin, le Conseil fédéral a adopté, le 15 mai 2019, une série de mesures supplémentaires relevant de la politique économique et sociale: ­

encouragement du potentiel de la main-d'oeuvre en Suisse par des mesures de promotion de la formation et du perfectionnement et des mesures visant à faciliter la réintégration dans le marché du travail des demandeurs d'emploi et chômeurs en fin de droits difficiles à placer, en mettant l'accent sur les seniors (voir ch. 6.2.1);

­

encouragement du potentiel de la main-d'oeuvre en Suisse par un accès ciblé à la formation professionnelle et au marché du travail de certaines catégories d'étrangers appelés à séjourner de manière prolongée en Suisse (voir ch. 6.2.2);

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­

introduction d'une prestation transitoire pour les chômeurs âgés, en fin de droits, de condition économique modeste afin d'atténuer les conséquences sociales de la compétitivité accrue sur le marché du travail (voir ch. 6.2.3).

Ces mesures sont exposées plus en détail dans les chapitres suivants.

6.2.1

Garantir la compétitivité des travailleurs plus âgés

Malgré un risque de chômage relativement faible, les plus de 50 ans, lorsqu'ils perdent leur emploi, sont exposés à un risque supérieur à la moyenne d'arriver en fin de droits. En 2015, le risque de ce groupe d'arriver à l'échéance de leur droit au versement d'indemnités dans les trois ans suivant le début du chômage était, avec un taux de 31 %, nettement supérieur à celui des moins de 35 ans (18 %) et si situait aussi au-dessus de la moyenne de tous les groupes d'âges (23 %). Pour pouvoir mieux mettre à profit le potentiel de la main-d'oeuvre en Suisse afin de répondre au besoin accru de spécialistes induit par l'évolution démographique et la numérisation (transformation structurelle), il est essentiel de renforcer l'intégration des chômeurs âgés et des personnes en fin de droits dans le marché du travail. Différentes mesures concernant la formation, le perfectionnement et le placement sont prévues pour améliorer la compétitivité et la réinsertion professionnelle de ce groupe-cible.

Offres gratuites d'analyse de la situation, d'évaluation du potentiel et d'orientation de carrière pour les plus de 40 ans Face à l'évolution du monde du travail, il est indispensable de gérer activement sa carrière, de faire des bilans réguliers et de se former continuellement, de manière à rester compétitif aussi en situation de concurrence accrue. L d'orientation professionnelle, universitaire et de carrière (OPUC) revêt de plus en plus une importance systémique dans ce dispositif, car elle joue un rôle de point de contact centralisé pour les adultes en situation de transition professionnelle. Aussi la Confédération et les cantons se sont-ils fixés comme objectif, dans le cadre de l'initiative «Formation professionnelle 2030», de garantir que les adultes (et les jeunes) puissent faire appel aux prestations fondamentales de l'OPUC partout en Suisse de manière uniforme.

Les travailleurs plus âgés n'étaient pas jusqu'ici un groupe-cible de l'OPUC. Les plus de 40 ans ne recourent dès lors que rarement aux offres d'analyse de la situation, d'évaluation du potentiel et d'orientation de carrière, alors même qu'ils se trouvent à un stade de leur vie professionnelle où ce type de prestation pourrait se révéler particulièrement utile à titre préventif. L'offre de l'OPUC doit donc être développée de manière ciblée pour
ce public.

En 2020 et 2021, des projets pilotes d'un ou deux ans seront menés dans certains cantons. Partant de l'évaluation de ces projets, la Confédération et les cantons développeront un programme conjoint pour les années 2021 à 2024 permettant aux adultes dès 40 ans de réaliser gratuitement une analyse de leur situation et de leur potentiel et de bénéficier de services d'orientation de carrière. Ces prestations seront mises en oeuvre dans les cantons dans le cadre de conventions de programme.

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Certification professionnelle pour adultes: prise en compte des acquis Il importe aussi de mieux mettre à profit toute la marge d'action offerte par le système de formation. Les adultes doivent avoir la possibilité d'obtenir une certification professionnelle grâce à des offres efficaces. Si la loi prévoit que les compétences spécifiques à la profession déjà acquises peuvent être prises en compte68, la mise en oeuvre de ce mandat à l'échelle suisse se révèle très hétérogène et lacunaire.

Le Secrétariat d'État à la formation, à la recherche et à l'innovation a publié en décembre 2018 un guide relatif à la prise en compte des acquis dans la formation professionnelle initiale. Les partenaires de la formation professionnelle se sont fixés comme objectif, dans le cadre de l'initiative «Formation professionnelle 2030», de mettre en pratique la prise en compte des acquis dans la formation professionnelle initiale.

Un projet d'une durée de cinq ans sera mené à bien pour créer les conditions d'une mise en oeuvre de la prise en compte des acquis sur l'ensemble du territoire national.

Il prévoit la mise en place des structures nécessaires dans les cantons, le développement et la mise en oeuvre d'un module de formation pour les spécialistes, le développement des structures dans les cantons, la promotion des offres ainsi que la sensibilisation des associations de branche compétentes en matière de formation professionnelle initiale. La Confédération versera un forfait à ces associations pour les inciter à définir des recommandations pour la prise en compte.

Mesures supplémentaires relatives à l'intégration dans le marché du travail (accompagnement, conseil, mentorat, etc.) des demandeurs d'emploi difficiles à placer (en particulier seniors) Les demandeurs d'emploi difficiles à placer et plus particulièrement les seniors ont des besoins spécifiques s'agissant des prestations des ORP (conseil, mesures d'intégration dans le marché du travail). Les compétences et les offres des organes d'exécution doivent être étendues dans ce domaine afin que ces personnes puissent être davantage réintégrées dans le marché du travail.

Le SECO dans le cadre d'un programme d'impulsion sur trois ans, soutiendra des mesures (accompagnement, conseil, mentorat, etc.) adaptées aux besoins spécifiques des demandeurs d'emploi difficiles
à placer. La mesure cible les chômeurs de plus de 50 ans inscrits depuis plusieurs mois auprès de l'ORP et qui ne trouvent pas d'emploi.

Accès facilité aux mesures de formation et d'emploi pour les personnes en fin de droits âgées de plus de 60 ans Selon le droit en vigueur, les personnes en fin de droits ne peuvent participer à aucune mesure de marché du travail pendant deux ans après l'échéance du délaicadre d'indemnisation69. À l'issue de ce délai d'attente, elles peuvent participer à 68 69

Voir art. 9, al. 2, de la loi fédérale du 13 décembre 2002 sur la formation professionnelle (LFPr), RS 412.10.

Voir l'art. 59d, al. 1, de la loi du 25 juin 1982 sur l'assurance-chômage (LACI), RS 837.0 en relation avec l'art. 82 de l'ordonnance du 31 août 1983 sur l'assurance-chômage (OACI), RS 837.02.

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des mesures de formation et d'emploi sur décision du conseiller en personnel compétent, pendant 260 jours au maximum sur une durée de deux ans.

Afin d'améliorer la situation des personnes en fin de droits âgées de plus de 60 ans, il serait envisageable de supprimer ce délai d'attente de deux ans et de permettre à ce groupe de suivre une mesure de formation et d'emploi directement après l'échéance du délai-cadre d'indemnisation.

Un projet-pilote sera mené conformément à l'art. 75a LACI afin d'examiner l'opportunité d'adapter la base légale. Le projet, limité dans le temps, sera évalué en cours de réalisation. En cas de résultat positif et si une introduction définitive est jugée utile, le Conseil fédéral pourra introduire la mesure pour une durée de quatre ans au plus conformément à l'art. 75b LACI, un délai suffisant pour créer les bases légales nécessaires.

6.2.2

Mieux intégrer les étrangers déjà présents en Suisse dans le marché du travail (loi sur les étrangers et l'intégration)

Les personnes qui n'arrivent pas en Suisse dans le but d'y exercer une activité lucrative ou d'y suivre une formation ont parfois de grandes difficultés à réaliser leur potentiel sur le marché suisse du travail. Ces personnes arrivent principalement par le biais de l'asile ou du regroupement familial et restent souvent durablement en Suisse. Elles présentent un risque élevé de se retrouver à l'aide sociale, en raison notamment de leur niveau de formation insuffisant. Deux mesures supplémentaires, venant compléter notamment l'Agenda Intégration Suisse (AIS), sont prévues pour relever ce défi.

Mesure: Renforcer le programme-pilote de préapprentissage d'intégration (PAI) et l'ouvrir aux personnes de l'UE/AELE et d'États tiers en dehors du domaine de l'asile Dans le cadre du programme pilote «Préapprentissage d'intégration» (PAI 2018­ 2021)» adopté par le Conseil fédéral le 18 décembre 2015, un millier de réfugiés et personnes admises à titre provisoire, aptes et motivés, sont préparés, depuis le mois d'août 2018, à suivre un apprentissage. Le PAI a été développé en partenariat avec les cantons et les associations faîtières et professionnelles concernées.

D'après les premières observations, le programme tient ses promesses. Certains cantons l'ont d'ores et déjà ouvert à des adolescents et jeunes adultes hors du domaine de l'asile (avec un financement exclusivement cantonal). L'idée est maintenant de prolonger et de renforcer le PAI, en l'adaptant de manière ciblée. Il s'agit, premièrement, de l'ouvrir, à partir de la rentrée 2021, à des adolescents et des jeunes adultes arrivés tardivement en Suisse et ne relevant pas du domaine de l'asile, notamment à des personnes originaires d'États de l'UE/AELE ou d'États tiers arrivées dans le cadre d'un regroupement familial et qui présentent un risque élevé de dépendre de l'aide sociale. Le programme sera, deuxièmement, prolongé jusqu'à l'année de formation 2023/2024 et, troisièmement, étendu à d'autres domaines pro-

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fessionnels connaissant une pénurie de main-d'oeuvre et de spécialistes. Quatrièmement, enfin, des PAI seront proposés dans l'administration fédérale.

Mesure: Programme pilote visant à assurer aux réfugiés et aux personnes admises à titre provisoire difficiles à placer un accès durable au premier marché du travail grâce à un soutien financier Le but de ce nouveau programme pilote est d'augmenter les chances d'intégration professionnelle de personnes difficiles à placer en soutenant financièrement les employeurs qui acceptent de les engager. Ces aides ne font pas partie de l'AIS.

Les groupes cibles visés sont les réfugiés reconnus et les personnes admises à titre provisoire dont le potentiel a été évalué, qui ont participé à des cours de langues et des programmes de qualification professionnelle mais pour lesquels on constate, lors d'engagements sur le premier marché du travail, qu'ils restent à moyen terme ou durablement difficiles à placer et qui doivent, de ce fait, bénéficier d'une intégration professionnelle en cours d'emploi. Il n'est en revanche pas prévu d'étendre largement ce soutien financier pour inclure les réfugiés et les personnes admises à titre provisoire qui sont potentiellement aptes à travailler ou à suivre une formation mais qui n'ont pas encore eu l'occasion d'acquérir une expérience du marché du travail.

Le programme pilote de trois ans (2021­2023) doit être développé et financé en partenariat. Il reprendra l'instrument des allocations d'initiation au travail déjà utilisé avec succès dans le cadre de l'assurance-chômage et de l'assurance-invalidité. Il devrait atteindre chaque année environ 300 personnes dont les capacités et les compétences ne justifient pas encore le versement d'un salaire usuel dans la branche. Le soutien financier à l'employeur serait versé de manière dégressive sur une période de plusieurs mois, en diminuant à mesure que l'employabilité de la personne concernée augmente. Le but final est toujours la conclusion d'un contrat de travail de longue durée, si nécessaire en lien avec une qualification appropriée.

6.2.3

Prestation transitoire pour les chômeurs âgés

Le risque de perdre son emploi n'est pas plus élevé pour les plus de 50 ans que pour les travailleurs plus jeunes. Les travailleurs qui perdent leur emploi passé un certain âge ont par contre très souvent plus de difficultés à trouver un nouveau poste. À la différence du chômage des jeunes, qui est généralement de courte durée, le chômage des plus de 50 ans est souvent de longue durée avec, à terme, le risque d'arriver en fin de droits. Le taux de recours à l'aide sociale augmente plus rapidement parmi les personnes d'un certain âge que parmi les jeunes. Au cours des dernières années, le nombre de bénéficiaires de l'aide sociale d'un certain âge a crû de façon plus importante que la part de ces personnes dans l'ensemble de la population. L'évolution démographique ne peut donc expliquer qu'en partie cette hausse.

Les chômeurs qui se trouvent dans une situation financière précaire et qui arrivent en fin de droits quelques années à peine avant l'âge de la retraite se retrouvent face à une lacune du système des assurances sociales entre le moment où le droit au versement d'indemnités de chômage prend fin et l'âge ordinaire de la retraite selon l'AVS. Il faut empêcher que ces personnes, qui ne parviennent plus à retrouver un 4854

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emploi malgré une longue carrière professionnelle et en dépit des efforts qu'elles font, soient obligées de recourir à l'aide sociale et qu'elles subissent de ce fait un déclassement social.

Depuis 2015, la question de la couverture des besoins vitaux des travailleurs âgés fait l'objet de discussions dans divers forums et diverses institutions. Une conférence est organisée tous les ans depuis 2015 sous la houlette du DEFR pour thématiser la situation de ce groupe-cible sur le marché du travail. Sont aussi examinées à cette occasion des propositions visant à prévenir une précarisation financière et sociale susceptible d'être induite par la fin imminente du droit aux indemnités de chômage.

La création d'une prestation transitoire pour les chômeurs âgés en fin de droits permettra de combler cette lacune dans le système des assurances sociales. Cette prestation dépendra d'une série de conditions et ne concernera qu'un cercle restreint de personnes. Pour les bénéficiaires, il est toutefois important de recevoir des prestations couvrant leurs besoins vitaux jusqu'à l'âge de l'AVS dans le cadre du système des assurances sociales, c'est-à-dire des prestations complémentaires (PC), et non de l'aide sociale.

Les personnes concernées pourront néanmoins continuer à bénéficier de l'accompagnement et des conseils des ORP. Il convient donc d'améliorer considérablement, dans le cadre de l'assurance-chômage, les activités de placement des ORP à destination des seniors, de même que des chômeurs en fin de droits (voir ch. 6.2.2).

Le Conseil fédéral a chargé le DFI de préparer un projet pour l'introduction de la prestation transitoire, qui sera mis en consultation d'ici fin juin 2019.

7

Conclusions

L'acceptation de l'initiative de limitation signifie que l'ALCP cessera de s'appliquer, soit parce que les parties auront négocié la fin de son applicabilité, soit parce que la Suisse l'aura dénoncé unilatéralement. Il serait irréaliste de penser que l'UE pourrait adopter un mandat de négociation pour définir les conditions d'une dénonciation de l'ALCP. Il faut donc partir du principe que la Suisse devra dénoncer unilatéralement cet accord à l'issue du délai de douze mois prévu dans l'initiative pour parvenir à une solution consensuelle avec l'UE.

La fin de l'applicabilité de l'ALCP aurait des conséquences dommageables importantes pour la Suisse. L'ALCP est, de toute la série des accords bilatéraux I, celui qui assure le plus grand avantage économique. Il contribue de ce fait à la création et au maintien d'emplois en Suisse. Grâce à lui, les entreprises suisses disposent d'un vaste réservoir de main-d'oeuvre au sein duquel elles peuvent recruter sans formalités excessives les spécialistes dont elles ont besoin. Et l'ALCP donne aussi aux citoyens suisses le droit de vivre et de travailler dans l'UE.

Un oui à l'initiative de limitation mettrait aussi en péril l'ensemble des accords bilatéraux I. Au-delà du dommage économique qui en résulterait, c'est aussi la voie bilatérale entre la Suisse et l'UE qui serait fondamentalement remise en cause.

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Avec l'immigration, la Suisse fait aussi face à des défis. Dans divers domaines, des mesures ciblées ont déjà été arrêtées pour remédier à certains effets indésirables.

Des mesures complémentaires de politique économique et sociale sont cependant judicieuses et nécessaires pour continuer de renforcer la compétitivité de la maind'oeuvre déjà présente sur le territoire ­ ressortissants suisses et population étrangère résidante ­ et pour renforcer la sécurité sociale. Au vu toutefois de l'évolution démographique et du tournant numérique, les entreprises suisses auront aussi besoin à l'avenir, en complément de ce potentiel local, de spécialistes hautement qualifiés provenant de l'étranger. Or l'initiative va à l'encontre de ces développements sociétaux et économiques.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire «Pour une immigration modérée (initiative de limitation)» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter.

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