19.038 Message concernant l'initiative populaire «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre» du 14 juin 2019

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre», en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

14 juin 2019

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ueli Maurer Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2018-3817

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Condensé Le Conseil fédéral propose au Parlement de recommander au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative populaire «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre». Il comprend les préoccupations de ses auteurs soucieux de contribuer à un monde plus pacifique. L'approche adoptée et les mesures envisagées ne sont toutefois, à ses yeux, ni appropriées ni efficaces.

L'interdiction de financement aurait également pour la Suisse des retombées négatives, qui affecteraient non seulement la Banque nationale suisse et les fondations, mais encore les caisses de pension et la prévoyance publique. Enfin, l'initiative remet en question la place financière et affaiblit l'industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux.

Contenu de l'initiative L'initiative populaire «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre» a été déposée le 21 juin 2018 munie de 104 612 signatures valables. Elle demande d'interdire à la Banque nationale suisse (BNS), aux fondations et aux institutions de la prévoyance publique et professionnelle de financer les producteurs de matériel de guerre. Elle prévoit en outre que la Confédération s'engage sur les plans national et international en faveur de la mise en place de conditions analogues applicables aux banques et aux assurances. Selon la disposition constitutionnelle proposée, sont réputées producteurs de matériel de guerre les entreprises dont plus de 5 % du chiffre d'affaires annuel proviennent de la production de matériel de guerre. Les équipements de déminage humanitaire ainsi que les armes de chasse et de sport, ainsi que leurs munitions, sont explicitement exclus de l'interdiction de financement. Par financement d'un producteur de matériel de guerre, le texte de l'initiative entend le fait de lui octroyer un crédit, un prêt, une donation ou un avantage financier comparable, de prendre une participation dans la société, par exemple en acquérant des actions ou des titres, et d'acquérir des parts de certains produits financiers, tels que les placements collectifs de capitaux et les produits structurés qui contiennent des parts de producteurs de matériel de guerre.

Avantages et inconvénients de l'initiative Les objectifs de l'initiative, à savoir lutter contre les causes de déplacements forcés,
promouvoir la paix, préserver la neutralité et maintenir les conditions d'une politique de sécurité et d'une politique extérieure crédibles, servent les intérêts de la Suisse. Aujourd'hui déjà, notre pays se mobilise à bien des égards en faveur de ces objectifs. Toutefois, interdire de financer les producteurs de matériel de guerre n'est pas le bon moyen pour les réaliser, en raison du manque d'efficacité de cette mesure. L'initiative aurait surtout des conséquences néfastes pour la Suisse. La définition que donne l'initiative des «producteurs de matériel de guerre» et les types de financement qu'elle propose d'interdire sont si larges que la mise en oeuvre du texte imposerait de lourdes restrictions et aurait des conséquences financières négatives.

Les institutions de la prévoyance publique et professionnelle, à savoir les caisses de

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pension et les fonds de compensation AVS/AI/APG (compenswiss) devraient renoncer à leur stratégie d'investissement dans des fonds bien diversifiés, qui repose déjà partiellement sur des principes éthiques, et investir dans des produits de placement très limités ou des titres particuliers. Selon la stratégie adoptée, la situation pourrait entraîner une diversification insuffisante du portefeuille, et donc des risques de placement très élevés, ou une charge administrative accrue, et donc des coûts importants, deux conséquences qui rejailliraient négativement sur les avoirs placés (notamment ceux des caisses de pension ou ceux de compenswiss). Cette interdiction de financement affecterait également le secteur suisse des banques et des assurances ainsi que l'industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM). Pour les banques suisses, elle imposerait un corset rigide principalement aux activités de gestion de fortune et d'octroi de crédits, ce qui réduirait l'attrait de la place financière suisse, mais aussi et surtout pénaliserait l'industrie MEM.

Confier à la Confédération le soin de mobiliser la planète en faveur d'une interdiction de financement de portée internationale n'est pas réaliste. La volonté de mener des efforts en ce sens n'existe ni dans le cadre des Nations Unies ni au sein d'autres organismes internationaux, et la mise en oeuvre d'une telle interdiction par d'autres États ayant une industrie forte n'est guère probable. C'est pourquoi, en cas d'acceptation, l'initiative n'aurait aucun impact sur la demande de biens d'équipement militaires dans le monde. Elle resterait sans effet et ne contribuerait ni à rendre le monde plus pacifique ni à réduire les causes des déplacements forcés. De surcroît, la Suisse devrait en supporter les conséquences économiques, notamment celles concernant la prévoyance.

Proposition du Conseil fédéral Par le présent message, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander au peuple et aux cantons le rejet de l'initiative populaire «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre» sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect.

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte

L'initiative populaire «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 107a

Interdiction de financer les producteurs de matériel de guerre

Le financement des producteurs de matériel de guerre par la Banque nationale suisse, par les fondations, ainsi que par les institutions de la prévoyance publique et de la prévoyance professionnelle est interdit.

1

Sont réputées producteurs de matériel de guerre les entreprises dont plus de 5 % du chiffre d'affaires annuel proviennent de la production de matériel de guerre. Les équipements de déminage humanitaire ainsi que les armes de chasse et de sport, y compris les munitions correspondantes, ne sont pas considérés comme matériel de guerre.

2

Sont réputées financement d'un producteur de matériel de guerre les opérations suivantes: 3

a.

l'octroi à un producteur de matériel de guerre d'un crédit, d'un prêt, d'une donation ou d'un avantage financier comparable;

b.

la prise de participation dans un producteur de matériel de guerre et l'acquisition de titres émis par un producteur de matériel de guerre;

c.

l'acquisition de parts de produits financiers, comme les placements collectifs de capitaux et les produits structurés, si ces produits financiers contiennent des produits de placement visés à la let. b.

La Confédération s'engage sur le plan national et international en faveur de la mise en place de conditions analogues applicables aux banques et aux assurances.

4

Art. 197, ch. 122 12. Disposition transitoire ad art. 107a (Interdiction de financer les producteurs de matériel de guerre) Si la législation correspondante n'est pas entrée en vigueur quatre ans après l'acceptation de l'art. 107a par le peuple et les cantons, le Conseil fédéral édicte les 1

1 2

RS 101 La numérotation définitive de la présente disposition transitoire sera fixée par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

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dispositions d'exécution nécessaires par voie d'ordonnance; ces dispositions s'appliquent jusqu'à l'entrée en vigueur de la législation en question.

À compter de l'acceptation de l'art. 107a par le peuple et les cantons, aucun nouveau financement au sens de l'art. 107a ne peut plus être effectué. Les financements en cours doivent être liquidés dans un délai de quatre ans.

2

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire fédérale «Pour une interdiction du financement des producteurs de matériel de guerre» a fait l'objet d'un examen préliminaire par la Chancellerie fédérale le 28 mars 20173 et a été déposée le 21 juin 2018 avec le nombre requis de signatures.

Par décision du 18 juillet 2018, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 104 612 signatures valables et qu'elle avait donc abouti4.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet direct ou indirect. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)5, le Conseil fédéral avait jusqu'au 21 juin 2019 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral accompagné d'un message. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 21 décembre 2020 pour adopter la recommandation de vote qu'elle présentera au peuple et aux cantons. Elle peut proroger le délai de traitement d'un an si les conditions visées à l'art. 105 LParl sont réunies.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, de la Constitution (Cst.)6.

3 4 5 6

a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties;

c.

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

FF 2017 2741 FF 2018 4653 RS 171.10 RS 101

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2

Contexte

2.1

Motif de l'initiative

L'argument avancé par l'Alliance pour une interdiction du commerce de guerre, portée par le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), à l'appui de l'initiative est «la quantité des affaires de guerre gérées en Suisse». La Suisse, pays neutre dépositaire des Conventions de Genève, qui possède l'une des plus grandes places financières du monde, ne peut se permettre, selon le comité d'initiative, une «maximisation des profits aux dépens de vies humaines» et devrait interdire aux banques, aux assurances, aux institutions de la prévoyance publique et professionnelle (1er et 2e piliers), aux fondations et à la Banque nationale suisse (BNS) de financer les producteurs de matériel de guerre, car ces investisseurs seraient des bénéficiaires indirects des conflits armés. Les producteurs d'armes auraient un intérêt financier à la pérennisation de l'insécurité, et les cours des actions seraient en corrélation avec l'intensité des conflits armés ou des attentats terroristes7.

La législation actuelle sur le matériel de guerre prévoit déjà l'interdiction de financer des matériels de guerre prohibés (en Suisse) et proscrits au niveau international, à savoir les armes nucléaires, biologiques ou chimiques, les mines antipersonnel et les armes à sous-munitions. Comme dans le texte de l'initiative, cette interdiction porte sur le financement direct (l'octroi d'un crédit, d'un prêt, etc.) et le financement indirect (notamment la détention d'actions), mais uniquement lorsque celui-ci vise à contourner l'interdiction du financement direct. Les auteurs de l'initiative considèrent cette interdiction comme insuffisante, arguant qu'il est impossible de prouver l'intention de contourner l'interdiction du financement direct8. Le comité d'initiative estime également que le champ d'application de l'interdiction actuelle est trop étroit, car il ne couvre pas les armes classiques. Il y voit une lacune qu'il veut combler par son initiative.

En outre, le comité d'initiative justifie la nécessité de l'initiative par les montants élevés que les investisseurs institutionnels de la Suisse placent sur les marchés financiers internationaux. Par exemple, à la fin de 2017, la BNS gérait des actifs totalisant environ 840 milliards de francs, dont près de 4 milliards placés dans des titres9. En 2016, les quelque 1700 caisses de pension que compte la Suisse géraient des actifs avoisinant 820 milliards de francs10.

7

8 9 10

Cf. argumentaire long du comité d'initiative, pp. 4 et 5, disponible sur www.commercedeguerre.ch > Matériel de campagne > Télécharger > Argumentaire long (état: 9.1.2019).

Cf. argumentaire long (cité à la note 7), p. 9.

www.bns.ch > La BNS > Comptes annuels et bénéfice > Bilan (état: 9.1.2019) www.ofs.admin.ch > Trouver des statistiques > 13 ­ Sécurité sociale > Prévoyance professionnelle > Statistique des caisses de pension 2016 (état: 9.1.2019)

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2.2

Normes juridiques existantes

Le chapitre 2 (Matériels de guerre prohibés) de la loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le matériel de guerre (LFMG)11 contient des dispositions qui interdisent de développer, de fabriquer, de procurer à titre d'intermédiaire, d'acquérir, de remettre à quiconque, d'importer, d'exporter, de faire transiter, d'entreposer des armes nucléaires, biologiques ou chimiques, des mines antipersonnel et des armes à sousmunitions ou d'en disposer d'une autre manière.

Lors de l'adhésion de la Suisse à la Convention du 30 mai 2008 sur les armes à sousmunitions (Convention on Cluster Munitions, CCM)12, en 2009, deux motions de teneur identique intitulées «Contre le financement des armes interdites» (09.3618 Maury Pasquier et 09.3589 Hiltpold) ont sollicité l'introduction dans la LFMG de l'interdiction de financer les armes précitées. Ces motions ont été acceptées, et le Conseil fédéral a été chargé, lors de la révision de la LFMG en marge de la ratification de la CCM, de prévoir une disposition sanctionnant le financement des transactions de matériels de guerre prohibés. Dans sa réponse à ces deux motions, il a clairement précisé que, pour des raisons pratiques, l'interdiction concernerait exclusivement le financement direct, arguant qu'il ne serait guère possible d'examiner avec des moyens raisonnables si, notamment, de l'argent placé dans des actions étrangères ne servirait pas indirectement à financer une activité interdite par la LFMG. Le Parlement s'est rangé à l'avis du Conseil fédéral.

Finalement, afin de mettre en oeuvre ces deux motions, la LFMG a été complétée par deux articles interdisant explicitement le financement direct et le financement indirect, tout en précisant que l'interdiction visant le financement indirect est applicable uniquement si le but visé est de contourner l'interdiction du financement direct. Ces interdictions (art. 8b et 8c LFMG) et la disposition pénale s'y rapportant (art. 35b LFMG) sont entrées en vigueur en 2013: Art. 8b

Interdiction du financement direct

Il est interdit de financer directement le développement, la fabrication ou l'acquisition de matériels de guerre prohibés.

1

Est considéré comme financement direct au sens de la présente loi l'octroi direct de crédits, de prêts, de donations ou d'avantages financiers comparables en vue de couvrir ou d'avancer les coûts du développement, de la fabrication ou de l'acquisition de matériels de guerre prohibés ou les frais liés à de telles activités.

2

Art. 8c

Interdiction du financement indirect

Il est interdit de financer indirectement le développement, la fabrication ou l'acquisition de matériels de guerre prohibés si le but visé est de contourner l'interdiction du financement direct.

1

11 12

RS 514.51 RS 0.515.093

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2

Est considéré comme financement indirect au sens de la présente loi: a.

la participation à des sociétés qui développent, fabriquent ou acquièrent des matériels de guerre prohibés;

b.

l'achat d'obligations ou d'autres produits de placement émis par de telles sociétés.

Art. 35b

Infractions à l'interdiction de financement

Est punie d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire toute personne qui, intentionnellement et sans qu'elle puisse invoquer l'une des exceptions prévues aux art. 7, al. 2, 8, al. 2, ou 8a, al. 3, enfreint les interdictions de financement prévues aux art. 8b et 8c.

1

2

La peine privative de liberté peut être assortie d'une peine pécuniaire.

Si l'auteur ne fait que s'accommoder de l'éventualité d'une infraction aux interdictions de financement prévues aux art. 8b et 8c, il n'est pas punissable au sens de la présente disposition.

3

Le Conseil national s'est penché pour la dernière fois sur ce sujet dans le cadre des débats sur la motion Allemann du 21 mars 2014 (14.3253 «Interdiction du financement indirect de matériels de guerre prohibés. Regrettable lacune»). Celle-ci demandait d'étendre l'interdiction du financement indirect en supprimant la condition relative au but visé (contourner l'interdiction du financement direct). Le Conseil national a rejeté la motion par 124 voix contre 64 et 3 abstentions.

3

Objectifs et contenu de l'initiative

3.1

Objectifs de l'initiative

Le comité d'initiative pense que l'industrie de l'armement est l'une des raisons qui expliquent les conflits armés, les crimes de guerre et les déplacements forcés de populations. En lançant son initiative, il cherche principalement, par la suppression de cette industrie, à faire en sorte que la Suisse contribue à rendre le monde plus pacifique et prenne ses responsabilités en matière de politique de sécurité. À ses yeux, la Suisse n'est en mesure, au niveau international, d'exercer aucune influence sur la production d'armes dans d'autres pays13, mais elle peut mettre un terme au flux d'argent vers l'industrie de l'armement à l'étranger, raison pour laquelle une interdiction de financer les producteurs de matériel de guerre entraînerait un recul de la quantité de matériel de guerre acheminé dans les zones de crise et contribuerait ainsi à un monde plus pacifique. L'initiative est également censée préserver la neutralité de la Suisse, créer les bases d'une politique de sécurité et d'une politique extérieure crédibles et, enfin, accorder à la population un pouvoir de codécision sur la richesse nationale14.

13 14

Cf. argumentaire long (cité à la note 7), p. 14.

www.commercedeguerre.ch > L'initiative > Les arguments (état: 14.11.2018)

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3.2

Contenu de la réglementation proposée

Le texte de l'initiative fait interdiction à la BNS, aux fondations suisses, à compenswiss (chargé de l'administration des fonds de compensation de l'AVS, de l'AI et du régime des APG) et aux caisses de pension suisses (et, le cas échéant, aux institutions de libre passage) de financer des producteurs de matériel de guerre dans le monde. Sont considérées comme des producteurs de matériel de guerre les entreprises dont plus de 5 % du chiffre d'affaires annuel proviennent de la production de matériel de guerre. L'interdiction en Suisse vise à freiner la production générale de matériel de guerre, car elle aurait pour effet, dans l'idée que se font les auteurs de l'initiative, de soustraire d'importantes contributions financières en provenance de notre pays15. Les équipements de déminage humanitaire ainsi que les armes de chasse et de sport, ainsi que leurs munitions, sont explicitement exclus de l'interdiction de financement. Ces biens ne sont de toute façon pas considérés comme du matériel de guerre au sens de la LFMG; ils ne seraient donc pas concernés par l'interdiction de financement, même à défaut de dérogation explicite.

Par financement d'un producteur de matériel de guerre, le texte de l'initiative entend le fait de lui octroyer un crédit, un prêt, une donation ou un avantage financier comparable, de prendre une participation dans la société, par exemple en acquérant des actions ou des titres, et d'acquérir des parts de certains produits financiers, tels que les placements collectifs de capitaux et les produits structurés qui contiennent des parts de producteurs de matériel de guerre.

Enfin, le texte de l'initiative prévoit un engagement actif du Conseil fédéral sur les plans national et international en faveur de règles analogues applicables aux banques et aux assurances. Les auteurs de l'initiative justifient cet article spécifique aux banques et aux assurances par le fait que celles-ci pourraient très rapidement échapper à la réglementation en effectuant leurs investissements et en poursuivant leurs activités de financement depuis l'étranger. La Confédération devrait donc s'engager en faveur de la mise en place d'une interdiction similaire au niveau international, qui empêcherait les banques et les assurances de financer les producteurs de matériel de guerre dans le monde entier16.
Alors que l'interdiction du financement inscrite au nouvel art. 107a, al. 1, Cst. serait directement applicable, il serait nécessaire de mettre en oeuvre d'autres éléments sur le plan législatif (p. ex. le nouvel art. 107a, al. 4, ainsi que les sanctions destinées à punir les infractions).

15 16

Cf. argumentaire long (cité à la note 7), p. 18.

www.commercedeguerre.ch > L'initiative > FAQ ­ Questions et réponses sur l'initiative (état: 14.11.2018)

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3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

Art. 107a, al. 1 «prévoyance publique et prévoyance professionnelle» L'art. 107a, al. 1, du texte de l'initiative cite la BNS, les fondations ainsi que les institutions de la prévoyance publique et professionnelle. Compenswiss est considéré comme une institution de la prévoyance publique, et les quelque 1700 caisses de pension, qui gèrent des avoirs d'environ 820 milliards de francs17, comme des institutions de la prévoyance professionnelle. Le cas échéant, la prévoyance professionnelle pourrait également inclure les institutions de libre passage, qui servent à maintenir la protection de la prévoyance lorsqu'une personne assurée quitte une institution de prévoyance sans s'affilier à une nouvelle. Les comptes de libre passage sont gérés par les banques. Les avoirs de prévoyance qui ne sont pas activement transférés sur un compte de libre passage sont déposés auprès de la Fondation institution supplétive LPP. Cette institution de prévoyance nationale accueille toute personne qui n'est pas affiliée à une caisse de pension ni titulaire d'un compte de libre passage. En tant que fondation, elle est directement concernée par l'initiative.

Art. 107a, al. 2 «producteurs de matériel de guerre» Aux termes de l'art. 107a, al. 2, du texte de l'initiative, sont réputées producteurs de matériel de guerre les entreprises du monde entier dont plus de 5 % du chiffre d'affaires annuel proviennent de la production de matériel de guerre. Le classement d'une entreprise en tant que «producteur de matériel de guerre» est donc dynamique et peut, en fonction des conditions, changer d'une année à l'autre.

Du fait de son hétérogénéité, le secteur de l'armement ne peut pas être qualifié de branche indépendante, de sorte qu'il est difficile de chiffrer l'importance de l'industrie de l'armement, c'est-à-dire d'estimer le nombre de producteurs de matériel de guerre en Suisse et, plus encore, à l'étranger. Les biens produits par les entreprises suisses d'armement sont des plus divers, comme la poudre de guerre, les munitions, les véhicules blindés, les avions, les armes légères, les charges creuses ou encore les systèmes de défense antiaérienne. Étant donné le seuil très bas (5 % du chiffre d'affaires annuel) retenu dans la définition des producteurs de matériel de guerre, celle-ci engloberait de nombreuses entreprises qui
fabriquent ou transforment uniquement des pièces détachées et des éléments d'assemblage, c'est-à-dire pas seulement les grandes entreprises d'armement connues comme RUAG, Rheinmetall ou GDELS-Mowag, mais aussi des entreprises sous-traitantes. Ce seuil ne permet pas non plus de quantifier le nombre d'entreprises touchées. En principe, la majorité des entreprises en question relèvent de l'industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (industrie MEM), qui emploie au total environ 17

www.statistique.admin.ch > Trouver des statistiques > 13 ­ Sécurité sociale > Prévoyance professionnelle > Statistique des caisses de pension 2016 (état: 9.1.2019)

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320 000 personnes en Suisse et comprend 13 423 entreprises, dont 13 218 (98 %) sont des microentreprises ou des PME18.

Art. 107a, al. 3 «financement» Selon le texte de l'initiative, la notion de financement comprend, d'une part, l'octroi de capitaux étrangers sous forme de crédits, de prêts et de donations ou d'avantages financiers comparables et, d'autre part, la mise à disposition de fonds propres par des participations financières dans un producteur de matériel de guerre, par exemple en acquérant des titres ou d'autres produits financiers qui contiennent des parts dans des producteurs de matériel de guerre (p. ex. placements collectifs ou produits structurés). Il s'agit, par exemple, de la détention de fonds de placement et de fonds négociés en bourse (exchange-traded funds, ETF). Les ETF englobent les fonds qui répliquent un indice tel que le SMI, le DAX ou le Dow Jones et sont donc gérés passivement. En principe, ils peuvent être négociés comme des actions, mais offrent la possibilité d'une diversification des risques à des coûts nettement inférieurs. Il suffit d'une seule transaction pour investir sur l'ensemble d'un marché ou d'un segment de marché. En raison de leurs faibles coûts et de la large diversification des risques de placement, ces fonds représentent un véhicule d'investissement attractif.

De même, il serait interdit d'investir dans les instruments dérivés qui reposent sur ces fonds ou indices boursiers. La valeur des produits dérivés dépend de l'actif sousjacent, qui peut être un titre, une obligation ou une action. Les produits dérivés bénéficient de la hausse ou de la baisse future de la valeur du sous-jacent. Les dérivés reposant sur des actions de producteurs de matériel de guerre ou des fonds comprenant des producteurs de matériel de guerre ne seraient donc plus autorisés.

Ainsi, il ne serait plus possible d'investir dans un fonds dès lors qu'il comprendrait une seule entreprise, telle que General Dynamics, Rheinmetall, Saab, Boeing ou Airbus, ou une seule PME (sous-traitante) du secteur de l'armement (au niveau mondial) qui dépasse le seuil des 5 % du chiffre d'affaires annuel provenant de la production de matériel de guerre.

«production» Par «production», les auteurs de l'initiative entendent la fabrication et la transformation à titre commercial de matériel de guerre,
ainsi que la fabrication de pièces essentielles à cet effet19.

«matériel de guerre» Au sujet de la définition du matériel de guerre, les auteurs de l'initiative font référence dans leur documentation à la législation sur le matériel de guerre20. Au sens de l'art. 5 LFMG, le terme «matériel de guerre» désigne les armes, les systèmes d'arme, les munitions et les explosifs militaires ainsi que les équipements spécifi18 19 20

www.swissmem.ch > Actualités > Publications > Swissmem Panorama (état: 9.1.2019) Cf. argumentaire long (cité à la note 7), p. 15.

www.commercedeguerre.ch > L'Initiative > FAQ ­ Questions et réponses sur l'initiative > «Que considère-t-on comme du matériel de guerre?» (état: 14.11.2018)

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quement conçus ou modifiés pour un engagement au combat ou pour la conduite du combat et qui, en principe, ne sont pas utilisés à des fins civiles. Il inclut également les pièces détachées et les éléments d'assemblage, même partiellement usinés, lorsqu'il est reconnaissable qu'on ne peut les utiliser dans la même exécution à des fins civiles. Le texte de l'initiative exclut explicitement du champ d'application les équipements servant au déminage humanitaire ainsi que les armes de chasse et de sport qui sont clairement reconnaissables comme tels et ne conviennent pas aux opérations de combat. Mais puisque la LFMG ne les considère pas non plus comme du matériel de guerre, la mention de cette dérogation est inutile.

En raison du lien avec la LFMG, toute adaptation ultérieure de la définition du matériel de guerre figurant à l'art. 5 de ladite loi modifierait aussi automatiquement le champ d'application de l'interdiction de financement inscrite dans la Cst.

Art. 107a, al. 3, let. a «avantage financier comparable» La notion d'avantage financier comparable figure d'ores et déjà à l'art. 8b, al. 2, LFMG, qui régit l'interdiction du financement direct de matériels de guerre prohibés en Suisse. Dans le cadre de l'approbation de la Convention sur les armes à sousmunitions, des dispositions sur l'interdiction du financement tant direct qu'indirect ont été introduites dans la LFMG (cf. ch. 2.2). Mais la notion n'a pas été précisée davantage dans le message du Conseil fédéral du 6 juin 2011 relatif à l'approbation de la Convention sur les armes à sous-munitions ainsi qu'à la modification de la loi sur le matériel de guerre21. Toutefois, dans le texte de l'initiative, elle pourrait avoir été utilisée par analogie avec la législation sur le matériel de guerre et couvrir, par conséquent, le même champ d'application. En particulier, il s'agirait de prendre dûment en considération les développements futurs dans le domaine des produits financiers.

Les services d'assurance ne sont pas concernés par l'interdiction de financement.

L'art. 107a, al. 3, relève en particulier l'octroi d'un crédit, d'un prêt, d'une donation ou d'un avantage financier comparable. Le paiement d'une somme d'assurance à la suite de la survenue d'un sinistre n'entre pas dans le champ d'application de la disposition.

Art. 107a, al. 4 Le texte
de l'initiative prévoit en outre que la Confédération s'investisse aux niveaux national et international afin que les banques et les assurances soient également soumises à la réglementation proposée.

Cet alinéa est formulé de manière ouverte et permet diverses options. Par exemple, l'interdiction visant les banques et les assurances pourrait être mise en oeuvre sur le plan législatif immédiatement après l'acceptation de l'initiative ou seulement après l'adoption d'une interdiction internationale de financement que la Suisse entend mettre en oeuvre.

21

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Un engagement au niveau international pourrait s'avérer efficace uniquement dans le cadre d'un système multilatéral. Pour mettre en oeuvre l'al. 4, la Suisse pourrait par exemple proposer un projet de principes directeurs dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), à l'image des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, mais qui seraient centrés sur le financement des producteurs de matériel de guerre.

Autre exemple: la Suisse pourrait parrainer une initiative internationale visant à établir des lignes directrices dans le cadre du Groupe d'action financière (GAFI).

Celui-ci a déjà publié en 2018 des lignes directrices destinées à endiguer la prolifération des armes de destruction massive (Guidance on the Implementation of Financial Provisions of United Nations Security Council Resolutions to Counter the Proliferation of Weapons of Mass Destruction)22. Ces lignes directrices ne sont pas non plus contraignantes; elles visent principalement à tenir compte des différents développements intervenus en lien avec les résolutions des Nations Unies à l'encontre de l'Iran et de la Corée du Nord.

Art. 197, ch. 1223 La disposition transitoire concernant l'art. 107a confie le soin au Conseil fédéral d'édicter les dispositions d'exécution nécessaires par voie d'ordonnance, si la législation correspondante n'est pas entrée en vigueur dans les quatre ans à compter de l'acceptation du nouvel article. Ces dispositions seraient applicables jusqu'à l'entrée en vigueur de la législation en question. En outre, si l'art. 107a est accepté, aucun nouveau financement ne pourra plus être effectué, et les financements en cours devront être liquidés dans un délai de quatre ans à partir de l'acceptation dudit article.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des exigences de l'initiative

Les auteurs de l'initiative ont pour ambition de contribuer à rendre le monde plus pacifique, de combattre les déplacements forcés, de préserver la neutralité de la Suisse et de maintenir les conditions propres à y favoriser une politique de sécurité et une politique extérieure crédibles24. Le Conseil fédéral estime toutefois que l'interdiction de financer les producteurs de matériel de guerre qu'ils proposent ne permettra pas d'atteindre leurs objectifs. Il s'en explique dans les lignes qui suivent.

22 23 24

www.fatf-gafi.org > Publications > Financement de la prolifération (état: 17.4.2019) Le numéro définitif de cette disposition transitoire sera attribué par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

www.commercedeguerre.ch > L'initiative > Les arguments (état: 14.11.2018)

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4.1.1

L'initiative ne contribue pas à un monde plus pacifique

Aux yeux de ses auteurs, l'initiative contribue à rendre le monde plus pacifique, ce qui implique un lien direct entre la prise de participation dans une entreprise d'armement et l'exportation de matériel de guerre dans des régions en crise. Or, si l'initiative était acceptée, cela n'aurait pratiquement aucun impact sur l'offre et la demande de biens d'équipement militaires à l'échelle de la planète, d'autant moins que les entreprises d'armement étrangères ne seraient guère affectées par sa mise en oeuvre et que leurs activités commerciales ne s'en trouveraient pas restreintes. Le texte de l'initiative confie, il est vrai, le soin à la Confédération de s'investir aux niveaux national et international pour que les dispositions en question soient également applicables aux banques et aux assurances, mais une interdiction de financer les producteurs de matériel de guerre à l'échelle de la planète n'est pas réaliste, car il n'y a aucune volonté à ce niveau d'appliquer une telle mesure.

La violence qui se manifeste sous la forme d'un conflit armé est souvent liée aux difficultés économiques, aux disparités socioéconomiques, à la discrimination (fondée sur la religion, l'appartenance ethnique, etc.), aux régimes politiques répressifs, au manque de possibilités de participation politique et à l'épuisement des ressources comme les terres ou l'eau. Afin de prévenir ou de résoudre les conflits armés, il est nécessaire de s'interroger sur les causes. L'engagement de la Suisse en faveur de la coopération au développement, de la promotion de la paix et de la politique des droits de l'homme est essentiel pour lutter contre les causes possibles des conflits armés, à l'instar des efforts qu'elle déploie dans le cadre du désarmement, de la maîtrise des armements et de la non-prolifération, ainsi que dans ses activités de médiation.

Par ailleurs, la meilleure manière de réduire réellement le nombre d'armes utilisées dans un conflit consiste probablement à instaurer des contrôles à l'exportation harmonisés sur le plan international et à garantir le respect des engagements de nonréexportation. Ce dernier instrument vise à empêcher la transmission illégale de matériel de guerre à des destinataires finaux non souhaités dans des pays tiers. Les efforts d'harmonisation au niveau international sont entrepris, par exemple,
dans le cadre du Traité du 2 avril 2013 sur le commerce des armes25 ou des régimes régionaux de contrôle à l'exportation et à l'importation (comme l'Arrangement de Wassenaar26 ou la Convention de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest [CEDEAO] sur les armes légères et de petit calibre, leurs munitions et autres matériels connexes). Afin de lutter contre les déplacements forcés de populations qui sont liés à l'accès aux armes, il convient donc de promouvoir en particulier les instruments internationaux précités.

25 26

RS 0.518.61 www.seco.admin.ch > Économie extérieure et Coopération économique > Relations économiques > Contrôles à l'exportation et sanctions > Politique de contrôle à l'exportation Dual-Use > L'Arrangement de Wassenaar (WA) (état: 17.4.2019)

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4.1.2

L'initiative ne combat pas les déplacements forcés

Les auteurs de l'initiative estiment que, en veillant à réduire le nombre d'armes livrées dans les régions en guerre, celle-ci combat les déplacements forcés de populations. Néanmoins, comme mentionné au ch. 4.1.1, si l'initiative était acceptée, sa mise en oeuvre n'aurait pratiquement aucun impact sur l'offre et la demande de matériel de guerre dans le monde.

L'initiative n'est donc pas appropriée pour lutter contre les causes des déplacements forcés, que ceux-ci soient liés à un conflit alimenté par des livraisons d'armes ou qu'ils soient dus à d'autres facteurs, tels que des crises politiques, des catastrophes naturelles, des persécutions ou à d'autres difficultés existentielles.

4.1.3

L'initiative n'a aucune influence sur la neutralité suisse

La neutralité est un instrument de la politique de sécurité et de la politique extérieure de la Suisse qui sert à garantir l'indépendance et la sécurité de notre pays. En cas de conflit armé international, la Suisse a, en vertu du droit de la neutralité, certains droits et devoirs contraignants, répertoriés dans les deux Conventions de La Haye du 18 octobre 190727. Aux termes de ces règles de droit international, elle ne peut apporter un soutien militaire à un État belligérant dans un conflit armé international.

Par ailleurs, en tant qu'État neutre, la Suisse a droit à l'inviolabilité de son territoire.

En temps de paix, la Suisse, en tant qu'État neutre permanent, a également un autre devoir en vertu du droit international coutumier. Elle ne doit pas se mettre dans une situation qui l'empêcherait de respecter ses obligations en cas de conflit futur.

Les investissements des institutions de la prévoyance publique et les financements du secteur privé n'affectent en rien la neutralité de la Suisse. C'est pourquoi les investissements dans des groupes d'armement réalisés par compenswiss, des banques ou des caisses de pension, par exemple, sont compatibles avec la neutralité de la Suisse.

4.1.4

L'initiative ne contribue pas à la crédibilité de la politique de sécurité et de la politique extérieure de la Suisse

La politique de sécurité englobe les mesures visant à prévenir, à écarter et à maîtriser les menaces et les actions de nature politique ou criminelle qui pourraient restreindre la capacité d'autodétermination de la Suisse et de sa population ou leur causer des dommages. La gestion des catastrophes et des situations d'urgence d'origine naturelle ou anthropique en fait partie.

27

RS 0.515.21, 0.515.22

4911

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En revanche, la politique extérieure sert à préserver l'indépendance et la prospérité de la Suisse, à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté, ainsi qu'à promouvoir le respect des droits de l'homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles. Ces principes sont inscrits à l'art. 54 Cst.

Le renforcement de la crédibilité de ces deux politiques s'opère par d'autres moyens que par une interdiction de financement applicable à la BNS, aux fondations, aux institutions de la prévoyance publique et professionnelle, aux banques et aux assurances. Ainsi une politique de sécurité crédible exige notamment une armée opérationnelle et des forces de police compétentes. Une politique extérieure crédible doit surtout défendre de manière cohérente les intérêts nationaux divergents vis-à-vis des pays étrangers et d'un monde globalisé.

La promotion de la paix et le respect des droits de l'homme comptent parmi les priorités de la politique extérieure de la Suisse, qui fait preuve d'un engagement crédible sur le plan bilatéral et dans de nombreuses enceintes internationales, comme les Nations Unies28, et contribue au règlement des conflits.

Les activités de promotion de la paix comprennent les bons offices et la médiation, l'accompagnement des processus démocratiques, le renforcement de l'état de droit et la promotion des droits de l'homme, la prévention de l'extrémisme violent et des atrocités, notamment au sein d'organisations internationales telles que les Nations Unies, l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe ou le Conseil de l'Europe. La Suisse se mobilise aussi dans le cadre de différents régimes de maîtrise des armements (l'Arrangement de Wassenaar, p. ex.) et traités internationaux (le Traité sur le commerce des armes, la Convention du 18 septembre 1997 sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction29, la Convention sur les armes à sous-munitions, p. ex.) afin de faire valoir ses intérêts en matière de politique extérieure et de politique de sécurité.

4.1.5

L'initiative entrave des institutions indépendantes et affecte la fortune privée

Les banques centrales doivent être indépendantes des autorités politiques pour remplir leurs missions de politique monétaire. Ce principe est largement accepté et appliqué dans le monde entier. La Banque centrale européenne (BCE), par exemple, souligne explicitement que ni elle, ni une banque centrale nationale, ni un membre quelconque de leurs organes de décision ne peuvent solliciter ni accepter des instructions des institutions, organes ou organismes de l'UE, des gouvernements des États membres ou de tout autre organisme.

28

29

Rapport du Conseil fédéral du 9 décembre 2016 sur la stratégie de la Suisse visant à mettre en oeuvre les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, disponible à l'adresse suivante: www.parlement.ch > 12.3503 «Une stratégie Ruggie pour la Suisse» > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire (état: 17.4.2109).

RS 0.515.092

4912

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La Constitution souligne expressément l'indépendance politique conférée à la BNS (art. 99 Cst.). Si l'initiative était acceptée, les décisions de placement de notre banque centrale seraient limitées par des instructions venant de l'extérieur. La BNS ne serait donc plus en mesure d'investir de manière neutre sur le marché. L'initiative remet donc en cause l'indépendance constitutionnelle de la BNS. Elle pourrait également créer un précédent et élargir les possibilités d'influer sur la BNS propres à limiter ses investissements dans d'autres domaines, ce qui réduirait encore davantage l'indépendance de l'institution. La BNS, les fondations, les institutions de la prévoyance publique et professionnelle ainsi que les banques et les assurances sont déjà libres d'émettre leurs propres directives concernant le placement des actifs sous gestion et d'investir dans des produits financiers durables. Certaines d'entre elles le font déjà. Les caisses de pension de la Confédération, de Swisscom, des CFF, de la Poste et de Migros ainsi que la caisse de prévoyance du personnel du canton de Zurich et compenswiss, par exemple, sont affiliés à l'Association suisse pour des investissements responsables (ASIR). Elles excluent délibérément de leur univers d'investissement certaines entreprises comme Lockheed Martin, qui produit entre autres des armes à sous-munitions et des mines antipersonnel.

Une étude publiée en 2018 par Swiss Sustainable Finance en collaboration avec l'Université de Zurich30, dont les auteurs ont interrogé 61 acteurs, parmi lesquels des caisses de pension, des banques et des gestionnaires de fortune, sur leur comportement en matière d'investissement, montre que de nombreux investisseurs prennent aujourd'hui déjà en compte les considérations de durabilité dans leurs décisions de placement. La procédure d'exclusion appliquée à 37 % des investissements durables en Suisse vise principalement la production et le commerce des armes, le tabac, l'énergie nucléaire ainsi que les entreprises qui violent les droits de l'homme. Les efforts déjà déployés dans ce domaine reposent sur l'initiative individuelle et la responsabilité des investisseurs. Or la différence avec l'initiative qui nous occupe est importante: il n'y a pas obligation de respecter un seuil de chiffre d'affaires fixe, mais possibilité de choisir
au cas par cas les entreprises spécifiques à exclure.

En 2006, Kofi Annan, alors secrétaire général des Nations Unies, a créé un réseau d'experts et de directeurs financiers qui, avec le soutien de l'ONU, a élaboré des Principes pour l'investissement responsable ­ au nombre de six ­ et qui entend les appliquer. Les signataires sont au nombre de 1200 dans le monde, dont 79 institutions en Suisse. Ces principes comprennent, par exemple, l'intégration des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans l'analyse et les décisions d'investissement ou la diffusion appropriée de ces thèmes au sein des entreprises dans lesquelles les investissements sont réalisés. Bien que ces principes ne soient pas contraignants, l'instrument est parfois aussi considéré comme un aiguillon qui incite le secteur financier à traiter ces questions. De nombreux signataires ont déjà volontairement modifié leur portefeuille d'investissement sur la base de ces principes.

Cette responsabilité personnelle est un principe fondamental dans tous les domaines de la prévoyance professionnelle. Des efforts similaires ont déjà été consentis en ce qui concerne la prévoyance publique et la BNS. Par exemple, cette dernière n'investit pas dans des actions d'entreprises qui produisent des armes prohibées par 30

Swiss Sustainability Investment Market Study 2018, disponible à l'adresse suivante: www.sustainablefinance.ch > Our Activities > SSF Publications (état: 17.4.2109).

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la communauté internationale, qui violent massivement les droits humains fondamentaux ou qui causent de manière systématique de graves dommages à l'environnement. La prévoyance publique applique elle aussi déjà des critères comparables.

Ainsi compenswiss exclut les investissements dans des sociétés qui produisent des armes prohibées31.

En cas d'acceptation, l'initiative remettrait en cause la liberté d'action et la responsabilité personnelle de ces acteurs et leur imposerait un corset rigide. Les efforts consentis jusqu'à présent montrent que ces investisseurs institutionnels sont tout à fait capables de traiter de manière pleinement responsable et autonome les questions qui touchent aux investissements éthiquement, socialement et écologiquement responsables. Une réglementation étatique n'est donc pas nécessaire et irait à l'encontre de l'opinion dominante. La BNS, mais aussi les fondations, les institutions de la prévoyance publique et professionnelle, les banques et les assurances sont aujourd'hui libres d'investir dans des placements en fonction de leurs préférences.

L'initiative va clairement trop loin et, de surcroît, manque son but.

Enfin, il convient de noter que le comité d'initiative souhaite introduire des règles relatives à la richesse nationale. L'argent de la BNS ou la fortune des fonds de compensation AVS/AI/APG peuvent être considérés comme faisant partie de la richesse nationale. À l'inverse, les avoirs des fondations, des caisses de pension, des banques et des assurances relèvent de la fortune privée. Or ils seraient également affectés si l'initiative était acceptée, ce qui pourrait être considéré comme une atteinte à la propriété privée.

4.2

Conséquences de l'initiative en cas d'acceptation

Le texte de l'initiative établit des définitions claires des types de financement qui seraient interdits et des entreprises qui ne pourraient plus être financées. En ce qui concerne les investissements de la BNS, des fondations et des institutions de la prévoyance publique et professionnelle, il s'agirait de renoncer aux investissements directs dans des entreprises qui réalisent plus de 5 % de leur chiffre d'affaires dans la production de matériel de guerre. Il s'agirait également de ne plus effectuer d'investissements dans des produits de placement tels que des fonds ou des produits dérivés s'il y a des risques, par exemple, qu'ils comprennent des actions d'une société qui réalise plus de 5 % de son chiffre d'affaires dans la production de matériel de guerre.

Les fonds qui n'englobent pas d'entreprises actives dans l'industrie de l'armement tendent manifestement à se multiplier. Toutefois, ces fonds fonctionnent en règle générale selon le principe de l'inclusion et non de l'exclusion. En d'autres termes, les fonds créés ne sélectionnent que des entreprises considérées comme «exemplaires sur le plan éthique». Ils se concentrent donc sur des entreprises particulières 31

Rapport annuel 2017 des Fonds de compensation de l'assurance-vieillesse et survivants, de l'assurance-invalidité et du régime des allocations pour perte de gain, rapport annuel du Conseil d'administration au Conseil fédéral, mai 2018, p. 72, disponible à l'adresse suivante: www.compenswiss.ch > Rapports annuels > Rapport annuel 2017 AVS/AI/APG (état: 17.4.2109).

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plutôt que sur des secteurs et des marchés entiers, ce qui entraîne inévitablement une diversification potentiellement insuffisante des risques. D'autres fonds «durables», qui fonctionnent sur le principe de l'exclusion, se bornent à exclure les grands producteurs d'armes à sous-munitions, de mines antipersonnel et d'armes nucléaires, biologiques ou chimiques.

Si l'exclusion de quelques titres de sociétés qui, par exemple, produisent des armes prohibées comme des mines antipersonnel est encore envisageable, en cas d'acceptation, l'initiative exigerait d'examiner soigneusement chacun des titres d'un fonds pour vérifier si l'entreprise qui l'a émis réalise plus de 5 % de son chiffre d'affaires en produisant du matériel de guerre. Or un indice comme le MSCI World compte plus de 1600 titres de 23 pays, dont des titres émis par des groupes possédant plusieurs filiales. En outre, un portefeuille de placement d'ampleur mondiale comprend généralement aussi des actions de petites capitalisations et de marchés émergents, ce qui signifie qu'il peut contenir plusieurs milliers de sociétés. Si l'initiative était acceptée, la BNS, les fondations, les caisses de pension et compenswiss devraient procéder à un examen annuel approfondi et compliqué des portefeuilles et des titres figurant dans les autres fonds, qui n'est guère réalisable moyennant un effort raisonnable.

Il n'existe pas d'annuaire mondial répertoriant les entreprises qui réalisent plus de 5 % de leur chiffre d'affaires annuel dans la production de matériel de guerre. En règle générale, ces données sont livrées par des prestataires commerciaux, qui devraient toutefois appliquer exactement les critères prévus par la législation suisse. Or le marché helvétique est trop petit pour justifier cet effort supplémentaire. De surcroît, ces listes devraient être adaptées chaque année, la part du matériel de guerre dans le chiffre d'affaires total d'une entreprise étant susceptible de varier. Il est donc peu probable que les acteurs mondiaux adaptent leur offre de fonds si l'initiative était acceptée.

Par conséquent, accepter l'initiative reviendrait à fermer l'accès aux fonds négociés en bourse (ETF) et aux dérivés négociés en bourse (exchange-traded derivatives, ETD) les plus importants et donc généralement les plus liquides et les plus rentables, et à
réduire ainsi considérablement l'univers de placement disponible. Tant les ETF que les ETD sont largement basés sur les grands indices boursiers, qui incluent également des entreprises industrielles et donc des producteurs de matériel de guerre (selon la définition de l'initiative). La sélection d'ETF qui, selon toute vraisemblance, ne contiennent aucune part d'un producteur de matériel de guerre sont peu nombreux et limités à quelques rares secteurs. Les investissements dans des ETF ou des dérivés indiciels généralement disponibles qui répliquent un indice particulier (S&P 500, MSCI World, SMI, DAX, Dow Jones, Nikkei, etc.) ne seraient plus autorisés, car ils comprennent une grande variété d'entreprises de différents secteurs (dont des producteurs de matériel de guerre au sens de l'initiative).

La prise en compte correcte des structures de grands groupes poserait probablement aussi des difficultés. Par exemple, le financement des filiales qui n'exercent que des activités civiles serait-il également exclu dans le cas où la société mère dépasserait le seuil des 5 %?

4915

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Eu égard à ce qui précède, les lignes qui suivent présentent les conséquences concrètes de l'interdiction pour les différents acteurs concernés.

4.2.1

Conséquences pour la BNS

Les activités de la BNS sont régies par la loi du 3 octobre 2003 sur la Banque nationale (LBN)32 et les Directives générales de la Banque nationale suisse du 27 mai 2004 sur la politique de placement33. Dans le cadre de ses tâches de politique monétaire exercées en toute indépendance, la BNS ne peut, aux termes de l'art. 6 LBN, ni solliciter ni accepter d'instructions du Conseil fédéral, de l'Assemblée fédérale ou d'autres organismes. La stabilité des prix en Suisse montre que cette pratique s'est avérée concluante.

La politique monétaire menée par la BNS a la priorité sur la gestion des actifs; ses placements en actions contribuent dans ce cadre à maintenir à long terme la valeur réelle des réserves monétaires et à leur stabilisation. C'est pourquoi la BNS s'efforce d'atteindre uniquement des objectifs financiers et non des objectifs stratégiques en ce qui concerne la politique d'entreprises particulières, et ne souhaite pas une augmentation artificielle des cours. Notre banque centrale investit donc de manière large, en ménageant le marché et en restant aussi neutre que possible.

Dans ce contexte, les actions sont gérées de manière passive, les portefeuilles répliquant la composition d'indices boursiers. Néanmoins, les entreprises qui violent massivement les droits humains fondamentaux, causent de manière systématique de graves dommages à l'environnement ou produisent des armes prohibées par la communauté internationale (ce sont généralement des armes à sous-munitions, des mines antipersonnel et des armes chimiques ou biologiques) sont aujourd'hui déjà exclues des investissements de la BNS. Pour celle-ci, une large diversification des placements constitue l'élément central de la gestion des risques. L'obligation constitutionnelle d'exclure certaines entreprises remettrait en question ce principe d'effectuer des investissements neutres et ménageant le marché, et risquerait de modifier la valeur d'entreprises particulières à travers les investissements de la BNS, ce qui entraînerait une distorsion du marché.

4.2.2

Conséquences pour les fondations

Si l'initiative était acceptée, les fondations seraient surtout affectées par la restriction, relevée plus haut, concernant le placement de leur patrimoine (cf. ch. 4.2). Les fondations de petite taille, en particulier celles dont la fortune est moins importante, visent des frais d'administration peu élevés et une grande diversification des risques, raison pour laquelle les ETF sont, pour elles, un bon véhicule de placement. Les fonds indiciels gérés passivement permettent une bonne répartition des risques et occasionnent des frais d'administration peu élevés; mais ils peuvent également 32 33

RS 951.11 www.bns.ch > La BNS > Fondements juridiques > Directives et règlements > Directives sur la politique de placement (état: 17.4.2109)

4916

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contenir des parts dans des entreprises considérées comme des producteurs de matériel de guerre au sens de l'art. 107a, al. 2, du texte de l'initiative.

Les avoirs des fondations ne font non plus partie de la richesse nationale, pour laquelle le comité d'initiative réclame un pouvoir de codécision.

4.2.3

Conséquences pour les caisses de pension

Les statistiques sur les caisses de pension publiées en 201834 par l'Office fédéral de la statistique recensaient 1713 institutions de prévoyance en 2016. Les caisses de pension gèrent quelque 820 milliards de francs de cotisations versées par environ 4,09 millions d'assurés. Pour elles, les ETF représentent également un moyen approprié et tout à fait courant de diversifier les risques de placement de manière large et avantageuse tout en offrant de bonnes perspectives de rendement à des coûts relativement bas, car ces fonds n'ont pas besoin d'être gérés activement. Or si l'initiative était acceptée, elle rendrait ces investissements plus difficiles. En outre, les caisses de pension qui gèrent les fonds du personnel employé par les producteurs de matériel de guerre ne seraient pas autorisées à investir dans les employeurs de leurs assurés et devraient, si l'initiative était acceptée, se défaire des actions émises par ces entreprises.

En vertu de la loi fédérale du 25 juin 1982 sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité35, les institutions de prévoyance sont chargées d'administrer leur fortune de manière à garantir la sécurité des placements, un rendement raisonnable, une répartition appropriée des risques afin de protéger les assurés et les bénéficiaires de rentes des conséquences économiques de la vieillesse, de l'invalidité et du décès.

Selon l'étude 2018 de Swisscanto sur les caisses de pension36, les institutions interrogées ont investi en moyenne environ 28 % dans des placements indiciels en 2017.

Sur la fortune totale sous gestion, de quelque 820 milliards de francs, ce sont donc environ 230 milliards de francs que les caisses de pension suisses investissent dans des placements indiciels. Cette part n'a cessé d'augmenter ces dernières années. En 2008, elle se situait à peine autour de 19 %, ce qui représente une augmentation de 47 % en dix ans, une tendance qui devrait se poursuivre.

Enfin, il y a lieu de souligner que les avoirs des caisses de pension sont également de la fortune privée, laquelle, en cas d'acceptation de l'initiative, entrerait dans la sphère d'influence de l'État.

34 35 36

Cf. note 10.

RS 831.40 www.swisscanto.com > Institutions & caisses de pension > Prévoyance > Étude sur les caisses de pension > Étude 2018 (état: 17.4.2109)

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4.2.4

Conséquences pour l'AVS, l'AI et les APG

En ce qui concerne l'assurance fédérale vieillesse, survivants et invalidité, l'initiative touche compenswiss, l'établissement qui gère la fortune des fonds de compensation AVS/AI/APG. L'art. 3 de la loi du 16 juin 2017 sur les fonds de compensation37 impose à compenswiss d'exploiter les actifs des fonds de compensation de manière à garantir un rapport optimal entre la sécurité et l'obtention d'un rendement conforme aux conditions du marché. Le conseil d'administration est responsable du placement des actifs et de l'évaluation des risques (art. 8, al. 1, let. b, de la loi précitée).

L'interdiction de financement limiterait également compenswiss dans sa politique de placement autonome et ses possibilités de diversification des risques. Par ailleurs, compenswiss, qui est au demeurant un membre fondateur de l'ASIR (cf. ch. 4.1.5), applique déjà, de son propre chef, des critères relatifs à l'éthique et à la durabilité dans ses activités de placement.

Si l'initiative était acceptée, compenswiss serait confronté aux mêmes problèmes que les caisses de pension et les fondations, ce qui réduirait en fin de compte les rendements de la fortune des trois assurances sociales.

4.2.5

Conséquences pour les banques et les assurances

Le texte de l'initiative demande à la Confédération de s'engager sur le plan national et international en faveur de la mise en place de «conditions analogues» applicables aux banques et aux assurances. La mise en oeuvre de cette disposition pourrait également interdire aux banques et aux assurances les opérations de financement des producteurs de matériel de guerre énumérées à l'art. 107a, al. 3, du texte de l'initiative. Il serait toutefois aussi possible d'opter pour une mise en oeuvre moins ambitieuse de cette disposition.

Une interdiction applicable à l'échelle internationale dépendrait de la volonté de la communauté internationale. Or un tel intérêt n'a été exprimé ni dans le cadre des Nations Unies ni au sein d'autres organismes internationaux. Une interdiction internationale de financement au sens prévu par l'initiative est dès lors peu probable, même à long terme.

Mettre en oeuvre de manière autonome l'interdiction en Suisse aurait pour effet d'empêcher notre place financière d'investir dans des produits financiers courants et de restreindre ainsi sa liberté économique avec, pour corollaire, un affaiblissement significatif de sa position par rapport à ses concurrents étrangers. Autre conséquence probable: les domaines d'activité concernés (p. ex. la gestion de fortune dans les banques et les assurances) pourraient être délocalisés à l'étranger.

En conséquence, si l'initiative était acceptée, elle pourrait placer les banques et les assurances face à des défis analogues à ceux auxquels seraient confrontées la BNS, les fondations et les institutions de la prévoyance publique et professionnelle. Elle entraînerait également des restrictions à l'octroi de crédits par les banques. Celles-ci seraient obligées de mener des recherches approfondies sur les demandeurs de 37

RS 830.2

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crédits. Les entreprises suisses seraient, dans certaines conditions, disposées à divulguer leur chiffre d'affaires pour se voir accorder un crédit de leur banque, mais ce ne serait probablement pas le cas des entreprises étrangères, qui trouveraient plus facile d'obtenir des crédits à l'étranger et qui seraient incitées à tourner le dos aux établissements bancaires suisses.

Du fait du seuil très bas fixé dans l'initiative (5 % du chiffre d'affaires), les PME, en particulier, devraient faire l'objet d'un classement «dynamique» en tant que producteurs de matériel de guerre selon la définition de l'initiative, c'est-à-dire un classement qui pourrait varier d'une année à l'autre en fonction de leur situation économique. Afin d'éviter d'accorder des crédits à des entreprises susceptibles de dépasser le seuil des 5 % dans un avenir proche et d'être dès lors considérées comme des producteurs de matériel de guerre, les banques pourraient abaisser ce seuil, ce qui aurait également des conséquences pour les entreprises qui restent en permanence sous la barre des 5 % et qui ne seraient donc pas touchées par l'initiative en elle-même.

Si les institutions de libre passage devaient, elles aussi, être considérées comme partie intégrante de la prévoyance professionnelle, les banques seraient également directement concernées par l'initiative, si celle-ci était acceptée.

4.2.6

Conséquences pour l'industrie MEM

Les entreprises suisses d'armement seraient également concernées, mais aussi les PME qui les fournissent, en fonction de leur chiffre d'affaires, parce que, d'une part, la BNS, les fondations et les institutions de la prévoyance publique et professionnelle ne seraient plus autorisées à détenir des parts dans ces entreprises (financement par fonds propres) et que, d'autre part, les banques suisses ne leur accorderaient plus de crédits ni d'autres produits similaires (financement par capitaux étrangers).

On ne dispose pas de chiffres exacts sur les conséquences de l'initiative pour les entreprises d'armement et leurs fournisseurs sur le territoire suisse. La difficulté à quantifier l'impact réside notamment dans le fait que le secteur de l'armement ne peut être qualifié de secteur indépendant en raison de son hétérogénéité, et que le classement en tant que producteurs de matériel de guerre peut varier d'une année à l'autre, notamment pour les PME. En tout état de cause, la majorité de ces entreprises se trouvent en principe dans l'industrie MEM, qui emploie au total quelque 320 000 personnes et comprend 13 423 entreprises, dont 13 218 microentreprises et PME (soit 98 % des entreprises du secteur).

Les conséquences économiques pour de grandes entreprises comme Rheinmetall Air Defence ou GDELS-Mowag, qui appartiennent à des groupes d'envergure internationale, seraient probablement faibles, car celles-ci pourraient assez facilement recourir à des financements de l'étranger. Mais, comme les banques locales sont aussi nécessaires à la gestion des affaires, administrer le quotidien deviendrait beaucoup plus lourd. Cette situation réduirait également l'attrait de la place suisse pour ces grandes entreprises de l'industrie de l'armement.

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L'initiative vise non seulement les entreprises d'armement traditionnelles comme celles évoquées ci-dessus, mais aussi les fabricants de pièces détachées et d'éléments d'assemblage, car elle se fonde sur la définition du «matériel de guerre» de l'art. 5 LFMG. Ainsi, elle touche les entreprises qui ne fabriquent ou ne transforment que des pièces détachées et des composants de matériel de guerre et qui sont des sous-traitants d'entreprises d'armement proprement dites en Suisse et à l'étranger. Il s'agit principalement de PME de l'industrie MEM, qui se verraient ainsi privées d'importantes sources de financement, car la plupart d'entre elles obtiennent probablement une partie de leurs financements d'intermédiaires financiers suisses.

Les producteurs de matériel de guerre fabriquent aussi régulièrement des biens à double usage, utilisés dans les secteurs civil et militaire, ainsi que des biens industriels exclusivement civils. Une interdiction de financement aurait donc également un impact sur la production de ces biens, puisque même les départements civils de ces entreprises auraient plus de difficultés à accéder au crédit.

Le classement dynamique évoqué plus haut, fondé sur le seuil des 5 % du chiffre d'affaires, peut avoir pour conséquence qu'une entreprise soit considérée comme un producteur de matériel de guerre uniquement certaines années, lorsque son carnet de commandes est dominé par le secteur de l'armement. Les possibilités de financement sur le marché intérieur risqueraient alors de constamment changer pour les entreprises concernées, en particulier pour les PME, qui participent à la production de matériel de guerre de manière épisodique (p. ex. en fabriquant des pièces détachées et des éléments d'assemblage pour de grands systèmes).

Les entreprises d'armement et les PME suisses qui sont intégrées occasionnellement à la chaîne de valeur des producteurs d'armes ne pourraient plus se financer auprès des banques suisses. Elles pourraient certes s'adresser à des banques à l'étranger en cas d'acceptation de l'initiative. Toutefois, la suppression du financement intérieur et donc la nécessité de se tourner vers l'étranger pour obtenir des crédits et des prêts pourraient entraîner des coûts de financement plus élevés. Ou bien ces entreprises devraient recourir à des financements à court terme
à des conditions nettement moins favorables. Il y a tout lieu de penser qu'elles devraient compenser cette situation en augmentant leurs prix, ce qui entraînerait un désavantage concurrentiel. La place économique suisse perdrait de son attrait, en particulier pour les PME de l'industrie MEM.

4.2.7

Conséquences pour RUAG

Selon le comité d'initiative, RUAG, en tant que société anonyme de droit privé détenue par la Confédération, ne serait pas concernée par la réglementation, puisqu'elle est financée par cette dernière (fonds propres). Toutefois, selon les circonstances, les banques suisses ne pourraient plus non plus lui accorder de crédits (capitaux étrangers), car il leur serait interdit de financer des producteurs de matériel de guerre. Si RUAG devait faire l'objet d'une privatisation (partielle), en vue de laquelle, dans sa décision du 27 juin 2018, le Conseil fédéral a confié un mandat

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d'examen au conseil d'administration38, elle serait affectée par l'interdiction de financement comme les autres entreprises d'armement et producteurs de matériel de guerre.

En mars 2019, le Conseil fédéral a décidé de dissocier les activités de RUAG et de poursuivre le développement de celles tournées vers l'international. Deux nouvelles sociétés placées sous l'égide d'une nouvelle société de participation (BGRB Holding AG) seront constituées le 1er janvier 2020: RUAG MRO Holding AG travaillera essentiellement pour le DDPS et l'armée, tandis que RUAG International AG, appelée à être entièrement privatisée à terme, sera orientée vers l'aérospatiale (domaines d'activité Aerostructures et Space).

4.2.8

Conséquences pour l'armée suisse

Le matériel de guerre destiné à l'approvisionnement de l'armée fait obligatoirement partie des efforts visant à défendre la souveraineté de l'État. Dans nombre d'États, une base technologique et industrielle performante est une composante de la politique d'armement, et donc de la politique de sécurité et de défense. Ce point compte davantage encore pour Suisse, qui, en sa qualité d'État neutre, ne peut pas conclure d'alliance défensive et donc prétendre à un appui militaire de la part d'autres États.

Les établissements de recherche et les entreprises qui disposent en Suisse de compétences, facultés et capacités techniques dans le domaine de la défense et de la sécurité constituent la base technologique et industrielle importante pour la sécurité (BTIS). Un certain nombre d'entreprises de l'industrie MEM susmentionnée, tout comme RUAG, font partie de la BTIS. Les Principes du Conseil fédéral du 24 octobre 2018 en matière de politique d'armement du DDPS39 réaffirment la nécessité de promouvoir la BTIS du pays et, en particulier, de renforcer sa compétitivité. Accepter l'initiative reviendrait à éroder la compétitivité des entreprises de la BTIS et à mettre en péril la sécurité de la Suisse.

Même s'il est vrai que les producteurs de matériel de guerre établis en Suisse pourraient trouver des fonds à l'étranger, il a tout lieu de penser que la place économique suisse perdrait de son attrait aux yeux des entreprises concernées, qui pourraient, dans certaines circonstances, faire le choix de quitter le pays. La sécurité de l'approvisionnement de l'armée s'en trouverait affaiblie et la dépendance unilatérale de l'étranger lors de projets d'acquisition serait plus grande.

Si l'initiative était acceptée, les producteurs suisses de matériel de guerre seraient obligés de se tourner davantage vers les banques étrangères pour se financer. Cela entraînerait une hausse des coûts du capital, car les frais inhérents aux crédits et prêts étrangers sont plus élevés, sans parler des risques de change. Ces surcoûts pourraient être répercutés en partie sur les clients, dont l'armée suisse. Estimer l'ampleur de l'augmentation des coûts pour l'armée suisse n'est guère possible.

38 39

Cf. communiqué de presse du Conseil fédéral du 27 juin 2018, publié sous le titre «Le Conseil fédéral approuve le concept de dissociation des activités de RUAG».

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4.2.9

Autres conséquences

Plus généralement, l'acceptation de l'initiative pourrait créer un précédent. Une interdiction de financement pourrait, sur le modèle de l'initiative qui nous occupe, être proposée dans d'autres domaines touchant par exemple à l'alcool, à l'agrochimie, aux jeux de hasard, au génie génétique, au tabac, aux ressources (pétrole, eau, terres rares). Elle limiterait davantage encore la marge de manoeuvre des investisseurs institutionnels comme les caisses de pension. La motion Gysi du 19 mars 2014 (14.3123 «Protection des installations publiques et du climat»), qui chargeait le Conseil fédéral de modifier les bases légales afin que la trésorerie fédérale et des institutions de droit public telles que la Suva et le fonds AVS (aujourd'hui compenswiss) ne puissent plus investir dans des groupes énergétiques exploitant des agents fossiles tels que le pétrole, le gaz naturel ou le charbon ou possédant des réserves de telles matières premières. Le Conseil fédéral a proposé de la rejeter à cause de son manque d'efficacité et de son caractère disproportionné. Cette motion a ensuite été classée, son examen n'ayant pas été achevé dans un délai de deux ans.

L'initiative parlementaire Thorens Goumaz du 15 juin 2017 (17.455 «Donner un cadre de durabilité, sur la base de notre Constitution, aux activités de la BNS») va dans le même sens. Elle demandait de compléter l'art. 5 LBN, qui confie à notre banque centrale le soin d'oeuvrer dans l'intérêt général du pays, par un al. 5, selon lequel la BNS aurait dû apporter son soutien aux politiques économiques générales de la Confédération, en vue de contribuer à la réalisation de ses objectifs, tels que définis à l'art. 2 Cst. L'initiative visait en particulier à promouvoir le développement durable et la conservation durable des ressources naturelles. Le Conseil national y a opposé une fin de non-recevoir, emboîtant ainsi le pas à la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national, qui avait refusé d'y donner suite, arguant qu'elle ne souhaitait ni empiéter sur l'indépendance de la BNS ni créer un précédent.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

Les objectifs de l'initiative, à savoir la lutte contre les causes des déplacements forcés, la promotion de la paix, la protection de la neutralité et le maintien des conditions d'une politique de sécurité et d'une politique extérieure crédibles, servent les intérêts de la Suisse. Or, à défaut de lien de causalité, l'initiative ne tendrait guère vers ces objectifs, mais aurait au contraire des conséquences néfastes pour notre pays.

L'initiative vise à interdire à la BNS, aux fondations, aux institutions de la prévoyance publique et professionnelle, aux banques et aux assurances de financer les producteurs de matériel de guerre. Si le texte accorde une certaine flexibilité dans la mise en oeuvre de l'interdiction relative aux banques et aux assurances, il fixe déjà tous les autres paramètres de l'interdiction pour la BNS, les fondations et les institutions de la prévoyance publique et professionnelle. Ainsi, les entreprises concernées par l'interdiction («producteurs de matériel de guerre») sont définies de manière dynamique, et les activités de financement prohibées sont citées en détail, ce qui 4922

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prive largement le Conseil fédéral et le Parlement de la possibilité d'une mise en oeuvre proportionnée.

L'interdiction de financement de l'initiative s'applique non seulement aux entreprises suisses d'armement, mais aussi aux entreprises à l'étranger. Dans le seul domaine des armes légères, le Small Arms Survey Institute de Genève estime à plusieurs milliers les producteurs dans le monde40. En outre, il existe, à côté des producteurs de systèmes d'armes de grande taille, comme Rheinmetall et Boeing, de nombreux fournisseurs qui fabriquent des pièces détachées et des éléments d'assemblage. Rien qu'en France, par exemple, quelque 4000 PME et entreprises de taille intermédiaire (entreprises employant 250 à 4999 collaborateurs et réalisant un chiffre d'affaires inférieur à 1,5 milliard d'euros) participent à la chaîne de valeur des biens d'équipement militaire41. Il n'est guère possible d'identifier toutes les entreprises concernées dans le monde pour ensuite les exclure du financement indirect (p. ex. via des fonds). Il s'agirait par ailleurs de réévaluer chaque année au moins une partie des entreprises, étant donné que la définition des producteurs de matériel de guerre repose sur leur chiffre d'affaires annuel, susceptible de varier d'une année à l'autre.

Enfin, une interdiction de financement s'appliquerait également aux investissements dans des sociétés mixtes comme Boeing ou Airbus, qui, en plus de fabriquer des avions civils, sont également actives dans l'aérospatiale militaire. Ces deux avionneurs sont leaders sur le marché de la construction d'appareils commerciaux. Airbus, qui a livré plus de 10 000 avions civils jusqu'ici, produit également des avions de ravitaillement et de transport à usage militaire et participe à la production de l'Eurofighter Typhoon, aujourd'hui utilisé par les forces aériennes de neuf pays.

Boeing, qui a construit plus de 18 000 avions commerciaux à ce jour, fabrique également des hélicoptères militaires, des avions de combat tels que le F-15 Eagle et le F/A-18 Super Hornet, des missiles et des systèmes d'armes. Ces exemples montrent que les entreprises, en particulier les groupes internationaux, ne sont pas toujours reconnaissables comme des producteurs de matériel de guerre, ce qui rend la classification difficile.

Une interdiction telle que l'exige l'initiative
n'est encore appliquée nulle part. Même le fonds souverain norvégien, vanté par le comité d'initiative comme un pionnier, n'ose pas mener une stratégie d'investissement aussi restrictive que les auteurs de l'initiative le réclament. Le fonds souverain norvégien investit les recettes pétrolières de la Norvège pour faire face à l'épuisement futur des réserves de pétrole en mer du Nord. Plus grand fonds souverain du monde, avec des actifs sous gestion de quelque 920 milliards de dollars, il s'engage pour une stratégie d'investissement éthique. À cet effet, il tient à jour une liste des entreprises exclues des investissements42, actuellement au nombre de 169. Or les producteurs d'armes classiques ne figurent pas sur cette liste. Si l'exclusion volontaire, par un fonds souverain ou une caisse de pension, de certaines entreprises de son univers d'investissement est en 40 41

42

www.smallarmssurvey.org > Weapons and Markets > Producers (état: 19.3.2019) Rapport au Parlement 2018 sur les exportations d'armement de la France, juin 2018, p. 9, disponible à l'adresse suivante: www.defense.gouv.fr > Médiathèque > Publications (état: 17.4.2109).

www.nbim.no > Responsibility > Excluded Companies (état: 14.11.2018)

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principe réalisable ­ elle est au demeurant déjà pratiquée par de nombreuses institutions suisses ­, l'interdiction de financement de l'initiative ne serait applicable qu'au prix d'un effort disproportionné et de risques de placement accrus. La BNS, les fondations et les institutions de la prévoyance publique et professionnelle devraient exclure de leurs portefeuilles de placement non pas 169 sociétés, à l'instar du fonds souverain norvégien, mais des milliers d'entreprises et veiller chaque année à ce que la part de la production de matériel de guerre dans le chiffre d'affaires des entreprises restantes n'excède pas 5 %.

Enfin, il convient de noter que le fonds souverain norvégien, en raison de sa stratégie d'investissement restrictive, a enregistré une perte de rendement d'environ 1,42 milliard de dollars au cours de la décennie 2006­2016 (par rapport au rendement qu'il aurait obtenu pendant la même période sans ces critères restrictifs43), ce qui montre clairement les incidences sur l'économie réelle que peuvent avoir des interdictions de financement comme celle exigée par l'initiative.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

L'initiative n'a aucune incidence sur les traités ou les obligations de droit public international.

5

Conclusions

Le Conseil fédéral comprend les objectifs des auteurs de l'initiative. La promotion de la paix, le renforcement d'une politique de sécurité et d'une politique étrangère crédibles, la protection de la neutralité et la lutte contre les causes des déplacements forcés comptent parmi les grands piliers de la politique extérieure de la Suisse.

Cependant, une interdiction de financer les producteurs de matériel de guerre telle que l'initiative l'exige n'aurait pas d'impact sur ces objectifs, à défaut de lien de causalité. Introduire une telle interdiction en Suisse n'influerait guère sur l'offre et la demande de matériel de guerre dans le monde. Si l'initiative était acceptée, elle ne rendrait pas le monde plus pacifique ni ne réduirait les causes des déplacements forcés. Par contre, cette interdiction aurait des incidences financières négatives pour la BNS, les fondations, compenswiss et les caisses de pension. Soit ces institutions devraient limiter leurs investissements à une petite sélection d'entreprises qui ne risquent pas d'être touchées par l'interdiction de financement, soit elles devraient contrôler chaque année le chiffre d'affaires réalisé par des milliers d'entreprises en vendant du matériel de guerre. Dans le premier cas, les risques de placement seraient considérablement accrus en raison d'une diversification insuffisante; dans le second cas, la charge administrative serait nettement plus élevée, faisant exploser les coûts.

L'initiative remet par ailleurs en question l'indépendance de la BNS, car elle pourrait constituer un précédent pour d'autres exigences éthiques liées, par exemple, au 43

Fouche, Gwladys, «Norway's wealth fund says ethics profile has cost $ 1.4 billion in a decade», 21 mars 2017, disponible sur www.reuters.com (état: 14.11.2018).

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tabac, à l'énergie issue du charbon, à l'eau ou aux denrées alimentaires. À terme, la place financière suisse pourrait également en pâtir, entre autres si la mise en oeuvre de l'initiative dans le secteur bancaire affectait également la gestion de fortune et si l'accès au crédit devenait plus difficile pour les entreprises suisses d'armement et leurs fournisseurs, dont de nombreuses PME de l'industrie MEM. Les difficultés d'accès au crédit auraient pour effet d'affaiblir la BTIS et, par voie de conséquence, l'armée. En outre, les avoirs gérés par les fondations, les caisses de pension, les banques et les assurances ne relèvent pas de la richesse nationale, de sorte qu'en cas d'acceptation, l'initiative entraînerait une intervention massive dans la gestion de la fortune privée.

Appliquer à l'échelle internationale l'interdiction de financement en Suisse exigée par les auteurs de l'initiative n'est pas réaliste. Il n'y a de volonté de consentir un tel effort ni dans le cadre des Nations Unies ni au sein des autres instances internationales. L'offre et la demande de biens d'équipement militaires dans le monde ne changeraient donc pas, même si l'initiative était acceptée. Par contre, la Suisse devrait en supporter les conséquences économiques.

La LFMG contient déjà une interdiction de financement, qui vise les armes prohibées par la communauté internationale et qui est conçue de manière à pouvoir être mise en oeuvre à un coût raisonnable par la BNS, les fondations, les institutions de la prévoyance publique et professionnelle, les banques et les assurances.

Eu égard à ces considérations, le Conseil fédéral estime que l'approche adoptée par l'initiative et les mesures envisagées ne sont ni appropriées ni efficaces. Qui plus est, l'interdiction de financement aurait des retombées négatives pour la Suisse. Par le présent message, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de recommander le rejet de l'initiative populaire sans lui opposer de contre-projet direct ou indirect.

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Liste des abréviations ASIR

Association suisse pour des investissements responsables

BCE

Banque centrale européenne

BNS

Banque nationale suisse

BTIS

base technologique et industrielle importante pour la sécurité

ETD

dérivés négociés en bourse (exchange-traded derivatives)

ETF

fonds négociés en bourse (exchange-traded funds)

GAFI

Groupe d'action financière

LBN

loi sur la Banque nationale

LFMG

loi fédérale sur le matériel de guerre

LPP

loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité

MEM

machines, équipements électriques et métaux

OCDE

Organisation de coopération et de développement économiques

UE

Union européenne

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