Participation de la Confédération à l'application de sanctions économiques Rapport de la Commission de gestion du Conseil des Etats du 19 octobre 2018

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Rapport 1

Introduction

Les sanctions économiques sont des mesures de coercition prises par les autorités publiques pour faire respecter le droit international, en particulier les droits de l'homme. Depuis 2003, elles sont régies en Suisse par la loi sur les embargos (LEmb)1. Les sanctions peuvent englober une restriction, voir une interdiction du trafic des marchandises, des services, des paiements et des capitaux ainsi que de la circulation des personnes2. Elles visent généralement un Etat3.

En adhérant à l'Organisation des Nations unies (ONU), en 2002, la Suisse s'est engagée à appliquer les sanctions prononcées par l'organisation. Les sanctions décrétées par l'Union européenne (UE) n'ont en revanche pas de caractère obligatoire pour la Suisse: le Conseil fédéral décide, après avoir procédé à une pesée des différents intérêts politiques et économiques en présence, si la Suisse y participe ou non4. S'il décide que la Suisse appliquera les sanctions en question, le Conseil fédéral édicte une ordonnance qui définit concrètement les mesures de coercition à appliquer5. L'administration joue un rôle central dans la préparation des décisions relatives aux sanctions et dans l'exécution des ordonnances6.

Des voix critiques s'élèvent régulièrement pour dénoncer la politique de la Suisse en matière de sanction, notamment en ce qui concerne sa participation à des sanctions économiques. La cohérence de la politique de la Suisse s'agissant de sa participation à l'application des sanctions prononcées par l'UE est notamment remise en question.

Pour certains, la Suisse ne se montre pas assez solidaire lors de l'application de sanctions économiques et profite économiquement du fait qu'elle ne participe pas entièrement aux sanctions de l'UE. D'autres s'opposent, sur le principe, aux sanctions économiques. Dans ce contexte, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) ont décidé, le 28 janvier 2016, de charger le Contrôle parlementaire de l'administration (CPA) d'évaluer la participation de la Confédération à l'application de sanctions économiques. L'objet a été attribué à la Commission de gestion du Conseil des Etats (CdG-E).

La sous-commission DFF/DEFR de la CdG-E, compétente en la matière, a décidé, lors de sa séance du 22 août 2016, que l'évaluation du CPA devrait répondre aux quatre questions suivantes: ­

1 2 3

4 5 6

Quelle est la stratégie du Conseil fédéral en matière de participation à l'application de sanctions? Cette stratégie est-elle appropriée au regard des Loi fédérale du 22.3.2002 sur l'application de sanctions internationales (loi sur les embargos; LEmb; RS 946.231).

Art. 1, al. 3, LEmb Participation de la Confédération à l'application de sanctions économiques, rapport du CPA à l'intention de la CdG-E du 9.11.2017 (ci-après rapport du CPA du 9.11.2017), chap. 2.3.

Art. 1, al. 1, LEmb Art. 2 LEmb Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 1.1

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objectifs de la Suisse en matière de politique extérieure et de politique économique extérieure?

­

L'administration fédérale prépare-t-elle de façon appropriée les décisions relatives à des sanctions?

­

La mise en oeuvre de ces décisions par la Confédération est-elle opportune?

­

Les sanctions et les mesures prises pour empêcher leur contournement sontelles efficaces?

Le CPA a réalisé son évaluation entre janvier 2016 et novembre 2017. Il s'est pour cela appuyé sur l'analyse de documents internes à l'administration de même que sur des études de cas portant sur certaines ordonnances sur les sanctions. Il a en outre interrogé 35 personnes issues de l'administration fédérale ainsi que de l'économie.

Par ailleurs, le CPA a analysé, en se fondant sur les données douanières, les flux commerciaux entre la Suisse et les pays faisant l'objet de sanctions. Enfin, il a chargé l'Institut suisse de recherches en économie internationale et en économie appliquée de l'Université de Saint-Gall (SIAW) d'analyser les flux commerciaux pouvant être concernés par l'ordonnance instituant des mesures visant à empêcher le contournement de sanctions internationales en lien avec la situation en Ukraine (ciaprès ordonnance sur l'Ukraine)7.

Le CPA a clos son évaluation par la présentation de son rapport du 9 novembre 2017. Après avoir examiné ce rapport, la sous-commission DFF/DEFR a décidé d'élaborer un rapport à l'intention de la CdG-E. Lors de sa séance du 19 octobre 2018, la commission s'est penchée sur le projet de rapport émanant de sa sous-commission, y compris les recommandations qu'il contient, et l'a adopté à l'intention du Conseil fédéral.

La CdG-E donne ci-après son appréciation des principales constatations du CPA et en tire différentes recommandations à l'intention du Conseil fédéral. Le présent rapport vient donc compléter le rapport du CPA et n'en reprend les résultats que dans la mesure où la compréhension des conclusions et des recommandations de la CdG-E l'exige.

2

Constatations et recommandations

2.1

Stratégie claire dans le cadre de la politique en matière de sanctions

La CdG-E relève avec satisfaction que la stratégie de la politique en matière de sanctions est claire et est axée sur les principes de politique extérieure et de politique économique extérieure de la Suisse8.

7 8

Ordonnance du 27.8.2014 instituant des mesures visant à empêcher le contournement de sanctions internationales en lien avec la situation en Ukraine (RS 946.231.176.72).

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 3.

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Dans le cas des sanctions prononcées par l'UE, le Conseil fédéral dispose d'une certaine marge d'appréciation lorsqu'il s'agit de décider de les appliquer ou non9. Il prend sa décision après avoir mis dans la balance différents critères relevant de la politique extérieure, de la politique économique extérieure et du droit. Il peut arriver que des conflits d'objectifs entre principes de politique extérieure et principes de politique économique extérieure surviennent. Si, du point de vue de la politique extérieure, les sanctions constituent un des instruments à disposition pour faire respecter des intérêts et des valeurs de politique extérieure, elles contredisent par leur nature même l'ordre économique libéral10.

Traditionnellement, la Suisse adopte une position plutôt réservée à l'égard des sanctions économiques11. Ces dernières années, la Suisse a toutefois régulièrement repris les sanctions prononcées par l'UE afin d'éviter que les pays concernés ne passent par elle pour les contourner. L'objectif pour la Suisse était de préserver sa bonne réputation auprès de son principal partenaire commercial (l'UE)12.

La CdG-E relève que la pesée des intérêts effectuée par le Conseil fédéral lorsqu'il est question d'appliquer des sanctions prononcées par l'UE s'inscrit dans le cadre de la marge d'appréciation prévue par la loi. Elle partage l'avis du CPA selon lequel la stratégie du gouvernement relative à sa politique en matière de sanctions est cohérente. En outre, la commission salue le fait que des critères concrets pour la pesée des intérêts ont été définis en 2014. Elle estime que¸ même si le nombre de cas dans lesquels ces critères ont pu être appliqués a été faible depuis leur introduction et si l'on considère que la transparence dans leur application pourrait encore être améliorée comme l'affirme le CPA, ces critères devraient avoir un impact positif sur la qualité du processus de pesée des intérêts. En fin de compte, cette pesée des intérêts relève toutefois, à juste titre, d'une décision politique à prendre dans chaque cas concret (cf. chap. 2.2.2).

Dans certains cas, la pesée des intérêts peut provoquer des incertitudes pour les acteurs concernés, comme l'a constaté le CPA13. Ces incertitudes doivent, dans la mesure du possible, être prises en considération lorsque les sanctions sont préparées,
prononcées et appliquées. La CdG-E estime toutefois qu'il n'est pas nécessaire de prendre des mesures dans ce domaine actuellement. Le fait que, conformément à la LEmb, la Suisse décide au cas par cas de reprendre ou non les sanctions prononcées par l'UE crée inévitablement une insécurité juridique et les acteurs concernés doivent donc s'en accommoder.

9 10 11 12 13

Art. 1, al. 1, LEmb Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 3.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 7.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 7.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 3.1

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2.2

Préparation appropriée des ordonnances sur les sanctions

2.2.1

Compétences et processus clairs lors de la préparation

Dans son évaluation, le CPA parvient à la conclusion que les compétences et processus liés à la préparation des ordonnances sur les sanctions sont clairs 14. C'est le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) qui est responsable de la préparation des décisions relatives aux sanctions15. Selon le rapport du CPA, les directives formelles relatives au processus d'élaboration des ordonnances sont respectées 16. Les offices ont la possibilité de donner leur avis sur les ordonnances dans le cadre d'une consultation des offices. Ils doivent pour cela respecter des délais très courts (allant de 4 h 30 à 9 jours), délais qu'ils acceptent afin que les ordonnances puissent être mises en vigueur dans un intervalle de temps le plus bref possible17. La majorité des unités administratives se montrent satisfaites de la manière dont leurs retours et propositions formulés dans le cadre de la consultation des offices sont pris en considération.

En cas de désaccords, le SECO tente d'éliminer ceux-ci directement avec l'unité administrative concernée18.

Il ressort toutefois aussi des investigations du CPA que les mêmes questions de mise en oeuvre reviennent souvent et qu'elles sont examinées au cas par cas, mais ne sont pas traitées globalement (cf. ch. 2.4)19.

Par ailleurs, le CPA a constaté que la majeure partie des unités administratives sont intégrées au processus de façon coordonnée20. Toutefois, dans le cas de l'ordonnance sur l'Ukraine, le SECO a omis d'impliquer l'Administration fédérale des douanes (AFD) dans la consultation des offices. Pour la CdG-E, cela est d'autant plus problématique que des lacunes ont été constatées dans l'application de cette ordonnance (cf. ch. 2.3).

À la lumière des résultats de l'évaluation, la commission prend acte, avec satisfaction, du fait que, dans l'ensemble, la préparation des ordonnances sur les sanctions est efficace.

2.2.2

Informations destinées au Conseil fédéral

Le CPA constate, dans le cadre de son évaluation, que les informations destinées au Conseil fédéral sont en grande partie équilibrées, ce qui satisfait la CdG-E.

La LEmb n'indique toutefois pas sur quels critères le Conseil fédéral doit fonder ses décisions relatives notamment à l'application par la Suisse de sanctions prononcées 14 15 16 17 18 19 20

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 2.2.2 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4.1

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par l'UE. Il est donc très important que le gouvernement dispose d'informations solides et équilibrées afin de pouvoir procéder à une pesée des intérêts appropriée.

La question des critères ne se pose en revanche pas pour les sanctions décidées par le Conseil de sécurité de l'ONU, que la Suisse s'est de toute manière engagée à appliquer (cf. chap. 1).

Depuis l'introduction des critères, en 2014, ils n'ont pu être appliqués qu'à deux reprises21 durant la période sous revue, raison pour laquelle il n'est pas encore possible de dresser un bilan définitif de leur efficacité. Dans le cas de l'ordonnance sur l'Ukraine, le SECO a présenté les critères dans une note de discussion à l'intention du Conseil fédéral. L'évaluation du CPA a toutefois montré que tous les critères n'ont pas été appliqués22. Le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) a certes justifié cette manière de procéder par le fait que l'objectif n'avait jamais été d'utiliser systématiquement tous les critères, car certains d'entre eux se chevauchent et tous ne sont pas pertinents dans chaque cas, mais il n'a pas expliqué de manière transparente pourquoi certains critères avaient été appliqués et d'autres non23.

La CdG-E estime que les critères susmentionnés constituent une bonne base de décision, permettant au Conseil fédéral de procéder à une pesée des intérêts appropriée.

Recommandation 1

Application transparente des critères utilisés pour la pesée des intérêts

La CdG-E invite le Conseil fédéral à prendre les mesures nécessaires pour que les différents critères utilisés pour évaluer l'opportunité d'appliquer des sanctions prononcées par l'UE soient à l'avenir systématiquement examinés quant à leur pertinence dans le cas concerné, et pour que le Conseil fédéral soit informé des résultats de ces évaluations.

2.3

Lacunes dans la mise en oeuvre

La mise en oeuvre de la politique en matière de sanctions s'articule autour de quatre aspects principaux: la communication mise en place par les organes fédéraux impliqués au sein de l'administration et envers le public, les contrôles dans la pratique, la surveillance globale de l'application des sanctions et la modification d'ordonnances.

Lorsqu'une ordonnance sur les sanctions est édictée, c'est au Conseil fédéral, ou plus précisément au DEFR/SECO, qu'il revient de communiquer à ce sujet. La commission prend acte avec satisfaction du fait que les informations du SECO sont adaptées à leurs destinataires et fournies rapidement24.

21 22 23 24

Ukraine/Russie et Burundi Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4.2 DEFR, avis du 23.8.2017 sur le projet de rapport du CPA Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.2

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La politique en matière de sanctions entre dans le cadre de la politique économique extérieure et relève donc de la compétence du SECO25. Les différentes ordonnances confient au SECO la surveillance de la mise en oeuvre de la majorité des articles 26.

Bien que tous les services chargés de la mise en oeuvre des mesures de sanction ne soient pas explicitement nommés dans les ordonnances, les investigations du CPA ont montré que les compétences et les processus sont généralement clairs dans la pratique27. Les unités administratives responsables des contrôles et de l'exécution sont quant à elles indiquées dans les différentes ordonnances28.

Le CPA a toutefois constaté des lacunes, notamment en ce qui concerne les instruments d'application et la surveillance globale29. Les sections suivantes abordent ces constatations et contiennent des recommandations à leur sujet.

2.3.1

Contrôles lacunaires dans la pratique

La LEmb ne précise pas quels instruments doivent être utilisés pour la mise en oeuvre, ceux-ci étant définis dans les ordonnances correspondantes, tout comme les différents organes de contrôle30. Les attributions de ces derniers sont définies à l'art. 4 LEmb.

L'AFD est compétente s'agissant de la mise en oeuvre des sanctions visant les biens (contrôle des marchandises à la frontière)31. Dans son rapport, le CPA constate des lacunes dans ce domaine, dont une partie est toutefois due au système et ne peut donc être que partiellement imputée à l'AFD.

Le premier problème est dû au peu de temps à disposition pour réaliser les contrôles des exportations. En raison de son court temps d'intervention, l'AFD ne peut garantir qu'aucun bien faisant l'objet de sanctions ne passe la frontière. Les contrôles 25 26

27 28

29 30

31

Art. 5, al. 1, de l'ordonnance du 14.6.1999 sur l'organisation du Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (Org DEFR; RS 172.216.1).

Par ex. à l'art. 16, al. 1, de l'ordonnance du 18.5.2016 instituant des mesures à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RS 946.231.127.6), à l'art 6 de l'ordonnance du 28 juin 2006 instituant des mesures à l'encontre du Myanmar (RS 946.231.157.5) ou à l'art. 5 de l'ordonnance du 13 mai 2009 instituant des mesures à l'encontre de la Somalie (RS 946.231.169.4).

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.1 Par ex. à l'art. 16, al. 1 (SECO), al. 1bis (OFAC), al. 1ter (OSNM), al. 2 (SEM) et al. 3 (AFD) de l'ordonnance du 18.5.2016 instituant des mesures à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RS 946.231.127.6) ou à l'art. 18, al.2 (OFAC), al. 3 (SEM) et al. 4 (OFC) de l'ordonnance du 8 juin 2012 instituant des mesures à l'encontre de la Syrie (RS 946.231.172.7).

Rapport du CPA du 9.11.2017, ch. 5.1, 5.3 et 5.4 Par ex. à l'art. 16 de l'ordonnance du 18.5.2016 instituant des mesures à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RS 946.231.127.6), à l'art.7 de l'ordonnance du 30 mars 2011 instituant des mesures à l'encontre de la Libye (RS 946.231.149.82) ou à l'art. 5 de l'ordonnance du 12 août 2015 instituant des mesures à l'encontre de la République du Soudan du Sud (RS 946.231.169.9).

Par ex. à l'art. 16, al. 3, de l'ordonnance du 18.5.2016 instituant des mesures à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RS 946.231.127.6) ou à l'art. 7 al. 3 de l'ordonnance du 28 mars 2018 instituant des mesures à l'encontre du Venezuela (RS 946.231.178.5).

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effectués a posteriori sont exclusivement formels, aucun contrôle physique n'étant possible32. Considérant cette situation, la CdG-E se félicite du fait qu'un système permettant de déclarer les livraisons à l'avance33 ait déjà été mis en place dans le cas de la Corée du Nord et constitue une base importante pour les contrôles des exportations.

En outre, les mandats de prestations des bureaux de douane n'incitent guère ces derniers à effectuer des contrôles en vue de rechercher des biens visés par des sanctions, car les contrôles infructueux ne sont pas reconnus comme des prestations. Les prestations des bureaux de douane ne sont donc évaluées qu'à l'aune des contrôles concluants34. Pour la CdG-E, il s'agit là d'une faille du système, qu'il convient d'essayer de supprimer en adaptant le mandat de prestations.

Dans le cas de l'ordonnance sur l'Ukraine, l'AFD n'a pas édicté de circulaire informant les bureaux de douane de l'existence de l'ordonnance, comme elle le fait habituellement35. Le SECO n'était quant à lui pas informé de cette situation. La CdG-E estime que le rapport du CPA pose des questions légitimes sur le pilotage global de la politique en matière de sanctions (cf. ch. 2.4).

La commission est d'avis que les instruments de contrôle du SECO ne sont pas suffisamment appliqués. Il ressort du rapport du CPA que le SECO n'effectue des contrôles que lorsque l'AFD, le Service de renseignement de la Confédération (SRC) ou d'autres sources lui indiquent explicitement que des infractions ont peutêtre été commises. En outre, le SECO exerce son activité de contrôle presque exclusivement par voie écrite, en demandant des renseignements aux entreprises concernées. Pour les rares contrôles qu'il avait effectués sur site, le SECO avait prévenu l'entreprise en question à l'avance. Il n'a encore jamais effectué de contrôle sans préavis au sens de l'art. 4 LEmb36.

La CdG-E considère que le système de contrôle existant est lacunaire, et ce également dans les domaines des produits de luxe, des transactions financières ainsi que des restrictions de déplacement37. Elle demande au Conseil fédéral d'étudier de quelle manière les instruments de contrôle ainsi que leur utilisation pourraient être optimisés.

32 33 34 35 36 37

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.3 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.3 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.3 L'une des raisons pouvant expliquer cette situation est qu'il ne s'agissait pas explicitement d'une ordonnance sur les sanctions.

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.3 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.3 et 5.4

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Recommandation 2

Instruments de contrôle pertinents et utilisation appropriée de ces derniers

La CdG-E demande au Conseil fédéral de vérifier si les instruments de contrôle existants sont pertinents et, si nécessaire, de les remplacer par d'autres instruments appropriés. Celui-ci devrait en outre veiller à ce que les mandats de prestations des bureaux de douane soient modifiés de telle sorte que ces derniers soient davantage incités à effectuer des contrôles portant sur des biens visés par des sanctions. De plus, la commission demande au Conseil fédéral de faire en sorte que les instruments de contrôle existants soient utilisés de manière appropriée.

2.3.2

Lacunes en matière de surveillance globale de l'application des sanctions

Pour surveiller la politique en matière de sanctions, le SECO peut s'appuyer sur différentes informations issues de la mise en oeuvre de cette politique. Il est par exemple possible d'analyser la circulation des marchandises selon qu'elles soient visées ou non par des sanctions en se fondant sur les données douanières. L'évaluation du CPA montre toutefois que ces statistiques ne sont exploitées que ponctuellement38.

La CdG-E ne comprend pas pourquoi le SECO n'exploite pas ces statistiques globales de manière plus systématique. Elle estime que les informations disponibles devraient être analysées de manière ciblée en vue de permettre une surveillance systématique.

Par ailleurs, il est possible d'exploiter des informations au sujet de la circulation des marchandises et des prestations ainsi que des transactions financières qui proviennent des systèmes de déclaration et d'autorisation. Toutefois, les investigations du CPA ont montré que, dans le domaine des transactions financières par exemple, l'instrument des déclarations obligatoires n'était pas utilisé dans son but premier qui est de permettre la surveillance des transactions39. En outre, pour ce qui est des autorisations, qui sont données par écrit, les indications fournies par les entreprises sont certes vérifiées, mais ne sont pas saisies systématiquement dans les statistiques.

Ici aussi, la CdG-E peine à comprendre que le SECO se contente de traiter des déclarations et d'accorder des autorisations sans exploiter les informations recueillies dans le cadre de la surveillance de la politique en matière de sanctions. Elle considère que le SECO n'assume ainsi pas son rôle en matière de surveillance et de pilotage global.

Comme le montre l'analyse des flux commerciaux dans le cas de l'ordonnance sur l'Ukraine, réalisée par la SIAW sur mandat du CPA, les données douanières ne permettent pas de conclure que les commerçants suisses ont contourné les sanctions 38 39

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.4 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.3

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visant la Crimée40. Il convient toutefois de considérer ce résultat avec prudence, les données n'étant pas toujours de qualité suffisante. Il n'est par exemple pas possible de suivre, dans les faits, les sanctions commerciales régionales ou infraétatiques, les indications de lieu faisant défaut car seuls le pays d'origine et le pays de destination doivent obligatoirement être indiqués41. L'AFD ne peut ainsi contrôler l'application des sanctions commerciales à l'encontre de la Crimée que lorsqu'elle dispose des indications de lieu. Elle n'a par ailleurs pas la possibilité de vérifier si des marchandises ont été exportées en Crimée ou importées depuis la Crimée en passant par une destination de transit42. Enfin, le CPA a constaté de nombreuses erreurs dans les données douanières, notamment dans les numéros postaux d'acheminement, les noms de localités, les codes pays ou encore les noms des entreprises, qui sont orthographiés de différentes manières43.

Le CPA a trouvé ponctuellement divers indices laissant soupçonner un contournement des sanctions à l'encontre de la Crimée. Dans deux cas concernant des biens visés par les sanctions, il a en effet constaté un changement de destination des biens en question après l'entrée en vigueur des mesures (localité différente en Ukraine ou pays différent [Russie])44. En outre, il a constaté que, pour les importations depuis l'Ukraine, le nombre d'envois sans indication précise du lieu d'origine avait doublé après l'entrée en vigueur des sanctions45. Il n'est toutefois pas possible de savoir s'il s'agissait ou non de cas dans lesquels les sanctions ont été contournées.

L'analyse des données douanières effectuées par le CPA montre qu'il est possible d'obtenir, à partir des données disponibles, des informations laissant supposer que les sanctions ont été contournées46. Dans ce contexte, la CdG-E salue le fait que le SECO ait élaboré un concept de contrôle et ait lui-même identifié des lacunes dans l'application des sanctions en mai 2016. Au moment de la rédaction du rapport du CPA, aucune information supplémentaire concernant la suite de la procédure n'était disponible47. La CdG-E considère qu'il n'est pas acceptable de renoncer à apporter des améliorations dans ce domaine en raison d'un manque de personnel48. Elle est d'avis qu'une surveillance se fondant sur les données susmentionnées devrait avoir lieu.

40

41 42 43 44 45 46 47 48

Evenett, Simon, Föllmi, Reto, Hodler, Roland, Lukaszuk, Piotr, Widmer Philine, Bericht im Auftrag der Parlamentarischen Verwaltungskontrolle (PVK): Ein- und Ausfuhren und die Frage nach Umgehungsgeschäften im Fall Russland/Ukraine, St. Gall, 3.4.2017.

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 6.3 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 6.3 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 6.3 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 6.2 Les importations sont passées de 11 627 avant l'entrée en vigueur des sanctions à 20 544 après celle-ci. Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 6.2.

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 6.2 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.4 Argument présenté par le DEFR, cf. rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.4.

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Recommandation 3

Mise à disposition des données appropriées

La CdG-E invite le Conseil fédéral à examiner de quelle manière la qualité des données dans le domaine des déclarations douanières peut être améliorée en vue de l'application d'un régime de sanctions.

Recommandation 4

Valorisation systématique des informations recueillies dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique en matière de sanctions

La CdG-E demande au Conseil fédéral de veiller à ce que les informations disponibles issues des données douanières et des systèmes de déclaration et d'autorisation soient systématiquement exploitées dans le cadre de la surveillance globale.

2.4

Absence de pilotage global

Les investigations du CPA ont mis en lumière, dans différents domaines, une absence de pilotage global de la politique en matière de sanctions et certaines lacunes dans la coordination entre les unités administratives. Lors de la préparation des ordonnances sur les sanctions, par exemple, il existe des problèmes récurrents et connus concernant la mise en oeuvre, mais aucune mesure n'est prise au niveau global, les problèmes étant à chaque fois réglés au cas par cas, pour l'ordonnance concernée uniquement49.

Le CPA a également constaté que les différents systèmes d'information au sein de l'administration fédérale n'étaient pas suffisamment reliés entre eux, ce qui a par exemple pour conséquence que l'AFD n'est pas en mesure de vérifier si un bien exporté soumis à la déclaration obligatoire a effectivement été déclaré au SECO 50.

Par ailleurs, il ressort du rapport du CPA que les compétences et les procédures n'étaient pas claires au sein de l'AFD, dans un cas au moins. L'AFD n'avait ainsi pas prévenu les bureaux de douane de la mise en oeuvre de l'ordonnance sur l'Ukraine. Le SECO n'avait quant à lui pas connaissance de ce dysfonctionnement51.

La CdG-E n'est pas convaincue par l'argument avancé par le SECO dans le cadre de l'évaluation du CPA, selon lequel le SECO n'est pas en mesure d'assurer une coordination des travaux entre les unités administratives faute de disposer du pouvoir d'instruction nécessaire pour cela52. La commission partage l'avis du CPA selon lequel la politique en matière de sanctions relève du domaine de compétence du DEFR, plus précisément du SECO53, et que c'est donc à ce dernier que revient le 49 50 51 52 53

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 4.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.4 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.1 Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.1 Art. 5, al. 1, Org DEFR

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pilotage global dans ce domaine54. Cela découle par ailleurs également de sa fonction de surveillance, qui est inscrite dans les différentes ordonnances 55, même si d'autres entités sont mentionnées en la matière.

Le groupe de travail ad hoc, dirigé par le SECO et composé en outre de représentants du Département fédéral des affaires étrangères (Direction politique, Direction du droit international public et, s'agissant de sanctions de l'UE, Direction des affaires européennes), du Département fédéral des finances (Secrétariat d'Etat aux questions financières internationales) du Département fédéral de justice et police (Office fédéral de la justice) et du SRC, constitue, pour les acteurs concernés, une instance importante pour les échanges56. Toutefois, le groupe de travail ne se réunit que rarement; aucune réunion n'a eu lieu entre la séance de novembre 2015 et celle du 1er décembre 2017. Depuis, une autre séance a eu lieu le 10 août 2018. La CdG-E estime qu'il est important qu'il existe, au sein de l'administration fédérale, une instance faisant office de comité de pilotage dans le domaine de la politique en matière de sanctions, qui soit chargée de la coordination des travaux entre les unités administratives ainsi que de la surveillance dans ce domaine. Un pilotage efficace nécessite toutefois des échanges réguliers au sein de l'instance.

Recommandation 5

Renforcement de la surveillance et de la coordination exercées par le SECO

La CdG-E demande au Conseil fédéral de renforcer le pilotage de la politique en matière de sanctions effectué par le SECO et de garantir la coordination, toujours par le SECO, des travaux entre les unités administratives concernées, en créant un organe de pilotage ad hoc. Elle l'invite en outre à examiner l'opportunité de relier les systèmes d'information de l'AFD et du SECO.

3

Conclusions et suite de la procédure

En se fondant sur l'évaluation du CPA, la CdG-E a certes identifié des points à améliorer dans l'application des sanctions, mais l'évaluation ne contient aucun élément laissant supposer que ces défaillances seraient imputables aux prescriptions de la LEmb et que cette dernière devrait être révisée.

La question posée au début de l'évaluation au sujet de l'efficacité des sanctions et des mesures prises pour éviter leur contournement (cf. chap. 1) ne trouve pas de réponse exhaustive à travers les travaux du CPA. On peut toutefois constater, sur la base de ces travaux, qu'aucun élément ne laisse supposer un non-respect systématique des sanctions. Même dans le cas de l'ordonnance sur l'Ukraine, les investiga54 55

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Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.1 Par ex. à l'art. 16, al. 1, de l'ordonnance du 18.5.2016 instituant des mesures à l'encontre de la République populaire démocratique de Corée (RS 946.231.127.6), à l'art 6 de l'ordonnance du 28 juin 2006 instituant des mesures à l'encontre du Myanmar (RS 946.231.157.5) ou à l'art. 5 de l'ordonnance du 13 mai 2009 instituant des mesures à l'encontre de la Somalie (RS 946.231.169.4).

Rapport du CPA du 9.11.2017, chap. 5.1

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tions du CPA n'ont mis en lumière aucun indice permettant de conclure que les sanctions prononcées par l'UE auraient été systématiquement contournées par l'intermédiaire de la Suisse.

La CdG-E invite le Conseil fédéral à répondre à ses réflexions et recommandations ainsi qu'aux considérations du CPA sur lesquelles elles reposent d'ici au 18 janvier 2019. Elle le prie aussi d'indiquer au moyen de quelles mesures et dans quels délais il envisage de mettre en oeuvre les recommandations de la commission.

19 octobre 2018

Pour la Commission de gestion du Conseil des Etats La présidente: Anne Seydoux-Christe La secrétaire: Beatrice Meli Andres Le président de la sous-commission DFF/DEFR: Joachim Eder

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Liste des abréviations AFD Al.

Art.

CdG CdG-E CPA DEFR DFF LEmb ONU Org DEFR OFAC OFC OSNM ParlG RS SECO SEM SIAW SRC UE

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Administration fédérale des douanes Alinéa Article Commissions de gestion des Chambres fédérales Commission de gestion du Conseil des Etats Contrôle parlementaire de l'administration Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche Département fédéral des finances Loi fédérale du 22 mars 2002 sur l'application de sanctions internationales (loi sur les embargos; RS 946.231) Organisation des Nations unies Ordonnance du 14 juin 1999 sur l'organisation du Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (RS 172.216.1) Office fédéral de l'aviation civile Office fédéral de la culture Office suisse de la navigation maritime Bundesgesetz vom 13. Dezember 2002 über die Bundesversammlung (Parlamentsgesetz; SR 171.10) Recueil systématique Secrétariat d'Etat à l'économie Secrétariat d'Etat aux migrations Institut suisse de recherches en économie internationale et en économie appliquée de l'Université de Saint-Gall Service de renseignement de la Confédération Union européenne