Erratum: remplace la publication dans la Feuille fédérale n° 41 du 16 octobre 2018, FF 2018 6163

ad 13.094 Message additionnel sur la révision partielle du code des obligations (Protection en cas de signalement d'irrégularités par le travailleur) du 21 septembre 2018

Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, Par le présent message additionnel au message du 20 novembre 2013 sur la révision partielle du code des obligations (Protection en cas de signalement d'irrégularités par le travailleur), nous vous soumettons des propositions concernant une nouvelle modification du code des obligations (Protection en cas de signalement d'irrégularités par le travailleur) qui amende le projet initial, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

21 septembre 2018

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Alain Berset Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2019-0423

1403

Condensé Le Parlement a renvoyé en date du 10 septembre 2015 le projet présenté par le Conseil fédéral le 20 novembre 2013. Il a demandé une version plus simple et plus compréhensible. Le présent projet répond à cette demande.

Contexte Le 20 novembre 2013, le Conseil fédéral a adopté un message qui achevait de réaliser le mandat de la motion 03.3212 Gysin «Protection juridique pour les personnes qui découvrent des cas de corruption». Ce projet a été renvoyé par les chambres en date du 10 septembre 2015. Le Parlement a demandé que le projet soit formulé «d'une manière plus simple et plus compréhensible». Le Conseil fédéral répond à cette demande par le présent projet.

Contenu du projet Un groupe de travail composé d'experts de la Chancellerie fédérale et de l'Office fédéral de la justice, la Commission interne de rédaction, a été chargé de proposer une version plus simple et plus claire du projet. Le Conseil fédéral s'est basé sur ces travaux pour adopter sa nouvelle proposition.

Les art. 321abis à 321aquinquies du projet initial ont fait l'objet de l'essentiel des modifications. Ces dispositions règlent en effet la procédure du signalement. Elles comprennent la plus grande partie des règles, qui sont aussi les plus denses sur le plan normatif. La simplification a consisté principalement à trouver des formulations plus courtes rédigées dans un langage plus accessible et à supprimer du texte légal des éléments de définition ou de concrétisation, introduits pour répondre aux critiques émises lors de la consultation. Le projet ne revient pas pour autant à la version très courte de l'avant-projet. Il propose une solution intermédiaire. La structure de certains articles a de plus été modifiée. La règlementation comporte aussi un nouvel article introductif qui donne une vue d'ensemble de la procédure de signalement.

Les modifications apportées par rapport au projet initial sont notamment les suivantes: les exemples destinés à concrétiser les notions d'irrégularités ou de signalement au public ont été supprimés ou raccourcis, la définition des irrégularités pouvant être signalées aux autorités a été simplifiée et les conditions du signalement ont, de manière générale, une structure plus simple et plus courte. Le contenu n'a cependant pas été touché, comme le demandait le Parlement. Par conséquent, la complexité inhérente à la procédure retenue sur le fond (différentes étapes, conditions pour passer d'une étape à l'autre) demeure.

1404

FF 2019

Message 1

Présentation du projet

1.1

Contexte

1.1.1

Mandat et exécution

L'historique du projet jusqu'au premier message du Conseil fédéral est ici brièvement rappelé. L'ensemble de la procédure législative est présenté de manière détaillée dans le premier message (ch. 1.1.5, 1.1.6 et 1.3.1).

La motion Remo Gysin 03.3212 «Protection juridique pour les personnes qui découvrent des cas de corruption» a été adoptée par le Parlement le 22 juin 2007. Elle demandait à son ch. 1 de régler explicitement dans le code des obligations (contrat de travail) les conditions auxquelles les personnes qui révèlent des actes illicites dans l'entreprise sont protégées contre les licenciements abusifs. La sanction en cas de congé abusif devait également être examinée (ch. 2 de la motion). Le Conseil fédéral a exécuté le mandat du Parlement en mettant tout d'abord en consultation, le 5 décembre 2008, un avant-projet de révision partielle du code des obligations (protection en cas de signalement de faits répréhensibles par le travailleur) 1. Il a ensuite mis en consultation un second avant-projet de révision partielle du code des obligations (sanction en cas de congé abusif ou injustifié)2. Le 21 novembre 2012, il a décidé de suspendre le projet relatif à la sanction en cas de congé abusif ou injustifié et de poursuivre les travaux sur le signalement de faits répréhensibles. Il a ainsi présenté au Parlement, en date du 20 novembre 2013, un message sur la révision partielle du code des obligations (Protection en cas de signalement d'irrégularités par le travailleur)3.

Le Conseil des États est entré en matière sur le projet et l'a adopté le 22 septembre 2014 avec peu de modifications. Le Conseil national est également entré en matière sur le projet mais a décidé de le renvoyer au Conseil fédéral avec le mandat suivant: «Renvoi au Conseil fédéral avec le mandat de formuler le projet d'une manière plus simple et plus compréhensible.

La structure de base du projet doit être maintenue, notamment pour ce qui est de l'enchaînement (employeur, autorités, public) et de l'incitation à créer une instance d'alerte interne.» Le Conseil des États a adhéré à la décision de renvoi en date du 10 septembre 2015.

1 2

3

Disponible sous www.ofj.admin.ch > Economie > > Protection contre le licenciement / Whistleblowing > Procédure de consultation > Avant-projet.

Disponible sous www.ofj.admin.ch > Economie > > Protection contre le licenciement / Whistleblowing > Deuxième consultation > Révision partielle du code des obligations (sanction en cas de congé abusif ou injustifié) ­ Rapport explicatif et avant-projet.

FF 2013 8547

1405

FF 2019

Pour mener à bien ce mandat, un groupe de travail composé d'experts de la Chancellerie fédérale et de l'Office fédéral de la justice, la Commission interne de rédaction, a revu l'ensemble du projet et a présenté une version simplifiée. Celle-ci a servi de base au projet présenté dans le présent message additionnel.

1.1.2

Contours du message additionnel

Sur la forme, le présent projet ne comprend que les modifications proposées par le Conseil fédéral. Ces propositions se rapportent à la version adoptée par le Conseil des États le 22 septembre 2014, avant le renvoi. Le Conseil des États n'a apporté que deux modifications mineures au projet initial du Conseil fédéral. Les explications et commentaires du premier message restent donc presqu'entièrement valables. C'est pourquoi, par soucis de simplicité, référence sera faite dans le présent message additionnel au projet initial et au premier message du Conseil fédéral. Les modifications apportées par le Conseil des États seront toutefois spécifiquement mentionnées.

Le message additionnel se limite donc à l'exposé des dispositions modifiées. De plus, les commentaires se rapportent uniquement aux modifications opérées par rapport au projet de 2013 modifié par le Conseil des États. Le droit en vigueur, le besoin de légiférer et le droit étranger, ainsi que la présentation et le commentaire détaillé des dispositions proposées, ne sont pas exposés une nouvelle fois. Le mandat découlant du renvoi ne porte en effet pas sur ces aspects et ceux-ci n'ont connu aucune modification substantielle depuis l'adoption du message en 2013. Les développements nouveaux seront mentionnés de manière ponctuelle et sans prétendre à l'exhaustivité. Des précisions pourront également être apportées sur certains points, si elles aident à la clarification du projet.

1.1.3

Droit en vigueur, besoin de légiférer et choix faits dans le projet initial

Les développements détaillés qui ont été faits dans le premier message (ch. 1.1.3 et 1.1.4) restent valables. Certains points sont rappelés ou précisés ici, de même que le choix qu'ils impliquent dans la structure générale et la portée du projet: ­

1406

Le mandat du Parlement est de nature formelle (voir ch. 1.3.1 ci-dessous).

Le besoin de légiférer et le fond du projet ne sont pas remis en question. Les avantages d'une réglementation légale sont rappelés ici. Tout d'abord, régler les conditions du signalement permet de lever les incertitudes sur le droit au signalement. La situation juridique sera donc bien plus claire au moment du signalement. Actuellement, c'est bien plus tard, au terme de la procédure judiciaire, que la légalité du signalement sera établie. Cette incertitude au moment du signalement est désavantageuse pour toutes les parties. Le travailleur ne sait pas s'il peut signaler et à qui il peut le faire et l'employeur ne peut juger de la réaction à avoir. Cela favorise les conflits ou les comportements inappropriés comme un signalement direct au public. Cela peut aussi inciter le travailleur à garder le silence parce qu'il a peur d'adopter un com-

FF 2019

portement illégal. La situation actuelle dessert donc aussi en fin de compte l'intérêt collectif à la révélation d'irrégularités.

­

De plus, l'importance de la thématique et la nécessité qu'elle soit traitée par le législateur et non laissée aux tribunaux est également à rappeler. La grave fraude d'une entreprise suisse sur l'étiquetage de la viande4 est un exemple récent qui le confirme. Elle n'aurait pas pu être découverte sans le courage du collaborateur à l'origine de la révélation. Ce collaborateur a tout de même été licencié et a fait l'objet de tentatives de dénigrement. L'on peut aussi se rappeler le grand scandale de corruption qui a secoué la FIFA, essentiellement révélé et documenté grâce à des informateurs internes5. L'aperçu de droit comparé montre par ailleurs que l'effort législatif se poursuit dans ce domaine, notamment au niveau européen (voir ci-dessous ch. 1.4). Fait également révélateur de cette évolution au plan légal, la Cour de cassation du Luxembourg a acquitté sur le plan pénal, le 11 janvier 2018, l'employé à l'origine des révélations sur les accords fiscaux avantageux pour nombre d'entreprise au Luxembourg (Luxleaks), en se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme6.

Ainsi, en résumé, les avantages pour les différentes parties prenantes sont: ­ Pour le travailleur: Le droit au signalement est reconnu et son étendue est définie bien plus précisément qu'actuellement. La possibilité de recevoir des conseils avant son signalement est donnée.

­ Pour l'employeur: Le signalement à l'employeur a la priorité sur le signalement à l'autorité et au public. Le traitement et la découverte d'irrégularités seront de ce fait améliorés.

­ Pour la collectivité: La légitimité du signalement est reconnue par le législateur. Sont ainsi dans le même temps reconnus, la nécessité pour les autorités d'être informées de violations du droit pénal ou administratif ainsi que le rôle important du signalement pour ce faire.

­

4

5 6

7 8

L'amélioration de la coordination avec le droit pénal est également à rappeler. Les explications du premier message relatives au droit pénal (ch. 1.1.3 et 1.3.2, Coordination avec le droit pénal) demeurent valables, car le présent projet n'apporte pas de modification sur ce point. L'élément principal à retenir est que le respect de la nouvelle réglementation constituera un fait justificatif légal en droit pénal (art. 14 CP7). Cela signifie que le travailleur qui s'en tient aux règles du code des obligations (CO8) ne risquera pas de sanctions sur le plan pénal.

Voir par exemple le Blick du 28.12.2014, Alexander Marx (28) brachte den FleischSkandal um Carna Grischa ins Rollen: Er hat nichts zu verbergen, www.blick.ch/news/schweiz/alexander-marx-28-brachte-den-fleisch-skandal-um-carnagrischa-ins-rollen-er-hat-nichts-zu-verbergen-id3372528.html.

Voir entre autres, Wikipedia, «2015 FIFA corruption case», https://en.wikipedia.org/wiki/2015_FIFA_corruption_case.

Arrêt N° 01/2018 pénal, du 11.01.2018, de la Cour de cassation du Grand Duché du Luxembourg, disponible sous: www.justice.public.lu/fr/jurisprudence/courcassation/penal/index.html Code pénal suisse, RS 311.0 RS 220

1407

FF 2019

Les règles suivantes s'appliquent aux travailleurs liés par le secret professionnel: Le projet prévoit une exception pour le secret professionnel (art.

321 CP, 47 LB9 et 43 LBVM10). Ce dernier n'est donc pas soumis aux nouvelles règles (art. 321asepties). En l'absence d'un autre fait justificatif légal (art. 15 ss CP), le signalement d'irrégularités par un travailleur lié par le secret professionnel pourra toutefois se fonder sur le fait justificatif extra-légal de la sauvegarde d'intérêts légitimes aux conditions reconnues par la jurisprudence. Selon la jurisprudence actuelle, la révélation de faits couverts par le secret professionnel, dans le but de sauvegarder des intérêts légitimes, n'est pas punissable si elle répond à un intérêt prépondérant et est proportionnée. Le principe de la proportionnalité exige notamment d'user de tous les moyens légaux, en particulier ceux de l'art. 321, ch. 2, CP. Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de confirmer cette jurisprudence dans un arrêt récent qui concernait le secret de fonction11. Ainsi, un employé de banque qui révèle des actes de corruption aux autorités pénales ou un médecin dans une clinique privée qui signale des erreurs qui ont pu coûter la vie à un patient pourraient être disculpés s'ils ont préalablement épuisé tous les moyens légaux à leur disposition et qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose.

9 10 11 12 13

­

L'examen du signalement reste fondé sur l'obligation de fidélité du travailleur, réglée à l'art. 321a CO. C'est en particulier l'obligation de discrétion, réglée à l'art. 321a, al. 4, CO, qui est concernée. Le choix d'une révision du code des obligations et l'inscription des nouvelles règles à la suite de l'art. 321a CO restent donc justifiés. Cette structure implique en particulier que les irrégularités ne peuvent être que des faits destinés à rester confidentiels au sens de l'art. 321a, al. 4, CO (voir ch. 2 ci-dessous, commentaire de l'art. 321abis).

­

La Cour européenne des droits de l'homme a confirmé sa jurisprudence relative au signalement d'irrégularités (voir ci-dessous, ch. 5). Le signalement reste donc une concrétisation de la liberté d'expression reconnue au travailleur et ses conditions reflètent une pesée des intérêts entre cette liberté et l'obligation contractuelle de fidélité ainsi que les atteintes qui peuvent être portées aux intérêts de l'employeur ou d'autres personnes, notamment la personne dénoncée. La cour relève en particulier qu'un signalement peut constituer, pour la personne dénoncée, une atteinte à la vie privée au sens de l'art. 8 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)12 et qu'une mise en balance entre l'art. 10 et l'art. 8 CEDH est nécessaire13.

Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne (Loi sur les banques, LB), RS 952.0 Loi fédérale du 24 mars 1995 sur les bourses et le commerce des valeurs mobilières (Loi sur les bourses, LBVM), RS 954.1 Arrêt du 20 juillet 2017, 6B_1369/2016, consid. 6 RS 0.101 Voir notamment, l'arrêt Aurelian Oprea c. Roumanie, du 19 janvier 2016, Requête no 12138/08, n. 60.

1408

FF 2019

Le présent projet s'inscrit dans ce cadre. Il ne remet en particulier pas en cause des droits découlant d'autres libertés fondamentales, comme la liberté d'association garantie à l'art. 11 CEDH, qui s'exprime dans les relations de travail par la liberté d'organisation et d'action des associations de travailleurs et d'employeurs et qui trouve son expression à l'art. 23 de la Constitution (Cst.)14 (liberté d'association) et plus spécifiquement pour les organisations de travailleurs, à l'art. 28 Cst. (liberté syndicale). Ainsi, l'information des partenaires sociaux dans le cadre de leurs activités n'entre pas dans le champ du projet et reste soumise au régime actuel.

1.2

Dispositif proposé

1.2.1

Adaptations effectuées 321abis

Les art.

à 321aquinquies du projet initial règlent les conditions du signalement à l'employeur, à l'autorité et au public. Ils constituent la partie du projet la plus longue du projet et ont été substantiellement simplifiés. Les art. 321 asexies, 321 asepties, 328, al. 1 et 3, 336, al. 2, let. d, et 362, al. 1, du projet initial ont fait l'objet d'adaptations rédactionnelles mineures. Un nouvel art. 321abis° a en outre été introduit au début de la règlementation. Il pose la règle générale et introduit les dispositions qui suivent. Il comprend également la définition des irrégularités.

Chaque disposition modifiée est commentée de manière détaillée au ch. 2. Certaines caractéristiques générales de la simplification peuvent toutefois être dégagées:

14

­

Simplification des structures: la superposition de conditions et de sousconditions, parfois formulées négativement, contribue à la complexité. Ces structures ont de ce fait été simplifiées au maximum.

­

Définitions ou concrétisations supprimées du texte légal ou raccourcies: les définitions ou les concrétisations contribuent à allonger et à alourdir le texte de loi. Les notions peuvent être tout autant définies ou concrétisées par les explications contenues dans le message. C'est pourquoi plusieurs ont été supprimées du texte de loi ou raccourcies.

­

Simplification des formulations: une terminologie plus simple et des formulations plus courtes ont été autant que possible utilisées.

­

Formulation non sexiste dans le texte de loi allemand: Les dispositions modifiées ou introduites par le projet ont été formulées, en allemand, de façon non sexiste. Les directives de la Chancellerie fédérale prévoient en effet que, lors de révisions de grands codes, les nouvelles dispositions sont formulées de façon non sexiste si elles constituent un ensemble homogène.

RS 101

1409

FF 2019

1.2.2

Vue d'ensemble du projet dans sa nouvelle mouture

Voici une récapitulation des propositions de fond du projet: ­

Les art. 321abis° ss règlent les conditions auxquelles un travailleur peut signaler une irrégularité.

­

L'art. 321abis° donne une vue d'ensemble des nouvelles règles et précise la notion d'irrégularités: celle-ci comprend les infractions pénales, les violations d'autres règles légales ou la contravention à des règles internes constituent des irrégularités. La liste n'est pas exhaustive.

­

Les art. 321abis à 321aquinquies définissent les destinataires successifs du signalement: employeur, autorité et public en dernier ressort. Ces dispositions posent les conditions du signalement à chacun des destinataires.

­

L'art. 321abis traite du signalement à l'employeur. Le travailleur qui a un soupçon raisonnable peut s'adresser à toute personne ou service interne ou externe habilités à recevoir le signalement. Ce peut être par exemple être le supérieur hiérarchique ou un service interne ou externe désigné par l'employeur pour recevoir les signalements. La réaction de l'employeur est définie: il doit fixer un délai raisonnable pour le traitement du signalement, informer le travailleur de la réception et du traitement du signalement et adopter des mesures suffisantes pour remédier à l'irrégularité. Les signalements anonymes sont possibles.

­

Les art. 321ater et 321aquater traitent du signalement à l'autorité. Les faits pouvant être signalés à une autorité sont les infractions à la loi que cette autorité traite (infractions pénales pour les autorités pénales, violations du droit public appliqué par une autorité administrative). Le signalement est possible en présence d'un soupçon raisonnable. Alors que l'art. 321ater règle le signalement à l'autorité qui suit un signalement à l'employeur, l'art.

321aquater définit les situations où un travailleur peut directement s'adresser à l'autorité.

­

L'art. 321 ater constitue la règle. Le travailleur doit s'adresser en principe en premier lieu à l'employeur. Si l'employeur n'adopte pas la réaction requise à l'art. 321abis, al. 2, le travailleur peut s'adresser à l'autorité. Il le pourra aussi s'il subit des mesures de représailles de la part de l'employeur.

­

Le travailleur peut s'adresser directement à l'autorité s'il peut raisonnablement conclure que le signalement à l'employeur ne produira pas d'effet. Ce sera notamment le cas en l'absence de personne ou de service indépendants pour recevoir le signalement ou si les réactions de l'employeur dans des cas antérieurs ont été insuffisantes. Le travailleur pourra aussi s'adresser directement à l'autorité si l'action de celle-ci risque sinon d'être entravée ou s'il y a un danger imminent d'une certaine importance. Les employeurs qui auront mis en place une procédure interne de signalement seront avantagés, car le travailleur devra démontrer l'inefficacité de cette procédure pour pouvoir conclure à l'inefficacité du signalement à l'employeur. La procédure interne doit notamment garantir un traitement indépendant du signalement et permettre les signalements anonymes.

1410

FF 2019

­

Les irrégularités signalées à une autorité peuvent être signalées au public aux conditions suivantes: le travailleur doit pouvoir tenir les faits en question de bonne foi pour vrais, ce qui constitue un critère plus strict que le soupçon raisonnable; la condition additionnelle est que l'autorité n'informe pas le travailleur de la suite qu'elle a donnée au signalement ou que l'employeur prenne des mesures de représailles après le signalement à l'autorité.

­

Les nouvelles règles ne s'appliquent pas en cas de signalement à une autorité étrangère ou si le travailleur est soumis au secret professionnel. Les règles spéciales instituant un droit ou une obligation de communiquer sont réservées.

­

Le travailleur peut consulter une personne soumise à un devoir légal de confidentialité pour s'informer sur ses droits.

­

Un licenciement suite à un signalement licite est expressément qualifié d'abusif et tout autre mesure de représailles est contraire à l'art. 328 CO, qui protège la personnalité du travailleur.

1.3

Appréciation de la solution retenue

1.3.1

Limites inhérentes au mandat

Le Parlement a décidé du renvoi à des majorités très nettes: par 134 voix contre 49 au Conseil national et à l'unanimité au Conseil des États. La volonté du Parlement a donc été clairement exprimée et les débats montrent que les contours du mandat sont bien définis. La nécessité de légiférer n'est pas contestée puisque les deux Chambres sont entrées en matière sur le projet. De plus, tant les rapporteurs au nom des commissions que les différents orateurs ont précisé que le projet du Conseil fédéral était approuvé sur le fond15. Le caractère complexe et peu compréhensible du projet a par contre été relevé de toutes parts, notamment avec la crainte que le travailleur ou l'employeur qui tentent de déterminer l'étendue de leurs droits et de leurs obligations n'y parviennent pas ou n'y parviennent que difficilement. Les exemples de l'avant-projet de 2008 et de l'art. 22a de la loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération (LPers)16, qui règlent la question en une seule disposition, ont en outre été expressément mentionnés17.

Le mandat donné par le Parlement porte donc sur une adaptation formelle du projet.

Il indique explicitement que la structure de base doit être conservée. Par conséquent, les éléments constitutifs de cette structure doivent être maintenus, même s'ils présentent un certain degré de complication. L'ordre des destinataires du signalement (employeur, autorité, public) devant être maintenu, il n'a par exemple pas été possible de réduire le nombre de dispositions. L'option la plus claire consiste en effet à prévoir au moins une disposition pour chaque stade de la procédure. Les conditions posées pour passer d'un destinataire à l'autre ne devaient de même pas être modi15 16 17

P. ex., BO 2015 N 660 et BO 2015 E 784.

RS 172.220.1 BO 2015 N 661 et 663

1411

FF 2019

fiées. Le degré de complication lié aux étapes successives du signalement et aux conditions posées pour accéder à l'étape suivante ne pouvait donc pas être écarté.

Les limites parfois floues entre la forme et le fond peuvent rendre l'exercice difficile. Le Conseil fédéral l'avait relevé lors des discussions sur le renvoi devant les Chambres, en lien surtout avec le degré de précision du projet18. Plusieurs situations se sont présentées lors des travaux de simplification formelle. Tout d'abord, le projet corrige le texte de loi là où sa lettre était en contradiction claire avec le message; le texte a alors été mis en accord avec les explications du message; le texte reflète plus exactement l'intention du projet, ce qui le rend plus compréhensible sans qu'il ne soit modifié sur le fond. C'est le cas de l'effet de la procédure interne de signalement sur la procédure à suivre par le travailleur (voir ch. 2, commentaire de l'art. 321aquater). Ensuite, le choix a été fait de prévoir des conditions unifiées pour la réaction de l'employeur, qu'il y ait ou non une procédure interne de signalement. La mise en place d'une telle procédure procure néanmoins toujours des avantages à l'employeur. L'effet incitatif reste donc acquis. En outre, certains points additionnels ont été réglés, car l'absence de règles aurait créé une incertitude juridique. C'est le cas de l'anonymat (voir ch. 2, commentaire des art. 321abis et 321aquater) et de l'effet d'éventuelles mesures de représailles postérieures au signalement à l'autorité (voir ch. 2, commentaire de l'art. 321aquinquies). Une précision moindre est enfin à noter à certains endroits. Par exemple, les mesures à prendre par l'employeur en cas de signalement doivent être, selon le nouveau projet, suffisantes, sans autre précision (art. 321abis, al. 2, let. c).

1.3.2

Résultat

Plusieurs options ont été étudiées par le groupe de travail de l'administration en tenant compte notamment de leur éloignement plus ou moins grand du texte du projet initial. Le choix final a pris en compte ce travail préalable mais également l'historique du projet. S'il est vrai, en effet, que l'avant-projet ne comprenait qu'une seule disposition, il avait été critiqué pour être trop vague et pour ne pas assurer la sécurité juridique voulue19. L'art. 22a LPers a également été pris comme point de comparaison. De grandes différences entre cette disposition et le présent projet ont toutefois été constatées. L'art. 22a LPers ne règle en effet pas toutes les questions, notamment le signalement au public. La situation est de plus différente dans les relations de travail de droit public comme cela a été relevé lors des débats parlementaires20: les employeurs sont eux-mêmes déjà des autorités et le personnel fédéral, par exemple, a l'obligation de dénoncer les infractions pénales, avec la possibilité de le faire directement aux autorités de poursuite pénale, sans égard à un éventuel signalement préalable à l'employeur ou à la qualité de sa réaction. Le modèle choisi pour le personnel fédéral est donc fondamentalement différent et le Parlement n'a 18 19

20

BO 2015 N 664 et BO 2015 E 784 Voir le ch. 1.3.1 du message du 20 novembre 2013 sur la révision partielle du code des obligations (Protection en cas de signalement d'irrégularités par le travailleur), FF 2013 8547 8577.

BO 2015 N 663

1412

FF 2019

expressément pas voulu pour le secteur privé de modèle différent de celui du projet initial, même si un tel modèle aurait pu apporter une simplification substantielle.

En tenant compte des limites décrites ci-dessus, le projet proposé allège et clarifie le texte légal de manière significative et répond à la demande formulée par le Parlement. La structure générale est en effet plus visible et lisible et le texte formulé dans un langage plus compréhensible. Le projet dans cette nouvelle version reste dans le même temps fidèle sur le fond au projet initial du Conseil fédéral adopté presque sans modifications par le Conseil des États. Il s'agit donc d'une nouvelle version qui se situe à mi-chemin entre celle très courte de l'avant-projet et celle présentée dans le message initial.

1.4

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

Une mise à jour complète ne sera pas effectuée ici. Seuls certains éléments nouveaux sont évoqués.

La protection des lanceurs d'alerte est restée l'objet d'une activité législative dans plusieurs pays. Une tendance qui voit cette protection s'implanter de plus en plus au niveau légal peut donc être relevée. Ainsi, la France s'est dotée d'une législation générale sur les lanceurs d'alerte21. Elle prévoit notamment une obligation d'établir une procédure interne pour les personnes morales de droit privé employant plus de 50 salariés. De même, l'Irlande et les Pays-Bas ont adopté, respectivement en 2014 et en 2016, des lois de protection des lanceurs d'alerte. La loi irlandaise22 comprend une réglementation générale du signalement, et la loi néerlandaise23 introduit une obligation de mettre en place une procédure interne pour les entreprises de plus de 50 employés et institue une autorité administrative (l'«Office des lanceurs d'alertes») qui conseille les lanceurs d'alerte et dispose de pouvoirs d'investigation.

L'Union européenne a lancé récemment une procédure législative visant à faire adopter une règlementation au niveau de l'Union. Ainsi, suite à une résolution du Parlement européen de février 201724, la Commission européenne a lancé en mars 2017 une consultation publique qui s'est achevée à la fin mai 2017 25. Le Parlement européen a adopté le 24 octobre 2017 une nouvelle résolution sur la protection des 21

22 23 24

25

Voir le chap. 2 de la loi no 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique et la loi organique no 2016-1690 du 9 décembre 2016 relative à la compétence du Défenseur des droits pour l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, JORF n o 0287 du 10 décembre 2016.

Protected Disclosures Act, du 8 juillet 2014, Irish Statutes Book, Number 14 of 2014, disponible sous: www.irishstatutebook.ie/eli/2014/act/14/enacted/en/index.html Wet Huis voor klokkenluiders (Loi concernant l'office des lanceurs d'alerte), du 14 avril 2016, disponible sous: https://wetten.overheid.nl/BWBR0037852/2016-07-01.

Résolution du Parlement européen du 14 février 2017 sur le rôle des lanceurs d'alerte dans la protection des intérêts financiers de l'Union européenne (2016/2055(INI)), disponible sous: www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&language=FR&reference= P8-TA-2017-0022.

Voir: http://ec.europa.eu/newsroom/just/item-detail.cfm?item_id=54254.

1413

FF 2019

lanceurs d'alerte26 qui invite la Commission à présenter une proposition législative (ch. 1). Suite à cela, la Commission a adopté, en date du 23 avril 2018, une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur la protection des personnes dénonçant les infractions au droit de l'Union27. La proposition a été soumise à consultation publique du 23 avril au 13 juillet 201828. En outre, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté une recommandation aux États membres sur la protection des lanceurs d'alerte (voir ci-après ch. 5)29.

1.5

Classement d'interventions parlementaires

La proposition de classement faite dans le premier message (motion Gysin du 7 mai 2003 [03.3212 «Protection juridique pour les personnes qui découvrent des cas de corruption» et postulat Marty du 19 juin 2003 [03.3344 «Mesures de protection des «whistleblowers»»]) reste inchangée.

2

Commentaire des dispositions

Comme rappelé ci-dessus (ch. 1.1.2), les commentaires qui suivent se limitent aux modifications faites par rapport au projet initial. Ils ne permettent pas de comprendre chaque disposition de manière complète. Pour cela, il faut se référer aux explications du premier message.

Art. 321abis° Cette disposition est nouvelle mais n'apporte aucune nouveauté quant au contenu. Il s'agit d'un article général qui introduit la règlementation du signalement. Le but est de poser la règle générale et de donner une vue d'ensemble de la procédure du signalement. L'al. 1 énonce le principe général de la règlementation: un signalement est conforme au devoir de fidélité s'il respecte les conditions posées par les dispositions qui suivent. L'al. 1 présente en même temps les dispositions pertinentes et leur contenu. L'al. 2 reprend la définition des irrégularités. La définition ne doit donc plus figurer dans la disposition qui règle le signalement à l'employeur, comme dans le premier projet. L'énumération ­ exemplative ­ des irrégularités a été légèrement modifiée et simplifiée. La notion d'«actes illicites» qui figurait dans le premier projet a été explicitée. Les règles internes de l'employeur ne sont plus énumérées dans le détail. Le Conseil des États avait amendé le projet du Conseil fédéral en prévoyant que seules les violations significatives des statuts entraient dans la défini26

27 28 29

Résolution du Parlement européen du 24 octobre 2017 sur les mesures légitimes visant à protéger les lanceurs d'alerte qui divulguent, au nom de l'intérêt public, des informations confidentielles d'entreprises et d'organismes publics, (2016/2224(INI)), disponible sous: www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-20170402+0+DOC+XML+V0//FR.

COM/2018/218 final Voir https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/initiatives/com-2018-218_en Recommandation CM/Rec(2014)7 du Comité des Ministres aux Etats membres sur la protection des lanceurs d'alerte, disponible sous: https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016805c5ead.

1414

FF 2019

tion des irrégularités. Cette précision a été abandonnée dans un souci de simplification du texte légal.

Alors que l'al. 1 est de droit impératif, l'al. 2 est de droit dispositif. L'employeur peut donc définir la notion d'irrégularités pour son organisation. Sa liberté est toutefois limitée par la définition, impérative, des irrégularités qui peuvent être signalées à l'autorité ou au public.

Les irrégularités se rapportent uniquement à des faits couverts par l'obligation de discrétion réglée à l'art. 321a, al. 4, CO. Les faits qui ne sont pas couverts par l'obligation de discrétion ne doivent donc pas obéir aux conditions posées aux art. 321abis° ss.

Art. 321abis L'art. 321abis établit l'employeur comme premier destinataire du signalement. Cette disposition définit ensuite les conditions du droit de signaler à l'employeur. A l'art. 321abis du projet initial, ces conditions étaient posées à l'al. 1, let. a et b. La let. a requérait l'existence d'un soupçon raisonnable et la let. b que le signalement soit adressé à une personne habilitée à traiter du signalement. L'al. 2 concrétisait la notion d'irrégularités.

Cette disposition a fait l'objet de plusieurs adaptations:

30

­

La concrétisation de la notion d'irrégularités se trouve maintenant à l'art. 321abis°, al. 2.

­

Dans le texte allemand, le terme «hinreichender Verdacht» a été remplacé par «nachvollziehbarer Verdacht», qui correspond mieux aux versions française et italienne («soupçon raisonnable», «ragionevoli sospetti»). En effet, «hinreichender Verdacht» se traduit par «soupçon suffisant» et non par soupçon raisonnable. Or, un soupçon suffisant, tel qu'il apparaît à l'art. 309, al. 1, let. a du code de procédure pénale30, est matériellement un critère différent, plus strict. La nouvelle formulation permet donc de mieux mettre en harmonie les différentes versions linguistiques.

­

La nouvelle formulation de l'al. 1, let. b est plus courte. Elle regroupe les deux hypothèses envisagées dans le projet initial: une personne ou un service habilités à traiter le signalement selon l'organisation interne ou bien désignés par l'employeur à cet effet. Tous les cas de figure sont ainsi couverts: habilitation par la loi, par les règles internes à l'organisation ou par une décision ou un accord de l'employeur. Il s'agira par exemple de la direction ou du conseil d'administration d'une société anonyme, du supérieur hiérarchique, du service de contrôle de conformité au droit ou d'une personne désignée pour recevoir les signalements. Le terme «service» a été préféré à celui d'«organe», qui ne correspond dans ce contexte pas à la notion juridique étroite de ce terme (voir l'art. 55 CC ou l'art. 629, al. 1, CO). De plus, les destinataires du signalement sont ceux qui sont habilités à le recevoir et non, comme le prévoyait le premier projet, à le traiter, car il se peut par exemple

RS 312.0

1415

FF 2019

qu'un service spécialisé traite un signalement alors que les supérieurs hiérarchiques soient, de par l'organisation générale prévue, habilités à le recevoir.

31 32 33

­

La disposition autorise le signalement anonyme. Cela ressort, indirectement, de l'al. 2, let. b. Une incertitude sur un point important de la procédure de signalement est ainsi levée. Sans cette précision, la possibilité d'effectuer des signalements de manière anonyme serait restée sans réponse dans le projet. Le Conseil des États avait certes traité de cette question, mais en lien avec le système de signalement interne uniquement31. Le signalement anonyme offre une sécurité supplémentaire au travailleur et constitue parfois le seul moyen d'effectuer un signalement sans risques. Les organisations sont en outre en mesure de gérer les signalements anonymes. Au niveau des autorités fédérales, les plateformes de signalement mises en place par le Contrôle fédéral des finances ou, pour les cas de corruption, par l'office fédéral de la police, permettent le signalement anonyme 32. Une étude récente montre aussi que de nombreuses entreprises, grandes, moyennes ou petites, qui disposent d'une procédure interne, prévoient la possibilité de signaler de manière anonyme (55,5 % des grandes entreprises et 36,4 % des petites et moyennes entreprises)33. L'al. 2, let. b, prévoit tout de même une exception à l'obligation d'informer dans les cas où la communication est impossible ou demande des efforts qui ne peuvent manifestement pas être exigés l'employeur.

­

La réaction de l'employeur à un signalement, réglée dans le premier projet au niveau du signalement à l'autorité (art. 321ater, al. 1, let. b), a été placée dans cette disposition, dans un nouvel al. 2. La structure est ainsi plus claire, car elle suit la chronologie de la procédure. La réaction de l'employeur suit en effet le signalement qui lui est adressé et implique des processus internes à l'entreprise. En outre, ce changement permet de simplifier la disposition relative au signalement à l'autorité.

­

Les conditions correspondent à celles qui étaient prévues à l'art. 321ater, al. 1, let. b, ch. 1 à 3 dans le projet initial. La formulation positive, qui a été systématiquement privilégiée, favorise la compréhension et la clarté. Ces conditions valent en l'absence ou en présence d'une procédure interne de signalement (voir le commentaire de l'art. 321ater).

­

L'al. 2, let. a et b reprend quasi à l'identique les conditions du délai de traitement et du devoir d'information. La limite maximale du délai à fixer par l'employeur a été augmentée à 90 jours. Cette modification découle d'une part de ce que les conditions s'appliquent maintenant également aux cas où une procédure interne de signalement est mise en place par l'employeur.

Dans le premier projet, celui-ci disposait d'une liberté totale quant au délai.

BO 2014 E 874 ss Voir respectivement: www.efk.admin.ch > Whistleblowing et www.fedpol.admin.ch > Criminalité > Corruption.

Cf. BLUMER, Helene/DAHINEN, Urs/FRANCOLINO, Vincenzo/HAUSE, Christian, Meldestellen in Schweizer Unternehmen ­ Whistleblowing Report 2018, 2017, disponible sous http://whistleblowingreport.ch ou www.htwchur.ch/de_integrity, ch. 2.6.

1416

FF 2019

Cette liberté était trop étendue et créait une incertitude quant au délai maximal possible. De ce fait, le délai s'applique maintenant dans ces cas aussi.

Mais alors, l'employeur doit disposer d'une plus grande marge quant au délai par rapport au premier projet. La diversité des situations qui peuvent se présenter est ainsi également prise en compte: certains cas simples ou urgents nécessitent une réaction rapide et donc un délai court et d'autres plus complexes peuvent demander des clarifications plus longues et un délai plus long. La let. b prévoit une exception au devoir d'informer de l'employeur dans les cas de signalements anonymes. Si, en principe, la communication par voie électronique avec un travailleur ayant signalé anonymement est techniquement possible de nos jours, un signalement par lettre, non signé et déposé sur le bureau de la personne responsable n'est pas à exclure comme des situations, certes exceptionnelles, où la mise en place d'un dispositif technique de communication anonyme ne pourrait clairement pas être exigée de l'employeur.

34

­

L'al. 2, let. c, ne détaille plus les mesures à prendre par l'employeur et se contente de préciser que ces mesures doivent être suffisantes. Le caractère suffisant doit être objectivement établi et ne peut résulter du point de vue subjectif de l'employeur ou du travailleur. De ce fait, l'expression «mesures manifestement insuffisantes», utilisée dans le projet initial et destinée à garantir une telle objectivité34, a pu être abandonnée. Le juge appréciera si les mesures prises par l'employeur sont suffisantes compte tenu notamment de l'irrégularité qui est signalée ou de la rapidité et de l'adéquation de la réaction de l'employeur.

­

La nature de droit dispositif de la disposition a été abandonnée.

L'art. 321abis figure dans la liste des dispositions relativement impératives de l'art. 362, al. 1, CO. Ce changement n'en est un que pour le nouvel al. 1.

L'al. 2 provient en effet de l'art. 321ater du projet initial, qui était de droit impératif. Les travaux menés sur le projet suite au renvoi ont montré que la nature de droit dispositif de la disposition concernant le signalement à l'employeur, en elle-même logique et justifiée, était de fait de portée très limitée et posait des problèmes de coordination avec les dispositions suivantes, de droit impératif. En effet, la réaction de l'employeur, réglée dans le projet initial au niveau du signalement à l'autorité et dans ce projet au niveau du signalement à l'employeur à l'al. 2, est de droit impératif. Or, les conditions posées à la réaction de l'employeur comme le caractère impératif des règles sur le signalement à l'autorité ne laissent de fait pas de marge à l'employeur en interne. Ainsi, s'agissant des irrégularités pouvant être signalées à l'autorité, fixer à l'interne un critère plus exigeant que le soupçon raisonnable n'aurait pas été possible, car, en présence d'un soupçon raisonnable, l'employeur se doit de réagir selon les exigences légales pour éviter un signalement à l'autorité. De même, l'interdiction de tout signalement à l'interne n'aurait pas été possible. En outre, si la désignation d'une seule personne au sein de l'organisation comme destinataire du signalement avait été concevable, elle aurait rendu, par exemple, un signalement au supérieur FF 2013 8547 8600

1417

FF 2019

hiérarchique inopérant. Or, un tel signalement doit amener une réaction de l'employeur, le cas échéant en prévoyant la transmission du signalement à la personne spécialement responsable des signalements au sein de l'organisation. Enfin, des exigences de forme posées en interne au signalement, comme la forme écrite, auraient elles aussi eu pour effet d'écarter des signalements qui demandent une réaction. Le travailleur doit ainsi pouvoir effectuer un signalement aux destinataires définis à l'al. 1, let. b, s'il a un soupçon raisonnable (al. 1, let. a). Comme la notion d'irrégularités est de droit dispositif, l'employeur peut déterminer, au-delà des irrégularités qui peuvent être signalées à l'autorité et au public, quelles irrégularités relèvent de l'art. 321abis.

Art. 321ater Cet article règle le signalement à l'autorité consécutif au signalement à l'employeur.

Il a été substantiellement simplifié dans sa structure et dans sa rédaction et ne comprend ainsi plus qu'un seul alinéa.

Comme exposé dans le commentaire de l'art. 321abis, les exigences liées à la réaction de l'employeur ont été intégrées dans la disposition traitant du signalement à l'employeur. De même, le terme allemand «hinreichender Verdacht», qui traduit «soupçon raisonnable» a été remplacé par «nachvollziehbarer Verdacht».

La phrase introductive a été simplifiée. Elle porte sur les signalements d'une irrégularité «à l'autorité chargée de contrôler l'application des normes violées dans le cas d'espèce». Cet élément reste inchangé par rapport au projet initial et doit se comprendre de la même manière.

Quant aux irrégularités pouvant être signalées, le projet initial les définissait comme «les infractions pénales et les normes dont une autorité administrative assure l'application ou contrôle le respect». La nouvelle formulation ne mentionne plus le droit pénal et le droit administratif de manière aussi directe. Toutefois, elle précise bien qu'il doit s'agir de normes dont une autorité contrôle l'application, ce qui comprend les domaines du droit pénal et du droit administratif, à l'exclusion, en principe, du droit privé. Ainsi, des actes de corruption pourront être signalés aux autorités pénales et des fraudes alimentaires pourront l'être à l'inspection des denrées alimentaires ou le cas échéant aussi aux autorités pénales. Un cas
de mobbing visant d'autres collaborateurs relève du droit privé du travail, mais aussi du droit public du travail et éventuellement du droit pénal. Il pourra donc faire l'objet d'un signalement à l'inspection du travail ou le cas échéant à l'autorité de poursuite pénale. La violation d'un contrat conclu avec un client ou un dommage qui lui est causé par l'organisation ne pourront par contre pas être signalés, car ils relèvent uniquement du droit privé. Il existe toutefois quelques exceptions. En effet, certains domaines font partie du droit privé mais ils impliquent une relation entre un particulier et une autorité (p.ex., le droit de la protection de l'adulte ou du registre du commerce). Le signalement à cette autorité sera donc possible. La différence est que la

1418

FF 2019

relation juridique dans les autres domaines du droit privé s'établit entre particuliers.

Il n'y a donc pas lieu de signaler une violation des obligations à une autorité35.

Les conditions à remplir (signalement préalable à l'employeur et mesures insuffisantes prises par ce dernier; ou mesures de représailles de l'employeur) ont été regroupées sous les let. a et b. Comme les exigences liées à la réaction de l'employeur ont été déplacées à l'art. 321abis, al. 2 (voir le commentaire de cette disposition), la let. a ne fait que renvoyer aux conditions posées dans cette disposition. La let. b reprend l'art. 321ater, al. 3, du projet initial dans une version simplifiée. Dans le projet initial, les mesures de représailles ne comprenaient pas les mesures qui sanctionnent un signalement illicite, contrevenant aux conditions posées à l'art. 321abis. Cette précision ne figure plus dans le texte de loi, mais un licenciement justifié ou une autre mesure disciplinaire que l'employeur est habilité à prendre ne pourront légitimer le signalement à l'autorité. L'employeur pourra sanctionner le non-respect de règles posées aux art. 321abis° ss mais aussi d'autres devoirs contractuels. Un signalement effectué dans les règles mais insultant pour la personne dénoncée pourra par exemple donner lieu à des sanctions justifiées sans que cela ne légitime un signalement à l'autorité.

L'art. 321ater, al. 2, du projet initial traitait du système de signalement interne.

L'art. 321aquater du projet initial traitait du signalement direct à l'autorité et comprenait, à son al. 2, un renvoi à l'art. 321ater, al. 2. Le présent projet propose de modifier cette structure. Les règles sur le système de signalement interne se trouvent maintenant à l'art. 321aquater. Ainsi, l'existence d'un système de signalement interne ne permettra en principe pas au travailleur de s'adresser directement à l'autorité. Par contre, à l'art. 321ater du présent projet, l'alinéa concernant le système de signalement interne est abandonné. Cela signifie que tout système interne devra répondre aux conditions posées maintenant à l'art. 321abis, al. 2, dans la disposition qui traite du signalement à l'employeur.

Dans le projet initial, l'employeur qui disposait d'un système interne de signalement ne devait pas remplir les conditions posées à la réaction de
l'employeur qui ne disposait pas d'un tel système. Toutefois, le message précisait que le système se devait d'être une réponse efficace au signalement36. Or, les conditions posées à la réaction de l'employeur en l'absence de système interne ne font rien d'autre que définir ce qu'est une réaction efficace de l'employeur. Et vu qu'elles se maintenaient à un niveau relativement élevé d'abstraction (éclaircir les faits et remédier le cas échéant à l'illicéité), il aurait été difficile d'imaginer un système interne qui n'eût pas dû les respecter. Par conséquent, l'autonomie que l'on a voulu donner à l'employeur dans la mise en place du système interne n'était en très grande partie qu'apparente. Elle n'était de plus pas clairement délimitée, vu que le système interne devait être apte à traiter les signalements sans que cette exigence ne soit concrétisée.

Une grande insécurité juridique en aurait été la conséquence. Les employeurs n'auraient pas su quelle marge d'autonomie leur était accordée et ce point aurait dû faire l'objet de clarifications par la doctrine et la jurisprudence. Un résultat probable aurait été que les systèmes internes auraient dû respecter les conditions posées à la 35 36

FF 2013 8547 8598 FF 2013 8547 8602

1419

FF 2019

réaction de l'employeur en l'absence d'un tel système. Cela est par exemple particulièrement vrai pour le délai de traitement ou l'obligation d'informer le travailleur qui signale. Ces points sont réglés lorsqu'il n'y a pas de système interne, mais ils ne le sont pas lorsqu'il en existe un. Or il semble évident qu'un système efficace doit traiter les signalements dans un certain délai et faire en sorte que le travailleur qui signale soit informé. Avec la nouvelle structure, il est clair que ces exigences doivent être respectées dans les deux cas. De plus, la formulation des conditions de réaction à un signalement est maintenant nettement plus simple et courte. Le nouveau projet propose en effet de se limiter à exiger, outre le délai de traitement et le devoir d'informer, que les mesures prises pour traiter l'irrégularité soient suffisantes.

La solution proposée ici est donc bien mieux structurée: l'employeur doit réagir à un signalement selon les exigences de l'art. 321abis, qu'il dispose ou non d'un système interne. La mise en place d'un système interne qui répond aux exigences supplémentaires de l'art. 321aquater, al. 2, lui fait bénéficier du régime favorable prévu à cette disposition.

Art. 321aquater Cette disposition règle les conditions du signalement direct à l'autorité. Dans le projet initial, l'al. 1 énumérait les situations dans lesquelles le travailleur pouvait s'adresser directement à l'autorité compétente. L'al. 2 apportait des précisions dans les cas où l'employeur avait mis en place un système interne de signalement. Plusieurs simplifications sont intervenues.

Tout d'abord, la phrase introductive de l'al. 1, analogue à celle de l'art. 321ater, est adaptée de la même manière, y compris pour ce qui est du terme allemand «hinreichender Verdacht».

Ensuite, si les let. a, b et c du projet initial sont maintenues, les trois situations concrètes où le travailleur peut conclure que le signalement à l'employeur ne produira pas d'effet (let. a) ne sont plus énumérées dans le texte de loi. Elles restent toutefois valables et les commentaires du premier message à ce sujet restent pertinents. Une adaptation terminologique concerne le degré de certitude que doit avoir le travailleur lorsqu'il effectue son évaluation: alors que le projet initial prévoyait qu'il devait se baser sur des faits
objectifs, le nouveau texte exige qu'il puisse raisonnablement conclure que le signalement à l'employeur ne produira pas d'effet ou que l'action de l'autorité sera entravée. Comme une conclusion raisonnable doit se fonder sur des éléments objectifs, il n'y a aucune modification sur le fond. Cette condition a ensuite été déplacée dans la phrase introductive et porte ainsi sur les trois situations décrites aux let. a à c. La let. c se distingue certes des deux premières lettres: le danger doit être actuel ou du moins imminent, alors que les deux premières situations impliquent un pronostic du travailleur sur un événement futur. Toutefois, l'existence d'un danger, même imminent, résulte d'une évaluation de la situation par le travailleur. Celui-ci pourra croire de bonne foi qu'un danger existe et qu'il est habilité à s'adresser directement à l'autorité. Il ne doit pas être sanctionné dans ces cas. La différence avec les let. a et b devra toutefois être prise en compte dans l'interprétation du caractère raisonnable de sa conclusion.

1420

FF 2019

Enfin, l'existence et les conditions d'une procédure interne de signalement sont maintenant réglées à l'al. 2 du présent article, alors qu'elles figuraient à l'art. 321ater dans le projet initial. Ce changement a été expliqué ci-dessus dans le commentaire de l'art. 321ater. Le terme de «système interne de signalement» a été abandonné. Les exigences posées pour la procédure interne restent formulées de manière identique à une exception près. La let. d du projet initial, qui garantissait la confidentialité et que le Conseil des États avait ajoutée, est maintenue. La confidentialité a toutefois été remplacée par l'anonymat. Ainsi, un signalement anonyme doit être possible sans être obligatoire. Cette disposition est ainsi mise en accord avec la modification de l'art. 321abis, qui autorise les signalements anonymes à l'interne. En effet, l'anonymat ne peut être autorisé de manière générale pour le signalement interne et ne pas être garanti lorsque l'employeur met une procédure de signalement en place.

L'existence d'une procédure interne permet de présumer que le signalement à l'employeur produira des effets. Cette formulation est conforme à l'esprit du projet initial. Si, en effet, le texte du projet initial semblait exclure tout signalement direct à l'autorité, le message précisait que le système interne de signalement devait être effectivement utilisé et les règles internes effectivement appliquées37. Il résulte aussi de la finalité même d'une procédure interne qu'elle doit être apte à traiter le signalement de manière adéquate. Cela implique que, dans le cadre du projet initial déjà, le travailleur pouvait démontrer que le système interne n'était pas apte à produire les effets escomptés et ne répondait de ce fait pas aux exigences légales. La nouvelle version rend ce point explicite dans le texte de loi et contribue ainsi à la clarté du projet.

Art. 321aquinquies Cette disposition règle le signalement au public. Dans le projet initial, l'al. 1 posait les conditions du signalement au public et l'al. 2 concrétisait la notion de signalement au public.

Une première modification est structurelle: une partie de la phrase introductive a été intégrée dans une nouvelle let. b. Les conditions apparaissent ainsi toutes dans la liste, rendant la lecture de la disposition plus facile. L'autre avantage est de
rendre la phrase introductive de la disposition plus courte et plus simple.

Les let. a et c, ch. 1 correspondent aux let. a et b du projet initial. La let. c, ch. 1 a fait l'objet d'adaptations rédactionnelles mineures. Ces dispositions restent identiques sur le fond.

Une simplification substantielle réside dans la suppression de l'al. 2 du projet initial, qui précisait la notion de signalement au public. Les médias et les organisations restent des destinataires possibles.

Un nouveau ch. 2 a été ajouté à la let. c pour aligner cette disposition sur l'art. 321ater, let. b. En effet, les mesures de représailles du fait d'un signalement sont à proscrire à ce stade également.

37

FF 2013 8547 8602 8603

1421

FF 2019

Art. 321asexies, 321asepties, 328, al. 3, 336, al. 2, let. d, et 362, al. 1 L'art. 321asexies n'est adapté que dans le texte allemand (formulation non sexiste, voir ch. 1.2). Une précision est apportée au titre marginal de l'art. 321asepties et les renvois aux dispositions concernant le signalement d'irrégularités ont été introduits à l'art. 328, al. 3. L'art. 336, al. 2, let. d est adapté afin d'intégrer le nouvel art.

321abis° et, dans le texte allemand uniquement, afin d'adopter une formulation non sexiste (voir ch. 1.2). L'art. 362, al. 1, intègre les changements rédactionnels des titres marginaux et comprend les art. 321abis°, al. 1 et 321abis en plus par rapport au projet initial (voir commentaire de ces dispositions).

3

Conséquences

Les considérations du message initial restent pleinement valables. Aucun ajout n'est nécessaire.

4

Relation avec le programme de la législature et avec les stratégies du Conseil fédéral

Il est renvoyé au message initial, en ce qui concerne la relation avec le programme de législature et avec les stratégies du Conseil fédéral.

5

Aspects juridiques

Les considérations du message initial restent pleinement valables. Aucune modification n'est à relever. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de signalement d'irrégularités par un travailleur a en particulier été confirmée dans plusieurs arrêts postérieurs au premier message 38. De même, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a adopté le 30 avril 2014 la Recommandation CM/Rec(2014)7 sur la protection des lanceurs d'alerte, enjoignant aux États membres «de disposer d'un cadre normatif, institutionnel et judicaire pour protéger les personnes qui, dans le cadre de leurs relations de travail, font des signalements ou révèlent des informations concernant des menaces ou un préjudice pour l'intérêt général.»39. Une annexe à la recommandation énonce des principes destinés à guider les États membres dans leur activité législative.

38 39

Notamment, arrêt Aurelian Oprea c. Roumanie, du 19 janvier 2016, Requête no 12138/08, no. 59 et 60; arrêt Soares c. Portugal, du 21 juin 2016, Requête n o 79972/12, n. 39 à 43.

Disponible sous: https://search.coe.int/cm/Pages/result_details.aspx?ObjectId=09000016805c5ead.

1422