19.037 Message relatif à l'initiative populaire «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)» et au contre-projet indirect (modification de la loi sur les cartels) du 29 mai 2019

Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre l'initiative populaire «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter. Nous vous soumettons simultanément un contre-projet indirect sous la forme d'une modification de la loi sur les cartels, en vous proposant de l'adopter.

Par ailleurs, nous vous proposons de classer l'intervention parlementaire suivante: 2016

P

15.4159

La Suisse, un îlot de cherté, pour quelles raisons?

Et comment y remédier? (E 10.3.16, Fournier)

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

29 mai 2019

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Ueli Maurer Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2019-0612

4665

Condensé L'initiative pour des prix équitables entend renforcer la compétitivité internationale des entreprises établies en Suisse et lutter contre l'îlot suisse de cherté. Elle prévoit à cet effet d'abaisser le seuil de position dominante dans la loi sur les cartels et notamment d'instaurer, pour certaines entreprises, une obligation de livraison. Elle souhaite en outre garantir un commerce en ligne non discriminatoire par une interdiction de principe du blocage géographique privé. Le Conseil fédéral estime que les mesures proposées sont inappropriées et souhaite, par un contre-projet indirect, combattre de manière ciblée le cloisonnement de la Suisse, tout en évitant des conséquences économiques dommageables.

Contenu de l'initiative L'initiative populaire fédérale «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)», qui a été déposée le 12 décembre 2017 par l'association du même nom, vise à garantir l'achat non discriminatoire de biens et de services à l'étranger et à empêcher les restrictions à la concurrence causées par des pratiques unilatérales d'entreprises puissantes sur le marché. À cette fin, l'initiative exige que l'art. 96, al. 1, de la Constitution fédérale soit complété et qu'un nouveau chiffre y soit adjoint dans les dispositions transitoires.

Une adaptation de la loi sur les cartels irait de pair avec cette modification de la Constitution. En sus des entreprises occupant une position dominante sur le marché, le projet prévoit d'étendre les contrôles des abus aux entreprises ayant un pouvoir de marché relatif. Celles-ci pourraient entre autres se voir obligées de fournir ou d'acheter des biens et des services à des conditions spécifiques aux entreprises qui dépendent d'elles.

La réglementation proposée s'appliquerait aux entreprises ayant leur siège en Suisse ou à l'étranger, toutefois, selon le texte de l'initiative, les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif seraient autorisées à empêcher la réimportation de leurs produits dans le pays de production, une autorisation qui serait également étendue aux entreprises ayant une position dominante sur le marché. Dans les faits, cette disposition exempterait avant tout les entreprises suisses de l'obligation de fournir les entreprises établies en Suisse par des canaux de distribution étrangers,
et non les entreprises étrangères. Elle aurait en outre pour conséquence d'affaiblir la loi sur les cartels en vigueur dans ses dispositions applicables aux entreprises en position dominante.

De plus, l'initiative demande que la non-discrimination en matière d'achats soit en principe garantie dans le commerce en ligne, en particulier grâce à un complément apporté à la loi fédérale contre la concurrence déloyale. Elle vise ainsi l'interdiction de principe du blocage de contenus Internet par les fournisseurs en fonction de la localisation de l'utilisateur (blocage géographique privé).

4666

Avantages et inconvénients de l'initiative Les auteurs de l'initiative estiment que des entreprises actives à l'international cloisonnent fréquemment le marché suisse depuis l'étranger en vue d'imposer des prix élevés et de profiter de la propension des consommateurs suisses à payer davantage. Les mesures prévues par l'initiative pour renforcer la liberté d'achat à l'étranger d'entreprises dépendantes d'entreprises ayant un pouvoir de marché relatif peuvent vraisemblablement empêcher cette pratique dans certains cas. Toutefois, l'introduction générale de la notion de pouvoir de marché relatif ­ qui s'appliquerait également aux relations économiques entre entreprises suisses ­ règlementerait en premier lieu des domaines qui ne sont pas concernés par les problèmes de cloisonnement. Ainsi, les autorités en matière de concurrence et surtout les tribunaux (civils) seraient appelés, dans certains cas, à se pencher et à statuer sur la politique de prix pratiquée entre deux entreprises suisses dans notre pays, même lorsqu'aucune des deux n'occupe une position dominante sur le marché.

Le Conseil fédéral est d'avis que cette approche va trop loin, car, en plus des frais administratifs supplémentaires qu'elle occasionnerait à la Confédération, aux cantons et aux entreprises, elle risquerait de compromettre la sécurité juridique, la liberté économique et, enfin, l'emploi.

L'initiative prévoit en outre une clause qui permet aux entreprises ayant un pouvoir de marché relatif et dorénavant aussi aux entreprises ayant une position dominante d'empêcher par des pratiques unilatérales les réimportations dans le pays de production. Or, dans bien des cas, une disposition de ce genre pourrait justement empêcher les entreprises en Suisse de se fournir à meilleur prix. Par ailleurs, cela reviendrait dans les faits à instaurer une inégalité de traitement entre les entreprises suisses et étrangères, ce qui constituerait une violation potentielle des engagements de la Suisse en matière de droit international public.

L'interdiction de principe du blocage géographique privé prévue par l'initiative, qui vise, sur le fond, les fournisseurs qui proposent des biens et des services sur Internet et exercent leur activité commerciale à l'étranger, serait très difficile à faire appliquer à l'étranger en l'absence d'accord avec
d'autres pays et resterait vraisemblablement, selon le Conseil fédéral, lettre morte. L'interdiction unilatérale qui en résulterait concernerait en fin de compte avant tout les entreprises suisses.

Proposition du Conseil fédéral Fort de ces considérations, le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales, par le présent message, de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative populaire, à laquelle il oppose un contre-projet indirect.

Le contre-projet indirect prévoit une adaptation de la loi sur les cartels intégrant la notion de «pouvoir de marché relatif» proposée par l'initiative («position dominante relative» dans le texte de l'initiative), mais en limitant son champ d'application aux cas de cloisonnement du marché suisse. Les états de fait concernant uniquement le marché intérieur ne sont ainsi pas concernés. Les entreprises dépendantes d'entreprises ayant un pouvoir de marché relatif doivent en principe pouvoir se procurer des biens et des services à l'étranger aux prix et aux conditions commerciales qui y sont pratiqués afin d'éviter des distorsions de concurrence. De la sorte, l'exigence

4667

principale de l'initiative est remplie: renforcer la liberté d'achat des entreprises suisses à l'étranger pour faciliter les importations parallèles et remédier aux désavantages concurrentiels par rapport aux concurrents étrangers. Dans le même temps, le contre-projet indirect du Conseil fédéral permet d'éviter les conséquences négatives inhérentes au texte de l'initiative pour les relations commerciales domestiques, étant donné que celles-ci ne sont pas concernées par les problèmes de cloisonnement ou qu'elles sont en l'état déjà suffisamment protégées des distorsions de concurrence par la loi sur les cartels. Le contre-projet indirect du Conseil fédéral ne prévoit en revanche pas d'interdiction de principe du blocage géographique privé, notamment en raison des grandes difficultés d'application que poserait une telle mesure.

4668

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Table des matières Condensé

4666

1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Aboutissement et délais de traitement 1.3 Validité

4672 4672 4673 4673

2

Contexte 2.1 L'îlot suisse de cherté 2.1.1 Situation actuelle 2.1.2 Suite donnée au postulat 15.4159 Fournier 2.1.3 Causes des prix élevés 2.1.3.1 Remarques liminaires 2.1.3.2 Pouvoir d'achat 2.1.3.3 Entraves au commerce 2.1.3.4 Coûts de production 2.1.3.5 Concurrence et droit des cartels 2.1.4 Mesures contre les prix élevés en Suisse 2.2 Droit en vigueur 2.2.1 Droit des cartels 2.2.1.1 Accords en matière de concurrence 2.2.1.2 Existence d'une position dominante 2.2.1.3 Effets juridiques d'une position dominante 2.2.1.4 Droit privé général 2.2.1.5 Blocage géographique privé 2.3 Interventions parlementaires

4674 4674 4674 4678 4678 4678 4678 4679 4679 4680 4682 4684 4684 4684 4685 4686 4686 4687 4687

3

Buts et contenu de l'initiative 3.1 Buts visés 3.2 Réglementation proposée 3.3 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative 3.3.1 Remarques liminaires 3.3.2 Art. 96, al. 1, P-Cst.

3.3.3 Délai d'entrée en vigueur des dispositions légales (art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst.)

3.3.3.1 Remarques liminaires 3.3.3.2 Pouvoir de marché relatif dans le droit allemand 3.3.3.3 Notion de pouvoir de marché relatif (art. 197, ch. 12, al. 2, let. a, P-Cst.)

3.3.3.4 Exemples de règles pour les faits survenus à l'étranger (art. 197, ch. 12, al. 2, let. b, P-Cst) 3.3.3.5 Clause de réimportation (art. 197, ch. 12, al. 2, let. c, P-Cst.)

4689 4689 4690 4691 4691 4691 4692 4692 4692 4695 4696 4700

4669

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3.3.3.6 3.3.3.7

4

Non-application de sanctions directes (art. 197, ch. 12, al. 2, let. d, P-Cst.)

Interdiction de principe du blocage géographique privé (art. 197, ch. 12, al. 2, let. e, P-Cst.)

4700 4701

Appréciation de l'initiative 4.1 Appréciation des demandes de l'initiative 4.1.1 Remarques liminaires 4.1.2 Notion de pouvoir de marché relatif (art. 197, ch. 12, al. 2, let. a, P-Cst.)

4.1.2.1 Aspects matériels 4.1.2.2 Application transfrontalière 4.1.2.3 Exemple de règle proposé (art. 197, ch. 12, al. 2, let. b, P-Cst.)

4.1.2.4 Non-application de sanctions directes (art. 197, ch. 12, al. 2, let. d, P-Cst.)

4.1.2.5 Clause de réimportation (art. 197, ch. 12, al. 2, let. c, P-Cst.)

4.1.3 Interdiction de principe du blocage géographique privé (art. 197, ch. 12, al. 2, let. e, P-Cst.)

4.2 Conséquences en cas d'acceptation 4.2.1 Conséquences pour la Confédération 4.2.2 Conséquences pour les cantons et les communes 4.2.3 Conséquences économiques 4.3 Avantages et inconvénients de l'initiative 4.4 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

4703 4703 4703

5

Conclusions

4720

6

Contre-projet indirect 6.1 Présentation du contre-projet indirect 6.2 Procédure de consultation 6.2.1 Projet envoyé en consultation 6.2.2 Aperçu des résultats de la procédure de consultation 6.3 Comparaison avec le droit étranger, notamment européen 6.4 Commentaire des dispositions 6.5 Conséquences 6.5.1 Conséquences pour la Confédération 6.5.2 Conséquences pour les cantons et les communes 6.5.3 Conséquences économiques 6.6 Aspects juridiques 6.6.1 Constitutionnalité 6.6.2 Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse 6.6.3 Frein aux dépenses

4721 4721 4724 4724 4725 4725 4726 4730 4730 4731 4731 4733 4733

4670

4703 4703 4706 4709 4709 4709 4710 4712 4712 4713 4713 4717 4719

4736 4736

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Glossaire

4737

Annexe: Comparaison du droit en vigueur et des propositions de modification

4740

Loi fédérale sur les cartels et autres restrictions à la concurrence (Loi sur les cartels, LCart) (Projet)

4743

Arrêté fédéral concernant l'initiative populaire «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)» (Projet)

4745

4671

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)» a la teneur suivante: La Constitution1 est modifiée comme suit: Art. 96, al. 1 La Confédération légifère afin de lutter contre les conséquences sociales et économiques dommageables des cartels et des autres formes de limitation de la concurrence. Elle prend en particulier des mesures afin de garantir l'acquisition non discriminatoire de biens et de services à l'étranger, et d'empêcher toute forme de limitation de la concurrence due aux pratiques unilatérales d'entreprises puissantes sur le marché.

1

Art. 197, ch. 122 12. Disposition transitoire ad art. 96, al. 1 D'ici à l'entrée en vigueur des dispositions légales, le Conseil fédéral édictera, dans un délai de deux ans après l'acceptation de la modification de l'art. 96, al. 1, par le peuple et les cantons, les dispositions d'exécution nécessaires.

1

Les dispositions d'exécution de l'Assemblée fédérale et du Conseil fédéral observent les principes suivants: 2

1 2

a.

les pratiques réputées illicites pour les entreprises dominant le marché le sont également pour les entreprises dont d'autres entreprises sont dépendantes de telle manière qu'elles n'ont aucune possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d'autres entreprises (entreprises ayant une position dominante relative);

b.

les pratiques d'entreprises dominant le marché ou ayant une position dominante relative sont réputées illicites, sous réserve d'une justification par des motifs objectifs, lorsqu'elles limitent la possibilité des acheteurs de se procurer dans l'État de leur choix, aux prix qui y sont pratiqués par les entreprises, des biens ou des services proposés en Suisse et à l'étranger; les différences de prix restent licites, tant que les entreprises ne poursuivent pas de buts anticoncurrentiels ni ne provoquent de distorsions de concurrence;

RS 101 Le numéro définitif de la présente disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

4672

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c.

les entreprises ont le droit de limiter à l'étranger, par des pratiques unilatérales, l'acquisition des biens qu'elles ont exportés, lorsque ceux-ci sont destinés à être réimportés dans le pays de production et à y être revendus sans traitement supplémentaire;

d.

en cas de pratiques abusives illicites, les sanctions directes relevant du droit des cartels ne s'appliquent pas aux entreprises ayant une position dominante relative;

e.

dans le commerce en ligne, la non-discrimination en matière d'achats doit en principe être garantie, notamment par une disposition contre la concurrence déloyale.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire fédérale «Stop à l'îlot de cherté ­ pour des prix équitables (initiative pour des prix équitables)» a fait l'objet d'un examen préalable par la Chancellerie fédérale le 6 septembre 20163, et elle a été déposée le 12 décembre 2017 avec le nombre requis de signatures. Par décision du 17 janvier 2018 4, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 107 889 signatures valables et qu'elle avait donc abouti.

L'initiative est présentée sous la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral lui oppose un contre-projet indirect. Conformément à l'art. 97, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)5, le Conseil fédéral avait jusqu'au 12 juin 2019 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté fédéral et un projet de loi accompagnés d'un message. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 12 juin 2020 pour adopter la recommandation de vote qu'elle adressera au peuple et aux cantons. Elle peut proroger le délai de traitement d'un an si les conditions énumérées à l'art. 105 LParl sont réunies.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, Cst.:

3 4 5

a)

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b)

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties;

c)

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

FF 2016 6873 FF 2018 213 RS 171.10

4673

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2

Contexte

2.1

L'îlot suisse de cherté

2.1.1

Situation actuelle

Les consommateurs et les entreprises paient en général en Suisse des prix plus élevés que les acheteurs à l'étranger. En 2017 par exemple, l'indice du niveau des prix des dépenses de consommation des ménages privés était supérieur de 56 % à la moyenne des quinze États qui ont adhéré à l'UE avant avril 2004 (pays de l'UE-15).

En comparaison, les prix des pays voisins de la Suisse sont dans la moyenne européenne. La figure 1 illustre les différences de prix entre les pays européens. On constate que des écarts importants subsistent encore entre les niveaux de prix dans le marché intérieur européen, malgré une intégration économique en progression et une monnaie commune liant certains pays.

Indices du niveau des prix de la consommation privée

Figure 1

Écart indexé en base 100 (UE-15 = 100). Indice du niveau des prix correspondant au quotient de la parité de pouvoir d'achat et du taux de change nominal actuel. Source: Eurostat, chiffres pour 2017.

La figure 2 montre la différence de prix entre la Suisse et l'UE pour une sélection de domaines. Si les prix pour les biens en Suisse sont supérieurs de 31 % à la moyenne de l'UE, la différence de prix des services s'élève à environ 68 %. En ce sens, les services difficilement ou non commercialisables, notamment dans les domaines de la santé, du logement et de l'énergie, contribuent dans une large mesure à faire de la Suisse un îlot de cherté.

4674

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Niveau de prix relatif en Suisse

Figure 2

Écart indexé en base 100 (UE-15 = 100). Indice du niveau des prix correspondant au quotient de la parité de pouvoir d'achat et du taux de change nominal actuel. Source: Eurostat, chiffres pour 2017.

En principe, un niveau de prix élevé est aussi signe de prospérité économique, et va dès lors de pair avec de hauts salaires. L'indicateur déterminant d'un point de vue économique est donc le pouvoir d'achat, soit la quantité de biens et de services pouvant être acquis avec le niveau des salaires existant. En comparaison avec les autres pays, la Suisse occupe une excellente position pour ce qui est du pouvoir d'achat. À titre d'exemple, selon une enquête d'UBS, Zurich se hisse au deuxième rang du classement mondial des villes au pouvoir d'achat le plus élevé, après Los Angeles, et Genève suit en quatrième position6. Les données d'Eurostat sur les revenus en parité de pouvoir d'achat corroborent ce résultat7. Les ménages en Suisse peuvent en moyenne se payer plus de biens et de services que ceux à l'étranger.

L'enquête d'UBS mentionnée permet de bien illustrer le pouvoir d'achat relativement élevé en Suisse: la figure 3 présente le temps de travail nécessaire pour s'octroyer l'un des biens pris en considération. En 2018, il fallait compter 13 minutes de travail pour s'offrir un Big Mac à Zurich, alors qu'un Berlinois ou un Viennois devait travailler 18 minutes, un Parisien 23 minutes et un Romain 24 minutes. Encore plus flagrant, 38 heures de travail étaient nécessaires en Suisse à l'achat d'un iPhone X alors qu'il fallait plus du double dans les pays voisins (84 heures à Vienne, 89 à Berlin, 102 à Paris et 107 à Rome).

6

7

Cf. UBS, «Cost of living in cities around the world. Prices and Earnings 2018»; ce texte peut être consulté en anglais à l'adresse suivante: www.ubs.com/microsites/pricesearnings/en/.

Eurostat, «Revenu disponible brut ajusté des ménages par personne en SPA»; ce texte peut être consulté à l'adresse suivante: https://ec.europa.eu/eurostat/tgm/ table.do?tab=table&init=1&language=fr&pcode=tec00113&plugin=1.

4675

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Big Mac ­ Temps de travail moyen en minutes

Figure 3

Base: salaires horaires nets moyens. Source: UBS, Prices and Earnings 2018, schéma du Conseil fédéral, chiffres pour 2018

Il est démontré empiriquement que les pays jouissant d'une grande prospérité économique en termes de produit intérieur brut (PIB) ont aussi tendance à se caractériser par un niveau élevé des prix (cf. figure 4)8. Le même rapport s'observe entre les prix et les salaires (cf. figure 5), ce qui ne surprend pas outre mesure, étant donné le facteur de coûts que représentent les salaires et l'importance qu'a l'inflation dans les négociations salariales. D'une part, les salaires élevés reflètent la forte productivité du travail investi. D'autre part, la théorie économique suggère que lorsque le secteur des exportations d'une économie ouverte se caractérise par une forte productivité, cela conduit à une hausse des salaires également dans les autres secteurs et, partant, à un indice des prix plus élevé dans l'ensemble (effet Balassa-Samuelson)9. Des prix élevés ne sont donc pas a priori dommageables pour une économie; en effet, ils témoignent aussi de la réussite économique et du degré élevé de prospérité d'un pays.

8 9

Cf. notamment OCDE (2013), Nouvelles comparaisons du PIB et de la consommation sur la base des parités de pouvoir d'achat pour l'année 2011, Paris, 18 décembre.

Cf. notamment Paul Krugman/Maurice Obstfeld/ Marc Melitz (2015), Économie internationale, 10e édition, Pearson France, p. 442 s.

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Rapport entre prix et PIB par habitant

Figure 4

Indice du niveau des prix correspondant au quotient de la parité de pouvoir d'achat et du taux de change nominal actuel. Source: OCDE, chiffres pour 2017.

Figure 5 Rapport entre prix et salaires

Indexé (New York City = 100). Niveau de salaires sans cotisations salariales et impôts, corrigé en fonction du temps de travail annuel. Base: 77 villes du monde entier. Source: UBS «Cost of living in cities around the world. Prices and Earnings 2018 », schéma du Conseil fédéral, chiffres pour 2018.

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2.1.2

Suite donnée au postulat 15.4159 Fournier

L'initiative pour des prix équitables est née en réaction à la thématique de l'îlot suisse de cherté. En examinant les causes des prix élevés en Suisse, le présent message a également pour objectif de donner suite au postulat 15.4159 Fournier du 17 décembre 2015 («La Suisse, un îlot de cherté, pour quelles raisons? Et comment y remédier?»), qui charge le Conseil fédéral d'analyser et d'exposer les raisons expliquant le haut niveau des coûts et des prix en Suisse ainsi que de proposer des mesures visant à lutter contre ce phénomène. Le postulat, accepté par le Conseil des États le 10 mars 2016, demande en particulier de mettre à cet égard l'accent sur l'amélioration des conditions-cadre et l'intensification de la concurrence.

2.1.3

Causes des prix élevés

2.1.3.1

Remarques liminaires

Le Conseil fédéral a déjà analysé en détail les causes des prix élevés en Suisse et proposé diverses mesures dans son rapport de 2008 donnant suite au postulat 05.3816 David du 14 décembre 2005 («La Suisse. Îlot de cherté») 10. En outre, le Conseil fédéral a présenté en 2016 un rapport sur les importations parallèles en exécution du postulat 14.3014 de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national du 24 février 2014 («Simplifier les formalités douanières et favoriser les importations parallèles grâce à la reconnaissance d'autres documents permettant d'attester de l'origine d'un produit»).11 Ce rapport se penche également sur la question de l'îlot suisse de cherté et montre que plusieurs facteurs sont à l'origine du niveau élevé des prix. L'analyse sur laquelle reposent les deux rapports mentionnés est dans l'ensemble encore valable aujourd'hui. Les causes principales et les mesures possibles sont à nouveau brièvement évoquées ci-dessous.

2.1.3.2

Pouvoir d'achat

Les entreprises ont tendance, lorsqu'elles en ont la possibilité, à segmenter les prix en fonction de critères entre autres géographiques afin de profiter au maximum de la propension à payer des acheteurs. Vu le pouvoir d'achat très élevé en Suisse en comparaison internationale (cf. figure 3), elles sont nombreuses à être tentées de vendre leurs produits plus cher en Suisse, tout en fixant des prix moins élevés dans les pays où les salaires sont bas.

10

11

Cf. «Preisinsel Schweiz, Berichte in Erfüllung des Postulates David (05.3816)», Grundlagen der Wirtschaftspolitik no 16, 2008; ce texte peut être consulté à l'adresse suivante: www.seco.admin.ch > Services et publications > Publications > Consommation et prix > Différence de prix > Preisinsel Schweiz.

Ce texte peut être consulté à l'adresse suivante: www.parlament.ch > 14.3014 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

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2.1.3.3

Entraves au commerce

La pratique des prix plus élevés en Suisse n'est possible et payante que sous certaines conditions: plus un bien est commercialisable, plus il est difficile d'imposer des prix plus élevés en Suisse. Il est ainsi plus difficile de fixer des prix élevés en Suisse lorsque, par exemple, les frais de transport sont modestes et que la durée de conservation est longue. De ce point de vue, les droits de douane (en particulier dans le domaine agricole), les formalités douanières et les différentes prescriptions techniques ou procédures d'homologation et d'autorisation favorisent la segmentation internationale des marchés. À l'heure actuelle, il existe encore en Suisse de nombreuses entraves commerciales de ce genre12, qui amenuisent l'échangeabilité des biens et des services, cloisonnent le marché suisse et, partant, contribuent à un niveau élevé des prix. La segmentation des marchés peut aussi résulter de restrictions commerciales de type privé, comme les accords de protection territoriale* (cf.

ch. 2.1.3.5). De plus, les entraves au commerce entraînent en règle générale des coûts directs, à l'image des droits de douane et des frais découlant d'une procédure d'autorisation.

En 2010, la Suisse a décidé d'appliquer unilatéralement le principe «Cassis de Dijon», développé à l'origine par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE)13. Les produits qui répondent aux prescriptions techniques de l'UE ou d'un État membre de l'UE ou de l'EEE et qui y sont légalement commercialisés peuvent, en principe, également être commercialisés en Suisse sans contrôles préalables, en vertu de l'art. 16a de la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur les entraves techniques au commerce14. Des exceptions ne sont possibles que si elles sont indispensables à la sauvegarde d'intérêts publics prépondérants. S'il est vrai que le principe «Cassis de Dijon» a augmenté l'échangeabilité de divers produits, son effet a été amoindri par de multiples exceptions (p. ex. des prescriptions divergentes en matière de déclaration dans le domaine des denrées alimentaires), par l'autorisation obligatoire pour les denrées alimentaires et par des procédures d'approbation, encore en vigueur, pour divers groupes de produits (p. ex. médicaments, fourrages, produits phytosanitaires, produits biocides).

2.1.3.4

Coûts de production

Le niveau général élevé des coûts de production contribue également à la cherté des prix sur le marché suisse. Ces coûts comprennent les salaires (cf. ch. 2.1.1), les loyers, les coûts de construction, d'énergie et de transports, les matières premières, les biens intermédiaires et les autres intrants, qui renchérissent la production des biens et des services en Suisse par rapport aux pays étrangers. Le poids de chacun des facteurs de coûts varie en fonction du produit et de la structure du marché en

12 13 14

Cf. aussi à ce sujet Stefan Bühler (2015), La réforme du droit des cartels pour lutter contre l'îlot de cherté suisse: une entreprise ambitieuse, La Vie économique 8-9, pp. 52 s.

CJCE, arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral AG contre Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, aff. C-120/78, Rec. 1979, p. 649 ss.

RS 946.51

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question, comme l'ont montré des études de cas sur les produits agricoles15. Les prix d'achat plus élevés peuvent aussi être une cause de la cherté relative des prix dans le commerce de détail16.

L'absence de concurrence dans plusieurs segments du marché intérieur, comme les industries de réseau (poste, énergie) et les professions libérales (notaires p. ex.), est un autre facteur expliquant le niveau élevé des coûts de production en Suisse17. Ces domaines présentent un potentiel de libéralisation, qui pourrait contribuer à faire baisser les prix pour les entreprises suisses.

2.1.3.5

Concurrence et droit des cartels

Lorsqu'ils fixent des prix, les fournisseurs ne sont pas seulement guidés par des considérations financières ou relatives au pouvoir d'achat, mais tiennent aussi compte de l'état de la concurrence sur le marché concerné18. Le pouvoir de marché d'une entreprise et la marge de manoeuvre dont elle dispose pour fixer le prix de vente tendent à diminuer avec l'augmentation du nombre de fournisseurs sur un marché19. Ces deux facteurs entraînent généralement une hausse des marges qui peut en principe concerner différents maillons de la chaîne d'approvisionnement, des fabricants (qu'ils soient étrangers ou suisses) aux détaillants, en passant par les importateurs et les grossistes. L'état de la concurrence sur les marchés concernés doit par conséquent être prise en considération dès lors que l'on souhaite expliquer le niveau élevé des prix en Suisse, et en particulier lorsque l'on se demande si une 15

16

17

18

19

Bokusheva Raushan, Fischer Silvan, Grass Michael (2019), Eine Analyse von FoodWertschöpfungsketten auf Basis internati-onaler Vergleichsdaten und Fallstudien, BAK Economics et ZHAW, étude sur mandat du SECO. Cerca Mariana, Mann Stefan, Kohler Andreas et al. (2019), Concentrate animal feed as an input good in Swiss agricultural production ­ The effects of border protection and other support measures, Wageningen Economic Research, étude sur mandat du SECO. Gentile Enrica, Gentile Mario, Loi Albercio et al. (2019), Fertilizers and pesticides: Price differences between Switzerland and neighbouring countries, Areté srl, étude sur mandat du SECO. Logatcheva Katja, van Galen Michiel, Janssens Bas et al. (2019), Factors driving up prices along the food value chain in Switzerland ­ Case studies on bread, yoghurt, and cured ham, Wageningen Economic Research et Agroscope, étude sur mandat du SECO. Toutes les études peuvent être consultées à l'adresse suivante: www.seco.admin.ch > Services et publications > Changement structurel et Croissance > Analyse des branches.

BAK Basel Economics (2017), Die Kosten des Schweizer Detailhandels im internationalen Vergleich, étude sur mandat de la Swiss Retail Federation. L'étude peut être consultée à l'adresse suivante: www.bak-economics-com> Publications > (dans le champ de recherche, indiquer «Die Kosten des Schweizer Detailhandels im internationalen Vergleich»).

Rapport du DEFR du 21 janvier 2015, «Bases de la nouvelle politique de croissance: analyse de la stratégie actuelle et perspectives pour la stratégie à venir», rapport donnant suite au postulat 13.3097 Leutenegger Oberholzer du 27 novembre 2013, p. 100 ss. Le rapport peut être consulté à l'adresse suivante: www.parlament.ch > 13.3907 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

Cf. Mathias Zurlinden (2007), Comportement des entreprises en matière de fixation des prix: résultat d'une enquête des délégués aux relations avec l'économie régionale, Banque nationale suisse BNS, Bulletin trimestriel 1/2007.

Cf. à ce sujet p. ex. Massimo Motta (2004), Competition Policy ­ Theory and Practice, Cambridge University Press, p. 39 ss. et p. 231 ss.

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baisse des prix en amont sera finalement répercutée sur les consommateurs. L'interdépendance entre concurrence et entraves au commerce (cf. ch. 2.1.3.3) est déterminante dans ce contexte: l'élimination des entraves au commerce permet d'accroître la concurrence sur le marché intérieur et, partant, d'exercer une pression sur les prix.

La segmentation d'un marché n'est toutefois pas seulement due aux obstacles au commerce, mais aussi aux restrictions commerciales du fait d'entreprises, notamment lorsque ces dernières exploitent abusivement une position dominante ou concluent des accords de protection territoriale (cf. ch. 2.2). En l'état, une application stricte du droit cartellaire est donc cruciale. Ces dernières années, la Commission de la concurrence (COMCO) et les tribunaux fédéraux ont conduit plusieurs procédures contre des entreprises qui avaient eu recours à des accords de protection territoriale et les ont sanctionnées20. Il convient en outre de souligner que le Tribunal fédéral a récemment allégé le fardeau de la preuve concernant les accords illicites de protection territoriale et d'autres accords en matière de concurrence dans un arrêt de principe en la cause Gaba21.

En résumé, l'îlot suisse de cherté résulte de causes diverses, liées les unes aux autres. Il conviendra de tenir compte de toutes ces causes lors de l'analyse des différences de prix. Le rôle joué par chacune d'entre elles dans le niveau élevé des prix en Suisse peut fortement varier en fonction du type de produit examiné. Les causes des prix comparativement élevés en Suisse sont récapitulées sous forme schématique ci-après.

20 21

Cf. p. ex. ATF 143 II 297, Gaba; ATF 144 II 194, BMW; ATF 144 II 246, Altimum SA; arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016, Nikon.

ATF 143 II 297, Gaba.

4681

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Causes de l'îlot suisse de cherté

Figure 6

Source: SECO. Exemple schématisé d'un bien importé de l'UE. La proportion des colonnes est fictive.

2.1.4

Mesures contre les prix élevés en Suisse

Parmi les options à disposition pour lutter contre l'îlot suisse de cherté, on compte entre autres la suppression des barrières tarifaires et des entraves techniques au commerce, le renforcement de la concurrence sur le marché intérieur et une législation efficace, qui permet de protéger la concurrence. Les mesures envisageables pour lutter contre les prix élevés en Suisse sont connues de longue date, mais pour certaines très contestées par la classe politique.

Sur la base des travaux mentionnés au ch. 2.1.3, le Conseil fédéral a décidé en 2017 d'adopter un ensemble de mesures pour lutter contre l'îlot suisse de cherté (cf.

figure 7)22. Ces dernières visent à supprimer les obstacles à l'importation et, partant, à rendre plus difficiles la segmentation du marché et la différenciation des prix par des fabricants étrangers. Le Conseil fédéral entend ainsi supprimer unilatéralement les droits de douane à l'importation des produits industriels. Il prévoit en outre d'abaisser les droits de douane sur une sélection de biens agricoles qui ne sont pas produits en Suisse et de renforcer le principe «Cassis de Dijon», en réduisant le nombre d'exceptions (cf. ch. 2.1.3.3). Il a également procédé à une consultation en vue de simplifier la procédure d'autorisation applicable aux denrées alimentaires mises sur le marché conformément au principe «Cassis de Dijon» et examine actuel-

22

Cf. Communiqué de presse du SECO du 20 décembre 2017; ce texte peut être consulté à l'adresse suivante: www.seco.admin.ch > Le SECO > Communiqués de presse > Communiqués de presse 2017 ­ SECO > Le Conseil fédéral adopte des mesures pour lutter contre l'îlot de cherté.

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lement la suite de la procédure23. L'objectif est de générer des économies considérables s'élevant à près de 900 millions de francs, au bénéfice tant des entreprises que des consommateurs privés.

Figure 7 Aperçu des mesures adoptées pour lutter contre les prix élevés en Suisse

Source: Conseil fédéral.

Enfin, une révision du contrôle des fusions d'entreprises est prévue afin de protéger encore davantage la concurrence. La mise en place du test SIEC (Significant Impediment to Effective Competition), également utilisé par l'UE, permettrait à la COMCO d'intervenir au cas par cas lorsque la concurrence est entravée de manière notable, même en l'absence d'une position dominante au sens du test de dominance actuellement en vigueur en Suisse; en vertu de l'art. 10, al. 2, de la loi du 6 octobre 1995 sur les cartels (LCart)24, la COMCO peut interdire la concentration ou l'autoriser moyennant des conditions ou des charges uniquement lorsque la concentration crée ou renforce une position dominante capable de supprimer une concur23 24

Le projet mis en consultation peut être consulté à l'adresse suivante: www.admin.ch > Droit fédéral > Consultations > Procédures de consultation terminées > 2017 > DEFR.

RS 251

4683

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rence efficace et qu'elle ne provoque pas une amélioration des conditions de concurrence sur un autre marché qui l'emporterait sur les inconvénients de la position dominante. La révision du contrôle des fusions pourrait rendre plus difficile l'émergence d'entreprises puissantes sur le marché, ce qui aurait une incidence positive sur la concurrence en Suisse.

Il convient également de signaler, pour ce qui est de la concurrence dans les industries de réseau, que le Conseil fédéral est en train d'élaborer une loi sur l'approvisionnement en gaz25 et qu'il a ouvert à la fin de l'année 2018 une procédure de consultation sur une modification de la loi du 23 mars 2007 sur l'approvisionnement en électricité (LApEl)26 en vue de l'ouverture complète du marché de l'électricité27.

Précisons enfin que certains écarts de prix par rapport aux pays voisins pourraient néanmoins subsister du fait que les coûts et le contexte en matière de demande et de concurrence sont différents. C'est également ce que montre la situation au sein de l'UE, où des différences de niveau des prix importantes persistent entre certains États membres malgré un marché intérieur commun (cf. figure 1).

2.2

Droit en vigueur

2.2.1

Droit des cartels

2.2.1.1

Accords en matière de concurrence

Si des entreprises en concurrence conviennent du cloisonnement du marché suisse, par exemple moyennant une répartition géographique ou en fonction de partenaires commerciaux, il peut y avoir un accord en matière de concurrence*28 au sens de l'art. 5, al. 3, let. c, LCart susceptible d'être sanctionné directement en vertu de l'art. 49a LCart lorsque la présomption de la suppression de la concurrence efficace selon l'art. 5, al. 3, let. c, LCart n'a pas pu être renversée ou que l'accord n'est pas justifié par des motifs d'efficacité économique. En outre, l'art. 5, al. 4, LCart prévoit une présomption de suppression de la concurrence efficace pour des accords passés entre des entreprises occupant différents échelons du marché, qui imposent un prix de vente minimum ou un prix de vente fixe, et des accords sur une interdiction de vente passive* (correspondant à des ententes de protection territoriale absolue*).

Même si cette présomption est en général renversée dans la pratique, de tels accords sont en principe notables et, sous réserve d'être justifiés pour des raisons d'efficience, illicites. En vertu de l'art. 49a LCart, les accords en matière de concurrence de ce genre sont susceptibles d'être sanctionnés directement. Depuis des années, les autorités en matière de concurrence se focalisent sur les entraves aux importations 25 26 27

28

Pour plus d'informations: www.ofen.admin.ch > Approvisionnement > Énergies fossiles > Gaz naturel > Loi sur l'approvisionnement en gaz.

RS 734.7 Le projet mis en consultation peut être consulté à l'adresse suivante: www.admin.ch> Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2018 > DETEC.

Les termes suivis d'un astérisque sont définis dans le glossaire qui figure à la fin du présent message.

4684

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parallèles et directes, comme en témoigne leur pratique, notamment dans les cas Gaba29, BMW30 ou encore Nikon31.

2.2.1.2

Existence d'une position dominante

Le droit actuel interdit en outre, à l'art. 7 LCart, l'abus d'une position dominante* sur le marché. En vertu de l'art 4, al. 2, LCart, on entend par «entreprises dominant le marché... une ou plusieurs entreprises qui sont à même, en matière d'offre ou de demande, de se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché (concurrents, fournisseurs ou acheteurs)». La précision entre parenthèses a été ajoutée dans le cadre de la révision de la LCart du 20 juin 200332. Dans son message du 7 novembre 2001 relatif à la révision de la loi sur les cartels33, le Conseil fédéral ajoutait en outre que, pour constater la position dominante d'une entreprise, les données concernant la structure du marché ne sont pas les seuls critères, mais qu'il faut également examiner les liens de dépendance réels sur le marché34; il peut y avoir position dominante «si une entreprise dispose d'une position de force sur le marché par rapport à ses concurrentes, notamment si d'autres entreprises sont dépendantes de la première en tant qu'acheteur ou que fournisseur»35. Pour certains commentateurs, la notion de pouvoir de marché relatif* a été introduite dans la LCart en 2004 déjà, avec l'adaptation de l'art. 4, al. 2, LCart 36.

Cette notion n'a toutefois jamais été formulée expressément dans la LCart. De ce fait, cette interprétation est restée d'importance secondaire dans la pratique. Après la révision de la LCart du 20 juin 2003, la COMCO a considéré la question de l'applicabilité de l'art. 7 LCart pour les cas de pouvoir de marché relatif uniquement dans le cadre de l'examen des concentrations d'entreprises37. La COMCO n'a jamais arrêté de décision exécutoire en application de l'art. 7 LCart à des entreprises ayant un pouvoir de marché relatif. Dans le cas CoopForte, par exemple, la question a expressément été laissée ouverte en raison d'un accord amiable38. Un tableau comparatif du droit en vigueur et des exigences formulées dans l'initiative parlementaire 14.449 Altherr du 25 septembre 2014 («Prix à l'importation surfaits. Supprimer l'obligation de s'approvisionner en Suisse»; cf. ch. 2.3), dans l'initiative pour des prix équitables et dans le contre-projet indirect figure en annexe.

29 30 31 32 33 34 35 36

37 38

ATF 143 II 297, Gaba.

ATF 144 II 194, BMW.

Arrêt du TAF B-581/2012 du 16 septembre 2016, Nikon.

RO 2004 1385 FF 2002 1911 FF 2002 1911 1921; voir aussi ATF 139 I 72, consid. 9.3.1, Publigroupe.

FF 2002 1911 1921.

Cf. notamment Luca Stäuble/ Felix Schraner, DIKE-KG, Art. 4 al. 2 N 119; Roger Zäch (2005), Schweizerisches Kartellrecht, 2e éd., Berne, N. 574 ss., ou encore BSK KG-Reinert/Bloch, Art. 4 al. 2 N 23 ss; Marc Amstutz/Mani Reinert (2005), sic!, p. 537 ss. et p. 631 ss.

Cf. notamment DPC 2008/4, p. 166, N 476, Coop/Carrefour; DPC 2008/2, p. 290, N 87 ss., fenaco/Steffen-Ris Holding AG.

DPC 2005/1, p. 146, N 163, CoopForte.

4685

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2.2.1.3

Effets juridiques d'une position dominante

En vertu de l'art. 7 LCart, une position dominante d'une ou de plusieurs entreprises contraint au respect de certaines règles de conduite qui ne valent pas pour des entreprises qui n'occupent pas une telle position. La LCart n'interdit pas une position dominante en soi, mais l'abus de cette position. Or il n'est pas possible de définir de manière définitive cette notion d'abus, même si l'on distingue communément entre pratiques d'exclusion (on parle alors d'entraves abusives*) et pratiques d'exploitation (exploitation abusive*).

L'art. 7, al. 2, LCart énumère six cas (ci-après dénommés exemples de règles*) qui pourraient conduire à un abus de position dominante. Suivant les circonstances du cas d'espèce, il peut être en particulier interdit à une entreprise occupant une position dominante de refuser d'entretenir des relations commerciales (art. 7, al. 2, let. a, LCart) ou de discriminer des partenaires commerciaux en matière de prix ou d'autres conditions commerciales (art. 7, al. 2, let. b, LCart). Toutefois, la réalisation de l'un des exemples de règles ne signifie pas automatiquement qu'il y a abus. Pour cela, il faut qu'en plus la pratique de l'entreprise occupant une position dominante empêche une autre entreprise d'accéder à la concurrence ou de l'exercer, ou désavantage un partenaire commercial. Enfin, il faut que la pratique de l'entreprise dominante ne se justifie pas pour de justes motifs (legitimate business reasons).

2.2.1.4

Droit privé général

Outre le droit des cartels, il faut également prendre en compte, s'agissant de la question d'une éventuelle interdiction de discrimination ou obligation de contracter, le droit privé, fondé sur le principe de l'autonomie de la volonté et, partant, de la liberté contractuelle. Celle-ci se compose de différents éléments comme la liberté de contracter, de choisir le cocontractant, de déterminer l'objet et la forme du contrat et, enfin, la liberté de le résilier39. La liberté de contracter et la liberté de choisir le cocontractant peuvent exceptionnellement être restreintes par des contraintes imposées aux parties contractantes se fondant sur des dispositions contractuelles, mais surtout sur des dispositions légales40. Une telle contrainte peut découler soit d'une disposition légale expresse (p. ex. art. 12 de la loi du 20 mars 2009 sur le transport de voyageurs41), soit de principes généraux du droit privé à l'instar de l'interdiction de pratiques contraires aux moeurs. En raison de l'extrêmement grande importance du principe de l'autonomie de la volonté dans le droit privé, une contrainte qui se fonde sur l'interdiction d'une pratique contraire aux moeurs doit toutefois, selon le Tribunal fédéral, se limiter aux cas remplissant cumulativement les quatre conditions suivantes42: premièrement, l'entreprise offre ses biens ou services de manière générale et publique. Deuxièmement, il doit s'agir de biens et de services qui se rapportent à des besoins normaux, à savoir qui sont à la disposition de presque tous et utilisés au quotidien, sans être limités aux seuls biens et services vitaux. Troisième39 40 41 42

ATF 129 III 35 consid. 6.1.

ATF 129 III 35 consid. 6.1.

RS 745.1 ATF 129 III 35 consid. 6.3.

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ment, l'intéressé ne doit pas avoir d'alternatives raisonnables pour satisfaire son besoin normal compte tenu de la position de force du fournisseur sur le marché; il faut toutefois conclure à une telle position uniquement sous réserve qu'un seul fournisseur soit suffisamment accessible ou que tous les fournisseurs potentiels rejettent la demande de l'intéressé. Quatrièmement, il ne doit pas y avoir de raisons objectives de refuser de contracter. Cependant la demande à être livré sur la base de la jurisprudence du Tribunal fédéral évoquée ici n'a apparemment guère de portée dans la pratique judiciaire.

2.2.1.5

Blocage géographique privé

L'interdiction du blocage géographique privé* est inconnue du droit suisse. Pour le droit européen, le blocage géographique privé regroupe les mesures d'entreprises visant à restreindre l'accès à leur interface en ligne, par exemple leur site Internet, mais aussi d'autres applications, aux clients d'autres États membres. L'adjectif «privé» sert à distinguer ces mesures des mesures de blocage géographiques ordonnées par l'État, comme celles qui sont expressément prévues à l'art. 86 de la loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d'argent43. La loi fédérale du 19 décembre 1986 contre la concurrence déloyale (LCD) 44, en particulier, ne prévoit pas de règles comparables avec celles de l'UE. Rien ne permet ainsi d'affirmer que l'usage du blocage géographique par des entreprises pourrait être déloyal et, partant, illicite en vertu de la clause générale en matière de loyauté commerciale (art. 2 LCD), puisque les pratiques se focalisant exclusivement sur les aspects quantitatifs de la concurrence ne sont pas couvertes par la LCD, et ne tombent donc pas sous le coup de la clause générale. Toutefois, les prescriptions de la LCart peuvent entraîner, dans certaines conditions, l'interdiction de mesures de blocage géographique privé. Lorsque deux entreprises se mettent d'accord pour y recourir au détriment du marché suisse, on peut être en présence d'un accord en matière de concurrence illicite selon l'art. 5 LCart, pouvant même, le cas échéant, être sanctionné directement. De plus, le recours au blocage géographique par une entreprise dominante peut être constitutif d'un abus de position dominante au sens de l'art 7 LCart. Toutefois, la question ne peut être réglée que sur la base d'un examen de cas en cas.

2.3

Interventions parlementaires

Abordée dans le cadre du postulat Fournier 15.4159, évoqué au ch. 2.1.2, la thématique de l'îlot suisse de cherté a aussi été notamment liée, dans le débat politique des dernières années, à des propositions de modification des dispositions du droit cartellaire. Dans ce contexte, plusieurs interventions et initiatives parlementaires ont été déposées: ­

43 44

Le 25 septembre 2014, l'initiative parlementaire 14.449 Altherr «Prix à l'importation surfaits. Supprimer l'obligation de s'approvisionner en Suisse» RS 935.51 RS 241

4687

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a été déposée en réaction à la non-entrée en matière du Conseil national, le 17 septembre 201445, sur la révision de la loi sur les cartels du 22 février 2012 (message du 22 février 2012 relatif à la révision de la loi sur les cartels et à une loi sur l'organisation de l'autorité de la concurrence46). Elle demande que la notion de pouvoir de marché relatif («position relativement dominante» dans le texte) soit inscrite explicitement dans le droit suisse sur les cartels (cf. tableau comparatif, en annexe, de l'initiative Altherr, du droit en vigueur, de l'initiative pour des prix équitables et du contre-projet indirect). La Commission de l'économie et des redevances du Conseil des États (CER-E) a décidé le 26 janvier 2015 de donner suite à l'initiative parlementaire Altherr. Le 29 juin 2015, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-N) s'est ralliée à cette décision. Le 27 septembre 2017, le Conseil des États a décidé de prolonger de deux ans le délai imparti pour l'élaboration d'un projet, soit jusqu'à la session d'automne 2019.

45 46

­

Le 22 décembre 2015, l'initiative 16.301 du canton de Schaffhouse «Lutte contre les prix élevés en Suisse» a été déposée. Elle souhaitait faire en sorte, par exemple au moyen d'une révision de la LCart, que les fournisseurs étrangers ne puissent prélever une majoration injustifiée sur les produits qu'ils livrent en Suisse («majoration spécifique à la Suisse»). Ni le Conseil des États ni le Conseil national n'ont donné suite à l'initiative cantonale.

­

Le 14 mars 2018, le canton de Bâle-Ville a déposé l'initiative 18.304 «Îlot de cherté. Pour des prix d'achat raisonnables», qui prie le Conseil fédéral de garantir ­ par exemple au moyen d'une révision de la LCart ou de la mise en oeuvre d'autres mesures ­ que les clients suisses puissent acquérir, à l'étranger et aux prix et aux conditions qui y sont pratiqués, des produits auxquels ils ne peuvent renoncer faute d'options de substitution. L'initiative n'a été discutée ni au Conseil des États ni au Conseil national.

­

En parallèle de propositions visant à promouvoir la baisse générale des prix des biens et des services importés, une réglementation sectorielle a été demandée pour le marché des revues. L'initiative parlementaire 16.420 de Buman «Pour un prix des revues plus raisonnable en Suisse» demandait à ce que la LCart soit modifiée pour abaisser les prix en Suisse des journaux et revues édités à l'étranger. Le Conseil national a refusé de donner suite à l'intervention le 11 septembre 2017. Peu avant, le 14 août 2017, la CER-N avait déposé la motion 17.3629 «Création d'un instrument efficace pour lutter contre les prix inappropriés des revues», qui, plutôt que d'exiger une modification explicite de la LCart, chargeait le Conseil fédéral de trouver, conjointement avec la COMCO et le Surveillant des prix, une solution permettant de lutter contre les différences exagérément élevées entre les prix des revues en Suisse et à l'étranger. Elle appelait à une solution qui soit la plus efficace et la plus simple possible, sans complications administratives, afin de faire baisser durablement les prix des revues éditées à l'étranger. Le BO 2014 N 1553 FF 2012 3631

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Conseil national a accepté la motion le 5 mars 2018, et le Conseil des États l'a rejetée, le 11 mars 2019.

Par ailleurs, la question du blocage géographique privé a aussi fait à plusieurs reprises l'objet de discussions au Parlement. Les interventions parlementaires suivantes ont été déposées à ce sujet, notamment dans le contexte des évolutions en la matière au sein de l'UE: ­

Le postulat 16.3375 Nantermod «Permettre les importations parallèles numériques» voulait que le Conseil fédéral étudie les mesures à prendre pour favoriser les importations parallèles numériques, soit limiter les méthodes de «blocage géographique» afin de permettre aux consommateurs suisses de pouvoir utiliser les services en ligne disponibles à l'étranger et d'utiliser à l'étranger les services proposés en Suisse. Le Conseil national a rejeté le postulat le 28 février 2018.

­

La motion 16.3499 Schneider-Schneiter «Groupe de travail pour le libreéchange numérique destiné à lutter contre le géoblocage» demandait au Conseil fédéral la création d'un groupe de travail pour le libre-échange numérique en vue de supprimer ou de limiter, dans les meilleurs délais, les obstacles au commerce tels que le blocage géographique privé. Le Conseil national a rejeté la motion le 28 février 2018.

­

La motion 17.4227 Schneider-Schneiter «Géoblocage. La Suisse va-t-elle une fois de plus rater le coche? Pour la création immédiate d'un groupe de travail pour le libre-échange numérique» prie une nouvelle fois le Conseil fédéral de créer un groupe de travail pour le libre-échange numérique en vue de supprimer, dans les meilleurs délais, les obstacles au commerce tels que les mesures de géoblocage prises par les entreprises. Elle n'a pas encore été traitée au Parlement.

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

L'initiative pour des prix équitables a pour but de faire baisser, en Suisse, les coûts d'acquisition des entreprises et des institutions publiques ainsi que les prix d'achat pour les consommateurs. Les auteurs de l'initiative se focalisent sur les biens et les services importés, dont les prix en Suisse sont nettement plus élevés qu'à l'étranger.

L'objectif est d'empêcher les majorations de prix spécifiques à la Suisse et de réduire ainsi les désavantages dont souffrent les entreprises suisses par rapport à leurs concurrents étrangers, ce qui, à son tour, permettra de renforcer leur compétitivité sur le marché suisse et à l'exportation. L'initiative entend en outre protéger en Suisse des entreprises contre d'autres entreprises, qui n'ont pas une position dominante. Les consommateurs devraient profiter de la réduction des coûts d'acquisition,

4689

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notamment du commerce de détail, ce qui devrait permettre de freiner le tourisme d'achat47.

3.2

Réglementation proposée

Dans le but de réduire les coûts d'acquisition pour les entreprises, l'initiative prévoit dans les dispositions transitoires une modification du droit des cartels et des réglementations sur la concurrence déloyale. S'agissant du premier, les pratiques réputées illicites pour une entreprise dominant le marché le seraient également pour une entreprise dont d'autres entreprises sont dépendantes de telle manière qu'elles n'ont aucune possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d'autres entreprises («entreprise ayant une position dominante relative»* dans l'initiative et «entreprise ayant un pouvoir de marché relatif» dans le contre-projet indirect). Cet abaissement du seuil d'intervention en matière d'abus du pouvoir de marché vise principalement à inclure les pratiques transfrontalières de grands groupes. Ces derniers échappent généralement aux prescriptions relatives aux accords de concurrence en vertu de l'art. 5 LCart et, partant, à la présomption de la suppression d'une concurrence efficace en cas d'accord sur une interdiction de vente passive au sens de l'art. 5, al. 4, LCart (cf. ch. 2.2.1.1) en raison du privilège dit de groupe. Les accords entre les différentes sociétés d'un groupe ne constituent en principe pas un accord en matière de concurrence au sens de l'art. 4, al. 1, LCart, étant donné que les sociétés d'un groupe au sens économique du terme ne sont en général pas des entreprises indépendantes les unes des autres. L'art. 5 LCart ne s'applique donc pas à ces cas (privilège de groupe). L'initiative souhaite donner la possibilité aux autorités de la concurrence d'engager des procédures administratives et aux entreprises concernées d'intenter des actions civiles contre les discriminations de prix par des entreprises ayant un pouvoir de marché relatif aux dépens d'entreprises acheteuses en Suisse, même si celles-ci sont en concurrence.

La réglementation proposée offre une protection non seulement aux entreprises suisses qui désirent acquérir des biens et des services à l'étranger, mais aussi aux entreprises qui sont actives en Suisse, que ce soit en tant que fournisseurs ou acheteurs. De cette façon, elle vise à protéger ces dernières de distorsions de la concurrence en Suisse, tout en les empêchant d'en créer. Dans tous les cas, les sanctions directes seraient exclues. Selon
le droit en vigueur, les autorités de la concurrence ne peuvent intervenir sur les marchés que si une entreprise ayant une position dominante se comporte de manière abusive ou qu'elle participe à un accord illicite en matière de concurrence.

S'agissant de la législation sur la concurrence déloyale, l'initiative prévoit, dans les dispositions transitoires, la création d'une réglementation qui vise à garantir en principe la non-discrimination en matière d'achats dans le commerce en ligne (interdiction de principe du blocage géographique privé), afin que, dans le cadre des achats en ligne transfrontaliers, les consommateurs et les entreprises n'aient pas à payer de suppléments par rapport aux acheteurs locaux à l'étranger. L'initiative pré47

Cf. argumentaire long, qui peut être consulté sur le site Internet du comité d'initiative: www.prix-equitables.ch > Argumentaire (état 13 mai 2019).

4690

FF 2019

voit ainsi un champ d'application très vaste dans ce domaine, mais ne donne pas d'indications concernant l'application transfrontalière d'une telle réglementation.

Un tableau comparatif de l'initiative pour des prix équitables, du contre-projet indirect, de l'initiative parlementaire 14.449 Altherr («Prix à l'importation surfaits.

Supprimer l'obligation de s'approvisionner en Suisse») et du droit en vigueur figure en annexe.

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

3.3.1

Remarques liminaires

L'actuel art. 96, al. 1, Cst. astreint la Confédération à légiférer afin de lutter contre les conséquences sociales et économiques dommageables des cartels et des autres formes de restrictions de la concurrence. L'initiative propose d'amender cette disposition et d'y ajouter une nouvelle phrase (art. 96, al. 1, du projet de modification de la Cst. selon l'initiative [P-Cst.]). En vertu de cette nouvelle phrase, la Confédération prend en particulier des mesures afin de garantir l'acquisition non discriminatoire de biens et de services à l'étranger, et d'empêcher toute forme de limitation de la concurrence due aux pratiques unilatérales* d'entreprises puissantes sur le marché.

Pour interpréter l'amendement proposé par l'art. 96, al. 1, P-Cst., l'initiative prévoit des dispositions transitoires à l'art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst. En vertu de celles-ci, le Conseil fédéral édictera les dispositions d'exécution nécessaires avant l'entrée en vigueur des dispositions légales et dans un délai de deux ans après l'acceptation de l'initiative par le peuple et les cantons.

L'art. 197, ch. 12, al. 2, P-Cst. énumère une série de principes que les dispositions d'exécution de l'Assemblée fédérale et du Conseil fédéral devront observer.

Un tableau comparatif de l'initiative pour des prix équitables, du contre-projet indirect, de l'initiative parlementaire 14.449 Altherr («Prix à l'importation surfaits.

Supprimer l'obligation de s'approvisionner en Suisse») et du droit en vigueur figure en annexe.

3.3.2

Art. 96, al. 1, P-Cst.

La première exigence de l'amendement proposé de l'art. 96, al. 1, Cst. (ajout d'une seconde phrase), à savoir de garantir l'acquisition non discriminatoire de biens et de services à l'étranger, signifie que les prescriptions de la Confédération en matière de droit des cartels doivent, dans les limites du droit international public, veiller à ce que les acheteurs en Suisse ne fassent pas l'objet de discrimination à l'étranger lorsqu'ils souhaitent y acquérir des biens et des services. Cet amendement concerne aussi bien les dispositions relatives aux accords en matière de concurrence que celles ayant trait à l'abus d'une position dominante ou d'un pouvoir de marché relatif. Le P-Cst. ne restreint pas son application aux entreprises, si bien que soit les réglementations correspondantes devront inclure les consommateurs, soit d'autres réglemen4691

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tations devront garantir que ces derniers puissent acquérir des biens et des services de manière non discriminatoire par rapport aux consommateurs locaux à l'étranger.

La seconde exigence de la nouvelle phrase prévue à l'art. 96, al. 1, P-Cst. ­ empêcher toute forme de limitation de la concurrence due aux pratiques unilatérales d'entreprises puissantes sur le marché ­ ne cible pas explicitement les faits survenus à l'étranger, mais n'exclut pas non plus ces derniers. Les dispositions transitoires de l'initiative fixent les mesures spécifiques qui vont au-delà de ce qui est prévu actuellement par le droit des cartels et que la Confédération devra prendre en vue de garantir l'acquisition non discriminatoire de biens et de services à l'étranger.

3.3.3

Délai d'entrée en vigueur des dispositions légales (art. 197, ch. 12, al. 1, P-Cst.)

3.3.3.1

Remarques liminaires

La prescription clé prévue par les dispositions transitoires de l'initiative s'inspire, du moins en ce qui concerne le champ d'application personnel, du droit allemand au travers du § 20, al. 1, 1re phrase, de la loi contre les restrictions à la concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen [GWB])48.

3.3.3.2

Pouvoir de marché relatif dans le droit allemand

Remarques liminaires Selon le § 20, al. 1, 1re phrase, GWB, l'interdiction de l'empêchement et de la discrimination stipulée au § 19, al. 1, GWB en relation avec le § 19, al. 2, ch. 1, GWB et visant les entreprises ayant une position dominante s'applique aussi aux entreprises n'ayant pas de position dominante, pour autant que des PME fournisseuses ou acheteuses de certains types de marchandises ou de prestations commerciales en dépendent au point de ne pas avoir de possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d'autres entreprises (pouvoir de marché relatif). Cette réglementation part du principe qu'une entreprise, même sans position dominante, peut avoir une position tellement puissante qu'elle peut perturber le bon fonctionnement du marché49. Dans le droit allemand, la notion de pouvoir de marché relatif ne s'applique qu'aux cas d'entraves abusives, mais pas aux cas d'exploitation abusive. De plus, la version en vigueur de la GWB ne protège que les PME. À l'origine, la protection s'appliquait à tous les acteurs du marché, mais a été restreinte aux PME lors de la 5e révision de la GWB, en 1989. Le législateur allemand a motivé cette restriction en faisant valoir que, compte tenu de l'intégration européenne croissante et de l'accès amélioré aux marchés mondiaux, une obligation de livraison n'est pas (plus) néces-

48 49

La loi peut être consultée à l'adresse suivante: www.gesetze-im-internet.de > Gesetze / Verordnung > G > GWB.

BGH, arrêt du 20 novembre 1975, KZR 1/75, no I. 2. b) aa), Rossignol, publié dans NJW 1976, p. 801 ss.

4692

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saire en ce qui concerne les grandes entreprises, contrairement aux PME, d'où la nécessité de maintenir cette protection pour ces dernières50.

Dépendance Dans le droit allemand, la notion de dépendance en lien avec le pouvoir de marché relatif se limite toujours à un type de marchandise ou de service et, donc, à un marché spécifique. Pour ce type de marchandise ou de service spécifique, les entreprises concernées ne doivent donc pas avoir de possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d'autres entreprises. Le caractère suffisant et raisonnable d'une alternative doit toujours être établi au cas par cas et ne peut pas être déterminé de manière générale et abstraite. Dans tous les cas, les alternatives ne sont considérées suffisantes et raisonnables, en général, que si elles peuvent être exploitées pour l'essentiel aux mêmes conditions que celles faites à la concurrence51. Même après des décennies de pratique, il reste difficile d'établir avec certitude qu'une entreprise a un pouvoir de marché relatif. Le récent arrêt de la Cour fédérale de justice (Bundesgerichthof [BGH]) allemande dans l'affaire Rimowa en est la preuve: alors que le Tribunal de Land (Landgericht [LG]) de Munich a rejeté la demande à être livré d'un détaillant face à un fabricant de bagages connu52, la Cour d'appel (Oberlandesgericht [OLG]) de Munich l'a admise sur la base du concept de pouvoir de marché relatif53. Lors de la procédure de révision, la BGH a estimé que l'établissement des faits du cas d'espèce ne permettait pas de déterminer avec certitude l'existence d'une dépendance et, partant, d'une prétention à être livré, et a renvoyé le cas devant l'OLG de Munich54.

Effets juridiques en cas de dépendance En cas de dépendance avérée, l'entreprise ayant un pouvoir de marché relatif est soumise à l'interdiction de l'empêchement et de la discrimination conformément au § 19, al. 2, ch. 1, GWB. S'agissant de l'interdiction de discrimination, il convient de préciser qu'en Allemagne, la notion de pouvoir de marché relatif ne constitue pas une clause du partenaire commercial le plus favorisé, en vertu duquel chaque partenaire commercial doit bénéficier des mêmes conditions55. Les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif doivent elles aussi avoir la liberté de réagir différemment à des conditions de marché différentes56. Une préférence dénoncée en tant qu'inégalité de traitement doit avoir un impact négatif sur la position concurrentielle de l'entre50 51 52 53 54 55

56

Cf. l'exposé des motifs de la 5e révision de la GWB de 1989, Bundestagsdrucksache 11/4610, p. 21 s.

BHG, arrêt du 26 juin 1978, KZR 7/78, no III. b), Revel Plastics, publié dans NJW 1979, p. 2154 s.

LG Munich I, arrêt du 9 septembre 2014, 1 HK O 7249/13, publié dans BeckRS 2014, p. 123228 ss.

OLG Munich, arrêt du 17 septembre 2015, U 3886/14 Kart, publié dans NZKart 2015, p. 490 ss.

BGH, arrêt du 12 décembre 2017, KZR 50/15, publié dans NZKart 2018, p. 441 ss.

BGH, arrêt du 19 mars 1996, KZR 1/95, no II. 4. d) bb), transmission de programmes de la télévision payante, publié dans GRUR 1996, p. 808 ss.; BGH, arrêt du 12 avril 2016, KZR 30/14, no 48, NetCologne, publié dans NZKart 2016, p. 374 ss.

BGH, décision du 12 avril 2016, KZR 30/14, no 48, NetCologne, publiée dans NZKart 2016, p. 374 ss.

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prise dépendante57. Une différence dans les conditions de traitement ne peut pas être automatiquement considérée comme l'expression d'une exploitation abusive du pouvoir de marché relatif. La différence de traitement doit être pertinente pour être qualifiée d'abusive58. À titre d'exemple, une discrimination par les prix d'un facteur de coûts nécessaire à l'exploitation de l'entreprise dépendante n'entraîne pas à elle seule une restriction de la concurrence sur le marché en aval, qui justifierait l'application des dispositions ayant trait à l'abus d'une position dominante ou d'un pouvoir de marché relatif59.

Justification objective La question de la justification objective d'une discrimination doit être examinée sur la base d'une analyse approfondie des intérêts des parties concernées, en tenant compte de l'objectif de la GWB de garantir la libre concurrence60. Les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif ont en principe également le droit de préserver leurs intérêts commerciaux justifiés au moyen de mesures adéquates et proportionnées61. Dans le cadre de la pesée des intérêts, il faut prendre en considération la stratégie commerciale de l'entreprise ayant un pouvoir de marché relatif, ce qui signifie que des facteurs subjectifs jouent également un certain rôle62. À titre d'exemple, une relation de dépendance existante, en particulier avec des acheteurs ayant un pouvoir de marché relatif, n'exclut pas toute négociation concernant les conditions. Dans le droit allemand, l'arrêt de la BGH en matière de «rabais de mariage» (Hochzeitsrabatte) a définitivement établi que les négociations ardues font partie du jeu de la concurrence et constituent un élément essentiel de son bon fonctionnement, et que les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif doivent elles aussi avoir la liberté d'y recourir, dans le respect du droit de la concurrence63.

57 58

59 60 61

62 63

BGH, décision du 24 octobre 2011, KZR 7/10, no 32, résiliation d'une convention passée avec un grossiste, publiée dans NZKart 2016, p. 84 ss.

BGH, décision du 12 avril 2016, KZR 30/14, no 48, NetCologne, publiée dans NZKart 2016, p. 374 ss.; OLG Munich, arrêt du 23 novembre 2017, 29 U 142/17 Kart, n o 38, Academic Conditions, publié dans GRUR-RR 2018, p. 265 ss. S'agissant des discriminations admissibles de prix par des entreprises ayant une position dominante selon le droit européen, v. l'arrêt récent de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'affaire MEO, cf. arrêt du 19 avril 2018, C-525/16, no 26 ss., paru dans EuZW 2018, p. 541 ss.

OLG Munich, arrêt du 23 novembre 2017, 29 U 142/17 Kart, no 38, Academic Conditions, publié dans GRUR-RR 2018, p. 265 ss.

BGH, arrêt du 12 avril 2016, KZR 30/14, no 48, NetCologne, publié dans NZKart 2016, p. 374 ss.

OLG Munich, arrêt du 23 novembre 2017, 29 U 142/17 Kart, no 42, Academic Conditions, publié dans GRUR-RR 2018, p. 265 ss. avec renvoi au droit européen relatif à l'interdiction d'abus d'une position dominante sur le marché conformément à l'art. 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE); CJUE, arrêt du 19 avril 2012, C-549/10 P, no 19, Tomra, publié dans EuZW 2012, p. 741 ss.

OLG Munich, arrêt du 23 novembre 2017, 29 U 142/17 Kart, n o 42, Academic Conditions, publié dans GRUR-RR 2018, p. 265 ss.

BGH, arrêt du 23 janvier 2018, KVR 3/17, no 66, publié dans NZKart 2018, p. 136 ss., avec renvoi explicite, entre autres, à Franz Jürgen Säcker/Jochen Mohr, WRP 2010, pp. 1 et 5 et Alexander Eufinger/Andreas Maschemer, ZLR 2015, pp. 37 et 49.

4694

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Application Il apparaît que, dans le droit allemand, la notion de pouvoir de marché relatif trouve son application principalement au niveau civil. Les décisions de droit administratif de l'autorité allemande de la concurrence (Bundeskartellamt) fondées sur le pouvoir de marché relatif sont exceptionnelles. Dans la pratique, la réglementation allemande semble s'appliquer uniquement aux faits nationaux, quand bien même son libellé n'exclut pas une application transfrontalière lorsque certaines conséquences sont observées sur le marché allemand (cf. § 130, al. 2, GWB). C'est la raison pour laquelle le recours à la pratique juridique allemande ne peut se faire que sous réserve, du moins pour ce qui est de l'achat non discriminatoire de biens et de services à l'étranger. Un avis de droit réalisé sur mandat du Comité de PME pour des prix équitables à l'importation parvient au contraire à la conclusion que les dispositions allemandes relatives au pouvoir de marché relatif peuvent tout à fait servir de ligne conductrice pour une éventuelle future pratique en Suisse64.

3.3.3.3

Notion de pouvoir de marché relatif (art. 197, ch. 12, al. 2, let. a, P-Cst.)

L'initiative pour des prix équitables prévoit d'étendre le champ d'application en matière de pratiques anticoncurrentielles des entreprises occupant une position dominante aux entreprises ayant un pouvoir de marché relatif («entreprises ayant une position dominante relative» dans le texte), c'est-à-dire aux entreprises dont d'autres entreprises sont dépendantes faute de possibilité suffisante et raisonnable pour ces dernières de se tourner vers d'autres entreprises pour l'achat ou la vente. La réglementation s'applique donc uniquement aux entreprises, car seules ces dernières peuvent être dépendantes au sens de la réglementation proposée. Elle ne concerne pas les consommateurs ni les institutions publiques, à l'exception des cas où ces dernières opèrent comme des entreprises (un hôpital, p. ex.).

Contrairement au droit allemand, le texte de l'initiative ne limite pas la dépendance à certains biens et services. La notion de pouvoir de marché relatif, qui ne peut concerner que des relations bilatérales entre deux entreprises et le marché spécifique sur lequel ces entreprises opèrent, implique que même dans le cadre de la mise en oeuvre de l'initiative, la question de la dépendance devrait être examinée dans chaque cas d'espèce pour chaque bien ou chaque service, et que l'acheteur ne saurait exiger systématiquement la livraison de la totalité de l'assortiment sans établir sa dépendance concrète.

L'initiative prévoit d'appliquer les règles de l'art. 7 LCart aux entreprises ayant un pouvoir de marché relatif. En vertu de l'art. 7, al. 1, LCart, les pratiques d'entreprises ayant une position dominante sont réputées illicites lorsque celles-ci abusent de leur position et entravent ainsi l'accès d'autres entreprises à la concurrence ou son exercice, ou désavantagent les partenaires commerciaux. Sur la base de ces deux 64

Jörg Nothdurft, «Relative Marktmacht ­ Gutachten zu Grundlagen, Bedeutung, Wirkung und Praxis der deutschen Missbrauchsverbote gegenüber relativ marktmächtigen Unternehmen», 17 janvier 2015.

4695

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éléments, on fait communément une distinction entre entraves abusives et exploitations abusives.

D'une part, les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif ne devront plus pouvoir abuser de celui-ci pour empêcher une autre entreprise d'accéder à la concurrence ou de l'exercer. Cette interdiction est compatible avec la notion de dépendance bilatérale entre deux entreprises, sous-jacente au concept de pouvoir de marché relatif. En vertu de la réglementation proposée, il sera interdit à une entreprise ayant un pouvoir de marché relatif de discriminer d'autres entreprises en matière de prix ou d'autres conditions commerciales, si une telle discrimination engendre des distorsions de la concurrence.

D'autre part, l'applicabilité de la notion de pouvoir de marché relatif au deuxième cas de figure, à savoir au fait de désavantager les partenaires commerciaux, n'est pas clairement établie. Premièrement, le concept de «partenaires commerciaux» englobe tous les acteurs du marché, et pas uniquement les entreprises. Deuxièmement, une position de pouvoir de marché relatif au sens de l'initiative ne peut exister qu'entre deux entreprises (cf. premier paragraphe du présent chiffre). Un consommateur ne peut par exemple pas être dépendant d'une entreprise au sens du pouvoir de marché relatif. Par conséquent, il n'est pas clair si les pratiques d'exploitation abusive peuvent englober des cas impliquant un pouvoir de marché relatif, et si oui, dans quelle mesure. Le droit allemand restreint l'application de la notion de pouvoir de marché relatif aux cas d'entraves abusives. Étant donné qu'une dépendance ne peut exister qu'entre deux entreprises, l'art. 7, al. 1, LCart ne protégerait que les entreprises dans les cas d'exploitation abusive.

Il convient en outre de s'interroger sur la pertinence, pour les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif, des six exemples de règles énoncés à l'art. 7, al. 2, LCart, qui peuvent constituer un abus de position dominante. Par ailleurs, un tel abus peut également être constaté sur la base de la clause générale de l'art. 7, al. 1, LCart. La LCart a été conçue d'une telle façon que les exemples de règles concernent spécifiquement les entreprises ayant une position dominante. Certes, certains exemples pourraient, en théorie, être transposés tels quels aux entreprises ayant
un pouvoir de marché relatif, comme le refus d'entretenir des relations commerciales (art. 7, al. 2, let. a, LCart). Toutefois, d'autres ne sont pas adaptés, pas même en théorie, aux cas hors position dominante, comme la sous-enchère en matière de prix («prix prédateurs», cf. art. 7, al. 2, let. d, LCart). De par leur sens et l'objectif qu'ils visent, certains exemples de règles ne pourraient pas s'appliquer aux cas de pouvoir de marché relatif. Toutefois, étant donné que le texte de l'initiative nomme explicitement toutes les pratiques, ces exemples pourraient également s'appliquer aux entreprises ayant un pouvoir de marché relatif.

3.3.3.4

Exemples de règles pour les faits survenus à l'étranger (art. 197, ch. 12, al. 2, let. b, P-Cst)

Outre l'extension du domaine d'application de l'art. 7 LCart à des entreprises ayant un pouvoir de marché relatif, l'initiative prévoit d'enrichir le catalogue d'exemples de l'art. 7, al. 2, LCart, qui énumère les cas les plus importants d'abus de position 4696

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dominante sur le marché. Ainsi, l'initiative demande que les pratiques d'une entreprise exerçant des activités transfrontalières et ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif soient réputées illicites, sous réserve d'une justification par des motifs objectifs, lorsque cette entreprise limite la possibilité des acheteurs de se procurer dans l'État de leur choix, aux prix qu'elle y pratique, des biens ou des services proposés en Suisse et à l'étranger; les différences de prix restent licites tant que les entreprises ne poursuivent pas de buts anticoncurrentiels ni ne provoquent de distorsions de concurrence. Cet exemple de règle proposé soulève une série de questions d'interprétation, notamment parce que la règle contient un grand nombre d'éléments constitutifs indéfinis, qui sont passés en revue ci-après.

1. Tentative d'acquisition à l'étranger L'exemple présuppose qu'un acheteur tente de se procurer des biens ou des services à l'étranger. Le libellé de la règle implique tous les acheteurs, et pas uniquement les entreprises. Alors que cette interprétation ne pose pas de problème d'ordre conceptuel pour les entreprises ayant une position dominante, la situation est différente pour les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif. Une relation de pouvoir de marché relatif au sens de l'initiative (cf. ci-dessus ch. 3.3.3.3) ne peut exister qu'entre deux entreprises. Dans ce contexte, un consommateur, par exemple, ne peut pas être dépendant d'une entreprise. Par conséquent, il n'est pas clair si la notion d'acheteur peut s'appliquer à des acheteurs qui ne sont pas des entreprises et si oui, dans quelle mesure. D'un point de vue téléologique, cette notion doit donc être restreinte dans les cas de pouvoir de marché relatif, car l'exemple de règle proposé ne s'applique qu'aux acheteurs qui sont des entreprises au sens de l'art. 2, al. 1 bis, LCart. Le terme «étranger» utilisé dans le libellé inclut en principe tous les pays à part la Suisse. À cet égard, l'applicabilité concrète de l'exemple de règle proposé dépend toutefois de l'applicabilité de l'ensemble de la LCart. Selon l'art. 2, al. 2, LCart, cette dernière ne s'applique qu'aux états de faits qui déploient leurs effets en Suisse. Dans ce contexte, la notion de l'étranger en lien avec le principe des effets énoncé à l'art. 2,
al. 2, LCart devra être définie au cas par cas, ce qui implique que l'applicabilité et la portée géographique de la réglementation proposée devront être examinés pour chaque cas.

2. Offre en Suisse et à l'étranger Les biens et services doivent être vendus en Suisse et à l'étranger. Si un bien est vendu uniquement à l'étranger, mais pas en Suisse, il ne serait pas possible de faire valoir des prétentions sur la base du pouvoir de marché relatif. Selon le libellé de la règle, la satisfaction de cette condition implique en outre que les biens ou services proposés en Suisse et à l'étranger sont plus ou moins identiques. Dans ce contexte, il convient surtout de se demander à partir de quel niveau de correspondance les biens ou services sont considérés comme suffisamment identiques, et sur la base de quelles caractéristiques (composants, type d'emballage, etc.).

3. Limitation de la possibilité d'achat Une entreprise exerçant des activités transfrontalières et ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif doit limiter la possibilité des acheteurs dépendants de se procurer les biens ou services concernés dans le pays étranger de leur 4697

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choix et aux prix qu'elle y pratique. L'expérience montre que, dans les transactions commerciales, les entreprises ne proposent en général pas leurs biens et services à un prix unique. La fixation des prix est fonction d'une multitude de facteurs, tels que les spécifications du client, la quantité achetée, la fréquence d'achat, la durée des relations commerciales, la propension à payer, les autres conditions (modalités de paiement, p. ex.), l'habileté à négocier et le résultat de ces négociations, les rabais, les suppléments liés aux frais publicitaires, et bien d'autres encore. Il n'est ainsi généralement pas possible de parler de manière générale et abstraite du «prix local» d'un certain bien ou service. Compte tenu du sens et du but de la réglementation proposée, cette condition sous-entend que les acheteurs comparables doivent en principe pouvoir bénéficier des mêmes prix. Toutefois, en vertu de l'art. 8 du code civil65, le fardeau de la preuve dans une procédure civile incombe à la partie qui allègue une discrimination.

Par ailleurs, le libellé n'évoque que les prix et ne fait référence à aucune autre condition commerciale. Les conditions commerciales ne peuvent toutefois pas toujours être séparées des prix et devraient par conséquent être également prises en considération dans la mesure où elles ont un impact sur ces derniers. En ce qui concerne le cas des entreprises qui pratiquent les prix en question à l'étranger, il faut partir du principe qu'il ne concerne que les acteurs visés par la règle et n'inclut pas les tiers indépendants (concessionnaires, p. ex.). Enfin, il convient d'examiner la pertinence de l'élément de limitation de la possibilité d'achat. L'exemple de règle proposé étant intégré dans les dispositions relatives à l'abus de position dominante, il ne devrait s'appliquer qu'aux mesures unilatérales des acteurs visés. Si ces derniers restreignent l'acquisition à l'étranger par le biais d'une convention avec des tiers indépendants, cette convention constitue en général un accord en matière de concurrence qui doit être examiné à l'aune de l'art. 5 LCart.

4. Motifs objectifs La possibilité de fournir une justification objective est prévue pour tous les exemples de règles et éléments constitutifs énoncés à l'art. 7 LCart, même si elle n'y est pas explicitement mentionnée. La
non-existence de justifications (legitimate business reasons) est inhérente à l'élément constitutif «abus». Cette possibilité s'appliquerait donc également dans le cadre de l'exemple de règle proposé si elle était ajoutée au catalogue d'exemples de l'art. 7, al. 2, LCart. Les motifs sont notamment objectifs lorsqu'un fournisseur ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif fonde sa pratique sur des principes commerciaux, comme l'a déjà souligné le Conseil fédéral dans son message du 23 novembre 1994 concernant la loi sur les cartels et autres restrictions de la concurrence66. À titre d'exemple, la discrimination d'acheteurs peut en principe être justifiée par des rabais de quantité linéaires ou par la nature du système de distribution (autorisée selon l'art. 5 LCart). Si un fabricant choisit de vendre ses produits via une seule entreprise (distributeur exclusif) dans plusieurs pays, il peut rejeter les demandes de clients finaux (particuliers ou entreprises) sans pour autant enfreindre les prescriptions de la LCart. Dans cet exemple, seul serait en principe illicite le fait qu'il interdise contractuellement à ses distribu65 66

RS 210 Cf. FF 1995 I 468 565

4698

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teurs la vente passive (cf. ch. 2.2.1.1) à des clients finaux hors du territoire. La nouvelle disposition proposée n'affecte pas l'appréciation des systèmes de distribution sélectifs au regard du droit des cartels. La discrimination d'acheteurs peut également être justifiée lorsque les coûts moyens des installations de production en Suisse peuvent être abaissés grâce à une meilleure exploitation liée à la livraison de produits vers des marchés d'exportation étrangers, sur lesquels les produits ne peuvent être vendus qu'à des prix moins élevés qu'en Suisse.

5. Différences de prix restant licites Les différences de prix restent licites tant que les entreprises ne poursuivent pas de buts anticoncurrentiels ni ne provoquent de distorsions de concurrence sur le marché en aval. Ce dernier élément constitutif de l'exemple de règle proposé ne s'applique pas d'une manière générale aux mesures d'entreprises ayant un pouvoir de marché relatif, mais uniquement en ce qui concerne l'achat transfrontalier de biens et de services. Selon le libellé, les entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif peuvent discriminer à l'étranger les acheteurs opérant en Suisse, pour autant qu'elles ne poursuivent pas de buts anticoncurrentiels ni ne provoquent de distorsions de concurrence. Le droit suisse des cartels ne connaît pas la notion de «but anticoncurrentiel» et cette dernière n'est pas définie plus en détail dans le texte de l'initiative. L'utilisation du terme «distorsions de concurrence», causées au niveau des acheteurs dépendants, implique une application exclusive de l'exemple de règle proposé aux cas d'entraves abusives.

Toutefois, l'initiative souhaite soumettre les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif à l'ensemble des règles de l'art. 7 LCart, ce qui engloberait aussi bien les cas d'entraves abusives que les cas d'exploitation abusive. Dans ce contexte, cet élément constitutif pourrait être interprété de la manière suivante: une entreprise pourrait pratiquer des prix différents d'un pays à l'autre, mais les acheteurs en Suisse pourraient, dès lors que les autres conditions constitutives des faits sont réunies, décider dans quel pays ils souhaitent acheter concrètement les produits et services d'une entreprise ayant un pouvoir de marché relatif.

6. Différence par rapport
au catalogue d'exemples de l'art. 7, al. 2, LCart Après la présentation du contenu de l'exemple de règle proposé, il convient d'examiner la différence par rapport au catalogue d'exemples de l'art. 7, al. 2, LCart.

L'objectif de l'acquisition non discriminatoire à l'étranger aux prix qui y sont pratiqués est déjà couvert par le catalogue d'exemples en vigueur. Sur un marché transfrontalier, le refus d'entretenir des relations commerciales (art. 7, al. 2, let. a, LCart) avec des acheteurs en Suisse et à l'étranger ou la discrimination de ces acheteurs en matière de prix ou d'autres conditions commerciales (art. 7, al. 2, let. b, LCart) peut être constitutif d'un abus de position dominante. En cas d'amendement de l'art. 7 LCart, les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif seraient soumises à ce catalogue de règles au même titre que les entreprises ayant une position dominante.

Les éléments constitutifs de l'achat de biens et de services à l'étranger seraient surtout soumis au nouvel exemple de règle et examinés à l'aune des exigences, plus strictes, de celui-ci, et non selon les exemples de règles plus larges de l'art. 7, al. 2, let. a et b, LCart. Dans ce contexte, les biens et services devraient être proposés en Suisse et à l'étranger, une condition qui ne doit pas nécessairement être remplie pour 4699

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les cas de refus de livraison au sens de l'art. 7, al. 2, let. a, LCart. Si un marché dépasse le territoire de la Suisse, on peut imaginer des situations dans lesquelles, selon l'art. 7 LCart, les conditions d'une prétention à être livré sont données également pour des biens et services qui ne sont pas proposés en Suisse.

3.3.3.5

Clause de réimportation (art. 197, ch. 12, al. 2, let. c, P-Cst.)

Les entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif doivent avoir le droit de limiter à l'étranger, par des pratiques unilatérales, l'acquisition des biens qu'elles ont exportés, lorsque ceux-ci sont destinés à être réimportés dans le pays de production et à y être revendus sans traitement supplémentaire. Cette disposition ne s'applique pas aux services. Dans les faits, les entreprises indigènes ayant un pouvoir de marché relatif continueraient d'avoir le droit de cloisonner le marché suisse, et le même droit serait dorénavant aussi accorder aux entreprises ayant une position dominante. Il s'agit d'un traitement privilégié en faveur des entreprises suisses par rapport à leurs concurrents à l'étranger. Dans le cadre du présent message, cette règle est définie comme «clause de réimportation»*.

Le caractère unilatéral de la mesure est déterminant. Le traitement privilégié prévu par l'initiative ne s'applique pas aux conventions visant à limiter à l'étranger l'acquisition des biens que les entreprises mentionnées ont exportés, lorsque ceux-ci sont destinés à être réimportés dans le pays de production et à y être revendus sans traitement supplémentaire. Il n'est ainsi pas contraire aux règles et à l'appréciation prévues à l'art. 5 LCart, en particulier l'al. 4, qui présume que les accords verticaux imposant un prix de vente minimum ou un prix de vente fixe ainsi que les accords verticaux attribuant des territoires en vue d'une protection territoriale absolue de ces derniers entraînent la suppression d'une concurrence efficace.

La signification de l'élément «biens qu'elles ont exportés» n'est pas claire. Il faut surtout se demander si l'élément porte uniquement sur les biens exportés directement par les entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif (ou leurs sociétés), ou également sur ceux exportés par l'intermédiaire de tiers indépendants. Le libellé de la disposition laisse entendre que seul le premier cas de figure serait concerné, et que la disposition ne s'appliquerait pas aux tiers indépendants.

Enfin, il reste encore à interpréter l'élément «sans traitement supplémentaire». Le libellé indique que les biens devraient être traités par les entreprises concernées et que le seul fait de les reconditionner, par exemple, n'exclut pas l'applicabilité de la règle proposée.

3.3.3.6

Non-application de sanctions directes (art. 197, ch. 12, al. 2, let. d, P-Cst.)

En cas d'abus de leur pouvoir de marché relatif, les entreprises concernées devraient être exemptées des sanctions directes relevant du droit des cartels (en cas de pre4700

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mière infraction). En fonction de la mise en oeuvre de l'initiative, cette disposition pourrait nécessiter une adaptation de l'art. 49a, al. 1, LCart, qui préciserait en particulier que les infractions commises par des entreprises ayant une position dominante au sens de l'art. 7 LCart doivent être sanctionnées. Par contre, une entreprise ayant un pouvoir de marché relatif pourrait être sanctionnée conformément à l'art. 50 LCart si elle contrevient à un accord amiable, à une décision exécutoire prononcée par les autorités en matière de concurrence ou à une décision rendue par une instance de recours (en cas de récidive).

La non-application de sanctions directes rend superflue la question de la compatibilité de la notion de pouvoir de marché relatif avec le principe de la légalité. Elle tient en outre compte de la fréquente absence de portée économique des faits en cause.

Dans ce contexte et en raison de la simplicité relative de la procédure, les cas d'abus du pouvoir de marché relatif devraient en général être contestés au civil par les acteurs concernés, et non par le biais du droit administratif au moyen d'une procédure menée par les autorités de la concurrence. Les dispositions matérielles sont identiques pour les deux types de procédure. Le Tribunal fédéral a lui aussi estimé que la voie du droit public devait d'abord servir l'intérêt public pour une concurrence efficace, tandis que les affaires mettant en jeu principalement des intérêts privés devaient être portées devant un tribunal civil par les personnes touchées67.

3.3.3.7

Interdiction de principe du blocage géographique privé (art. 197, ch. 12, al. 2, let. e, P-Cst.)

L'initiative prévoit de compléter la législation sur la concurrence déloyale par une disposition garantissant en principe la non-discrimination en matière d'achats dans le commerce en ligne. Le libellé pourrait être interprété de manière très large, et il serait possible de considérer qu'il interdit en principe toutes les mesures de blocage géographique (publiques ou privées). Toutefois, le Conseil fédéral estime que l'initiative vise la mise en place d'une interdiction de principe du blocage géographique privé sur la base du modèle de l'UE. À ce jour, le droit suisse ne connaît pas de telles mesures (cf. ch. 2.2.1.5).

En vertu du règlement (UE) 2018/30268 (ci-après règlement sur le blocage géographique), entré en vigueur le 23 mars 2018 dans tous les États membres de l'UE et appliqué depuis le 3 décembre 2018, le blocage géographique privé regroupe les mesures d'entreprises visant à restreindre l'accès à leur interface en ligne aux clients d'autres États membres (consid. 1 du règlement sur le blocage géographique). En vertu de l'art. 2, ch. 16, du règlement sur le blocage géographique, est considéré comme interface en ligne «tout logiciel, y compris un site Internet ou une section de site Internet, et des applications, notamment des applications mobiles, exploité par 67 68

ATF 130 II 149 consid. 2.4, Sellita Watch Co SA/ETA SA Manufacture Horlogère Suisse, COMCO et Commission de recours Règlement (UE) 2018/302 du Parlement européen et du Conseil du 28 février 2018 visant à contrer le blocage géographique injustifié et d'autres formes de discrimination fondée sur la nationalité, le lieu de résidence ou le lieu d'établissement des clients dans le marché intérieur, et modifiant les règlements (CE) no 2006/2004 et (UE) 2017/2394 et la directive 2009/22/CE, JO L 60 I du 2.3.2018, p. 1.

4701

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un professionnel ou pour son compte et permettant aux clients d'accéder aux biens ou aux services qu'il propose en vue de réaliser une transaction portant sur ces biens ou services». Selon l'art. 4, par. 1, du règlement sur le blocage géographique, les consommateurs et les entreprises qui souhaitent acheter, pour leur consommation finale, des biens ou des services dans un État membre autre que celui où ils sont établis ou résident ne doivent pas faire l'objet de discrimination par les prix ou les conditions de paiement (en se voyant refuser l'accès à un portail en ligne, en étant automatiquement et sans leur consentement exprès redirigés vers un site, potentiellement plus cher, dans leur pays de résidence, ou en se voyant imposer des conditions de paiement différentes, p. ex.). Ces dispositions s'appliquent tant à la vente des biens en ligne qu'à la vente hors ligne (art. 4, par. 1, et consid. 1 du règlement sur le blocage géographique). Le règlement sur le blocage géographique ne prévoit pas d'obligation de livraison en dehors du territoire où le fournisseur est actif. Il ne règle pas non plus l'harmonisation des prix, si bien que la différenciation des prix reste en principe autorisée (art. 4, par. 2, du règlement sur le blocage géographique).

De plus, il autorise le maintien de magasins en ligne spécifiques à un pays. Il ne s'applique pas non plus aux prix et conditions négociés entre un fournisseur et un acheteur. Il interdit toutefois la redirection automatique sans le consentement exprès de l'utilisateur. Il vise ainsi à éliminer la discrimination en matière d'accès à des biens et à des services, pour autant qu'une telle discrimination ne soit pas motivée par des raisons objectives, comme des obligations en matière de TVA ou des exigences légales divergentes (cf. notamment consid. 22 du règlement sur le blocage géographique).

Toutefois, le règlement sur le blocage géographique prévoit un grand nombre d'exceptions à son champ d'application. Premièrement, il présuppose un fait transfrontalier et ne s'applique pas aux situations purement internes (art. 1, par. 2, du règlement sur le blocage géographique). Deuxièmement, il se limite aux biens et services destinés à la consommation finale. Enfin, il exclut de son champ d'application un grand nombre de catégories de services. C'est notamment le
cas des services financiers (sous réserve de l'obligation de non-discrimination en matière de services de paiement en ligne), de santé, de communication électronique et de transport. Les biens non audiovisuels protégés par le droit d'auteur (les logiciels, les livres électroniques, le streaming de musique, les jeux en ligne, etc.) sont eux aussi exclus du champ d'application du règlement.

S'agissant de la question de la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne, l'UE a édicté le règlement (UE) 2017/112869 (ci-après règlement sur la portabilité). Ce règlement autonome prévoit que le fournisseur d'un service de contenu en ligne fourni contre rémunération permet à un abonné présent temporairement dans un État membre d'avoir accès au service de contenu en ligne et de l'utiliser de la même manière que dans son État membre de résidence, notamment en lui donnant accès au même contenu, sur la même gamme et le même nombre d'appareils, pour le même nombre d'utilisateurs et avec le même éventail de fonctionnalités (art. 3, par.

1, du règlement sur la portabilité). Le fournisseur n'impose pas de charge supplé69

Règlement (UE) 2017/1128 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relatif à la portabilité transfrontalière des services de contenu en ligne dans le marché intérieur, JO L 168, 30.6.2017, p. 1.

4702

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mentaire à l'abonné pour l'utilisation temporaire (art. 3, par. 2, du règlement sur la portabilité).

Le règlement sur le blocage géographique prévoit à son art. 7 que l'application du règlement relève de la seule compétence des États membres, et ne prévoit pas d'obligation visant à le faire appliquer par la voie civile. L'Allemagne a, par exemple, confié la mise en oeuvre par la voie administrative à l'agence du réseau fédéral (Bundesnetzagentur) en vertu du § 106 de la loi allemande sur la télécommunication (Telekommunikationsgesetz). Les particuliers ne peuvent faire valoir des prétentions découlant d'un blocage géographique privé illicite que sur la base de la loi allemande sur la concurrence déloyale (Gesetz gegen den unlauteren Wettbewerb) ou de la GWB. Les consommateurs ne disposent ainsi pas des possibilités nécessaires pour contester des mesures illicites de blocage géographique par des entreprises par la voie civile. Il convient toutefois de préciser que la forme concrète d'application de ce régime n'est pas encore connue dans tous les États membres 70.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des demandes de l'initiative

4.1.1

Remarques liminaires

La Cst. garantit la liberté économique en Suisse pour les activités économiques lucratives privées. Les interventions étatiques ne se justifient qu'en cas d'intérêt public prépondérant et doivent se limiter au strict nécessaire. Une telle intervention pourrait par exemple se justifier si la concurrence entre deux entreprises est limitée et qu'il en résulte une perte de prospérité.

4.1.2

Notion de pouvoir de marché relatif (art. 197, ch. 12, al. 2, let. a, P-Cst.)

4.1.2.1

Aspects matériels

Notion de pouvoir de marché relatif S'agissant de l'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif, l'initiative s'inspire du droit allemand des cartels. Depuis la 5e révision de la GWB en 1989, celui-ci limite la protection aux PME (cf. 3.3.3.2). De l'avis du Conseil fédéral, cette limitation ne devrait pas être reprise dans le droit suisse. En effet, si une grande entreprise dispose de plusieurs canaux d'approvisionnement, il n'y a en principe pas dépendance, et les dispositions ayant trait au pouvoir de marché relatif ne s'appliquent pas. Qui plus est, les réglementations cartellaires valent pour toutes les entreprises, indépendamment de leur taille.

70

Cf. carte interactive de la Commission européenne indiquant l'état de mise en oeuvre dans les pays membres, disponible en anglais sur: www.ec.europa.eu > European Commission > Strategy > Digital Single Market > Policies > Geo-blocking.

4703

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L'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif vise notamment à permettre aux entreprises en Suisse d'abaisser leurs coûts d'acquisition en faisant valoir une obligation de livraison par des fournisseurs ayant un pouvoir de marché relatif. Le règlement s'appliquerait aussi bien en Suisse qu'à l'étranger. Les fournisseurs ayant un pouvoir de marché relatif ne devraient pas pouvoir discriminer des acheteurs en leur imposant des prix plus élevés que ceux qu'ils proposent à d'autres acheteurs.

Complétant diverses mesures prises par le Conseil fédéral en vue de réduire les entraves techniques et tarifaires au commerce (cf. 2.1.4), l'initiative entend s'attaquer ainsi aux éventuelles restrictions à la concurrence mises en place par des acteurs privés. Le but est de réduire encore les coûts d'acquisition et de renforcer la concurrence. Il convient de soutenir l'objectif de l'initiative visant à empêcher le cloisonnement du marché suisse, qui engendre des distorsions de la concurrence sur les marchés en aval.

Élément de la dépendance Toutefois, l'initiative demande l'introduction générale de la notion de pouvoir de marché relatif pour les fournisseurs et les acheteurs, qui serait applicable pour les cas survenus en Suisse et à l'étranger. Une introduction générale aurait pour conséquence que toutes les entreprises suisses pourraient être concernées aussi bien en tant qu'entreprises ayant potentiellement un pouvoir de marché relatif qu'en tant qu'entreprises potentiellement dépendantes. En principe, une entreprise occupant une position dominante est consciente de sa position, et son pouvoir sur le marché concerné est partout clairement établi; par contre, une situation de pouvoir de marché relatif au sens de l'initiative ne survient que dans le cadre d'une relation bilatérale avec une entreprise dépendante. Par conséquent, une entreprise aura sans doute beaucoup de peine à estimer si, et dans l'affirmative, par rapport à quel partenaire commercial, elle a un pouvoir de marché relatif. Les autorités en matière de concurrence, mais aussi et surtout les tribunaux (civils), devraient décider dans chaque cas si l'on se trouve dans une telle situation et si, dans une relation commerciale bilatérale, par exemple le prix exigé (y c. les remises et avantages éventuels) peut être justifié par des raisons
objectives. Un examen du droit allemand met en lumière les difficultés posées par l'application pratique de la notion de pouvoir de marché relatif (cf. 3.3.3.2). Bien que les dispositions pertinentes soient appliquées depuis des décennies (avant tout par des tribunaux civils), les critères de dépendance d'une entreprise par rapport à une autre restent flous. L'incertitude qui règne entraîne un surcroît de travail administratif et des frais supplémentaires pour les entreprises.

Chaque partenaire commercial peut potentiellement être dépendant d'une entreprise, que ce soit en tant que fournisseur ou en tant qu'acheteur. Par conséquent, les entreprises pourraient en cas de doute préférer continuer à s'accommoder de structures inefficaces plutôt que de prendre le risque d'engager une procédure fondée sur la LCart à l'issue incertaine.

Conséquences juridiques En devant se prononcer aussi bien sur les cas d'entraves abusives que sur les cas d'exploitation abusive, les autorités en matière de concurrence et, en particulier, les tribunaux (civils) seraient transformés de facto en «services de contrôle des prix», même lorsque la concurrence est efficace. Le droit suisse de la concurrence laisse le 4704

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soin à la libre concurrence de fixer les prix, et ce notamment en vertu de dispositions constitutionnelles (cf. ch. 6.5.1). Les autorités de la concurrence ne peuvent intervenir dans la politique des entreprises concernant les prix que si cette politique est le résultat d'accords illicites en matière de concurrence ou d'un abus de la position dominante. De même, la loi fédérale du 20 décembre 1985 concernant la surveillance des prix (LSPr)71 autorise le Surveillant des prix à intervenir uniquement lorsque les prix sur le marché en question ne résultent pas d'une concurrence efficace (art. 12 LSPr). À titre d'exemple, les autorités en matière de concurrence et, surtout, les tribunaux (civils) seraient appelés à décider, pour les cas d'entraves abusives par des entreprises ayant un pouvoir de marché relatif, si une différenciation en matière de prix entre deux concurrents se justifie ou non. Pour les cas d'exploitation abusive, ils devraient déterminer au cas par cas si le prix concret d'un bien ou d'un service est proportionné ou non. Il s'agirait là d'une atteinte importante à la liberté économique des entreprises.

Abaissement du niveau des prix Il convient en outre de se demander si, en cas d'applicabilité de la disposition, les prix d'achat plus avantageux obtenus dans le cas d'espèce seraient effectivement répercutés sur le prochain niveau commercial ou bénéficieraient à l'acheteur. Cela n'est a priori pas garanti, et tout dépend du contexte de la concurrence et de la demande sur le marché concerné. Par ailleurs, on pourrait imaginer des situations dans lesquelles l'effet sur les prix en Suisse serait inverse à l'effet souhaité. Si, en raison de la dépendance d'un fournisseur par rapport à un acheteur puissant sur le marché, ce dernier ne peut pas changer de fournisseur, cela pourrait l'empêcher de choisir un nouveau fournisseur plus efficace, éventuellement au détriment de baisses de prix potentielles. Les expériences à l'étranger et des études empiriques72 montrent que de telles dispositions peuvent en somme se révéler contre-productives et sont en fin de compte susceptibles d'affaiblir la concurrence. Aux États-Unis, par exemple, le Robinson-Patman Act, qui prévoit la protection des petits détaillants au moyen d'une interdiction de discrimination de prix, est en vigueur depuis plus de 80
ans. La Antitrust Modernization Commission (AMC) est parvenue à la conclusion que la réglementation a de nombreuses conséquences négatives qui affaiblissent la concurrence et entraînent des prix plus élevés pour les consommateurs. À titre d'exemple, un fabricant n'a pas la possibilité d'encourager des activités de marketing ou la qualité de l'acquéreur par des rabais de prix. Dans les marchés oligopolistiques également, des prix indifférenciés peuvent affaiblir la concurrence puisque si les prix ne varient pas d'un acquéreur à l'autre, la coordination entre les fabricants s'en trouve simplifiée, ce qui peut diminuer la concurrence sur les prix. Qui plus est, les entreprises auraient des coûts supplémentaires dans la mesure où les produits sont par exemple différenciés pour contourner la réglementation. De même, les coûts de

71 72

RS 942.20 Cf. Hagit Bulmash, An Empirical Analysis of secondary line price discrimination motivations, Journal of Competition Law & Economics, Volume 8, Issue 2, 1er juin 2012, pp. 361­397.

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conformité sont cités en tant que facteurs d'augmentation des coûts73. En particulier la renonciation à l'octroi de rabais de peur que d'autres acheteurs s'en prévalent à leur tour et les coûts de la réglementation (en particulier en matière de conformité) peuvent conduire à des hausses de prix.

Modèle du droit allemand Même si la réglementation allemande du pouvoir de marché relatif (cf. ch. 3.3.3.2) sert d'exemple à l'initiative pour des prix équitables, il est peu clair dans quelle mesure l'application d'une éventuelle future réglementation suisse du pouvoir de marché relatif pourra recourir aux expériences en Allemagne, compte tenu des portées différentes des deux réglementations. En particulier, la pratique allemande ne connaît en général pas de cas de discrimination en matière de prix, mais concerne des cas de refus de livraison et de cessation des relations commerciales.

Résumé En résumé, on peut affirmer que l'initiative permettrait dans certains cas de faire baisser les coûts d'acquisition des entreprises suisses. Les consommateurs ne profiteraient pas directement du concept de pouvoir de marché relatif, étant donné que seules les entreprises pourraient l'invoquer. En revanche, ils profiteraient d'une interdiction de principe du blocage géographique privé, dont l'applicabilité à l'étranger reste toutefois à établir. Cependant, l'initiative implique une forte restriction de la liberté de commerce entre entreprises pour la libre fixation des prix et le libre choix du partenaire commercial, ce qui, en fin de compte, pourrait avoir des conséquences négatives pour la Suisse.

4.1.2.2

Application transfrontalière

Portée matérielle et juridique Conformément au principe des effets énoncé à l'art. 2, al. 2, LCart, en l'état, la réglementation de la LCart est sur le fond applicable aux états de fait qui déploient leurs effets en Suisse, même s'ils se sont produits à l'étranger. Par conséquent, les faits survenus à l'étranger pourraient tomber dans le champ d'application tant du droit des cartels du pays en question que du droit suisse des cartels. Selon le Tribunal fédéral, le principe des effets trouve son fondement téléologique dans la protection de l'ordre économique et social de la Suisse, qui constitue l'objectif de la LCart74. Le but est donc d'empêcher les pratiques ayant des conséquences négatives sur le marché national, raison pour laquelle il convient de considérer les conséquences et non le lieu de l'acte ou le pays où l'entreprise est établie75. Pour déterminer ces effets, il faut délimiter le marché concerné 76, qui doit comprendre une partie 73

74 75 76

Cf. AMC, Report and Recommendations, 2007: https://govinfo.library.unt.edu/amc > Commission Documents > Antitrust Modernization Commission Report and Recommendations.

ATF 143 II 297, consid. 3.2.3, Gaba.

ATF 143 II 297, consid. 3.2.3, Gaba.

ATF 143 II 297, consid. 3.2.3, Gaba.

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du territoire suisse. En vertu du principe des effets, les règles proposées par l'initiative pourraient en principe également s'appliquer aux entreprises à l'étranger.

Remarques liminaires concernant l'application En raison du principe de la territorialité, les chances de succès d'une procédure de droit administratif à l'étranger sont limitées ­ tant pour ce qui est de la procédure que de l'exécution ­ sans l'accord des entreprises concernées (et sans que ces dernières aient des sociétés en Suisse). Les autorités suisses ne peuvent pas exercer une puissance publique à l'étranger. C'est ce dont témoigne la notification de documents à l'étranger, qui doit en général passer par la voie diplomatique. Les États se montrent en général peu coopératifs pour l'exécution de prétentions étrangères de droit public.

Les chances de réussite sont en revanche plus grandes au niveau civil. À cet effet, il convient de distinguer deux aspects, à savoir la compétence internationale (dans quel pays peut-on intenter une action?) et le droit applicable (quel droit national s'applique à la cause?).

Compétence internationale (for) pour les actions civiles En matière de compétence pour intenter une action civile, la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 (CL)77 est en principe déterminante pour la Suisse lorsque les défendeurs ont leur siège dans l'UE ou l'EEE (à l'exception du Liechtenstein). En vertu de la CL, les actions en justice peuvent être menées dans l'État où est domicilié le défendeur (art. 2 CL). Les personnes morales peuvent être domiciliées dans plusieurs États, à savoir là où est situé leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur établissement principal; ces derniers peuvent chacun être considérés comme l'État où l'entreprise a son siège (cf. art. 60 CL). Par ailleurs, d'autres dispositions de la CL admettent des actions dans d'autres États. Dans le cas présent, l'art. 5, par. 3, CL (for délictuel: devant le tribunal du lieu de l'acte ou du résultat) ou l'art. 5, par. 5, CL (lieu d'établissement: État où le défendeur est établi) pourraient être déterminants. L'art. 5, par. 1, CL (for contractuel) et les art. 15 à 17 CL (for du consommateur) ne devraient pas être pertinents dans le cas présent, vu qu'il n'existe pas de contrat ou que les conditions énoncées à l'art. 15, par. 1, CL ne sont
pas remplies. Il existe donc toujours un for dans l'État où se situe le siège ou le lieu de résidence du défendeur, peu importe que ce soit en Suisse ou ailleurs en Europe.

Il est également possible d'intenter une action dans l'État du lieu d'établissement (art. 5, par. 5, CL) ou dans l'État où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire (art. 5, par. 3, CL). Alors que le for de l'établissement devrait en principe se trouver dans un pays européen autre que la Suisse (étant donné que l'établissement qui refuse la livraison à l'étranger se situerait non pas en Suisse, mais à l'étranger), le lieu du résultat est souvent interprété de la même manière que le principe des effets pour les infractions (classiques) relevant du droit des cartels; pour un lésé dont le siège est en Suisse, le for devrait donc être en Suisse. Lorsque le siège du défendeur se situe dans un État non lié à cette Convention, la compétence est régie par la loi fédérale du 18 décembre 1987 sur le droit international privé 77

RS 0.275.12

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(LDIP)78. Conformément à l'art. 129 LDIP, il est possible d'intenter une action par exemple au lieu de l'acte ou du résultat en Suisse, ou dans certaines circonstances également au lieu d'établissement du défendeur en Suisse.

Droit applicable Le droit applicable en cas d'action civile en Suisse est déterminé sur la base de la LDIP. En vertu de l'art. 137 LDIP, il s'agit du droit de l'État sur le marché duquel l'entrave produit directement ses effets sur le lésé. Dans le cas d'espèce, le marché suisse ne subit toutefois pas directement les effets de l'entrave, étant donné que les livraisons directes vers la Suisse ne sont en général pas empêchées. Il pourrait être touché de manière indirecte, en cas d'empêchement d'une livraison à l'étranger ou depuis l'étranger. Toutefois, étant donné que le refus de livraison affecterait uniquement l'acheteur en Suisse, le marché suisse pourrait être touché au sens de l'art. 137 LDIP. En cas d'action dans un pays membre de l'UE, le règlement (CE) 864/200779 (ci-après règlement Rome II) est essentiel pour déterminer le droit applicable; l'art. 3 du règlement Rome II précise que la loi désignée s'applique, même si cette loi est celle d'un État tiers (loi de la Suisse, p. ex.). L'art. 6, par. 3, let. a, du règlement Rome II prévoit lui aussi le principe des effets, selon lequel la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte restreignant la concurrence est celle du pays dans lequel le marché est affecté ou susceptible de l'être.

Selon les explications fournies ci-dessus, le droit suisse s'appliquerait en général dans ces cas de figure aussi. L'application des dispositions suisses pourrait certes être écartée sur la base de l'exception de l'ordre public (art. 26 du règlement Rome II), mais celle-ci ne peut être invoquée que dans certains cas exceptionnels très spécifiques. Une telle exception présuppose que l'application d'une disposition de la loi d'un autre pays est manifestement incompatible avec l'ordre public du for. Une telle incompatibilité ne devrait pas exister dans les cas de pouvoir de marché relatif, du moins pour ce qui est des pays membres de la CL.

Résumé En résumé, s'agissant d'une action civile en dommages-intérêts liée à un éventuel abus du pouvoir de marché relatif par un défendeur dont le siège se situe dans le champ
d'application de la CL, il existe au moins une compétence internationale à l'intérieur de l'UE ou de l'EEE (Liechtenstein non compris) et, éventuellement, de la Suisse. Pour ce qui est du droit applicable, le droit suisse pourrait s'appliquer dans ce contexte tant en Suisse que dans un État membre de l'UE. Une décision rendue dans un État lié à la CL (Suisse/UE/EEE, Liechtenstein non compris) peut en principe être exécutée dans les autres États liés à la CL. Dans les États tiers, la reconnaissance de la décision rendue dépend des dispositions qui y sont en vigueur.

Toutefois, il convient de se demander si des actions civiles seraient vraiment engagées, compte tenu de l'insécurité juridique liée à la notion de pouvoir de marché relatif ainsi que du risque inhérent à la procédure.

78 79

RS 291 Règlement (CE) no 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles («Rome II»), JO L 199, 31.7.2007, p. 40.

4708

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4.1.2.3

Exemple de règle proposé (art. 197, ch. 12, al. 2, let. b, P-Cst.)

L'exemple de règle proposé en vertu de l'art. 197, ch. 12, al. 2, let. b, P-Cst. pose problème. Il élargit considérablement le nombre de termes juridiques non définis du concept de pouvoir de marché relatif (cf. présentation des différents éléments constitutifs au ch. 3.3.3.4).

4.1.2.4

Non-application de sanctions directes (art. 197, ch. 12, al. 2, let. d, P-Cst.)

L'initiative prévoit expressément d'exclure les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif des sanctions directes relevant du droit des cartels en cas de pratiques abusives illicites. Le Conseil fédéral est favorable à cette exclusion, étant donné qu'une sanction directe serait démesurée dans ces cas. En effet, il s'agit en principe de divergences entre deux entreprises, sans réelle importance pour l'économie suisse. Par ailleurs, il est plus difficile pour une entreprise qui n'a pas de position dominante que pour une entreprise dominante de déterminer si une autre entreprise dépend d'elle. En d'autres termes, il devrait être suffisant d'obliger l'entreprise disposant d'un pouvoir de marché relatif, en principe par le biais d'une décision de droit civil, à livrer ses partenaires de manière non discriminatoire. Dans les cas en question, une procédure administrative menée par la COMCO devrait au demeurant constituer une exception. Prononcer une sanction en sus de la décision ordonnant la livraison non discriminatoire serait exagéré. L'absence de la possibilité de prononcer des sanctions directes permet en outre d'éviter un conflit avec les exigences de précision de la loi, qui découlent du principe de la légalité. Il convient toutefois de préciser que l'art. 50 LCart s'appliquerait en cas de récidive. En vertu de celui-ci, contrevenir à un accord amiable, à une décision exécutoire prononcée par les autorités en matière de concurrence ou à une décision rendue par une instance de recours est sanctionné de la même manière que les infractions prévues à l'art. 49a LCart.

4.1.2.5

Clause de réimportation (art. 197, ch. 12, al. 2, let. c, P-Cst.)

En plus de l'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif, l'initiative contient également une disposition qui permet d'empêcher les réimportations (également appelée clause de réimportation). Avec cette disposition, les entreprises indigènes ayant un pouvoir de marché relatif pourraient continuer à avoir le droit de cloisonner le marché suisse, et ce droit serait dorénavant aussi accordé à celles qui occupent une position dominante. Même si la disposition s'applique en principe aussi bien aux entreprises suisses qu'aux entreprises étrangères, elle ne devrait profiter qu'aux entreprises suisses en raison des prix plus élevés en Suisse que dans les autres pays européens. Ainsi, les entreprises et consommateurs suisses ne profiteraient pas, dans de nombreux cas, de prix plus avantageux pour des biens suisses étant donné que la réimportation de ces biens pourrait être empêchée de manière 4709

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unilatérale et légale par le fabricant. À cela s'ajoute que les entreprises ayant une position dominante pourraient dorénavant elles aussi empêcher la réimportation de leurs produits par des pratiques unilatérales. L'intention de privilégier les exportateurs suisses est ainsi contraire à l'objectif de l'initiative d'abaisser les prix en Suisse. Elle traduit des objectifs de politique industrielle, comme le maintien en Suisse de sièges d'entreprises actives à l'international aux dépens d'acheteurs dépendants. Il convient de rejeter une telle réglementation notamment pour des raisons ayant trait à la politique de la concurrence et pour des raisons d'équité.

Lorsqu'elles invoqueront la clause de réimportation, les entreprises privilégiées devront toutefois respecter le droit des cartels du pays en question. Il se pourrait donc que le privilège prévu par l'initiative, en particulier pour les entreprises ayant une position dominante, constitue une infraction au droit local des cartels.

Par ailleurs, la clause en question pourrait, dans certains cas, contrevenir aux engagements internationaux de la Suisse et déclencher ainsi des mesures de rétorsion de la part d'autres États (cf. ch. 4.4). Enfin, en prévoyant une telle réglementation, le droit suisse des cartels s'éloignerait de son pendant européen. Alors que le droit européen autorise en principe des réglementations interdisant ou sanctionnant des comportements abusifs à l'égard d'entreprises économiquement dépendantes, accorder de fait un privilège à des entreprises indigènes serait incompatible avec le droit européen des cartels (cf. ch. 6.3). Le Conseil fédéral s'oppose par conséquent à une telle inégalité de traitement des acteurs du marché, qui ne répond à aucune justification objective.

4.1.3

Interdiction de principe du blocage géographique privé (art. 197, ch. 12, al. 2, let. e, P-Cst.)

Remarques liminaires En plus de l'introduction, dans la LCart, du concept de pouvoir de marché relatif, l'initiative demande la mise en place d'une interdiction de principe du blocage géographique privé. Le Conseil fédéral se montre critique vis-à-vis de cette demande: premièrement, il craint une hausse de la charge administrative et des coûts pour les entreprises concernées. Deuxièmement, une telle réglementation pourrait entraîner une incertitude juridique, notamment lorsque le droit de protection des consommateurs et le droit de garantie applicables dans un cas concret ne sont pas clairement déterminés (droit du pays où réside le consommateur ou celui du pays où l'entreprise a son siège). Enfin, et surtout, une interdiction de principe du blocage géographique privé soulève la question de son applicabilité à l'étranger, étant donné qu'il s'agit en principe d'un phénomène transfrontalier.

Législation relative au marché intérieur L'interdiction de principe du blocage géographique privé dans le droit européen s'appuie sur la législation relative au marché intérieur et non sur le droit des cartels.

Il en existe certes un pendant suisse, à savoir la loi fédérale du 6 octobre 1995 sur le

4710

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marché intérieur80, mais cette dernière est uniquement axée sur le marché intérieur et garantit à toute personne ayant son siège ou son établissement en Suisse un accès libre et non discriminatoire au marché afin qu'elle puisse exercer une activité lucrative sur tout le territoire suisse. Par ailleurs, elle cible en principe uniquement la Confédération, les cantons et les communes, et pas les entreprises, et n'a ainsi pas de composante transfrontalière. Elle ne pourrait être appliquée qu'aux cas de blocage géographique privé à l'intérieur de la Suisse, qui ne semblent pas exister en Suisse.

Législation sur la concurrence déloyale L'initiative demande l'intégration, vraisemblablement dans la LCD, d'une réglementation relative au blocage géographique. En vertu de son art. 1, la LCD vise à «garantir, dans l'intérêt de toutes les parties concernées, une concurrence loyale et qui ne soit pas faussée». Selon l'art. 2 LCD, est déloyal et illicite «tout comportement ou pratique commerciale qui est trompeur ou qui contrevient de toute autre manière aux règles de la bonne foi et qui influe sur les rapports entre concurrents ou entre fournisseurs et clients». Cependant, les mesures de blocage géographique des entreprises ne visent en principe pas à tromper les clients. Elles servent plutôt à cloisonner le marché afin de pouvoir différencier les prix et ne ciblent donc pas principalement les aspects qualitatifs de la concurrence réglés par la LCD.

En vertu de l'art. 136 LDIP, la LCD peut également s'appliquer à des faits survenus à l'étranger, dans la mesure où les pratiques déloyales ont déployé leurs effets en Suisse. La LCD prévoit que les pratiques déloyales peuvent être poursuivies au civil ou au pénal, en fonction de la disposition pertinente du point de vue matériel. Une plainte civile peut être, en fonction des faits, déposée en Suisse ou à l'étranger (cf. ch. 4.1.2.2 pour les explications relatives à l'application transfrontalière). En cas de plainte pénale, les autorités suisses de poursuite pénale pourraient toutefois difficilement agir contre des blocages géographiques mis en place par des entreprises étrangères, étant donné que ces dernières n'auront en général pas de présence physique en Suisse. Les autorités de poursuite pénale étrangères ne pourraient pas fournir une aide administrative ou
juridique, puisque l'utilisation du blocage géographique par les entreprises ne constitue a priori pas une infraction pénale selon le droit étranger. De plus, l'interdiction de principe du blocage géographique privé dans l'UE se limite au marché intérieur européen, dont la Suisse ne fait pas partie.

Droit des cartels L'ajout d'une telle réglementation non pas dans la LCD, mais dans la LCart serait contraire à la logique du système, étant donné que la LCart couvre uniquement les accords en matière de concurrence, le pouvoir de marché et les concentrations d'entreprises. Les mesures de blocage géographique qui font partie d'un accord en matière de concurrence ou qui sont mises en place par une entreprise ayant une position dominante peuvent déjà être soumises aux dispositions pertinentes du droit des cartels (cf. ch. 2.2). En cas d'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif dans la LCart, les dispositions pertinentes de cette dernière pourront également s'appliquer aux mesures de blocage géographique mises en oeuvre par des entreprises ayant un pouvoir de marché relatif dans un contexte bilatéral. En l'état, si 80

RS 943.02

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le blocage géographique était imputable à une entreprise qui n'a pas de position dominante sur le marché, ce qui devrait être en général le cas, une telle pratique ne pourrait pas être contestée en vertu des dispositions actuelles de la LCart. L'ajout dans la LCart d'une interdiction de principe du blocage géographique privé sans lien avec un accord en matière de concurrence ou un pouvoir de marché serait contraire au sens d'un droit moderne des cartels, dont l'objectif premier est de garantir une concurrence efficace.

Les infractions aux dispositions cartellaires peuvent être contestées par le biais d'une procédure administrative ou civile. Selon le principe des effets énoncé à l'art. 2, al. 2, LCart, cette dernière s'applique aux états de fait qui déploient leurs effets en Suisse (cf. ch. 4.1.2.2 pour les possibilités de mener des procédures administratives à l'étranger et de faire valoir des prétentions relevant du droit des cartels). Du point de vue du droit administratif, la réalisation d'une procédure à l'étranger serait très difficile en raison du principe de territorialité. Une telle procédure serait très rarement applicable, uniquement lorsque l'entreprise a une présence physique en Suisse.

Dans la pratique, cette condition n'est souvent pas remplie. Une action civile pourrait en théorie être intentée au sens de l'art. 137 LDIP, mais il n'existe pas de cas pratiques et il est peu probable que la situation change à l'avenir vu la valeur en principe faible de l'objet du litige. Qui plus est, les réglementations cartellaires européennes ne connaissent pas de prescriptions similaires.

Résumé En résumé, l'introduction d'une interdiction unilatérale de principe du blocage géographique privé serait possible en théorie, mais les difficultés liées à son exécution empêcheraient son application efficace dans la pratique. De plus, une telle interdiction frapperait surtout les entreprises suisses, ce qui pourrait entraîner des distorsions de la concurrence entre entreprises suisses et étrangères aux dépens des entreprises suisses. Afin de garantir des mesures efficaces pour des achats non discriminatoires dans le commerce en ligne transfrontalier, leur application à l'étranger devrait être garantie. Une mise en oeuvre efficace serait par exemple possible dans le cadre d'un éventuel accord entre la
Suisse et l'UE concernant la reconnaissance réciproque de leur réglementation respective, ce qui nécessiterait toutefois un examen préalable de l'intérêt et du contenu de cet accord potentiel. En outre, la suite de la procédure devrait être envisagée dans le cadre d'un examen de l'ensemble des relations entre la Suisse et l'UE et devrait s'intégrer dans la stratégie européenne du Conseil fédéral. En attendant, les mesures de mise en oeuvre nationales et les conséquences concrètes de l'interdiction de principe du blocage géographique privé au sein de l'UE, en vigueur depuis le 3 décembre 2018, seront examinées de près (cf. ch. 3.3.3.7).

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

4.2.1

Conséquences pour la Confédération

Si l'initiative est acceptée, il est probable que certaines entreprises pourront se procurer à moindre coût certains biens intermédiaires, ce qui pourrait faire baisser 4712

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les recettes de TVA de la Confédération du fait que les prix de vente finaux seraient plus bas. Mais il serait possible de compenser ce manque à gagner si les consommateurs finaux utilisent l'argent qu'ils auront économisé pour acheter des biens et services en Suisse. Il est aussi envisageable qu'une baisse des coûts d'acquisition permette aux entreprises concernées de faire de plus gros bénéfices, ce qui permettrait d'accroître les recettes de l'impôt sur le bénéfice. Dans le cas des entreprises ayant un pouvoir de marché relatif chez lesquelles on constate une pratique abusive, il faudrait s'attendre à des effets inverses, ce qui pourrait entraîner des pertes fiscales, et une éventuelle perte d'emplois pourrait induire des coûts supplémentaires pour les assurances sociales (cf. ch. 4.3.2). En somme, il n'est pas possible d'évaluer la portée de tous les effets cumulés.

Étant donné que le champ d'application de l'initiative est très large du fait qu'il pourrait théoriquement couvrir toutes les relations commerciales en Suisse et avec l'étranger, il est probable que les autorités en matière de concurrence auraient moins de disponibilités pour s'attaquer aux cas «classiques». L'initiative est sans incidence sur le personnel de la Confédération. Elle n'engendre notamment pas de dépenses ou de charges de personnel supplémentaires pour les autorités en matière de concurrence (COMCO et son secrétariat) ou les tribunaux fédéraux (Tribunal fédéral et Tribunal administratif fédéral). Attendu qu'aucune sanction directe n'est prévue et que les affaires de pouvoir de marché relatif auraient vraisemblablement une portée économique limitée, certains cas pourraient probablement être réglés par la voie civile. Après l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, les autorités en matière de concurrence ne devraient donc pas être confrontées à un surcroît de travail important une fois passées les éventuelles décisions de principe.

4.2.2

Conséquences pour les cantons et les communes

En cas de recours accru à la voie civile, l'initiative pourrait entraîner une charge supplémentaire pour les tribunaux civils cantonaux. Les éventuelles pertes fiscales résultant du fait que certaines entreprises seraient affectées négativement (cf.

ch. 4.3.2) devraient par ailleurs être mises en regard de la hausse des recettes liées à l'impôt sur le bénéfice que pourraient générer les entreprises qui profiteraient de la nouvelle réglementation.

4.2.3

Conséquences économiques

Conséquences pour les entreprises La notion de pouvoir de marché relatif doit être appliquée tant du côté de l'offre (fournisseur ayant un pouvoir de marché relatif) que du côté de la demande (acheteur ayant un pouvoir de marché relatif). Les implications sont différentes pour chacun des deux cas de figure. Comme expliqué plus haut, l'application de la nouvelle réglementation à l'étranger ne pourrait pas être garantie (cf. ch. 4.1.2.2). La réserve quant aux conséquences reste valable mais ne sera pas répétée ci-après.

4713

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Les conséquences sur les entreprises dépendent de plusieurs facteurs. En principe, toutes les entreprises de Suisse seraient concernées, de même que les entreprises étrangères ayant des relations commerciales avec des entreprises en Suisse. Dans le cas d'un acheteur dépendant, la nouvelle réglementation pourrait, dans certains cas, se traduire par une baisse des coûts d'acquisition. En présence d'une «entrave abusive» (distorsion de la concurrence entre les fournisseurs), un tribunal pourrait «imposer» une livraison ou «imposer» qu'un prix qui a été accordé à un acheteur soit également accordé à d'autres acheteurs. À supposer que la pratique d'exploitation abusive soit bien pertinente, elle permettrait en outre de contrôler les prix par la voie judiciaire. Les autorités en matière de concurrence et surtout les tribunaux (civils) seraient appelés à fixer les prix en fonction des conditions d'achats appliquées par d'autres entreprises ou, en l'absence d'autres entreprises de référence, sur la base d'autres indications. Pour les entreprises dépendantes, des prix d'achat plus bas pour certains produits et biens intermédiaires pourraient faire baisser les coûts de production et donc offrir une plus grande marge de manoeuvre dans la fixation des prix. Elles peuvent donc soit augmenter leur marge ou réduire les prix de vente (gain de compétitivité). En pareil cas, selon l'acheteur, des entreprises en aval en Suisse (et à l'étranger) ou les consommateurs pourraient en bénéficier. Tandis que les acheteurs concernés pourraient escompter les effets positifs susmentionnés, les fournisseurs en Suisse et à l'étranger devraient tabler sur une baisse de leurs marges.

Dans le cas d'un fournisseur dépendant, la question centrale est la suivante: l'achat d'un produit spécifique à un prix donné pourrait être imposé par voie judiciaire.

Dans ce cas également, tant la pratique d'entrave abusive que celle d'exploitation abusive seraient concernées. En pareil cas, l'interprétation des pratiques abusives appellerait cependant une distinction supplémentaire (qui n'est pas encore clarifiée à ce jour), puisqu'il est inconcevable qu'un acheteur ayant un pouvoir de marché relatif puisse être obligé à acheter un produit dont il ne veut pas (cf. ch. 3.3.3). Si un acheteur ayant un pouvoir de marché relatif est obligé d'acquérir
un produit spécifique à un prix donné, le risque serait qu'on l'oblige à maintenir une relation d'affaires inefficiente. Cela impliquerait en outre un investissement supplémentaire avant de nouer de nouvelles relations commerciales, puisqu'il faudrait se couvrir contre ce type de risques.

Contrairement à une entreprise occupant une position dominante, dont le pouvoir sur le marché concerné est partout clairement établi, une situation de pouvoir de marché relatif ne survient que dans le cadre d'une relation bilatérale entre deux entreprises spécifiques. Il en découle qu'une situation de dépendance doit toujours être démontrée par rapport à un produit spécifique. Pour les entreprises, il en découlerait des coûts sur trois plans: ­

premièrement, il faudrait s'attendre à ce que la nouvelle réglementation entraîne globalement une plus grande incertitude pour les entreprises; la prise en considération de la situation de fournisseurs dépendants, notamment, pourrait entraîner une perte de dynamisme du marché et figer des structures qui n'auraient plus lieu d'être du point de vue économique;

­

deuxièmement, un nouveau risque entrepreneurial verrait le jour s'il apparaissait que nouer ou maintenir une relation commerciale était lié à une situation de pouvoir de marché relatif et que cela pourrait constituer une

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pratique abusive; comme dans chaque cas, seul le rapport bilatéral est déterminant, les entreprises devraient observer et évaluer elles-mêmes ce risque (coûts de conformité).

­

troisièmement, il y aurait des coûts liés aux procédures civiles, que ce soit pour faire valoir ses propres prétentions présumées ou pour se défendre contre des prétentions que des partenaires commerciaux existants ou potentiels feraient valoir; les grandes entreprises disposant de services juridiques seraient mieux à même de faire face à ces situations que les petites entreprises, qui doivent généralement avoir recours à des experts externes.

La possibilité d'empêcher les entreprises occupant une position dominante ou ayant un pouvoir de marché relatif de réimporter dans le pays de production risque, dans certains cas, justement d'empêcher des prix d'acquisition plus bas pour les entreprises domestiques, ce qui est contraire à l'objectif de l'initiative, à savoir faire baisser les prix en Suisse. La disposition risque justement d'inciter une entreprise ayant une position dominante à cloisonner le marché suisse par le biais de mesures unilatérales et à augmenter ses prix aux dépens des acheteurs suisses. Les entreprises occupant une position dominante ainsi que les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif actives à l'international et avec siège ou site de production en Suisse seraient avantagées par rapport aux entreprises étrangères du fait qu'elles seraient exemptées de l'interdiction de discrimination. On s'exposerait donc à des contremesures d'autres États, ce qui aurait des conséquences économiques négatives.

Une interdiction unilatérale de principe du blocage géographique privé resterait largement sans incidence sur les boutiques en ligne à l'étranger du fait qu'elle serait extrêmement difficile à appliquer à l'étranger. Le Conseil fédéral craint donc qu'une disposition de ce type toucherait principalement les boutiques en ligne et, partant, les entreprises en Suisse qui sont actives à l'international. Cela pourrait induire des désavantages concurrentiels pour les entreprises suisses par rapport à leurs concurrents à l'étranger (perte de compétitivité). Enfin, une réglementation contre le blocage géographique privé engendrerait des coûts administratifs supplémentaires pour les entreprises (p. ex. conformité, mise en oeuvre, coûts d'éventuelles procédures judiciaires liées à une obligation de livraison) et donc une hausse des coûts de production et de distribution, même si du point de vue quantitatif, ces coûts ne devraient généralement pas être considérables. En cas d'introduction d'une disposition relative au blocage géographique privé en Suisse par analogie au règlement de l'UE, et à supposer qu'elle puisse être efficacement appliquée à l'étranger, les conséquences sur le niveau des prix en Suisse seraient probablement marginales.

Conséquences pour les consommateurs La notion de pouvoir de marché relatif n'est pas applicable
directement aux consommateurs. La probabilité que les éventuelles économies des entreprises soient répercutées sur ces derniers dépend dans une large mesure de l'intensité de la concurrence et de la demande sur le marché en question. Généralement, plus la concurrence sur un marché est grande, plus la baisse des prix d'acquisition est répercutée sur le consommateur final.

Si l'interdiction de principe du blocage géographique privé se révélait impossible à faire appliquer à l'étranger, les conséquences pour les consommateurs dépendraient 4715

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fortement de la pratique des entreprises indigènes actives à l'international. Si des entreprises actives à l'international utilisent aujourd'hui des technologies de géoblocage, il n'est pas exclu que certaines d'entre elles adaptent leurs prix et leurs produits en cas d'interdiction. L'incidence sur les prix serait alors variable selon les domaines: baisses dans certains, hausses dans d'autres. Il serait aussi possible que certains produits ne soient plus offerts à l'international si les sites Internet se réorientent exclusivement sur le marché suisse. Enfin, il faudrait tabler sur le fait que les entreprises visées essaieront de répercuter la hausse des coûts sur les consommateurs. Si les entreprises n'appliquent pas encore de mesures de géoblocage, il n'y aurait pas d'incidences.

Produits concernés, conséquences sur le niveau et la fixation des prix Pour commencer, il faut déterminer les produits concernés. La notion de pouvoir de marché relatif suppose qu'il n'y a aucune possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d'autres entreprises. En d'autres termes, le marché doit être plutôt limité ou du moins le produit concerné doit-il se distinguer clairement d'autres variantes, tout au moins du point de vue des entreprises situées en aval. En cas de demandeurs dépendants, il est probable que les effets seraient limités en grande partie à des produits (de marque) standardisés. Une discrimination illicite (par les prix) pour des produits sur mesure, par exemple des machines répondant à des besoins spécifiques de l'acheteur, poserait en pratique d'énormes problèmes pour apporter la preuve d'une discrimination. En revanche, dans le cas d'un fournisseur dépendant, il pourrait y avoir une dépendance par rapport à un acheteur soit sur un marché très petit, soit pour des produits très spécialisés. Dans le premier cas, on pourrait penser à l'agriculture qui, du fait de la protection douanière et des prix par conséquent plus élevés, est tributaire du faible nombre d'acheteurs en Suisse. À cet égard, le fait que la protection tarifaire facilite la possibilité des acheteurs d'exploiter les rentes économiques, ce qui facilite le processus de concentration dans les branches en amont et en aval de l'agriculture, joue aussi un rôle81. Dans l'ensemble, et ce tant dans le cas d'acheteurs que de fournisseurs
dépendants, il faut toutefois s'attendre à ce que la réglementation concerne principalement les biens chers, les biens vendus avec un supplément de prix nettement surfait ou les biens ayant un volume commercial important, sans quoi les économies seraient probablement trop faibles par rapport aux frais de procédure et à la charge administrative liés à une procédure relevant du droit des cartels. Ainsi, l'impact de l'initiative sur le niveau des prix des biens et services est donc considérablement limité.

Par ailleurs, l'introduction du pouvoir de marché relatif tel que demandé par l'initiative pourrait concerner toutes les entreprises de Suisse; les autorités en matière de concurrence, et plus particulièrement les tribunaux civils, seraient dans les faits transformés en «services de contrôle des prix», même lorsque la concurrence fonctionne et qu'il n'y a pas d'entreprise occupant une position dominante, ce qui serait une ingérence considérable de l'État dans la libre fixation des prix, centrale

81

Cf. à ce sujet p. ex. Loi Albericio, Esposti Roberto, Gentile Mario et al. (2016), Policy evaluation of tariff rate quotas. Report mandated by the Swiss Federal Office for Agriculture. Areté srl, Bologna.

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pour une économie de marché82. Ce type d'interventions comporte en principe le risque de fausser les prix et les structures d'incitation et, en fin de compte, de compromettre la productivité et la prospérité.

Conséquences sur la concurrence En principe, l'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif ne devrait pas avoir d'incidences directes sur l'intensité de la concurrence, puisqu'elle permet uniquement de régir les relations commerciales bilatérales et spécifiques à un produit. Il s'agit par conséquent d'une intervention qui touche la répartition de la rente et non la concurrence. Si l'on constate une pratique abusive, l'application de la règle entraînerait en premier lieu une redistribution des rentes. Dans le cas d'un acheteur dépendant, le transfert des rentes aurait lieu du fournisseur puissant sur le marché à l'acheteur dépendant. On ne peut en déduire directement une conséquence sur la concurrence. En cas de pratiques transfrontalières, il est envisageable que les rentes de l'étranger seraient transférées en Suisse. Par contre, dans le cas des fournisseurs dépendants, en particulier, il pourrait y avoir des répercussions négatives sur l'intensité de la concurrence. La dépendance d'un fournisseur à un acheteur ayant un pouvoir de marché relatif pourrait par exemple se traduire par le fait qu'un acheteur ne peut pas changer de fournisseur, ce qui pourrait empêcher l'acheteur de choisir un nouveau fournisseur plus efficace, éventuellement au détriment de baisses de prix potentielles. Enfin, rappelons qu'une intervention de l'État dans la fixation des prix entrave par principe le mécanisme, central, du libre jeu de la concurrence et risque d'engendrer des distorsions de la concurrence, un manque d'efficience et donc des pertes économiques (prospérité, emplois).

Conclusions relatives aux conséquences économiques En résumé, certains prix d'acquisition de marchandises plus bas seraient à mettre en regard de divers inconvénients économiques, à savoir des conséquences dans l'ensemble plutôt négatives sur la concurrence et des coûts pour les entreprises.

Étant donné que toutes les entreprises, même hors situation de pouvoir de marché relatif, devraient assumer les coûts de conformité, l'incertitude et les inefficiences, les conséquences économiques négatives devraient l'emporter si l'initiative était mise en oeuvre.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

Le Conseil fédéral accorde une grande importance à la mise en place de conditionscadre optimales pour la place économique suisse. Il a par exemple pris des mesures pour réduire les entraves techniques et tarifaires au commerce en vue de faciliter les importations parallèles, ceci afin d'intensifier la concurrence et de restreindre la possibilité, pour les entreprises privées, de cloisonner le marché suisse. Ces démarches profitent à la fois aux entreprises qui sont tributaires des importations et aux consommateurs, qui payent moins pour les importations du fait d'une concurrence accrue entre les entreprises. Ces mesures ont ceci de commun qu'elles ne prévoient 82

Cf. p. ex. Aymo Brunetti (2006), Volkswirtschaftslehre, p. 55 ss. (à paraître en français).

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pas d'interventions concrètes dans les relations économiques entre les entreprises, mais s'en tiennent à garantir un cadre permettant à la concurrence de jouer de manière optimale. La libre fixation des prix revêt un rôle central pour que l'économie fonctionne d'une manière aussi efficiente que possible. Mais il y a des cas dans lesquels la libre fixation des prix sur le marché ne mène pas à des résultats efficients.

C'est la raison pour laquelle les entreprises occupant une position dominante sont soumises à des dispositions légales plus strictes, qui réduisent leur marge de manoeuvre. En règle générale, on recourt à ce type d'interventions fortes des autorités avec beaucoup de prudence, car pour que des obligations de livraison ou des prix administrés par l'État aient des effets positifs sur l'économie, les services concernés doivent disposer d'une connaissance approfondie des entreprises et des conditions du marché.

Pour les auteurs de l'initiative, les dispositions existantes ne vont pas assez loin. Le fait que les acheteurs en Suisse doivent parfois payer des prix surfaits justifie à leurs yeux une intervention plus poussée de l'État. C'est la raison pour laquelle ils souhaitent à l'avenir assujettir au contrôle des pratiques abusives des entreprises qui n'occupent pas une position dominante sur le marché. Il s'agit pour eux de combattre les désavantages concurrentiels dont pâtissent les entreprises du fait des prix d'acquisition élevés et de faire baisser les prix pour les consommateurs, afin de renforcer la place économique suisse et d'augmenter le pouvoir d'achat.

L'initiative entend lutter contre les prix élevés des produits et services en introduisant la notion de pouvoir de marché relatif, en empêchant les réimportations et en interdisant en principe le blocage géographique privé. Les explications précédentes exposent les défis que pose l'application de la notion de pouvoir de marché relatif.

Si des baisses ponctuelles de prix sont probables, pratiquement toutes les entreprises de Suisse devraient faire face à de nouveaux coûts, alors même que l'effet bénéfique général resterait limité. Pour faire appliquer le concept du pouvoir de marché relatif à l'étranger, il faudrait passer par la voie civile.

La clause de réimportation est contraire aux objectifs prépondérants de l'initiative,
à savoir la baisse des prix et l'intensification de la concurrence. La réglementation accorde par conséquent plus de poids aux grands groupes de Suisse tournés vers l'exportation qu'aux effets sur les prix, en particulier à l'échelon des consommateurs. En fin de compte, la disposition risque même de cloisonner davantage le marché suisse et de conduire à une hausse des prix.

L'interdiction de principe du blocage géographique privé pose la question de son application à l'étranger. Il est à craindre que cette réglementation toucherait en particulier les entreprises sises en Suisse, si bien qu'elle serait source de coûts sans pour autant avoir de réel impact sur les écarts de prix entre la Suisse et ses pays limitrophes.

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4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Notion de pouvoir de marché relatif La notion de pouvoir de marché relatif vise à promouvoir la concurrence en empêchant notamment les discriminations abusives par les prix en Suisse et à l'étranger ainsi que le cloisonnement du marché suisse, ce qui va également dans le sens des dispositions relatives à la concurrence figurant dans les accords de libre-échange conclus par la Suisse. La plupart de ces accords de libre-échange prévoient des clauses selon lesquelles l'abus d'une position dominante qui affaiblit les relations commerciales ou court-circuite l'ouverture du marché visée est incompatible avec les accords. L'art. 23 de l'accord du 22 juillet 1972 entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne (ALE Suisse-UE)83 prévoit que l'exploitation abusive d'une position dominante par une ou plusieurs entreprises sur l'ensemble des territoires des Parties contractantes ou dans une partie substantielle de celui-ci est incompatible avec le bon fonctionnement de l'accord dans la mesure où elle est susceptible d'affecter la circulation bilatérale des marchandises. Bien que ces clauses relatives au droit de la concurrence ne citent pas expressément la notion de pouvoir de marché relatif, on peut partir du principe qu'il n'y a pas d'incompatibilité.

Selon l'art. III de l'Accord général du 15 avril 1994 sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT 1994)84, l'art. XVII de l'Accord général du 15 avril 1994 sur le commerce des services (AGCS)85 et les dispositions correspondantes de bon nombre d'accords de libre-échange de la Suisse, il est interdit de traiter les biens, les services ou les prestataires de services étrangers d'une manière moins favorable que leurs équivalents domestiques. Par ailleurs, la restriction quantitative d'importations (art.

XI de l'Accord général du 30 octobre 1947 sur les tarifs douaniers et le commerce [GATT]86) et les mesures ayant un effet équivalent sont interdites (p. ex. art. 13, ch.

1, ALE Suisse-UE).

La notion de pouvoir de marché relatif ne prévoit pas que les produits ou services étrangers soient traités d'une manière moins favorable que les produits ou services domestiques. Il n'y a donc pas de discrimination directe. Les prestataires de services domestiques et étrangers sont en outre placés sur un pied d'égalité au titre du concept de pouvoir
de marché relatif s'ils fournissent des prestations en Suisse et à l'étranger et si les autres conditions constitutives de l'abus proposées par la disposition sont réunies. Ni le siège de l'entreprise ni son site de production ne sont pertinents en pareil cas. La réglementation proposée n'entrave en outre pas la possibilité d'opérer des discriminations par les prix si ces dernières sont justifiées.

Même si l'accord du 17 mai 2013 entre la Confédération suisse et l'Union européenne concernant la coopération en matière d'application de leurs droits de la concurrence87 ne contient pas de dispositions matérielles, la notion de pouvoir de 83 84 85 86 87

RS 0.632.401 RS 0.632.20, annexe 1A.1 RS 0.632.20, annexe 1B RS 0.632.21 RS 0.251.268.1

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marché relatif ne serait pas nécessairement incompatible sur le plan politique avec l'accord CH-UE sur la concurrence. Ce dernier repose sur le postulat que les systèmes d'application des règles de la concurrence de la Suisse et de l'UE se fondent sur les mêmes principes et prévoient des règles similaires.

Du moment que les autorités en matière de concurrence et, surtout, les tribunaux (civils), appliquent de la même manière le droit aux biens, services et prestataires de services domestiques et étrangers, on peut partir du principe que la notion de pouvoir de marché relatif est compatible avec l'obligation du traitement national découlant des accords susmentionnés.

Clause de réimportation En plus d'introduire la notion de pouvoir de marché relatif, l'initiative prévoit une dérogation pour les réimportations (clause de réimportation). Cette dernière prévoit que les entreprises ayant un pouvoir de marché relatif puissent continuer de cloisonner le marché suisse et que les entreprises occupant une position dominante sur le marché soient dorénavant autorisées à faire de même. Le texte proposé par l'initiative autorise une entreprise suisse qui a exporté des produits à l'étranger à empêcher par des mesures unilatérales une entreprise suisse ou étrangère de réexporter ces produits en Suisse. La clause de réimportation ne serait probablement pas compatible avec l'interdiction des restrictions quantitatives et des mesures d'effet équivalent prévue par les accords de libre-échange de la Suisse (p. ex. art. 13, al. 1, ALE Suisse-UE). Il n'est par ailleurs pas exclu que la clause de réimportation puisse enfreindre les engagements pris au titre de l'OMC en matière de non-discrimination (art. III, al. 4, GATT et art. XVII AGCS). Un avis de droit commandé par l'Union suisse de l'article de marque (Promarca) considère que l'initiative pour des prix équitables entraînerait une infraction de ce type surtout en raison de la clause de réimportation88.

En outre, privilégier dans les faits unilatéralement des entreprises suisses pourrait contrevenir au principe du traitement national (en vertu des dispositions pertinentes de l'OMC et des ALE) et envoyer un signal négatif aux pays voisins et à l'UE.

Blocage géographique Du moment qu'elle est appliquée de manière non discriminatoire, l'interdiction de principe du blocage géographique privé demandée par l'initiative ne devrait pas contrevenir aux engagements internationaux de la Suisse.

5

Conclusions

Le Conseil fédéral a déjà pris des mesures ciblées contre le cloisonnement du marché suisse. C'est la raison pour laquelle il a adopté, en décembre 2017, toute une série de mesures, parmi lesquelles la suppression unilatérale des droits de douane 88

Cf. Kurz-Gutachten zur Vereinbarkeit der «Fair-Preis-Initiative» mit den Verpflichtungen der Schweiz als WTO-Mitglied vom 31. Mai 2018. Rechtsgutachten im Auftrag des Schweizerischen Markenartikelverbands Promarca, rédigé par le Prof. Dr. iur. Michael Hahn, LL.M. (Michigan).

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industriels, l'abaissement des droits de douane sur certains produits agricoles et la réduction des exceptions au principe «Cassis de Dijon» (cf. ch. 2.1.4).

Le Conseil fédéral rejette l'initiative parce que, selon lui, une introduction générale de la notion de pouvoir de marché relatif et son application principalement à des états de fait concernant strictement le marché domestique auraient des conséquences économiques négatives trop importantes. Dans le marché intérieur suisse, un cloisonnement régional des marchés n'est pas possible sans autres. Par conséquent, il n'est pas indiqué de prendre des mesures contre de potentielles discriminations de prix sur le marché domestique; des dispositions allant dans ce sens engendreraient de l'insécurité juridique et davantage de bureaucratie. En outre, l'initiative ne permettrait pas d'atteindre son objectif majeur, qui est de faire baisser sensiblement les prix pour les entreprises et pour les consommateurs en Suisse. Toutefois, lorsque des entreprises suisses sont désavantagées face à leurs concurrentes internationales du fait que l'on refuse de leur faire des livraisons, le Conseil fédéral juge qu'une réglementation ciblée allant dans le sens de l'initiative est pertinente.

Le Conseil fédéral a connaissance du thème du blocage géographique privé soulevé par les auteurs de l'initiative. Toutefois, il rejette une approche qui ne serait pas coordonnée sur le plan international et, par conséquent, une interdiction unilatérale de principe du blocage géographique privé. Comme il n'est pas certain que cette dernière puisse être imposée à des entreprises à l'étranger, le Conseil fédéral craint qu'une telle disposition frappe uniquement les entreprises en Suisse, ce qui pourrait entraîner des distorsions de la concurrence entre entreprises suisses et étrangères. Il pourrait donc en résulter des désavantages pour l'économie suisse.

6

Contre-projet indirect

6.1

Présentation du contre-projet indirect

Introduction ciblée de la notion de pouvoir de marché relatif Si des entreprises suisses sont en concurrence avec des entreprises étrangères, une discrimination au niveau du prix d'achat des biens de consommation intermédiaire peut avoir un impact négatif sur la compétitivité des entreprises désavantagées. Le Conseil fédéral apporte une réponse à cette situation avec son contre-projet indirect.

Il faut que le droit des cartels s'applique à des pratiques abusives d'entreprises clairement définies, même si ces entreprises n'occupent pas nécessairement une position dominante, du moment qu'un acheteur est désavantagé par cette pratique dans l'exercice de la concurrence. Le contre-projet indirect doit en particulier permettre d'empêcher que des acheteurs domestiques soient livrés exclusivement par des canaux de distribution domestiques et soient dès lors désavantagés face à leurs concurrents en aval. Il tient donc compte de l'objectif principal de l'initiative, à savoir lutter contre le cloisonnement du marché suisse. Néanmoins, selon le contreprojet indirect, les autorités en matière de concurrence et surtout les tribunaux (civils) ne sont pas compétents de manière générale pour l'évaluation des relations économiques bilatérales entre les entreprises.

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Présence d'une dépendance Il sera uniquement possible de faire valoir un droit au titre du contre-projet indirect si l'entreprise acheteuse de Suisse n'a pas d'alternatives suffisantes et raisonnables, de sorte qu'elle est de facto dans une situation de dépendance, et si l'interdiction de s'approvisionner à l'étranger aux prix qui y sont pratiqués entraîne des distorsions sensibles de la concurrence. Les biens et services pouvant être considérés comme des alternatives raisonnables et présents en quantité suffisante varient de cas en cas.

La possibilité d'obtenir d'un autre fournisseur des biens ou des services comparables à un prix comparable peut par exemple constituer une alternative raisonnable. Il peut toutefois y avoir dépendance lorsque des investissements ont été réalisés en vue de la collaboration avec une entreprise spécifique et que la fin de la relation d'affaires mettrait en danger l'exercice de l'activité économique89. Cela étant, ce type d'investissements spécifiques peut faire l'objet d'une clause contractuelle entre les partenaires d'affaires visant à garantir l'amortissement de l'investissement. Aussi ne peut-il y avoir dépendance que lorsqu'une entreprise ne s'est pas mise elle-même dans l'impasse, comme l'a déjà souligné le Conseil fédéral dans son message du 23 novembre 1994 concernant la loi sur les cartels et autres restrictions de la concurrence90.

Relations de concurrence transfrontalières Le contre-projet indirect prévoit une introduction ciblée de la notion de pouvoir de marché relatif afin de garantir aux entreprises actives en Suisse la liberté de s'approvisionner à l'étranger et de prévenir les distorsions de la concurrence. Les entreprises du marché suisse qui, de manière injustifiée et contrairement à leurs concurrents de Suisse ou de l'étranger, ne peuvent s'approvisionner qu'en Suisse par les canaux de distribution internes à l'entreprise, à des prix ou conditions moins intéressantes, doivent, sous certaines réserves, pouvoir invoquer le pouvoir de marché relatif. La disposition proposée ne s'applique donc pas à des faits purement nationaux.

Non-prise en considération de la dépendance des acheteurs ayant un pouvoir de marché relatif Contrairement à l'initiative, le contre-projet ne prévoit pas de soumettre les acheteurs ayant un pouvoir de marché relatif à un
contrôle des abus accru. D'une part, ces situations ne présentent pas de lien avec la thématique du cloisonnement du marché suisse et, d'autre part, les fournisseurs de biens et services à l'étranger sont en principe protégés par la législation cartellaire en vigueur dans leur pays. Si un fournisseur suisse est actif sur un marché étranger, la réglementation cartellaire qui y est en vigueur est en principe applicable. D'autre part, les acheteurs ayant un pouvoir de marché relatif ne pourraient pas être tenus de s'approvisionner auprès de fournisseurs qui ne répondent pas à leurs attentes (étant donné que ceux-ci, dans le doute, préfèrent s'accrocher à des structures inefficaces plutôt que de prendre le risque d'engager une procédure en matière de droit des cartels dont l'issue serait

89 90

Cf. DPC 2005/1 p. 146, N 96, CoopForte.

FF 1995 I 472, en l'occurrence 568; tout comme DPC 2005/1 p. 146, N 99, CoopForte.

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incertaine), et ne sont donc pas outre mesure prisonniers de structures qui les entravent dans la recherche de gains d'efficience inhérente à la concurrence.

Prise en considération de l'entrave abusive L'élément déterminant pour que le contre-projet indirect soit applicable tient à la présence d'une entrave à la concurrence. En présence d'une relation de dépendance, l'existence d'une distorsion de la concurrence du fait d'une discrimination indue sera un facteur déterminant pour apprécier s'il y a abus du pouvoir de marché relatif et si, sur le plan quantitatif, elle constitue plus qu'un cas bagatelle. Le contre-projet indirect couvre uniquement les cas d'entrave abusive selon l'art. 7, al. 1, LCart par des fournisseurs ayant un pouvoir de marché relatif, en présence de distorsions de concurrence transfrontalières.

Non-prise en considération de l'exploitation abusive L'exploitation abusive par des entreprises ayant un pouvoir de marché relatif n'est pas prise en considération. Cette approche permet d'éviter que les autorités en matière de concurrence et surtout les tribunaux (civils) doivent contrôler les prix pour vérifier qu'ils sont adéquats.

Délimitation géographique du marché La délimitation géographique du marché est déterminante pour l'applicabilité du contre-projet indirect. La délimitation du marché dans la LCart relève toujours de critères économiques. Le marché géographique comprend le territoire sur lequel les partenaires potentiels de l'échange sont engagés du côté de l'offre ou de la demande pour les produits ou services qui composent le marché de produits (cf. art. 11, al. 3, let. b de l'ordonnance du 17 juin 1996 sur le contrôle des concentrations d'entreprises91). Le marché de produits comprend tous les produits ou services que les partenaires potentiels de l'échange considèrent comme substituables en raison de leurs caractéristiques et de l'usage auquel ils sont destinés (cf. art. 11, al. 3, let. a, de l'ordonnance sur le contrôle des concentrations d'entreprises).

Sécurité juridique Pour les entreprises concernées par le champ d'application plus restreint du contreprojet indirect, il sera en outre plus simple ­ contrairement aux règles proposées par l'initiative ­ d'évaluer si elles détiennent un pouvoir de marché relatif: s'il lui est possible de mettre en place des canaux
de distribution distincts et internes à l'entreprise pour la Suisse et d'imposer des prix fortement majorés, une entreprise devrait dans bien des cas avoir conscience qu'elle risque d'être considérée comme disposant d'un pouvoir de marché relatif. Cela étant, la réglementation proposée n'a pas pour objectif de remettre en cause en soi les systèmes de distribution des entreprises puissantes sur le marché. Ces dernières aussi sont fondamentalement libres de choisir leur système de distribution, à condition qu'elles n'enfreignent pas l'art. 5 LCart.

91

RS 251.4

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Pas de sanctions directes Reste à souligner que les cas de pouvoir de marché relatif doivent, comme le demande l'initiative, échapper au régime de sanctions directes prévues à l'art. 49a, al. 1, LCart. Dès lors, les explications fournies au ch. 4.1.2.4 sont également valables pour le contre-projet indirect.

Application Étant donné qu'aucune sanction directe n'est prévue et que la portée économique manque généralement dans les affaires de pouvoir de marché relatif, ces cas seront principalement réglés par la voie civile. Après l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, les autorités en matière de concurrence ne devraient pas être confrontées à un surcroît de travail important une fois passées les éventuelles décisions de principe (cf. ch. 4.1.2.2 pour les questions relatives à l'application à l'étranger).

Comparaison du droit en vigueur, de l'initiative pour des prix équitables et de l'initiative parlementaire Altherr Un tableau comparatif du contre-projet indirect, de l'initiative pour des prix équitables, de l'initiative parlementaire 14.449 Altherr («Prix à l'importation surfaits.

Supprimer l'obligation de s'approvisionner en Suisse») et du droit en vigueur figure en annexe.

6.2

Procédure de consultation

Le Conseil fédéral a réalisé une procédure de consultation du 22 août au 22 novembre 2018 afin de permettre aux milieux intéressés de se prononcer sur le projet de contre-projet indirect. L'invitation à prendre part à la consultation a été adressée aux gouvernements des 26 cantons, à la Conférence des gouvernements cantonaux, à 13 partis politiques, à trois associations faîtières des communes, des villes et des régions de montagne, à huit associations économiques faitières et à cinq autres milieux et organisations intéressés92.

6.2.1

Projet envoyé en consultation

Les thèmes suivants étaient soulevés: la notion de pouvoir de marché relatif en général, la concentration sur le contexte transfrontalier, la limitation de la notion de pouvoir de marché relatif aux demandes, l'exclusion des pratiques d'exploitation abusives, la non-prise en considération du privilège d'empêcher les réimportations (clause de réimportation), le rejet de l'interdiction de principe du blocage géographique privé et le classement de la motion Bischof 16.3902 «Interdire les contrats léonins des plates-formes de réservation en ligne dont l'hôtellerie fait les frais».

92

Le projet mis en consultation est disponible à l'adresse suivante: www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2018 > DEFR.

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6.2.2

Aperçu des résultats de la procédure de consultation

Au total, 107 prises de position ont été reçues, envoyées par 26 cantons et la Conférence des chefs des départements cantonaux de l'économie publique, sept partis politiques, trois associations faîtières des communes, des villes et des régions de montagne, six associations faîtières de dimension nationale, 48 associations économiques et organisations de protection des consommateurs ainsi que 16 autres organisations et milieux intéressés. S'agissant des principaux éléments du contre-projet indirect, les prises de position étaient globalement équilibrées tant concernant l'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif que les différentes délimitations par rapport à l'initiative. Les arguments spécifiques peuvent être consultés dans le rapport sur les résultats de la procédure de consultation93. Le comité d'initiative et le canton d'Argovie ont demandé la reprise de la clause de réimportation dans le contre-projet indirect. Les prises de position étaient également équilibrées au sujet d'une interdiction de principe du blocage géographique privé. Seuls certains participants se sont prononcé sur un éventuel classement de la motion Bischof 16.3902 dans le cadre du contre-projet indirect, présentant des arguments contre cette suggestion.

Le projet de contre-projet indirect n'a pas été adapté à la lumière des résultats de la procédure de consultation. Le Conseil fédéral renonce toutefois à proposer au Parlement le classement de la motion Bischof 16.3902 dans le cadre du contre-projet indirect.

6.3

Comparaison avec le droit étranger, notamment européen

Selon la pratique et la doctrine actuelles94, la notion de pouvoir de marché relatif n'est pas présente dans le droit cartellaire au niveau européen. Cependant, les États membres ont également leur propre législation sur les cartels. Les directives de l'UE à ce sujet prévoient de facto une harmonisation totale s'agissant du traitement des accords en matière de concurrence par les réglementations cartellaires nationales selon l'art. 3, al. 1, 1re phrase, et al. 2, 1re phrase, du règlement (CE) 1/200395. Par contre, selon l'art. 3, al. 2, 2e phrase, du règlement (CE) 1/2003, le droit européen prévoit uniquement une harmonisation minimale des réglementations cartellaires nationales s'agissant du traitement d'un comportement unilatéral d'une entreprise.

Le considérant 8 du règlement (CE) 1/2003 cite à ce sujet expressément la possibilité, pour les États membres, d'adopter et de mettre en oeuvre dans le droit national 93 94

95

Le rapport est disponible à l'adresse suivante: www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > Procédures de consultation terminées > 2018 > DEFR Cf. le bref exposé tenant compte de la jurisprudence européenne à ce sujet par Andreas Fuchs / Wernhard Möschel, in: Ulrich Immenga / Ernst-Joachim Mestmäcker (éd.), Wettbewerbsrecht, Vol. 1 UE/partie 1, 5e éd. 2012, art. 102 TFUE ch. marg. 82, (en allemand).

Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux art. 81 et 82 du traité, JO L du 4.1.2003, p. 1 ss.

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des dispositions interdisant ou sanctionnant des comportements abusifs à l'égard d'entreprises économiquement dépendantes. Certains États membres de l'UE ont fait usage de cette possibilité et adopté des dispositions concernant le pouvoir de marché relatif. Il apparaît que c'est le cas du droit des cartels allemand (cf. ch. 3.3.3.2), qui sert de modèle tant pour l'initiative que pour le contre-projet indirect, ainsi que du droit français96, autrichien97 et italien98.

En résumé, la notion de pouvoir de marché relatif est présente dans les réglementations cartellaires de la plupart des États limitrophes de la Suisse. Au moins en ce qui concerne l'Allemagne, il n'est en outre pas exclu qu'elle puisse aussi s'appliquer à des cas transfrontaliers. Toutefois, dans aucun de ces pays, la réglementation ne prévoit d'application spécifique de la notion de pouvoir de marché relatif aux questions de cloisonnement du marché.

6.4

Commentaire des dispositions

Art. 4, al. 2bis L'art. 4, al. 2bis, P-LCart contient la définition de la notion d'entreprise ayant un pouvoir de marché relatif. Son libellé s'inspire d'une clause des dispositions transitoires de l'initiative (art. 197, ch. 12, al. 2, let. a, P-Cst.), laquelle s'inspire du droit 96

97

98

Art. L.420-2 du code de commerce français: «Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci.

Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Est en outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou pratiques discriminatoires visées à l'article L. 442-6.

Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou pratiques discriminatoires visées à l'article L. 442-6».

§ 4, al. 3 de la loi autrichienne sur les cartels (Kartellgesetz, KartG): «Als marktbeherrschend gilt auch ein Unternehmer, der eine im Verhältnis zu seinen Abnehmern oder Lieferanten überragende Marktstellung hat; eine solche liegt insbesondere vor, wenn diese zur Vermeidung schwerwiegender betriebswirtschaftlicher Nachteile auf die Aufrechterhaltung der Geschäftsbeziehung angewiesen sind».

Art. 9 de la loi italienne sur la sous-traitance: Disciplina della subfornitura nelle attività produttive, legge 18 giugno 1998, n. 192: «1 È vietato l'abuso da parte di una o più imprese dello stato di dipendenza economica nel quale si trova, nei suoi o nei loro riguardi, una impresa cliente o fornitrice. Si considera dipendenza economica la situazione in cui un'impresa sia in grado di determinare, nei rapporti commerciali con un'altra impresa, un eccessivo squilibrio di diritti e di obblighi.

La dipendenza economica è valutata tenendo conto anche della reale possibilità per la parte che abbia subito l'abuso di reperire sul mercato alternative soddisfacenti.

2 L'abuso può anche consistere nel rifiuto di vendere o nel rifiuto di comprare, nella imposizione di condizioni contrattuali in-giustificatamente gravose o discriminatorie, nella interruzione arbitraria delle relazioni commerciali in atto».

4726

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allemand au travers du § 20, al. 1, de la loi contre les restrictions à la concurrence (Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen, GWB). Selon le contre-projet indirect, une entreprise indigène ou étrangère dispose d'un pouvoir de marché relatif à partir du moment où d'autres entreprises qui achètent un bien ou un service sont dépendantes d'elle du fait qu'il n'existe pas de possibilité suffisante ou raisonnable de se tourner vers d'autres entreprises (dans la version allemande, le contre-projet indirect utilise les deux termes «Ware» et «Leistung». Ces termes sont synonymes, d'une part, des termes «Waren» et «Dienstleistungen» utilisés dans le contexte du présent message et, d'autre part, des termes «Gütern» et «Dienstleistungen» utilisés à l'art. 2, al. 1bis, LCart. A cet égard, il n'y a pas de différence de contenu). S'agissant de la version française du contre-projet indirect, tant l'expression «ayant un pouvoir de marché relatif», utilisée dans le contre-projet indirect, que l'expression «ayant une position dominante relative», utilisée dans l'initiative, correspondent à l'expression «relativ marktmächtig» de la version allemande. Seules les entreprises visées à l'art. 2, al. 1bis, LCart peuvent avoir un «pouvoir de marché relatif» ou être «dépendantes» au sens du contre-projet indirect. Les consommateurs et les institutions publiques, tant qu'elles ne sont pas considérées comme des entreprises (p. ex. les hôpitaux ou les entreprises de transport), ne sont pas visés. Une autre condition tient à la dépendance à un certain bien ou service, de sorte que la dépendance doit être examinée dans chaque cas d'espèce pour chaque bien ou chaque service et que l'acheteur ne saurait automatiquement exiger la livraison de la totalité de l'assortiment. Cela n'exclut pas qu'une entreprise puisse dépendre de plusieurs produits ou services au sens de la prescription proposée. Ce dernier point concerne le sens de «suffisante et raisonnable». Selon cette disposition, les entreprises invoquant la prescription proposée doivent avoir épuisé sans succès d'autres possibilités raisonnablement supportables d'obtenir le bien ou le service donné à un prix (de référence) et des conditions comparables en Suisse ou à l'étranger. Il ne suffit donc pas de s'être adressé en vain au fabricant du pays de référence pour motiver une
dépendance. Selon le cas, il faut attester de plusieurs tentatives d'acquisition dans plusieurs pays dans lesquels le bien ou le service est offert, sachant qu'il incombe à l'acheteur dépendant de démontrer qu'il a épuisé sans succès d'autres possibilités d'obtenir le bien ou le service à un prix et des conditions comparables à ceux obtenus par ses concurrents.

Art. 7a L'art. 7a P-LCart s'inspire d'une partie des dispositions transitoires de l'initiative (art. 197, ch. 12, al. 2, let. b, P-Cst.). Les éléments devant être réunis pour que toutes les conditions soient rassemblées sont détaillés ci-après.

Entreprise ayant un pouvoir de marché relatif La disposition proposée s'applique uniquement aux entreprises visées à l'art. 2, al. 1bis, LCart qui proposent des biens ou des services. La notion de fournisseur est à prendre au sens large, de sorte qu'elle peut en principe aussi couvrir les intermédiaires. Dans le présent cas, les fournisseurs sont, selon le système de distribution choisi, en particulier le fabricant ou les distributeurs (grossistes) indépendants. Les acheteurs ayant un pouvoir de marché relatif ne sont donc pas visés. Cette disposi4727

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tion vise en premier lieu le volet international des affaires touchant aux grands groupes (cf. ch. 3.2), qui importe aux auteurs de l'initiative.

Entreprises dépendantes La disposition protège les entreprises dépendantes visées à l'art. 4, al. 2bis, P-LCart qui achètent des biens ou des services. Les entreprises qui fournissent des biens et des services ne sont pas protégées. Conformément à la systématique de la notion de pouvoir de marché relatif (au sens de l'initiative), le champ d'application de la nouvelle disposition ne s'étend pas non plus aux consommateurs et aux institutions publiques, du moment que ces dernières ne sont pas considérées comme des entreprises (p. ex. hôpitaux, entreprises de transport).

Entrave à la concurrence Toutes les restrictions de la possibilité d'acheter des biens et des services dans un pays étranger, aux prix ou aux conditions pratiqués dans ce pays, par une entreprise puissante sur le marché ne sont pas illicites. C'est en fait d'empêcher le demandeur d'accéder à la concurrence ou à son exercice qui est pertinent. La proposition s'en tient donc à la systématique de l'art. 7 LCart, selon lequel à elle seule, la concrétisation d'un exemple de règle mentionné à l'art. 7, al. 2, LCart par une entreprise dominante ne suffit pas à qualifier le comportement d'illicite: les conditions de l'art. 7, al. 1, LCart doivent toujours être remplies, comme l'a déjà souligné le Conseil fédéral dans son message du 23 novembre 1994 concernant la loi sur les cartels et autres restrictions de la concurrence99. Prenons l'exemple d'un fournisseur ayant un pouvoir de marché relatif qui pratique une discrimination sur les prix entre plusieurs acheteurs pour ses biens et services. Indépendamment du fait que cela soit justifié ou non, sa pratique n'est illicite que s'il en résulte entre les acheteurs des distorsions de la concurrence qui, en termes quantitatifs, dépassent le cas bagatelle. La compétitivité de l'entreprise dépendante doit être en jeu. Un écart de prix mineur pour un facteur de coût négligeable pour l'entreprise ne suffit pas, par exemple. Les cas d'exploitation abusive ne sont pas visés.

Lien de causalité entre l'abus et la distorsion de la concurrence L'exploitation abusive du pouvoir de marché relatif du fournisseur doit avoir un lien de cause à effet avec la potentielle
distorsion de la concurrence découlant de du refus de livrer à l'étranger. Si le refus de livrer ne découle pas d'une situation de pouvoir de marché relatif, mais d'autres raisons, il n'y a pas de lien de cause à effet.

Acquisition d'un bien ou d'un service Conformément à la systématique du droit cartellaire, sont concernés tous les biens et services commercialisables. La question de la dépendance doit par conséquent être examinée pour chaque bien ou chaque service. S'il est établi qu'il existe une situation de dépendance vis-à-vis d'un fournisseur pour un produit donné, cela ne signifie pas nécessairement qu'une dépendance existe également pour d'autres produits ou services du même fournisseur. Indépendamment de la définition de pouvoir de marché relatif selon l'art. 4, al. 2bis, LCart, le libellé indique par ailleurs qu'en pareil 99

FF 1995 I 472, en l'occurrence 564

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cas, seul l'achat d'un bien ou d'un service est couvert par la réglementation proposée, et que la vente de biens et services ne peut être exigée.

Refus La notion de refus a une portée très large. Elle couvre toute pratique unilatérale d'une entreprise ayant un pouvoir de marché relatif qui entraîne une limitation, de fait ou de droit, de la quantité ou de la qualité des biens ou services en question.

À titre d'exemple, citons la non-livraison (totale ou partielle), les retards de livraison et le refus de garantie. Par contre, si un fournisseur ayant un pouvoir de marché relatif convient avec une autre entreprise de limiter les possibilités d'acquisition, on aura en principe affaire à un accord en matière de concurrence voire, selon les circonstances, à une protection territoriale absolue. Dans de tels cas, l'art. 5 LCart est en principe applicable et il n'y a pas de lacune réglementaire par rapport au droit en vigueur. Dès lors, la nouvelle disposition n'a pas à couvrir ce type de cas.

Étranger Par «à l'étranger», on entend tout autre pays du monde, du moment que l'on observe suffisamment d'effets sur le marché suisse selon l'art. 2, al. 2, LCart (cf. ch. 4.1.2.2).

C'est la raison pour laquelle la portée géographique de la réglementation proposée doit être examinée pour chaque cas. Dans le cas de services achetés en ligne, ce n'est pas la localisation du serveur qui est déterminante, mais l'activité d'un fournisseur en ligne dans un pays donné. Une entreprise active en Suisse qui dépend du service concret fourni en ligne par un fournisseur ayant un pouvoir de marché relatif, par exemple, ne peut subir de discriminations par rapport à ses concurrents sur le marché en question, du moment que les autres conditions de l'art. 7a P-LCart sont réunies.

Prix et autres conditions commerciales pratiqués Pour que la réglementation proposée s'applique, seuls sont pertinents les prix et autres conditions commerciales effectivement pratiqués dans le pays en question par l'entreprise ayant un pouvoir de marché relatif. Les prix et les conditions pratiqués par des entreprises tierces qui, selon la notion d'entreprise découlant de l'art. 2, al. 1bis, LCart, ne font pas partie de l'entreprise ayant un pouvoir de marché relatif (en tant que maison mère, filiale ou société soeur) ne sont pas visés par la disposition.
Justification objective Même si la justification d'une pratique pour des motifs fondés ne figure pas expressément dans le libellé de l'art. 7 LCart, elle est possible dans les (autres) conditions constitutives des faits figurant dans ce même article. La non-existence de justifications (à savoir de justes motifs commerciaux) est inhérente à l'élément constitutif «abus». Cela vaut pour l'art. 7 LCart tout comme pour le nouvel art. 7a LCart. Dès lors, s'agissant de la justification objective, lorsque les conditions constitutives de l'abus sont réunies en vertu de l'art. 7a LCart, les catégories de cas et les réflexions applicables dans le cadre de l'art. 7 LCart devraient aussi s'appliquer. Les motifs sont notamment objectifs lorsqu'un fournisseur ayant un pouvoir de marché relatif fonde sa pratique sur des principes commerciaux, comme l'a déjà souligné le Con4729

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seil fédéral dans son message du 23 novembre 1994 concernant la loi sur les cartels et autres restrictions de la concurrence100. La discrimination d'acheteurs peut par exemple en principe être justifiée par des rabais de quantité linéaires ou par la nature du système de distribution (autorisée selon l'art. 5 LCart). Si un fabricant choisit de vendre ses produits via une seule entreprise (distributeur exclusif) dans plusieurs pays, il peut rejeter les demandes de clients finaux sans pour autant enfreindre les prescriptions de la LCart. Par contre, dans cet exemple, il serait en principe illicite qu'il interdise à ses distributeurs la vente passive (cf. ch. 2.2.1.1 concernant la notion) à des clients finaux en Suisse hors de sa zone de distribution. La nouvelle disposition proposée n'affecte pas non plus l'appréciation des systèmes de distribution sélectifs au regard du droit des cartels. La discrimination d'acheteurs peut également être justifiée lorsque les coûts moyens des installations de production en Suisse peuvent être abaissés grâce à une meilleure exploitation rendue possible par la livraison des produits vers des marchés d'exportation étrangers, où les produits ne peuvent être vendus qu'à des prix moins élevés qu'en Suisse.

L'amélioration de la sécurité juridique justifie que la possibilité d'avancer des motifs fondés figure dans le libellé proposé (quand bien même elle ne figure pas à l'art. 7 LCart). Enfin, un acheteur dépendant d'un fournisseur ayant un pouvoir de marché relatif ne doit en principe pas pouvoir être protégé durablement sur la base du pouvoir de marché relatif. Il vaudrait mieux lui accorder une période transitoire adaptée durant laquelle il doit essayer de trouver d'autres solutions. Passé ce délai (que des solutions aient pu être trouvées ou non), si aucune circonstance spéciale n'est apparue, l'acheteur doit pouvoir faire valoir une raison objective de mettre un terme aux relations d'affaires.

6.5

Conséquences

6.5.1

Conséquences pour la Confédération

En principe, le contre-projet indirect aura les mêmes effets que l'initiative, et ce qu'il s'agisse des effets potentiels sur les recettes liées à la TVA ou à l'impôt sur le bénéfice, ou sur la charge de travail pour les autorités en matière de concurrence et les tribunaux fédéraux. Cela étant, le contre-projet indirect restreint la portée du pouvoir de marché relatif à plusieurs égards (limitation aux faits relevant du cloisonnement du marché, aux cas des acheteurs dépendants, aux cas des entraves abusives et aux distorsions de la concurrence transfrontalière). Les cas seront donc nettement moins nombreux et les conséquences moindres que celles escomptées en cas d'acceptation de l'initiative. La condition liée au contexte transfrontalier implique que les fournisseurs actifs à l'international, en particulier, seraient affectés négativement, ce qui pourrait se répercuter sur les recettes liées à l'impôt sur le bénéfice des entreprises.

100

FF 1995 I 472, hier 564 ss.

4730

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6.5.2

Conséquences pour les cantons et les communes

Si davantage de procédures sont engagées par la voie civile, l'initiative pourrait entraîner une charge supplémentaire pour les tribunaux civils cantonaux. La portée étant restreinte, il devrait y avoir moins de cas qu'en cas d'acceptation de l'initiative, sachant que du fait de la condition du contexte transfrontalier, ce sont en particulier les fournisseurs actifs à l'international qui seraient concernés par les conséquences négatives. Étant donné que les discriminations de prix pourraient devenir toujours plus illicites dans les régions frontalières, en particulier, les effets positifs les plus importants sont à escompter dans les cantons et les communes frontaliers (cf.

ch. 4.2.2).

6.5.3

Conséquences économiques

Conséquences pour les entreprises S'agissant de l'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif, les conséquences du contre-projet indirect se distinguent des conséquences de l'initiative en particulier en trois points. Comme expliqué au ch. 4.2.3 pour les conséquences de l'initiative, l'application de la réglementation pourrait être difficile à garantir à l'étranger. Cette incertitude ne sera plus mentionnée ci-après.

­

Premièrement, la situation des fournisseurs dépendants n'est pas prise en considération, puisque la notion de pouvoir de marché relatif ne doit s'appliquer qu'aux acheteurs dépendants. Cela limite, d'une part, la portée de la notion de pouvoir de marché relatif; puisque l'un des objectifs principaux est de prévenir le cloisonnement du marché suisse et que cette pratique est généralement défavorable aux acheteurs, cette limitation est plus appropriée.

D'autre part, le risque de conséquences négatives ou d'effets indésirables sur l'intensité de la concurrence et le danger de figer des structures de livraisons inefficientes sont moindres qu'en cas d'acceptation de l'initiative.

­

Deuxièmement, le contre-projet indirect se concentre exclusivement sur le contexte transfrontalier. Les relations commerciales au sein du marché suisse ne sont donc par principe pas soumises à la notion de pouvoir de marché relatif. En dépit de la portée restreinte, cette approche permet de couvrir les discriminations de prix criantes, puisque l'on cible plus spécifiquement le cloisonnement du marché suisse depuis l'étranger. Toutes les relations commerciales purement internes à la Suisse ne sont donc pas concernées par les coûts de la nouvelle réglementation (coûts de conformité, incertitude, inefficience et frais de procédure).

­

Troisièmement, selon le contre-projet indirect, seules les entraves abusives sont des éléments constitutifs d'une infraction. Les pratiques d'exploitation abusives ne seront pas couvertes par la notion de pouvoir de marché relatif car cet état de faits suppose que les autorités en matière de concurrence et, surtout, les tribunaux (civils) devraient examiner si les prix sont adéquats.

Ainsi, par rapport à l'initiative, la liberté des entreprises (indigènes) à fixer

4731

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les prix est moins restreinte et le risque d'ingérences de l'État créant des distorsions est nettement réduit.

Compte tenu des conséquences pour les entreprises, le contre-projet indirect pourrait, dans certains cas, réduire les coûts d'achat des entreprises. Des coûts de production plus faibles et une plus grande marge de manoeuvre quant à la fixation des prix pour les entreprises dépendantes pourraient permettre des marges plus élevées ou des prix de vente plus bas (gain de compétitivité). Selon l'acheteur, cela pourrait bénéficier aux entreprises en aval ou aux consommateurs en Suisse. Du fait de la condition liée au contexte transfrontalier, ce sont en particulier les fournisseurs actifs à l'international qui seraient concernés par les conséquences négatives (réduction des marges).

Du fait que la clause de réimportation est écartée, la nouvelle réglementation s'appliquera aussi aux entreprises ayant un pouvoir de marché relatif actives à l'international et avec siège en Suisse. Il leur sera ainsi potentiellement plus difficile d'opérer une discrimination internationale par les prix. Si elles offrent leurs biens et services moins cher à l'étranger qu'en Suisse, des demandeurs dépendants en Suisse pourront prétendre se faire livrer depuis l'étranger aux conditions qui y sont pratiquées, de sorte qu'ils pourraient ainsi profiter de prix plus avantageux.

En comparaison avec l'initiative, les coûts à supporter par les entreprises seraient moindres du fait des restrictions prévues par le contre-projet indirect. Les coûts de conformité seraient limités aux fournisseurs ayant des relations commerciales avec l'étranger. Les coûts des procédures civiles seraient en principe à la charge des acheteurs en Suisse qui engageraient des poursuites à l'encontre de fournisseurs étrangers ayant potentiellement un pouvoir de marché relatif. Enfin, l'incertitude juridique liée à d'éventuelles relations de dépendance par rapport à des partenaires commerciaux n'aurait plus lieu d'être pour les relations commerciales relevant purement du marché domestique. Cela ne vaut toutefois pas pour les fournisseurs à l'étranger, que la nouvelle réglementation pourrait dissuader de conclure de nouvelles relations commerciales avec des acheteurs actifs en Suisse.

Conséquences pour les consommateurs La probabilité que les
éventuelles économies des entreprises soient répercutées sur les consommateurs dépend dans une large mesure de l'intensité de la concurrence et de la demande sur le marché en question. Il est possible que les prix de vente de certains produits baissent du fait de la nouvelle réglementation. Si la concurrence est faible, le contre-projet indirect, à l'instar de l'initiative, ne garantit a priori pas que des prix d'achat inférieurs seront répercutés, étant donné que les entreprises pourraient se borner à augmenter leurs marges.

Comme mentionné plus haut (cf. ch. 2.1.3.3), les entraves commerciales jouent un rôle important dans la formation des prix à la consommation. La grande majorité des denrées alimentaires sont protégées par des droits de douane, si bien que leurs prix ne devraient guère baisser. Il faut en outre tenir compte des diverses exceptions au principe «Cassis de Dijon» qui font que les prix sont plus élevés en Suisse. Les dépenses de consommation finale sont en outre principalement effectuées dans des domaines qui ne sont pas touchés par la nouvelle réglementation. Le rôle des ser-

4732

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vices produits localement, par exemple, est déterminant dans le niveau élevé des prix101.

Produits concernés et conséquences sur le niveau des prix Les conséquences du contre-projet indirect resteront sans doute limitées aux produits (de marque) standard, car il risque de se révéler complexe d'apporter la preuve d'une discrimination (par les prix) illicite pour des biens produits en réponse aux besoins spécifiques du client. Étant donné les frais de procédure et la charge administrative, la disposition touchera probablement surtout les biens coûteux, les biens vendus avec un surcoût excessif et les biens ayant un volume commercial important.

La restriction liée au contexte transfrontalier devrait porter ses fruits dans la mesure où en pareil cas, les écarts de prix sont généralement suffisamment importants pour que les frais de procédure en vaillent la peine. La portée du contre-projet indirect s'agissant du niveau de prix des biens et services serait, comme pour l'initiative, relativement limitée.

Conséquences sur la concurrence La concurrence sur le marché suisse ne serait pas directement affectée. En principe, il ne devrait pas y avoir de conséquences directes sur l'intensité de la concurrence, puisque la notion de pouvoir de marché relatif permet uniquement de réglementer les relations commerciales bilatérales et spécifiques à un produit. Dans certains cas, la situation de désavantage concurrentiel dans laquelle se trouvent certaines entreprises dépendantes pourrait être améliorée. Il existe enfin un risque de distorsions de la concurrence et d'inefficiences, puisqu'une intervention de l'État dans la fixation des prix entrave par principe le mécanisme, essentiel, du libre jeu de la concurrence.

Ce risque est toutefois moindre comparé à celui de l'initiative, puisque les états de faits purement suisses ne sont pas visés par le contre-projet indirect.

Conclusions sur les conséquences économiques En résumé, le contre-projet indirect devrait avoir de légers effets positifs sur la baisse des prix. Parallèlement, les effets économiques négatifs seront moins notables qu'en cas d'acceptation de l'initiative. Dans l'ensemble, les conséquences économiques devraient être minimes.

6.6

Aspects juridiques

6.6.1

Constitutionnalité

Les bases constitutionnelles de la LCart sont les art. 27, al. 1, 96, 97, al. 2, et 122 Cst. Le contre-projet indirect se fonde en particulier sur l'art. 96 Cst. L'art. 96, al. 1, Cst. prévoit que la Confédération légifère afin de lutter contre les conséquences 101

Cf. Rapport du Conseil fédéral du 22 juin 2016 en réponse au postulat 14.3014 «Simplifier les formalités douanières et favoriser les importations parallèles grâce à la reconnaissance d'autres documents permettant d'attester de l'origine d'un produit», entraves aux importations parallèles. Le texte peut être consulté à l'adresse suivante: www.parlement.ch > 14.3014 > Rapport en réponse à l'intervention parlementaire.

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sociales et économiques dommageables des cartels et des autres formes de limitation de la concurrence. La marge d'action du législateur est considérable pour réaliser cet objectif (cf. à ce sujet message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale102). En effet, le texte constitutionnel n'oblige pas le législateur à utiliser des moyens précis ou n'exige pas de lui qu'il s'abstienne d'utiliser des instruments déterminés (cf. à ce sujet message du 23 novembre 1994 concernant la loi sur les cartels et autres restrictions de la concurrence103. Le contre-projet indirect cherche à éviter des distorsions de la concurrence transfrontalière, raison pour laquelle il qualifie de nuisible le fait que des fournisseurs ayant un pouvoir de marché relatif refusent la livraison non discriminatoire de biens et services à l'étranger dans des cas où ce refus entraîne des distorsions de la concurrence; il suppose toutefois un certain pouvoir de marché dans la mesure où il pose qu'un demandeur ne peut être dépendant que s'il n'a pas d'alternative suffisante et raisonnable.

Le contre-projet indirect met en outre en oeuvre le droit fondamental qu'est la liberté économique, conformément à l'art. 27 Cst. Ce droit fondamental protège dans une même mesure toutes les entreprises privées actives en Suisse et vise en premier lieu les ingérences de l'État en la matière. D'une part, le législateur est tenu de réaliser les droits fondamentaux dans l'ensemble de l'ordre juridique. D'autre part, l'art. 35, al. 3, Cst. enjoint aux autorités de veiller à ce que les droits fondamentaux, «dans la mesure où ils s'y prêtent», soient aussi réalisés dans les relations qui lient les particuliers entre eux. Ils peuvent donc aussi produire une obligation de protection de l'État contre des dangers provoqués par des tiers privés104. En pareil cas, il faut toutefois toujours peser les intérêts, sachant que la limite entre une mise en danger licite et une mise en danger illicite dépend en premier lieu de la législation applicable105. De la liberté économique découle également le principe de l'autonomie de la volonté, essentiel pour la législation sur la concurrence, et qui dit que chaque acteur économique est en principe libre de conclure un contrat avec qui bon lui semble et à quelques conditions que ce soit. Comme expliqué
au ch. 2.2.1.4, la liberté contractuelle et le libre choix du partenaire peuvent exceptionnellement être limités par des contraintes légales. Cela étant, l'importance très élevée accordée au principe de l'autonomie des particuliers exclut par exemple un droit général à l'égalité de traitement dans les relations entre entreprises privées106. Par contre, si la compétitivité d'une entreprise est impactée de manière notable par une autre entreprise qui refuse de la livrer ou qui fixe des prix notablement surfaits pour la livraison, et que la première entreprise n'a pas d'alternatives suffisantes ou raisonnables, il y a un risque que l'on empêche, dans les faits, la première entreprise d'exercer son droit fondamental de la liberté économique. En pareille situation, en particulier, une interdiction légale de non-livraison ou de discrimination pour les fournisseurs ayant un pouvoir de marché relatif et qui ont fondamentalement intérêt à vendre leurs biens et services pourrait être justifiée. Ceci suppose toutefois qu'il n'y a pas de 102 103 104 105 106

FF 1997 I 1, en l'occurrence 354 FF 1995 I 472, en l'occurrence 622 ATF 126 II 300, consid. 5a.

ATF 126 II 300, consid. 5b.

Cf. ATF 138 I 289, consid. 2.8.1, dans lequel le Tribunal fédéral a rejeté un droit global d'égalité de trantement d'une entreprise à l'égard de l'activité de Switch dans le domaine de la concurrence.

4734

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justification matérielle pour le refus de livraison ou la discrimination. Sans oublier que du point de vue d'une entreprise victime de ce type de discrimination, il importe peu que la discrimination soit pratiquée par une entreprise occupant une position dominante sur le marché ou par une entreprise ayant un pouvoir de marché relatif.

Seuls le manque d'alternatives et les désavantages concurrentiels découlant de la discrimination pour l'entreprise qui en est victime sont donc pertinents. En outre, le contre-projet indirect exclut les cas d'exploitation abusive et évite ainsi de confier aux autorités ou aux tribunaux la tâche d'évaluer le juste prix d'un bien ou d'un service. Il interdit uniquement les discriminations par les prix à certaines conditions.

Le prix d'un bien ou d'un service donné est de toute façon fixé par l'entreprise ayant un pouvoir de marché relatif.

Le contre-projet indirect n'implique pas non plus d'infraction au principe de l'égalité devant la loi prévue à l'art. 8 Cst. Il vaut, en droit et en fait, sans distinction entre les entreprises suisses et les entreprises étrangères, malgré la composante transfrontalière inhérente au projet. Prévoir des critères spéciaux pour les faits relevant du contexte transfrontalier pourrait être incompatible avec le principe d'égalité devant la loi107. L'exploitation abusive du pouvoir de marché relatif par des entreprises actives à l'international constitue le critère déterminant. Ni le siège de l'entreprise ni le site de production n'ont un rôle pour les acteurs visés par la disposition ou les entreprises protégées eu égard à l'application de la réglementation proposée. Ainsi, les entreprises établies à l'étranger ne sont pas traitées moins bien que les entreprises indigènes, indépendamment du fait que les droits fondamentaux s'appliquent à elles ou non. Par ailleurs, le contre-projet indirect ne prévoit pas de privilégier la possibilité d'empêcher les réimportations en faveur des entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif. Cette inégalité de traitement des acteurs du marché poserait problème sur le plan constitutionnel.

Enfin, tout comme l'initiative, le contre-projet indirect ne prévoit pas de sanctionner l'abus de pouvoir de marché relatif dès la première infraction, comme le prévoit l'art. 49a, al. 1,
LCart en cas d'abus de position dominante. Une entreprise ayant un pouvoir de marché relatif est en effet moins à même d'évaluer si une autre entreprise dépend d'elle pour un bien ou un service donné qu'une entreprise ayant une position dominante. Une entreprise ayant un pouvoir de marché relatif ne peut dès lors être sanctionnée que si elle contrevient à un accord amiable, à une décision exécutoire prononcée par les autorités en matière de concurrence ou à une décision rendue par une instance de recours (cf. art. 50 LCart). En tirant une croix sur la possibilité d'imposer une sanction directe, on évite en outre un conflit entre la notion de pouvoir de marché relatif et les exigences de précision de la loi, qui découlent du principe de la légalité.

Pour les motifs exposés, la limitation ponctuelle de la liberté économique individuelle d'entreprises ayant un pouvoir de marché relatif et une activité transfrontalière est proportionnée. Le contre-projet indirect est donc constitutionnel.

107

ATF 143 II 297, consid. 3.3, Gaba.

4735

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6.6.2

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Le commentaire de l'initiative au ch. 4.4 éclaire les questions relevant de la compatibilité de la notion de pouvoir de marché relatif avec les obligations internationales de la Suisse.

L'initiative prévoit l'introduction de la notion de pouvoir de marché relatif tant pour les fournisseurs que pour les acheteurs, d'une part, mais aussi tant pour les pratiques transfrontalières que sur le marché domestique, d'autre part. Comme elle, le contreprojet indirect propose d'introduire la notion de pouvoir de marché relatif, mais limite son champ d'application aux cas de demandes transfrontalières afin de lutter contre le cloisonnement abusif du marché suisse. Quand bien même la composante transfrontalière est supposée, les entreprises indigènes et étrangères sont traitées sur un pied d'égalité (cf. ch. 6.6.1). Ni le siège des entreprises concernées ni par exemple le site de production n'entrent en ligne de compte pour les destinataires de la norme ou les entreprises protégées quant à l'application de la réglementation proposée. Enfin, le contre-projet indirect du Conseil fédéral ne comprend pas de privilège problématique, en l'espèce, permettant d'empêcher les réimportations en faveur d'entreprises ayant une position dominante sur le marché ou un pouvoir de marché relatif (cf. ch. 4.4).

Par contre, il n'est pas exclu que la notion de pouvoir de marché relatif, qui concerne principalement des entreprises actives à l'international, soulève des questions de la part de partenaires contractuels de la Suisse. Il n'est pas exclu non plus que le commerce transfrontalier soit affecté par le contrôle des prix prévu et, le cas échéant, exécuté par les tribunaux. Étant donné que le contre-projet indirect vise à faire baisser les prix, le commerce transfrontalier devrait s'en trouver promu plutôt qu'entravé. On peut donc partir du principe que la notion de pouvoir de marché relatif est compatible avec les accords mentionnés au ch. 4.4, en dépit des interdictions de mettre en place des restrictions quantitatives ou des mesures d'effet équivalent qu'ils prévoient.

Pour résumer, la réglementation prévue par le contre-projet indirect est compatible avec les obligations internationales de la Suisse.

6.6.3

Frein aux dépenses

Le projet n'est pas soumis au frein aux dépenses prévu à l'art. 159, al. 3, let. b, Cst., car il ne prévoit ni subvention, ni crédit d'engagement, ni plafond de dépenses.

4736

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Glossaire Accords en matière de concurrence Conventions avec ou sans force obligatoire et pratiques concertées d'entreprises occupant des échelles du marché identiques ou différentes, dans la mesure où elles visent ou entraînent une restriction à la concurrence (art. 4, al. 1, LCart).

Blocage géographique privé Blocage de contenus Internet par des entreprises privées en fonction de la localisation de l'utilisateur. L'adjectif «privé» sert en l'occurrence à distinguer ces mesures des mesures de blocage géographique ordonnées par l'État, comme celles qui sont expressément prévues à l'art. 86 de la loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d'argent108.

Clause de réimportation Dans ses dispositions transitoires, l'initiative pour des prix équitables prévoit une réglementation qui autorise les entreprises ayant une position dominante ou un pouvoir de marché relatif à limiter à l'étranger, par des pratiques unilatérales, l'acquisition des biens qu'elles ont exportés, lorsque ceux-ci sont destinés à être réimportés dans le pays de production et à y être revendus sans traitement supplémentaire (art. 197, ch. 12, al. 2, let. c, P-Cst.). Cette disposition ne s'applique pas aux services. Elle prévoit que les entreprises indigènes ayant un pouvoir de marché relatif puissent continuer à cloisonner le marché suisse et que les entreprises ayant une position dominante soient dorénavant autorisées à faire de même.

Entrave abusive Ce terme recouvre principalement les mesures prises par une entreprise ayant une position dominante sur un marché qui visent des concurrents actuels ou potentiels actifs sur ce marché ou sur un marché voisin. Il peut également comprendre les mesures prises par l'entreprise ayant une position dominante qui entravent d'autres entreprises dans l'exercice de la concurrence.

Exemple de règle Dans le présent message, cette expression désigne les cas énumérés à l'art. 7, al. 2, LCart, qui pourraient chacun conduire à un abus de position dominante.

Exploitation abusive Exploitation abusive d'un partenaire commercial par une entreprise ayant une position dominante de sorte que le rapport entre la prestation et la contre-prestation est manifestement déséquilibré. Cette pratique n'a pas nécessairement d'effet sur les relations concurrentielles entre deux entreprises. Le partenaire commercial en question peut être tant une entreprise qu'un autre participant au marché (p. ex. consommateur ou institution publique).

108

RS 935.51

4737

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Interdiction de vente passive L'interdiction (contractuelle) de satisfaire, au sens du ch. 3 de la Communication de la COMCO du 28 juin 2010 sur les accords verticaux (CommVert) 109, à des demandes non sollicitées, à savoir la livraison de biens ou la fourniture de services, émanant de clients individuels. Toute publicité ou action de promotion générale qui atteint des clients établis sur les territoires (exclusifs) d'autres distributeurs, ou faisant partie d'une clientèle allouée à d'autres distributeurs, mais qui est un moyen raisonnable d'atteindre des clients situés en dehors de ces territoires ou d'une telle clientèle, par exemple pour accéder à des clients situés sur son propre territoire, est considérée comme une vente passive. En ce sens, les ventes réalisées par Internet constituent des ventes passives, sauf si les efforts de vente visent à atteindre des clients établis hors du territoire attribué au distributeur.

Position dominante Par entreprise ayant une position dominante, on entend une ou plusieurs entreprise qui sont à même, en matière d'offre ou de demande, de se comporter de manière essentiellement indépendante par rapport aux autres participants au marché (concurrents, fournisseurs ou acheteurs) (art. 4, al. 2, LCart).

Position dominante relative (au sens de l'initiative pour des prix équitables) Au sens de l'initiative pour des prix équitables, une entreprise est réputée comme ayant une position dominante relative lorsqu'une ou plusieurs entreprises sont dépendantes d'elle de telle manière qu'elles n'ont aucune possibilité suffisante et raisonnable de se tourner vers d'autres entreprises (art. 197, ch. 12, al. 2, let. a, P-Cst.). Par conséquent, tant les acheteurs que les fournisseurs de biens et de services peuvent être dépendants dans ce sens, pour autant qu'il s'agisse d'entreprises.

Cette définition exclut les consommateurs et les institutions publiques, du moment que ces dernières ne sont pas considérées comme des entreprises (p. ex. les hôpitaux ou les entreprises de transport).

Pouvoir de marché relatif (au sens du contre-projet indirect) Par entreprise ayant un pouvoir de marché relatif, on entend, au sens du contreprojet indirect, une entreprise dont d'autres entreprises sont dépendantes pour la demande d'un bien ou d'un service, faute de possibilité suffisante et
raisonnable pour ces dernières de se tourner vers d'autres entreprises. Par conséquent, seuls les acheteurs de biens et de services peuvent être dépendants dans ce sens, pour autant qu'il s'agisse d'entreprises. Elle exclut les consommateurs et les institutions publiques, du moment que ces dernières ne sont pas considérées comme des entreprises acheteuses (p. ex. les hôpitaux ou les entreprises de transport).

Pratiques unilatérales L'expression s'entend de toutes les mesures prises par des entreprises qui ne sont pas mises en oeuvre en collaboration avec d'autres entreprises. Elle permet d'opérer une délimitation par rapport aux accords en matière de concurrence.

109

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4738

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Protection territoriale absolue / accords de protection territoriale Il y a protection territoriale absolue lorsque la vente passive par des partenaires de distribution situés en dehors du territoire est directement ou indirectement interdite dans un territoire attribué par le biais d'une convention. Voir également l'explication du terme « interdiction de vente passive ».

4739

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Annexe

Comparaison du droit en vigueur et des propositions de modification Droit en vigueur

Droit des cartels (LCart)

4740

Propositions de modification du droit des cartels Iv. pa. 14.449 Altherr

Initiative pour des prix équitables

Champ d'application géographique

pratiques transfrontalières et pratiques relevant exclusivement du marché domestique

pratiques transfrontalières et pratiques relevant exclusivement du marché domestique

pratiques transfrontalières pratiques transfrontalières et pratiques relevant exclusivement du marché domestique

Contre-projet indirect

Acteurs visés par la réglementation

entreprises ayant une position dominante

entreprises ayant un pouvoir de marché relatif

entreprises ayant un pouvoir de marché relatif

entreprises ayant un pouvoir de marché relatif

Acteurs protégés par la réglementation

entreprises, consommateurs, institutions publiques

entreprises dépendantes

entreprises dépendantes

entreprises dépendantes

Cas d'exploitation abusive couverts

oui

oui

oui

non

Cas d'entrave abusive couverts

oui

oui

oui

oui

Nécessité de constater une atteinte à la concurrence

en partie

en partie

en partie

oui

Justification objective possible

oui

oui

oui

oui

Privilège d'empêcher les réimportations

non

non

oui (s'applique aussi aux entreprises ayant une position dominante)

non

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Droit en vigueur

Législation sur la concurrence déloyale (LCD)

4741

Propositions de modification du droit des cartels Iv. pa. 14.449 Altherr

Initiative pour des prix équitables

Contre-projet indirect

Sanctions directes

oui

oui

non

non

Effets sur l'art. 5 LCart

non

non

non

non

Interdiction de principe du blocage géographique privé

non

non

oui

non

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