12.402 Initiative parlementaire Rôle de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage Rapport de la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des États du 22 octobre 2018

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous soumettons un projet de modification de la loi fédérale du 1er juillet 1966 sur la protection de la nature et du paysage, que nous transmettons simultanément au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose d'adopter le projet d'acte ci-joint.

22 octobre 2018

Pour la commission: Le président, Roland Eberle

2018-3807

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Condensé En vertu de la Constitution fédérale (Cst.), la Confédération prend en considération les objectifs de la protection de la nature et du patrimoine, dans l'accomplissement de ses tâches. Elle ménage les paysages, la physionomie des localités, les sites historiques et les monuments naturels et culturels; elle les conserve dans leur intégralité si l'intérêt public l'exige. Une pesée des intérêts entre protection et utilisation est donc nécessaire dans le domaine de la protection de la nature et du paysage (art. 78, al. 2, Cst.).

Avec le nouvel art. 12 de la loi sur l'énergie et les art. 8 et 9 de l'ordonnance sur l'énergie qui y sont liés, le législateur a reconnu que les installations destinées à utiliser les énergies renouvelables revêtent un intérêt national à partir d'une certaine taille. Les installations planifiées dans un objet figurant dans un inventaire au sens de l'art. 5 de la loi fédérale sur la protection de la nature et du paysage (LPN) peuvent ainsi déjà donner lieu à une pesée des intérêts sur la base du droit en vigueur.

L'ajout d'un nouvel al. 3 à l'art. 7 LPN vise à préciser la valeur de l'expertise de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage (CFNP) et de la Commission fédérale des monuments historiques (CFMH) en droit procédural. Cela inscrit dans la loi la pratique actuelle selon laquelle les expertises de ces deux commissions ne sont pas l'unique base de décision pour les projets touchant à des objets inscrits dans des inventaires fédéraux, mais une base parmi d'autres. La sécurité du droit est ainsi renforcée dans le cadre des procédures d'autorisation.

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Rapport 1

Genèse du projet

L'initiative parlementaire déposée le 29 février 2012 par le conseiller aux États Joachim Eder visait une adaptation de l'art. 6, al. 2, et de l'art. 7, al. 3, de la loi fédérale du 1er juillet 1966 sur la protection de la nature et du paysage (LPN)1.

D'une part, elle demandait que l'on attribue à l'expertise de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage (CFNP) et de la Commission fédérale des monuments historiques (CFMH) un rôle important, mais non déterminant à lui seul. D'autre part, elle souhaitait que les intérêts des cantons à des interventions soient également pris en considération à certaines conditions lors de la pesée des intérêts au sens de l'art. 6, al. 2, LPN. L'auteur de l'initiative arguait en particulier que les procédures d'autorisation ont tendance à freiner la réalisation de projets, notamment dans le domaine des énergies renouvelables.

Le 17 janvier 2013, dans le cadre de l'examen préalable, la Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des États (CEATE-E) a décidé, par 7 voix contre 4, de donner suite à l'initiative. Son homologue du Conseil national s'est ralliée à cette décision le 8 avril 2013, par 13 voix contre 11 et 1 abstention, conformément à l'art. 109, al. 3, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl).2 Tant au sein de la commission du Conseil des Etats qu'au sein de celle du Conseil national, des minorités ont considéré qu'il n'y avait pas lieu de légiférer, craignant qu'un affaiblissement de l'expertise de la CFNP et de la CFMH mette en péril la protection de la nature et du paysage.

En vertu de l'art. 111, al. 1, LParl, la commission dispose d'un délai de deux ans pour élaborer un projet. La CEATE-E s'est donc attelée, lors de quatre séances en 2013 et 2014, à la préparation d'une modification de la LPN permettant de mettre en oeuvre l'initiative. L'avant-projet destiné à la consultation était prêt le 1er septembre 2014. La commission a cependant décidé, par 6 voix contre 6 et avec la voix prépondérante de son président, de reporter la procédure de consultation jusqu'à ce que le Parlement ait clos ses travaux visant à préciser la notion d'intérêt national applicable aux installations destinées à utiliser les énergies renouvelables. Dans cette perspective, le Conseil des Etats a
approuvé, à l'unanimité, une première prolongation du délai de traitement conformément à l'art. 113, al. 1, LParl. Dans le cadre de la révision totale du 30 septembre 2016 de la loi du 26 juin 1998 sur l'énergie (LEne),3 le Parlement a finalement décidé d'accorder un intérêt national à l'utilisation et au développement des énergies renouvelables. En vertu de l'art. 12 LEne, l'intérêt national attaché à la réalisation de ces projets doit être considéré comme équivalent aux autres intérêts nationaux lors de la pesée des intérêts.

Le peuple ayant accepté en référendum la révision de la loi sur l'énergie le 17 mai 2017, la commission a alors repris ses travaux visant à élaborer un avant-projet pour 1 2 3

RS 451 RS 171.10 RS 730.0

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la mise en oeuvre de l'initiative. Une majorité a conclu à la nécessité de légiférer dans le sens de l'initiative, malgré les nouvelles dispositions inscrites à l'art. 12 LEne régissant les installations destinées à utiliser les énergies renouvelables; par conséquent, elle a demandé au Conseil des Etats une nouvelle prolongation du délai de traitement conformément à l'art. 113, al. 1, LParl. Une minorité de la commission était cependant d'avis que les nouvelles dispositions constituaient un compromis suffisant et que la marge de manoeuvre disponible était épuisée; elle a donc proposé de classer l'initiative. Le 14 septembre 2017, suivant l'avis de la majorité, le Conseil des Etats a décidé, par 27 voix contre 16, de prolonger le délai de traitement jusqu'à la session d'automne 2019.

Le 20 mars 2018, la commission a approuvé l'avant-projet par 7 voix contre 5 et l'a envoyé en consultation. Une minorité proposait de ne pas entrer en matière sur le projet.

Il ressort des résultats de la consultation que ce projet est très controversé (cf. 2.2).

Seule la moitié des cantons le soutiennent. La commission a été forcée de constater que l'objectif qu'elle poursuit ­ soit de créer une plus grande sécurité juridique en modifiant l'art. 6, al. 2, ­ ne pouvait pas être atteint. Or, dans le cadre de la révision totale de la loi sur l'énergie, le Parlement a décidé d'accorder un intérêt national à l'utilisation et au développement des énergies renouvelables et de l'inscrire à l'art. 12 LEne. Ainsi, en vertu de cet article, des installations destinées à utiliser les énergies renouvelables qui sont planifiées dans un objet figurant dans un inventaire au sens de l'art. 5 LPN et qui portent gravement atteinte à cet objet peuvent directement donner lieu à une pesée des intérêts détaillée. Dans ce contexte, la commission a, après avoir pris acte des résultats de la consultation, décidé de renoncer, à l'unanimité, à la modification proposée de l'art. 6, al. 2. La commission a adopté le projet d'acte en date du 22 octobre 2018 par 8 voix contre 2 et 2 abstentions.

Par ailleurs, la commission s'est également penchée, dans le cadre de la discussion par article relative au projet, sur la pétition 13.2034 «Protection du patrimoine suisse. Dissolution», conformément à l'art. 126, al. 2, LParl.

2

Présentation du projet

Cette modification doit améliorer la sécurité du droit, en particulier dans le cadre de la procédure d'autorisation de projets nécessitant de déroger à la règle suivant laquelle un objet d'importance nationale doit être conservé intact.

Le nouvel art. 7, al. 3, LPN ancre dans la loi la pratique actuelle selon laquelle les expertises de la CFNP et de la CFMH ne sont pas l'unique base de décision pour ces projets, mais une base parmi d'autres. L'importance des expertises est ainsi inscrite dans la loi.

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2.1

Art. 7 LPN

2.1.1

Droit en vigueur

L'art. 7 LPN prévoit qu'une expertise de la commission consultative compétente peut être établie en cas d'atteinte à un objet protégé d'importance nationale au sens de l'art. 5 LPN. Si l'accomplissement de la tâche de la Confédération risque d'altérer sensiblement l'objet protégé ou soulève des questions de fond, une expertise de la commission est requise en vertu de l'art. 7, al. 2, LPN.

L'expertise est établie à l'intention de l'autorité de décision fédérale ou cantonale.

Celle-ci, aussi appelée autorité unique, est compétente pour la pesée des intérêts au sens de l'art. 6, al. 2, LPN. Cette pesée des intérêts tient compte, outre de l'expertise, des documents concernant la demande, le projet et la planification, des avis des autorités spécialisées fédérales et cantonales concernées, des oppositions, ainsi que des propres investigations et considérations de l'autorité de décision.

2.1.2

Nouvelle disposition

L'art. 7 LPN doit être complété par un alinéa 3, formulé ainsi: «L'expertise constitue une des bases dont dispose l'autorité de décision pour procéder à la pesée de tous les intérêts en présence.» Les expertises de la CFNP et de la CFMH sont déjà une base parmi d'autres permettant la pesée correcte des intérêts de protection et d'utilisation par l'autorité de décision (cf. 2.1.1). L'ajout proposé à l'art. 7 LPN ancre explicitement cette pratique dans la loi, sans modifier les procédures et compétences actuelles.

Lors des débats faisant suite à la consultation, la commission a procédé à une adaptation linguistique de l'article, sans toutefois en modifier la teneur. Tenant compte du titre de l'art. 7 LPN («Expertise de la commission»), la nouvelle formulation permet d'éviter l'adresse à un destinataire différent, à savoir l'autorité de décision, et la référence à ce dernier («... qui [l'autorité de décision] l'inclura dans sa pesée de tous les intérêts en présence et l'appréciera»). L'art. 18, al. 1ter, LPN fait d'ailleurs également mention de «tous [les] intérêts pris en compte».

2.2

Consultation

L'avant-projet du 20 mars 2018 mis en consultation par la commission prévoyait, outre l'introduction d'un nouvel art. 7, al. 3, LPN, une modification de l'art. 6, al. 2.

Cet alinéa définissait à quelles conditions les autorités de décision compétentes pouvaient faire exception à la règle suivant laquelle un objet doit être conservé intact dans les conditions fixées par les inventaires fédéraux au sens de l'art. 5 LPN et procéder à une pesée des intérêts. Le droit en vigueur prévoit qu'une telle exception est possible si des intérêts équivalents ou supérieurs, d'importance nationale également, s'opposent à l'intérêt de protection d'importance nationale. La commission avait prévu de modifier cette disposition dans son avant-projet de manière à donner 351

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plus de poids aux intérêts des cantons lors de cette pesée. D'après la proposition de la commission, une dérogation à la règle selon laquelle un objet inscrit dans un inventaire fédéral au sens de l'art. 5, al. 1, LPN, mérite d'être conservé intact pouvait être envisagée lors de l'accomplissement d'une tâche par la Confédération, si des intérêts équivalents ou supérieurs de la Confédération ou des cantons s'opposaient à l'intérêt de protection d'importance nationale. Cette modification contribuait, d'après la majorité de la commission, à renforcer le rôle dévolu aux cantons, car elle permettait à l'avenir de mieux prendre en compte les intérêts cantonaux légitimes dans le cadre de la pesée des intérêts. De son côté, une minorité de la commission avait rejeté cet avant-projet en raison de la modification de l'art. 6, al. 2: elle craignait en effet que cette prise en compte des intérêts cantonaux n'ait pour effet de multiplier les atteintes subies par les objets inscrits à l'inventaire. En outre, cette minorité estimait que, s'il fallait tenir compte non seulement des intérêts de la Confédération, mais aussi de ceux des cantons, l'examen des projets serait plus exigeant et plus complexe. Les avis de la majorité de la commission comme de la minorité trouvent un écho dans ceux exprimés lors de la procédure de consultation; ainsi, la modification de l'art. 6, al. 2, y est en particulier contestée et ne rallie les suffrages que de la moitié des cantons. Les participants favorables à cette modification ont salué la marge de manoeuvre plus étendue accordée aux cantons, soulignant qu'elle permettrait une meilleure pondération des intérêts de la Confédération et des cantons. Les opposants à la modification ont, quant à eux, insisté sur le flou entourant les notions juridiques utilisées dans cette disposition et ont dénoncé le fait que, selon eux, la modification entraînerait un traitement égal de différents échelons de l'État fédéral. Ils ont également exprimé des craintes quant à l'insécurité juridique qui pourrait accompagner la mise en oeuvre de cet article.

Lors de l'examen des résultats de la consultation, la commission a constaté que ce dernier point allait à l'encontre de l'objectif premier de la modification de la LPN, qui était de garantir la sécurité juridique. Afin de planifier les prochaines
étapes du projet, elle a entendu, le 22 octobre 2018, des représentants de la Conférence suisse des directeurs cantonaux des travaux publics, de l'aménagement du territoire et de l'environnement (DTAP). La DTAP a renoncé à rendre un avis détaillé en renvoyant aux avis très disparates exprimés par les cantons sur ce projet. Elle a insisté sur le fait que l'initiative touchait à un problème qui concerne nombre de cantons et souligné l'importance de la discussion soulevée par l'initiative elle-même et par les travaux préparatoires de la CEATE-E. La DTAP est d'avis, comme certains participants à la consultation, qu'il serait opportun d'examiner la question de façon plus large dans le cadre de la 2e étape de la révision de la loi sur l'aménagement du territoire (LAT 2). Après un examen approfondi des résultats de la consultation et en tenant compte de l'avis de la DTAP, la commission a finalement décidé de renoncer à la modification de l'art. 6, al. 2. Le projet de modification de la LPN ne porte désormais plus que sur l'art. 7, al. 3, lequel permet d'inscrire la pratique actuelle dans la loi et contribue à renforcer la sécurité juridique.

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Commentaire des dispositions

3.1

Art. 7, al. 3

Le devoir d'expertise de la CFNP et de la CFMH dépend d'une part de la présence d'une tâche de la Confédération au sens de l'art. 78, al. 2, Cst., et d'autre part de la possibilité que l'objet protégé soit sensiblement altéré ou que des questions de fond soient soulevées (art. 7, al. 2, LPN). L'expertise obligatoire garantit la prise en considération des intérêts de la nature et du paysage par un organe spécialisé indépendant lors de l'évaluation d'un projet, ainsi que l'existence de documents fiables destinés aux instances compétentes (Leimbacher, in: Keller/Zufferey/ Fahrländer, Commentaire, Zurich 1997, art. 7 LPN, no 13). Aujourd'hui, l'expertise ne constitue que l'une des bases permettant la pesée correcte des intérêts de protection et d'utilisation par l'autorité de décision (cf. 2.2.1). La modification proposée ancre explicitement cette pratique dans la loi. L'autorité de décision apprécie librement les différents éléments de preuve dont elle dispose, selon sa conviction, sans être liée par des prescriptions rigides. Elle doit tenir compte de l'expertise et apporter une justification suffisante si elle s'en écarte. Ainsi, la nouvelle disposition ne constitue que l'inscription de la pratique usuelle dans la loi, ce qui était déjà l'objectif visé par la motion 12.3069 «Expertises de la Commission fédérale pour la protection de la nature et du paysage». Dans son avis, le Conseil fédéral s'était déclaré favorable à ce que la loi soit précisée en ce sens.

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Conséquences

L'inscription d'un objet d'importance nationale dans un inventaire fédéral au sens de l'art. 5 LPN indique que l'objet mérite «spécialement» d'être conservé intact (art. 6, al. 1, LPN). Dans le développement de l'initiative, il est indiqué que la procédure d'autorisation qui s'appliquerait immanquablement en cas de dérogation à ce principe aurait pour conséquence de freiner la procédure, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables. Les membres de la commission sont unanimes à considérer que le Parlement a déjà tenu compte de cet état de fait dans l'art. 12 LEne et les art. 8 et 9 OEne.

La modification apportée à l'art. 7, al. 3, concernant l'importance que revêtent la CFNP et la CFMH en matière de procédure contribue à la sécurité juridique et permet d'inscrire la pratique actuelle dans la loi.

4.1

Conséquences financières et conséquences sur l'état du personnel

La modification de loi n'entraînera aucune conséquence financière directe pour la Confédération, les cantons et les communes.

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4.2

Mise en oeuvre

La réglementation proposée va permettre d'inscrire la pratique actuelle dans la loi.

5

Comparaison avec le droit européen

Dans ce domaine, aucune conséquence ne résultera de cette modification.

6

Bases légales

6.1

Constitutionnalité et légalité

Le projet repose sur l'art. 78, al. 2, Cst., qui charge la Confédération, dans l'accomplissement de ses tâches, de prendre en considération les objectifs de la protection de la nature et du patrimoine. Elle doit d'une part ménager les paysages, la physionomie des localités, les sites historiques et les monuments naturels et culturels, et d'autre part les conserver dans leur intégralité si l'intérêt public l'exige. Le nouvel art. 7, al. 3, LPN, qui permet d'inscrire la pratique actuelle dans la loi, est conforme à cette disposition constitutionnelle.

6.2

Délégation de compétences législatives

La modification de loi proposée n'engendre aucune délégation de compétence du Conseil fédéral ou d'autres instances en vue d'édicter une ordonnance supplétive.

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