Le droit à l'information de la Commission de gestion du Conseil national en rapport avec l'arrêt rendu le 18 décembre 2007 par la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral Constat en matière de haute surveillance de la Commission de gestion du Conseil national à l'attention du Tribunal pénal fédéral du 24 juin 2008

Monsieur le Président du Tribunal pénal fédéral, Mesdames et Messieurs les Juges,

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Généralités

Dans son arrêt en matière de surveillance du 18 décembre 2007 (AU.2007.1_A), la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral concluait que le Ministère public de la Confédération (MPC) avait objectivement violé le secret de l'instruction en présentant et en transmettant à la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) des documents relatifs à une enquête de police judiciaire. Elle fondait cette décision directement sur les droits et les obligations impartis aux organes chargés de la haute surveillance (cf. ch. 3.3 de l'arrêt). Il ressort de cet arrêt que son interprétation du droit à l'information des Commissions de gestion (CdG) diffère, sur plusieurs points importants, non seulement des dispositions légales existantes mais également de la pratique adoptée jusqu'ici par les CdG. La décision de la Cour pouvant avoir des conséquences imprévisibles pour le bon fonctionnement de la haute surveillance, la CdG-N a considéré qu'il était nécessaire de clarifier le droit en vigueur. Elle a par conséquent décidé de soumettre la question des rapports entre droit à l'information des CdG et secret de l'instruction à un examen approfondi et a, pour ce faire, soumis les points controversés à l'expertise juridique de Monsieur Giovanni Biaggini, professeur de droit public, de droit administratif et de droit européen à l'Université de Zurich1 et de M. Niklaus Oberholzer, docteur en droit et président du Tribunal cantonal de St-Gall2.

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Avis de droit du prof. Giovanni Biaggini «Informationsrechte der Geschäftsprüfungskommissionen der Eidgenössischen Räte im Bereich der Strafverfolgung aus verfassungsmässiger Sicht», du 5 juin 2008.

Avis de droit du Dr. Niklaus Oberholzer «Informationsrechte der Geschäftsprüfungskommissionen der Eidgenössischen Räte im Bereich der Strafverfolgung aus strafprozessualer Sicht», du 5 juin 2008.

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Rappel des faits

Par lettre du 25 juillet 2007, le suppléant du procureur général de la Confédération a informé la CdG-N du fait que le Ministère public avait reçu, dans le cadre d'une enquête et au titre de l'entraide judiciaire, des documents provenant d'Allemagne qui pourraient l'intéresser dans son enquête sur le fonctionnement des autorités de poursuite pénale. Une première information à l'ancien président de la CdG-N et à l'ancienne présidente de la sous-commission DFJP/ChF sur certains de ces documents provenant d'Allemagne a eu lieu le 8 août 2007 par les représentants du Ministère public. A la demande de la CdG-N, les représentants du Ministère public ont présenté une seconde fois, le 14 août, ces documents, cette fois-ci à la souscommission chargée du dossier, sans toutefois les mettre à la disposition de la souscommission.

Suite à cette présentation, la sous-commission a estimé que les documents pouvaient apporter des éléments intéressants pour l'exercice de la haute surveillance; le 5 septembre 2007, elle a donc proposé à la CdG-N d'ouvrir une enquête complémentaire faisant suite à l'examen du fonctionnement des autorités de poursuite pénale qui prenait fin, le jour même, avec la remise d'un rapport. La CdG-N a approuvé cette proposition et a annoncé l'ouverture de cette enquête lors de sa conférence de presse. L'enquête complémentaire est encore en cours.

Le 21 septembre 2007, le Ministère public a transmis à la sous-commission, sur demande écrite, les documents concernés ­ connus désormais sous le terme de «documents Holenweger» ­ sous pli scellé, en précisant expressément que ces derniers ne devaient être utilisés par la CdG-N qu'avec l'accord des autorités allemandes.

Par lettre du 26 septembre 2007, le chef du Département fédéral de justice et police (DFJP) a soumis deux questions à l'avis de la Ire Cour des plaintes, lui demandant, d'une part, d'indiquer si le Ministère public était habilité à offrir à la sous-commission l'accès aux documents concernant une enquête judiciaire et, d'autre part, de déterminer l'organe de surveillance compétent pour trancher la question. La Ire Cour des plaintes a traité ce courrier comme requête à l'autorité de surveillance et s'est déclarée compétente en la matière dans son arrêt du 24 octobre 2007.

Elle a ensuite soumis cet arrêt pour avis à la CdG-N, en y
joignant la prise de position du Ministère public de la Confédération (MPC). Dans son avis du 23 novembre 2007, la CdG-N a confirmé que les faits s'étaient bien déroulés comme exposé par le MPC. Elle a par ailleurs explicité les modalités d'application de son droit à l'information en concluant que le MPC avait agi conformément au droit en l'informant de l'existence des documents Holenweger.

Dans son arrêt du 18 décembre 2007 (AU.2007.1_A), la Ire Cour des plaintes détaille très précisément ce qu'elle considère être les modalités d'application du droit d'information de la CdG-N: il apparaît ainsi que sa conception du droit à l'information des CdG est éloignée, sur plusieurs points importants, de celle exposée par la CdG-N dans son avis du 23 novembre 2007. L'interprétation que donne la Cour de ce droit l'amène ainsi à conclure que le MPC a objectivement violé le secret de l'instruction en présentant et en transmettant des documents relatifs à une enquête de police judiciaire à la CdG-N.

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Constatations

3.1

Concernant le droit à l'information des CdG en général

Ayant pris connaissance des avis de droit rendus par MM. Biaggini et Oberholzer le 5 juin 2008 et procédé au réexamen de son interprétation et de sa pratique du droit à l'information, la CdG-N constate ce qui suit: 1.

Les deux avis de droit confirment le bien-fondé de la pratique de la CdG-N pour ce qui est de l'interprétation et de l'application de son droit à l'information. La CdG-N a toutefois l'intention de poursuivre les discussions afin de préciser et de clarifier sa pratique dans certains domaines.

2.

En plus du droit général à l'information des commissions prévu à l'art. 150, LParl, les CdG ont le droit d'interroger directement tous services, toutes autorités ou personnes assumant des tâches pour le compte de la Confédération et d'obtenir qu'ils leur remettent tous documents dont elles ont besoin (art. 153, al. 1, LParl). A l'inverse des autres commissions, elles n'ont pas l'obligation d'obtenir l'accord du Conseil fédéral pour interroger des personnes employées par la Confédération: elles doivent seulement l'informer de leur intention avant de procéder à l'audition. Si le Conseil fédéral en fait la demande, elles l'entendent avant que la personne leur fournisse des renseignements ou des documents (art. 153, al. 3, LParl).

3.

Le droit à l'information accordé par la loi aux CdG est quasiment illimité, si ce n'est, selon l'art. 150 LParl, qu'elles ne peuvent consulter ni les documents sur lesquels le Conseil fédéral s'est directement fondé pour prendre une décision, ni les documents qui doivent rester secrets pour des raisons relevant de la sécurité de l'Etat ou du renseignement (art. 153, al. 5, LParl).

En effet, seule la DélCdG a le droit de consulter ce type de documents (art. 154 LParl). En outre, les CdG n'ont le droit d'accéder à des informations ou à des documents que dans la mesure où elles en ont «besoin» (art. 153, al. 1, LParl) et l'exercice de leurs attributions l'exige (art. 150, al. 1, LParl).

4.

Les CdG décident seules de l'objet sur lequel portera leur enquête et établissent seules le caractère nécessaire, pertinent et utile des informations ou des documents qu'elles requièrent. Le Conseil fédéral peut uniquement demander à être entendu: il ne dispose pas du droit de veto. En cas de divergences d'opinion concernant le droit à consulter certains documents ainsi que l'étendue des informations fournies ou l'importance des dossiers transmis, c'est aux CdG qu'il revient de statuer définitivement sur l'exercice de leur droit à l'information (art. 153, al. 4, LParl).

5.

Lorsque les CdG exercent leur droit à l'information, elles mettent en balance les impératifs inscrits dans la Constitution en matière de maintien du secret et la nécessité d'assurer l'efficacité de la haute surveillance. Dans ce contexte, elles tiennent compte de plusieurs facteurs, dont notamment la compétence et le fonctionnement d'autres organes, les impératifs liés à la sécurité de l'Etat et à la protection des libertés individuelles, ainsi que les circonstances particulières de chaque affaire.

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6.

En tout état de cause, le champ d'application du droit à l'information des CdG s'étend également aux données recueillies dans le cadre de recherches menées par les autorités fédérales de poursuite pénale. Le droit à l'information des CdG n'est pas limité par l'art. 102quater PPF.

7.

Lorsque les CdG exercent leur droit à l'information dans le domaine de la poursuite pénale et de la justice, elles mettent en balance les impératifs inscrits dans la Constitution en matière de maintien du secret et la nécessité d'assurer l'efficacité de la haute surveillance. Dans ce contexte, elles tiennent compte de plusieurs facteurs, dont notamment l'intérêt de la procédure pénale et du fonctionnement des autorités qui la conduisent, ainsi que les droits de la personnalité du prévenu, des victimes et des tiers. Si des autorités judiciaires sont concernées par une investigation des CdG, celles-ci prennent soin de ne pas porter atteinte à leur indépendance. A noter qu'elles procèdent à cet examen au cas par cas, en prenant en considération les circonstances particulières de chaque affaire, l'objet et le but de l'enquête ainsi que le type d'information visé.

8.

Lorsque, au terme d'une enquête sur une affaire relevant de la procédure pénale ou de la justice, les CdG informent le public de leurs conclusions, elles tiennent compte des enjeux particuliers en la matière et du caractère éminemment sensible que revêtent ces informations. Ces précautions spécifiques ne sont néanmoins pas de nature à restreindre le droit à l'information dont les CdG jouissent aux termes de la loi.

9.

Le secret de fonction ne peut être opposé au droit à l'information des CdG.

En effet, la LParl prévoit que les personnes assumant des tâches pour le compte de la Confédération sont tenues de fournir à la CdG tous les renseignements et documents dont celles-ci ont besoin, sans devoir solliciter d'autorisation particulière de la part de leurs supérieurs ou être libérées du secret de fonction. A noter que ces personnes ne violent pas plus le secret de fonction si elles proposent ou fournissent aux CdG des informations ou des documents qu'elles jugent utiles à l'exercice de leur mandat de haute surveillance.

10. Le secret de l'instruction, qui est la forme de secret de fonction propre à la poursuite pénale, ne peut pas non plus être opposé au droit à l'information des CdG, pas plus qu'il ne le restreint.

11. Aux termes de l'art. 156, al. 1, LParl, «toute personne au service de la Confédération est tenue de donner des renseignements complets et véridiques et de donner toutes les références aux documents utiles». L'al. 3 de ce même article précise en outre qu'«il est interdit de [lui] faire subir un quelconque préjudice [...] en raison d'une déposition véridique qu'elle a faite devant une commission. Celle-ci est entendue avant qu'une procédure soit engagée contre la personne concernée en raison d'une telle déposition». De plus, l'ensemble des autorités et des offices fédéraux ont l'obligation d'accorder l'entraide administrative et judiciaire pour toutes les procédures, qu'elles soient en cours d'instruction ou déjà achevées.

12. Les CdG jouissent d'un droit étendu à l'information; en contrepartie, ses membres sont tenus au secret de fonction, comme le précise l'art. 8 LParl.

Par conséquent, les CdG «prennent toutes mesures appropriées pour garantir le maintien du secret» (art.150, al. 3 et art. 153, al. 5, LParl).

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3.2

Constatations concernant le droit à l'information des CdG en relation avec l'arrêt de la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 18 décembre 2007 (AU.2007.1_A)

Après examen de l'arrêt en matière de surveillance de la Ire Cour des plaintes du Tribunal fédéral pénal en date du 18 décembre 2007, la CdG-N constate ce qui suit: 1.

L'interprétation que la Ire Cour des plaintes fait du droit à l'information des CdG n'est pas contraignante ni pour les CdG, ni pour une quelconque autre autorité; c'est en effet aux CdG elles-mêmes qu'il appartient de statuer définitivement sur l'existence, les limites et l'exercice de leur droit à l'information.

2.

La Ire Cour des plaintes s'est estimée compétente pour entamer, de son propre chef et sans obligation aucune, une procédure visant à arrêter si le Ministère public de la Confédération était autorisé à transmettre à la CdG-N des informations issues d'une enquête en cours, alors même que la CdG-N lui avait adressé en date du 23 novembre 2007 un courrier lui rappelant la teneur dépourvue d'ambiguïté de l'art. 153, al. 4, LParl, qui prévoit que «les commissions de surveillance statuent définitivement sur l'exercice de leur droit à l'information». En rendant ses arrêts du 24 octobre et du 18 décembre 2007, la Cour a outrepassé ses compétences de manière grave et inacceptable.

3.

Indépendamment du fait qu'en tout état de cause, le Tribunal pénal fédéral n'est pas compétent pour juger de l'étendue du droit à l'information des CdG, l'interprétation que la Ire Cour des plaintes en fait est fausse à plusieurs égards, comme le prouvent les présentes constatations (voir ch. 3.1). Il est notamment faux d'affirmer que les CdG n'ont pas le droit d'accéder aux données recueillies dans le cadre d'une enquête judiciaire pénale en cours.

4.

Comme la CdG-N l'a déjà exposé dans son courrier du 23 novembre 2007, le Ministère public de la Confédération avait le droit ­ pour ne pas dire l'obligation ­ de signaler à son autorité de haute surveillance l'existence de documents en lien manifeste avec l'examen qu'elle menait alors et qui étaient utiles à l'exercice de son mandat de haute surveillance parlementaire.

Il faut par ailleurs souligner que lors du premier contact entre la CdG-N et le Ministère public de la Confédération dans le cadre de cette affaire, ce dernier n'a donné accès qu'à certains documents et sur demande expresse, et en insistant sur la réserve formulée par les autorités allemandes. Rappelons en outre que l'intérêt des CdG, loin de porter sur l'enquête elle-même, entrait dans le cadre de ses attributions en matière de haute surveillance. De plus, lorsque les documents ont été présentés à la CdG-N, aucune information déterminante pour l'instruction du Ministère public de la Confédération n'a été divulguée. Aussi, s'il est regrettable que l'audition du MPC ait été entachée de certaines fuites, le Ministère public de la Confédération ne saurait en être tenu pour responsable. La protection du secret incombe aux CdG.

5.

La Ire Cour des plaintes a développé son interprétation erronée dans un arrêt qui a été rendu public. En conséquence, les autorités de poursuite pénale, qui sont soumises à sa surveillance matérielle, n'autorisent-elles plus, pour des raisons évidentes, les CdG à consulter des documents relatifs à une enquête 3659

en cours, alors même que celles-ci en auraient besoin pour leurs investigations. Dans ce domaine, cela entrave gravement l'exercice d'une haute surveillance parlementaire pourtant inscrite dans la Constitution elle-même.

6.

Enfin, la Ire Cour des plaintes a ouvert une procédure de surveillance à la demande du chef du DFJP de l'époque sans entendre préalablement la CdG-N, alors même que la commission avait expressément attiré l'attention de la Cour dans son courrier du 23 novembre 2007 sur cette obligation inscrite à l'art. 156, al. 3, LParl. Qu'il s'agisse là d'une procédure de surveillance et non d'une procédure pénale ou disciplinaire n'est pas pertinent en l'occurrence. L'élément déterminant est que cette procédure était de nature à porter préjudice au Ministère public de la Confédération et à ses agents, alors que ceux-ci n'avaient fait que leur devoir en informant la CdG-N.

L'arrêt de la Ire Cour des plaintes a d'ailleurs effectivement entraîné le dépôt d'une plainte pénale par un particulier. Soulignons ici que le procureur fédéral extraordinaire nommé par le Conseil fédéral pour déterminer s'il y avait eu violation du secret de fonction a entre-temps classé l'affaire, car elle n'a décelé aucun comportement fautif de la part des collaborateurs du Ministère public de la Confédération.

4

Suite des travaux

La CdG-N a décidé de publier le présent constat en matière de haute surveillance ainsi que les avis de droit des deux experts.

De plus, la CdG-N a mandaté sa sous-commission «Tribunaux» de trouver, d'entente avec le Tribunal fédéral en tant qu'autorité de surveillance administrative du Tribunal pénal fédéral, le Tribunal pénal fédéral en tant qu'autorité de surveillance technique ainsi que le Conseil fédéral en tant qu'autorité de surveillance administrative du Ministère public de la Confédération, une procédure qui soit conforme à la situation juridique clarifiée et qui garantisse qu'à l'avenir les CdG puissent par l'exercice de leurs droits d'information remplir leur mandat constitutionnel de la haute surveillance.

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président du Tribunal pénal fédéral, Mesdames et Messieurs les Juges, l'expression de notre haute considération.

24 juin 2008

Au nom de la Commission de gestion du Conseil national: Le président, Pierre-François Veillon, Conseiller national La secrétaire, Beatrice Meli Andres

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Liste des abréviations CdG CdG-N ChF DFJP LParl MPC

Commissions de gestion Commission de gestion du Conseil national Chancellerie fédérale Département fédéral de justice et police Loi du 13 décembre 2002 sur l'Assemblée fédérale (loi sur le Parlement; RS 171.10) Ministère public de la Confédération

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