Aide humanitaire de la Direction du développement et de la coopération (DDC) au Sri Lanka après le tsunami Constats et recommandation de la CdG-E Rapport de la Commission de gestion du Conseil des Etats à l'attention du Conseil fédéral du 24 octobre 2008

Monsieur le Président de la Confédération, Mesdames et Messieurs les Conseillers fédéraux,

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Introduction

Au début de l'année 2007, la Commission de gestion du Conseil des Etats (CdG-E) a été saisie d'une requête à l'autorité de haute surveillance formulant plusieurs critiques à l'encontre de la gestion de deux programmes d'aide humanitaire mis en oeuvre par la Direction du développement et de la coopération (DDC) au Sri Lanka après le tsunami du 26 décembre 2004. Plusieurs autres personnes se sont par la suite adressées à la commission pour lui faire part de reproches similaires. En outre, des critiques sévères à l'encontre de ces programmes ont également été publiées dans la presse au cours de l'été 2007, en particulier dans la revue hebdomadaire «die Weltwoche».

Les deux programmes concernés sont les suivants: ­

Programme de reconstruction des écoles dans le district de Matara (ci-après programme des écoles), mis en oeuvre par la DDC;

­

Programme de reconstruction de maisons individuelles intitulé «Cash for Repair and Reconstruction» (ci-après programme CfRR), mis en oeuvre par un consortium suisse composé de la DDC, de la Croix-Rouge suisse, de l'Entraide Protestante Suisse et de la Chaîne du Bonheur.

Les principaux reproches qui ont été rapportés à la commission sont les suivants: mauvaise gestion des moyens financiers à disposition, manquements dans la conduite exercée par les responsables de la DDC à Berne et, dans le cas du programme des écoles, rupture des engagements pris envers le gouvernement du Sri Lanka.

Au vu de la gravité des accusations formulées et des enjeux en termes de crédibilité de l'aide humanitaire suisse dans son ensemble, la CdG-E a décidé au cours de sa séance du 22 août 2007 d'ouvrir une enquête sur la gestion de ces deux programmes.

La gestion financière des programmes concernés et la conduite de ces programmes par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ont été analysées sous l'angle de la haute surveillance parlementaire. Pour mener cet examen, la commission a eu recours aux moyens suivants: analyse de documents, auditions de représentants de l'aide humanitaire de la DDC et de personnes externes à l'administration

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fédérale et dépôt d'une demande d'examen auprès de la Délégation des Finances (DélFin).

La haute surveillance parlementaire a pour tâche principale de porter un jugement sur la manière générale dont les autorités exécutives remplissent leur mandat et de formuler des recommandations pour le futur. Conformément à leurs principes d'action, les Commissions de gestion s'intéressent aux cas particuliers pour autant qu'ils renvoient à une problématique générale. L'objectif de l'enquête de la CdG-E n'était pas de statuer sur des questions opérationnelles ou de chercher à infirmer ou confirmer les dires des différents acteurs de ce dossier, mais de partir de ce cas d'espèce pour déterminer si des dysfonctionnements systématiques ont eu lieu et réfléchir aux mesures d'améliorations à prendre pour que la mise en oeuvre de ce type de projets puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles.

Il convient encore de préciser que la commission n'exerce pas de contrôle sur les activités des organisations d'entraide privées membres du consortium suisse en charge du programme CfRR. Les informations les concernant n'ont été prises en compte que dans la mesure où elles permettaient de mieux comprendre le travail effectué par la DDC.

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Conclusions de la CdG-E

2.1

Aspects financiers

Par lettre du 3 décembre 2007, la CdG-E a demandé à la DélFin de donner mandat au Contrôle fédéral des finances (CDF) d'examiner si, dans le cadre des deux programmes concernés, les ressources financières mises à disposition ont été gérées et allouées de manière appropriée. La DDC ayant elle-même déjà mandaté plusieurs expertises, la DélFin a décidé, lors de sa séance du 11 janvier 2008, de donner mandat au CDF d'examiner dans un premier temps ­ dans le sens d'une «second opinion» ­ la qualité des expertises existantes et de déterminer sur cette base la nécessité d'entreprendre des investigations supplémentaires.

Dans son rapport du 28 août 2008, le CDF arrive à la conclusion que les documents à disposition ne contiennent pas d'indices de manquements manifestes dans la gestion financière des projets concernés. Seul un examen sur place permettrait cependant de répondre à la question de savoir si les ressources financières investies ont été utilisées de manière efficiente. Au vu de l'absence de manquements manifestes, des difficultés inhérentes à un tel examen et de l'incertitude quant au fait que ce dernier amènerait de nouvelles informations importantes, le CDF considère un examen supplémentaire sur place comme disproportionné.

Parmi les documents examinés par le CDF figurait la synthèse de l'audit du programme CfRR réalisé par la firme KPMG SA1 sur mandat de la Chaîne du Bonheur.

L'objectif principal de cet audit était de vérifier que l'argent ait été correctement transféré depuis la Suisse jusqu'aux bénéficiaires du Sri Lanka.

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KPMG SA (18 février 2008), Synthèse. Audit du programme «Cash for Repair and Reconstruction» (CfRR) au Sri Lanka. Etat au 31 janvier 2008. Disponible sur le site internet de la DDC: http://www.sdc.admin.ch/en/Dossiers/Humanitarian_Aid_out_on_mission/ressources/ resource_fr_167366.pdf

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La CdG-E a pris acte avec satisfaction des conclusions de l'audit de KPMG selon lesquelles les transferts financiers ont bel et bien été effectués correctement. Elle a également pris note du fait que le CDF arrive pour sa part à la conclusion que rien ne laisse supposer que l'examen de KPMG n'ait pas été réalisé de manière professionnelle.

Bien que n'étant pas une analyse d'impact à proprement parler, l'audit de KPMG avait aussi pour objectif, outre la vérification des flux financiers, d'évaluer la gestion globale du programme CfRR. L'auteur de cet audit arrive à cet égard à la conclusion que le consortium suisse a su affecter les fonds financiers de manière optimale, surtout si l'on compare ses résultats à ceux atteints par d'autres organisations ayant mis en oeuvre des projets similaires dans des conditions identiques.

Au vu de ce qui précède, la CdG-E partage l'avis du CDF selon lequel un examen supplémentaire sur place serait disproportionné.

2.2

Aspects liés à la gestion

Sur la base des travaux effectués, la CdG-E ne dispose pas d'éléments attestant de manquements sévères et systématiques dans la gestion de ces deux programmes par le DFAE.

Malgré ce constat, la commission est d'avis qu'un potentiel d'amélioration existe dans plusieurs domaines:

2.2.1

Structures de conduite et communication

Le programme des écoles a été mis en oeuvre par la DDC à travers une structure décentralisée composée de trois niveaux: les bureaux de terrain à Matara et à Jaffna, le bureau de coopération à Colombo et ce qui est communément appelé la «Centrale» à Berne2. A ces trois niveaux viennent s'ajouter, dans le cas du programme CfRR mis en oeuvre par le consortium suisse, une répartition horizontale des compétences entre la DDC, la Croix-Rouge suisse, l'EPER et la Chaîne du Bonheur.

Plusieurs personnes ayant travaillé au Sri Lanka dans le cadre de ces projets ont exprimé des critiques concernant la conduite exercée sur ces projets depuis les bureaux de la Centrale de la DDC à Berne.

Il n'appartient pas à une autorité de haute surveillance de statuer sur d'éventuels conflits de personne ou de vérifier par exemple si un collaborateur de terrain a oui ou non reçu des réponses dans des délais raisonnables aux courriels envoyés à Berne.

Il est en revanche du ressort de la CdG-E de réfléchir à des mesures permettant de garantir qu'une bonne conduite et une bonne communication soient assurées dans le domaine de l'aide humanitaire de la DDC y compris dans des conditions de travail difficiles comme celles de la reconstruction post-tsunami (très nombreux acteurs

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Les compétences sont réparties à Berne entre le Desk Sri Lanka, le «Backstopping Fachgruppe BAU (SKH)», la Section Asie/Amérique, le Domaine de l'aide humanitaire + CSA et, enfin, la direction de la DDC.

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présents sur place, changements dans les directives données par le gouvernement du Sri Lanka en particulier s'agissant de la délimitation des zones constructibles, etc).

En ce qui concerne le programme CfRR, si la CdG-E reconnaît les avantages d'un projet mené en consortium avec des organisations d'entraide privées, notamment en termes de mise en commun des ressources et du savoir-faire, elle relève que ce type de construction présente aussi le risque de complexifier les structures de conduite.

A l'issue de ses travaux, force est pour la commission de constater que, si les problèmes ne se situent pas au niveau des structures de conduite en elles-mêmes, ils se situent en revanche au niveau de la communication entre les différents niveaux de l'organisation définie par la DDC pour mettre en oeuvre ces projets. Il semble en particulier que la répartition des compétences réciproques entre les différents niveaux n'ait pas été suffisamment claire dès le départ pour l'ensemble des collaborateurs de terrain.

La CdG-E tient à souligner qu'elle est par ailleurs consciente qu'outre les structures de conduite et la communication entre les différents niveaux, d'autres facteurs influencent également la bonne marche des projets, en particulier la responsabilité personnelle des collaborateurs.

Recommandation La CdG-E demande au Conseil fédéral de veiller à ce que les mesures nécessaires soient prises afin de garantir que lors de la mise en oeuvre de tels projets les structures de conduite et la répartition des compétences réciproques entre les différents niveaux structurels soient clairement définies dès le départ et communiquées de manière adéquate à l'ensemble des acteurs concernés.

2.2.2

Programme des écoles: procédures de transfert de projets à des partenaires

Le 10 mars 2005, le gouvernement suisse et le gouvernement sri-lankais ont signé un Memorandum of Understanding (MoU) par lequel la Suisse s'engageait à fournir une assistance financière et technique en vue de la reconstruction et/ou de la réhabilitation de sept écoles dans le district de Matara et d'une école dans le district de Jaffna. La reconstruction prévue dans le district de Jaffna ayant été provisoirement interrompue en raison de la dégradation de la situation sécuritaire dans le Nord du pays, la DDC a décidé de porter à huit le nombre d'écoles à reconstruire dans le district de Matara.

Plusieurs critiques ont été émises à l'encontre de la gestion de ce programme, la plus grave étant celle accusant la DDC d'avoir rompu les engagements pris envers le gouvernement du Sri Lanka.

Pour la CdG-E, l'essentiel réside dans le fait que les écoles soient effectivement construites et puissent accueillir les écoliers sri-lankais, de manière à ce que les engagements pris soient respectés. Afin de s'assurer de cela, la sous-commission compétente a demandé à recevoir régulièrement les rapports intermédiaires attestant de l'avancée des travaux et de l'état de réalisation de ces écoles.

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Sur les huit écoles prévues, deux sont placées depuis janvier 2006 sous la responsabilité de l'EPER et deux autres sont placées depuis février 2007 sous la responsabilité de l'UNICEF.

La commission peut souscrire aux raisons ayant amené la DDC à décider de ne pas reconstruire elle-même les huit écoles inscrites dans le MoU. En particulier, le délégué à l'aide humanitaire de la DDC a expliqué de manière convaincante à la commission qu'au vu des nombreuses ONG présentes au Sud du Sri Lanka et des fonds importants dont disposait l'UNICEF ­ fonds qui doivent obligatoirement être alloués à la construction d'écoles au Sri Lanka ­, la DDC a préféré chercher des partenaires pour le projet de Matara et réaffecter ses ressources là où les besoins étaient jugés les plus importants, notamment dans la province de Jaffna (Nord du Sri Lanka) et au Pakistan (victime d'un important tremblement de terre en novembre 2005).

La CdG-E constate avec satisfaction que les quatre écoles construites par la DDC sont maintenant terminées et ont été remises aux autorités scolaires sri-lankaises.

Elle a également pris note de la reprise des travaux dans le district de Jaffna après plus d'une année d'interruption.

Le transfert de deux écoles à l'EPER s'est déroulé de manière appropriée. De l'avis même du délégué à l'aide humanitaire de la DDC, le transfert des deux dernières écoles à l'UNICEF ne s'est en revanche pas déroulé de manière optimale.

Ces deux écoles ont en effet été rétrocédées au gouvernement du Sri Lanka avant que la DDC ne dispose d'une confirmation formelle de la part de l'agence onusienne certifiant que celle-ci reprendrait le projet de reconstruction de ces écoles sous sa responsabilité. Suite à des discussions informelles, la DDC disposait certes d'indices sérieux lui laissant supposer que l'UNICEF était disposé à apporter son soutien financier et technique à ce projet; aux yeux de la commission, cela n'est toutefois pas suffisant.

Dans la mesure où la commission a pu s'assurer que le délégué à l'aide humanitaire de la DDC a pleinement conscience de l'erreur qui s'était produite et qu'en outre aucun indice ne laisse penser que ce cas isolé renverrait à un dysfonctionnement d'ordre général, la CdG-E renonce à émettre une recommandation à ce sujet. Elle attend toutefois du DFAE qu'une attention particulière
soit apportée à ce sujet afin de garantir qu'à l'avenir la Suisse ne se retire pas d'un projet prévu dans le cadre d'un MoU signé avec un gouvernement étranger avant de disposer d'un engagement formel de la part d'un partenaire fiable assurant que ce dernier reprendra ledit projet sous sa responsabilité.

2.2.3

Evaluation et contrôle des projets

Par lettre du 28 avril 2008, la CdG-E a demandé à la cheffe du DFAE de lui indiquer quelles démarches ont été entreprises au sein du département pour vérifier la pertinence des critiques émises à l'égard de ces programmes et de lui présenter une liste des évaluations et audits effectués sur ceux-ci.

Après examen de la réponse de la cheffe du DFAE du 16 juin 2008, la CdG-E constate avec satisfaction que les deux projets ont fait l'objet de plusieurs évaluations et audits, réalisés à la demande du DFAE ou d'une organisation partenaire.

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La commission salue la démarche du consortium suisse de faire faire une évaluation externe du programme CfRR3 encore durant sa réalisation, ceci afin de pouvoir tenir compte des recommandations émises avant la fin du projet et adapter celui-ci en conséquence. Elle a pris note du fait qu'une évaluation externe finale était prévue.

L'évaluation intermédiaire de novembre 2006 arrivant notamment à la conclusion que «the relative success of the project does not mean that there were not serious concerns and drawbacks in its implementation and areas where more could perhaps have been done to add to its impact»4, la commission prie le DFAE de bien vouloir lui transmettre l'évaluation finale dès que celle-ci sera disponible et de lui indiquer à cette occasion de quelle manière les recommandations contenues dans le rapport intermédiaire ont été prises en compte durant la réalisation du projet. La commission se félicite de ce que le DFAE ait publié l'évaluation intermédiaire et attend du département qu'il en fasse de même avec l'évaluation finale.

Dans sa réponse du 16 juin 2008, la cheffe du DFAE a aussi attiré l'attention de la commission sur le déplacement des unités organisationnelles «audit interne» et «évaluation et controlling» de la DDC au sein du secrétariat général du DFAE dans le cadre de la réorganisation en cours de la DDC.

La cheffe du DFAE a précisé que cette mesure, qui vise à mieux garantir et mieux rendre visible l'indépendance de ces instances de contrôle, n'a pas de lien direct avec les reproches formulés à l'encontre des programmes de reconstruction posttsunami.

De l'avis de la commission, cette mesure s'inscrit en revanche dans la thématique plus large des procédures de contrôle mises en place pour s'assurer de la qualité des projets.

Cette thématique intéresse grandement la CdG-E. La commission a décidé de s'entretenir l'année prochaine avec la cheffe du DFAE ainsi qu'avec le directeur de la DDC au sujet de la réorganisation de la DDC et d'approfondir à cette occasion la question des évaluations et du contrôle de projets.

La CdG-E a adopté la présente lettre lors de sa séance du 24 octobre 2008 et en a autorisé la publication. Au cours de la même séance, la commission a également autorisé la publication du rapport du CDF du 28 août 2008.

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4

AYSAN Yasemin et al. (Nov. 2006), External evaluation report on the Cash for Repair and Reconstruction Projet Sri Lanka, disponible sur le site internet de la DDC: http://www.deza.admin.ch/ressources/resource_en_158087.pdf Ibid, p. 7 Traduction française: «Le succès relatif de ce projet ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu de sérieux soucis et revers dans sa mise en oeuvre et des domaines où davantage aurait peut-être pu être fait pour augmenter son impact».

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Nous vous saurions gré de bien vouloir prendre position sur cette lettre et la recommandation qu'elle contient d'ici au 15 mars 2009.

Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la Confédération, Mesdames et Messieurs les Conseillers fédéraux, à l'expression de notre haute considération.

24 octobre 2008

Au nom de la Commission de gestion du Conseil des Etats: Le président: Hans Hess, député au Conseil des Etats La secrétaire: Beatrice Meli Andres Le président de la sous-commission DFAE/DDPS: Peter Briner, député au Conseil des Etats La secrétaire de la sous-commission DFAE/DDPS: Jacqueline Dedeystère

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Liste des abréviations CDF CdG-E CfRR CSA DDC DélFin DFAE EPER KPMG SA MOU ONG UNICEF

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Côntrole fédéral des finances Commission de gestion du Conseil des Etats Cash for Repair and Reconstruction Corps suisse d'aide humanitaire Direction du développement et de la coopération Délégation des Finances Département fédéral des affaires étrangères Entraide Protestante Suisse Entreprise spécialisée dans les domaines de l'audit, de fiscalité et le conseil Memorandum of Understanding Organisation non gouvernementale United Nations International Children's Emergency Fund