ad 04.430 Initiative parlementaire Réglementation du prix du livre Rapport du 20 avril 2009 de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national Avis du Conseil fédéral du 20 mai 2009

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement (LParl), nous nous prononçons ci-après sur le rapport du 20 avril 2009 de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

20 mai 2009

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2009-1097

3697

Avis 1

Contexte

1.1

Initiative parlementaire

Le 13 mai 2004, la Commission de l'économie et des redevances du Conseil national (CER-N) a décidé de donner suite à l'initiative parlementaire du conseiller national Jean-Philippe Maître consacrée à la réglementation du prix du livre (04.430). La Commission de l'économie et des redevances du Conseil des Etats (CER-E) a approuvé cette décision le 23 mai 2005. La CER-N a alors institué une sous-commission, qui a élaboré les bases d'une réglementation du prix du livre à l'échelle nationale. Elle a donné son approbation à l'avant-projet de loi le 13 octobre 2008, et une procédure de consultation a été menée auprès des milieux intéressés. Le 20 avril 2009, la CER-N a approuvé, par 13 voix contre 10 et une abstention, la version remaniée sur le plan rédactionnel du projet de loi fédérale sur la réglementation du prix du livre.

1.2

Demande d'autorisation exceptionnelle selon l'art. 8 de la loi sur les cartels

Le Conseil fédéral s'est penché sur la réglementation du prix du livre à la suite d'une demande d'autorisation exceptionnelle déposée en vertu de l'art. 8 de la loi du 6 octobre 1995 sur les cartels (LCart; RS 251).

Genèse: le 28 septembre 1998, le secrétariat de la Commission de la concurrence avait mené une enquête sur le prix réglementé dans le commerce du livre, à la suite de laquelle la Commission de la concurrence avait constaté, par décision du 6 septembre 1999, que la réglementation du prix du livre pratiquée sous la forme du Sammelrevers constituait une restriction illicite de la concurrence au sens de la loi sur les cartels. Le 6 février 2007, le Tribunal fédéral a rejeté, en dernière instance, le recours interjeté contre cette décision.

L'association suisse alémanique des libraires et éditeurs (Schweizerischer Buchhändler- und Verlegerverband) et celle du marché allemand du livre (Börsenverein des Deutschen Buchhandels) ont ensuite saisi le Conseil fédéral d'une demande d'autorisation en vertu de l'art. 8 LCart leur permettant à titre exceptionnel de conclure un accord en matière de concurrence. Aux termes de cette disposition, le Conseil fédéral peut, à titre exceptionnel, autoriser sur demande des accords en matière de concurrence dont l'autorité compétente a constaté le caractère illicite, s'ils sont nécessaires à la sauvegarde d'intérêts publics prépondérants.

Dans sa décision du 2 mai 2007, le Conseil fédéral a rejeté la demande déposée par les deux associations, en s'appuyant notamment sur les considérations suivantes (Droit et politique de la concurrence [DPC] 2007/2, p. 341, ch. 18 et 19): Tous les arguments d'ordre culturel et éducatif vantant les mérites du régime du prix réglementé ont cependant déjà été avancés, dans la procédure de concurrence, lorsqu'il était demandé d'apporter la preuve de l'efficience économique dudit régime. Il ressort du contrôle approfondi et minutieux de l'efficience mené par la 3698

Commission de la concurrence et de l'examen tout aussi rigoureux effectué par la Commission de recours pour les questions de concurrence ­ que le Tribunal fédéral n'a pas contesté pour sa part ­ qu'un lien de causalité ne peut être démontré entre le régime du prix réglementé, d'une part, et la diversité éditoriale, l'étendue de l'assortiment et la densité des points de vente, d'autre part, si bien que ni l'argument de l'efficience économique ni celui de la prestation culturelle ne peut se justifier. On ne saurait par conséquent arguer que le régime du prix réglementé est nécessaire pour obtenir les effets positifs pour les auteurs, les éditeurs, le commerce et les consommateurs que mentionne la demande. Les requérantes n'apportent d'ailleurs aucun nouvel argument à cet égard. La nécessité que le régime du prix réglementé soit approprié et nécessaire à la réalisation de ces prestations n'est pas démontrée.

En conséquence, il s'impose de refuser l'autorisation de réglementer le prix du livre du fait que la nécessité de sauvegarder des intérêts publics prépondérants n'est pas établie. Cette conclusion ne signifie pas que la diversité éditoriale, l'étendue de l'assortiment ou l'accès à cette offre ne présentent pas un intérêt public. Il est aussi possible de réaliser ces buts sans introduire un régime de prix réglementé et sans subir ses divers effets économiques négatifs, mis en lumière par la procédure de concurrence (...).

Les intérêts culturels, tels qu'ils sont évoqués par les requérantes, peuvent être sauvegardés par d'autres moyens que celui consistant à imposer un régime de prix réglementé. Produire le plus grand nombre possible de livres, en assurant la plus grande diversité possible et à des prix favorables pour que ceux-ci trouvent le plus grand nombre possible de lecteurs est une tâche essentielle sur le plan culturel. La politique culturelle de la Confédération dans le domaine du livre vise à créer les conditions propres à assurer le volume et la diversité de la production éditoriale et à permettre au plus grand nombre possible de lecteurs d'accéder à cette offre à des prix favorables.

1.3

Evolution intervenue depuis le refus de la demande d'autorisation exceptionnelle

1.3.1

Conséquences économiques et sociales

Quelles conséquences économiques et sociales ont-elles été observées depuis la suppression du régime du prix réglementé? Les buts liés à l'encouragement de la culture ont-ils été affectés?

Actuellement, rien ne permet de dire que la libéralisation du prix du livre a eu des effets préjudiciables sur les plans économique et social. Selon les informations du Börsenverein des Deutschen Buchhandels, l'association professionnelle regroupant les libraires et les éditeurs allemands, le chiffre d'affaires enregistré par la branche depuis la libéralisation des prix en Suisse alémanique a évolué positivement. Le chiffre d'affaires en espèces dans les librairies d'assortiment a légèrement augmenté en Suisse en 2008, alors que l'Allemagne et l'Autriche constataient une tendance inverse. Par contre, aucune donnée consolidée n'existe sur le nombre de points de vente. Il y a tout lieu de croire que le phénomène de concentration amorcé les années précédentes sous le régime du Sammelrevers se poursuit.

3699

Deux conclusions essentielles se dégagent de l'évolution actuelle: ­

Les librairies ont su s'adapter à la nouvelle donne; elles avaient déjà de l'expérience en matière de libre fixation des prix à travers la vente d'autres supports culturels.

­

S'agissant de l'évolution du réseau de points de vente, il y a d'autres facteurs déterminants que la fixation des prix au niveau des maisons d'édition ou de la vente finale. Relevons notamment les possibilités grandissantes du commerce électronique.

Les expériences faites depuis la libéralisation du prix du livre en Suisse alémanique montrent que les acteurs de la branche exploitent désormais plus librement les possibilités de répondre aux besoins de la clientèle et de facturer, le cas échéant, les atouts particuliers de leur offre. Dans le même temps, le lecteur acheteur, conscient du prix, voit sa position améliorée par la libéralisation des prix.

D'après l'enquête menée par la Haute école spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest1, au printemps 2008, un an après la libéralisation du prix du livre, le prix de vente type d'un ouvrage (en francs suisses) se présentait ainsi: ­

Prix de vente moyen en magasin, Suisse

21,92

­

Prix catalogue moyen, Suisse

22,37

­

Prix à l'achat dans le magasin le meilleur marché

18,29

­

Prix à l'achat dans le magasin le plus cher

23,70

­

Prix catalogue moyen, Allemagne

19,40 à 20,632

Alors qu'apparemment, les livres vendus dans les librairies pratiquant les prix les plus avantageux en Suisse sont même meilleur marché qu'en Allemagne, certains magasins affichent aussi des prix plus élevés que les prix catalogue. Les libraires suisses ont su assurer la compétitivité de leurs prix avec des produits provenant de l'étranger. La libéralisation des prix permet ainsi de regagner les clients qui achetaient auparavant leurs livres à meilleur prix dans les librairies des pays limitrophes.

Les commerçants ont désormais aussi la possibilité de pratiquer des prix plus élevés pour certains titres dans la mesure où ceux-ci peuvent être imposés sur le marché compte tenu de la qualité de la prestation ou de la situation.

Le Conseil fédéral prévoit de mener une nouvelle enquête cinq ans après la libéralisation. Il sera alors possible d'établir avec plus de précision les effets de la libéralisation des prix sur le nombre et le genre des points de vente, sur l'étendue de l'assortiment et sur la vie culturelle. Néanmoins, si l'on se penche sur l'évolution intervenue à ce jour, on peut admettre que la fourchette de prix qui s'est imposée se maintiendra, que le phénomène de concentration affectant les librairies se poursuivra pour des raisons étrangères à la libéralisation des prix, que la diversité éditoriale ne sera pas compromise et que l'accès à un assortiment limité de livres sera amélioré pour une large part de la population.

Le nombre des librairies dépendra essentiellement de l'évolution technique. Les parallèles avec les branches apparentées de l'industrie de la musique et du cinéma sont évidents. Le recul du nombre de magasins spécialisés dans ces branches a été 1 2

http://www.seco.admin.ch/themen/00374/00459/00462/index.html?lang=fr L'écart avec le prix catalogue moyen en Allemagne dépend du cours de l'euro appliqué dans la période où l'enquête a été menée.

3700

largement compensé, du point de vue du consommateur, par des offres nouvelles et novatrices, comme les offres Internet, les abonnements ou d'autres solutions électroniques. L'évolution pourrait être similaire sur le marché du livre avec le développement du livre électronique et l'accès direct aux livres scannés.

La situation pourrait s'avérer meilleure encore pour la clientèle qui achète des livres en langue allemande que pour celle qui lit des ouvrages en langue française en raison de la structure de la branche. Il appartient à la Commission de la concurrence d'évaluer les problèmes de puissance sur le marché et de juger de la nécessité d'intervenir. Il n'est pas exclu que la Surveillance des prix ait un rôle ultérieur à jouer selon les conclusions tirées.

1.3.2

Encouragement de la culture

L'encouragement de la culture dans le domaine du livre sera poursuivi. La diversité et la qualité de l'offre éditoriale font partie des objectifs suprêmes de la politique culturelle de la Confédération. La création intellectuelle et littéraire d'un pays peut uniquement se refléter à travers une offre éditoriale diversifiée; et seule la diversité de cette offre permet d'atteindre les couches de lecteurs les plus variées. La politique de la Confédération dans le domaine du livre vise à promouvoir la diversité et la qualité de l'offre.

Le nombre de titres édités en Suisse en témoigne: les maisons d'édition réalisent l'objectif de la diversité éditoriale. En 2008, plus de 11 000 nouveaux titres sont parus, et le nombre des traductions a encore progressé de 3 % par rapport à l'année précédente. Les bibliothèques contribuent largement à atteindre le deuxième objectif de la politique culturelle, consistant à faire également parvenir l'offre aux lecteurs.

La Suisse possède un réseau très dense de plus de 6000 bibliothèques.

En Suisse, les subventions sont le principal moyen utilisé pour promouvoir ces prestations. En 2009, Pro Helvetia a reçu 2,8 millions de francs pour l'aide sélective accordée dans le cadre de la promotion du livre suisse. Cet outil introduit des incitations culturelles qui vont au-delà de la rentabilité. Les éléments composant la chaîne de création de valeur de la filière du livre qui constituent une prestation culturelle sont ainsi soutenus; autrement dit, ces éléments sont souhaités sur le plan social, mais ils ne seraient pas fournis si l'on se limitait à appliquer des principes strictement économiques. Ces aides financières sont versées par exemple à des auteurs ou affectées à la diffusion d'ouvrages suisses à l'étranger ou à l'organisation de manifestations comme les Journées littéraires de Soleure.

Pour la période de 2008 à 2011, Pro Helvetia s'est fixé comme objectif prioritaire le soutien aux traductions, qui permettent d'accéder à la création littéraire des autres régions linguistiques. Aux fins d'intensifier les efforts qu'elle déploie depuis toujours dans ce domaine, la fondation a reçu 2,4 millions de francs supplémentaires pour cette période. Les auteurs aussi bien que les maisons d'édition profitent de cette action ciblée, destinée à soutenir la diffusion de la
littérature suisse et des publications consacrées à la culture helvétique.

Dans le domaine de la promotion de la lecture et de la lutte contre l'illettrisme, l'Office fédéral de la culture pourra verser des aides financières pour un montant de 3,4 millions de francs en 2009.

3701

Voici un exemple concret de mesures d'encouragement: en 2008, l'Office fédéral de la culture a soutenu le projet «Né pour lire» développé par Bibliomedia et l'Institut Jeunesse et Médias, dans le cadre duquel les parents reçoivent deux livres à la naissance de leur enfant. Ce projet est destiné à encourager les parents à faire découvrir les livres à leurs enfants en bas âge.

2

Avis du Conseil fédéral

2.1

Objections matérielles

En principe, seule une défaillance du marché justifie sa régulation. Le commerce du livre en Suisse n'est pas dans cette situation. Depuis la suppression du régime du Sammelrevers en 2007, rien n'atteste d'une quelconque défaillance du marché. Le commerce du livre n'est aujourd'hui pas une branche économique menacée au point de nécessiter l'intervention de l'Etat. De plus, compte tenu des expériences faites à l'étranger, il apparaît peu probable que le maintien du régime de prix libres conduise à une défaillance du marché. Le Conseil fédéral considère par conséquent injustifiée, sur le plan matériel, une intervention du législateur.

S'il partage aussi la finalité du projet de la commission qui est de garantir l'accès à un large assortiment de livres au plus grand nombre, moyennant des prix raisonnables, il ne voit aucun rapport de causalité probant entre cet objectif et la réglementation du prix.

Hormis ces objections de principe, le projet de loi sur la réglementation du prix du livre présente des lacunes à divers égards. Il importe, nombreux le pensent, de rétablir la situation que l'on connaissait sous le régime du Sammelrevers. Mais, pour bien des raisons, cela est utopique: le Sammelrevers n'astreignait aucun éditeur au régime du prix réglementé. Dans la loi sur la réglementation du prix du livre, l'éditeur ou l'importateur est tenu de fixer un prix. L'un comme l'autre doivent aussi fixer un prix pour les éditions spéciales. Lorsque les prix baissent à l'étranger, une fois le délai inhérent au prix réglementé échu, les librairies suisses ne peuvent suivre car elles doivent se voir signifier expressément par l'éditeur ou l'importateur que le régime de prix réglementé est levé. De la même façon, les librairies ne peuvent réagir aux prix pratiqués à l'étranger pour les nouveautés. Ce phénomène affecte les librairies de manière différenciée, les plus touchées étant celles situées à proximité de la frontière, mais aussi celles à vocation scientifique, dont la clientèle consulte régulièrement l'Internet. Il faut s'attendre à ce qu'à court terme de nouveaux développements techniques poussent le livre imprimé encore plus loin dans ses retranchements, notamment si son prix ne peut rester compétitif. Ici aussi, la branche n'est pas en mesure de réagir par elle-même (comme sous le régime du Sammelrevers
où il n'y avait aucune obligation au régime du prix réglementé) et de s'affranchir du carcan de la loi sur la réglementation du prix du livre. Les adaptations deviennent l'affaire du législateur. En fin de compte, cette manière de procéder prétérite l'offre en Suisse.

3702

2.2

Objections constitutionnelles

De par sa philosophie (prix obligatoire, réglementé par l'Etat), le projet de loi tel qu'il est proposé par la commission n'est pas admissible sur le plan constitutionnel, et cela pour deux raisons très différentes: premièrement, la Confédération ne dispose pas des compétences nécessaires et, deuxièmement, le projet n'est pas compatible avec la liberté économique. Ces arguments ont déjà été exposés en détail à la commission dans l'avis du 31 juillet 2007 de l'Office fédéral de la justice. Voici un résumé des motifs: La commission tire sa compétence en matière de réglementation du prix du livre des art. 69, al. 2, et 103 de la Constitution (Cst.; RS 101).

L'art. 69, al. 2, Cst. habilite la Confédération à promouvoir les activités culturelles présentant un intérêt national et à encourager l'expression artistique et musicale, en particulier par la promotion de la formation. La formulation de la première partie de la phrase limite l'aide de la Confédération aux activités de tiers dignes d'être encouragées. Compte tenu de ce libellé, la Confédération ne peut pas imposer la réglementation du prix du livre. Aux termes de la deuxième partie de la phrase, la Confédération peut encourager globalement l'expression artistique. Reste à déterminer si par «encouragement» on entend seulement soutien financier ou si le recours à l'instrument de fixation des prix est également admis. Une comparaison avec les autres compétences fédérales qui apparaissent principalement comme des compétences en matière d'encouragement montre que là où le législateur a voulu autoriser non seulement un encouragement de nature financière mais aussi une législation interventionniste, cela a été fixé expressément dans la Constitution (cf. art. 71 Cst. sur l'encouragement du cinéma). La genèse de l'art. 69, al. 2, Cst. conteste clairement que la Confédération se voie conférer plus qu'une simple compétence en matière d'encouragement.

On ne saurait fonder une loi sur la réglementation du prix du livre sur l'art. 103 Cst.

(politique structurelle), la branche économique en tant que telle n'étant pas menacée dans son existence. Cette disposition attribue à la Confédération la compétence de promouvoir des branches économiques et des professions si les mesures d'entraide que l'on peut raisonnablement exiger d'elles ne suffisent pas à assurer
leur existence. Il faudrait rendre plausible le fait que le commerce du livre est menacé de disparaître et que, sans l'intervention de la Confédération, cette menace risque de devenir réalité en raison de l'insuffisance des mesures d'entraide que l'on peut raisonnablement exiger de ce commerce pour assurer son existence. Une concentration dans la branche ne signifie toutefois pas que toute la branche est menacée, mais seulement certaines entreprises ou catégories d'entreprises.

Même si une compétence fédérale venait à être reconnue, la question de la compatibilité de la loi sur la réglementation du prix du livre avec la liberté économique demeurerait. L'art. 94, al. 4, Cst. dispose que la Confédération ne peut déroger au principe de la liberté économique que si la Constitution le prévoit. Selon le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale (FF 1997 I 1), l'Etat a «l'interdiction» d'adopter des réglementations et des mesures qui faussent la concurrence entre acteurs économiques privés ou qui empêchent même toute concurrence (FF 1997 I 298). Il ne fait aucun doute que la fixation du prix par l'Etat relève d'une intervention dérogeant au principe de la liberté économique. Cette intervention supprime l'un des rouages essentiels de la concurrence: la concurrence 3703

des prix. Un prix du livre obligatoire, réglementé par l'Etat, déroge donc au principe de la liberté économique. La question suivante appelle donc une réponse: la Constitution autorise-t-elle la Confédération à introduire une réglementation du prix du livre? Même s'il ne fallait pas interpréter l'art. 69 Cst. comme une simple compétence en matière d'encouragement, rien n'indique que cette disposition autorise la Confédération à déroger au principe de la liberté économique. Par ailleurs, la réglementation du prix du livre ne respecte pas non plus le principe de proportionnalité en ce qu'elle restreint, de manière inadaptée et sans nécessité, la liberté économique en tant que droit individuel, comme l'a constaté le Conseil fédéral dans sa décision relative à la demande d'autorisation exceptionnelle prévue par l'art. 8 de la loi sur les cartels.

Dès lors, une loi sur la réglementation du prix du livre disposant un prix obligatoire contrevient à la Constitution en ce que: ­

la Confédération ne dispose d'aucune compétence pour édicter une législation interventionniste de ce type;

­

cette loi contrevient à la liberté économique, d'une part, parce qu'elle déroge au principe de liberté économique sans fondement constitutionnel et, d'autre part, parce qu'elle restreint de façon disproportionnée la liberté des agents économiques.

Il serait admissible sur le plan constitutionnel que l'on crée au niveau de la loi, dans le cadre d'une révision de la loi sur les cartels par exemple, une autorisation de cartel privé, telle qu'elle a été pratiquée en Suisse alémanique avec le Sammelrevers.

2.3

Conclusions

Les objections à l'encontre d'une loi sur la réglementation du prix du livre ne signifient pas pour autant qu'il ne faille pas promouvoir la diversité et la qualité du livre en tant que bien culturel par des mesures appropriées et autorisées. En effet, comme cela a été indiqué au ch. 1.3.2, la Confédération (Office fédéral de la culture et Bibliothèque nationale), Pro Helvetia, les cantons et les communes prennent diverses mesures d'encouragement.

Le Conseil fédéral considère en revanche qu'une intervention du législateur sur le marché n'est objectivement pas justifiée. Les objections constitutionnelles plaident en outre contre une loi sur la réglementation du prix du livre. Le Conseil fédéral soutient par conséquent la proposition de la minorité de la CER-N de ne pas entrer en matière sur ce projet.

2.4

Autres objections

Hormis les objections de principe à l'encontre de la conception de la loi qui motivent la proposition de non-entrée en matière, ce projet présente de graves lacunes.

Nous relèverons seulement quelques éléments: ­

3704

En ce qui concerne le champ d'application (art. 2), la question est de savoir si le commerce électronique transfrontalier des livres doit aussi y être intégré. D'une part, il n'y a pas d'argumentaire satisfaisant au principe de

l'égalité de droit (art. 8, al. 1, Cst.) qui justifie une distinction entre la vente par correspondance traditionnelle (catalogue avec bon de commande) et les moyens de commande par Internet. Les problèmes pratiques en matière de contrôle et les intérêts économiques et culturels sont identiques dans les deux cas. D'autre part, intégrer le commerce électronique transfrontalier des livres dans le champ d'application de la loi pourrait entraver le fonctionnement de l'accord du 22 juillet 1972 entre la Confédération suisse et la Communauté économique européenne (accord de libre-échange; RS 0.632.401), car les livres entrent dans le champ d'application de cet accord. Par conséquent, il faudrait examiner précisément dans quelle mesure une réglementation du prix du livre serait conciliable avec l'accord de libre-échange et avec la Constitution fédérale.

­

Il y a un certain flou concernant la compétence de fixer les prix des livres importés (art. 4). Le texte de loi ne dit pas qui ­ reflétant la volonté de la commission ­ de l'importateur ou de l'éditeur étranger doit être compétent pour fixer les prix des livres importés.

Il est essentiel, dans ce contexte, de tenir compte des arrêts rendus par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) sur des faits analogues et qui constatent une violation du Traité instituant la Communauté européenne (Traité-CE). Cette jurisprudence doit aussi être prise en considération pour l'interprétation de l'accord de libre-échange, qui comprend des garanties correspondantes au Traité-CE. La CJCE n'a que très récemment constaté, dans son arrêt du 29 avril 20093, que la réglementation autrichienne sur le prix imposé du livre qui prévoit le respect, par les importateurs autrichiens, d'un prix du livre fixé par un éditeur étranger, constitue une restriction illicite de la libre circulation des marchandises.

3

­

Le projet de la commission ne règle pas la question des modifications ultérieures des prix réglementés, bien que ces modifications soient déterminantes sur le plan pratique et puissent être sources de litiges.

­

Le projet de loi prévoit en outre, en matière de fixation des prix (art. 4, al. 3 et 4), que la Surveillance des prix fixe la différence de prix autorisée par une décision de portée générale touchant l'ensemble de la branche. Cette fixation de prix n'est toutefois pas une décision de portée générale mais une norme abstraite et générale. La différence de prix fixée devrait être appliquée par l'ensemble des éditeurs, importateurs et libraires, pour le moins d'une région linguistique; son effet porterait sur la totalité des titres, et pas uniquement sur certains d'entre eux. C'est pourquoi il faut édicter une ordonnance et non pas prendre une décision de portée générale (sujette à recours). Les détails devraient alors être réglés.

­

La réglementation proposée concernant les remises admissibles (art. 7) privilégie les grandes bibliothèques. Or négliger les petites bibliothèques va à l'encontre du but visé par la loi, car c'est précisément un maillage dense de bibliothèques plus petites et décentralisées qui concourt dans une mesure significative à ouvrir l'accès de la population aux livres.

Arrêt de la CJCE du 30 avril 2009, Fachverband der Buch- und Medienwirtschaft contre LIBRO Handelsgesellschaft mbH, affaire C-531-07.

3705

­

S'agissant de la durée de la réglementation du prix (art. 8), le projet de loi permet de fixer ce prix sans limite de temps. Les éditeurs pourraient ainsi, même après des décennies, définir le prix auquel leurs livres doivent être vendus. La chose est moins problématique pour des raisons juridiques que pour des motifs matériels.

­

La position du «représentant de la branche» (art. 13) n'est pas claire sur des points essentiels. On ne voit ainsi pas quels intérêts il doit défendre, car les «intérêts des membres de la branche» (art. 13, al. 1) ne sont absolument pas homogènes.

Si le conseil décide d'entrer en matière, il sera nécessaire de renvoyer le projet à la commission afin qu'elle précise ces nombreux points lacunaires. Celle-ci pourrait d'abord examiner s'il ne vaudrait pas mieux renoncer à une réglementation obligatoire du prix du livre par l'Etat et proposer, en conformité avec le droit constitutionnel, d'autoriser une réglementation privée, de nature cartellaire, pour régir le marché du livre. Si, en dépit de toutes les réserves matérielles émises, la commission souhaite introduire une réglementation obligatoire du prix du livre par l'Etat, il s'agira de préparer, parallèlement aux travaux législatifs, une révision constitutionnelle prévoyant d'accorder cette compétence législative à la Confédération.

3

Propositions

1.

Le Conseil fédéral propose de ne pas entrer en matière sur la loi. Il soutient la proposition allant en ce sens formulée par la minorité de la commission.

2.

Si le conseil décide d'entrer en matière, le Conseil fédéral propose de renvoyer le projet à la commission.

3706