Affaire Tinner: gestion du dossier par le Conseil fédéral et légalité des mesures ordonnées Rapport de la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales du 19 janvier 2009

2009-0171

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Condensé Le 14 novembre 2007, le Conseil fédéral a ordonné la destruction de l'ensemble des pièces saisies dans le cadre de l'enquête judiciaire dirigée contre Urs, Marco et Friedrich Tinner. Il s'agissait en particulier de détruire des plans de construction d'armes nucléaires que les Tinner s'étaient procurés grâce au réseau d'A. Q. Khan.

De l'avis du Conseil fédéral, la destruction des plans devait empêcher qu'ils tombent entre de mauvaises mains et puissent constituer une menace pour la sécurité internationale. La DélCdG a examiné les circonstances et les modalités de cette décision du Conseil fédéral sous l'angle de la légalité et de l'opportunité.

En juillet 2006, le DFJP a été informé pour la première fois que la Suisse détenait des plans de construction d'armes nucléaires. La DélCdG estime que le DFJP n'a informé le collège gouvernemental qu'au coup par coup et ne lui a révélé les problèmes et la véritable ampleur du dossier que tardivement. Le Conseil fédéral s'est par conséquent toujours penché sur des aspects partiels de la problématique et cela seulement lorsqu'une décision de sa part devenait urgente. Force est toutefois de constater qu'il avait accepté que le département se limite à l'informer d'un cas a l'autre et n'a jamais demandé que le DFJP lui présente un état des lieux complet de l'affaire ou une stratégie globale en prévision des défis auxquels la Confédération allait sans doute être confrontée. La DélCdG est d'avis que l'organisation de projet instituée par le DFJP n'était pas en mesure d'apporter au Conseil fédéral le soutien dont il aurait eu besoin. Il manquait à l'organisation une mission clairement décrite, elle n'avait pas été mise au courant de tous les aspects de l'affaire Tinner et son travail a souffert des mesures mises en place pour maintenir le secret.

Le Conseil fédéral a ordonné la destruction des pièces à conviction en invoquant la Constitution (art. 184 et 185 Cst.). Ces bases légales ne sont applicables que lorsque la mesure décidée est indispensable, urgente, justifiée par des intérêts publics prépondérants et proportionnelle au but. La DélCdG constate que le Conseil fédéral ne s'est concrètement penché sur le risque que les plans de construction d'armes nucléaires pouvaient représenter pour la Suisse que seize mois après que le DFJP en ait appris
l'existence. Il n'y avait eu aucune alerte de sécurité sérieuse jusque-là et les mesures de protection auraient encore pu être renforcées. Malgré cela, le Conseil fédéral a ordonné pour des raisons de sécurité la destruction non seulement des plans de construction d'armes nucléaires, mais également de l'ensemble des pièces à conviction saisies, du moment qu'un tri des pièces sensibles des autres pièces à conviction n'avait pas été effectué à temps. La DélCdG est d'avis que la situation ne justifiait pas l'application de l'art. 185, al. 3, Cst. (troubles menaçant la sécurité intérieure ou extérieure) et que, dans la perspective du droit international, il n'existait aucune raison impérieuse de renoncer à l'utilisation des plans de construction comme pièces à conviction dans une procédure pénale.

La DélCdG a donc examiné la question si la destruction de ces pièces pouvait être justifiée pour des motifs relevant des relations avec l'étranger, c'est-à-dire en application de l'art. 184, al. 3, Cst. (sauvegarde des intérêts du pays). Les EtatsUnis avaient suggéré à la Suisse de transmettre les plans de construction d'armes

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nucléaires tombés en sa possession sous la responsabilité d'un Etat habilité à posséder des armes nucléaires. Le Conseil fédéral ne s'est toutefois jamais penché sur cette dernière proposition pourtant assortie de conditions garantissant aux autorités suisses l'accès à ces documents aux fins de la poursuite pénale. Le Conseil fédéral a préféré répondre aux exigences des Etats-Unis en se débarrassant de l'intégralité de toutes les pièces à conviction, les plans de construction d'armes nucléaires y compris. Lors de la pesée d'intérêts, le Conseil fédéral n'a pas invoqué d'effets concrets sur la politique étrangère de la Suisse qui n'aurait pu être prévenu qu'au prix d'une intervention aussi lourde de conséquences pour l'indépendance de la Justice, raison pour laquelle la DélCdG considère que la destruction de toutes les pièces à conviction ordonnée par le Conseil fédéral le 14 novembre 2007 est disproportionnée.

D'une manière générale, les services concernés de la Confédération ont régulièrement et correctement informé la DélCdG sur la procédure pénale et sur les aspects de l'affaire Tinner relevant du renseignement. La décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 n'a en revanche pas été portée à sa connaissance. La délégation estime que le chef du DFJP aurait dû l'en informer sans délai.

Ce n'est qu'en février 2008 et suite à son intervention auprès du DFJP que la DélCdG a été mise au courant de la destruction ordonnée par le Conseil fédéral. Ces informations n'ont toutefois pas permis à la DélCdG de se rendre compte que la destruction qui allait être effectuée ce même mois de février encore ne se limitait pas aux seuls plans de construction d'armes nucléaires, mais s'étendait à toutes les pièces à conviction saisies chez les Tinner, pièces auxquelles le juge d'instruction fédéral n'a d'ailleurs jamais eu accès. Les recommandations au profit de l'instruction préparatoire visant à limiter dans un premier temps la destruction aux documents problématiques au vu du droit international que la DélCdG avait alors adressées au DFJP et au Conseil fédéral ne pouvaient par conséquent plus déployer aucun effet.

L'enquête de la DélCdG a montré que les services de renseignement suisses ont joué un rôle mineur dans la gestion de l'affaire Tinner par le Conseil fédéral. Le Conseil fédéral a apprécié les
risques liés à l'existence des plans de construction d'armes nucléaires sans requérir l'aide des services de renseignement suisses.

Le Conseil fédéral était conscient du fait que la destruction des pièces à conviction allait probablement conduire à l'interruption de l'enquête pénale contre les Tinner.

Le MPC a toutefois demandé au juge d'instruction fédéral d'ouvrir l'instruction préparatoire, ce qu'il a fait en mars 2008. Lorsque ce dernier a prié la PJF de l'aider à se procurer des copies de documents détruits, le directeur de l'OFP a ordonné à la PJF de refuser l'appui souhaité. La chef du DFJP et le Conseil fédéral se sont par la suite ralliés à cette décision du directeur de l'OFP.

4495

La DélCdG estime que le juge d'instruction fédéral a droit à l'appui de la PJF. La PJF étant selon l'art. 17 PPF placée sous la surveillance de la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral, la DélCdG a demandé à celle-ci d'analyser la décision du directeur de l'OFP en sa qualité d'autorité de surveillance. La Ire Cour des plaintes s'est toutefois déclarée formellement et matériellement non compétente. La DélCdG estime que les arguments avancés par la Ire Cour des plaintes manquent de consistance, raison pour laquelle elle invite le Tribunal fédéral à examiner la surveillance que le Tribunal pénal fédéral exerce sur le MPC et sur la PJF.

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Table des matières Condensé

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Liste des abréviations

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1 Introduction

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2 Objet de l'enquête

4500

3 Tâches de la DélCdG et son droit à l'information

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4 Evolution de l'affaire Tinner jusqu'à l'automne 2008 4.1 Les analyses et examens préliminaires des services de renseignement 4.2 L'enquête judiciaire contre Urs, Marco et Friedrich Tinner 4.3 La décision du Conseil fédéral du 1er novembre 2006 4.3.1 Le chef du DFJP apprend la présence en Suisse de plans de fabrication d'armes nucléaires découverts dans le cadre de l'enquête judiciaire contre les Tinner 4.3.2 Le Conseil fédéral est informé de la présence en Suisse de plans de fabrication d'armes nucléaires et octroie à l'AIEA le droit de consulter des pièces du dossier 4.3.3 Les réactions américaines 4.4 La décision du Conseil fédéral du 29 août 2007 4.4.1 Intervention des Etats-Unis en faveur des Tinner 4.4.2 Le Conseil fédéral refuse l'autorisation de poursuivre judiciairement les délits politiques présumés au sens des art. 271 et 301 CP 4.5 La décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 4.5.1 Les travaux du groupe de travail 4.5.2 Le Conseil fédéral se prononce en faveur de la destruction des pièces à conviction saisies 4.5.3 Les contacts bilatéraux entre le chef du DFJP et les représentants des Etats-Unis 4.6 La mise en oeuvre de la décision 14 novembre 2007 4.7 L'instruction préparatoire du juge d'instruction fédéral

4503 4503 4505 4506

5 Information au titre de la surveillance et de la haute surveillance 5.1 Information du Tribunal pénal fédéral et du Tribunal fédéral 5.2 Information de la DélCdG au cours des années 2004­2007 5.3 Information de la DélCdG en 2008

4519 4519 4520 4522

6 Appréciations de la DélCdG 6.1 Processus de décision et gestion du dossier à l'échelon du Conseil fédéral 6.2 Manière de procéder et processus à l'échelon de l'administration 6.3 La problématique sous l'angle du droit international 6.4 Retrait de moyens de preuve pendant et après une procédure pénale 6.5 Proportionnalité de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007

4523

4506 4507 4508 4509 4509 4510 4512 4512 4514 4515 4516 4518

4523 4527 4529 4531 4533

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6.6 6.7 6.8 6.9

6.5.1 Les critères de la nécessité et de l'urgence examinés sous l'angle du traité sur la non-prolifération et des risques sécuritaires 6.5.2 Les critères de la nécessité et de l'urgence examinés sous l'angle de la politique étrangère 6.5.3 Balance entre les intérêts en matière de politique étrangère et l'indépendance de la Justice Le rôle et l'efficacité des services de renseignement Le rôle de la Délséc Information des délégations des commissions de surveillance par le Conseil fédéral Surveillance exercée par le Tribunal pénal fédéral

7 Recommandations de la DélCdG

4534 4536 4538 4539 4541 4542 4544 4547

8 Suite des travaux

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Liste des personnes entendues

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Liste des abréviations AIEA CEP Cst.

DDPS DélCdG DélFin Délséc DFAE DFJP FBI LCB LFMG LOGA LParl MPC OCB

OFJ OFP OJI OMSI ONU Ordiséc Org DFJP PJF PPF SAP SECO SRS

Agence internationale de l'énergie atomique Commission d'enquête parlementaire Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18.4.1999 (RS 101) Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports Délégation des Commissions de gestion Délégation des finances Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité Département fédéral des affaires étrangères Département fédéral de justice et police Federal Bureau of Investigation Loi fédérale du 13 décembre 1996 sur le contrôle des biens utilisables à des fins civiles et militaires et des biens militaires spécifiques (loi sur le contrôle des biens; RS 946.202) Loi fédérale du 13 décembre1996 sur le matériel de guerre (RS 514.51) Loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (RS 172.010) Loi du 13 décembre 2002 sur l'Assemblée fédérale (loi sur le Parlement; RS 171.10) Ministère public de la Confédération Ordonnance du 25 juin 1997 sur l'exportation, l'importation et le transit des biens utilisables à des fins civiles et militaires et des biens militaires spécifiques (ordonnance sur le contrôle des biens; RS 946.202.1) Office fédéral de la justice Office fédéral de la police Office des juges d'instruction fédéraux Ordonnance du 27 juin 2001 sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (RS 120.2) Organisation des Nations Unies Organe de direction pour la sécurité Ordonnance du 17 décembre 1999 sur l'organisation du Département fédéral de justice et police (RS 172.213.1) Police judiciaire fédérale Loi fédérale du 15 juin 1934 sur la procédure pénale (RS 312.0) Service d'analyse et de prévention Secrétariat d'Etat à l'économie Service de renseignement stratégique

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Rapport 1

Introduction

A ce jour, l'affaire du réseau Khan est le plus important cas connu d'implication de particuliers dans la prolifération des armes nucléaires. A. Q. Khan, le «père» de la bombe atomique pakistanaise, était parvenu à mettre sur pied le programme pakistanais d'enrichissement d'uranium grâce à un grand nombre de fournisseurs, principalement européens. Plus tard, c'est grâce à de telles entreprises qu'il a créé un réseau international dans le but de fournir à la Libye une installation clés en main de centrifugeuses à gaz destinées à l'enrichissement d'uranium. Il a également livré à la Libye des plans de construction d'une arme nucléaire.

Le 4 octobre 2003, des composants de centrifugeuses envoyés par le réseau Khan à destination de la Libye ont été saisis dans le port italien de Tarente. Le 19 décembre 2003, la Libye a annoncé avoir décidé de renoncer à son programme nucléaire militaire après plusieurs années de négociations avec les Etats-Unis et la GrandeBretagne. Les diverses enquêtes diligentées à la suite de ces deux événements ont livré de plus en plus d'informations sur l'implication du réseau Khan dans le programme visant à doter la Libye d'armes nucléaires et ont conduit plusieurs pays à ouvrir des enquêtes pénales. En 2004, les autorités suisses se sont mises à enquêter sur Friedrich Tinner et sur ses fils Urs et Marco et, faisant suite à une demande d'entraide judiciaire déposée par l'Allemagne, ont arrêté Gotthard Lerch, un ressortissant allemand accusé de soutien au programme nucléaire libyen.

L'enquête pénale contre les Tinner a placé la Confédération devant des défis nouveaux et délicats. Le Conseil fédéral a été amené à se pencher plusieurs fois sur cette affaire en raison de sa dimension internationale. Le 14 novembre 2007, en se fondant directement sur la Constitution, il a finalement ordonné la destruction de toutes les pièces à conviction saisies dans le cadre de l'enquête en cours pour des motifs de sécurité et en raison des obligations découlant du droit international. Le président de la Confédération a rendu cette décision publique le 23 mai 2008.

Le 27 mai 2008, la Délégation des Commissions de gestion (DélCdG) a décidé de transformer ses investigations en cours sur l'affaire Tinner en inspection formelle et de rendre un rapport avant la fin de l'automne 2008. Le même jour, la délégation a informé le Conseil fédéral et le public de sa décision.

2

Objet de l'enquête

Le présent rapport s'articule autour des axes prioritaires suivants: -

Présentation de l'évolution de l'affaire et de la manière dont elle a été traitée par les différents services de la Confédération, essentiellement sous l'angle des procédures et des décisions du Conseil fédéral;

-

Evaluation de la légalité, mais aussi de la proportionnalité de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 de détruire les pièces à conviction saisies dans le cadre de la procédure pénale contre les Tinner;

4500

-

Evaluation de l'opportunité de la manière dont le Conseil fédéral a géré le dossier, en particulier en ce qui concerne la manière dont il a préparé les objets et exercé sa mission de conduite;

-

Evaluation du rôle et de l'efficacité des services de renseignement dans l'affaire Tinner;

-

Evaluation de la manière dont le Conseil fédéral et les départements ont informé la DélCdG et les autres organes de surveillance.

La DélCdG s'est également donnée pour objectif de montrer comment le Conseil fédéral a géré le maintien du secret et quel impact celui-ci a eu sur sa capacité de conduite.

3

Tâches de la DélCdG et son droit à l'information

La DélCdG exerce la haute surveillance parlementaire sur les activités relevant de la sécurité de l'Etat et du renseignement. La surveillance de ces activités ne se limite pas au renseignement intérieur, mais s'étend aussi aux enquêtes du Ministère public de la Confédération (MPC) dans des domaines tels que le service de renseignement prohibé ou les infractions à la loi sur le matériel de guerre (LFMG)1. Etant l'objet d'une procédure pénale dans le domaine de la protection de l'Etat ainsi que du travail des services de renseignement, l'affaire Tinner donc est du domaine de compétence de la DélCdG.

A l'instar des Commissions de gestion (CdG), la DélCdG exerce son activité de surveillance principalement sous l'angle de la légalité, de l'opportunité et de l'efficacité de l'activité de l'Etat. Dans ce domaine, la DélCdG s'emploie à examiner de manière continue et approfondie les activités de la Confédération qui sont couvertes par le secret afin de repérer à temps les points justifiant une intervention politique.

La délégation exerce cette haute surveillance concomitante d'une part en s'informant régulièrement auprès du Conseil fédéral et des départements ou en leur demandant des rapports et d'autre part en présentant des recommandations. Dans son rapport annuel, la DélCdG ne rend publics que des extraits de cette part de ses activités qui relèvent de la haute surveillance.

Lorsque la DélCdG est confrontée à des problèmes ou des questions de portée générale, elle procède à une enquête formelle et consigne ses conclusions dans un rapport. La délégation peut être amenée à effectuer de telles enquêtes à la demande des CdG ou de sa propre initiative lorsqu'il en va d'intérêts publics.

Conformément à la loi sur le Parlement (LParl)2, la DélCdG dispose du même droit à l'information qu'une commission d'enquête parlementaire (CEP). En vertu de l'art. 169, al. 2, de la Constitution (Cst.)3, le secret de fonction ne constitue pas un motif qui peut être opposé à la DélCdG. A la différence des CdG, la DélCdG peut 1 2

3

Loi fédérale du 13.12.1996 sur le matériel de guerre (LFMG; RS 514.51).

Loi du 13.12.2002 sur l'Assemblée fédérale (loi sur le Parlement, LParl; RS 171.10).

L'art. 166, al. 1, LParl dispose que «pour remplir le mandat qui lui a été confié [...], la commission d'enquête parlementaire dispose du même droit à l'information que les commissions de surveillance».

Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.; RS 101). L'art. 169, al. 2, Cst.

s'applique à toutes les délégations des commissions de surveillance, et partant à la Délégation des finances et à la DélCdG.

4501

également consulter les documents sur lesquels le Conseil fédéral s'est directement fondé pour prendre une décision. Par conséquent, seule la DélCdG dispose d'un droit à l'information suffisant pour lui permettre d'examiner les décisions du Conseil fédéral dans l'affaire Tinner.

Des obligations sont cependant associées au droit à l'information étendu de la délégation. Ainsi, la DélCdG est tenue d'observer le secret de fonction (art. 8 LParl).

Elle accorde de ce fait une priorité absolue au traitement confidentiel des informations classifiées qui lui sont confiées et prend des dispositions particulières pour garantir le secret.

Conformément à ses principes d'action4, la DélCdG a pour but d'asseoir la légitimation démocratique du Conseil fédéral et de l'administration et d'accroître la transparence et la confiance dans leur action. A cet effet, elle s'engage à mener une politique d'information active qui soit adaptée aux événements et qui évite toute rumeur ou spéculation. La DélCdG propose en règle générale aux CdG de publier les résultats de ses inspections, pour autant qu'aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose.

Avant de rendre compte de ses travaux aux Commissions de gestion ou de publier ses observations, la DélCdG doit mettre en balance l'intérêt légitime au maintien du secret du Conseil fédéral avec l'intérêt public à la transparence (art. 158, LParl).

Pour cette raison, elle doit préalablement donner à l'autorité concernée la possibilité de s'exprimer sur d'éventuelles erreurs de fond et sur l'intérêt au maintien du secret (art. 157 LParl).

La DélCdG est nommée par les CdG. Elle est composée de trois membres de chaque commission. La délégation se constitue elle-même et choisit son président en général pour deux ans.

La DélCdG a effectué la présente enquête dans la composition suivante: -

Hugo Fasel, conseiller national, président

-

Claude Janiak, député au Conseil des Etats, vice-président

-

Alex Kuprecht, député au Conseil des Etats

-

Isabelle Moret, conseillère nationale

-

Hansruedi Stadler, député au Conseil des Etats

-

Pierre-François Veillon, conseiller national

A partir de décembre 2008, la conseillère nationale Therese Frösch a pris la relève du conseiller national Hugo Fasel. En janvier 2009, elle a participé aux travaux finaux de la DélCdG en vue de la publication du rapport.

Lors de son entrée en fonction le 1er juin 2008, la secrétaire de la DélCdG s'est récusée pour la présente enquête étant donné qu'elle s'était aussi occupée de l'affaire Tinner dans sa fonction précédente au Secrétariat général du Département fédéral de justice et police (DFJP).

4

La DélCdG a adopté ses principes d'action le 16.11.2005 et les a soumis pour information aux CdG et au Conseil fédéral.

(www.parlament.ch/SiteCollection Documents/f/de-gpdel-handlungsgrundsaetze.pdf).

4502

4

Evolution de l'affaire Tinner jusqu'à l'automne 2008

4.1

Les analyses et examens préliminaires des services de renseignement

Lors du rapport de situation périodique du chef du Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) en prélude à la séance du Conseil fédéral du 21 janvier 2004, le Service de renseignement stratégique (SRS) décrit l'ampleur du réseau Khan et souligne que la Suisse et le Liechtenstein sont probablement impliqués dans le réseau de fournisseurs internationaux mis sur pied par A. Q. Khan. En préparation de la séance du Conseil fédéral du 10 février 2004, le SRS commente la réaction du gouvernement pakistanais au sujet des activités d'A. Q. Kahn et souligne qu'il est probable que, dans le cadre de ses investigations relatives au réseau Khan, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) demande à la Suisse de fournir des renseignements sur les activités de ce réseau sur son territoire.

Le 17 février 2004, l'AIEA fait savoir à la mission suisse auprès de l'Organisation des Nations Unies (ONU) à Vienne qu'elle soupçonne certains citoyens et entreprises suisses d'avoir travaillé pour le réseau Khan. Friedrich et Urs Tinner figurent sur la liste montrée à la représentation suisse. L'AIEA prie également la Suisse de lui fournir des informations complémentaires sur ces deux personnes.

Le 20 février 2004, la police malaisienne publie sur le Web un rapport d'enquête sur les activités du réseau Khan. Ce rapport accuse l'homme d'affaires sri-lankais Buhary Seyed Abu Tahir d'avoir utilisé une entreprise malaisienne pour produire des pièces détachées de centrifugeuses d'enrichissement d'uranium destinées au programme visant à doter la Libye d'armes nucléaires.

Le rapport malaisien accuse en outre le Suisse Urs Tinner ainsi que son père et son frère (Friedrich et Marco Tinner), le premier d'avoir assisté Tahir lors de la mise en place de la production de composants de centrifugeuses et les seconds d'avoir collaboré au programme libyen d'enrichissement d'uranium. Selon la police malaisienne, Urs Tinner a quitté la Malaisie en octobre 2003.

Le rapport de la police malaisienne ayant publiquement établi l'existence d'un lien entre le réseau Khan et les Tinner, le Service d'analyse et de prévention (SAP) interroge des membres de la famille Tinner à leur domicile en Suisse le 24 février 2004. Ceux-ci répondent aux questions des représentants de la Confédération et leur
remettent des dessins techniques et des documents commerciaux de leurs entreprises. Ces investigations, chapeautées par le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO), sont effectuées en vertu de l'art. 10 de la loi sur le contrôle des biens (LCB)5.

Conformément à l'art. 26 de l'ordonnance sur le contrôle des biens (OCB)6, c'est le SAP qui, pour le compte de l'Office fédéral de la police (OFP), doit assurer le service de renseignement lors de ces investigations.

5 6

Loi fédérale du 13.12.1996 sur le contrôle des biens utilisables à des fins civiles et militaires et des biens militaires spécifiques (loi sur le contrôle des biens, LCB; RS 946.202).

Ordonnance du 25.6.1997 sur l'exportation, l'importation et le transit des biens utilisables à des fins civiles et militaires et des biens militaires spécifiques (ordonnance sur le contrôle des biens, OCB; RS 946.202.1).

4503

En avril 2004, la Délégation du Conseil fédéral pour la sécurité (Délséc) procède à un premier état des lieux des répercussions de l'affaire Tinner pour la Suisse. La Délséc a pour mission de renforcer la capacité de conduite du Conseil fédéral en matière de politique de sécurité et, à cet effet, de préparer les décisions du Conseil fédéral.7 La préparation des délibérations mensuelles de la Délséc incombe à l'Organe de direction pour la sécurité (Ordiséc). Cet organe est constitué des chefs des services de renseignement et des chefs des autres services de la Confédération concernés par les questions liées à la sécurité de l'Etat qui se réunissent à intervalles réguliers. Lors de la discussion relative à l'affaire Tinner, le SRS se montre favorable à la conduite d'une enquête approfondie sur les activités du réseau Khan étant donné qu'il estime que ce réseau comporte bien plus d'acteurs que ceux mentionnés jusque-là par les médias. Le SRS est d'avis que les services de renseignement doivent impérativement en savoir plus pour pouvoir le plus tôt possible estimer les retombées potentielles pour la Suisse. Il estime que c'est la seule façon de prévenir les responsables politiques avant que la presse fasse de nouvelles révélations.8 Pour sa part, le SAP estime que la balle est plutôt dans le camp du SECO et non dans celui du renseignement et qu'il appartient d'abord au SECO d'établir si des entreprises suisses ont livré à destination du programme d'armement nucléaire de la Libye du matériel soumis à permis d'exportation, directement ou par l'entremise de pays tiers, et que l'appréciation du SRS relative à l'importance du réseau Kahn relève de la spéculation et est invérifiable9. Dans sa contribution à la présentation de la situation de la Délséc, le SAP note au sujet des Tinner que les contacts suisses du réseau Khan sont sous contrôle et coopèrent avec les autorités.10 En mai 2004, la Délséc discute des répercussions possibles au cas où les soupçons relatifs aux activités déployées par le réseau Khan à partir de la Suisse devraient se vérifier. A cette occasion, la Délséc prend notamment connaissance du fait qu'il est possible qu'un lien avec la Suisse puisse être établi pour un dixième des biens et services incorporés au programme libyen d'enrichissement d'uranium. A cet égard, elle exprime sa crainte
que la Suisse fasse l'objet non seulement de critiques de la part de la communauté internationale, mais encore de pressions exercées au moyen de fausses accusations et, par conséquent, charge l'Ordiséc de préparer des réponses à partir d'un certain nombre de scénarios envisagés.

La Délséc prend connaissance des résultats des travaux de l'Ordiséc lors de sa séance du 22 juin 2004. Le document rédigé pour cette occasion parvient à la conclusion que, à condition d'aboutir à une condamnation définitive, l'ouverture d'une poursuite pénale contre les Tinner est susceptible de constituer aux yeux de la communauté internationale une preuve des efforts de la Suisse en matière de politique de non-prolifération des armes nucléaires. La Délséc estime en outre que la collaboration spontanée des autorités suisses avec l'AIEA pourrait également être portée au crédit de la Suisse. Au cours de la séance, l'Ordiséc attire notamment l'attention de la Délséc sur l'importance d'une neutralisation complète du réseau Khan, seule mesure capable d'empêcher ses membres clés de préserver leurs connaissances et de les transmettre non seulement à des Etats considérés comme

7 8 9 10

Art. 3 de l'ordonnance du 24.10.2007 sur l'organisation de la conduite de la politique de sécurité du Conseil fédéral (RS 120.71).

Procès-verbal de la séance de l'Ordiséc du 22.4.2004, p. 2.

Procès-verbal de la séance de l'Ordiséc du 22.4.2004, p. 3.

Contribution du SAP à la présentation de la situation de la Délséc du 22.4.2008, p. 2.

4504

proliférateurs, mais encore à des organisations terroristes11. La plupart des mesures proposées visent à mettre en place une politique d'information préventive. Toutefois, de toutes ces mesures, seul le renforcement de la collaboration des experts suisses avec l'AIEA sera finalement mis en oeuvre.

Les investigations préliminaires du SECO et du SAP révèlent que des entreprises appartenant à des membres de la famille Tinner ont exporté quantité de matériel à destination d'entreprises en mains du réseau Khan, en particulier à des entreprises installées à Dubaï ou en Malaisie. Les premiers examens techniques permettent de supposer que certains biens, notamment des pièces détachées de centrifugeuses d'enrichissement d'uranium produites en Suisse, ont été exportés sans l'autorisation correspondante du SECO. C'est pour cette raison que, le 22 septembre 2004, le SECO et le SAP déposent une plainte auprès du MPC pour infraction à la loi sur le contrôle des biens et à la loi sur le matériel de guerre.

4.2

L'enquête judiciaire contre Urs, Marco et Friedrich Tinner

Le 13 octobre 2004, le MPC ouvre une procédure d'enquête pénale contre Urs et Marco Tinner. Urs Tinner avait été arrêté en Allemagne le 8 octobre 2004. Donnant suite à une demande d'entraide judiciaire déposée par les autorités allemandes, le MPC ordonne une perquisition au domicile des Tinner que la Police judiciaire fédérale (PJF) effectuera le 11 novembre 2004.

Le 30 mai 2005, faisant suite à un mandat d'arrêt international, les autorités allemandes extradent Urs Tinner vers la Suisse. L'Office des juges d'instruction fédéraux (OJI) le place en détention préventive le 2 juin 2005. Le 18 août 2005, le MPC étend la procédure à Friedrich Tinner, son père, et ajoute la présomption de blanchiment d'argent. Friedrich et Marco Tinner sont arrêtés le 5 septembre 2005 et placés en détention préventive le 8 septembre 2005. Le 31 octobre 2005, le MPC demande à la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral de prolonger la détention préventive de Friedrich Tinner de trois mois. Le Tribunal fédéral rejette le recours interjeté par ce dernier contre cette décision et Friedrich Tinner doit attendre fin janvier 2006 avant d'être remis en liberté provisoire.

Au total, le MPC a adressé des demandes d'entraide judiciaire à 17 Etats différents: Liechtenstein, Allemagne, Autriche, Italie, Pays-Bas, Espagne, Grande-Bretagne, Lituanie, Turquie, Etats-Unis, Afrique du Sud, Bahamas, Libye, Malaisie, Thaïlande, Pakistan et Emirats arabes unis. Fin 2005, le MPC entend Buhary Seyed Abu Tahir détenu en Malaisie à la suite de la découverte des livraisons à la Libye de pièces détachées de centrifugeuses. Au printemps 2006, des représentants du MPC se rendent également en Libye pour y interroger des témoins.

En novembre 2004, le MPC saisit une grande quantité d'informations au domicile des Tinner. Il fait appel aux experts de l'AIEA pour évaluer les pièces techniques.

Au printemps 2006, ceux-ci y trouvent des plans de fabrication d'armes nucléaires.12

11 12

Procès-verbal de la séance de l'Ordiséc du 22.4.2004, p. 2.

Selon les témoins entendus, l'ampleur de ces plans correspond au contenu d'environ 1 à 2 classeurs fédéraux, 30 à 40 fichiers numériques ou 200 à 220 pages.

4505

L'état d'avancement des investigations permet dorénavant de soupçonner les Tinner d'avoir été mêlés à des activités de renseignement illégales. Les 18 avril et 17 octobre 2006, en application de l'art. 105 de la loi sur la procédure pénale (PPF)13, le MPC demande au DFJP de lui donner l'autorisation de poursuivre judiciairement les délits politiques au sens des art. 271 (actes exécutés sans droit pour un Etat étranger) et 301 (espionnage militaire au préjudice d'un Etat étranger) du code pénal (CP)14.

4.3

La décision du Conseil fédéral du 1er novembre 2006

4.3.1

Le chef du DFJP apprend la présence en Suisse de plans de fabrication d'armes nucléaires découverts dans le cadre de l'enquête judiciaire contre les Tinner

Le 12 juillet 2006, accompagné du directeur de l'Office fédéral de la justice (OFJ) et du procureur général intérimaire de la Confédération, le chef du DFJP se rend à Washington pour signer un accord entre les deux pays (Operative Working Arrangement). Lors d'un entretien personnel avec Alberto Gonzales, secrétaire d'Etat américain à la Justice, le chef du DFJP entend pour la première fois parler des plans de fabrication d'armes nucléaires que la Suisse a saisis dans le cadre de l'enquête judiciaire dirigée contre les Tinner.

A la mi-août 2006, des hauts fonctionnaires américains s'entretiennent avec des représentants du MPC à Washington et leur font savoir que les pièces du dossier Tinner en possession des autorités judiciaires suisses comportent notamment des plans décrivant la fabrication d'armes nucléaires. Le 21 août 2006, en se fondant sur l'art. 102quater PPF en vertu duquel les données afférentes aux recherches de la police judiciaire peuvent être communiquées au Conseil fédéral, le procureur général intérimaire de la Confédération informe le chef du DFJP que les pièces du dossier Tinner portent notamment sur l'enrichissement d'uranium et la fabrication d'armes nucléaires et attire l'attention du chef du DFJP sur le fait que l'on ne peut exclure que des membres de la famille Tinner aient caché des copies de ces plans, en Suisse ou à l'étranger.

Le 15 septembre 2006, une délégation américaine rencontre à Berne le chef du DFJP et des représentants de l'administration fédérale. La délégation américaine évoque les efforts déployés par la communauté internationale pour mettre la main sur les plans de fabrication d'armes nucléaires en possession de membres du réseau Khan et de leurs clients. Ils révèlent qu'A. Q. Khan a fait numériser ces plans tirés du programme d'armement nucléaire pakistanais et que les Tinner ont importé des copies de ces fichiers en Suisse. Ils insistent sur la volonté des Etats et des groupes terroristes nourrissant des ambitions nucléaires d'entrer en possession de tels plans. Ils informent leurs interlocuteurs que les Etats-Unis invitent la Suisse à confier ces plans à un Etat doté d'armes nucléaires et partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires15 (ci-après: Etat habilité à posséder des armes nucléaires) et se 13 14 15

Loi fédérale du 15.6.1934 sur la procédure pénale (PPF; RS 321.0).

Code pénal (CP; RS 311.0).

Traité du 1.7.1968 sur la non-prolifération des armes nucléaires (traité sur la nonprolifération; RS 0.515.03).

4506

montrent disposés à reprendre ces documents sensibles et à en assurer la sécurité.

Lors de cette discussion, la destruction de ces documents aurait également été présentée par la Suisse comme une alternative possible à la transmission des documents à un Etat habilité à posséder des armes nucléaires.

4.3.2

Le Conseil fédéral est informé de la présence en Suisse de plans de fabrication d'armes nucléaires et octroie à l'AIEA le droit de consulter des pièces du dossier

Le 16 octobre 2006, à l'occasion d'un symposium international à Vienne, Mohamed ElBaradei, directeur général de l'AIEA, déclare que l'AIEA poursuit ses investigations sur le réseau Khan. A cet égard, il mentionne qu'il est possible de stocker les plans de construction de centrifugeuses d'enrichissement d'uranium et d'armes nucléaires sur un seul et même CD-ROM.16 Le 25 octobre 2006, la mission du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) à Vienne avise le MPC que l'AIEA a informé les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU de la saisie par un Etat non doté d'armes nucléaires de plans de fabrication d'armes nucléaires. Elle souligne que, même si la Suisse n'a pas été explicitement mentionnée, force est de faire le lien avec les Tinner.

Toujours en octobre 2006, l'AIEA prie la mission suisse à Vienne de faire part au MPC de son désir de consulter les pièces du dossier Tinner afférentes à la prolifération nucléaire et d'en obtenir une copie. Le 25 octobre 2006, le procureur général intérimaire de la Confédération informe le chef du DFJP au sujet de la requête de l'AIEA et lui demande d'en aviser le Conseil fédéral afin que ce dernier puisse statuer officiellement sur la requête présentée par l'AIEA.

Pour préparer la décision du Conseil fédéral, le chef du DFJP institue un groupe de travail ad hoc en accord avec le DFAE. Dirigé par le directeur de l'OFJ, ce groupe est constitué du directeur de l'OFP, du procureur général intérimaire de la Confédération, du procureur en charge de la procédure Tinner, de la responsable de l'inspectorat du Secrétariat général du DFJP et du chef suppléant de la Direction politique du DFAE.

Le groupe de travail se met à l'oeuvre fin octobre 2006. Il constate que des décisions doivent être prises sur plusieurs fronts. Comme il s'est avéré que les pièces du dossier Tinner contiennent des plans de construction d'armes nucléaires, il est indispensable d'en assurer la sécurité. En outre, la demande d'informer le Conseil fédéral de la présence de ces plans en Suisse ­ que le MPC avait présentée en août 2006 ­ ainsi que la requête de l'AIEA qui a manifesté son désir de consulter les pièces du dossier afférentes à la prolifération nucléaire doivent encore être traitées.

Lors du premier état des lieux, le groupe de travail constate que les originaux des
données saisies chez les Tinner s'y trouvent encore. Le 27 octobre 2006, une nouvelle perquisition est donc effectuée chez des membres de la famille Tinner afin de saisir l'ensemble des documents afférents à la prolifération nucléaire, en particulier des plans de construction d'armes nucléaires.

16

Les déclarations du directeur général de l'AIEA ont été citées par l'article «Stopping Illicit Trade in Nukes» publié le 30.11.2006 par l'hebdomadaire Newsweek.

4507

Le groupe de travail se penche aussi sur la sécurité des documents saisis. Il parvient à la conclusion que le MPC n'est pas en mesure de stocker la masse de matériel saisi de manière suffisamment sûre, ce que le MPC conteste. Sur ordre du chef du DFJP, la PJF est chargée d'assurer et de sécuriser le stockage de toutes les pièces du dossier. Seul le procureur en charge de la procédure Tinner est autorisé à consulter ces pièces, mais pas à en faire des copies.

C'est le groupe de travail qui prépare la proposition de décision du DFJP. Celle-ci est datée du 1er novembre 2006 et est distribuée aux membres du Collège fédéral le matin même de sa séance.

Ce document apprend au Conseil fédéral que des plans de construction d'armes nucléaires ont été découverts dans le cadre d'une enquête contre trois citoyens suisses diligentée par le MPC après que l'AIEA avait attiré l'attention de la Suisse sur cet état de fait. Il l'informe également que des représentants des autorités américaines ont à plusieurs reprises eu des entretiens informels avec le MPC et le chef du DFJP à l'occasion desquels ils ont demandé que les documents en question soient remis aux Etats-Unis qui désirent se charger de leur protection contre tout accès non autorisé. Le document précise en outre que les Etats-Unis semblent accorder une grande importance à leur requête, raison pour laquelle ils exercent une pression politique en conséquence.

Dans sa proposition, le DFJP demande au Conseil fédéral d'accéder à la requête de l'AIEA. Le DFJP indique également que le MPC pourrait décider de remettre de telles copies à l'AIEA de sa propre compétence et que, en vertu des dispositions régissant l'entraide judiciaire, les accusés saisis devraient alors être informés de la demande d'entraide judiciaire, ce qui leur donnerait la possibilité de former recours contre une telle décision. Le DFJP relève que la procédure qui s'ensuivrait rendrait public le fait que la Suisse est en possession de documents sensibles.

Pour cette raison, dans sa demande du 1er novembre 2006, le DFJP propose que le Conseil fédéral accède à la requête de l'AIEA en vertu de l'art. 184, al. 3, Cst., en précisant en substance que cette solution est la seule qui ne laisse aucune possibilité de recours aux parties à la procédure permettant ainsi d'éviter toute publicité
indésirable17. La demande argumente que non seulement les ramifications internationales, la nécessité et l'urgence justifient cette décision, mais encore que les intérêts de politique étrangère de la Suisse l'emportent sur les intérêts particuliers des accusés.

Le 1er novembre 2006, le Conseil fédéral prend donc connaissance de l'ampleur des pièces du dossier Tinner qui comporte des documents relatifs à des technologies nucléaires et, en ce qui concerne la collaboration avec l'AIEA, donne son aval à la proposition du DFJP.

4.3.3

Les réactions américaines

Le lendemain de la décision du Conseil fédéral, le secrétaire d'Etat américain à la Justice écrit au chef du DFJP. Dans cette lettre datée du 2 novembre 2006, le gouvernement américain propose de retirer les informations et documents «sensibles» 17

Proposition du DFJP du 1.11.2006 relative à la consultation par l'AIEA de documents «explosifs» issus d'une procédure d'enquête judiciaire du MPC et remise de ces documents à ladite agence, p. 3.

4508

de la procédure de poursuite judiciaire contre les Tinner et de les transmettre aux autorités américaines afin que celles-ci puissent les placer sous bonne garde. Dans ce courrier, les Etats-Unis s'engagent à accorder à la Suisse l'accès à ces documents aux fins de l'enquête pénale et pour qu'elle puisse remplir ses obligations découlant du traité sur la non-prolifération.

Le 20 novembre 2006, le chef du DFJP, qui avait chargé le groupe de travail de préparer sa réponse, écrit à son homologue américain que le Conseil fédéral avait en tous points accédé à la demande de l'AIEA et lui avait fourni les copies des pièces du dossier Tinner qui l'intéressaient. Dans sa réponse, le chef du DFJP souligne en outre que le représentant de l'AIEA avait été rassuré quant à la sécurité de l'archivage des pièces à conviction et à leur inaccessibilité à toute personne non autorisée.

Toujours dans la lettre adressée à son homologue américain, le chef du DFJP mentionne les travaux en cours qui doivent permettre de déterminer la manière de traiter les documents sensibles et précise qu'il est envisageable de les remettre à l'AIEA, voire de les détruire sous contrôle de l'AIEA, mais qu'en tout état de cause, la Suisse cherchait une solution respectant ses engagements légaux tout en tenant compte des intérêts respectifs des deux pays. Le chef du DFJP a donc renoncé dans son courrier d'entrer en matière sur la proposition des Etats-Unis de reprendre les documents sensibles du dossier Tinner. Vis-à-vis de la DélCdG, le chef du DFJP a laissé entendre, que du point de vue de la Suisse, il n'avait pas jugé cette option comme étant opportune.

4.4

La décision du Conseil fédéral du 29 août 2007

4.4.1

Intervention des Etats-Unis en faveur des Tinner

Lorsque le lien entre les Tinner et le réseau Khan devient public début 2004, les services de renseignement américains contactent le SAP et le SRS et les informent que les Tinner ont également travaillé pour les Etats-Unis et ont contribué au démantèlement de ce réseau.

Le 4 mars 2004, en présence du directeur de l'OFP, le SAP informe le chef du DFJP de l'implication des services de renseignement américains. Au vu de la situation et des informations disponibles, le chef du DFJP décide de proposer au Conseil fédéral de refuser, le cas échant, l'autorisation d'entamer une poursuite pénale.18 En décembre 2004, l'ambassadrice américaine en Suisse demande à rencontrer le chef du DFJP. Lors de l'entrevue, à laquelle le directeur de l'OFP participe également, la discussion porte sur la question des rapports des Tinner avec les services de renseignement américains.

Le chef du DFJP et le directeur de l'OFP rencontrent une nouvelle fois l'ambassadrice américaine le 19 janvier 2006 afin de discuter de l'affaire Tinner. Le 27 janvier 2006, en marge du Forum économique mondial, Michael Chertoff, secrétaire d'Etat américain à la sécurité intérieure, en présence de l'ambassadrice des Etats-Unis, aborde lui aussi la question de l'affaire Tinner avec le chef du DFJP.

18

Compte rendu du SAP du 4.3.2004 relatif à l'entretien avec le conseiller fédéral Blocher.

4509

Le 15 décembre 2006, soit après son voyage à Washington du 12 juillet 2006, le chef du DFJP reçoit une délégation américaine à Berne (voir ch. 4.3.1). Outre la question du caractère explosif des plans de construction d'armes nucléaires faisant partie des pièces à conviction du dossier Tinner, les représentants américains abordent aussi la contribution des Tinner à l'interruption du programme visant à doter la Libye d'armes nucléaires. A cette occasion, ils demandent l'aide de la Suisse pour que la collaboration des Tinner avec les services de renseignement américains ne soit ni révélée, ni poursuivie dans le cadre de la procédure pénale en cours.

Du 11 au 13 avril 2007, lors de la visite de travail du chef du DDPS aux Etats-Unis, tous ses interlocuteurs, dont Michael Chertoff, secrétaire d'Etat américain à la sécurité intérieure, Charles Allen sous-secrétaire d'Etat (chef du renseignement du département de la sécurité intérieure), Robert Gates, secrétaire d'Etat américain à la défense, Gordon England, vice-secrétaire d'Etat américain à la défense, et George Bush, le père de l'actuel président des Etats-Unis, lui parlent de l'affaire Tinner.19

4.4.2

Le Conseil fédéral refuse l'autorisation de poursuivre judiciairement les délits politiques présumés au sens des art. 271 et 301 CP

Au cours de l'été 2007, le chef du DFJP décide de soumettre à la décision du Conseil fédéral les deux demandes d'autorisation de poursuivre judiciairement les délits politiques au sens des art. 271 (actes exécutés sans droit pour un Etat étranger) et 301 (espionnage militaire au préjudice d'un Etat étranger) CP présentées par le MPC et en suspens depuis respectivement avril et octobre 2006. Le législateur a en effet donné au Conseil fédéral la compétence de décider de la poursuite judiciaire des délits politiques (art. 105 PPF).20 Par lettre du 2 juillet 2007, le chef du DFJP demande l'avis du DFAE et du DDPS quant à l'opportunité d'une poursuite pénale à l'encontre du service de renseignement étranger suspecté, d'une part, et des Tinner, d'autre part. Dans sa lettre, le chef du DFJP explique que, début 2006, le MPC aurait appris que six agents des services de renseignement américains avaient procédé à une «perquisition» à leur domicile le 21 juin 2003. A cette occasion, ils ont amené Marco Tinner à coopérer avec les autorités américaines. Il ajoute que, ce jour-là, les agents américains avaient également eu accès à tous les documents et fait des copies de toutes les données électroniques. Dans sa lettre, le chef du DFJP estime remplies les conditions d'une poursuite pénale des agents des services de renseignement américains et des Tinner pour délits présumés au sens des art. 271 et 301 CP.

Trois semaines plus tard, soit le 26 juillet 2007, le chef du DFJP se rend de nouveau aux Etats-Unis et rencontre les secrétaires d'Etat américains à la défense et à la sécurité intérieure ainsi que Robert Mueller et John M. McConnell, respectivement directeur du FBI et directeur national du renseignement des Etats-Unis.21 Lors de 19 20

21

Voir le communiqué de presse du DDPS du 11.4.2007.

Avec l'art. 3 de l'ordonnance du 17.11.1999 sur l'organisation du Département fédéral de justice et police (Org DFJP; RS 172.213.1), le Conseil fédéral délègue cette compétence au DFJP. Lorsque les relations avec l'étranger sont concernées, le DFJP prend sa décision après avoir consulté le DFAE. Le DFJP peut soumettre les cas d'importance particulière au collège fédéral.

Voir le communiqué de presse du DFJP du 27.7.2007.

4510

l'entretien avec ce dernier et en présence du directeur de l'OFJ, le chef du DFJP précise que le Conseil fédéral va très prochainement statuer sur les demandes d'autorisation de poursuivre les Tinner et les services de renseignement américains déposées par le MPC. Selon les déclarations du chef du DFJP, il aurait, suite à une consultation préalable du DFAE et du DDPS, laissé entendre à son interlocuteur que les trois départements se prononceraient pour un refus d'octroyer une telle autorisation.

Le 9 août 2007, Condoleeza Rice, secrétaire d'Etat américaine aux affaires étrangères, prend contact avec la chef du DFAE pour discuter d'un sujet de politique extérieure d'actualité. A cette occasion, la secrétaire d'Etat exprime sa satisfaction au sujet de la solution satisfaisante pour les deux Etats qui semblerait se dessiner en ce qui concerne l'affaire Tinner.

Le 16 août 2007, la chef du DFAE fait parvenir son avis au chef du DFJP sur la question de l'autorisation de poursuivre les Tinner et les services de renseignement américains. Dans cet avis, elle lui fait savoir qu'elle est opposée à une poursuite pénale des délits politiques. Elle relève les éléments semblant indiquer que les services de renseignement américains se seraient directement attachés la collaboration des Tinner afin de mettre au jour le programme visant à doter la Libye d'armes nucléaires, ceci sans prendre la peine de passer par la voie de l'entraide judiciaire. A cet égard, la chef du DFAE relève néanmoins aussi que, des années auparavant, les Etats-Unis avaient déjà informé les autorités suisses au sujet des activités du réseau Khan.

Elle souligne qu'en entamant des poursuites judiciaires à l'encontre des services de renseignement américains et des Tinner, la Suisse risquerait de donner l'impression de faire obstacle aux efforts que la communauté internationale déploie pour empêcher la prolifération des armes nucléaires et ajoute que la publicité d'un procès pourrait compromettre les efforts de l'AIEA et des Etats-Unis qui cherchent à identifier de nouveaux éléments du réseau Khan afin de le démanteler définitivement. Elle estime en outre qu'une procédure dirigée contre des membres des services de renseignement américains ne manquerait pas de provoquer une forte détérioration des relations internationales avec les Etats-Unis.
Dans son avis du 20 août 2007, le chef du DDPS se déclare lui aussi opposé à l'octroi de l'autorisation de poursuivre demandée par le MPC. Il souligne que, depuis près de 30 ans, les autorités suisses sont au courant du fait que des individus et des entreprises travaillent en Suisse pour le réseau Khan. Il qualifie en outre de graves les lacunes des services suisses dans la lutte contre la plus grande et dangereuse vague de prolifération nucléaire à ce jour et déplore que le SAP ait donné l'impression de manquer d'intérêt à coopérer avec des services étrangers dans la lutte contre cette prolifération, ouvrant ainsi la porte à des interventions unilatérales étrangères.

Le 27 août 2007, en se fondant sur les arguments du DFAE et du DDPS, le DFJP propose au Conseil fédéral de ne pas autoriser le MPC à poursuivre des agents des services de renseignement américains et les Tinner pour les délits présumés au sens des art. 271 et 301 CP. D'après la proposition du DFJP, les indices présents permettaient de conclure à une intervention illégale des Etats-Unis sur le territoire suisse, et partant, à une violation de la souveraineté de la Suisse. En même temps, la proposition du DFJP relève que les actes en question des services de renseignement américains ont joué un rôle important dans l'interruption du programme visant à doter la 4511

Libye d'armes nucléaires. Le DFJP note en outre que l'ouverture d'une procédure pour espionnage contre les Etats-Unis et les Tinner ne ferait qu'attirer l'attention du monde entier sur les documents sensibles détenus par la Suisse.

Le 29 août 2007, le Conseil fédéral fait suite à la proposition du DFJP et refuse d'autoriser le MPC à poursuivre des agents des services de renseignement américains et les Tinner pour les délits au sens des art. 271 et 301 CP.22

4.5

La décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007

4.5.1

Les travaux du groupe de travail

A l'origine, le groupe de travail interdépartemental institué en octobre 2006 par le chef du DFJP avait été créé pour préparer la décision du Conseil fédéral du 1er novembre 2006 et s'occuper de la sécurité des documents. En novembre 2006, le groupe de travail a préparé la lettre du chef du DFJP au ministre de la Justice américain. Par la suite, le groupe de travail n'avait plus de mandat précis. Dès le printemps 2007, il siège à nouveau à plusieurs reprises dans une configuration réduite et variable. Il continue de se pencher sur l'affaire Tinner en général et sur la question de la sécurité des plans de construction d'armes nucléaires en particulier.

Depuis la reprise de ses activités au printemps 2007, le groupe du travail part du principe qu'il faudra trouver une solution finale pour l'archivage de ces plans, et cela au plus tard lors de la clôture définitive de la procédure pénale. Il estime en outre que, pour des raisons de sécurité, il est indispensable de limiter, voire d'interdire l'accès aux plans de construction d'armes nucléaires durant la procédure pénale, ce qui semble plutôt difficile selon l'avis de droit23, commandé le 19 septembre 2006 par le chef du DFJP, que l'OFJ avait rédigé à partir d'un scénario du MPC. L'OFJ avait été chargé d'examiner à partir d'un exemple fictif si, en présence d'un intérêt général prépondérant, une décision du pouvoir exécutif permettrait de retirer des pièces à conviction d'un dossier de poursuite pénale. Dans cet avis de droit, l'OFJ était parvenu à la conclusion que, durant une procédure pénale en cours, des pièces à conviction ne pouvaient être retirées du dossier qu'avec l'autorisation de l'accusé.

Lors de la réunion du groupe de travail du 11 septembre 2007, le MPC informe ses membres d'un accord très prochain avec les avocats des Tinner.24 Il souligne cependant que les avocats s'opposent à la destruction des pièces sensibles du dossier afin de se réserver la possibilité de réutiliser ces documents dans une procédure judiciaire ultérieure. Lors de cette séance, le groupe cherche également des solutions autres qu'une destruction des documents sensibles après le jugement définitif et parvient à la conclusion que leur remise à l'AIEA doit être préférée à une destruction. A cet égard, le groupe de travail constate qu'il faut au préalable évaluer l'ensemble du

22

23 24

Lors de l'information donnée à la presse le 23 mai 2008, le président de la Confédération a mentionné que les deux procédures d'autorisation concernaient les frères Tinner, leur père ainsi que des personnes inconnues.

Avis de droit de l'OFJ du 2.10.2006.

Voir chiffres 2.5 et 2.6 des arrêts du Tribunal fédéral relatifs aux demandes de libération formulées respectivement par Urs Tinner (ATF 1B 175/2008) et Marco Tinner (ATF 1B 177/2008).

4512

matériel saisi chez les Tinner afin de pouvoir séparer les pièces sensibles du reste des documents.

Lors de cette même séance, il apparaît que les documents et le contenu des supports électroniques qui ont encore été saisis chez les Tinner le 27 octobre 2006 devront également être triés. La perquisition effectuée à cette date a en effet multiplié le volume du matériel saisi qui, depuis lors, comporte de nombreuses copies de documents qui avaient déjà été versés au dossier de l'enquête judiciaire pour infraction à la loi sur le contrôle des biens et à la loi sur le matériel de guerre. Ce matériel n'ayant toutefois aucune incidence ou seulement une incidence marginale pour la procédure pénale en cours, il n'avait pas encore été évalué au moment de cette séance. Etant donné que cette saisie avait pour objectif principal de protéger ces informations sensibles de tout accès non autorisé, la PJF n'avait pas estimé nécessaire de requérir des ressources supplémentaires pour accélérer leur évaluation.

Une partie des membres du groupe de travail se réunissent une nouvelle fois le 3 octobre 2007. Le responsable du groupe informe les participants que les Etats-Unis continuent d'exercer des pressions et ne sont pas disposés à attendre la fin du procès devant la Justice suisse.25 Il ajoute que Washington ne lâchera pas prise tant que la Suisse sera en possession des documents sensibles.

Dans un tel contexte, le volume des documents à trier a encore gagné en importance.

Le groupe de travail invite donc le MPC à terminer ce tri avant fin octobre 2007 afin que le matériel sensible puisse être remis à l'AIEA déjà avant le jugement définitif.

Il décide en outre de charger le DFAE de clarifier la question de savoir si l'AIEA est disposée à reprendre les pièces sensibles et comment, le cas échéant, elle compte assurer leur accès dans le cadre de la procédure pénale. Certains membres se demandent en outre si, en fin de compte, une organisation internationale telle que l'AIEA est à même d'assurer la sécurité de l'archivage des plans de construction d'armes nucléaires.

Lors de la séance du 3 octobre 2007 encore, les participants prennent connaissance du résultat de la visite des locaux de conservation des documents sensibles effectuée par les directeurs de l'OFJ et de l'OFP. De l'avis du directeur de l'OFJ, toutes
les mesures de sécurisation possibles de l'endroit ont certes été prises, mais, comme le directeur de l'OFP, il estime qu'il n'est pas possible d'assurer une sécurité suffisante pour archiver le matériel en question à long terme.

Le 3 octobre 2007, le groupe de travail a chargé le DFAE de se renseigner auprès de l'AIEA pour obtenir des précisions quant à une éventuelle remise des plans de construction d'armes nucléaires. Selon le chef du groupe de travail, l'AIEA avait toutefois laissé entendre à l'automne 2006 déjà, que la reprise des plans de construction d'armes nucléaires n'entrait pas dans ses attributions. Le DFAE se renseigne auprès de l'AIEA à Vienne, le 19 octobre 2007. A cette occasion, les représentants du département abordent déjà la question de la participation de l'AIEA à la destruction des pièces à conviction de la procédure Tinner. Contrairement à la mission confiée par le groupe de travail, les discussions ne portent plus sur la remise des documents sensibles à l'AIEA.

Après le 3 octobre 2007, le groupe de travail ne se réunira plus pour trouver une nouvelle solution au problème d'archivage des pièces sensibles du dossier Tinner.

Le groupe de travail n'a par ailleurs jamais soumis au chef du DFJP des propositions 25

Compte rendu du 14.10.2007 de la séance du 3.10.2007 du groupe de travail, p. 2.

4513

visant à la destruction des documents sensibles. La délégation a pu constater, que le DFAE considérait que les intérêts en matière de politique extérieure et de sécurité justifiaient une telle ingérence dans la procédure pénale. Etant donné que le MPC s'est toujours élevé contre une telle option, il n'aurait guère été possible de trouver un consensus en vue d'une destruction au sein du groupe de travail. Toutefois, le Chef du DFJP a poursuivi cette discussion avec certains membres du groupe de travail.

4.5.2

Le Conseil fédéral se prononce en faveur de la destruction des pièces à conviction saisies

En juillet 2007, comme cela a déjà été exposé au ch. 4.4.2, le chef du DFJP, en présence du directeur de l'OFJ, s'entretient à Washington avec le directeur national du renseignement américain sur la suite de la procédure en ce qui concerne les documents sensibles de l'affaire Tinner. Lors de cette rencontre, le chef du DFJP insiste sur l'indépendance du MPC et explique à son interlocuteur qu'il faut l'autorisation du tribunal pour obtenir le huis clos.

Le 13 septembre 2007, le chef du DFJP informe la DélCdG que la procédure va suivre un cours normal (voir ch. 5.2).26 Le 12 novembre 2007, il propose toutefois au Conseil fédéral de trouver une solution pour les documents sensibles déjà avant la fin de la procédure judiciaire. Cette proposition a été préparée en faisant appel aux représentants du DFAE au sein de groupe de travail.

Dans sa proposition du 12 novembre 2007, le DFJP mentionne que la possession de ces documents pose un grave problème pour la Confédération, qu'ils constituent un risque de prolifération, et que c'est pour cette raison que les Etats-Unis insistent pour que la Suisse leur remette ces documents ou, à la rigueur, détruise toutes les informations sensibles.27 Le DFJP y relève en outre qu'en détenant des plans de construction d'armes nucléaires, la Suisse contrevient à ses obligations découlant du droit international, mais qu'elle peut se débarrasser des pièces sensibles en détruisant les plans de construction d'armes nucléaires sous la surveillance de l'AIEA.28 La proposition du DFJP ne cache pas que les informations à détruire constituent des pièces à conviction d'une procédure pénale se réclamant d'un Etat de droit, dans laquelle le Conseil fédéral ne peut en principe pas intervenir. Elle indique également que, en plus de limiter les droits de propriété et de procédure des accusés, l'ordre de détruire ces pièces constituerait une ingérence du Conseil fédéral dans l'autonomie du MPC au cas où celui-ci désapprouverait leur destruction.

Effectuant la pesée d'intérêts, le DFJP met en avant le caractère très explosif des documents et les risques extraordinaires qu'ils font courir à la sécurité de la Suisse et de la communauté internationale, mais aussi les obligations de la Suisse découlant du droit international et les arguments relevant de la politique extérieure qui priment
l'intérêt à une procédure pénale respectant les principes d'un Etat de droit. Il estime que l'argument principal qui milite en faveur de la destruction des pièces à convic26 27 28

Note de présentation du chef du DFJP pour la séance de la DélCdG du 13.9.2007, p. 10.

Proposition du DFJP du 12.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T., p. 2.

Proposition du DFJP du 12.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T., p. 3.

4514

tion est le danger que celles-ci font peser sur la sécurité de la communauté internationale du simple fait de leur présence en Suisse.29 Dans sa proposition, le DFJP ne présente qu'une destruction partielle des pièces à conviction, c'est-à-dire qui se serait restreinte aux informations relatives à la construction d'armes nucléaires. Cependant, la destruction de toutes les pièces saisies durant la procédure contre les Tinner est favorisée pour les raisons suivantes: -

La première est que le tri entre les documents afférents à la construction d'armes nucléaires et les documents moins sensibles serait complexe et mobiliserait des ressources importantes. De plus, il ne donnerait pas la certitude quant à la destruction complète des informations relatives à l'armement nucléaire.

-

Deuxièmement, il faudrait engager des experts supplémentaires pour effectuer ce tri, ce qui élargirait le cercle des personnes ayant accès aux informations sensibles.

-

Troisièmement, un tel tri ne donne aucune certitude à la Suisse quant au respect de ses engagements découlant du traité sur la non-prolifération.

-

Quatrièmement, les Etats-Unis ont souligné que le processus d'enrichissement d'uranium est susceptible de permettre de construire des bombes communément appelées sales30 et qu'une destruction partielle des données laisserait subsister un risque de sécurité substantiel pour la communauté internationale.

La proposition que le DFJP fait parvenir au Conseil fédéral le 12 novembre 2007 souligne que la destruction de l'ensemble du matériel saisi vide presque entièrement le dossier à charge des Tinner et que, faute de pièces à conviction suffisantes, il n'y a d'autre possibilité que de classer l'affaire sans suite.

Le Conseil fédéral approuve la proposition du DFJP et dispose en outre que la destruction aura lieu sous la surveillance de l'AIEA. De plus, tout en anticipant l'accord de l'AIEA, le Conseil fédéral décide qu'un Etat habilité à posséder des armes nucléaire accompagnera la mesure. Au sein du Conseil fédéral, la participation des Etats-Unis a été proposée. Le DFJP s'est chargé par la suite de la mise en oeuvre des décisions prises.

4.5.3

Les contacts bilatéraux entre le chef du DFJP et les représentants des Etats-Unis

Dans le cadre de son enquête, la DélCdG a eu connaissance de plusieurs contacts directs entre le Chef du DFJP et des représentants des Etats-Unis. Lors de ces entretiens, les intérêts des deux parties à la destruction de l'ensemble des pièces à conviction sont devenus manifestes. En raison des intérêts légitimes au maintien du secret 29 30

Proposition du DFJP du 12.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T., p. 2.

Selon certains experts de la Confédération, les diverses substances radioactives que les milieux terroristes tentent d'acquérir peuvent être utilisées pour la construction d'une bombe sale sans qu'il soit nécessaire de les enrichir. Leur enrichissement n'augmenterait pas l'efficacité d'une telle bombe, mais nécessiterait la construction d'une installation idoine qui coûterait plusieurs centaines de millions de francs.

4515

invoqués par le Conseil fédéral, la DélCdG renonce ici à s'étendre sur le contenu de ces contacts.

4.6

La mise en oeuvre de la décision 14 novembre 2007

Lors de la séance du 14 novembre 2007, le Conseil fédéral a mandaté le chef du DFJP de créer une organisation de projet en vue de la mise en oeuvre de la décision concernant la destruction des pièces à conviction. Le même jour, le chef du DFJP met sur pied cette nouvelle structure sous la conduite du directeur de l'OFJ et informe ses membres de la décision du Conseil fédéral. Ont fait partie de cette organisation de projet divers membres du groupe de travail antérieur, entre autres le procureur général de la Confédération, le directeur fedpol et le chef suppléant de la direction politique du DFAE.

A l'issue de l'information, répondant par la négative à la question du procureur général de la Confédération qui demande si le Conseil fédéral a aussi décidé de suspendre l'enquête judiciaire, le chef du DFJP précise que le Conseil fédéral laisse au MPC le soin de décider s'il estime être ou non en mesure de porter l'affaire devant le Tribunal pénal fédéral. Il charge ensuite le directeur de l'OFJ d'exécuter la décision du Conseil fédéral en se faisant aider par une organisation de projet appropriée. Le 27 novembre 2007, le procureur général de la Confédération et le directeur de l'OFP informent à leur tour les collaborateurs concernés du MPC et de la PJF de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007.

L'organisation de projet commence alors par rassembler tous les documents qui ne se trouvent pas sous le contrôle de la PJF. Le 27 novembre 2007, le chef de projet (c'est-à-dire le responsable du groupe de travail) décide que les documents relatifs à l'enquête préliminaire diligentée par le SECO et le SAP en 2004 doivent également être détruits. Des copies d'une partie de ces documents avaient aussi été remises au SRS.

Le 29 août 2006, lors d'une visite inopinée auprès du SAP, la DélCdG avait en effet consulté les pièces relatives aux investigations préliminaires et pu constater qu'il s'agissait de documents commerciaux des Tinner et de dessins techniques de composants de centrifugeuses d'enrichissement d'uranium. Il n'y avait en revanche pas de plans de construction d'armes nucléaires.

En septembre 2004, suite à la dénonciation du SECO et du SAP, les documents que les Tinner avaient spontanément remis au SECO ont été versés au dossier de la procédure judiciaire en tant que pièces à conviction. Ils
n'ont donc pas été saisis et se trouvaient en possession de la Confédération avant l'ouverture de la procédure pénale. L'organisation de projet décide de les détruire malgré tout. Leur centralisation est achevée vers la fin du mois de décembre 2007.

Chargé de l'exécution de cette partie de la décision du 14 novembre 2007, le DFAE fait appel à l'AIEA pour surveiller la destruction des documents qui ont été rassemblés dans trois locaux placés sous le contrôle de la PJF. L'AIEA envoie trois experts en mission exploratoire les 4 et 5 décembre 2007. Ils sont chargés de s'assurer que les documents en question ne contiennent pas d'informations importantes qui auraient échappées lors des examens précédents. Lors des examens qu'elle avait effectués de 2005 à début 2007 pour le compte du MPC, l'AIEA n'avait en effet eu accès qu'à une partie des documents. Si les recherches auxquelles les trois spécialistes de 4516

l'AIEA se livrent au cours de ces deux jours n'aboutissent à aucun résultat spectaculaire au plan technologique, elles leur permettent en revanche de trouver un certain nombre de nouvelles informations sur les relations d'affaires du réseau Khan.

Le 16 janvier, les experts de l'AIEA rédigent un rapport sur leur visite des 4 et 5 décembre 2007 et proposent une destruction échelonnée en commençant par les documents sur un support papier concernant l'enrichissement d'uranium, les plans de construction de composants d'armes nucléaires et les modes d'emploi de construction de telles armes. L'AIEA considère en effet que ce matériel est le plus sensible du point de vue des risques de prolifération. Les experts proposent toutefois d'attendre avant de détruire le reste des éléments du dossier étant donné qu'ils sont susceptibles de permettre à l'AIEA d'en apprendre plus sur les modes opératoires du réseau Khan, ce qui pourrait s'avérer utile dans la lutte contre de nouvelles tentatives de prolifération. Le rapport de l'AIEA propose par conséquent que, une fois la destruction des pièces relatives à la construction d'armes nucléaires et à l'enrichissement d'uranium achevée, les documents restants lui soient remis à cette fin.

Du 5 au 8 février 2008, les experts de l'AIEA examinent une nouvelle fois les pièces vouées à la destruction. Le 8 février, à l'issue de cet examen, le directeur général adjoint de l'AIEA s'adresse au DFAE par télécopie et lui demande d'attendre avant de détruire les données jugées non sensibles du point de vue du risque de prolifération nucléaire, l'AIEA désirant mettre ce sursis à profit pour chercher des indices permettant d'identifier des acteurs (personnes physiques et entreprises) du réseau Khan encore inconnus.

De son côté, le 7 février 2008, le procureur général de la Confédération fait parvenir au DFJP une demande en reconsidération à l'attention du Conseil fédéral. Comme l'AIEA, il demande lui aussi d'échelonner la destruction des documents et, dans une première phase, de ne détruire que le matériel militairement et politiquement sensible.

Le 13 février 2008, le Conseil fédéral décide de ne détruire, dans un premier temps, que le matériel contenant des informations relatives aux technologies du nucléaire et d'attendre le 30 mai 2008 avant de détruire le reste, à moins qu'il
ne soit nécessaire de prolonger ce délai pour les besoins de la poursuite pénale.31 Le 14 février 2008, la chef du DFJP approuve la stratégie présentée par le chef de projet responsable de l'exécution de la destruction des dossiers. Cette stratégie prévoit de détruire dans une première phase, l'ensemble du matériel qui n'intéresse plus l'AIEA, mais en tous les cas, tous les documents sensibles se référant aux technologies nucléaires ainsi que toutes les données dont la nature n'aura pas été identifiée avec certitude.

Du 18 au 22 février, l'AIEA est autorisée à sélectionner les documents qu'elle désire encore analyser. Ces documents sont ensuite soumis aux représentants américains qui vérifient que ces documents n'entrent pas dans la catégorie des documents devant être détruits lors de la première phase. Après ces deux tris, l'AIEA dispose de quelque 20 classeurs de documents qu'elle désire soumettre à un examen ultérieur.

Ces documents portent essentiellement sur l'affaire Gotthard Lerch dont la Suisse s'était occupée en 2004 dans le cadre d'une demande d'entraide judiciaire présentée par l'Allemagne. Le reste des pièces à conviction est détruit durant la semaine du 25 au 27 février 2008.

31

Décision du Conseil fédéral du 13.2.2008.

4517

Dans une lettre du 13 mars 2008, le directeur général adjoint de l'AIEA remercie le DFAE pour le report à fin mai 2008 du délai de destruction des documents résiduels, ce qui laisse à l'AIEA le temps de les analyser. Du 7 au 9 avril 2008, les experts de l'AIEA examinent une nouvelle fois ces documents qui seront finalement détruits sous surveillance le 6 juin 2008.

4.7

L'instruction préparatoire du juge d'instruction fédéral

Le 29 mars 2007, le MPC demande une première fois l'ouverture par l'OJI d'une instruction préparatoire dans l'affaire Tinner. Le juge d'instruction fédéral chargé de cette affaire estime cependant que le Conseil fédéral doit auparavant donner l'autorisation de poursuivre judiciairement les délits politiques présumés au sens des art. 271 et 301 CP avant de pouvoir ouvrir l'instruction préparatoire proprement dite.

En juin 2007, le MPC ayant conclu que des compléments d'enquête s'avèrent nécessaires, le juge d'instruction fédéral décide de renoncer provisoirement à ouvrir une instruction préparatoire. Fin août 2007, le Conseil fédéral refuse d'autoriser le MPC à poursuivre des agents des services de renseignement étrangers et les Tinner pour les délits au sens des art. 271 et 301 CP.

Le 9 octobre 2007, le Tribunal fédéral rejette la requête de mise en liberté du 20 avril 2007 déposée par Urs Tinner auprès de l'OJI.

Le 31 janvier 2008, le MPC présente à l'OJI sa deuxième demande d'ouverture d'une instruction préparatoire. Après un premier examen des pièces du dossier, le juge d'instruction fédéral ouvre l'instruction préparatoire le 7 mars 2008. La stratégie de destruction que la chef du DFJP avait approuvée le 14 février 2008 donnait à l'AIEA le droit de trier des pièces du dossier Tinner afin de pouvoir les étudier, à Berne, avant leur destruction prévue à fin mai 2008. Elle accordait aussi à l'OJI, le droit de les consulter, mais pas le droit d'en faire des copies. En avril 2008, celui-ci consulte donc à plusieurs reprises le contenu de ces 20 classeurs fédéraux. N'étant autorisé qu'à prendre des notes manuscrites, il lui est difficile dans de telles conditions de trouver des informations utiles dans une documentation aussi volumineuse essentiellement constituée de documents techniques et de transport. Le 25 avril 2008, l'OJI fait savoir à la chef du DFJP qu'il n'a plus besoin de pouvoir consulter ces pièces.

En juin 2008, l'OJI prie le directeur de l'OFP de lui accorder le soutien de la PJF. Le 11 juillet 2008, estimant que la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 interdisait implicitement toute tentative de récupérer des copies de pièces déjà détruites et que, grâce aux connaissances que les collaborateurs de la PJF ont du dossier, l'OJI pourrait se procurer et saisir des copies de
pièces déjà détruites sur l'ordre du Conseil fédéral, le directeur de l'OFP informe le juge d'instruction fédéral qu'il a ordonné au chef de la PJF de refuser que sa division principale apporte à l'OJI quelque aide de ce soit au titre de police judiciaire fédérale dans le cadre de l'instruction préparatoire de l'affaire Tinner.32

32

Lettre du directeur de l'OFJ du 11.7.2008 à l'attention du juge d'instruction fédéral Andreas Müller.

4518

Le 5 août 2008, suivant la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral qui avait admis le recours interjeté par le MPC contre la levée d'écrou prononcée par le juge d'instruction fédéral, le Tribunal fédéral rejette les demandes de libération déposées le 16 avril 2008 par Urs (dont c'est la deuxième demande) et Marco Tinner.

5

Information au titre de la surveillance et de la haute surveillance

5.1

Information du Tribunal pénal fédéral et du Tribunal fédéral

Le 28 décembre 2007, à Berne et en présence du secrétaire général du DFJP et du directeur de l'OFJ, le chef du DFJP informe le président du Tribunal pénal fédéral de vive voix de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007. Le procureur général de la Confédération n'assiste pas à cette réunion.

Pour sa part, le Tribunal pénal fédéral mentionne dans sa lettre adressée à la DélCdG qu'il a été informé de la décision secrète du Conseil fédéral en vertu de laquelle une partie des pièces de la procédure Tinner, c'est-à-dire celles concernant l'enrichissement d'uranium, devait être détruite pour des motifs de sécurité nationale.33 Dans cette lettre, le Tribunal pénal fédéral souligne encore que le MPC était représenté au sein du groupe de travail qui a préparé la décision du Conseil fédéral et que les avocats des accusés ont eux aussi été informés de cette décision. A la DélCdG, le DFJP précisera que le Tribunal pénal fédéral a été informé pour éviter que, dans le cadre de la surveillance qu'il exerce sur le MPC, il se retourne contre ce dernier en raison d'une décision du Conseil fédéral. Le Chef du DFJP a déclaré à la DélCdG qu'il avait attiré l'attention du Tribunal pénal fédéral sur les réserves du MPC relatives à la destruction des pièces à conviction.

Début 2008, le président du Tribunal pénal fédéral informe le président de la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. Le 22 janvier 2008, ce dernier porte la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 à la connaissance de la Cour des plaintes en sa qualité d'autorité de surveillance judiciaire du MPC.

Sur demande de la DélCdG, la Commission administrative du Tribunal fédéral répondra plus tard que le Tribunal fédéral n'avait pas été informé de ladite décision du Conseil fédéral.34 Le Tribunal fédéral précisera qu'il ne s'était pas non plus saisi de cette affaire étant donné que, en sa qualité d'autorité de haute surveillance, le Parlement s'en occupait déjà, que sa retenue respectait les principes de surveillance convenus avec le Parlement et permettait d'éviter les chevauchements. Il en conclura que, étant donné qu'il n'avait pas approfondi les faits et les circonstances, il n'était pas en mesure de se prononcer sur cette affaire en qualité d'autorité de surveillance.

33 34

Lettre du Tribunal pénal fédéral du 17.6.2008 à l'attention de la DélCdG.

Lettre du Tribunal fédéral du 13.6.2008 à l'attention de la DélCdG.

4519

5.2

Information de la DélCdG au cours des années 2004­2007

Au printemps 2004, le DDPS et le DFJP informent la DélCdG de façon générale au sujet des activités du réseau Khan. Le 5 juillet 2004, les offices fédéraux auxquels la DélCdG s'était adressée la mettent au courant des mesures de lutte contre la prolifération des armes de destruction massives.35 A cette occasion, elle peut également prendre connaissance des résultats des investigations préliminaires effectuées par le SAP et le SECO dans l'affaire Tinner.

Le 30 août 2004, lors de son compte rendu annuel sur ses opérations36, le SAP informe la DélCdG que l'affaire Tinner est traitée sous les aspects du contreespionnage et du transfert de technologie prohibés. A cette occasion, le SAP indique à la délégation que les Tinner ont collaboré avec les services de renseignement américains.

Le 6 septembre 2004, lors de l'entretien avec le chef du DFJP, la DélCdG aborde la question du contrôle politique exercé par chef du département sur le SAP en vertu de l'art. 2, al. 4, de l'ordonnance sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (OMSI)37. A ce propos, le chef du DFJP mentionne l'affaire Tinner en tant qu'exemple d'événement extraordinaire devant faire l'objet de comptes rendus hors du rapport annuel.

Lors du compte rendu ordinaire suivant sur les opérations du SAP qui a lieu le 10 octobre 2005, ce dernier informe la DélCdG de la plainte que le SECO et le SAP ont déposée auprès du MPC en septembre 2004 et, partant, du transfert de l'affaire Tinner au MPC. Le SAP a également informé la DélCdG que le chef du DFJP avait été informé de la collaboration des Tinner avec les services de renseignement américains le 4 mars 2004 et qu'il avait estimé qu'une éventuelle poursuite pénale dans le cadre de cette affaire n'était pas opportune.38 Pour sa part, le MPC a, depuis avril 2005, régulièrement tenu la DélCdG informée des progrès de l'enquête judiciaire diligentée contre les Tinner dans le cadre de ses rapports semestriels sur les affaires relevant de la sécurité de l'Etat.39 Le 20 février 2006, à l'occasion d'un entretien avec le chef du DFJP, la DélCdG se renseigne sur l'attitude que le Conseil fédéral adopterait si, dans l'affaire Tinner, le MPC devait décider de demander l'autorisation de poursuivre judiciairement des délits politiques. Le chef du DFJP répond en décrivant la procédure que le Conseil fédéral doit suivre en pareil cas. Le président de la délégation prie alors le chef du

35 36 37 38 39

Voir rapport annuel 2004 des Commissions de gestion et de la Délégation des Commissions de gestion des chambres fédérales du 21.1.2005 (FF 2005 1765), p. 1960.

Voir ch. 3.9.12 sur la gestion des sources par le SAP du 19.1.2007 (FF 2007 2867), pp. 2980­2981.

Ordonnance du 27.6.2001 sur les mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (OMSI; SR 120.2).

Compte-rendu du SAP du 4.3.2004 relatif à l'entretien avec le conseiller fédéral Blocher.

Voir ch. 10.3.4 exercice de la haute surveillance sur le MPC du rapport annuel 2004 des Commissions de gestion et de la Délégation des Commissions de gestion des chambres fédérales du 21.1.2005 (FF 2005 1765), pp. 1826­1827. Le système de rapport convenu entre la DélCdG et le MPC est fondé sur une définition étroite de la notion de protection de l'Etat (par exemple les activités de renseignement prohibées, les infractions à la LFMG ou à la loi sur l'énergie atomique, les délits commis par des groupes d'extrême gauche ou d'extrême droite ou les actes terroristes).

4520

DFJP de bien vouloir, le cas échéant, informer la DélCdG du dépôt d'une telle demande par le MPC.

Lors de l'entretien du 21 novembre 2006 avec le chef du DFJP, la DélCdG lui demande de l'informer de l'évolution de l'affaire Tinner. Ce dernier s'est exécuté en lui présentant dans les grandes lignes l'état de ses connaissances en la matière. Il souligne notamment que le Conseil fédéral s'est récemment penché sur cette affaire, mais précise qu'il ne veut pas informer la DélCdG de façon plus approfondie sans l'accord du collège.

Informée dans le cadre des rapports semestriels du MPC, la DélCdG était au courant de la première demande d'autorisation du 18 avril 2006 (poursuite pour actes exécutés sans droit pour un Etat étranger au sens de l'art. 271 CP). Durant l'entretien du 21 novembre 2006, le chef du DFJP n'est pas en mesure de donner des informations actuelles sur les demandes d'autorisation de poursuivre en suspens. C'est pour cette raison que, par lettre du 1er décembre 2006, la DélCdG invitera le chef du DFJP à lui remettre un rapport sur toutes les demandes d'autorisation d'ouvrir une poursuite judiciaire tranchées ou en suspens depuis février 2006.

Le 21 février 2007, la DélCdG s'entretient avec le chef du DFJP au sujet du rapport détaillé sur les demandes d'autorisation d'ouvrir une procédure judiciaire rédigé par son département. C'est ainsi que la délégation est mise au courant de la deuxième demande déposée le 17 octobre 2006 relative à l'enquête pénale contre des membres de la famille Tinner (pour espionnage militaire au préjudice d'un Etat étranger au sens de l'art. 301 CP).

Le 16 août 2007, dans une lettre qu'elle lui adresse, la DélCdG demande au chef du DFJP qu'il fasse un nouveau tour d'horizon de l'affaire Tinner et qu'il l'informe sur l'état et la suite de la procédure lors du prochain entretien qui avait déjà été fixé au 13 septembre 2007.40 Dans cette lettre, la délégation demande en outre au chef du DFJP et au Conseil fédéral de prendre toute disposition utile pour que la DélCdG puisse s'informer sans restriction sur tous les aspects de l'affaire Tinner.41 Ce faisant, la délégation précise, d'une part, qu'elle attend du chef du DFJP qu'il lui présente un état des lieux complet et récent et, d'autre part, qu'elle n'acceptera pas qu'il se retranche derrière le secret en
invoquant la nécessité d'en référer préalablement au Collège fédéral.

Lors de l'entretien du 13 septembre 2007, le chef du DFJP fournit à la délégation les renseignements qu'elle avait demandés quant à l'état de l'affaire Tinner. Le chef du DFJP informe la DélCdG au sujet de la décision de fin août 2007 par laquelle le Conseil fédéral rejette la demande d'autorisation de poursuivre judiciairement les délits politiques présumés au sens des art. 271 et 301 CP. Il avise également la délégation du fait que la Suisse est en possession de plans de construction d'armes nucléaires et fait état de ses contacts avec les Etats-Unis qui désirent se charger de la protection de ce matériel sensible contre tout accès non autorisé. Par ailleurs, c'est lors de cet entretien que la délégation est mise au courant du contenu de la décision du Conseil fédéral du 1er novembre 2006 et de la création du groupe de travail institué en octobre 2006.

Lors de l'entretien du 13 septembre 2007, le chef du DFJP explique que, en vertu du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, la Suisse n'a pas le droit d'être 40 41

Lettre de la DélCdG du 16.8.2007 à l'attention du chef du DFJP.

Lettre de la DélCdG du 16.8.2007 à l'attention du chef du DFJP.

4521

en possession de plans de construction d'armes nucléaires. En se référant à sa note de présentation, le chef du DFJP indique en substance que les pièces à conviction doivent encore être soumises à l'OJI avant la mise en accusation, que ce transfert doit lui aussi être réglé avec soin et que, une fois la procédure close, il conviendra encore de trouver une solution pour les pièces sensibles et décider s'il convient de les détruire en Suisse ou de les remettre à l'AIEA.42 Les explications du chef du DFJP ne contiennent aucun élément qui permettrait de penser que le Conseil fédéral puisse envisager de détruire les pièces en question avant un jugement définitif.

Après cet entretien, la DélCdG ne rencontre plus le chef du DFJP en 2007 et celui-ci ne l'informe pas non plus de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007.

5.3

Information de la DélCdG en 2008

A partir du 7 février 2008, les médias se font écho des premières informations relatives à une décision secrète du Conseil fédéral prévoyant la destruction de pièces à conviction du dossier Tinner.43 Le lendemain du premier article, le président de la DélCdG demande à la chef du DFJP de lui accorder un entretien au sujet de l'affaire Tinner. Lors de cette discussion, le président de la délégation est officiellement mis au courant de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007. La chef du DFJP lui promet que, lors de sa séance du 13 février 2008, le Conseil fédéral se penchera une nouvelle fois sur sa décision de novembre 2007. Le 15 février 2008, elle informe le président de la délégation au sujet des délibérations du Conseil fédéral. Ce dernier l'invite à faire le point sur les récents développements de l'affaire Tinner avec la délégation lors de sa séance du 21 février 2008.

Le 21 février 2008, la chef du DFJP explique que le tri des documents saisis chez les Tinner se fera en deux phases, que les documents ayant trait aux technologies nucléaires et visés par les traités internationaux seront détruits durant la première phase et que le reste des pièces sera détruit fin mai 2008. La chef du DFJP explique qu'en optant pour une destruction en deux phases, le Conseil fédéral avait répondu favorablement à la demande correspondante de l'AIEA et que les experts de l'AIEA et le juge d'instruction fédéral ont été chargés de trier le matériel qui devait être détruit lors de la seconde phase. Elle souligne en outre que la destruction aura lieu sous la surveillance conjointe de représentants des Etats-Unis et de l'AIEA.

Le 29 février 2008, la DélCdG rappelle une fois encore et par écrit à l'attention de la chef du DFJP qu'il est bien entendu que seuls les documents les plus problématiques au vu du droit international doivent être détruits dans le premier lot. Dans la même lettre, elle invite également la chef du DFJP à veiller à ce qu'aucun autre document ne soit détruit avant que la délégation ait eu la possibilité de s'entretenir avec le procureur général de la Confédération.

Le 26 mars 2008, la DélCdG rencontre le procureur général de la Confédération et discute des effets de la destruction des pièces du dossier pour la mise en accusation.

Le même jour, la délégation envoie une lettre au Conseil
fédéral lui recommandant de repousser la destruction des documents sans rapport avec les obligations de la Suisse découlant du traité sur la non-prolifération afin de permettre aux autorités de 42 43

Note de présentation du chef du DFJP pour la séance de la DélCdG du 13.9.2007, p. 10.

Le premier article a été publié le 7.2.2008 par le quotidien Blick: «Atombombe für Gaddafi. Lässt Schweiz Beweise verschwinden?».

4522

poursuite pénale d'achever leurs investigations. Les informations du directeur de l'OFJ du 16 avril 2008 relativisent toutefois les déclarations que la chef du DFJP avait faites le 21 février 2008 dans la mesure où, lors de la première phase, non seulement les plans de fabrication d'armes nucléaires, mais encore tous les autres documents n'intéressant pas l'AIEA ont été détruits.

Le 2 avril 2008, le Conseil fédéral discute de la recommandation que la DélCdG avait formulée le 26 mars 2008. Le 7 mai 2008, il informe la délégation qu'il se réservait le droit de repousser quelque peu la date prévue pour la destruction des documents qui n'avaient pas encore été détruits au cas où cette mesure s'avérerait indispensable pour les besoins de la poursuite pénale.

Début juillet 2008, en consultant les notes de l'organisation de projet créée pour la destruction des pièces saisies chez les Tinner, la DélCdG apprend que la destruction des documents a été achevée le 6 juin 2008. Avec la communication écrite qu'elle fera par la suite parvenir à la délégation, la chef du DFJP aura rempli ses obligations découlant de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 qui la chargeait d'informer la délégation sur les mesures décidées et leur exécution.

Le 21 août 2008, dans le cadre des auditions relatives à l'affaire Tinner, la DélCdG apprend que le directeur de l'OFP a informé le juge d'instruction fédéral qu'il ne recevrait aucune aide de la PJF pour mener à bien son instruction préparatoire, information qui sera confirmée par la chef du DFJP le 22 août 2008.

Le 5 septembre 2008, la DélCdG écrit au Conseil fédéral pour lui demander son avis au sujet des bases légales en vertu desquelles le directeur de l'OFP a interdit à la PJF de collaborer avec l'OJI.

Dans la lettre du 19 septembre 2008 qu'il adresse à la DélCdG, le Conseil fédéral mentionne que, le 27 août 2008, la chef du DFJP l'avait informé au sujet des circonstances susmentionnées de vive voix et qu'il ressort du procès-verbal de la séance en question que le Collège fédéral s'était expressément rallié à la position du directeur de l'OFP et avait refusé la demande d'assistance de l'OJI, mais que ce refus n'a pas fait l'objet d'une décision formelle du Conseil fédéral.

6

Appréciations de la DélCdG

6.1

Processus de décision et gestion du dossier à l'échelon du Conseil fédéral

La DélCdG a constaté que, d'un bout à l'autre de l'affaire Tinner, le Conseil fédéral en tant que collège ne s'est penché que ponctuellement sur ce dossier, et cela chaque fois sous un aspect partiel. Lors des trois séances mentionnées, il n'a jamais analysé l'affaire Tinner dans son ensemble ou discuté des questions qui se posaient dans la perspective d'une solution globale et cohérente, perdant de ce fait à chaque fois une partie de sa marge de manoeuvre. Le Conseil fédéral n'a en particulier pas créé suffisamment tôt les conditions qui lui auraient permis non seulement de réagir, mais encore de prendre l'initiative pour répondre de manière opportune au défi sortant de l'ordinaire que l'affaire Tinner représentait pour la Suisse.

La DélCdG a également constaté que, en sa qualité de département chargé de l'affaire, le DFJP n'a consulté le Conseil fédéral que dans la mesure où une décision de l'organe exécutif suprême de la Confédération était incontournable.

4523

Le chef du DFJP a appris que des plans de construction d'armes nucléaires faisaient partie des pièces à conviction du dossier Tinner le 12 juillet 2006, lors d'une visite à Washington. Le 21 août 2006, le procureur général intérimaire de la Confédération lui a demandé par écrit d'informer le Conseil fédéral au sujet du caractère sensible de certaines pièces du dossier. Le chef du DFJP n'a pas fait suite à cette demande.

En octobre 2006, l'AIEA ayant présenté au MPC une requête officielle afin d'avoir accès à certaines pièces du dossier Tinner, le procureur général intérimaire de la Confédération a de nouveau demandé au chef du DFJP qu'il informe le Conseil fédéral de l'aspect extrêmement sensible des documents concernés et, simultanément, de lui soumettre la requête de l'AIEA. Ce n'est qu'à partir du moment où il était devenu nécessaire de statuer sur cette demande officielle de l'AIEA que le chef du DFJP s'est décidé à informer le Conseil fédéral au sujet des plans de construction d'armes nucléaires faisant partie des pièces à conviction du dossier Tinner, ce qu'il a fait le 1er novembre 2006. Vu le caractère sensible de cette information, la DélCdG ne parvient pas à comprendre pourquoi le chef du DFJP a ainsi tardé avant d'alerter le Conseil fédéral.

La DélCdG n'a trouvé aucun indice qui permettrait de conclure que le Conseil fédéral a été informé de l'existence des deux demandes d'autorisation d'entamer des poursuites pénales contre les Tinner et divers agents des services de renseignement américains pour délits politiques lors de sa séance du 1er novembre 2006 déjà. Le MPC avait pourtant déposé sa première demande (concernant des délits politiques au sens de l'art. 271 CP) une demi-année auparavant et la seconde (concernant des délits politiques au sens de l'art. 301 CP) le 17 octobre 2006. Dix mois se sont encore écoulés depuis cette séance avant que le chef du DFJP finisse par soumettre ces deux demandes à la décision du Conseil fédéral le 29 août 2007.

Le fait que la Suisse se trouvait dans une situation délicate en raison de ses obligations découlant du droit international ne ressort pas de la proposition du DFJP du 1er novembre 2006 et cet aspect n'a pas non plus été abordé lors de la séance du Conseil fédéral du même jour. La DélCdG infère des éléments en sa possession que le Conseil
fédéral ne s'est pas préoccupé de la question, pourtant cruciale, de savoir comment réagir en tant qu'Etat non doté d'armes nucléaires se retrouvant tout à coup en possession de plans de construction de telles armes, une situation à laquelle la Suisse n'avait jamais été confrontée jusqu'alors.

L'évaluation juridique sommaire contenue dans la proposition du DFJP du 12 novembre 2007 parvient à la conclusion que la simple détention de ces plans contrevient déjà au traité sur la non-prolifération. Cette évaluation élude en revanche la question de l'importance de ces plans en tant que pièces à conviction dans une procédure pénale. Le DFJP n'a pas non plus estimé nécessaire de demander un avis de droit sur les engagements internationaux de la Suisse découlant du traité sur la non-prolifération. Il aurait largement eu le temps de le faire puisque la décision du 14 novembre 2007 est intervenue seize mois après qu'un membre du Collège fédéral avait appris que les pièces à conviction de l'affaire Tinner contenaient des plans de construction d'armes nucléaires. La DélCdG ne voit aucune raison objective qui puisse justifier un tel report. Le 1er novembre 2006, le chef du DFJP disposait déjà de tous les éléments sur lesquels le Conseil fédéral a fondé sa décision du 14 novembre 2007. La DélCdG est d'avis qu'il aurait dû les soumettre au Collège fédéral à ce moment-là déjà.

La délégation ne comprend pas non plus pourquoi, après avoir pris connaissance de l'extrême sensibilité de certaines pièces du dossier Tinner le 1er novembre 2006, le 4524

Conseil fédéral n'a chargé ni le département responsable, ni le DFAE d'analyser la situation de manière approfondie et de lui présenter des solutions possibles. Au lieu de cela, le Conseil fédéral était manifestement d'accord pour que le chef du DFJP tienne le collège informé de l'évolution du dossier en fonction de la situation et, le moment venu, lui indique la marche à suivre pour ce qui concerne les pièces sensibles saisies par le MPC.44 Interrogés à ce sujet par la DélCdG, les chefs du DFAE et du DDPS ont estimé que cette manière de procéder leur avait paru appropriée.

La DélCdG parvient à la conclusion que, dans les circonstances décrites, le Conseil fédéral ne pouvait pas assumer son rôle d'autorité directoriale suprême de la Confédération et qu'il n'était pas en mesure de reconnaître à temps qu'il devait trouver une solution au problème que les plans de construction d'armes nucléaires posaient à la Suisse depuis 2006. Vis-à-vis de la DélCdG, le chef du DFJP a fait valoir que la manière dont l'affaire avait été traitée par le Conseil fédéral ne pouvait pas uniquement être jugée sur la base des informations transmises au collège. Il aurait régulièrement discuté du cas Tinner avec certains membres du Conseil fédéral ainsi qu'avec le président de la Confédération en charge.

Le Conseil fédéral s'est pour la première fois penché sur les moyens légaux de traiter les plans de construction d'armes nucléaires juste avant la décision du 14 novembre 2007. Avant d'avoir pris connaissance de la proposition du DFJP du 12 novembre 2007, le Conseil fédéral ignorait qu'un tri des pièces saisies aurait été nécessaire pour pouvoir séparer les documents qui posent problème sous l'angle du respect des traités internationaux du reste des documents. Seul un tri des pièces saisies aurait permis de limiter la destruction au strict nécessaire et, partant, d'éviter la destruction de l'intégralité des moyens de preuve saisis.

En ordonnant ce tri suffisamment tôt, le Conseil fédéral serait en grande partie parvenu à préserver sa marge de manoeuvre en prévision de la décision du 14 novembre 2007. Cela étant, pour que le Conseil fédéral puisse se rendre compte de la nécessité d'ordonner un tel tri à temps, il aurait fallu que le DFJP attire bien plus tôt son attention sur l'importante charge de travail à laquelle il
fallait s'attendre en raison de la saisie supplémentaire effectuée en octobre 2006.

La confidentialité a joué un rôle important pour le Conseil fédéral. Il s'est efforcé de cacher soigneusement la présence en Suisse de plans de construction d'armes nucléaires, ce qu'il est parvenu à faire durant une période relativement longue. Ainsi, le 1er novembre 2006, c'est en vertu de l'art. 184, al. 3, Cst. que le Conseil fédéral a secrètement accédé à la demande de l'AIEA qui désirait consulter les pièces sensibles du dossier Tinner. Les accusés n'étant de ce fait même pas informés de cette décision, ils n'étaient pas non plus en mesure de recourir contre la remise de copies de certaines pièces de leur dossier à l'AIEA. Le Conseil fédéral a ainsi évité que la présence en Suisse de ces pièces explosives puisse être révélée à cause d'une éventuelle procédure de recours. Le 29 août 2007, le Conseil fédéral a en outre autorisé le chef du DFJP à prendre les mesures nécessaires pour assurer que les implications de l'affaire qui relèvent de la politique de sécurité et de la protection de l'Etat demeurent secrètes.45 L'exclusion de la chancelière de la Confédération lors de l'examen par le Conseil fédéral de la requête de l'AIEA le 1er novembre 2006 a été décidée par souci du 44 45

Proposition du chef du DFJP du 27.8.2007 à l'attention du Conseil fédéral, p. 3.

Proposition du chef du DFJP du 27.8.2007 à l'attention du Conseil fédéral, p. 9.

4525

secret. Cela étant, la DélCdG estime que cette mesure d'exclusion était illicite étant donné que l'art. 18, al. 2, de la loi sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA)46 dispose que le chancelier de la Confédération prend part aux délibérations du Conseil fédéral avec voix consultative. La loi permet uniquement d'exclure les vice-chanceliers. L'enquête de la DélCdG a montré que le Conseil fédéral a reconnu après coup son «erreur»47 et que par la suite il aurait agi conformément à la loi.

La DélCdG constate que, par sa décision du 14 novembre 2007, le Conseil fédéral s'est accommodé d'une possible interruption de l'enquête judiciaire. Aux membres de l'organisation de projet chargée de la mise en oeuvre de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007, le chef du DFJP a seulement indiqué que le Conseil fédéral laissait au MPC le soin de décider s'il estimait être ou non en mesure de porter l'affaire devant le Tribunal pénal fédéral.

Les plans de construction d'armes nucléaires ont été au centre des réflexions à la base de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007. Selon l'argumentation de la proposition que le DFJP a soumise au Conseil fédéral le 12 novembre 2007, la destruction de ces plans était indispensable et urgente en raison de leur nature même et les autres pièces à conviction devaient aussi être détruites parce qu'il n'était plus possible de les trier et de les séparer des documents sensibles dans un délai utile.

Lorsque le Conseil fédéral a décidé la destruction de toutes les pièces à conviction en sa possession, il devait être conscient qu'il devait y avoir, en Suisse comme à l'étranger, d'autres copies de nombreux de ces documents. Il avait également connaissance de l'existence de copies de documents de moindre sensibilité dans les dossiers des tribunaux qui s'étaient déjà penchés sur l'affaire Tinner. Ces informations n'ont toutefois pas empêché le Conseil fédéral de décider la destruction des copies de ces documents qui se trouvaient dans le dossier de la procédure pénale en invoquant des raisons relevant de la sécurité internationale.

Le MPC n'a pas voulu saper la décision du gouvernement en recourant à l'entraide judiciaire afin de se procurer une nouvelle fois des pièces dont le Conseil fédéral avait ordonné la destruction le 14 novembre 2007. La
décision du Conseil fédéral n'imposait toutefois aucune réserve dans la perspective de l'instruction préparatoire que le juge d'instruction fédéral n'a finalement ouverte que le 7 février 2008.

Lorsque le juge d'instruction fédéral a demandé l'aide de la PJF, notamment pour récupérer des moyens de preuve, le directeur de l'OFP a, en date du 11 juillet 2008, interdit à la PJF d'apporter quelque aide que ce soit à l'OJI dans le cadre de l'affaire Tinner. A l'instar de la chef du DFJP, le Conseil fédéral, qu'elle avait informé de vive voix le 27 août 2008, était d'accord avec cette décision du directeur de l'OFP.

La DélCdG constate que, en vertu de la PPF, la police judiciaire est dirigée par le procureur général de la Confédération. En outre, même à défaut d'une disposition formelle correspondante, l'obligation de collaborer avec l'OJI n'est dans la pratique pas remise en cause.48 L'interdiction de collaborer avec le juge d'instruction fédéral en charge de l'affaire Tinner que le directeur de l'OFP a faite à la PJF est critiquable du point de vue juridique. Une telle mesure enfreint le principe de la séparation des

46 47 48

Loi du 21.3.1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (LOGA; RS 172.010).

Lettre du Conseil fédéral du 21.8.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 3.

Bref avis de droit de l'OFJ du 12.9.2008, p. 2.

4526

pouvoirs et seul le Conseil fédéral est habilité à prendre une telle décision, mais elle doit relever du droit de nécessité constitutionnel.

Il ressort du bref avis de droit de l'OFJ du 12 septembre 2008 ­ rédigé à la demande de la DélCdG ­ que, dans le cas d'espèce, l'interdiction prononcée par le directeur de l'OFP trouve sa justification légale dans la décision même que le Conseil fédéral a prise le 14 novembre 2007 et que, à son tour, cette décision se fonde directement sur les art. 184, al. 3, et 185, al. 3, Cst..49 Dans cet avis, l'OFJ précise également que la décision de détruire des documents constituant un péril pour la sécurité de l'Etat et de la communauté internationale implique aussi l'interdiction de les restaurer ou de se les procurer une nouvelle fois et qu'une autre interprétation serait contraire à la logique et constituerait un contournement caractérisé de la décision du Conseil fédéral.50 La délégation constate que, en fin de compte, l'argumentation de l'OFJ se base uniquement sur le danger que représentent les plans de construction d'armes nucléaires faisant partie des pièces à conviction du dossier Tinner. Partant et eu égard aux conséquences pour l'indépendance de la Justice, elle ne comprend pas pourquoi cette logique devait également s'appliquer aux autres documents qui ne représentent pourtant aucun risque pour la sécurité de l'Etat et de la communauté internationale, tels qu'extraits de banque, documents d'expédition ou titres de transport. La difficulté de séparer les documents sensibles du reste des pièces à conviction est le seul argument en faveur de la destruction des pièces non sensibles du dossier Tinner mis en avant par la proposition du DFJP du 12 novembre 2007. La DélCdG ne comprend donc pas les raisons qui poussent le Conseil fédéral à empêcher l'OJI de récupérer des moyens de preuve dans la mesure où il ne s'agit pas de plans de construction d'armes nucléaires.

La DélCdG constate que, comme ses décisions précédentes au sujet de l'affaire Tinner, la décision du 14 novembre 2007 du Conseil fédéral était une décision isolée, ne faisant pas partie d'une stratégie d'ensemble. A ce moment-là, le Conseil fédéral ne voulait de toute évidence pas assumer la responsabilité d'un classement de la procédure. Plus tard, après que le MPC avait transmis la procédure à l'OJI
et que le juge d'instruction fédéral avait demandé l'aide de la PJF, il est apparu que le Conseil fédéral n'avait pas été jusqu'au bout de sa réflexion avant de prendre la décision du 14 novembre 2007. C'est pour cette raison que la DélCdG ne peut se satisfaire du renvoi à cette décision qui, à ses yeux, ne peut en aucun cas servir de base légale pour empêcher la PJF de collaborer avec l'OJI.

6.2

Manière de procéder et processus à l'échelon de l'administration

La DélCdG estime que le chef du DFJP a agi avec opportunité lorsque, en automne 2006 déjà, il a institué à l'échelon de l'administration un groupe de travail interdépartemental chargé de l'épauler dans la gestion de l'affaire Tinner. Elle est toutefois d'avis que le chef du DFJP aurait également dû la charger de développer une straté49 50

Bref avis de droit de l'OFJ du 12.9.2008, p. 2.

Bref avis de droit de l'OFJ du 12.9.2008, p. 2.

4527

gie à long terme afin de préparer le terrain pour les décisions du Conseil fédéral. Au lieu de cela, il l'a essentiellement chargé de l'assister au fur et à mesure de l'apparition de problèmes dans un cadre en constante mutation. Le chef du DFJP n'a en outre jamais rédigé de cahier des charges qui aurait défini les tâches et les compétences de ce groupe de travail.

Qui plus est, le chef du DFJP n'a pas non plus fait appel au groupe de travail pour tous les aspects de l'affaire Tinner. Ainsi, les deux demandes d'autorisation de poursuivre judiciairement les délits politiques au sens des art. 271 et 301 CP déposées par le MPC et la préparation de la décision du Conseil fédéral du 29 août 2007 ont été traitées uniquement par le Secrétariat général du département. La décision relative à la destruction des pièces saisies chez les Tinner a été prise sans que le groupe de travail ait été consulté. Par ailleurs, les membres du groupe de travail n'ont pas non plus été mis au courant des contacts que le chef du DFJP avait eus avec les autorités américaines ou de ses intentions en la matière.

La DélCdG est de l'avis que, vu l'importance de l'affaire Tinner, le Conseil fédéral aurait dû se donner les instruments qui lui auraient permis de relever les défis sortant de l'ordinaire auxquels il a été confronté. Dans la mesure où les services du groupe de travail n'ont été requis que ponctuellement, et seulement en fonction de l'apparition des problèmes, la création de ce groupe ne constituait pas une réponse adéquate. Il aurait en effet fallu qu'il dispose d'une mission le chargeant clairement d'appuyer le Conseil fédéral dans la gestion de l'affaire Tinner. A cet effet, le groupe de travail aurait dû disposer des compétences, des ressources et, en particulier, de toutes les informations nécessaires. Il aurait aussi dû avoir accès de manière opportune aux importantes connaissances de fond du SRS sur le réseau Khan et sur la prolifération des armes nucléaires.

L'un des pans de la stratégie de protection des informations adoptée par le DFJP était d'éviter de produire des documents et de rédiger des procès-verbaux sur l'affaire Tinner. Etant donné que la délégation n'a plus trouvé trace de diverses propositions que le groupe de travail avait soumises au chef du DFJP, force est de conclure que les documents
correspondants ont été intégralement détruits immédiatement après avoir rempli leur fonction. La DélCdG relève que cette stratégie ciblée du DFJP a gêné l'exercice de la haute surveillance subséquente.

L'absence de documents a en outre empêché le groupe de travail de fonctionner de manière systématique. Etant donné qu'il lui arrivait fréquemment de siéger avec un effectif incomplet, ses membres avaient de la peine à garder une vue d'ensemble actualisée du dossier dans de telles circonstances. Les quelques notes qui ont été rédigées étaient uniquement destinées au responsable du groupe de travail afin de lui faciliter la tâche au moment de présenter les propositions du groupe au chef du DFJP. La DélCdG estime que, pour fonctionner correctement à long terme, un tel groupe de travail aurait dû disposer d'une infrastructure permanente élémentaire.

La DélCdG a en revanche trouvé des documents relativement complets sur les activités de l'organisation de projet mise en place conformément à la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 et auquel le DFJP a recouru en vue de la destruction des pièces saisies chez les Tinner. Durant cette phase, de l'organisation de projet responsable disposait des compétences et des capacités nécessaires pour remplir sa mission. La destruction des documents a été manifestement mieux organisée que la préparation des décisions du Conseil fédéral qui y ont conduit.

4528

6.3

La problématique sous l'angle du droit international

La Suisse a ratifié le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (traité sur la non-prolifération) le 9 mars 1977. En vertu de l'art. II de ce traité, tout Etat non doté d'armes nucléaires partie au traité s'engage notamment à ne fabriquer ni acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires et à ne rechercher ni recevoir une aide quelconque pour la fabrication de telles armes. Le but du traité sur la non-prolifération en général et de son art. II en particulier est d'interdire toute démarche visant l'appropriation d'armes nucléaires.

Dans son message du 30 octobre 1974 sur le traité de non-prolifération, le Conseil fédéral partait du principe que la Suisse disposait d'un droit assez large lui permettant de disposer de connaissances sur le fonctionnement d'armes nucléaires. Au sujet de l'art. II du traité, le message souligne qu'il laisse aux Etats parties non dotés d'armes nucléaires la possibilité de se livrer eux aussi à des études théoriques et à de la recherche dans le secteur des armes nucléaires. Selon le Conseil fédéral, même l'art. IV du traité «ne contredit pas l'interprétation [...] selon laquelle les Etats parties non dotés d'armes nucléaires conservent eux aussi le droit de faire des études et des recherches dans le domaine des armes nucléaires.»51 La DélCdG conçoit que la frontière entre une étude sur les principes de construction d'une arme nucléaire et un mode d'emploi expliquant comment la fabriquer n'est pas toujours nette et que les plans de construction de composants d'armes nucléaires et les modes d'emploi de fabrication d'armes nucléaires (livre de recettes)52 qui se trouvaient parmi les pièces saisies dans le cadre de l'enquête judiciaire dirigée contre les Tinner contenaient certainement aussi des informations dépassant le cadre d'études théoriques.

A la demande de la délégation, le Conseil fédéral a effectué une analyse juridique portant sur plusieurs questions relatives au traité sur la non-prolifération. Selon cette analyse, il faut «considérer que des plans de fabrication d'armes nucléaires [...]

tombent dans la définition de l'art. II [du traité sur la non-prolifération], s'ils sont acquis par un Etat dans l'intention (cachée) de développer des armes nucléaires.»53 L'analyse souligne que, pour évaluer la légalité de l'acceptation ou de l'acquisition
de plans de construction d'armes nucléaires par un Etat il faut «toujours tenir compte du but et de l'utilisation qui en est faite.»54 La Suisse ne serait donc en aucun cas autorisée à acquérir de tels plans dans le cadre d'un programme d'armement nucléaire. La délégation constate toutefois que le traité sur la non-prolifération ne se prononce pas sur la légalité de la possession de plans de construction d'armes nucléaires pour d'autres fins que la construction d'une telle arme.

Dans le cas d'espèce, il est évident que la saisie de plans de construction d'armes nucléaires dans le cadre d'une procédure pénale ne saurait être assimilée à une acquisition effectuée par la Confédération dans le but de se doter d'une force de 51 52

53 54

Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur le traité de non-prolifération des armes nucléaires du 30.10.1974 (FF 1974 II 1033).

Une note de l'AIEA du 16.1.2008 concernant l'examen des pièces du dossier Tinner effectué du 4 au 5.12.2007 fait état de «drawings of weapons components and ».

Obligations de la Suisse dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, lettre du Conseil fédéral à la DélCdG du 25.6.2008, p. 2.

Obligations de la Suisse dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, lettre du Conseil fédéral à la DélCdG du 25.6.2008, p. 2.

4529

frappe nucléaire. Les autorités de poursuite pénale de la Confédération sont entrées en possession de plans de construction d'armes nucléaires uniquement parce qu'ils faisaient partie de pièces à conviction saisies dans le cadre d'une procédure pénale.

La saisie est une mesure indispensable pour prouver qu'un accusé s'est effectivement rendu coupable d'une infraction à la LFMG. L'art. 7, al. 1, LFMG interdit notamment de développer, d'acquérir des armes nucléaires ou d'en disposer d'une autre manière et d'inciter quiconque à commettre un tel acte. La Suisse est en outre liée par la résolution 1540 du Conseil de sécurité de l'ONU du 24 avril 2004 en vertu de laquelle tous les Etats doivent adopter et appliquer, conformément à leurs procédures nationales, des législations appropriées et efficaces qui, notamment, interdisent à tout acteur non étatique de fabriquer, de se procurer, de mettre au point ou de posséder des armes nucléaires, chimiques ou biologiques, et répriment les tentatives de se livrer à l'une de ces activités. Cette résolution doit d'ailleurs être vue comme étant en grande partie une réaction à la découverte en 2004 des activités du réseau Khan.

En résumé, la DélCdG constate que le traité sur la non-prolifération n'interdit pas l'utilisation de plans de construction d'armes nucléaires lorsqu'ils sont destinés à servir uniquement de moyen de preuve dans une procédure pénale. Une telle interdiction empêcherait d'ailleurs les Etats d'appliquer leur législation et irait à l'encontre du but poursuivi par le traité sur la non-prolifération qui est, précisément, d'empêcher toute prolifération des armes nucléaires. Le traité sur la non-prolifération et les accords avec l'AIEA relatifs à l'application de garanties dans le cadre de ce dernier55 ne prescrivent rien quant à la manière dont la Confédération doit agir avec des plans de construction d'armes nucléaires saisis au cours d'une procédure pénale. Cela étant, la délégation constate néanmoins aussi que la possession de plans de construction d'armes nucléaires n'est pas couverte par l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire garantie par le traité sur la non-prolifération. La DélCdG parvient donc à la conclusion que, en vertu de ce traité, la Suisse est autorisée à garder des plans de construction d'armes nucléaires durant une période
limitée.

La délégation estime cependant aussi que ledit traité laisse une certaine latitude à la Suisse lui permettant notamment d'utiliser des plans de construction d'armes nucléaires dans une procédure pénale à l'échelon de la Confédération. Dans ce cas de figure, la communauté internationale doit avoir la garantie que les plans en question ne seront pas utilisés abusivement à une fin interdite par les conventions internationales. C'est pour cette raison que, en pareil cas, l'AIEA doit être prévenue immédiatement de la découverte de pareilles informations et que c'est également à elle que revient de prendre les mesures de sécurité qui s'imposent. La durée de la conservation de telles pièces sensibles sur le territoire de la Suisse doit être la plus courte possible, c'est-à-dire réduite au temps strictement nécessaire pour mener la poursuite pénale à bien.

Le traité sur la non-prolifération aurait en outre permis à la Suisse de remettre les plans de construction d'armes nucléaires à l'une des cinq puissances nucléaires pour 55

Accord du 6.9.1978 entre la Confédération suisse et l'Agence internationale de l'énergie atomique relatif à l'application de garanties dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (RS 0.515.031) et le protocole additionnel du 16.6.2000 à l'accord entre la Confédération suisse et l'Agence internationale de l'énergie atomique relatif à l'application de garanties dans le cadre du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (RS 0.515.031.1).

4530

la durée de la procédure et de négocier avec l'Etat concerné l'accès aux documents transférés pour les besoins de l'enquête. A cet égard, la délégation relève qu'en novembre 2006, les Etats-Unis ont présenté au chef du DFJP une offre allant dans ce sens. Si la Suisse avait accepté cette offre, elle aurait même eu la possibilité de faire surveiller le transfert et la conservation des pièces concernées par l'AIEA.

En vertu du traité sur la non-prolifération, la Suisse pouvait se débarrasser des documents sensibles de deux manières différentes. Elle pouvait les détruire sous la surveillance de l'AIEA ou les remettre à un Etat doté de l'arme nucléaire. Cette seconde voie est celle que la Libye a choisie en janvier 2004 lorsqu'elle a remis aux Etats-Unis les plans de construction d'armes nucléaires qu'elle s'était procurés par le truchement du réseau Khan. L'AIEA a scellé les documents en question et a obtenu l'assurance des Etats-Unis de pouvoir y accéder pour les besoins de l'enquête contre le réseau Khan. Fin 2003, après des négociations de plusieurs années avec les EtatsUnis, la Grande-Bretagne, la Libye a accepté de mettre un terme à son programme nucléaire militaire. Le Conseil des gouverneurs de l'AIEA56 et, dans une déclaration du 23 décembre 2003, le président du Conseil de sécurité de l'ONU ont souligné le rôle joué par ces deux pays.

Sous l'angle du droit international, la situation des documents techniques relatifs à l'enrichissement d'uranium faisant partie des pièces à conviction de l'enquête judiciaire dirigée contre les Tinner est claire et ne nécessite pas d'autre considérant. Le traité sur la non-prolifération n'impose aucune limite à la Suisse quant à la possession de connaissances techniques en la matière. La Suisse serait même autorisée à construire et à exploiter une installation d'enrichissement d'uranium comme le font le Brésil, le Japon ou, en collaboration, les Pays-Bas, l'Allemagne et la GrandeBretagne. Le cas échéant, l'AIEA doit pouvoir avoir accès aux installations en question pour garantir l'enregistrement à la source de l'uranium enrichi de manière à ce que le système de contrôle de l'AIEA parvienne à empêcher une utilisation à des fins militaires. Le droit d'accès à toute la technologie nucléaire civile est un point important auquel le Conseil fédéral a accordé une
grande importance dans son message du 30 octobre 1974. Il mentionne même la technique de centrifugation des gaz comme étant une technologie que la Suisse pourrait importer de l'étranger dans la mesure où elle permet à l'AIEA de surveiller son utilisation à des fins pacifiques.

6.4

Retrait de moyens de preuve pendant et après une procédure pénale

En vertu de l'art. 69 CP, le juge compétent peut, alors même qu'aucune personne déterminée n'est punissable, prononcer la confiscation des objets qui ont servi à commettre une infraction, notamment si ces objets compromettent la sécurité des personnes ou l'ordre public. Le juge peut aussi ordonner que les objets confisqués soient mis hors d'usage ou détruits (al. 2). Pour le cas d'espèce, cela signifie que le juge compétent aurait pu ordonner la destruction des plans de construction d'armes nucléaires ou leur remise à un Etat autorisé à les conserver ou à les détruire.

56

La lettre i du préambule de sa résolution du 10.3.2004, le Conseil des gouverneurs de l'AIEA fait en substance état du travail effectué par le Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique à la demande de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste aux fins de démonter et d'éliminer tout matériel, équipement et programme relatifs à l'armement nucléaire.

4531

Les autorités de poursuite pénale ne disposent que de moyens restreints pour retirer des pièces à conviction d'un dossier pénal durant une enquête. Le 2 octobre 2006, l'OFJ a rédigé un avis de droit sur ces différents moyens.

Il ressort dudit avis de droit que le MPC peut décider de quels moyens de preuve fournis par l'enquête judiciaire il veut utiliser pour la mise en accusation. En accord avec l'accusé, il peut retirer des pièces du dossier. A défaut d'un tel accord, l'accusé doit être informé du retrait en question et il dispose d'un droit de recours auprès du Tribunal pénal fédéral.

L'OFJ a également examiné la question de savoir si le Conseil fédéral avait la possibilité d'ordonner le retrait de moyens de preuve d'une procédure en cours. La surveillance administrative exercée par le DFJP pour le compte du Conseil fédéral qui lui en a délégué la compétence, ne lui permet pas d'intervenir dans un cas d'espèce pour influer sur l'ouverture, l'accomplissement ou le classement d'une procédure pénale. Bien que, sous l'angle institutionnel, le MPC soit un organe du pourvoir exécutif, une telle ingérence est de nature à remettre la séparation des pouvoirs et l'indépendance de la Justice en cause.57 Dans son avis de droit, l'OFJ parvient à la conclusion que, en vertu des art. 184 ou 185 Cst., le Conseil fédéral peut intervenir à titre exceptionnel dans l'indépendance du pouvoir judiciaire. Ainsi, en vue de parer à des troubles menaçant la sécurité intérieure ou extérieure, l'art. 185, al. 3, Cst. habilite le Conseil fédéral à prendre des décisions à défaut des bases légales requises (praeter legem). D'accord avec une partie de la doctrine, l'OFJ estime que l'art. 185, al. 3, Cst. habilite même le Conseil fédéral à prendre des mesures en contradiction avec le droit en vigueur (contra legem).58 Selon l'avis de droit, il n'est en revanche pas contesté que le Conseil fédéral ne peut recourir au régime d'exception prévu par l'art. 185, al. 3, Cst. que de manière très restrictive et en respectant les conditions fixées par la Constitution.59 Les mesures décidées en vertu de cette disposition doivent par conséquent être indispensables, urgentes, justifiées par des intérêts publics prépondérants et proportionnées au but. Il faut en outre qu'elles aient pour but de parer à des troubles existants ou imminents
menaçant gravement l'ordre public qui ne puissent pas être maîtrisés ou pas maîtrisés à temps dans le cadre de l'activité normative ordinaire ou urgente. De graves agitations, une menace militaire, une catastrophe naturelle ou une épidémie sont susceptibles de constituer de tels troubles.

De l'avis de l'OFJ, les compétences déléguées au Conseil fédéral en vertu de l'art. 184, al. 3, Cst. sont plus étendues que celles qui lui sont déléguées en vertu de l'art. 185, al. 3, Cst. dès lors que la définition des intérêts en matière de politique étrangère est plus large que celle des troubles menaçant la sécurité intérieure ou extérieure. Toutefois, dans un cas comme dans l'autre, les mesures doivent être justifiées par des intérêts publics prépondérants et proportionnées au but.

57 58 59

Avis de droit de l'OFJ du 2.10.2006, p. 3.

Voir Urs Saxer, St. Galler Kommentar zur Bundesverfassung, 2e éd. Zurich 2008, p. 2722; Daniel Thürer, ibidem, p. 2704.

Avis de droit de l'OFJ du 2.10.2006, p. 4.

4532

6.5

Proportionnalité de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007

L'avis de droit de l'OFJ du 2 octobre 2006 souligne que, en temps normal, le Conseil fédéral ne dispose d'aucune base légale adéquate lui permettant d'ordonner le retrait de moyens de preuve d'une enquête judiciaire en cours. Il fallait donc que le Conseil fédéral se fonde directement sur la Constitution pour pouvoir, comme il l'a fait le 14 novembre 2007, ordonner la destruction de tous les moyens de preuve saisis dans le cadre de l'affaire Tinner.

Cette décision du Conseil fédéral renvoie à la proposition du DFJP du 12 novembre 2007 qui se fonde sur les art. 184, al. 3, et 185, al. 3, Cst.: Art. 184, al. 3, Cst. (Relations avec l'étranger): Lorsque la sauvegarde des intérêts du pays l'exige, le Conseil fédéral peut adopter les ordonnances et prendre les décisions nécessaires. Les ordonnances doivent être limitées dans le temps.

Art. 185, al. 3, Cst. (Sécurité extérieure et sécurité intérieure): [Le Conseil fédéral] peut s'appuyer directement sur le présent article pour édicter des ordonnances et prendre des décisions, en vue de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l'ordre public, la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure. Ces ordonnances doivent être limitées dans le temps.

Lorsque le Conseil fédéral se fonde directement sur la Constitution pour prendre une décision, celle-ci doit être justifiée par des intérêts publics prépondérants et être proportionnée au but. Elle doit en outre être urgente et, en l'absence de toute autre solution moins radicale, elle doit aussi être adéquate et nécessaire.

Ces conditions doivent aussi être remplies par les décisions fondées sur l'art. 184, al. 3, Cst. qui, s'agissant de la finalité des mesures à prendre, laisse une plus grande latitude au Conseil fédéral.

La note de procès-verbal sur les délibérations relatives à la décision du 14 novembre 2007 ne contient aucun élément indiquant que le Conseil fédéral aurait procédé à une appréciation et à une pesée des intérêts publics que la destruction des pièces du dossier Tinner permettait de préserver ou auxquels elle pouvait porter atteinte.

La proposition du DFJP du 12 novembre 2007 fait état des intérêts suivants: -

Premièrement, la Suisse doit empêcher que les plans de construction d'armes nucléaires puissent tomber entre de mauvaises mains tant il est vrai que les tentatives d'une organisation terroriste ou d'un Etat nourrissant des ambitions nucléaires visant la construction une bombe atomique s'en trouveraient notablement facilitées.

-

Deuxièmement, en raison des risques découlant de cette situation, la Suisse subit la pression des Etats-Unis qui insistent pour que la Confédération détruise les documents en question ou les transfèrent sous leur responsabilité et surveillance.

-

Troisièmement, la simple détention de ces informations contrevient au traité sur la non-prolifération. L'interdiction faite par l'art. II de ce traité à tout Etat partie de rechercher et de recevoir une aide quelconque pour la fabrica4533

tion d'armes nucléaires s'applique aussi à la détention de modes d'emploi de fabrication d'armes nucléaires tels que ceux saisis chez les Tinner.

-

Quatrièmement, il y a un intérêt manifeste à une procédure respectant les principes d'un Etat de droit au regard duquel il y a lieu de procéder à une pesée d'intérêts.

La délégation a examiné les trois premiers intérêts invoqués par le DFJP sous l'angle des critères de la nécessité et de l'urgence avant de vérifier, le cas échéant, si le résultat de leur pesée au regard de l'intérêt public à l'exécution d'une procédure pénale dans le respect des principes d'un Etat de droit permet de justifier la destruction des pièces du dossier Tinner.

6.5.1

Les critères de la nécessité et de l'urgence examinés sous l'angle du traité sur la non-prolifération et des risques sécuritaires

La destruction des plans de construction d'armes nucléaires est une mesure fondamentalement appropriée pour éliminer le risque de prolifération qui en découle.

Quant aux obligations qui incombent à la Suisse en vertu du traité sur la nonprolifération, la DélCdG est parvenue à la conclusion que la Confédération ­ ses autorités de poursuite pénale dans le cas d'espèce ­ n'avait pas le droit de conserver à long terme des plans de construction d'armes nucléaires tels que ceux qui ont été saisis dans le cadre de l'enquête judiciaire contre les Tinner.

La DélCdG est toutefois d'avis que le traité sur la non-prolifération laisse à la Suisse une marge de manoeuvre qui lui aurait permis de maintenir son pouvoir de décision sur ces plans durant le temps nécessaire pour la poursuite pénale, cela au moins tant que la procédure n'est pas inutilement prolongée. Les investigations de la délégation lui ont permis de constater que, dans les circonstances prévalant au moment de la décision du Conseil fédéral, tout permettait de penser que l'enquête pourrait être close avant fin 2007, raison pour laquelle la DélCdG parvient à la conclusion que, à ce moment-là, les engagements internationaux de la Suisse ne l'obligeaient pas encore à détruire les plans de construction d'armes nucléaires.

La DélCdG estime que le Conseil fédéral aurait lui aussi de la peine à justifier l'urgence de la destruction des pièces en invoquant les engagements internationaux de la Suisse. Lorsque, le 1er novembre 2006, le Conseil fédéral s'est pour la première fois penché sur la question de la présence de plans de construction d'armes nucléaires parmi les pièces du dossier Tinner, il disposait déjà de toutes les informations sur lesquelles il a fondé la décision qu'il a prise lors de sa séance du 14 novembre 2007 et qui lui ont permis de se rendre compte de la dimension internationale de la possession de ces plans. Or, ce n'est qu'au moment de justifier sa décision du 14 novembre 2007 que le Conseil fédéral s'y est intéressé.

La DélCdG a également cherché à savoir si l'AIEA avait insisté auprès des autorités suisses pour qu'elles détruisent les plans de construction d'armes nucléaires. La correspondance avec l'AIEA ne contient aucun indice allant dans ce sens et toutes les personnes entendues ont répondu par la négative à la question idoine.
Dans la proposition du 12 novembre 2007, le DFJP estime que l'argument principal qui milite en faveur de la destruction des pièces à conviction est le danger que celles-ci font peser sur la sécurité de la communauté internationale du simple fait de 4534

leur existence.60 La délégation a donc également voulu savoir si, en plus d'être adéquate, la destruction était aussi une mesure nécessaire pour protéger les plans en question contre tout accès non autorisé.

Dans le courant de l'automne 2006, le groupe de travail a fait améliorer les mesures de sécurité afin de renforcer la protection des pièces du dossier Tinner. Les dossiers ont été rassemblés géographiquement et chaque personne qui voulait accéder aux pièces du dossier devait non seulement être dûment autorisée, mais encore être accompagnée d'une autre personne elle aussi au bénéfice d'une autorisation. La délégation n'a pas trouvé d'indice permettant de penser que, depuis la mise en oeuvre de ces mesures et jusqu'à l'automne 2007, les autorités de poursuite pénale auraient estimé que la sécurité de la conservation des pièces sensibles était insuffisante. En outre, toutes les personnes que la délégation a entendues et qui ont travaillé directement sur ces documents sensibles ont estimé que la sécurité était assurée.

En septembre 2007, les directeurs respectivement de l'OFJ et de l'OFP ont inspecté le lieu de conservation des documents ainsi que les mesures de sécurité. Le directeur de l'OFJ a estimé que, à l'endroit visité, la sécurité des pièces sensibles ne leur a pas semblée suffisante, du moins pas à long terme. Ni le directeur de l'OFP, ni celui de l'OFJ n'ont toutefois contesté que, au besoin, il aurait été possible de renforcer cette sécurité.

De l'avis de la DélCdG, il aurait tout au plus été nécessaire que les agents de la Confédération s'accommodent d'un alourdissement de leur tâche dû au renforcement de la sécurité. Un tel renforcement aurait constitué une solution valable autre que la destruction des pièces sensibles. De manière plus générale, la délégation estime que la Suisse, en tant qu'Etat souverain, doit être en mesure de protéger efficacement des informations sensibles, qu'elles relèvent du renseignement, de la poursuite pénale ou de tout autre domaine.

Dans sa proposition du 12 novembre 2007, le DFJP souligne qu'une conservation durable des pièces sensibles exposerait non seulement la Suisse, mais encore certaines personnes à un risque d'extorsion.61 A la demande de la délégation, le Conseil fédéral a précisé que «le risque d'extorsion concernait moins la Suisse en tant
qu'Etat qu'un ou plusieurs collaborateurs de l'Office fédéral de la police ou du Ministère public de la Confédération, dès lors que ceux-ci avaient accès aux documents en question.»62 La DélCdG a par conséquent voulu savoir si des éléments concrets relatifs à l'intérêt que certaines personnes non autorisées ont pu manifester à l'égard des pièces du dossier Tinner avaient donné lieu à une réévaluation des mesures de sécurité. Les personnes interrogées à ce sujet n'ont pas eu connaissance d'éléments qui leur auraient permis de penser que des tiers avaient manifesté un tel intérêt. Quelques collaborateurs de la Confédération travaillant sur l'affaire Tinner ont certes été abordés dans la rue par des inconnus ou ont reçu des appels anonymes, mais ces

60 61 62

Proposition du DFJP du 12.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T., p. 2.

Proposition du DFJP du 12.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T., p. 3.

Lettre du Conseil fédéral du 21.8.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 1.

4535

incidents n'ont jamais pu être concrètement reliés aux documents sensibles du dossier. De plus, aucun de ces incidents n'a eu lieu après 2006.

Il est indéniable que la probabilité d'une violation du secret et de voir des tiers tenter d'accéder aux documents sensibles augmente avec le temps. Cela étant, la DélCdG est d'avis qu'un renforcement de la sécurité aurait suffi à prévenir de tels risques.

La DélCdG considère que si, en novembre 2007 et sous l'angle du traité sur la nonprolifération et des risques sécuritaires, les critères de la nécessité et de l'urgence n'étaient pas remplis pour justifier la destruction des plans de construction d'armes nucléaires, ils l'étaient encore moins pour justifier celle du reste des pièces saisies dans le cadre de l'enquête judiciaire dirigée contre les Tinner.

La DélCdG est d'avis que les arguments en faveur de la destruction de l'intégralité des moyens de preuve du dossier Tinner présentés dans la proposition du 12 novembre 2007 ne résistent pas à un examen approfondi. Pour justifier la nécessité d'une destruction intégrale, le département a invoqué les efforts considérables qui auraient été nécessaires pour examiner chaque pièce du dossier afin d'identifier avec certitude les documents sensibles dont la destruction s'imposait. Selon les estimations de la PJF, il aurait fallu consacrer quelques années-homme pour effectuer ce tri. La délégation estime néanmoins qu'il aurait pu être effectué à temps si le Conseil fédéral l'avait ordonné à fin 2006 déjà.

Dans sa proposition, le DFJP était contre la réalisation d'un tri étant donné qu'une telle opération aurait nécessité du personnel supplémentaire. Il est également vrai que cette opération aurait entraîné des frais supplémentaires liés à la sécurité. Il n'y a toutefois pas lieu d'admettre que la sécurité du matériel n'aurait pas pu être garantie lors d'un tel tri.

Dans la proposition qu'il a présentée au Conseil fédéral, le DFJP n'excluait pas qu'une information relative à la construction d'armes nucléaires puisse échapper à un contrôle, même rigoureux. Ce problème, très hypothétique, ne pouvait guère être décisif au regard du fait que les autorités de poursuite pénale ne pouvaient en aucun cas garantir qu'elles avaient saisi toutes les copies des plans en possession des Tinner. Il aurait en outre été possible
de résoudre ce problème une fois pour toutes en rassemblant et en détruisant tous les documents après l'entrée en force du jugement définitif.

La DélCdG estime que les risques sécuritaires avancés par le DFJP ne parviennent à justifier ni la nécessité, ni l'urgence de la destruction partielle ou intégrale des moyens de preuve dans l'affaire Tinner. La délégation estime que le Conseil fédéral ne peut pas invoquer l'art. 185, al. 3, Cst. pour justifier sa décision du 14 novembre 2007.

6.5.2

Les critères de la nécessité et de l'urgence examinés sous l'angle de la politique étrangère

L'examen auquel la délégation a procédé dans la perspective du droit international et de la sécurité des documents représentant un risque du point de vue de la prolifération des armes nucléaires a montré que la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 ne remplit pas les conditions de l'urgence et de la nécessité. Il 4536

convient donc de vérifier si la destruction de l'ensemble des moyens de preuve saisis chez les Tinner se justifie sous l'angle de la politique étrangère. Le cas échéant, et à défaut de pouvoir se référer à l'art. 185, al. 3, Cst., c'est donc principalement l'art. 184, al. 3, Cst. qui pourrait en l'occurrence justifier la décision du Conseil fédéral.

Le rôle joué par les intérêts en matière de politique étrangère apparaît dès la proposition du DFJP du 1er novembre 2006 qui mentionne que le gouvernement américain accorde une grande importance à la requête des Etats-Unis, raison pour laquelle il exerce une pression politique en conséquence.63 Dans cette proposition, le DFJP précise que, à la demande du président des Etats-Unis, le secrétaire d'Etat américain à la Justice avait à plusieurs reprises contacté le chef du DFJP afin de souligner l'importance de la requête du gouvernement américain. La proposition du DFJP du 12 novembre 2007 fait état de l'insistance avec laquelle les Etats-Unis demandent que la Suisse leur remette les documents en question ou, à la rigueur, détruise toutes les informations sensibles64 et indique que l'objectif des Etats-Unis est d'éviter que ces informations tombent entre les mains d'une organisation terroriste ou d'un Etat non doté d'armes nucléaires considéré comme proliférateur. Le communiqué de presse du président de la Confédération du 23 mai 2008 montre que le Conseil fédéral a repris cette argumentation.

Le chef du DFJP avait été informé du fait que la Suisse détenait des plans de construction d'armes nucléaires en juillet 2006. La sécurité de ces documents n'a été renforcée que trois mois plus tard. Lorsque, le 1er novembre 2006, le Conseil fédéral s'est pour la première fois penché sur la question du caractère explosif de certaines pièces du dossier Tinner, la proposition de décision que le DFJP lui avait soumise ne mentionnait pas de problèmes de sécurité. Il aura fallu que les Etats-Unis exercent des pressions sur la Suisse seize mois durant avant que le Conseil fédéral prenne conscience le 14 novembre 2007 de l'existence d'un problème de sécurité qu'il devait résoudre. Bien qu'ayant fait sienne l'évaluation des risques du gouvernement américain, le Conseil fédéral a, d'un point de vue formel, agi de sa propre initiative dans le but d'éliminer un risque pour
la sécurité de la communauté internationale. La délégation ne peut toutefois pas s'empêcher de penser que, dans l'affaire Tinner, c'est plus la pression exercée par les Etats-Unis que le risque de prolifération qui a préoccupé le département en charge du dossier et le Conseil fédéral.

La destruction de l'ensemble des moyens de preuve du dossier Tinner constituait un moyen permettant de céder rapidement à la pression exercée par Washington. Etant donné que cette solution ne nécessitait aucun délai pour évaluer et trier les documents concernés, la destruction de toutes les pièces saisies était la solution la plus rapide pour se débarrasser des pièces sensibles.

La proposition du DFJP ne proposait aucune alternative. Elle était centrée sur la destruction intégrale des pièces du dossier Tinner alors qu'il est établi que, en novembre 2006, le Secrétaire d'Etat américain à la Justice a, au nom de son gouvernement, proposé à la Suisse de remettre les documents sensibles en mains américaines en précisant que les Etats-Unis s'engageaient à en garantir l'accès aux autorités de 63

64

Proposition du DFJP du 1.11.2006 relative à la consultation par l'AIEA de documents «explosifs» issus d'une procédure d'enquête judiciaire du MPC et remise de ces documents à ladite agence, p. 1.

Proposition du DFJP du 12.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T., p. 2.

4537

poursuite pénale suisses pour qu'elles puissent mener la procédure à son terme.65 Aucune des propositions que le DFJP a présentées au Conseil fédéral ne fait état de cette offre du gouvernement américain.

A la question de la DélCdG qui voulait savoir pourquoi le Conseil fédéral n'avait pas discuté de la proposition des Etats-Unis, celui-ci a répondu que, «à l'époque en question [en 2006], tant [le groupe de travail] que le chef du DFJP ont considéré qu'une transmission des documents aux Etats-Unis s'avérait inopportune en raison de considérations liées à la souveraineté de notre pays.»66 Les conseillers fédéraux que la délégation a entendus au sujet de la décision du 14 novembre 2007 partagent cet avis. Etant donné que le Conseil fédéral est tenu de respecter l'ordre juridique de la Suisse, les mêmes considérations liées à la souveraineté de notre pays auraient aussi dû l'empêcher de prendre une décision aussi lourde de conséquences pour l'indépendance de la Justice.

6.5.3

Balance entre les intérêts en matière de politique étrangère et l'indépendance de la Justice

En prenant sa décision du 14 novembre 2007, le Conseil fédéral a dû procéder à une pesée d'intérêts. Il devait confronter l'intérêt à une procédure pénale respectant les principes d'un Etat de droit à celui qu'il y avait alors à céder à la pression américaine. La proposition du DFJP du 12 novembre 2007 était très explicite au sujet des conséquences qu'une destruction de l'ensemble des pièces saisies chez les Tinner aurait pour la procédure pénale. Elle soulignait clairement qu'une telle destruction vidait presque entièrement le dossier à charge des Tinner et que, faute de pièces à conviction suffisantes, il n'y avait d'autre solution que de classer l'affaire sans suite.67 Les documents relatifs à la séance du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 ne permettent en revanche pas de savoir si, lors de cette séance, le Conseil fédéral s'est effectivement penché sur la question des inconvénients que la Suisse aurait à subir, pour autant qu'il y en ait eu, s'il avait décidé d'attendre la fin de la procédure judiciaire avant de faire procéder à la destruction des documents sensibles.

La loi n'autorise pas le Conseil fédéral à décider de l'opportunité d'une poursuite judiciaire pour les infractions de droit commun. La DélCdG est d'avis que le Conseil fédéral n'aurait pu se fonder sur l'art. 184, al. 3, Cst. pour justifier une décision contra legem aussi lourde de conséquences qu'à condition d'avoir soigneusement et explicitement mis les inconvénients en matière de politique étrangère qu'il avait identifiés en regard de la transgression du principe de l'indépendance de la Justice.

Malgré ses investigations, la délégation n'est pas parvenue à discerner de conséquences concrètes pour la politique étrangère de la Suisse qui, à l'époque, auraient pu sous-tendre les arguments sécuritaires superficiels avancés par le Conseil fédéral et justifier que la Confédération cède à la pression américaine en détruisant tous les moyens de preuve saisis dans le cadre de l'affaire Tinner. Les intérêts politiques invoqués sans avoir été explicités plus à fond sont manifestement de peu de consistance au regard de la gravité de l'ingérence dans l'indépendance de la Justice, raison 65 66 67

Lettre du secrétaire d'Etat américain à la Justice du 2.11.2006 à l'attention du chef du DFJP.

Lettre du Conseil fédéral du 21.8.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 2.

Proposition du DFJP du 12.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T., p. 4.

4538

pour laquelle la DélCdG considère que la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 est disproportionnée.

6.6

Le rôle et l'efficacité des services de renseignement

En janvier 2004 déjà, le SRS avait prévenu le Conseil fédéral que le réseau Khan entretenait probablement des liens avec la Suisse. Le Conseil fédéral disposait donc de cette information avant l'intervention de l'AIEA auprès de la mission suisse à Vienne et avant que le rapport d'enquête que la police malaisienne a rendu largement public le 20 février 2004 n'établisse un lien entre le réseau Khan et la Suisse.

Le SRS a tenté par les analyses qu'il a effectuées à l'attention de la Délséc au cours du printemps 2004 de motiver les services concernés à anticiper et à examiner systématiquement le rôle des acteurs suisses dans le réseau Khan. Eu égard aux diverses enquêtes internationales qui pouvaient à tout moment révéler d'autres liens avec la Suisse, il fallait que le Conseil fédéral soit le plus rapidement possible en mesure de se faire une idée de la portée de l'affaire Tinner.

Pour sa part, le SAP s'est limité à chercher, avec l'aide du SECO, des preuves de la participation des Tinner aux exportations illégales destinées au programme libyen d'enrichissement d'uranium. Le but de ces investigations était de rassembler suffisamment d'éléments afin de prouver qu'ils avaient enfreint la LCB.

L'aspect de la prolifération des armes de destruction massive ne peut être réduit à la seule question de savoir si les autorisations d'exportation nécessaires ont été délivrées ou non. Les exportations visées étant destinées à un programme d'armes de destruction massive étranger, chacune d'entre elles a également une dimension qui concerne la sécurité et la politique étrangère. Cet aspect était particulièrement important eu égard au maillage international du réseau Khan, dont les Tinner faisaient partie.

Dans le cas d'espèce, le renseignement intérieur et le renseignement extérieur auraient dû collaborer étroitement. Il aurait en particulier été nécessaire que le SAP mène ses investigations sur le territoire suisse en tenant compte des aspects internationaux de l'affaire. Le fait que le SAP n'a été que peu enclin à s'intéresser aux aspects de l'affaire relevant de la sécurité de la communauté internationale a pesé sur les rapports communs que le SAP et le SRS ont rédigés à l'attention de la Délséc. Les évaluations se limitaient souvent au plus petit dénominateur commun au lieu d'inciter à analyser et à comprendre
les activités des Tinner à la lumière de la dimension internationale du réseau Khan. Un tel point de vue aurait été nécessaire pour pouvoir mesurer toute la portée de l'affaire Tinner pour la Suisse.

L'absence d'une conduite hiérarchique supérieure commune aux deux services de renseignement civil et le manque de volonté de coopérer de manière systématique ont motivé la DélCdG à déposer l'initiative parlementaire Hofmann en mars 2007 (07.404) et les Chambres fédérales ont adopté la loi fédérale sur le renseignement civil (LFRC) au cours de la session d'automne 2008. Les résultats des investigations relatives à l'affaire Tinner ont confirmé la nécessité des réformes demandées par la DélCdG.

Après le dépôt de plainte du SAP et du SECO auprès du MPC, c'est-à-dire après le 22 septembre 2004, le SAP n'a plus accordé à l'affaire Tinner qu'une attention

4539

réduite. Dans la lettre qu'il a adressée à la délégation68, le chef du SAP a expliqué que son service avait renoncé à poursuivre ses investigations relatives à l'affaire Tinner étant donné que celles-ci n'auraient de toute manière pas pu être menées à bien sans connaissance approfondie du dossier de procédure et que, tant que celle-ci était en cours, de telles investigations n'entraient pas dans son champ de compétence. Il a ajouté que le chef du DFJP n'a jamais chargé le SAP de lui fournir une évaluation de l'affaire Tinner.

Les rapports que le SAP a établis à l'attention du chef du DFJP et d'autres clients à partir de l'été 2004, se limitaient à la reprise de faits notoires et de certaines informations de la PJF relatives aux progrès de l'enquête. En outre, c'est également en se limitant à ces aspects que, chaque année depuis 2004, le Rapport sur la sécurité intérieure du la Suisse a traité la question du réseau Khan et de l'affaire Tinner.

Le SRS a suivi les différentes procédures et enquêtes pénales ouvertes à l'étranger contre le réseau Khan dès fin 2004. Eu égard à ses observations, il a estimé que les autorités étrangères compétentes allaient découvrir des informations sur les activités du réseau Khan en Suisse. Les analyses du SRS ont livré de plus en plus d'informations sur l'ampleur du réseau Khan et sur le caractère dangereux de ses activités.

Ainsi, en août 2005, en se fondant sur des informations du SRS, le coordonateur des renseignements a souligné dans un rapport à l'attention de la Délséc que certains individus du réseau Khan disposaient non seulement de la technologie permettant d'enrichir l'uranium, mais encore de plans de construction d'armes nucléaires.69 Les informations du SRS ne permettaient toutefois pas de conclure que les Tinner étaient eux aussi en possession de ces plans. Lors de la séance de la Délséc du 30 août 2005, l'attention des conseillers fédéraux présents a été attirée sur le fait que la Suisse pouvait contribuer à la non-prolifération d'armes de destruction massive en procédant à une enquête approfondie sur les activités de la famille Tinner et en saisissant les documents en leur possession pour éviter que d'autres Etats en prennent connaissance.70 Autrement dit, le Conseil fédéral avait été mis au courant du fait que les documents en possession des Tinner
constituaient un risque important du point de vue de la prolifération nucléaire plus de deux ans avant qu'il ordonne la destruction non seulement des documents sensibles, mais encore de tous les autres documents saisis dans le cadre de l'affaire Tinner.

Au printemps 2006, dans un rapport secret à l'attention du chef du DDPS, le SRS soulignait que, grâce à leur appartenance au réseau Khan, les Tinner disposaient de plans de construction de centrifugeuses destinées à l'enrichissement d'uranium pour ainsi dire complets et que, dans la mesure où ils avaient été numérisés, ces plans représentaient un danger important parce que très facile à transférer par courrier électronique. Le 30 octobre 2006, le SRS a rédigé un nouveau rapport secret qui mentionnait dès les premières phrases que les autorités de la Confédération suisse étaient en possession de plans de construction d'une arme nucléaire qui, de l'avis d'experts, étaient pour ainsi dire complets au point de permettre de reproduire une telle arme.71 Ce rapport soulignait que ces plans de construction n'étaient pas sans 68 69

70 71

Lettre du SAP du 2.9.2008 à l'attention de la DélCdG.

Les pays seuils nucléaires et le Pakistan: facteurs clés de la prolifération nucléaire, rapport de l'Ordiséc du 30.8.2005, p. 5; ce rapport a également été présenté à la DélCdG le 12.9.2005.

Procès-verbal de la séance de la Délséc du 30.8.2005, p. 3.

Politische Aufarbeitung der Affäre Khan, rapport du SRS du 30.10.2006, p. 1.

4540

poser problème pour la Suisse en raison de ses obligations découlant du droit international et des conséquences qui pourraient en découler dans le domaine de la politique étrangère.

Le SRS n'avait pas accès aux informations de l'enquête judiciaire et le DDPS n'était pas représenté au sein du groupe de travail institué en octobre 2006. En tout état de cause, sur la base d'informations en provenance de l'étranger, le SRS était parvenu à la conclusion que les Tinner détenaient des plans de construction d'armes nucléaires qu'ils avaient introduits en Suisse. Grâce aux efforts du SRS, le DDPS était au courant du caractère explosif de l'affaire Tinner deux jours avant la séance du 1er novembre 2006, séance au cours de laquelle le chef du DFJP a informé les autres membres du Collège fédéral de la présence en Suisse de plans de construction d'armes nucléaires.

Contrairement au chef du DFJP, le chef du DDPS avait chargé son service de renseignement de le tenir au courant de la situation. Le SRS lui a donc fait régulièrement parvenir les plus récentes informations sur le réseau Khan et sur les implications de ses activités pour la Suisse. Si la délégation porte une appréciation d'ensemble positive sur les contributions du service de renseignement du DDPS, elle estime en revanche que l'usage que le gouvernement en a fait n'est pour le moins pas satisfaisant.

Le DDPS disposait des informations qui auraient permis de se rendre compte du caractère exceptionnel de l'affaire Tinner en automne 2006 déjà. Le Conseil fédéral n'a toutefois jamais intégré les éléments correspondants dans ses réflexions. Département chargé de l'affaire Tinner en raison du rattachement administratif des autorités de poursuite pénale, le DFJP a, pour sa part, entièrement renoncé à recourir au renseignement pour évaluer les implications de la présence en Suisse des plans de construction d'armes nucléaires du point de vue de la sécurité et des risques de prolifération. Le DFJP s'est avant tout reposé sur l'évaluation de la situation par les autorités américaines sans demander aux services suisses de procéder à une contreanalyse indépendante.

6.7

Le rôle de la Délséc

La Délséc a été instituée pour renforcer la capacité de conduite du Conseil fédéral en matière de politique de sécurité et, à cet effet, de préparer les décisions du Conseil fédéral.72 La Délséc est chargée d'une part de veiller à ce que l'Ordiséc l'informe le plus tôt possible au sujet de l'évolution de la situation dans le domaine de la sécurité et d'autre part de préparer les objets concernant la politique de sécurité soumis à la décision du Conseil fédéral.

La délégation a constaté que, en 2004, divers services représentés au sein de l'Ordiséc ont à réitérées reprises souligné le risque potentiel inhérent à l'affaire Tinner. La Délséc a pris acte ponctuellement des informations de l'Ordiséc. Toutefois, en 2004 et en 2005, les chefs des départements concernés n'ont fait preuve d'aucun intérêt durable à l'égard de l'affaire Tinner. Même le rapport que le coordo-

72

Art. 3 de l'ordonnance du 24.10. 2007 sur l'organisation de la conduite de la politique de sécurité du Conseil fédéral (RS 120.71).

4541

nateur des renseignements a établi à l'attention de la Délséc en août 200573, dans lequel il mentionnait que des membres du réseau Khan étaient en possession de plans de construction d'armes nucléaires, n'est pas parvenu à attirer l'attention de la Délséc sur l'affaire Tinner.

Lorsque, en juillet 2006, le chef du DFJP a appris la présence de plans de construction d'armes nucléaires parmi les pièces à conviction du dossier Tinner, il a repris ces informations et les a présentées directement au Collège fédéral, sans plus passer par la Délséc pour préparer l'objet. Les deux autres chefs de département également membres de la Délséc étaient manifestement disposés à ce que l'affaire Tinner soit traitée hors du cercle de la Délséc et à laisser le DFJP et le groupe de travail qu'il avait institué se charger de tous les travaux préparatoires. La DélCdG constate donc que le Conseil fédéral a voulu gérer l'affaire Tinner au moyen de structures ad hoc au lieu de s'appuyer sur les organes de conduite de la politique de sécurité qu'il a lui-même institués.

6.8

Information des délégations des commissions de surveillance par le Conseil fédéral

Les services compétents ont régulièrement et spontanément tenu la DélCdG informée de l'évolution de l'affaire Tinner jusqu'à la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007.

L'appréciation de l'information du chef du DFJP doit toutefois être nuancée. Chaque fois que la délégation lui a demandé une information par la voie écrite, elle a reçu des informations détaillées et correctes. En revanche, lorsqu'elle lui demandait une information au cours d'un entretien ­ sans requête écrite préalable ­, le chef du DFJP ne la renseignait pas toujours complètement.

Ainsi, lors de l'entretien du 21 novembre 2006, invité à informer la délégation de la décision du Conseil fédéral du 1er novembre 2006, le chef du DFJP a indiqué qu'il devait d'abord obtenir l'accord du Collège fédéral. Si elle ne contenait aucune disposition prévoyant une information active de la délégation, la décision du Conseil fédéral du 1er novembre 2006 ne limitait cependant en rien le droit à l'information de la DélCdG. Ce n'est qu'à partir de la décision du 29 août 2007 que le Conseil fédéral a estimé nécessaire d'informer la délégation spontanément.

Lorsque, plus tard, la DélCdG a insisté pour être entièrement mise au courant du contenu de la décision du 1er novembre 2006, le chef du DFJP l'a informée de manière circonstanciée le 13 septembre 2007.

Etant donné que, en vertu de l'art. 169, al. 2, Cst., le secret de fonction ne constitue pas un motif qui peut être opposé à la DélCdG, le chef du DFJP aurait été tenu d'informer la délégation de manière détaillée lors de l'entretien du 21 novembre 2006 déjà. Le Conseil fédéral n'est pas habilité à limiter le droit constitutionnel à l'information de la DélCdG.

Quant à la troisième décision du Conseil fédéral, soit la décision du 14 novembre 2007 relative à la destruction des pièces du dossier Tinner, le chef du DFJP aurait dû informer la DélCdG sans délai et officiellement. Il est inadmissible d'avoir voulu 73

Les pays seuils nucléaires et le Pakistan: facteurs clés de la prolifération nucléaire, rapport de l'Ordiséc du 30.8.2005, p. 5.

4542

attendre la prochaine discussion régulière du printemps 2008 avant d'informer la délégation alors qu'il avait été prévu de détruire les documents à fin 2007 déjà. En outre, la décision de détruire les moyens de preuve contredisait les propos du chef du DFJP lors de l'entretien du 13 septembre 2007 au cours duquel il avait assuré la délégation que la procédure pénale contre les Tinner allait suivre un cours normal.

Au vu de l'importance de l'objet et de l'intérêt que la délégation a manifesté tout au long de l'affaire, le Conseil fédéral aurait dû l'informer sans délai de ce changement de cap fondamental.

La délégation souligne en outre que la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007 chargeait explicitement «le chef du DFJP [d'informer] la DélCdG de manière appropriée sur les mesures décidées par le Conseil fédéral et leur exécution.»74 A la demande de la délégation, le Conseil fédéral a confirmé qu'il n'avait toutefois pas déterminé de date pour le faire.75 La DélCdG ne peut admettre la retenue d'informations dont le chef DFJP a fait preuve envers elle ne serait-ce que parce que, seulement quelques jours après la décision du 14 novembre 2007, il en a informé les Etats-Unis aux échelons ministériel et diplomatique. Plus tard, soit le 28 décembre 2007, il a encore informé le Tribunal pénal fédéral en sa qualité d'autorité de surveillance chargée de la surveillance judiciaire du MPC, mais il n'a toujours pas jugé bon d'avertir l'organe chargé d'exercer la haute surveillance parlementaire.

La DélCdG aura dû attendre jusqu'au 8 février 2008 avant que la nouvelle chef du DFJP informe officiellement le président de la délégation qui avait exigé d'être reçu au lendemain des fuites dans la presse concernant la destruction de moyens de preuve relatifs à l'affaire Tinner. A partir de ce moment-là, le DFJP a veillé à tenir la délégation régulièrement et spontanément au courant de l'évolution de l'affaire Tinner. Le DFJP a aussi déployé d'importants efforts pour que la DélCdG puisse disposer des documents existants dont elle avait besoin pour mener son enquête à bien.

Avec le recul, la délégation constate cependant aussi que, en février 2008, la chef du DFJP n'était pas en mesure de la renseigner au sujet de la destruction des documents de manière suffisamment précise. Dans la décision du Conseil
fédéral du 13 février 2008, il était question de restreindre, dans une première phase, la destruction aux seuls documents contenant des informations relatives aux technologies du nucléaire.

Dans la mesure où, lors des explications qu'elle a données à la délégation lors de sa séance du 21 février 2008, la chef du DFJP ne faisait pas la distinction entre documents contenant des informations relevant des technologies du nucléaire et documents posant problème sous l'angle du respect des traités internationaux, la DélCdG devait partir du principe que seuls ces derniers documents allaient être détruits au cours de la première phase. Pour pouvoir prendre la juste mesure de la première phase de destruction, la DélCdG aurait dû disposer de la stratégie de destruction que la chef du DFJP avait approuvée le 14 février 2008.

La stratégie de destruction indiquait que les plans de construction d'armes nucléaires et les documents relatifs à l'enrichissement d'uranium devaient être détruits immédiatement. Quant aux autres pièces du dossier Tinner, la stratégie précisait que 74 75

Décision du Conseil fédéral du 14.11.2007 relative aux informations sensibles en matière de technologie nucléaire issues de la procédure contre T.

Lettre du Conseil fédéral du 21.8.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 1.

4543

l'AIEA était autorisée à sélectionner les pièces saisies qu'elle désirait encore analyser et que celles-ci seraient encore conservées à cette fin jusqu'en mai.76 Rien ne permettait donc de garantir que les documents qui allaient être détruits au cours de la première phase portaient uniquement sur les technologies du nucléaire. Force est au contraire de constater que seuls les besoins de l'AIEA ont déterminé les pièces à conviction que le juge d'instruction fédéral pourrait encore consulter après la première phase de destruction.

Il s'agissait essentiellement de copies des documents que la Suisse avait saisis chez Gotthard Lerch en 2004 dans le cadre de la demande d'entraide judiciaire déposée par l'Allemagne. Ce n'est toutefois que lors de l'une des auditions auxquelles elle a procédé mi-avril 2008 que la DélCdG a appris que tous les moyens de preuve saisis chez les Tinner avaient déjà été détruits avant fin février 2008.

La DélCdG constate donc que les recommandations qu'elle avait adressées à la chef du DFJP (29 février 2008) et au Conseil fédéral (26 mars 2008) visant à limiter les destructions en cours aux seules pièces posant problème sous l'angle du respect des traités internationaux ne pouvaient plus déployer aucun effet. Ainsi, en décidant le 2 février 2008 de donner suite à la recommandation de la délégation en acceptant de repousser le délai de destruction des documents qui n'avaient pas encore été détruits pour le cas où cette mesure s'avérerait indispensable pour les besoins de la poursuite pénale, le Conseil fédéral n'a fait acte de bonne volonté que pour la forme. Il aurait en effet pu savoir que les documents qui n'avaient pas encore été détruits à ce moment-là ne lui permettaient matériellement plus de respecter la recommandation de la DélCdG. La délégation regrette que, dans sa réponse, le Conseil fédéral ne l'ait pas informée de cette situation.

La DélCdG a également vérifié si la Délégation des finances (DélFin) a reçu pour information les cinq décisions du Conseil fédéral relatives à l'affaire Tinner. Dans son courriel du 8 octobre 2008 la DélFin a répondu par la négative. Selon l'art. 154, al. 3, LParl, les décisions du Conseil fédéral doivent être communiquées au fur et à mesure à la DélFin, accompagnées des co-rapports correspondants.

6.9

Surveillance exercée par le Tribunal pénal fédéral

Dans sa lettre du 17 juin 2008, le Tribunal pénal fédéral a répondu par la négative à la question posée le 2 juin 2008 par la DélCdG qui voulait savoir si la Ire Cour des plaintes s'était prononcée sur la destruction des moyens de preuve du dossier Tinner en sa qualité d'autorité de surveillance judiciaire ou en sa qualité d'instance juridictionnelle.

Le 22 janvier 2008, après que son président l'ait informée de la décision du Conseil fédéral du 14 novembre 2007, la Ire Cour des plaintes n'a pas estimé devoir intervenir immédiatement en sa qualité d'instance de surveillance judiciaire du MPC étant donné que, à l'époque, elle ignorait encore que les documents n'avaient pas encore été détruits.77 A son avis, il n'y avait pas lieu d'intervenir d'office au titre de la surveillance étant donné que, étant informés de la destruction, la défense et le MPC avaient toute latitude pour s'adresser à la Ire Cour des plaintes et que, en sa qualité 76 77

Proposition du chef de projet à l'attention de la chef du DFJP relative à l'exécution de la décision du Conseil fédéral du 14.2.2008, p. 2.

Lettre du Tribunal pénal fédéral du 17.6.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 2.

4544

d'autorité chargée de diriger la procédure, le MPC disposait lui-même des pièces en question et aurait été de facto en mesure de s'opposer à leur destruction.78 Eu égard aux informations limitées dont elle disposait et à défaut de requête concrète des parties, la Ire Cour des plaintes n'a pas estimé nécessaire de se prononcer sur le fond de la question de la destruction des documents concernés.

La délégation a également examiné la légalité de l'instruction par laquelle le directeur de l'OFP avait ordonné au chef de la PJF de refuser que sa division principale apporte à l'OJI quelque aide de ce soit au titre de police judiciaire fédérale dans le cadre de l'instruction préparatoire de l'affaire Tinner. En vertu de l'art. 17, al. 1, PPF, la police judiciaire est dirigée par le procureur général et est placée sous la surveillance79 de la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral. Par lettre du 5 septembre 2008, la DélCdG a donc invité la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral à examiner l'instruction du directeur de l'OFP en sa qualité d'organe de surveillance.

Dans sa réponse écrite du 23 septembre 2008, la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral indique qu'elle n'est pas en mesure de procéder à l'évaluation demandée par la délégation, ni sur la forme, ni sur le fond, étant donné que d'une part une procédure de surveillance n'était ni en cours, ni n'avait été envisagé par le procureur général de la Confédération qui dirige la police judiciaire et exerce le premier niveau de surveillance (art. 17, 15 et 105 bis, al. 1, PPF) et que d'autre part l'instruction préparatoire est soumise à la surveillance exercée par la Ire Cour des plaintes (art. 28, al. 2, de la loi fédérale sur le Tribunal pénal fédéral).80 La délégation a également consulté l'arrêt non publié de la Ire Cour des plaintes du 28 mai 2008 sur la requête de mise en liberté d'Urs Tinner. Dans cet arrêt, elle souligne en substance que les autorités compétentes n'ont pas encore achevé leur enquête et, plus loin, considère que, au regard du principe de célérité, il serait toutefois incompréhensible que les autorités de poursuite pénale tentent de se procurer une nouvelle fois des pièces qui ont déjà été détruites. La Cour des plaintes estime en outre qu'Urs Tinner n'est pas responsable des retards de la procédure ni des
conséquences de ceux-ci, raison pour laquelle il n'a pas à en subir de préjudices, cela d'autant plus que, dans le cadre de la précédente demande de libération, le Tribunal fédéral avait déjà souligné que l'affaire devait être traitée particulièrement rapidement (arrêt du Tribunal fédéral IB_205/2007 du 9 octobre 2007, consid. 5.6 in fine). La Cour des plaintes a encore précisé que, après huit mois de plus, il convenait d'accorder une priorité plus grande encore au principe de célérité et qu'il fallait rapidement clore l'instruction préparatoire.81 Dans les considérants de l'arrêt susmentionné, le Tribunal fédéral a noté que la clôture de l'enquête diligentée par le MPC était imminente et que la demande de celui-ci d'ouvrir une instruction préparatoire n'avait été que provisoirement rejetée pour des raisons formelles. Le Tribunal fédéral a toutefois ajouté que, eu égard à la durée de la détention, il insistait pour que cette affaire soit traitée particulièrement rapidement.82 78 79 80 81 82

Lettre du Tribunal pénal fédéral du 17.6.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 2.

Voir art. 17, al. 1, PPF.

Lettre du Tribunal pénal fédéral du 23.9.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 1.

Arrêt non publié de la Ire Cour des plaintes du 28.5.2008, consid. 6.3.

Arrêt du Tribunal fédéral IB_205/2007 du 9.10.2007, consid. 5.6.

4545

Dans son arrêt du 28 mai 2008, le Tribunal pénal fédéral a, selon ses propres déclarations, clairement et notoirement accordé la priorité au principe de célérité au détriment de la récupération de pièces du dossier Tinner sans pour autant contester la licéité d'une récupération de pièces à conviction détruites.83 La délégation peut partir du principe que, dans son arrêt susmentionné, ce n'est pas en sa qualité d'instance juridictionnelle que la Ire Cour des plaintes a insisté pour une clôture rapide de l'instruction préparatoire. La Ire Cour des plaintes s'est par conséquent prononcée à cet égard dans le cadre de la surveillance judiciaire.

Eu égard à cette manière de procéder, la DélCdG se demande si, le 28 mai 2008, il était encore pertinent que la Ire Cour des plaintes insiste pour que le juge d'instruction fédéral renonce à se procurer des copies des pièces à conviction détruites. A cet égard, elle s'est référée à la recommandation instante du Tribunal fédéral (arrêt susmentionné du 9 octobre 2007) qui voulait accélérer l'instruction préparatoire. Cet arrêt du Tribunal fédéral avait toutefois été prononcé dans l'ignorance de la destruction à venir des pièces à conviction et le juge d'instruction fédéral avait déjà entamé l'instruction préparatoire lorsque la Ire Cour des plaintes a prononcé son arrêt du 28 mai 2008.

La DélCdG estime pour sa part que, en mai 2008, le respect du principe de célérité devait être apprécié dans la perspective des pièces à conviction qui avaient été soustraites de la procédure pénale. La délégation ne parvient pas à comprendre pourquoi la Ire Cour des plaintes a estimé qu'une clôture rapide de l'instruction préliminaire était plus importante que la récupération des pièces à conviction nécessaires au déroulement de la procédure pénale.

La DélCdG ne comprend pas non plus pourquoi la Ire Cour des plaintes a, d'une part, insisté sur une clôture rapide de la procédure sans récupération de copies des pièces à conviction détruites, mais a, d'autre part, indiqué à la délégation que, en sa qualité d'instance de surveillance, elle n'avait pas estimé nécessaire de se pencher sur la destruction des pièces à conviction du dossier Tinner et les conséquences de celle-ci.

Etant donné que l'instruction par laquelle le directeur de l'OFP avait ordonné au chef de la PJF de refuser
d'apporter son aide au juge d'instruction fédéral n'était guère susceptible d'accélérer l'instruction préliminaire, la Ire Cour des plaintes aurait logiquement dû se pencher sur ladite instruction lorsque la DélCdG lui en a appris l'existence. A cet égard, elle aurait dû se demander si certaines pièces à conviction détruites étaient indispensables pour une mise en accusation et si l'instruction du directeur de l'OFP n'enfreignait justement pas le principe de célérité.

La DélCdG constate que lorsqu'elle a assumé ses obligations en matière de surveillance à l'égard du MPC et de la PJF dans l'affaire Tinner, la Ire Cour des plaintes ne les a exercées que de manière lacunaire. La délégation ne partage pas l'opinion de la Ire Cour des plaintes qui estime que ses obligations en matière de surveillance ne commencent qu'à partir du moment où le MPC a exercé sa surveillance sur la PJF ou qu'il fait lui-même appel à la surveillance du Tribunal pénal fédéral. La DélCdG estime que le fait de veiller à ce qu'une surveillance soit exercée sur la PJF fait également partie de la mission de surveillance confiée à la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral.

83

Lettre de la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral du 15.10.2008 à l'attention de la DélCdG, p. 2.

4546

7

Recommandations de la DélCdG

Au cours de son enquête, la DélCdG a constaté des lacunes dans la manière dont le Conseil fédéral a géré l'affaire Tinner. Il s'est écarté de diverses dispositions légales.

Pour pouvoir tirer les leçons de l'affaire Tinner, la DélCdG adresse les recommandations suivantes au Conseil fédéral: Recommandation 1 La DélCdG invite le Conseil fédéral à veiller à ce que le juge d'instruction fédéral chargé de l'instruction préparatoire obtienne l'appui de la PJF prévu par la loi.

Recommandation 2 La DélCdG invite le Conseil fédéral à lui présenter une stratégie réglant la manière d'informer la délégation à temps au sujet de ses décisions secrètes. Jusqu'à nouvel ordre, la DélCdG attend du Conseil fédéral qu'il lui fasse parvenir sans délai toutes ses décisions classées secrètes.

Recommandation 3 La DélCdG invite le Conseil fédéral à lui présenter une stratégie réglant la question de la préparation interdépartementale des objets de grande portée en termes de politique de sécurité et de politique étrangère et pour le traitement desquels il attache une grande importance à la confidentialité.

Recommandation 4 La DélCdG attend du Conseil fédéral qu'il ne fasse appel à ses compétences découlant des art. 184, al. 3, et 185, al. 3, Cst. qu'avec une grande retenue et après un examen approfondi des circonstances.

Recommandation 5 La DélCdG attend du Conseil fédéral qu'il s'assure que toutes ses décisions secrètes, sans exception, revêtent la forme écrite.

Recommandation 6 La DélCdG invite le Tribunal fédéral à examiner la surveillance que la Ire Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral exerce sur le MPC et sur la PJF.

4547

8

Suite des travaux

La Délégation des Commissions de gestion prie le Conseil fédéral et le Tribunal fédéral de donner leur avis sur le présent rapport assorti de recommandations d'ici à fin juin 2009.

19 janvier 2009

Au nom de la Délégation des Commissions de gestion: Le président, Claude Janiak, député au Conseil des Etats Le secrétaire suppléant, Ivo Kreiliger

Les Commissions de gestion ont pris acte du présent rapport respectivement le 22 janvier 2009 et ont approuvé la publication.

22 janvier 2009

Au nom des Commissions de gestion: Le président de la Commission de gestion du Conseil des Etats, Hans Hess, député au Conseil des Etats Le président de la Commission de gestion du Conseil national, Pierre-François Veillon, conseiller national

4548

Liste des personnes entendues Beyeler, Erwin

Procureur général de la Confédération,MPC

Blocher, Christoph

Ancien conseiller fédéral, ancien chef du DFJP

Calmy-Rey, Micheline

Conseillère fédérale, chef du DFAE

Fels, Michel-André

Ancien procureur général intérimaire de la Confédération, MPC

Fritschi, Thomas

PJF, OFP, DFJP

Lehmann, Peter

Procureur fédéral, MPC

Leupold, Michael

Directeur de l'office fédéral de la justice, DFJP

Meli Andres, Beatrice

Ancienne chef de l'inspectorat du DFJP

Montanari, Ruedi

Procureur suppléant de la Confédération, MPC

Müller, Andreas

Juge d'instruction fédéral, OJI

Schmid, Samuel

Conseiller fédéral, chef du DDPS

Thalmann, Anton

Ambassadeur, directeur politique adjoint, DFAE

Vez, Jean-Luc

Directeur de l'Office fédéral de la police, DFJP

Widmer-Schlumpf, Eveline

Conseillère fédérale, chef du DFJP

Expert nucléaire

Service de renseignement stratégique, DDPS

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4550