Le droit à l'information des Commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des États

Annexe

à la suite du rapport de la Commission administrative du Tribunal fédéral du 5 avril 2020 (12T_2/2020) relatif aux incidents qui ont eu lieu au Tribunal pénal fédéral Constat en matière de haute surveillance des Commissions de gestion du 24 juin 2020

Monsieur le Président du Tribunal fédéral, Mesdames et Messieurs les Juges fédéraux,

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Rapport 1

Contexte 1

Le 6 janvier 2020, la Commission administrative (CA) du Tribunal fédéral (TF) a ouvert une procédure de surveillance au sujet d'incidents ayant eu lieu au Tribunal pénal fédéral (TPF). Le 5 avril 2020, elle a clos cette procédure en rédigeant un rapport de surveillance1, qu'elle a envoyé aux Commissions de gestion (CdG) le 16 avril 2020 et publié le 20 avril 2020, accompagné d'un communiqué de presse.

2

Dans son rapport de surveillance, la CA du TF interprète in extenso le droit à l'information des commissions de surveillance parlementaires selon la loi sur le Parlement. L'interprétation de la CA du TF contredit en plusieurs points l'interprétation constante et la pratique usuelle des CdG. Les CdG tiennent ainsi à apporter les rectifications suivantes:

2

Constatations

2.1

Concernant le droit à l'information des CdG en général

1 2 3

4

3

La portée de la haute surveillance parlementaire et les compétences des organes ad hoc sont régies par les art. 26, 27, 50 et 52 de la loi sur le Parlement (LParl)2. Le droit à l'information des commissions de surveillance est réglé aux art. 153 et 156 à 158 LParl; conformément à l'art. 162, al. 1, let. c, LParl, il s'applique par analogie aux tribunaux fédéraux.

4

La Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) a résumé les bases légales et la pratique des CdG dans le domaine de la haute surveillance lors d'un constat en matière de haute surveillance établi le 24 juin 20083. Se fondant sur deux avis de droit qu'elle avait commandés4, elle y relevait notamment les points suivants, dignes d'attention en l'occurrence:

5

«En plus du droit général à l'information des commissions prévu à l'art. 150 LParl, les CdG ont le droit d'interroger directement tous services, Procédure de surveillance relative aux incidents qui ont eu lieu au Tribunal pénal fédéral ­ rapport du 5.4.2020 (12_T2/2020; site Internet du TF).

Loi du 13.12.2002 sur l'Assemblée fédérale (RS 171.10) Constat en matière de haute surveillance concernant le droit à l'information de la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) en rapport avec l'arrêt rendu le 18.12.2007 par la lre Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (AU.2007.1_A) (pages Internet des CdG/Documents de base).

Avis de droit du prof. Giovanni Biaggini «Droit à l'information des Commissions de gestion des Chambres fédérales dans le cadre d'une poursuite pénale du point de vue constitutionnel», du 5.6.2008; avis de droit de M. Niklaus Oberholzer «Le droit à l'information des Commissions de gestion de l'Assemblée fédérale en matière de poursuite pénale analysé sous l'angle de la procédure pénale» du 5.6.2008.

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autorités ou personnes assumant des tâches pour le compte de la Confédération et d'obtenir qu'ils leur remettent tous documents dont elles ont besoin (art. 153, al. 1, LParl). [...]» 6

«Les CdG décident seules de l'objet sur lequel portera leur enquête et établissent seules le caractère nécessaire, pertinent et utile des informations ou des documents qu'elles requièrent. [...]»

7

«Lorsque les CdG exercent leur droit à l'information dans le domaine de la poursuite pénale et de la justice, elles mettent en balance les impératifs inscrits dans la Constitution en matière de maintien du secret et la nécessité d'assurer l'efficacité de la haute surveillance. [...] Si des autorités judiciaires sont concernées par une investigation des CdG, celles-ci prennent soin de ne pas porter atteinte leur indépendance. À noter qu'elles procèdent à cet examen au cas par cas, en prenant en considération les circonstances particulières de chaque affaire, l'objet et le but de l'enquête ainsi que le type d'information visé.»

8

«Lorsque, au terme d'une enquête sur une affaire relevant de la procédure pénale ou de la justice, les CdG informent le public de leurs conclusions, elles tiennent compte des enjeux particuliers en la matière et du caractère éminemment sensible que revêtent ces informations. Ces précautions spécifiques ne sont néanmoins pas de nature à restreindre le droit à l'information dont les CdG jouissent aux termes de la loi.»

9

«Le secret de fonction ne peut être opposé au droit à l'information des CdG.

En effet, la LParl prévoit que les personnes assumant des tâches pour le compte de la Confédération sont tenues de fournir aux CdG tous les renseignements et documents dont celles-ci ont besoin, sans devoir solliciter d'autorisation particulière de la part de leurs supérieurs ou être libérées du secret de fonction. À noter que ces personnes ne violent pas plus le secret de fonction si elles proposent ou fournissent aux CdG des informations ou des documents qu'elles jugent utiles à l'exercice de leur mandat de haute surveillance.»

2.2

Concernant le droit à l'information des CdG à la suite du rapport de la CA du TF du 5 avril 2020 (12T_2/2020)

2.2.1

L'interprétation du droit parlementaire par la CA du TF n'est pas contraignante

10 En premier lieu, il convient de souligner que l'interprétation des dispositions de la LParl relatives au droit à l'information des commissions de surveillance n'est soumise à aucun examen par un tribunal. C'est aux commissions de surveillance elles-mêmes qu'incombe d'interpréter définitivement leur droit à l'information (art. 153, al. 6, 1re phrase, LParl). L'ordre constitutionnel est ainsi concrétisé, qui confère à l'Assemblée fédérale l'autorité su-

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prême de la Confédération (art. 148, al. 1, Cst.5) et l'exercice de la haute surveillance sur les tribunaux fédéraux (art. 169, al. 1, Cst.).

11 Il est choquant, en l'espèce, que le TF interprète les dispositions du droit parlementaire relatives à la haute surveillance dans le cadre d'un rapport de surveillance publié, c'est-à-dire hors de l'exercice de sa compétence juridictionnelle. Cette attitude donne aux autorités et au public l'impression qu'il s'agit d'une décision judiciaire suprême, ce qui n'est pas le cas. Ainsi, l'interprétation que la CA du TF fait du droit à l'information des CdG dans son rapport de surveillance n'est pas contraignante, ni pour les CdG, ni pour une quelconque autre autorité; c'est en effet aux CdG elles-mêmes qu'il appartient de statuer définitivement sur l'existence, les limites et l'exercice de leur droit à l'information.

2.2.2

Limitation contraire au droit de l'objet de la haute surveillance dans le domaine de l'organisation des tribunaux

12 Aux pages 9 ss, la CA du TF cite tout d'abord le droit général à l'information des commissions parlementaires (art. 150 LParl) ainsi que le droit spécifique à l'information des commissions de surveillance (art. 153). Il déclare ensuite (ch. marg. 22, p. 11): 13 «Ces droits à l'information et à la consultation des commissions de surveillance parlementaires sont également applicables mutatis mutandis aux relations avec les tribunaux fédéraux. Toutefois, elles [sic] n'autorisent ni les CdG, ni les commissions des finances à interférer dans la gestion opérationnelle du Tribunal pénal fédéral, ce qui constituerait une violation manifeste de l'article 60 al. 1 LOAP6 (principe de l'administration judiciaire autonome). A fortiori, les questions de jurisprudence, auxquelles appartiennent incontestablement la composition de la cour appelée à statuer par le président de la cour (art. 15 ROTPF7) et l'affectation (même temporaire) des greffiers aux cours (art. 54 al. 4 let. c in fine LOAP), ne peuvent pas faire l'objet de la haute surveillance parlementaire.» 14 Tout d'abord, l'art. 60, al. 1, LOAP prévoit simplement que «[l]e Tribunal pénal fédéral s'administre lui-même». Globalement, ce droit légal de s'autoadministrer n'est en rien différent de celui dont dispose le Conseil fédéral, par exemple. Ainsi, on pourrait se demander quel type d'interférence, par la haute surveillance parlementaire, constituerait une interférence non autorisée dans l'administration autonome d'une organisation. Cette limite ne découle pas des normes d'autonomie des unités administratives ou des organisations judiciaires, mais de l'art. 26, al. 4, LParl, lequel prévoit que «[l]a haute surveillance ne confère pas la compétence d'annuler ou de modifier 5 6 7

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18.4.1999 (RS 101) Loi sur l'organisation des autorités pénales du 19.3.2010 (RS 173.71) Règlement sur l'organisation du TPF du 31.8.2010 (RS 173.713.161)

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une décision. Il ne peut être exercé aucun contrôle sur le fond des décisions judiciaires ni des décisions du Ministère public de la Confédération».

15 La loi ne prévoit nulle part une norme portant sur une «gestion opérationnelle» dans laquelle le Parlement ne serait pas autorisé à interférer dans le cadre de sa haute surveillance. La seule et unique restriction à la haute surveillance réside dans le fait qu'elle ne peut pas annuler ou modifier des décisions administratives prises par une unité administrative, c'est-à-dire non plus pas, comme en l'occurrence, des décisions émanant d'une organisation judiciaire. Il en découle en outre, selon la doctrine, que la haute surveillance ne peut influencer directement une décision d'une autorité. La loi prévoit une nuance supplémentaire s'agissant de l'activité judiciaire des tribunaux: «[i]l ne peut être exercé aucun contrôle sur le fond des décisions judiciaires ni des décisions du Ministère public de la Confédération».

16 Les questions de la composition de la cour appelée à statuer ou de l'affectation des greffiers aux cours peuvent donc très bien faire l'objet de la haute surveillance parlementaire, dans la mesure où il s'agit de la bonne conduite des affaires et la pratique générale de l'administration de la justice8 et si la haute surveillance ne vise pas à contrôler des cas concrets de la jurisprudence ou à influer directement sur des décisions spécifiques relevant de l'organisation des tribunaux. Il n'est pas non plus interdit aux CdG de formuler des recommandations générales dans ces domaines-là (art. 158 LParl).

2.2.3

Interprétation contraire au droit de la hiérarchie des compétences en matière de surveillance et de haute surveillance sur les tribunaux

17 Au ch. marg. 81 de son rapport de surveillance (p. 30), la CA du TF fait état d'une hiérarchie de compétences selon laquelle la résolution de problèmes internes est, toujours et dans tous les cas, seulement en troisième lieu du ressort du Parlement, «qui joue le rôle qui lui revient dans une situation de conflit, sur la base de rapports officiels du Tribunal pénal fédéral ou du Tribunal fédéral destinés à la commission responsable» (la mise en évidence est le fait du TF). Selon le TF, même dans un tel cas, le rôle des commissions de surveillance impliquées se limite à la haute surveillance: «Si, suite à la réunion d'information du 30 septembre 2019, les Commissions des finances du Tribunal pénal fédéral, sous-commissions 1 (B+G/EFD) avec la participation des Commissions de gestion (Présidences des sous-commissions tribunaux/MPC) traitent dans le cadre de la séance du 9 octobre 2019, et en présence du Tribunal fédéral, par exemple le travail temporaire des greffiers ou la position de la Secrétaire générale, ce sont des aspects qui concernent directement la jurisprudence (constitution des cours, travail temporaire) et la direction opérationnelle du tribunal dans le cadre de l'autonomie légalement 8

Voir Thomas Sägesser, in Parlamentsrecht und Parlamentspraxis der Schweizerischen Bundesversammlung, Kommentar zum Parlamentsgesetz, 2014, ch. marg. 57 ad art. 26 LParl.

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garantie, qui ne peut pas faire l'objet de la haute surveillance parlementaire, sauf si un comportement contraire à la loi a été constaté, ce qui n'est clairement pas le cas en l'espèce».

18 Cette interprétation du droit parlementaire contredit clairement la conception du droit et la pratique usuelle des CdG. Il faut en outre noter que la publication, par des membres d'autorités ayant participé à la séance, de déclarations relatives à des objets figurant dans le procès-verbal d'une commission de surveillance peut constituer une violation du secret de fonction. Les commissions de haute surveillance peuvent en tout temps demander des informations sur des questions d'organisation internes au tribunal, sur des problèmes internes, etc., ou interroger des personnes au service de la Confédération sur de telles questions, et des membres de ces commissions peuvent donner leur avis à ce sujet au sein de leur commission, même si cet avis porte sur l'engagement de greffiers. En l'espèce, il ne s'agit pas d'une interférence dans l'activité judiciaire au sens de l'art. 26, al. 4, LParl mentionné ci-dessus («Il ne peut être exercé aucun contrôle sur le fond des décisions judiciaires ni des décisions du Ministère public de la Confédération»). La CA du TF a d'ailleurs raison d'indiquer qu'un «comportement contraire à la loi» pourrait faire l'objet de la haute surveillance parlementaire. Cependant, la haute surveillance ne pourrait pas constater un comportement contraire au droit dans des affaires se rapportant à l'organisation d'un tribunal si elle ne pouvait recueillir d'informations sur de telles questions.

19 On donnera raison à la CA du TF sur le fait que la haute surveillance doit prendre en considération et respecter les compétences hiérarchiques. C'est d'ailleurs une règle que les CdG suivent systématiquement. Et c'est précisément la raison pour laquelle les CdG ont invité le TF, en l'occurrence, à clarifier les reproches qui se rapportaient aux problèmes internes concernant le TPF dans le cadre de la surveillance qui lui incombe. Toutefois, cela ne signifie pas que la haute surveillance, dans certains cas, ne doit pas avoir la possibilité d'éclaircir des faits jusque dans les détails (par ex. lors d'événements d'une grande portée ou revêtant un intérêt public important), et ce, en le faisant elle-même ou
avec l'aide d'experts, sans suivre la voie de service.

Les CdG rappellent au TF que, conformément au mandat légal de la haute surveillance, celle-ci ne peut se heurter à l'argument de l'organisation du tribunal, lorsque la situation l'exige9.

2.2.4

Fournir des informations aux commissions de surveillance ne viole pas le secret de fonction

20 Par ailleurs, la constatation du TF selon laquelle «[l]'approche directe des membres du conseil ou de la commission par des juges par le biais de la transmission d'informations et de documents du tribunal viole également le secret de fonction» (ch. marg. 81, p. 31, haut de la page) n'est pas conforme 9

Enquête sur des événements particuliers survenus au sein du Tribunal fédéral.

Rapport des CdG du 6.10.2003 (FF 2004 5303).

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au droit. En effet, l'art. 153, al. 1, LParl prévoit que les commissions de surveillance ont le droit d'interroger directement tous services, autorités ou personnes assumant des tâches pour le compte de la Confédération et d'obtenir qu'ils leur remettent tous documents dont elles ont besoin. Eu égard à ce droit à l'information exhaustif, il est globalement impossible de commettre une violation du secret de fonction en transmettant une information aux commissions de surveillance (CdG et CdF) (cf. également l'avis de droit du 5.6.2008 de N. Oberholzer à l'intention des CdG10, ch. 1.4, pp. 3 et 4, publié sur la page Internet des CdG).

21 Le TF a toutefois raison d'affirmer que les membres des autorités fédérales doivent en principe respecter la hiérarchie prévue par la loi en matière de surveillance et que chaque niveau hiérarchique doit d'abord régler lui-même ses problèmes avant de les transmettre à l'échelon supérieur. Si des personnes au service de la Confédération ou des autorités ne respectent pas ce principe administratif et s'adressent aux CdG sans motifs impératifs, ces dernières n'entrent pas en matière et renvoient le requérant au niveau hiérarchique compétent.

10

Niklaus Oberholzer, Le droit à l'information des commissions de gestion de l'Assemblée fédérale en matière de poursuite pénale analysé sous l'angle de la procédure pénale: avis de droit du 5.6.2008 commandé par la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N).

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Vous remerciant de votre attention, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président du Tribunal fédéral, Mesdames et Messieurs les Juges fédéraux, l'expression de notre considération distinguée.

Le 24 juin 2020

Au nom des Commissions de gestion des Chambres fédérales Le président de la CdG-N: Erich von Siebenthal, conseiller national La présidente de la CdG-E: Maya Graf, conseillère aux États La présidente de la sous-commission Tribunaux/MPC du Conseil national: Manuela Weichelt-Picard, conseillère nationale Le président de la sous-commission Tribunaux/MPC du Conseil des États: Hans Stöckli, président du Conseil des États La secrétaire des Commissions de gestion: Beatrice Meli Andres La secrétaire des sous-commissions Tribunaux/MPC: Irene Moser

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Abréviations al.

alinéa

art.

article

A+T / DFF

Autorités et tribunaux/ Département fédéral des finances

CA

Commission administrative du Tribunal fédéral

CdF

Commissions des finances des Chambres fédérales

cf.

confer

ch.

chiffre

ch. marg.

chiffre marginal

Cst.

Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (RS 101)

FF

Feuille fédérale

CdF

Commissions des finances des Chambres fédérales

CdG

Commissions de gestion des Chambres fédérales

CdG-E

Commission de gestion du Conseil des États

CdG-N

Commission de gestion du Conseil national

let.

lettre

LOAP

Loi du 19 mars 2010 fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (Loi sur l'organisation des autorités pénales; RS 173.71)

LParl

Loi du 13 décembre 2002 sur l'Assemblée fédérale (loi sur le Parlement; RS 171.10)

MPC

Ministère public de la Confédération

ROTPF

Règlement du 31 août 2010 sur l'organisation du Tribunal pénal fédéral (Règlement sur l'organisation du TPF; RS 173.713.161)

RS

Recueil systématique du droit fédéral

ss

suivant(e)s

TF

Tribunal fédéral

TPF

Tribunal pénal fédéral

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