20.032 Message concernant l'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» du 6 mars 2020 Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Par le présent message, nous vous proposons de soumettre au vote du peuple et des cantons l'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital», en leur recommandant de la rejeter.

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

6 mars 2020

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Simonetta Sommaruga Le chancelier de la Confédération, Walter Thurnherr

2019-3926

2705

Condensé L'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» (appelée officieusement «initiative 99 %») vise à imposer plus lourdement le revenu du capital et à utiliser les recettes supplémentaires qui en résulteront au profit des personnes disposant de revenus faibles ou moyens. Le Conseil fédéral ne voit aucune nécessité d'agir dans ce sens. La Suisse connaît par rapport à d'autres pays une répartition plus homogène des revenus et jouit d'ores et déjà d'un volume de redistribution important. Au-delà de ces aspects, l'initiative réduirait l'attrait de la Suisse de même que les incitations à la création de capital, ce qui affecterait non seulement les personnes dont le capital génère un revenu élevé mais aussi les salariés. Le Conseil fédéral recommande donc de rejeter l'initiative.

Contenu du projet Les auteurs de l'initiative exigent que les parts du revenu du capital qui dépassent un montant à définir par le législateur soient imposées à hauteur de 150 %, soit 50 % de plus que les autres types de revenu, et que les recettes supplémentaires ainsi générées soient affectées à une réduction de l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale, la loi réglant les modalités. Le texte de l'initiative laisse une marge d'interprétation quant à une éventuelle législation d'application, notamment pour ce qui est de la définition du revenu du capital, du montant à partir duquel le taux d'imposition de 150 % s'appliquerait, et de la redistribution des recettes supplémentaires obtenues.

Avantages et inconvénients de l'initiative L'initiative populaire a pour but déclaré d'accroître l'équité sociale en alourdissant la charge fiscale du revenu du capital en vue d'une redistribution rigoureuse. Elle est motivée par le malaise qu'inspire à ses auteurs le fait qu'une personne fortunée puisse vivre du revenu de son capital sans avoir à travailler.

En se focalisant sur les inégalités économiques, l'initiative aborde un sujet de plus en plus présent dans le discours politique et scientifique à l'échelle mondiale. Le Conseil fédéral ne voit cependant aucune nécessité d'agir. En Suisse, les revenus du marché, c'est-à-dire les revenus avant impôts et paiements de transfert sont,
en comparaison internationale, répartis de manière plus uniforme. Les besoins en matière de redistribution y sont donc plus faibles que dans d'autres pays. Cette redistribution existe pourtant, principalement sous la forme de paiements de transfert. Les prélèvements obligatoires y contribuent aussi, mais dans une moindre mesure, notamment du fait de la progressivité des impôts sur le revenu et sur la fortune.

Les auteurs de l'initiative envisagent, pour réduire les inégalités de revenu, un instrument trop peu précis car l'augmentation de l'imposition qu'ils proposent se fonde essentiellement sur la nature des revenus et non sur leur montant. De plus, la charge fiscale globale qui pèse sur le revenu du capital est déjà très lourde, en

2706

raison notamment d'un impôt sur la fortune élevé par rapport au reste du monde.

Une hausse de l'imposition réduirait l'attrait de la Suisse pour les personnes dont le capital génère un revenu élevé, aurait des effets négatifs sur les incitations à constituer une fortune et, partant, diminuerait à moyen terme le capital économiquement disponible par travailleur, au détriment notamment des salariés.

Par ailleurs, l'affectation proposée des recettes supplémentaires entraînerait une augmentation du volume de redistribution dont l'ampleur serait déterminée non pas par une réflexion sur les besoins mais par les recettes fiscales liées au revenu du capital, qui sont par essence volatiles et difficiles à prévoir.

Proposition du Conseil fédéral Par le présent message, le Conseil fédéral propose par conséquent aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter.

2707

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Table des matières Condensé

2706

1

Aspects formels et validité de l'initiative 1.1 Texte de l'initiative 1.2 Aboutissement et délais de traitement 1.3 Validité

2710 2710 2710 2711

2

Contexte 2.1 Principales caractéristiques des impôts en vigueur sur la fortune et sur le revenu 2.1.1 Principes généraux 2.1.2 Particularités des revenus de la fortune 2.1.3 Principe de l'apport en capital 2.2 Droit comparé 2.3 Canaux de redistribution existants 2.3.1 Au niveau des dépenses 2.3.2 Au niveau des recettes 2.4 État de la répartition en Suisse 2.5 Initiatives populaires antérieures et initiative parlementaire en cours allant dans le même sens

2712

Buts et contenu de l'initiative 3.1 Buts visés 3.2 Réglementation proposée 3.3 Commentaire et interprétation du texte de l'initiative 3.3.1 Principes d'interprétation des normes constitutionnelles 3.3.2 Notion de revenu du capital 3.3.3 Montant exonéré de l'imposition majorée («montant seuil») 3.3.4 Imposition en deçà et au-delà du montant seuil 3.3.5 Modalités de la redistribution

2726 2726 2726 2727 2727 2727

Appréciation de l'initiative 4.1 Appréciation des demandes de l'initiative 4.2 Conséquences en cas d'acceptation 4.2.1 Alourdissement de la charge fiscale pesant sur le revenu du capital 4.2.2 Conséquences financières 4.3 Conséquences de la redistribution 4.4 Avantages et inconvénients de l'initiative 4.4.1 Aucune action requise 4.4.2 Un moyen inefficace de lutte contre les inégalités de revenu

2733 2733 2733

3

4

2708

2712 2712 2713 2714 2715 2716 2716 2719 2724 2725

2730 2731 2732

2734 2737 2739 2740 2741 2741

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4.4.3 4.4.4

4.5 5

Affaiblissement des incitations à la création de capital Le revenu du capital est très sensible aux variations de l'imposition 4.4.5 Accroissement de la redistribution décorrélé des besoins Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Conclusions

Arrêté fédéral relatif à l'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» (Projet)

2742 2743 2744 2744 2745

2747

2709

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» (appelée officieusement «initiative 99 %») a la teneur suivante: La Constitution (Cst.)1 est modifiée comme suit: Art. 127a

Imposition du revenu du capital et du revenu du travail

Les parts du revenu du capital supérieures à un montant défini par la loi sont imposables à hauteur de 150 %.

1

Les recettes supplémentaires qui découlent de l'imposition à hauteur de 150 % au lieu de 100 % des parts du revenu du capital au sens de l'al. 1 sont affectées à une réduction de l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale.

2

3

La loi règle les modalités.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» a fait l'objet d'un examen préliminaire de la Chancellerie fédérale le 19 septembre 20172 et a été déposée le 2 avril 2019, munie des signatures nécessaires.

Par décision du 14 mai 2019, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 109 332 signatures valables et qu'elle avait donc abouti3.

L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral ne lui oppose pas de contre-projet. Conformément à l'art. 97, al. 1, let. a, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl)4, le Conseil fédéral a jusqu'au 2 avril 2020 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté accompagné d'un message. Conformément à l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a jusqu'au 2 octobre 2021 pour adopter la recommandation de vote qu'elle adressera au peuple et aux cantons.

1 2 3 4

RS 101 FF 2017 5805 FF 2019 3339 RS 171.10

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1.3

Validité

L'initiative populaire remplit les critères de validité énumérés à l'art. 139, al. 3, Cst.: a.

elle obéit au principe de l'unité de la forme, puisqu'elle revêt entièrement la forme d'un projet rédigé;

b.

elle obéit au principe de l'unité de la matière, puisqu'il existe un rapport intrinsèque entre ses différentes parties (cf. justification ci-après);

c.

elle obéit au principe de la conformité aux règles impératives du droit international, puisqu'elle ne contrevient à aucune d'elles.

Unité de la matière L'initiative populaire prévoit que les recettes supplémentaires qui résulteront de l'imposition accrue des revenus du capital seront affectées à une réduction de l'imposition des revenus faibles ou moyens du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale. On peut se demander si cette affectation respecte l'unité de la matière.

Le principe de l'unité de la matière précise le droit des électeurs à se former leur opinion librement et à exprimer leur volonté d'une manière fidèle et sûre (art. 34, al. 2, Cst.). Pour que ce droit soit garanti, toute révision partielle de la Constitution doit se limiter à une matière précise, exigence expressément formulée aux art. 139, al. 3, et 194, al. 2, Cst. et concrétisée à l'art. 75, al. 2, de la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (LDP)5, selon lequel «l'unité de la matière est respectée lorsqu'il existe un rapport intrinsèque entre les différentes parties d'une initiative.» Le «rapport intrinsèque» est une notion juridique relative qui laisse une grande marge d'appréciation.

Les initiatives dont les diverses matières présentent un lien intrinsèque sont recevables6. L'initiative «pour l'interdiction d'exporter du matériel de guerre»7, par exemple, comprenait, outre des prescriptions sur l'exportation de matériel de guerre, le mandat d'encourager les efforts internationaux visant à réduire et à contrôler le commerce des armements. L'unité de la matière est également respectée lorsque l'initiative décrit, outre le but visé, les moyens de le financer. L'initiative «Pour une caisse maladie unique et sociale»8, par exemple, demandait la création d'une caisse unique pour l'assurance obligatoire des soins, d'une part, et la fixation des primes en fonction de la capacité économique des assurés, d'autre part.

Il est aussi possible de lier un but aux moyens qui lui sont associés logiquement ou aux mesures concrètes qu'il appelle. On citera par exemple l'initiative «La santé à un prix abordable»9, qui visait à garantir une assistance médicale de haute qualité, adaptée aux besoins et financièrement supportable et formulait les mesures corres5 6

7 8 9

RS 161.1 Cf. à ce sujet le message du 13 décembre 2013 relatif à l'initiative populaire «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Réforme de la fiscalité successorale)», FF 2014 121 FF 2007 6823 FF 2005 489 FF 1999 6586

2711

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pondantes. D'après la doctrine, les initiatives qui associent plusieurs demandes relevant d'une même matière sont également recevables. Par exemple, l'initiative «pour l'impôt sur la richesse»10 prévoyait, outre l'institution d'un impôt fédéral sur la richesse, des règles détaillées sur l'harmonisation des impôts et des taux d'imposition minimaux pour les impôts cantonaux et communaux. En 2001, l'Assemblée fédérale a aussi déclaré valable l'initiative «pour garantir l'AVS ­ taxer l'énergie et non le travail!»11, qui prévoyait d'affecter le produit d'un nouvel impôt sur l'énergie à la réduction des cotisations aux assurances sociales. Elle a enfin déclaré valable la «réforme de la fiscalité successorale»12, qui prévoyait d'instaurer un impôt fédéral sur les successions et les donations dont les recettes seraient affectées à l'assurance-vieillesse et survivants (AVS) et aux cantons.

L'initiative examinée ici exige que le revenu du capital soit imposé plus lourdement à partir d'un certain montant (montant seuil) et que les recettes supplémentaires ainsi générées soient affectées à un allégement de la charge fiscale des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale. Il existe un lien intrinsèque entre l'imposition du revenu du capital et l'allégement de la charge fiscale des revenus du travail. La notion de prospérité sociale peut se définir comme le résultat de toutes les mesures visant la sécurité économique (prévoyance vieillesse, p. ex.), la réduction des disparités économiques et la lutte contre la pauvreté13. Les auteurs de l'initiative invoquent cette définition et citent, en guise d'exemples, les réductions de primes, les crèches et les soins fournis par Spitex. Le recoupement de la redistribution illustre le lien intrinsèque entre l'imposition du revenu du capital et les transferts en faveur de la prospérité sociale. L'unité de la matière est par conséquent respectée.

2

Contexte

2.1

Principales caractéristiques des impôts en vigueur sur la fortune et sur le revenu

2.1.1

Principes généraux

Les revenus des personnes physiques sont imposés et au niveau de la Confédération et à ceux des cantons et des communes. Les impôts cantonaux sur le revenu présentent une structure analogue à celle de l'impôt fédéral direct du fait de la compétence d'harmonisation de la Confédération en matière d'impôts directs (art. 129 Cst.).

La Confédération ne prélève plus d'impôt sur la fortune depuis 1959, mais les cantons et les communes le font tous. Par «fortune», il faut entendre la valeur exprimée ou appréciable en argent de toutes les choses mobilières et immobilières ainsi que les droits et créances appartenant au contribuable ou dont il est usufruitier.

10 11 12 13

FF 1974 II 250 FF 1996 V 121 FF 2013 2033 Wörterbuch der Sozialpolitik, 2003, Zurich: éd. Rotpunkt

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Tout comme la notion de fortune, la notion de revenu doit être prise au sens large en droit fiscal suisse. En principe, tous les revenus du contribuable sont imposables, qu'ils soient uniques ou périodiques (art. 16, al. 1, de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct [LIFD]14 et 7, al. 1, de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes [LHID]15). Conformément à la doctrine suisse et à la jurisprudence du Tribunal fédéral, le revenu comprend l'intégralité des biens et avantages économiques qui affluent vers un contribuable et que celui-ci peut utiliser pour satisfaire ses besoins personnels sans diminuer pour autant sa fortune16.

La Confédération et tous les cantons imposent, en règle générale, le revenu global, quels que soient sa source et les éléments qui le composent. Les personnes physiques doivent notamment déclarer l'ensemble des revenus provenant d'une activité lucrative indépendante ou salariée, de la prévoyance et de leur fortune mobilière et immobilière. Le revenu imposable de la fortune immobilière comprend, outre les revenus générés par la location ou par d'autres usages, la valeur locative des immeubles dont le contribuable dispose pour son propre usage. En principe les éléments du revenu sont pris en compte à 100 % dans le calcul de l'impôt.

Le législateur en a cependant exclu certains. Ainsi, les revenus qui sont expressément déclarés, dans les deux lois, comme n'étant pas imposables sont exonérés de l'impôt (art. 16, al. 3, et 24 LIFD et 7, al. 4, LHID).

2.1.2

Particularités des revenus de la fortune

Le traitement fiscal des revenus de la fortune diffère en partie selon qu'il s'agit de la fortune privée ou de la fortune commerciale, cette dernière comprenant tous les éléments de fortune qui servent, entièrement ou de manière prépondérante, à l'exercice de l'activité lucrative indépendante (art. 18, al. 2, LIFD et 8, al. 1, LHID).

Gains en capital réalisés sur la fortune mobilière Les gains en capital réalisés lors de l'aliénation d'éléments de la fortune mobilière privée sont expressément exonérés d'impôt (art. 16, al. 3, LIFD et 7, al. 4, let. b, LHID). Les gains en capital réalisés sur la fortune commerciale sont eux additionnés aux revenus imposables (art. 18, al. 2, LIFD et 8, al. 2, LHID).

Gains en capital réalisés sur la fortune immobilière (gains immobiliers) La Confédération, les cantons et les communes appliquent des régimes fiscaux différents aux gains en capital réalisés sur la fortune immobilière. Au niveau fédéral, les gains immobiliers réalisés sur la fortune privée sont exonérés d'impôt. Dans les cantons et les communes, ces gains sont soumis à un impôt réel distinct, l'impôt sur les gains immobiliers (art. 12, al. 1, LHID).

14 15 16

RS 642.11 RS 642.14 ATF 114 Ia 221

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Dans la fortune commerciale, les gains en capital sont soumis, comme nous l'avons dit plus haut, à l'impôt fédéral direct, à titre de revenus. Cela concerne aussi les gains immobiliers. Les cantons ont le choix entre deux modèles hérités de l'histoire (art. 12 LHID): le système «dualiste», selon lequel les gains immobiliers faisant partie de la fortune commerciale sont soumis à l'impôt sur le revenu, comme pour l'impôt fédéral direct, et le système «moniste», qui ne soumet à l'impôt sur le revenu que la part des amortissements récupérés, la plus-value étant soumise à l'impôt sur les gains immobiliers (art. 12, al. 4, LHID).

Rendement de participations significatives Les dividendes et les autres formes de distribution de bénéfices provenant de participations équivalant à 10 % au moins du capital ne sont pris en compte que partiellement dans le calcul de l'impôt sur le revenu. Le peuple ayant accepté, lors de la votation du 19 mai 2019, la loi fédérale du 28 septembre 2018 relative à la réforme fiscale et au financement de l'AVS (RFFA) 17, ces revenus sont imposables à hauteur de 70 % depuis le 1er janvier 202018. Cette règle s'applique aussi bien à la fortune privée (art. 20, al. 1bis, LIFD) qu'à la fortune commerciale (art. 18b, al. 1, LHID).

Dans les cantons et les communes, le taux d'imposition partielle des participations qualifiées est régi par le droit cantonal, mais il est d'au moins 50 % tant dans la fortune privée (art. 7, al. 1, LIFD) que dans la fortune commerciale (art. 8, al. 2quinquies, LHID).

L'imposition partielle des distributions au niveau de l'actionnaire vise à corriger la double imposition économique par l'impôt sur le bénéfice (entreprises) et par l'impôt sur le revenu (actionnaires). En prenant en considération l'imposition préalable des distributions en cas de participation qualifiée, le droit fiscal suisse applique la théorie dite de l'intégration, qui tient compte du fait que l'imposition des personnes morales a généré une imposition indirecte des personnes physiques concernées19.

2.1.3

Principe de l'apport en capital

Le remboursement de réserves issues d'apports de capital constituées par les actionnaires n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu.

La RFFA restreint le principe de l'apport en capital: notamment, pour que des entreprises cotées dans une bourse suisse puissent procéder au remboursement non imposable de réserves issues d'apports de capital, elles doivent verser des dividendes imposables pour un montant au moins équivalent.

17 18 19

RO 2019 2395 RO 2019 2413 Reich, Markus (2012) Steuerrecht, Zurich, 2e édition, § 18 n. 4

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2.2

Droit comparé

La variété des systèmes fiscaux nationaux fait qu'il est très difficile de dresser un comparatif international complet de l'imposition du revenu du capital. C'est en revanche possible pour ce qui est de l'imposition des dividendes, grâce aux nombreuses données fiscales recueillies par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE)20. On peut aussi se prononcer, sur le plan qualitatif, sur les différences en matière d'imposition des gains en capital et d'impôt sur la fortune.

Afin d'éviter la double imposition économique des dividendes, la plupart des pays de l'OCDE ont procédé, au tournant du millénaire, à des adaptations importantes de leur réglementation fiscale. Malgré la grande variété des mesures prises, la tendance était clairement à l'allégement au niveau de l'actionnaire.

La mise en oeuvre de ces réformes parfois de grande ampleur a permis d'atténuer, voire d'éliminer la double imposition économique dans presque tous les pays de l'OCDE, dont la Suisse. La plupart des pays favorisent fiscalement les dividendes par rapport aux revenus du travail au niveau de l'actionnaire. Ainsi, certains d'entre eux n'intègrent qu'une partie des dividendes à la base de calcul de l'impôt sur le revenu. La plupart les intègrent en totalité, mais les taxent à un taux réduit. Certains pays enfin ont adopté un système d'exonération des dividendes.

Les pays de l'OCDE sont nombreux à avoir mis en place un système dual d'imposition des revenus. Ils imposent séparément les revenus du travail (barème progressif) et les revenus du capital. Le barème proportionnel appliqué habituellement aux revenus du capital est généralement moins élevé que le barème progressif21. Ce système dual a donc pour principale caractéristique d'alourdir le taux d'imposition des revenus du travail au fur et à mesure de leur propre augmentation tandis que les revenus du capital sont taxés à un taux indépendant des revenus.

Le modèle suisse d'imposition partielle des revenus atténue ou élimine lui aussi la double imposition économique des dividendes au niveau de l'actionnaire. Grâce à lui, la Suisse présente, dans le comparatif de l'OCDE, une imposition compétitive des dividendes des personnes physiques provenant de participations qualifiées. S'il n'est pas applicable, la double imposition économique n'est pas corrigée,
ce qui réduit l'attrait de la Suisse par rapport aux autres pays de l'OCDE du fait de l'imposition des dividendes provenant de participations inférieures à 10 %.

La plupart des pays de l'OCDE appliquent aux gains en capital et à la fortune un traitement fiscal différent de celui de la Suisse. En Suisse, les gains en capital provenant de la fortune mobilière privée sont exonérés d'impôt sur le plan tant fédéral 20

21

Cf. stats.oecd.org > Secteur public, fiscalité et réglementation des marchés > Fiscalité > Base de données fiscale > Table II.4. Overall statutory tax rates on dividend income ou Table I.7. Top statutory personal income tax rate and top marginal tax rates for employees.

Cf. www.economiesuisse.ch/sites/default/files/dossier_pdf/DP ConcFisc_20050705.pdf; «Particularités de l'imposition des revenus du capital: Tendances internationales en matière de fiscalité» ou www.oecd.org/ctp/48193734.pdf; une comparaison des taux maximaux applicables au revenu du capital et au revenu du travail permet d'obtenir un recoupement avec les tableaux de l'OCDE mentionnés à la note précédente.

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que cantonal et communal (cf. ch. 2.1.2). La plupart des pays de l'OCDE imposent les gains en capital au moins partiellement, l'imposition n'intervenant qu'au moment de la réalisation. Certains pays prévoient du reste une exonération ou une imposition réduite au-delà d'une certaine durée de détention. De plus, en cas de legs de la fortune, la plus-value accumulée jusqu'à la succession échappe, à quelques exceptions près, à l'imposition22.

La Suisse est l'un des rares pays de l'OCDE à prélever un impôt général sur la fortune. La LHID y oblige les cantons. De nombreux pays dont l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie et récemment la France ont supprimé cet impôt. Dans ceux qui le maintiennent, les recettes correspondantes représentent moins de 0,5 % du produit intérieur brut (PIB). Elles atteignent 1,0 % en Suisse, ce qui la place largement en tête23. Les recettes des cantons et des communes au titre de l'impôt sur la fortune, de 7,3 milliards de francs en 201724, sont importantes.

2.3

Canaux de redistribution existants

2.3.1

Au niveau des dépenses

En Suisse, l'essentiel de la redistribution a lieu au niveau des dépenses, sous la forme de paiements de transfert dans le domaine de la sécurité sociale, lequel est fréquemment représenté comme une pyramide inversée: plus une prestation sociale est proche de la pointe de cette pyramide inversée, plus les conditions d'obtention sont restrictives et le cercle des bénéficiaires réduit.

Prestations publiques de base L'étage supérieur de la pyramide, le plus large, représente les prestations publiques de base. Ces prestations largement financées par les impôts sont accessibles à l'ensemble de la population et comprennent, par exemple, le système éducatif et le système de santé. Au-delà de leur visée sociopolitique, elles poursuivent des objectifs multiples. C'est pourquoi seule une petite partie des dépenses relevant des prestations publiques de base est intégrée à la saisie quantitative des dépenses sociales dans les comptes globaux de la protection sociale (CGPS)25.

Assurances sociales Le deuxième étage englobe les assurances sociales incombant à la Confédération et garantissant la sécurité économique de la population, qui couvrent des risques spéci22

23 24 25

Scheuer, F. et Slemrod, J. (2019) Taxation and the Superrich. National Bureau of Economic Research. Working Paper 26207. Les explications y relatives se réfèrent aux gains en capital des participations.

Statistiques des recettes publiques de l'OCDE, code 4210, 2017.

Administration fédérale des finances (AFF), statistique financière.

Par conformité avec les normes statistiques internationales en matière de protection sociale, les CGPS prennent notamment en compte les dépenses publiques visant à financer le système de santé, mais non celles consacrées au système juridique ou à l'éducation.

Cf. Engler, M. (2011) Redistribution in Switzerland: Social cohesion or simple smoothing of lifetime incomes? Swiss Journal of Economics and Statistics, 147, pour une analyse de la redistribution tenant compte du service universel.

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fiques tels que la vieillesse, la maladie, le chômage et l'invalidité indépendamment de la situation financière des intéressés. L'essentiel du financement de ces assurances est assuré par des cotisations aux assurances sociales prélevées dans le cadre d'une activité lucrative, notamment pour l'AVS, l'assurance-invalidité (AI) et l'assurance-chômage (AC).

Prestations sous condition de ressources L'étage suivant comprend les prestations sous condition de ressources. Les cantons sont tenus, en vertu de la Constitution, de soutenir financièrement les personnes qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien et n'ont pas droit aux prestations des assurances sociales, ou pas dans une mesure suffisante. Il s'agit principalement des prestations inscrites dans le droit fédéral qui garantissent l'accès aux prestations publiques de base (subsides de formation, subsides pour le paiement des cotisations à l'AVS, à l'AI et à l'allocation perte de gain [APG], réductions de primes d'assurance-maladie) afin de prévenir la pauvreté26.

Viennent ensuite les prestations sous condition de ressources destinées à lutter contre la pauvreté. Régies par le droit cantonal, elles sont versées par les cantons aux personnes qui n'ont pas suffisamment de ressources pour couvrir leurs besoins vitaux et n'ont pas droit aux prestations des assurances sociales, ou pas dans une mesure suffisante. Elles sont variables d'un canton à l'autre et se composent des prestations sous condition de ressources fournies en amont de l'aide sociale économique, et de l'aide sociale économique elle-même (également appelée aide sociale au sens strict).

Les prestations fournies en amont sont versées par les cantons afin de couvrir des risques particuliers et allègent la charge de l'aide sociale. Elles comprennent les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI, les aides aux personnes âgées et aux invalides, les aides aux chômeurs, les aides à la famille, les avances sur pensions alimentaires et les aides au logement. L'aide sociale économique est octroyée par les cantons ou les communes et constitue l'ultime filet de sécurité du système de sécurité sociale, quand les ressources financières ne suffisent pas à couvrir le minimum vital et que toutes les possibilités d'aide situées en amont (prestations et assurances sociales) sont épuisées. La
cause de la détresse ne joue aucun rôle pour bénéficier de l'aide sociale. Les prestations sous condition de ressources octroyées en amont et l'aide sociale au sens strict constituent ensemble l'aide sociale au sens large.

Dépenses affectées aux prestations sociales par régime Selon les CGPS, les dépenses affectées aux prestations sociales se sont élevées en 2017 à 175 milliards de francs, ce qui correspond à 26,1 % du PIB ou à 20 700 francs par habitant. Les dépenses consacrées à la sécurité sociale représentent donc un peu plus d'un quart de la performance économique globale. Au début des années 90, elles en représentaient moins de 20 %. Depuis la forte hausse de cette proportion au cours des 30 dernières années, les dépenses sociales de la Suisse sont, en comparaison avec d'autres pays européens, légèrement moins élevées que celles

26

Office fédéral de la statistique (OFS, 2017) Aide sociale au sens large de 2006 à 2014.

2717

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des pays scandinaves et d'Europe de l'Ouest, et nettement plus élevées que celles des pays d'Europe de l'Est.

La figure 1 représente la répartition des dépenses sociales entre les régimes pris en compte dans les CGPS27

Figure 1: Dépenses pour les prestations sociales par régime, en % du total, en 2017. Le total de ces dépenses s'élève à 175 milliards de francs. Source: OFS (2019), CGPS, 2017.

La figure montre qu'en Suisse, les assurances sociales représentent la plus grosse partie des dépenses prises en compte dans les CGPS: près de 78 % en 2017. Les trois régimes pesant le plus lourd en matière de dépenses sont l'AVS (24,6 %), la prévoyance professionnelle (21,5 %) et l'assurance-maladie (16,2 %).

Les prestations de l'État sont moins importantes. Une partie d'entre elles, comme les prestations complémentaires et l'aide sociale, sont octroyées sous condition de ressources et leurs bénéficiaires sont moins nombreux que ceux des assurances sociales.

27

Les CGPS ne tiennent pas compte, pour les dépenses, des réductions de primes d'assurance-maladie, qui ne sont pas considérées comme des prestations sociales mais comme une réduction des prélèvements obligatoires, à l'instar des déductions fiscales: elles facilitent l'accès au système de santé mais ne financent pas directement de prestations de santé. Leur volume a atteint en 2017 près de 4,5 milliards de francs, soit environ 2,5 % des dépenses prises en compte dans les CGPS (plus les dépenses affectées aux réductions de primes d'assurance-maladie).

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Voici quelques faits et chiffres qui illustrent la grande importance des canaux de redistribution existant au niveau des dépenses: ­

À partir d'un certain niveau de revenu, les cotisations AVS ne sont plus formatrices de rente et servent à financer les rentes des niveaux de revenu faibles et moyens.

­

Bon nombre des prestations de transfert étant octroyées en Suisse sans condition, elles sont très répandues: 81,9 % des personnes vivent dans un ménage percevant au moins une prestation. Si on fait abstraction des rentes AVS, cette proportion atteint toujours près des deux tiers des personnes (64,1 %)28.

­

Les prestations sociales sous condition de ressources conformément à la définition de l'aide sociale au sens large ont totalisé en 2017 8,3 milliards de francs, dont 2,8 milliards au titre de l'aide sociale au sens strict (aide sociale économique). Quelque 800 000 personnes, soit près de 9,5 % de la population résidente permanente, ont touché une prestation sous condition prévue par l'aide sociale au sens large. Et quelque 280 000 personnes ont bénéficié de l'aide sociale au sens strict, ce qui correspond à un taux de bénéficiaires de 3,3 %29. Ces chiffres n'incluent pas les réductions de primes d'assurancemaladie, qui ont représenté en 2017 près de 4,5 milliards de francs et bénéficié à environ 2,2 millions de personnes, soit 26 % de toutes les personnes assurées30.

­

Le taux de pauvreté en Suisse atteint 8,2 % en 2017, au lieu de 31,1 % en raison de la somme de tous les transferts sociaux31. Ces chiffres tiennent aussi compte de la grande différence qui existe, grâce à la prévoyance vieillesse, entre les taux de pauvreté des personnes ayant l'âge de la retraite avant et après les transferts sociaux. Il convient toutefois de préciser que cette prévoyance ne repose qu'en partie sur une redistribution, le reste ayant été financé par les bénéficiaires de rente eux-mêmes au moyen des cotisations versées pendant leur vie professionnelle.

2.3.2

Au niveau des recettes

Au niveau des recettes, les mesures de redistribution les plus importantes en Suisse sont les impôts sur le revenu et sur la fortune, à barème progressif. À ceux-là s'ajoutent les impôts cantonaux sur les successions et sur les donations, qui grèvent un accroissement de fortune obtenu sans effort personnel et qui ont rapporté en 2017 près de 1,2 milliard de francs32 aux cantons et aux communes.

28 29 30 31 32

OFS (2019) Enquête sur les revenus et les conditions de vie (SILC).

OFS (2019) Statistique des bénéficiaires de l'aide sociale.

Office fédéral de la santé publique (2018) Monitorage 2017 ­ Efficacité de la réduction des primes.

OFS (2019) SILC AFF, statistique financière

2719

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Progressivité des impôts sur le revenu L'impôt fédéral direct se caractérise par une forte progressivité. Les revenus élevés fournissent une contribution plus que proportionnelle aux recettes fiscales. Ce fait est illustré par les chiffres clés suivants (statistique relative à l'impôt fédéral direct de 2016): ­

le 1 % des contribuables ayant les revenus les plus élevés génèrent près de 40 % des recettes fiscales;

­

les 10 % des contribuables ayant les revenus les plus élevés génèrent près de 78 % des recettes fiscales;

­

les 50 % de contribuables ayant les revenus les moins élevés génèrent environ 2 % des recettes fiscales.

En 2017, l'impôt fédéral direct des personnes physiques a généré quelque 10,4 milliards de francs de recettes, ce qui correspond à un cinquième environ des 53,8 milliards de francs de produit de l'impôt sur le revenu perçus par la Confédération, les cantons et les communes33.

Les impôts cantonaux sur le revenu sont eux aussi progressifs et représentent un volume plus important que l'impôt fédéral direct. Il faut cependant relativiser l'effet de redistribution pour deux raisons: premièrement, la progression est moins prononcée (probablement du fait de la concurrence fiscale intercantonale), deuxièmement, les personnes à hauts revenus vivent de plus en plus souvent dans des cantons ou des communes à faible charge fiscale, ce qui atténue la progression effective. Une étude scientifique montre que bien qu'il soit progressif dans toutes les communes suisses, l'impôt sur le revenu effectif à l'échelle nationale devient même dégressif, à partir d'un montant très élevé de revenu, du fait de ces décisions d'établissement 34.

Les données dont dispose la Confédération ne fournissent pas d'indication sur l'effet de redistribution des impôts sur le revenu entre les trois niveaux de l'État. La littérature scientifique contient des estimations à ce sujet, lesquelles sont représentées dans la figure 2. Le graphique compare, pour chaque classe de revenus, la proportion des revenus et la contribution à l'impôt sur le revenu aux niveaux fédéral, cantonal et communal35.

33 34 35

AFF, statistique financière Roller, M. et Schmidheiny, K. (2016), Effective Tax Rates and Effective Progressivity in a Fiscally Decentralized Country. CEPR Discussion Paper 11152.

Cf. Frey, C. et Schaltegger, C.A. (2016) Progressive taxes and top income shares.

Economics Letters 148, pp. 5 à 9. Ces estimations ont été mises à jour ultérieurement et fournies à l'Administration fédérale des contributions (AFC) en prévision du présent message. Elles reposent sur l'année 2015.

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Figure 2: Proportion estimée des revenus avant impôts et contribution estimée à l'impôt sur le revenu aux niveaux fédéral, cantonal et communal pour chaque classe de revenus. Guide de lecture: Les contribuables faisant partie de la «tranche regroupant les 1 % à 10 % de contribuables ayant les revenus les plus élevés» génèrent 23 % des revenus totaux et produisent 30 % des impôts sur le revenu. Chiffres de 2015.

Le graphique montre que les contribuables des classes de revenus les plus élevées assument une part d'impôts plus importante que leur contribution à l'ensemble des revenus. La contribution aux impôts du percentile de contribuables dont les revenus sont les plus élevés est plus de deux fois supérieure (24 % du total) à sa contribution aux revenus (11 %).

Chez les contribuables des classes de revenus moyennes ou faibles, c'est presque exactement l'inverse: leur contribution aux recettes fiscales est inférieure à leur contribution aux revenus. Les 50 % de contribuables dont les revenus sont les moins élevés génèrent 22 % du total des revenus mais ne financent que 11 % de l'impôt sur le revenu.

Les estimations indiquent que malgré la concurrence fiscale et le volume relativement modeste de l'impôt fédéral direct, les contribuables à haut revenu acquittent une part disproportionnée d'impôt sur le revenu.

Progressivité des impôts sur la fortune L'impôt sur la fortune est progressif dans tous les cantons, c'est-à-dire que la charge fiscale augmente en proportion de l'accroissement de la fortune imposable. Alors qu'une fortune nette de 200 000 francs génère, selon le canton, un taux d'impôt sur

2721

FF 2020

la fortune compris entre 0 et 4,41 , une fortune nette de 5 millions de francs est taxée entre 1,35 et 8,70 36.

Par ailleurs, l'impôt sur la fortune n'est dû qu'à partir d'un certain seuil qui varie, selon le canton, entre 51 000 et 261 000 francs de fortune nette. Il pèse donc principalement sur les personnes les plus fortunées et pas ou peu sur les petits épargnants.

Il a rapporté en 2017 près de 7,3 milliards de francs37 aux cantons et aux communes.

Dégressivité de la TVA La TVA est, avec l'impôt fédéral direct, la principale source de revenus de la Confédération. En 2018, elle a généré 22,6 milliards de francs, soit près de 33 % des recettes fiscales de la Confédération, qui s'élèvent à 68,4 milliards de francs38. La TVA grève la consommation et non l'accroissement de fortune, elle ne peut donc tenir compte qu'indirectement, à la rigueur, des revenus des contribuables. En fait, ses effets indirects par rapport aux revenus sont légèrement dégressifs. En effet, la TVA représente un pourcentage légèrement moindre pour les gros revenus que pour les revenus modestes.

Ce phénomène tient au fait que le taux de consommation a tendance à diminuer au fur et à mesure que les revenus augmentent. Autrement dit, par rapport aux ménages aisés, les ménages modestes consacrent une part plus importante de leurs revenus à la consommation et une part moins importante à l'épargne. Selon l'enquête de l'OFS sur le budget des ménages pour la période 2015-2017, les dépenses de consommation ont représenté, pour le cinquième des ménages aux revenus les plus faibles, 88 % de leur revenu brut. Pour le cinquième aux revenus les plus élevés, ce taux était de 42 %.

L'effet dégressif de la TVA est compensé en partie par l'application, aux denrées alimentaires et à d'autres biens de première nécessité, du taux réduit de 2,5 % au lieu du taux normal de 7,7 %39, car la part des dépenses affectées aux besoins de première nécessité est supérieure chez les ménages modestes que chez les ménages aisés40.

L'application du taux réduit aux prestations de première nécessité atténue l'effet dégressif de la TVA par rapport au revenu mais ne le compense pas. En fin de compte, la TVA fausse quelque peu la répartition des revenus, dans la mesure où elle est effectivement répercutée sur les prix à la consommation.

Il faut relativiser
cette conclusion à la lumière de la réflexion suivante: l'épargne n'est pas une fin en soi mais le résultat d'une décision quant à la répartition de la consommation sur l'axe du temps. L'épargne constituée aujourd'hui servira à financer une consommation future. Elle sera donc à ce moment-là grevée d'une TVA.

Cependant, ce ne sera pas nécessairement la personne ayant épargné qui sera con36

37 38 39 40

Dans cette partie du texte, toutes les données relatives à la charge fiscale proviennent de la source suivante: AFC, Charge fiscale: Chefs-lieux des cantons 2018, personne mariée, sans enfant.

AFF, statistique financière AFF, statistique financière Droit en vigueur depuis le 1er janvier 2020.

OFS (2019), Enquête sur le budget des ménages, 2015­2017.

2722

FF 2020

cernée par cette taxe. Il faudrait considérer sous le même angle d'autres impôts spéciaux sur la consommation (sur les véhicules automobiles, sur le tabac, sur les huiles minérales, etc.) quant à leur effet sur les classes de revenus.

Dégressivité des primes obligatoires d'assurance-maladie En Suisse, les pouvoirs publics financent une faible part du système de santé par rapport à ce qui se pratique dans d'autres pays. Pour 2017, cette part est estimée à 29 % d'un total de 83 milliards de francs. L'assurance-maladie obligatoire (assurance de base) couvre quant à elle 36 % de la somme41. Les primes correspondantes sont indépendantes du revenu de l'assuré. L'assurance de base étant obligatoire, on peut intégrer les primes aux dépenses obligatoires. Elles creusent, comme les impôts sur le revenu, l'écart entre revenus bruts et revenus disponibles. Compte tenu de cette similitude, les primes de l'assurance de base doivent être prises en compte pour leur effet sur la répartition des revenus.

Le calcul des primes d'assurance-maladie étant indépendant du revenu des assurés, la charge de ces derniers est dégressive en fonction montant de leur revenu. Ainsi, la charge induite par l'assurance de base par rapport au revenu diminue au fur et à mesure que le revenu augmente. L'exemple qui suit illustre cette dégressivité: pour le cinquième des ménages aux revenus les plus élevés, les primes d'assurance de base représentent 3,9 % du revenu brut. Pour le cinquième aux revenus les plus bas, cette proportion est de 14,1 %, et donc supérieure à la charge fiscale42.

Contributions proportionnelles au salaire Les personnes qui exercent une activité lucrative en Suisse paient des cotisations à l'AVS, à l'AI et aux APG proportionnelles à leur salaire. Les taux de cotisation sont de 8,7 % pour l'AVS, de 1,4 % pour l'AI et de 0,45 % pour les APG, ce qui fait 10,55 % au total. Les taux de cotisation à l'AC sont de 2,2 % pour la partie du salaire n'excédant pas 148 200 francs et de 1 % au-delà43. L'employeur déduit la moitié de cette cotisation du salaire de l'employé et la verse à la caisse de compensation avec sa propre part. Les cotisations salariales à l'AVS, à l'AI, aux APG et à l'AC ont représenté en 2018 près de 46 milliards de francs44.

Ces cotisations ne prennent pas en considération les revenus du capital,
qui concernent par essence des personnes aux revenus plutôt élevés. Comme elles ne sont prélevées que sur les revenus de l'activité lucrative, elles peuvent avoir, strictement au niveau des recettes, un effet légèrement dégressif par rapport aux revenus.

Il convient de souligner que ces déclarations se rapportent exclusivement aux recettes des assurances sociales concernées. Avec les dépenses, seule l'AVS a un effet redistributif substantiel du fait qu'à partir d'un certain niveau de salaire, les cotisations AVS ne sont plus formatrices de rente et servent à financer les rentes des 41 42

43 44

OFS (2019), Coût et financement du système de santé en 2017 OFS (2019), Enquête sur le budget des ménages, 2015­2017. Le montant pris en compte est le montant brut des primes de l'assurance obligatoire des soins. Dans l'enquête de l'OFS sur le budget des ménages, les réductions de prime sont indiquées à la rubrique «Rentes et transferts sociaux».

Droit en vigueur depuis le 1er janvier 2020 Source: AFF, statistique financière

2723

FF 2020

niveaux de revenu faibles et moyens, prenant ainsi un caractère fiscal. La redistribution au niveau des dépenses est présentée au ch. 2.3.1.

Conclusion et aperçu de l'imposition des entreprises En résumé, les impôts progressifs sur le revenu et sur la fortune ont un effet redistributif. Mais le système suisse combinant les prélèvements obligatoires fiscaux et non fiscaux présente aussi des éléments dégressifs. Dans l'ensemble, la redistribution est par conséquent faible en Suisse au niveau des recettes, tant par rapport aux autres pays que par rapport aux canaux existant au niveau des dépenses45.

Cette appréciation englobe les prélèvements obligatoires fiscaux et non fiscaux à effet redistributif et les plus importants en volume.

Les impôts des personnes morales ont eux aussi, potentiellement, un effet redistributif, mais il est difficile à estimer. Cela tient notamment au fait qu'une entreprise ne peut pas assumer elle-même d'impôts et doit par conséquent les répercuter sur ses actionnaires, sur les consommateurs ou sur ses employés. Déterminer qui, en fin de compte, assume les impôts sur les entreprises (ce qu'on appelle l'incidence fiscale) est moins évident que pour les autres types d'impôt. Les analyses empiriques à ce sujet ne fournissent pas de résultat clair. Pour autant que les impôts sur les entreprises soient supportés par les investisseurs, l'effet par rapport au revenu est progressif. Pour autant qu'ils soient supportés par le facteur travail, l'effet redistributif varie selon que les revenus concernés du travail sont élevés ou moyens et faibles.

Aux échelons fédéral, cantonal et communal, les impôts sur le bénéfice et sur le capital représentent certes un volume important (environ de 22 milliards de francs de recettes en 2017), mais leur potentiel redistributif est nettement plus faible que celui des impôts sur le revenu et sur la fortune (environ de 61 milliards de francs de recettes en 2017)46.

2.4

État de la répartition en Suisse

En Suisse, les revenus du marché, c'est-à-dire les revenus avant impôts et paiements de transfert, sont répartis très uniformément par rapport au reste du monde. Le coefficient de Gini est une mesure de la répartition fréquemment utilisée, dans laquelle 0 représente une égalité de répartition absolue et 1 une inégalité maximale.

En Suisse, il est de 0,386, ce qui est le niveau le plus faible de tous les États de l'OCDE. Autrement dit, au sein de l'OCDE, c'est en Suisse que les revenus du marché sont le plus équitablement répartis47.

45

46 47

Cf. Wang, C. et Caminada, K. (2011) Disentangling income inequality and the redistributive effect of social transfers and taxes in 36 LIS countries. Luxembourg Income Study Working Paper Series no 567, pour une approche transversale. Cf. Engler, M. (2011) Redistribution in Switzerland: Social cohesion or simple smoothing of lifetime incomes?

Swiss Journal of Economics and Statistics, 147, pour une approche à long terme durant le cycle de vie.

AFF, statistique financière La Suisse partage le coefficient de Gini le plus faible avec l'Islande. Pour faciliter la comparaison, les chiffres relatifs à la répartition des revenus dans ce chapitre se réfèrent aux données statistiques les plus récentes de l'OCDE (2015).

2724

FF 2020

Les mesures de redistribution évoquées diminuent l'inégalité relative des revenus, mesurée au moyen de l'indice de Gini, de 0,386 à 0,296. Cette réduction est plutôt faible par rapport au reste du monde, ce qui s'explique en partie par l'homogénéité de la répartition des revenus du marché. S'agissant de l'inégalité des revenus disponibles (donc après impôts et paiements de transfert), la Suisse se situe dans la moyenne de l'OCDE. Elle présente par conséquent une répartition comparable à celles de l'Allemagne ou de la France.

Précisons que l'indice de Gini reflète des inégalités de revenu relatives et non absolues. Conséquence: un impôt proportionnel sur le revenu, par exemple, ne modifiera pas la valeur de l'indice, alors qu'il pèsera plus lourd, en francs, sur les revenus élevés. La valeur de l'indice diminue en cas d'impôt progressif sur le revenu. Un impôt dégressif sur le revenu accroîtra par contre l'inégalité mesurée au moyen de l'indice.

2.5

Initiatives populaires antérieures et initiative parlementaire en cours allant dans le même sens

Au cours des 20 dernières années, plusieurs initiatives ont réclamé une modification de la Constitution en vue d'une redistribution au profit des couches de population à faibles revenus ou d'une imposition accrue des revenus élevés: (1) Initiative populaire «Pour un impôt sur les gains en capital» (00.087): cette initiative déposée par l'Union syndicale suisse visait à taxer les gains en capital à un taux d'au moins 20 %. Le nouvel impôt fédéral devait notamment s'appliquer aux gains réalisés sur les devises, aux participations et aux autres papiers-valeurs.

Résultat de la votation: le peuple et les cantons ont rejeté l'initiative le 2 décembre 2001.

(2) Initiative populaire «Pour des impôts équitables. Stop aux abus de la concurrence fiscale (Initiative pour des impôts équitables)» (09.031): le comité d'initiative voulait réduire les différences d'imposition entre les cantons en instaurant un taux plancher pour les fortunes et les revenus élevés.

Résultat de la votation: le peuple et les cantons ont rejeté l'initiative le 28 novembre 2010.

(3) Initiative populaire «1:12 Pour des salaires équitables» (12.017): cette initiative voulait que dans une même entreprise, le salaire le plus élevé ne puisse pas être plus de douze fois supérieur au salaire le plus bas. Ses auteurs entendaient ainsi plafonner les salaires des grands dirigeants et contribuer à relever les salaires les plus bas.

Résultat de la votation: le peuple et les cantons ont rejeté l'initiative le 24 novembre 2013.

(4) Initiative populaire «Imposer les successions de plusieurs millions pour financer notre AVS (Réforme de la fiscalité successorale)» (13.107): le comité d'initiative demandait l'instauration d'un impôt national de 20 % sur les 2725

FF 2020

successions et les donations supérieures à 2 millions de francs. Les deux tiers des recettes devaient alimenter le Fonds de compensation de l'AVS et le tiers restant revenir aux cantons.

Résultat de la votation: le peuple et les cantons ont rejeté l'initiative le 14 juin 2015.

(5) Initiative populaire «Pour un revenu de base inconditionnel» (14.058): le comité d'initiative voulait instaurer un revenu de base inconditionnel que l'État aurait versé aux personnes vivant en Suisse quels que fussent leurs revenus et leur fortune.

Résultat de la votation: le peuple et les cantons ont rejeté l'initiative le 5 juin 2016.

L'initiative parlementaire ci-après, qui présente un lien avec l'initiative populaire objet du présent message, a été déposée en 2019: (6) Initiative parlementaire Bendahan «Imposer à 70 pour cent la part du revenu qui dépasse 10 millions de francs suisses» (19.426): l'auteur de l'initiative souhaite que le taux d'impôt marginal cumulé entre commune, canton et Confédération atteigne 70 % pour la part du revenu imposable des personnes physiques qui dépasse 10 millions de francs. État: la procédure d'examen préalable n'a pas encore débuté.

3

Buts et contenu de l'initiative

3.1

Buts visés

L'initiative populaire a pour but suprême d'accroître l'équité sociale en alourdissant la charge fiscale du revenu du capital en vue d'une redistribution rigoureuse.

3.2

Réglementation proposée

L'initiative populaire vise à ce que les parts du revenu du capital supérieures à un montant à définir dans la loi soient plus fortement imposées: à 150 %, soit 50 % de plus que les autres types de revenu. Les recettes supplémentaires qui en découleraient seraient affectées à une réduction de l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale.

Des questions d'interprétation se posent tant quant à l'imposition accrue du revenu du capital que quant à la redistribution.

2726

FF 2020

3.3

Commentaire et interprétation du texte de l'initiative

3.3.1

Principes d'interprétation des normes constitutionnelles

L'interprétation de la Constitution (comme celle des lois et ordonnances) s'appuie en premier lieu sur la formulation de la norme (élément d'interprétation grammaticale). Lorsque le texte est peu clair ou qu'il permet plusieurs interprétations, il convient de déterminer sa portée véritable en considérant d'autres éléments d'interprétation tels que la genèse de la norme (élément d'interprétation historique) et son but (élément d'interprétation téléologique). Il faut aussi tenir compte du sens qui se dégage de la norme dès lors qu'elle est mise en relation avec d'autres dispositions (élément d'interprétation systématique) et déterminer, dans chaque cas, quelle méthode (ou combinaison de méthodes) est la plus apte à restituer son sens véritable (pluralisme des méthodes)48. La volonté des auteurs de l'initiative de créer une nouvelle norme constitutionnelle n'est pas un élément décisif 49, mais elle peut être prise en considération dans le cadre de l'interprétation historique.

L'initiative objet du présent message soulève plusieurs questions d'interprétation, notamment quant à la notion de revenu du capital, au montant seuil à définir, au traitement fiscal du revenu du capital en deçà et au-delà du montant seuil et à la redistribution des recettes générées par l'imposition majorée. Ces questions sont abordées dans les chapitres qui suivent.

Le législateur devra interpréter le texte de l'initiative dans le cadre d'une éventuelle législation d'application. Il devra notamment prendre en compte comment les électeurs ont compris, globalement, le texte sur la base des documents et des avis des autorités, d'une part, et des arguments des défenseurs et des adversaires de l'initiative, d'autre part50. Les sources de cette interprétation ne seront donc entièrement disponibles que lorsque le résultat de la votation sera connu. Elles laisseront par ailleurs une certaine latitude au législateur.

3.3.2

Notion de revenu du capital

Ni la Constitution ni la législation fiscale en vigueur ne connaissent la notion de revenu du capital. Dans la perspective d'une mise en oeuvre potentielle dans le droit fiscal, cette notion est donc sujette à interprétation.

On trouve un exemple de la délimitation entre le revenu du capital et le revenu du travail dans la législation sur l'AVS où, pour déterminer le revenu assujetti provenant d'une activité indépendante, on déduit du revenu brut l'intérêt du capital propre engagé dans l'entreprise. Le taux d'intérêt correspond au rendement des emprunts des débiteurs suisses autres que les collectivités publiques, d'où une prise en consi48 49 50

Häfelin, U., Haller, W. et Keller, H. (2012) no 130, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 8e édition, Zurich: Schulthess.

Rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne, ch. 8.7.1.2, FF 2010 2067.

Cf. ATF 139 II 243 et Waldmann, Bernhard (2015) Die Umsetzung von Volksinitiativen aus rechtlicher Sicht, in: LeGes 26/3, p. 525.

2727

FF 2020

dération partielle de la prime de risque au-delà de l'application d'un taux sans risque (cf. art. 9, al. 2, let. f, de la loi du 20 décembre 1946 sur l'assurance-vieillesse et survivants [LAVS]51). Cette prise en considération se limite toutefois au risque lié aux capitaux étrangers et ne comprend pas le risque lié aux capitaux propres. La logique de la législation sur l'AVS est aussi appliquée dans le cadre de la répartition fiscale intercantonale pour le revenu de l'activité lucrative indépendante. Dans le droit fiscal, en outre, on se fonde implicitement, pour l'impôt sur la fortune, sur la notion de revenu du capital pour évaluer les entreprises sans valeur en bourse. Ainsi, des primes de risque permettent de mieux prendre en considération le risque entrepreneurial.

Acception scientifique En économie, le terme «revenu du capital» a deux significations distinctes. En théorie économique, il désigne le revenu généré par la rémunération sans risque du capital. Il s'agit donc du revenu qui découle de la renonciation à la consommation dans le présent au profit d'une consommation dans le futur. La prise de risques économiques (primes de risque) et la perception de rentes économiques (du fait d'une position de monopole ou d'une supériorité technologique, p. ex.) ne produisent donc pas de revenu du capital dans cette acception.

Il est théoriquement possible de transposer dans le droit l'acception qui vient d'être donnée. Une interprétation téléologique du texte de l'initiative révèle toutefois le but de financer la redistribution par une taxation plus lourde du revenu du capital. On peut donc se demander si exclure les primes de risque et les rentes économiques ne serait pas contraire à ce but.

Pour ce qui est de la seconde signification, la finance, notamment, emploie le terme «revenu du capital» comme synonyme de «revenu de la propriété». Il s'agit de la contre-prestation perçue pour la mise à disposition de capitaux, laquelle comprend, outre la rémunération sans risque du capital, les primes de risque et la perception de rentes économiques. En l'occurrence, la forme sous laquelle l'investisseur touche la contre-prestation n'a pas d'importance: peu importe notamment qu'il s'agisse de bénéfices de réévaluation ou de flux de paiement. Pour des raisons pratiques, il est cependant courant, en matière
d'imposition des gains en capital, de n'imposer le bénéfice de réévaluation qu'au moment de la réalisation (plus-value de cession).

Cette acception plus complète est d'emblée compatible avec l'interprétation téléologique du texte de l'initiative.

L'exemple des actions illustre parfaitement l'équivalence entre rendement du capital et gains en capital selon la conception de la finance: s'agissant de son bénéfice, une entreprise a le choix entre le retenir ou le distribuer sous forme de dividendes. Dans le premier cas, le bénéfice entraînera un accroissement de la valeur des actions. Cet accroissement est équivalent à un dividende, car une vente partielle des actions permettrait de reproduire le flux financier généré par un dividende. La même équivalence existe en matière de fortune immobilière, où l'on peut transformer le bénéfice de réévaluation en un flux financier équivalent, de préférence au moyen d'une augmentation du nantissement. Dans ce contexte, le point de vue de la finance plaide 51

RS 831.10

2728

FF 2020

pour une acception large intégrant dans la notion de revenu du capital tant le rendement du capital que les gains en capital sur la fortune mobilière et immobilière.

Une synthèse du point de vue de la finance avec des principes de catégorisation des revenus issus de la doctrine fiscale52 de même que la statistique économique établie dans le cadre des comptes nationaux plaident également pour une acception large de la notion de revenu du capital. Cette statistique intègre au revenu du capital les mêmes composants, la distinction entre rendement du capital («revenus d'investissements») et gains en capital s'écartant parfois de celle opérée dans la doctrine fiscale53.

Selon cette acception, qui intègre tous les rendements du capital et les gains en capital dans la fortune mobilière et immobilière, la valeur locative et les gains immobiliers font eux aussi partie du revenu du capital. Se poserait alors la question de savoir si la Confédération doit taxer les gains immobiliers dans la fortune privée comme revenu du capital. Précisons que ces gains sont généralement apériodiques, et qu'ils pourraient par conséquent, selon les modalités d'une éventuelle législation d'application, dépasser le montant seuil pour une couche de population plus large.

Délimitation entre revenu du travail et revenu du capital Les conséquences de l'initiative seraient notamment incertaines pour les personnes exerçant une activité lucrative indépendante, qui se caractérise par un recours combiné au travail et au capital. Selon le droit fiscal en vigueur, la subdivision du revenu qui en découle en une partie revenu du travail et une partie revenu du capital importe peu dans la mesure où les revenus sont intégrés dans la base de calcul à 100 %. Si la mise en oeuvre de l'initiative adoptait les principes régissant la LAVS, la part des revenus de l'activité indépendante considérée comme revenu du capital serait insuffisante. En effet, la rémunération supposée du capital investi ne représente qu'une faible partie du risque économique. L'initiative aurait, dans ce cas, un effet réduit sur ce groupe de personnes. Par ailleurs, les personnes qui exercent leur activité entrepreneuriale au moyen d'une société anonyme unipersonnelle seraient grandement défavorisées sur ce point, car tout le bénéfice distribué relèverait du revenu du
capital et serait donc, potentiellement, soumis à une imposition majorée. Si le législateur voulait éviter de telles inégalités de traitement, il devrait, pour la mise en oeuvre de l'initiative, considérer le revenu d'une activité indépendante comme un revenu du capital s'il dépasse un salaire de chef d'entreprise conforme au marché.

Les rentes de la prévoyance par capitalisation soulèveraient des questions de délimitation analogues. C'est notamment le cas des rentes du 2 e pilier et du pilier 3a, mais non des rentes AVS. Les rentes de la prévoyance par capitalisation comprennent également une part de revenu du capital qui représente le revenu provenant de la rémunération de la fortune épargnée.

Par ailleurs la synthèse des acceptions données au revenu du capital par la finance et par la doctrine fiscale indique que l'initiative se limite à l'imposition des personnes physiques. Les gains des personnes morales ne seraient donc pas concernés. Cette hypothèse est confirmée par l'interprétation téléologique évoquée plus haut, qui 52 53

Cf. AFC (2010) Vereinfachung der Einkommensbesteuerung, tableau 1, p. 16.

Système européen des comptes (SEC), 2010.

2729

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révèle le but de redistribution du texte de l'initiative. La thématique de la redistribution se rattache au domaine des personnes non pas morales mais physiques.

Acception des auteurs de l'initiative L'interprétation globale selon laquelle tous les rendements du capital et les gains en capital sur la fortune mobilière et immobilière entrent dans le champ d'application de l'article constitutionnel proposé recouvre largement celle qui est exposée dans les documents complémentaires fournis par les auteurs de l'initiative (argumentaire, factsheet, FAQ)54. Ces documents révèlent d'ailleurs que les auteurs de l'initiative limitent la notion de revenu du capital, ou du moins de revenu du capital imposable.

Ils en excluent en effet la valeur locative de même que les rentes de la prévoyance par capitalisation. Comme nous l'avons déjà mentionné, cela ne ressort pas du texte de l'initiative et demeure par conséquent une question de mise en oeuvre législative.

Les documents expriment aussi la volonté de supprimer le principe en vigueur de l'apport en capital. À ce propos, signalons que d'un point de vue économique et selon la doctrine actuelle55, les remboursements d'apports en capital effectués par les détenteurs des droits de participation ne sont pas considérés comme faisant partie du revenu. Il manque par conséquent dans le texte de l'initiative un facteur de rattachement qui permette, en cas d'acceptation de l'initiative, de modifier le traitement fiscal de ces remboursements.

En conclusion, l'interprétation grammaticale a plutôt tendance à favoriser une acception large de la notion de revenu du capital. Au vu de la portée de la notion, il convient de rappeler que le texte de l'initiative laisse une certaine latitude au législateur.

3.3.3

Montant exonéré de l'imposition majorée («montant seuil»)

Le texte de l'initiative prévoit, à l'al. 1, que les parts du revenu du capital ne seront imposables à 150 % qu'à partir d'un «montant défini par la loi», sans préciser ce montant. L'al. 2 fournit des facteurs de rattachement à ce sujet en indiquant que les recettes supplémentaires qui découleront de l'imposition majorée seront «affectées à une réduction de l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale». Cette affectation révèle, comme nous l'indiquons au ch. 3.3.2, le but de la redistribution.

On peut aussi en déduire que l'imposition majorée touchera surtout les hauts revenus. Par ailleurs, le législateur ne devrait pas fixer un montant seuil trop élevé, sans quoi l'imposition majorée ne produirait aucun résultat et le but de redistribution serait manqué.

Dans leurs documents complémentaires, les auteurs de l'initiative imaginent que ce montant pourrait être fixé à 100 000 francs, par exemple, dans la législation d'application, et qu'il pourrait être augmenté pour les contribuables mariés. Un tel montant garantirait selon eux l'exemption des petits épargnants.

54 55

À consulter sur 99pourcent.ch/downloads (état: 13 février 2020).

Reich, Markus (2012) Steuerrecht, Zurich, 2e édition, § 13 n. 121.

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En cas d'acceptation de l'initiative, la question du montant seuil devra être réglée dans la législation d'application. En ne le fixant pas, le texte de l'initiative laisse sur ce point au législateur une marge de manoeuvre considérable.

3.3.4

Imposition en deçà et au-delà du montant seuil

Le texte de l'initiative ne dit pas s'il faut prendre en considération, pour la part du revenu du capital qui dépasse le montant seuil, la soumission préalable à l'impôt sur le bénéfice (théorie dite de l'intégration). Le cas échéant, l'initiative pourrait, pour les revenus issus de titres de participation dépassant le montant seuil, être mise en oeuvre par une imposition partielle sur la base d'un taux de 150 %. Par exemple, s'il est prévu une imposition partielle à 70 % pour corriger la double imposition économique, il en résulterait pour les actionnaires une imposition à 105 %.

Si on considère les personnes morales comme des sujets dotés d'une capacité économique propre indépendante des actionnaires (théorie dite de la séparation), il n'y a aucune raison, au regard du principe de la capacité économique, de procéder à une imposition partielle, et les revenus issus de titres de participation dépassant le montant seuil devront être imposés à 150 %.

Le texte de l'initiative ne donne aucune indication sur l'imposition de la part du revenu du capital située en deçà du montant seuil. Si l'initiative est acceptée, il faudra décider dans le cadre de sa mise en oeuvre si les gains en capital dans la fortune privée restent exonérés d'impôt ou s'ils sont assujettis à l'impôt sur le revenu, même en deçà du montant seuil, une imposition préalable étant ou non prise en considération. Par ailleurs, même en deçà du montant seuil, il faudra statuer sur le traitement des distributions de bénéfice (avec ou sans participation qualifiée) quant à la prise en considération d'impositions préalables.

Des questions pratiques supplémentaires se poseraient selon l'interprétation de la notion de revenu du capital et du traitement fiscal en deçà du montant seuil. Par exemple, si la part des gains en capital située en deçà du montant seuil est exonérée d'impôt mais que la part située au-delà est taxée à 150 %, qu'en sera-t-il du traitement fiscal si le revenu du capital dépasse le montant seuil lorsqu'on y ajoute les gains en capital, mais reste en deçà dans le cas contraire ?

À propos de l'ensemble du revenu du capital et dans l'optique d'un examen de la charge fiscale globale, une éventuelle législation d'application devrait par ailleurs déterminer si, et le cas échéant dans quelle mesure, il faut prendre en considération
les impôts grevant la substance économique tels que les impôts sur la fortune, les impôts sur le capital ou les impôts fonciers dans le cadre de l'imposition du revenu du capital.

2731

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3.3.5

Modalités de la redistribution

Le texte de l'initiative prévoit, pour les recettes supplémentaires qui découleront de l'imposition à hauteur de 150 % au lieu de 100 %, deux types d'affectation: réduction de l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale.

Ces deux canaux de redistribution sont l'un interne et l'autre extérieur au droit fiscal. La formulation adoptée permet qu'une éventuelle législation d'application impose soit exclusivement l'un des deux, soit une combinaison des deux.

On peut par ailleurs se demander si les recettes supplémentaires en question feraient l'objet d'une affectation directe avec une détermination effective ou d'une affectation forfaitaire. Dans ce dernier cas, on calculerait les recettes supplémentaires moyennes résultant de l'imposition majorée en se référant au passé ou on estimerait les recettes à venir et on affecterait le montant obtenu à la redistribution conformément à ce que demande l'initiative.

Comme ces questions restent en suspens, une vaste marge d'appréciation est laissée à la législation d'application.

Canaux de redistribution internes au droit fiscal Une redistribution visant à réduire l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail peut, par exemple, prendre la forme d'ajustements tarifaires ou de déductions. Une telle option nécessiterait de fixer un volume forfaitaire de redistribution. On pourrait également choisir une détermination effective du volume de redistribution. Dans ce cas, la redistribution devrait, pour des raisons pratiques, être différée.

Qu'ils soient accordés sous la forme d'un forfait ou d'une détermination effective du volume de redistribution, les allégements de la charge fiscale devront, selon le texte de l'initiative, se limiter aux revenus du travail.

S'agissant de l'utilisation des recettes supplémentaires au niveau cantonal, la Confédération peut, selon la répartition en vigueur des compétences, donner aux cantons des consignes exclusivement formelles mais non matérielles pour la perception des impôts directs (art. 129, al. 2, Cst.). La LHID fixe les principes régissant l'organisation de la législation cantonale. La Confédération devrait donc s'en tenir à des prescriptions formelles quant à la redistribution dans le cadre du droit
fiscal. Elle pourrait par exemple préciser la façon dont on déterminerait le revenu du travail aux fins de redistribution ou dont on organiserait une éventuelle imposition partielle des petits ou moyens revenus du travail. Elle doit par contre s'abstenir de faire des prescriptions quant aux barèmes, aux taux et aux montants exonérés de l'impôt notamment.

Canaux de redistribution extérieurs au droit fiscal Comme nous l'expliquons au ch. 2.3.1, il existe plusieurs canaux de redistribution au niveau des dépenses, chacun visant un groupe de population qui, en fonction de la prestation, se distingue de par sa taille et sa composition.

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On peut imaginer un renforcement des réductions de primes d'assurance-maladie pour les ménages aux ressources financières faibles ou moyennes. On pourrait aussi développer le système de prestations complémentaires et le rendre accessible aux personnes qui ne touchent pas de rente AVS ni AI mais qui se trouvent dans une situation de détresse financière particulière (chômeurs âgés en fin de droits, familles aux revenus modestes).

Dans leurs documents complémentaires, les auteurs de l'initiative citent, comme exemples de «paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale» le financement des réductions de primes, des crèches et des prestations de Spitex.

En matière d'aide sociale, la répartition en vigueur des compétences permet uniquement à la Confédération de donner aux cantons des consignes sur le plan de l'aide d'urgence. Des prescriptions fédérales sont par contre possibles dans le domaine des réductions individuelles de primes et des prestations complémentaires.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des demandes de l'initiative

La question de la répartition des revenus et, partant, celle de la redistribution sociopolitique sont des questions politiques. Elles reposent avant tout sur des échelles de valeurs, et notamment sur la question de la légitimité des mesures de redistribution.

Les auteurs de l'initiative souhaitent développer la redistribution. La Constitution laissant à cet égard une large marge d'interprétation et de manoeuvre, elle ne s'oppose pas à cet objectif.

On peut considérer qu'imposer une partie du revenu du capital à 150 % revient à relativiser le principe de l'imposition selon la capacité économique (art. 127, al. 2, Cst.), qui veut que les contribuables soient taxés en fonction de leurs moyens. De ce point de vue, alourdir l'imposition du revenu du capital par rapport à celle d'autres types de revenu pose un certain nombre de problèmes. D'autant plus que l'actuel impôt sur le revenu repose sur le principe de la valeur nominale. Il grève donc l'intégralité du rendement nominal du capital, lequel comprend la prime d'inflation.

Or cette prime ne constitue pas un rendement réel: elle compense pour l'investisseur la perte de pouvoir d'achat de sa fortune. Le taux d'imposition effectif appliqué au revenu réel du capital peut par conséquent atteindre un niveau très élevé, même en cas d'inflation modérée. Compte tenu de ces éléments, le principe de la capacité économique voudrait plutôt que le revenu du capital soit imposé moins lourdement que le revenu du travail.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

Comme nous l'expliquons au ch. 3.3, le texte de l'initiative soulève plusieurs questions d'interprétation. La marge d'interprétation est particulièrement large s'agissant de la redistribution demandée des moyens générés par l'imposition majorée. En cas

2733

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d'acceptation, les conséquences de l'initiative dépendront fortement de la législation d'application.

4.2.1

Alourdissement de la charge fiscale pesant sur le revenu du capital

En cas d'acceptation de l'initiative, la charge fiscale pesant sur le revenu du capital dépendra notamment de deux facteurs dont les modalités devront être réglées par la législation d'application: le montant à partir duquel s'appliquera le taux d'imposition de 150 % (montant seuil) et les types de revenu du capital qui seront concernés.

Le tableau 1 montre de façon schématique la détermination de la base de calcul de l'impôt sur le revenu en cas de statu quo et selon le scénario prévu par l'initiative, en prenant l'exemple d'un revenu composé d'un revenu d'une activité lucrative salariée, d'intérêts perçus et d'un revenu locatif. Le montant seuil au-delà duquel est appliqué le taux d'imposition majoré est fixé à 100 000 francs. En deçà de ce montant, dans notre exemple, l'initiative n'a pas d'effet sur l'imposition du revenu du capital. Les exemples exposés dans le présent chapitre n'intègrent pas la réduction éventuelle de l'imposition des revenus faibles ou moyens du travail (du fait de la redistribution), notamment parce qu'il n'est pas certain la législation d'application intégrerait une telle réduction.

Revenus

Revenu d'une activité lucrative salariée Intérêts perçus Revenu locatif Total

Montant effectif ( = base de calcul en cas de statu quo))

Base de calcul prévue par l'initiative

150 000

150 000

10 000 150 000

190 000

310 000

340 000

Tableau 1: À partir d'un exemple simplifié, détermination de la base de calcul de l'impôt sur le revenu en cas de statu quo (colonne du milieu) et selon le scénario prévu par l'initiative (colonne de droite). Le montant seuil est fixé à 100 000. Tous les chiffres sont en francs.

En vertu du droit en vigueur, tous les éléments représentés du revenu entrent intégralement dans la base de calcul, qui consiste par conséquent en la somme de ces éléments. Selon le scénario prévu par l'initiative, la part du revenu qui dépasse le montant seuil est intégrée à la base de calcul à 150 %. Le revenu du capital, donc la somme des intérêts perçus et du revenu locatif, égale 160 000 francs et dépasse par conséquent le montant seuil de 60 000 francs. Ce montant est intégré à la base de calcul à 150 %, soit 90 000 francs. Au final, la base de calcul passe de 310 000 à 340 000 francs.

Outre l'aménagement concret de la législation d'application, la modification de la charge fiscale pesant sur le revenu dépend aussi des barèmes de l'impôt sur le revenu, auxquels l'initiative ne touche pas. La Confédération et les cantons restent par 2734

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conséquent libres de modifier ces barèmes. S'ils prenaient le parti de les diminuer en réaction à la pondération accrue des revenus du capital dans la base de calcul, l'augmentation de la charge fiscale s'en trouverait compensée au moins en partie (cf. ch. 4.2.2).

La figure 3 représente schématiquement la modification de la charge fiscale pesant sur le revenu en cas d'acceptation de l'initiative. Elle part du revenu du capital, qui est entièrement soumis à l'impôt en vertu du droit en vigueur (conformément au tableau ci-dessus, il peut s'agir d'intérêts perçus ou de revenus locatifs). Dans les exemples représentés, la part du revenu imposable du capital dans le revenu imposable global varie. Le montant seuil est ici aussi fixé à 100 000 francs. Au-delà, chaque franc de revenu du capital est intégré dans la base de calcul à 150 %.

La figure 3 prend les exemples des cantons de Genève, de Zurich et de Zoug, Genève et Zoug étant les cantons présentant respectivement la charge fiscale marginale maximale la plus forte et la plus faible.56 On suppose que la mise en oeuvre de l'initiative n'entraîne aucune modification des barèmes fiscaux ou des coefficients annuels. Les graphiques représentent donc uniquement la prise en compte accrue des revenus du capital dans la détermination de la base de calcul.

56

Cf. AFC, Charge fiscale: Chefs-lieux des cantons 2018, charge marginale de 500 000 à 1 million de francs.

2735

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Figure 3: Augmentation de la charge fiscale (Confédération + canton + commune) pesant sur le revenu induite en cas d'adoption de l'initiative par rapport au statu quo, selon le montant du revenu imposable. Cantons de Genève, de Zurich et de Zoug, chef-lieu du canton, personne célibataire, sans confession, droit en vigueur en 2019. Dans les situations représentées, la part du revenu imposable du capital représente 20, 50 et 100 % du revenu imposable global. On suppose que le montant seuil est de 100 000 francs, l'imposition en cas de statu quo est de 100 %, le revenu du capital est imposé à 150 % au-delà du montant seuil, comme le prévoit l'initiative.

2736

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Les schémas fournissent les indications suivantes quant à la modification de la charge fiscale en cas d'acceptation de l'initiative: ­

L'initiative alourdissant exclusivement la charge fiscale du revenu du capital, cette charge augmente d'autant plus fort que la part du revenu imposable global représentée par le revenu du capital est importante. Dans le canton de Genève, l'impôt sur le revenu s'élève, pour un revenu imposable de 1 million de francs, à près de 425 000 francs (statu quo). Si le revenu du capital représente 20 % du revenu imposable global (cas no 1), la charge de cet impôt s'alourdirait, en cas d'adoption de l'initiative, de près de 22 000 francs. La charge supplémentaire grimperait à près de 200 000 francs si le revenu du capital représente 100 % du revenu imposable (cas no 2).

Dans le canton de Zoug, un revenu imposable de 1 million de francs génère un impôt de près de 225 000 francs (statu quo). L'initiative alourdirait cette charge de près de 11 000 francs dans le cas no 1, et de près de 100 000 francs dans le cas no 2. Le canton de Zurich occupe une situation intermédiaire, que l'initiative soit acceptée ou non. En tout état de cause, si elle est acceptée, un revenu imposable de 1 million de francs entraînerait une charge fiscale pouvant atteindre plus de 60 %.

­

Plus la charge fiscale des revenus élevés est lourde dans un canton dans la configuration actuelle, plus l'initiative alourdirait celle du revenu du capital.

Les chiffres évoqués plus haut le confirment. Pour un revenu imposable de 1 million de francs consistant intégralement en revenu du capital, la charge fiscale augmenterait d'environ 200 000 francs dans le canton de Genève, d'environ 180 000 francs dans le canton de Zurich et d'environ 100 000 francs dans le canton de Zoug.

­

La charge fiscale marginale pesant sur le revenu du capital, c'est-à-dire l'imposition d'un franc de revenu supplémentaire, augmenterait nettement au-delà du montant seuil, dans toute la Suisse. Sur les schémas, la courbe représentant la situation où le revenu imposable est entièrement constitué de revenu du capital le montre clairement: elle commence à monter à partir du montant seuil, ce qui veut dire qu'en cas d'acceptation de l'initiative, chaque franc supplémentaire de revenu du capital alourdirait la charge fiscale par rapport au statu quo. Pour les revenus élevés, la prise en compte 50 % plus élevée du revenu du capital dans la base de calcul se traduit par une charge fiscale marginale elle aussi plus élevée de 50 %.

4.2.2

Conséquences financières

Il n'est pas possible d'estimer les conséquences financières qu'aurait un alourdissement de l'imposition du revenu du capital. Premièrement, vu la marge d'interprétation considérable que laisse l'initiative, nul ne sait comment le législateur procéderait, en cas d'acceptation, pour la mettre en oeuvre. Deuxièmement, les chiffres sur lesquels s'appuyer font défaut. Troisièmement, il n'est pas possible d'évaluer suffisamment précisément les changements de comportement.

2737

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Si l'on pouvait prévoir avec certitude les fondements de la législation d'application, on aurait ainsi besoin (sans tenir compte d'éventuels changements de comportement) des éléments suivants pour estimer les conséquences financières: ­

montant des revenus imposables du capital, y compris la part faisant l'objet d'une imposition partielle selon le droit en vigueur;

­

montant des gains en capital imposables et / ou exonérés d'impôt selon le droit en vigueur;

­

pour les deux montants qui précèdent, parts inférieure et supérieure au montant seuil déterminant la soumission au taux d'imposition majoré;

­

selon les modalités de la législation d'application, part des types de revenu du capital soumis ou non à l'imposition majorée;

­

vu les différences d'imposition considérables entre cantons et entre communes, au mieux les chiffres individuels correspondant aux points ci-dessus, mais au moins les chiffres au niveau communal.

L'AFC ne possède que des données ponctuelles sur ces points. La statistique relative à l'impôt fédéral direct ne fournit aucune indication quant au volume des rendements du capital par rapport aux autres types de revenu (revenu de l'activité lucrative, rentes, etc.) ni quant à l'importance relative des différents types de revenu du capital (intérêts perçus, dividendes, valeur locative, etc.) qu'il faudrait, le cas échéant, pouvoir distinguer pour estimer les effets quantitatifs de l'initiative. Il n'existe pas en Suisse de données fiscales complètes sur le montant des gains en capital, car ceux-ci étant actuellement exonérés d'impôt dans la fortune privée, ils ne font l'objet d'aucun recensement.

Si l'on disposait de chiffres sur les points évoqués, on pourrait estimer les effets de l'initiative sans tenir compte d'éventuels changements de comportement. Les conséquences ainsi estimées d'une réforme fiscale résultent directement du contexte économique initial et des mesures prises. De ce point de vue, l'initiative prévoyant une hausse de l'imposition des revenus du capital, ses conséquences financières devraient être positives.

S'agissant des réformes de l'imposition du revenu du capital, il faut cependant s'attendre à ce que les acteurs économiques modifient leur comportement en profondeur afin de s'adapter au nouveau régime. Ce type de revenu est en effet très sensible aux variations de l'imposition. Il se peut qu'il baisse fortement si sa charge fiscale s'accroît (cf. ch. 4.3.4).

Les cantons, eux, pourraient réagir par des mesures de politique fiscale: étant donné l'obligation de taxer plus fortement les revenus élevés du capital que d'autres types de revenu, il se peut qu'ils décident, pour des questions de compétitivité de la place économique, d'une réduction générale des impôts, surtout pour les hauts revenus.

Une telle réaction permettrait de contrecarrer l'alourdissement de la charge fiscale pesant sur le revenu du capital.

Dans le cas de la présente initiative, procéder à une estimation sans tenir compte des réactions potentielles n'aurait donc aucun sens. Pour pouvoir prendre en considération les éventuels changements de comportement des acteurs économiques, il fau2738

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drait connaître, outre les chiffres évoqués plus haut, des paramètres reflétant le sens et la profondeur de ces changements.

Imaginons, par exemple, le recul à court ou moyen termes des revenus imposables du capital sous l'effet de différents facteurs (cf. ch. 4.3.4). La taxation accrue de ces revenus réduit notamment l'incitation à l'épargne, ce qui pourrait entraîner à long terme une diminution du capital disponible par travailleur sur le plan économique. Il finirait par en découler une diminution des revenus du travail, avec à la clé des conséquences négatives pour les recettes fiscales.

Les sujets fiscaux ayant tendance à adapter leur comportement afin d'échapper aux impôts, il est probable que ces changements auront des conséquences financières négatives. Selon l'importance de cette sensibilité fiscale, les recettes supplémentaires escomptées sans tenir compte des changements de comportement baisseront donc plus ou moins. Il est même possible, à long terme, que les changements de comportement compensent à l'excès les conséquences financières positives et finissent par réduire les recettes.

Les auteurs de l'initiative fournissent une estimation des conséquences financières, dont la fiabilité ne peut pas être vérifiée faute d'informations. Précisons toutefois que cette estimation ne tient pas compte des réactions potentielles des acteurs économiques. Le Conseil fédéral la considère par conséquent comme peu pertinente vu l'ampleur des changements de comportement que la mise en oeuvre de l'initiative devrait susciter.

4.2.3

Conséquences de la redistribution

L'al. 2 du texte de l'initiative prévoit que les recettes supplémentaires seront affectées à une réduction de l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale.

Sa formulation très générale ne permet pas de prédire la forme que prendrait la législation d'application. Comme nous l'expliquons au ch. 3.3.5, on peut imaginer de nombreux canaux de redistribution différents.

Comme nous l'évoquons au ch. 4.2.2, l'initiative pourra avoir des conséquences financières aussi bien positives que négatives selon les éventuels changements de comportement qu'elle entraînera si elle est acceptée. Prises isolément, les recettes provenant de l'imposition à 150 % de certains revenus du capital seront cependant toujours au moins équivalentes à celles provenant de l'imposition à 100 %.

Il n'est qu'un seul cas où il n'y aurait pas d'argent à redistribuer, c'est si, après la mise en oeuvre de l'initiative, tous les revenus imposables du capital étaient inférieurs au montant seuil du fait de réactions d'évitement (cf. ch. 4.3). En dehors de ce cas improbable, il y aurait donc un certain montant disponible pour une redistribution au sens où l'entend l'initiative. Mais ce montant est pour l'heure impossible à déterminer, pour les raisons exposées au ch. 4.2.2. Il faut par ailleurs s'attendre à ce qu'il se révèle très volatil au fil du temps, et qu'il reste difficile à prévoir même après la mise en oeuvre de l'initiative. Si la législation d'application prévoit une affectation directe, cette volatilité et cette imprévisibilité des recettes fiscales décou2739

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lant du revenu du capital se répercuteraient directement sur le volume de redistribution supplémentaire.

4.3

Avantages et inconvénients de l'initiative

L'initiative populaire est motivée en particulier par les inégalités de revenu et de fortune et par le malaise qu'inspire à ses auteurs le fait qu'une personne fortunée puisse vivre du revenu de son capital sans avoir à travailler.

Il est indéniable que dans de nombreux pays, les inégalités économiques ont eu tendance à s'accentuer au cours des dernières décennies. C'est particulièrement vrai aux États-Unis ou au Royaume-Uni, où l'inégalité des revenus disponibles, déjà forte par rapport aux autres pays industriels au milieu des années 90, s'est encore creusée depuis. En Suisse, cette inégalité n'a guère augmenté ces dernières années, si l'on prend en compte l'ensemble de la population57. Ajoutons que depuis une vingtaine d'années, l'augmentation des inégalités de revenu dans certains pays industriels est allée de pair avec une diminution de ces inégalités et de la pauvreté à l'échelle mondiale. Cette évolution s'explique notamment par l'intégration à l'économie mondiale des pays émergents, à commencer par la Chine58.

D'un autre côté, une enquête de l'AFC fondée sur les données fiscales de 2003 à 2015 révèle à la fois que les fortunes ont connu en Suisse une augmentation globalement très importante et que leur répartition est devenue plus inégale. Pendant la période étudiée, le percentile de la population le plus riche a vu sa fortune augmenter de 43 %, contre 18,6 % pour les trois quarts les moins riches59.

En se focalisant sur les inégalités sociales, les auteurs de l'initiative abordent un sujet de plus en plus présent dans le discours politique et scientifique à l'échelle mondiale. De nombreuses propositions, notamment aux États-Unis, sont présentées dans le but d'éviter l'accroissement de l'écart entre les revenus et les fortunes.

L'initiative présente cependant aux yeux du Conseil fédéral des inconvénients rédhibitoires, notamment en ce qui concerne la nécessité d'agir, la précision de l'objectif et l'affectation exigée des recettes supplémentaires générées par l'imposition majorée du revenu du capital. En outre, en cas d'acceptation, l'initiative aurait probablement des effets négatifs considérables sur l'attrait de la Suisse et sur les incitations à la création de capital, compte tenu notamment de la forte sensibilité du revenu du capital à l'imposition, ce qui affecterait non seulement les personnes dont le capital génère un revenu élevé mais aussi tous les acteurs économiques du pays.

57 58 59

Cf. OFS (2017) Enquête sur le budget des ménages, ou OCDE Base de données sur la distribution des revenus.

Fuest, Clemens (2016) Zehn Thesen zur Ungleichheitsdebatte. ZEW ­ Leibniz-Zentrum für Europäische Wirtschaftsforschung (de) AFC (2019) L'évolution de la richesse en Suisse de 2003 à 2015

2740

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4.3.1

Aucune action requise

Les revenus sont répartis uniformément en Suisse Comme nous l'expliquons au ch. 2.4, les revenus du marché, c'est-à-dire les revenus avant impôts et paiements de transfert, sont répartis très uniformément en Suisse par rapport au reste du monde. Le pays affiche par ailleurs un coefficient de Gini, donc un niveau d'inégalité, faible. Compte tenu de ces éléments, les besoins de la Suisse en matière de redistribution sont plus faibles que dans d'autres pays. Cette redistribution existe pourtant, principalement sous la forme de paiements de transfert au niveau des dépenses, complétés au niveau des recettes par des impôts.

La charge globale qui pèse sur les revenus du capital est déjà lourde Comme nous l'expliquons au ch. 2.2, la Suisse est l'un des rares pays de l'OCDE à prélever un impôt général sur la fortune. Du point de vue économique, cet impôt est fondé sur un rendement hypothétique de la fortune, quel que soit le rendement effectivement perçu. Par exemple, si le rendement de la fortune est de 2 %, un impôt sur la fortune de 0,5 % correspondra en fait à un impôt sur le revenu du capital réalisé de 25 %.

À cela s'ajoute l'impôt sur le revenu grevant la plupart des éléments du revenu du capital. Les dividendes (sauf participation qualifiée équivalant à au moins 10 % du capital) et les intérêts sont pleinement intégrés au revenu imposable. En cas de participation qualifiée, les dividendes sont imposés partiellement afin que soit corrigée la double imposition économique par l'impôt sur le bénéfice (pour les entreprises) et l'impôt sur le revenu (pour les actionnaires).

Avec un impôt sur la fortune élevé par rapport au reste du monde, la charge globale qui pèse sur le revenu du capital en Suisse est déjà lourde, malgré l'exonération des gains privés en capital.

4.3.2

Un moyen inefficace de lutte contre les inégalités de revenu

Les auteurs de l'initiative envisagent, pour réduire les inégalités de revenu, un instrument inefficace car l'augmentation de l'imposition qu'ils proposent se fonde essentiellement sur la nature des revenus et non sur leur montant.

Les données relatives à l'évolution des différents groupes de revenus indiquent que l'augmentation exceptionnelle des revenus les plus élevés au cours des dernières années est due davantage aux salaires qu'aux revenus du capital60. En observant les comptes nationaux de la Suisse, on constate par ailleurs que contrairement à la tendance mondiale61, la part des revenus du capital dans les revenus globaux a

60 61

Cf. Föllmi, R. et Martínez, I. (2017) Die Verteilung von Einkommen und Vermögen in der Schweiz, UBS Center Public Paper #6.

Dao, M. C., Das, M., Koczan, Z. et Lian, W. (2017) Why Is Labor Receiving a Smaller Share of Global Income? Theory and Empirical Evidence. IMF WP/17/169.

2741

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légèrement diminué depuis le milieu des années 9062. Ces deux éléments montrent que majorer l'imposition des seuls revenus du capital manquerait l'objectif de réduction des inégalités de revenu.

4.3.3

Affaiblissement des incitations à la création de capital

Les auteurs de l'initiative arguent que le revenu du capital est un capital obtenu sans travailler, qui mérite donc d'être plus lourdement taxé. On pourrait leur rétorquer ceci: avant de produire un revenu, le capital a été constitué par une création de valeur et par une abstention temporaire de consommer. Dans le cas des successions et des donations, le revenu du capital profite en partie à d'autres personnes que celles qui ont constitué le capital. Mais la question de savoir s'il faut prendre en considération cet aspect, et si oui dans quelle mesure, relève de la politique en matière d'impôt sur les successions et les donations.

Le capital est, comme le travail, un facteur de production qui est rémunéré s'il est mis à la disposition du processus de production économique. Les intérêts sont au capital ce que le salaire est au travail. La rémunération, ou si l'on préfère le rendement du capital, est un dédommagement pour l'abstention temporaire de consommer et pour le risque de fortune encouru.

Un rôle important, assumer les risques économiques, échoit au capital-risque. Il contribue à protéger les salariés contre ces risques qui sinon se traduiraient par de fortes fluctuations de salaire et des conditions d'emploi moins stables.

Un stock de capital bien développé est par conséquent, avec la technologie, l'une des conditions majeures de la prospérité économique. C'est particulièrement vrai pour les salariés parce qu'il augmente la productivité du travail et donc les salaires.

Les modèles visant à réduire la double imposition des dividendes étant aujourd'hui largement répandus dans le monde, l'acceptation de l'initiative pénaliserait lourdement la compétitivité de la Suisse dans le domaine de l'imposition des dividendes.

Elle réduirait par conséquent l'attrait du pays pour les personnes dont le capital génère un revenu élevé, aurait des effets négatifs sur les incitations à la création de capital et diminuerait à moyen terme le stock de capital disponible par travailleur.

Ces développements finiraient par peser sur les revenus du travail. En fin de compte, la charge fiscale supplémentaire serait supportée par des acteurs économiques tels que les salariés, que l'augmentation de l'imposition du revenu du capital ne concerne pas directement.

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Chiffres: OFS (2019) Comptes nationaux. Calculs de l'AFC

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4.3.4

Le revenu du capital est très sensible aux variations de l'imposition

Le montant des fortunes imposables est très sensible aux variations de l'imposition.

Des estimations fondées sur des chiffres cantonaux révèlent qu'une diminution de 1 point de pourcentage des taux d'imposition fait augmenter le montant des fortunes déclarées d'au moins 43 % sur une période de six ans63. Selon cette étude, les fortunes réagissent de manière disproportionnée en cas de grosse modification de la charge fiscale. Cette sensibilité s'explique par les facteurs suivants: ­

réduction des fortunes par l'impôt lui-même (effet «mécanique»);

­

arrivée ou départ de contribuables fortunés (mobilité);

­

modification de la constitution des fortunes par l'augmentation ou la diminution du travail et par le comportement en matière d'épargne;

­

modification des prix de l'immobilier (capitalisation des impôts sur la fortune dans les prix de l'immobilier);

­

optimisation fiscale (transfert vers des éléments de fortune moins taxés);

­

soustraction d'impôt (non-déclaration d'éléments de fortune).

L'étude aboutit aux conclusions suivantes quant à l'importance relative de ces facteurs. Environ 6 % de la sensibilité aux variations de l'imposition s'expliquent par les changements de comportement en matière d'épargne et l'effet «mécanique» correspondant. Un quart tient à la mobilité des contribuables, et un cinquième à la capitalisation des impôts sur la fortune dans les prix de l'immobilier. La moitié restante, soit la part la plus importante, dépend des variations du montant des placements financiers imposables, sans que les auteurs de l'étude s'en expliquent la raison. Ils supposent que ce sont surtout les variations du volume soustrait aux impôts par les contribuables liés à un lieu par suite de l'augmentation ou de la réduction des impôts sur la fortune qui constituent une explication plausible.

Autre motif possible: l'optimisation fiscale, c'est-à-dire les moyens légaux d'éviter l'imposition. Il n'est donc pas possible de déterminer dans quelle mesure la sensibilité des placements financiers aux variations de l'imposition est liée à des comportements illégaux ou légaux.

Les estimations à ce sujet montrent que le revenu du capital réagit plus vivement à l'imposition que le revenu du travail. Bien que fortune et revenu du capital soient étroitement liés, ils ne présentent pas la même sensibilité vis-à-vis de l'imposition.

Par exemple, la part de sensibilité qui est liée aux variations des prix de l'immobilier ne se répercute pas, du moins pas à court ni à moyen termes, sur les revenus du capital.

Quant à l'estimation de la sensibilité du revenu du capital, il faut prendre en considération des stratégies supplémentaires d'évitement qui interviennent surtout quand un actionnaire détenant des participations importantes est en même temps salarié de son 63

Cf. Brülhart, M., Gruber, J., Krapf, M. et Schmidheiny, K. (2019) Behavioral Responses to Wealth Taxes: Evidence from Switzerland. Centre for Economic Policy Research. Discussion Paper DP14054.

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entreprise (p. ex. entreprises familiales). Dans une telle configuration, l'imposition accrue du revenu du capital incite les actionnaires à faire passer leur revenu par d'autres canaux, par exemple: ­

des rémunérations plus élevées et dépendant davantage des résultats;

­

des prestations annexes telles qu'une voiture de fonction;

­

la consommation privée, qui sera déclarée sous forme de frais professionnels.

­

Si la loi limite ce genre de stratégie, elle laisse néanmoins une certaine marge de manoeuvre en matière d'optimisation fiscale.

­

Le revenu du capital étant très sensible à l'imposition, l'alourdissement de la charge fiscale n'entraînera sûrement pas les recettes supplémentaires escomptées par les auteurs de l'initiative. Selon l'ampleur de cette sensibilité, les recettes supplémentaires pourraient être nettement inférieures, voire négatives si la sensibilité est plus forte que prévu.

4.3.5

Accroissement de la redistribution décorrélé des besoins

L'initiative veut que les recettes supplémentaires qui découleront de l'imposition d'une part du revenu du capital à hauteur de 150 % au lieu de 100 % soient affectées à une réduction de l'imposition des personnes disposant de petits ou moyens revenus du travail ou à des paiements de transfert en faveur de la prospérité sociale. Il faut s'attendre à ce que le montant à redistribuer se révèle très volatil au fil du temps, et qu'il reste difficile à prévoir même après la mise en oeuvre de l'initiative. Pour mettre en oeuvre l'initiative, il faudrait savoir si les recettes supplémentaires doivent être directement affectées à l'allégement de la charge fiscale des petits et moyens revenus ou aux dépenses sociales. Dans ce cas, la volatilité et l'imprévisibilité des recettes fiscales découlant du revenu du capital se répercuteraient encore plus directement sur le volume de redistribution supplémentaire. Et indépendamment de cela, on déclencherait ainsi une redistribution supplémentaire qui dépendrait de recettes fiscales incertaines et très variables, et non d'une réflexion sur les besoins.

4.4

Compatibilité avec les obligations internationales de la Suisse

Le but de l'initiative est compatible avec les obligations internationales de la Suisse.

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5

Conclusions

Le Conseil fédéral propose aux Chambres fédérales de soumettre l'initiative populaire «Alléger les impôts sur les salaires, imposer équitablement le capital» au vote du peuple et des cantons, en leur recommandant de la rejeter. Sa décision se fonde sur les arguments suivants: ­

En Suisse, les revenus du marché sont répartis uniformément par rapport au reste du monde. Les besoins en matière de redistribution y sont donc plus faibles que dans d'autres pays.

­

Une redistribution a d'ores et déjà lieu par l'intermédiaire de plusieurs canaux, au niveau des recettes et surtout des dépenses. Ses modalités et son ampleur reposent sur des décisions prises démocratiquement au niveau de la Confédération, des cantons et des communes.

­

Les auteurs de l'initiative envisagent, pour réduire les inégalités de revenu, un instrument trop peu précis car l'augmentation de l'imposition qu'ils proposent se fonde essentiellement sur la nature des revenus et non sur leur montant.

­

Cette augmentation réduirait l'attrait de la Suisse pour les personnes dont le capital génère un revenu élevé, aurait des effets négatifs sur les incitations à constituer une fortune et, partant, diminuerait à moyen terme le capital économiquement disponible par travailleur, au détriment notamment des salariés. De plus, elle échouerait à entraîner la hausse de recettes escomptée par les auteurs de l'initiative car le revenu du capital est très sensible aux variations de l'imposition. L'initiative manquerait donc son objectif de redistribution.

­

L'affectation envisagée d'une partie des recettes fiscales issues du revenu du capital provoquerait un accroissement du volume de redistribution décorrélé des besoins.

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