Cautionnements solidaires de la flotte suisse de haute mer par la Confédération: enquête sur la procédure de vente des navires de SCL et SCT Rapport de la Délégation des finances des Chambres fédérales du 27 juin 2019

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Condensé Depuis la Seconde Guerre mondiale, la Suisse dispose d'une flotte battant son propre pavillon. Afin de pouvoir faire face à une menace de guerre, à une autre manifestation de force ou à une grave pénurie, l'organisation de l'approvisionnement économique du pays peut réquisitionner les navires de la flotte suisse de haute mer pour qu'ils soient affrétés. L'acquisition de navires suisses de haute mer est donc aussi soutenue par la Confédération, qui octroie depuis 1959 des cautionnements aux armateurs suisses, sous la forme de cautionnements solidaires depuis 1992.

La crise économique et financière de 2008 s'est étendue à la marine marchande internationale. Bon nombre d'entreprises de par le monde n'y ont pas survécu. La crise maritime a aussi touché, à divers degrés, les navires d'armateurs suisses bénéficiant de cautionnements solidaires. Les compagnies maritimes de Swiss Cargo Line Reederei AG (SCL) et Swiss Chemical Tankers AG (SCT), qui bénéficiaient de cautionnements solidaires, ont été particulièrement atteintes par les effets de cette crise. Malgré toutes les mesures d'assainissement, les douze navires des groupes SCL et SCT ont finalement dû être vendus et les compagnies maritimes, liquidées.

Les banques ont ensuite sollicité les cautionnements. En mai 2017, le Parlement a voté un crédit supplémentaire de 215 millions de francs afin d'honorer les cautionnements solidaires et de liquider les compagnies concernées.

Dans le cadre de ses attributions de haute surveillance financière concomitante, la Délégation des finances des Chambres fédérales (DélFin) s'intéresse depuis l'été 2015 aux engagements de la Confédération concernant les cautionnements de navires de haute mer, soit depuis qu'elle a été informée par le DEFR de la grave crise de liquidités que traversaient les groupes SCL et SCT (cf. historique des principaux événements de 2015 à 2019, annexe 3). Le 12 avril 2018, la DélFin a décidé d'ouvrir une enquête en vue de faire toute la lumière sur le processus de vente des navires des groupes SCL et SCT, et d'en tirer des enseignements pour d'éventuels processus de vente à venir. Elle a alors prié le Contrôle fédéral des finances (CDF) de l'assister dans la recherche d'informations et dans l'analyse de certaines questions spécifiques. Le CDF a accepté ce mandat spécial et remis
son rapport d'audit à la DélFin le 8 août 2018. Se fondant sur les constatations du CDF, la DélFin a réalisé toute une série d'auditions de novembre 2018 à mai 2019. Ont notamment été entendus les chefs du DEFR, du DFF et du DFAE, des collaborateurs de ces départements, des experts externes de la Confédération et des représentants des compagnies de SCL et SCT. La DélFin a par ailleurs demandé des documents ainsi que des renseignements écrits à différents services fédéraux ou personnes externes.

Elle a encore consulté, lorsque ceci s'est révélé nécessaire, d'autres dossiers auprès des services fédéraux en question.

La DélFin a adopté son rapport d'enquête à l'intention du Conseil fédéral lors de sa séance du 27 juin 2019; elle a décidé de le publier. Le Conseil fédéral est invité à se prononcer d'ici au 13 septembre 2019 sur les résultats de l'enquête et sur les recommandations de la DélFin. Celles-ci figurent dans l'annexe 4.

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Principaux enseignements La sollicitation des cautionnements de la Confédération en 2017 a provoqué un dommage de 204 millions de francs au total pour les finances fédérales (cf. chap. 2.11). La DélFin parvient à la conclusion que le chef du DEFR a agi correctement à l'été 2015, en décidant, dès qu'il a eu connaissance des problèmes de liquidités concernant les navires des groupes SCL et SCT, d'adopter une stratégie de limitation des pertes (cf. chap. 2.1). C'est ce qui a permis de réduire, d'un montant de 30 à 40 millions de francs, les pertes pour le budget de la Confédération.

La gestion de la crise a exigé un engagement particulier de la part des représentants de la Confédération impliqués. La DélFin estime que l'organisation de crise mise sur pied par le chef du DEFR en 2015, après qu'il eut appris l'existence des problèmes de liquidités des groupes SCL et SCT, et placée sous la direction de son secrétaire général a contribué à limiter les pertes financières subies par la Confédération jusqu'à la conclusion du processus de vente (cf. chap. 2.6). La désignation d'un liquidateur à l'été 2017, avec le remplacement de la direction et le départ du propriétaire en tant qu'organe des compagnies qui se sont ensuivis, a aussi eu, du point de vue de la Confédération, un effet positif et stabilisateur sur tout le processus (cf. chap. 2.8).

Les investigations de la DélFin ont révélé que les services de la Confédération impliqués étaient parvenus à créer, lors du processus de vente, une situation concurrentielle entre les acheteurs intéressés. Outre la vente en bloc des navires, qui était la solution préconisée, un plan B avait été soigneusement préparé. A l'avenir, il est essentiel que la Confédération ne se limite pas à une solution, mais prévoie des variantes et pose les jalons nécessaires à leur finalisation (cf. chap. 2.4). Dans le cas faisant l'objet du présent rapport, la DélFin constate que différentes options ont été examinées afin de définir le scénario idéal. Le choix de la «vente de gré à gré» est compréhensible. Dans la perspective de cas similaires pouvant survenir à l'avenir, il y a toutefois lieu, selon la DélFin, d'examiner dans quelle mesure d'autres solutions, telles qu'une faillite ou un sursis concordataire (éventuellement avec une société supplétive), pourraient constituer des
options alternatives permettant de réduire les pertes pour la Confédération, voire de les éviter complètement (cf. chap. 2.2).

La fuite d'informations de janvier 2017 a eu un effet clairement négatif sur le déroulement de la vente des navires des groupes SCL et SCT. La DélFin regrette vivement la publication d'un article consacré aux difficultés économiques des compagnies concernées, lequel a eu une incidence négative sur le montant des offres d'achat en particulier. Elle considère qu'il est urgent de prendre des mesures par rapport aux indiscrétions qui émanent du Conseil fédéral ou de l'administration fédérale. Aussi la délégation invite-t-elle le Conseil fédéral à adopter sans retard des mesures visant à permettre au gouvernement d'examiner les affaires de l'Etat classifiées confidentielles ou secrètes sans que l'opinion publique en ait été informée en amont, soit avant leur traitement par le Conseil fédéral ou avant la communication médiatique planifiée par le Conseil fédéral (cf. chap. 2.4 et 2.10).

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L'enquête de la DélFin a montré que les navires n'avaient pas été vendus au meilleur moment du point de vue financier, étant donné que les prix du marché étaient plutôt bas en mai 2017 (cf. chap. 2.4). Toutefois, la marge de manoeuvre pour fixer le moment de la vente était considérablement restreinte à cause de facteurs exogènes: d'une part, les pertes monumentales enregistrées par les compagnies de SCL et SCT ­ jusqu'à un million de dollars par mois ­ ne permettaient pas de reporter le processus de vente (cf. chap. 2.3); d'autre part, personne n'est à même de prévoir avec exactitude l'évolution des marchés extrêmement volatils, comme celui des navires de haute mer (cf. chap. 2.4).

La collaboration entre les représentants des compagnies et ceux de la Confédération s'est révélée par moments difficile, chaque partie défendant évidemment des intérêts divergents (cf. chap. 2.9). A cet égard, il est indispensable que la confiance règne entre les participants à une telle opération.

En ce qui concerne le recours à des prestations de conseil externes, la DélFin recommande au Conseil fédéral de prendre des mesures visant à éviter désormais, en principe, des augmentations successives du plafond des coûts au moyen d'adjudications de gré à gré ­ notamment en situation de crise (cf. chap. 2.7).

Pour ce qui est des contrats de vente conclus, la DélFin se félicite qu'une configuration des contrats favorable du point de vue des intérêts financiers de la Confédération ait pu être trouvée lors de la vente en bloc des navires grâce à la combinaison des droits suisse et anglais. En l'absence d'une jurisprudence claire, il est toutefois important que la Confédération se penche de manière approfondie, dans la perspective de cas similaires pouvant survenir à l'avenir, sur la question de savoir si l'élection de droit partielle dans les contrats de vente de navires de haute mer est susceptible d'être acceptée par des tribunaux suisses (cf. chap. 2.5).

Enfin, la DélFin recommande au Conseil fédéral de ne plus utiliser l'instrument du cautionnement solidaire. Il convient de se pencher sur les cautionnements solidaires existants et, si possible, de les convertir en cautionnements simples.

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Table des matières Condensé

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1

Introduction 1.1 Contexte 1.1.1 Politique d'approvisionnement de la Confédération et encouragement de la navigation maritime 1.1.2 La crise mondiale de la navigation maritime et ses incidences 1.1.3 Développement de la flotte suisse de haute mer 1.1.4 L'instrument du cautionnement solidaire 1.1.5 Brève rétrospective depuis juin 2015 1.1.6 Haute surveillance et ouverture d'une enquête par la Délégation des finances 1.2 Objet de l'enquête 1.3 Structure juridique et situation financière des compagnies de SCL et SCT 5962 1.4 Méthodologie

5949 5949

Procédure de vente des navires de haute mer 2.1 Priorité de la Confédération: la limitation des dommages financiers 2.1.1 Rappel des faits 2.1.2 Appréciation 2.2 Stratégie de liquidation et examen des différentes options envisageables 2.2.1 Rappel des faits 2.2.2 Appréciation 2.3 Critères d'analyse des offres présentées 2.3.1 Rappel des faits 2.3.2 Appréciation 2.4 Offres et prix de vente 2.4.1 Rappel des faits 2.4.2 Appréciation 2.5 Contrats de vente conclus 2.5.1 Rappel des faits 2.5.2 Appréciation 2.6 Répartition des tâches entre les services de la Confédération impliqués dans le processus de vente et recours à des acteurs externes 2.6.1 Rappel des faits 2.6.2 Appréciation 2.7 Recours à des prestations de conseil externes 2.7.1 Rappel des faits

5969

2

5949 5951 5953 5954 5957 5959 5960

5967

5969 5969 5971 5972 5972 5979 5981 5981 5985 5986 5986 5992 5996 5996 6001

6004 6004 6015 6018 6018 5947

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2.7.2 Appréciation Liquidation des compagnies de SCL et SCT 2.8.1 Rappel des faits 2.8.2 Appréciation 2.9 Collaboration entre les services de la Confédération concernés et les représentants des compagnies maritimes 2.9.1 Rappel des faits 2.9.2 Appréciation 2.10 Stratégie de communication de la Confédération 2.10.1 Rappel des faits 2.10.2 Appréciation 2.11 Des dommages financiers pour la Confédération 2.11.1 Rappel des faits 2.11.2 Appréciation

6031 6034 6034 6037

Enseignements et conclusions de la DélFin

6054

2.8

3

6039 6039 6045 6045 6045 6047 6049 6049 6053

Liste des abréviations

6060

Annexe 1: Liste des personnes auditionnées

6061

Annexe 2: Collaborateurs du secrétariat de la DélFin ayant participé à l'enquête et à la rédaction du rapport

6062

Annexe 3: Historique des principaux événements (2015 ­ 2019)

6063

Annexe 4: Liste des recommandations

6066

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Rapport 1

Introduction

1.1

Contexte

1.1.1

Politique d'approvisionnement de la Confédération et encouragement de la navigation maritime

Selon l'art. 102 de la Constitution (Cst.; RS 101), la Confédération est tenue d'assurer l'approvisionnement du pays en biens et services de première nécessité afin de pouvoir faire face à une menace de guerre, à une autre manifestation de force ou à une grave pénurie à laquelle l'économie n'est pas en mesure de remédier par ses propres moyens. L'art. 27 de la loi sur l'approvisionnement du pays (LAP; RS 531) concrétise le mandat constitutionnel d'approvisionnement économique du pays pour ce qui est de la garantie des moyens de transport. Il prévoit que le Conseil fédéral prend les mesures nécessaires pour garantir un nombre suffisant de moyens de transport (y compris maritimes) et maintenir ouvertes les voies de transport. Les navires de la flotte suisse de haute mer peuvent être réquisitionnés en cas de besoin par l'organisation de l'approvisionnement économique du pays pour être affrétés. En application de cet instrument, utilisé en ultime recours, le propriétaire du navire est obligé de mettre son moyen de transport au service de l'approvisionnement économique du pays et de transporter des biens vitaux pour l'approvisionnement du pays.

La Confédération n'assume alors aucune responsabilité entrepreneuriale, mais laisse les entreprises poursuivre leurs activités1.

Le transport maritime international est un pilier du commerce mondial: environ 90 % de tous les biens produits dans le monde sont transportés au moins une fois par voie maritime2. Outre les matières premières utilisées par l'industrie, les céréales et les marchandises en vrac, les biens industriels de consommation courante sont de plus en plus souvent transportés par navires de haute mer. D'une manière générale, la navigation maritime a donc une grande importance pour le commerce suprarégional3.

La Suisse s'est dotée d'une flotte de haute mer au cours de la Seconde Guerre mondiale. Se fondant sur le droit d'urgence, le Conseil fédéral a créé le 9 avril 1941, par voie d'arrêté, les bases juridiques d'une flotte marchande suisse afin de garantir les importations par la mer. La même année, la Confédération s'est improvisée armateur en faisant l'acquisition de quatre navires afin de garantir l'approvisionnement de la Suisse en biens importants. Elle a ensuite revendu ses quatre navires à des armateurs privés suisses en 1947. Ainsi, la flotte marchande suisse et le trafic maritime pas1 2

3

Cf. message du Conseil fédéral du 3.9.2014 concernant la révision totale de la loi sur l'approvisionnement du pays (objet no 14.067), FF 2014 6859 6890.

Cf. Ministère des Affaires étrangères de la République fédérale d'Allemagne, en allemand (www.auswaertiges-amt.de > Aussen- und Europapolitik > Themen > Aussenwirtschaft > Verkehr und Tourismus > Internationaler Seeverkehr) [consulté le 27.6.2019].

Cf. rapport du DEFR de décembre 2016 sur l'importance de la navigation maritime pour la politique d'approvisionnement, p. 8.

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saient entièrement en mains privées4. Entre 1948 et 1959, la Confédération octroyait des prêts à taux préférentiel pour financer la flotte maritime. Depuis 1959, l'encouragement fédéral de la flotte maritime, à savoir l'aide à l'acquisition de navires suisses de haute mer dans l'intérêt de l'approvisionnement économique du pays, prend exclusivement la forme de cautionnements de la Confédération. Ce pas a été fait dans le but de garantir l'approvisionnement et la sécurité du pays, et a permis aux armateurs suisses de financer des navires à des conditions très avantageuses. A partir des années 1990, la participation de la Confédération au financement des navires de haute mer par le biais de cautionnements a davantage tenu compte de l'importance du transport maritime pour le secteur tertiaire et la place industrielle suisses5.

Le soutien de la flotte suisse de haute mer par la Confédération est régi par l'art. 27 LAP, comme cela a été mentionné plus haut, ainsi que par l'ordonnance sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de haute mer (RS 531.44), qui a été révisée à plusieurs reprises depuis 1983. C'est sur cette base que différents arrêtés du Conseil fédéral et arrêtés fédéraux ont été adoptés entre 1959 et 2008 en vue de financer et de garantir un nombre suffisant de navires de haute mer battant pavillon suisse. Par arrêté fédéral du 3 mars 2008 sur le renouvellement d'un créditcadre de cautionnement visant à garantir un nombre suffisant de navires de haute mer battant pavillon suisse6, le Parlement a accepté de relever le crédit-cadre de 500 millions de francs, à 1,1 milliard de francs, et de prolonger de 5 ans la durée du crédit-cadre, soit jusqu'en juin 2017.

Le 18 décembre 2015, le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche (DEFR) d'examiner de près, avec les milieux économiques et pour la fin de 2016, la politique de la Confédération en matière de navires en tenant compte des besoins en matière d'approvisionnement 7.

Le rapport du DEFR de décembre 2016 conclut que l'importance de la navigation maritime pour garantir la sécurité d'approvisionnement de la Suisse doit être relativisée. Il relève que ce n'est pas tant la navigation maritime que le transbordement aux terminaux des ports et le transport depuis les ports
de destination européens jusqu'en Suisse qui sont les éléments les plus vulnérables du processus logistique. Il ressort également du rapport que du fait des surcapacités de la flotte suisse de haute mer, la Confédération n'a pas besoin d'encourager davantage la navigation maritime dans un avenir proche pour garantir l'approvisionnement du pays en cas de crise8.

4 5

6 7

8

Cf. message du 19.8.1981 à l'appui d'un arrêté fédéral ouvrant un crédit-cadre visant à assurer le maintien de la flotte maritime suisse (objet no 81.048), FF 1981 III 347, p. 349.

Cf. message du 16.5.2017 concernant un crédit supplémentaire destiné à honorer des cautionnements de la Confédération au moyen du crédit-cadre en vue de garantir une flotte suffisante de navires de haute mer battant pavillon suisse (objet n o 17.007), p. 9 [ciaprès: message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007)].

Cf. arrêté fédéral du 3 mars 2008, FF 2008 2267.

Cf. arrêté du Conseil fédéral du 18.12.2015, «Bericht über die Politik zur Sicherstellung eines ausreichenden Bestandes an Hochseeschiffen unter Schweizer Flagge und die Überprüfung des Instruments der Bürgschaft zur Finanzierung schweizerischer Hochseeschiffe».

Cf. rapport du DEFR de décembre 2016 sur l'importance de la navigation maritime pour la politique d'approvisionnement.

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Au vu de l'analyse du DEFR, le Conseil fédéral a décidé, le 21 décembre 2016, de ne pas proposer à l'Assemblée fédérale de renouveler le crédit-cadre de cautionnement, qui arrivait à échéance en juin 2017, sachant que les cautionnements en cours seraient honorés9. En d'autres termes, depuis juillet 2017, il n'est plus possible de bénéficier d'un cautionnement de la Confédération pour financer de nouveaux navires. Les derniers cautionnements arriveront à échéance en 2032.

1.1.2

La crise mondiale de la navigation maritime et ses incidences10

Au début des années 2000, le besoin en tonnage s'est fortement accru à la suite de l'ouverture du marché chinois, notamment. A l'époque, la navigation maritime était en plein essor: les navires généraient des chiffres d'affaires de loin supérieurs aux coûts d'exploitation et aux intérêts sur les emprunts, et les investisseurs pouvaient, eux aussi, s'attendre à des distributions de bénéfices élevées. La perspective d'un marché qui allait continuer de croître a incité à passer un grand nombre de commandes de nouveaux navires11.

Cet élan a été stoppé net par la crise financière de 2008: la surcapacité de tonnage régnant alors a rencontré une baisse de la demande. Cette crise ­ la plus grave du passé récent ­ a aussi frappé de plein fouet la marine marchande internationale, et perdure encore. Bon nombre d'entreprises de par le monde n'y ont pas survécu, à l'instar de Hanjin Shipping, une société sud-coréenne qui, au moment de sa faillite en février 2017, était considérée comme l'un des plus grands armateurs mondiaux.

Le recul considérable de la demande de tonnage combiné à l'offre excédentaire de navires sur le marché a induit une baisse marquée des taux d'affrètement dans tous les segments de navires. Forts des expériences qu'ils avaient faites par le passé lorsque, temporairement, les marchés évoluaient négativement, bon nombre d'acteurs escomptaient néanmoins un redressement assez rapide. Les mesures d'assainissement structurel qui s'imposaient ont donc souvent été ajournées.

L'indice phare pour le marché de la navigation de haute mer, le Baltic Dry Index12, qui avait atteint en mai 2008 son plus haut avec 11 793 points, n'affichait plus que 290 points en février 2016, soit son niveau le plus bas depuis sa création en 1985. Ce n'est qu'alors que l'on a constaté un recul notable de la construction de navires et la 9 10

11 12

Cf. communiqué de presse du Conseil fédéral du 21.12.2016, «Le Conseil fédéral ne renouvellera pas le crédit-cadre pour la promotion de la flotte suisse de haute mer».

La crise des cautionnements, qui a finalement mené à la liquidation des sociétés de SCL et SCT, est peut-être imputable non seulement à la crise mondiale qui a sévi dans le secteur de la navigation maritime, mais aussi à des facteurs tels que des problèmes de gouvernance à la Confédération ou la gestion des sociétés. L'enquête de la DélFin n'a pas porté sur la recherche des causes de la crise (chap. 1.2). Par conséquent, la DélFin se contente de fournir des indications sur les facteurs exogènes (crise mondiale de la navigation maritime).

Cf. ici et par la suite: message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007), ch. 12.

Le Baltic Dry Index est un indice de référence pour l'affrètement des principales marchandises de par le monde sur les routes standard (notamment le charbon, le minerai de fer et les céréales).

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démolition accrue de bâtiments vétustes, ce qui a permis aux taux d'affrètement de se redresser quelque peu au cours de l'année 2017. Cette tendance s'est maintenue en 2018. Fin 2018 / début 2019, les taux d'affrètement se sont toutefois de nouveau effondrés.

Figure 1 Evolution du Baltic Dry Index (de janvier 2000 à mai 2019)

Source: Bloomberg, Baltic Dry Index, état au 31 mai 2019

La crise de la navigation maritime a également touché à divers degrés les navires de haute mer des armateurs et sociétés maritimes suisses au bénéfice d'un cautionnement de la Confédération. Au début de la crise, dans l'espoir d'une reprise rapide et avec l'accord de l'Office fédéral de l'approvisionnement économique (OFAE), chargé de l'octroi et du suivi des cautionnements de la Confédération, les armateurs suisses ont pu juguler leurs problèmes financiers grâce à la suspension des remboursements des amortissements dus (sursis de paiement) et aux refinancements. Mais les taux de fret et d'affrètement demeurant bas, certaines compagnies maritimes ont rencontré des problèmes de liquidités à partir de 2015, qui se sont exacerbés en 2016. Les compagnies maritimes de Swiss Cargo Line Reederei AG (SCL) et Swiss Chemical Tankers AG (SCT), notamment, ont été fortement touchées.

La Confédération devant s'attendre à des sollicitations de cautionnements, elle a, pour la première fois, constitué des provisions pour la flotte suisse de haute mer dans le compte d'État 2016, et ce à hauteur de 215 millions de francs13. En mai 2017, pour honorer le cautionnement de 12 navires suisses des compagnies maritimes SCL et SCT, le Conseil fédéral a finalement demandé au Parlement un crédit supplémentaire de 215 millions de francs. Ce montant tenait compte du produit escompté de la vente des navires, estimé à quelque 70 millions de dollars14. Le Parlement a approuvé le crédit le 31 mai 201715. Deux navires ont été vendus à l'armateur turc Tango Shipping, les 10 autres à l'entreprise canadienne Groupe Mach Inc. (ci-après Mach).

Le marché de la navigation maritime ne s'est toujours pas remis de la crise amorcée en 2008. En tant que garante, la Confédération reste exposée à d'importants 13

14 15

Cf. message du 22.3.2017 concernant le compte d'Etat de la Confédération suisse pour l'année 2016 (objet no 17.003), Tome 2B (Unités administratives ­ Exposés des motifs), p. 299.

Produit réel: 71,6 millions de dollars.

Cf. arrêté fédéral du 15.6.2017, FF 2017 4165.

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risques financiers. Dans le cadre du compte d'Etat 2017, de nouvelles provisions ont été constituées, à hauteur de 100 millions de francs, pour couvrir d'éventuelles autres sollicitations de cautionnements16.

1.1.3

Développement de la flotte suisse de haute mer

La flotte maritime suisse a été graduellement développée au fil des décennies, un développement encouragé de manière ciblée durant les années 1990 et 2000. D'une part, à partir de 1992, la Confédération a octroyé des cautionnements à des conditions souples en introduisant le cautionnement solidaire et en portant à 85 % le montant maximal cautionné (au lieu de 70 %) des coûts de construction ou d'acquisition en sus d'un éventuel intérêt annuel17. D'autre part, le Parlement a successivement augmenté le crédit-cadre de cautionnement: de 350 millions de francs en 199218, il l'a relevé à 600 millions en 199719, puis à 1,1 milliard de francs en 200820.

Ces augmentations n'étaient plus seulement motivées sous l'angle de la sécurité et de l'approvisionnement économiques du pays: l'argument avancé pour l'encouragement ciblé d'une propre flotte marchande performante était le soutien de canaux de distribution sûrs pour les biens industriels suisses afin de pouvoir soutenir la concurrence internationale à l'ère de la mondialisation21.

Tableau 1 Evolution de la flotte entre 1971 et 2018 (uniquement les navires financés par un cautionnement de la Confédération) 1971

1980

1991

2001

2007

2010

201522

2016

2018

Nombre de navires

32

31

23

24

31

35

43

47

28

Tonnage (milliers de tpl)

316

457

637

887

886

1014

1285

1565

1152

16

17 18 19 20 21

22

Cf. message du 16.3.2018 concernant le compte d'Etat de la Confédération suisse pour l'année 2017 (objet no 8.003), Tome 2B (Compte d'Etat des unités administratives DFF, DEFR, DETEC), p. 211.

Cf. explications concernant l'instrument du cautionnement solidaire au ch. suivant.

Cf. arrêté fédéral du 4.6.1992, FF 1992 III 976.

Cf. arrêté fédéral du 7.10.1997, FF 1997 IV 752.

Cf. arrêté fédéral du 3.3.2008, FF 2008 2267.

Cf. message du Conseil fédéral du 27.6.2007 relatif à la modification de l'arrêté fédéral sur un crédit-cadre pour cautionnement visant à garantir un nombre suffisant de navires de haute mer battant pavillon suisse (objet no 07.059), FF 2007 4949, ch. 1.3.3 et 1.3.4, p. 4955 s.

Les chiffres figurant dans le tableau 1 sont principalement des données fournies pour la fin de l'année. Les chiffres concernant 2015 ont été relevés le jour où la crise du cautionnement a éclaté (jour de référence: 30.6.2015).

5953

FF 2020

1971

1980

1991

2001

2007

2010

201522

2016

2018

Montant du crédit-cadre 250 (en mio de francs)

300

350

600

1100

1100

1100

1100

023

ND24

ND

488

569

582

672

794

510

Emprunts cautionnés (en mio de francs)

3

Source: tableau établi par la Délégation des finances des Chambres fédérales (DélFin) le 27 juin 2019 sur la base du rapport du DEFR de décembre 2016 sur l'importance de la navigation maritime pour la politique d'approvisionnement et du rapport complémentaire du DEFR du 14 juin 2019 à l'intention de la DélFin.

Directement après le début de la crise ayant secoué les compagnies maritimes de SCL et SCT, le chef du DEFR a stoppé l'octroi de cautionnements pour les navires de haute mer. A partir de l'été 2015, des cautionnements ont été accordés uniquement dans des cas exceptionnels, à savoir lorsqu'une demande de cautionnement avait été approuvée avant la construction du navire ou dans le cadre du transfert du cautionnement d'un navire à la suite de mesures d'assainissement; leur montant s'élève à 162,6 millions de francs au total25.

Comme il est indiqué plus haut, le Conseil fédéral a décidé fin 2016 de ne pas proposer au Parlement le renouvellement du crédit-cadre de cautionnement en 2017. A l'avenir, il sera procédé régulièrement à une analyse des besoins en matière de transports maritimes pour notre politique d'approvisionnement. La prochaine analyse approfondie doit intervenir au plus tard en 2021. D'ici là, on peut partir du principe que les capacités de la flotte suisse de haute mer devraient suffire. Si les conditions venaient à radicalement changer dans l'intervalle, il appartiendrait à l'Approvisionnement économique du pays (AEP) et au DEFR d'évaluer les mesures qui s'imposent26.

1.1.4

L'instrument du cautionnement solidaire

Les cautionnements peuvent jouer un rôle important là où l'Etat a intérêt à confier à des acteurs privés certaines activités économiques parce qu'il ne peut les effectuer lui-même. Les cautionnements constituent un instrument classique de garantie du financement. En signant un contrat de cautionnement conformément à l'ordonnance sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de haute mer (RS 531.44), la Confédération s'engage, pour une certaine durée maximale, auprès du créancier ­ en règle générale une banque ­ à rembourser la dette du débiteur

23 24 25 26

Echéance du crédit-cadre pour les cautionnements à fin 2017.

Il n'a pas été possible de déterminer le montant exact des montants cautionnés en 1980 et en 1991.

Cf. avis de l'administration du 11.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

Cf. arrêté fédéral du 21.12.2016, «garantir une flotte suffisante de navires de haute mer battant pavillon suisse».

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principal27. Les dispositions des art. 492 ss. du code des obligations (CO; RS 220) s'appliquent par analogie comme droit public supplétif (art. 8, al. 7, de l'ordonnance sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de haute mer).

La Confédération fournit des cautionnements pour le financement des navires de haute mer depuis 1959 dans le cadre de l'approvisionnement économique du pays.

Jusqu'en 1992, elle signait avec les créanciers des contrats de cautionnement simple conformément à l'art. 495 CO, qui s'applique par analogie. Le cautionnement simple implique une responsabilité subsidiaire du garant, ce qui signifie que celui-ci peut être poursuivi, en particulier lorsque le débiteur principal a été déclaré en faillite ou a obtenu un sursis concordataire.

Dans son message du 6 novembre 1991, le Conseil fédéral souligne que la forme de cautionnement utilisée jusque-là a considérablement perdu de son attrait «face aux avantages considérables que les autres pays accordent à leurs armateurs». Une importante amélioration, à savoir un intérêt plus favorable à l'armateur, pourrait être obtenue si la Confédération, outre le cautionnement simple, offrait aussi un cautionnement solidaire. Dans ce cas, conformément à l'art. 496, al. 1, CO, qui s'applique par analogie, le créancier du prêt pourrait exiger de la Confédération, en tant que caution solidaire, le remboursement du prêt sans que le gage ait dû être réalisé préalablement, à condition que le débiteur principal soit en retard dans le paiement de sa dette et qu'il ait été sommé en vain de s'acquitter ou que son insolvabilité soit notoire. A l'époque, le Conseil fédéral estimait qu'une telle offre pourrait intéresser principalement les bailleurs de fonds provenant de milieux non bancaires, qui craignent en général les longues procédures de faillite ou en réalisation de gage 28. Au final, le Conseil fédéral a inscrit l'instrument du cautionnement solidaire dans une ordonnance en 199229.

Dans son message du 19 février 1997, le Conseil fédéral a souligné l'importance du passage du cautionnement simple au cautionnement solidaire, qui a provoqué une baisse sensible du taux d'intérêt et rendu les conditions nettement plus attrayantes30.

Dans son message du 7 novembre 2001, il a qualifié le programme de cautionnement de 1992 de «succès
sur toute la ligne». En l'occurrence, l'octroi de cautionnements solidaires au lieu d'un cautionnement simple a constitué un élément clé, cette forme de cautionnement ayant entraîné une nette baisse des taux d'intérêt par rapport aux programmes antérieurs31. Dans son message du 27 juin 2007, pour la pre27

28

29 30

31

Cf. arrêté du Conseil fédéral du 18.12.2015, «Bericht über die Politik zur Sicherstellung eines ausreichenden Bestandes an Hochseeschiffen unter Schweizer Flagge und die Überprüfung des Instruments der Bürgschaft zur Finanzierung schweizerischer Hochseeschiffe», proposition du DEFR du 16.12.2015, p. 3.

Cf. message du Conseil fédéral du 6.11.1991 à l'appui d'un arrêté fédéral ouvrant un crédit-cadre pour cautionnement visant à assurer un effectif suffisant de navires de haute mer battant pavillon suisse (objet no 91.072), FF 1992 I 1, ch. 251, p. 13 ss.

Cf. ordonnance du 24.6.1992 sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de haute mer, RS 531.44.

Cf. message du Conseil fédéral du 19.2.1997 concernant la modification de l'arrêté fédéral ouvrant un crédit-cadre pour cautionnement visant à assurer un effectif suffisant de navires de haute mer battant pavillon suisse, FF 1997 III 213, ch. 242. p. 221.

Cf. message du Conseil fédéral du 7.11.2001 concernant l'arrêté fédéral renouvelant l'ouverture du crédit-cadre pour cautionnement visant à garantir un nombre suffisant de navires de haute mer battant pavillon suisse, FF 2002 884, ch. 2.4.1, p. 896.

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mière fois, le Conseil fédéral ne renvoie pas aux risques de responsabilité accrus relatifs à l'instrument du cautionnement solidaire (cf. art. 496 CO). Il se cantonne à des explications générales sur l'évolution du risque lié aux compagnies maritimes, lesquelles s'avèrent très intéressantes puisque la Confédération «n'a jamais subi de perte [...] depuis qu'elle s'est engagée en 1959». A l'heure actuelle, aucun des prêts cautionnés n'est menacé. Si la Confédération devait honorer sa promesse de cautionnement, elle aurait ­ vis-à-vis de l'armateur ­ une créance garantie par un droit de gage de premier rang sur le navire et par la cession de toutes les prestations de la compagnie assurant le navire. Ainsi, le risque réel se réduit à une créance pour le montant du déficit qui, au vu des garanties, peut être considéré comme minime 32.

Dans le cadre de son examen, la DélFin ne s'est pas penchée sur la pratique en matière d'octroi des cautionnements de la Confédération (cf. chap. 1.2 «Objet de l'enquête»). Elle constate toutefois que tous les cautionnements relatifs au financement des bateaux concernés de SCL et SCT, de même que tous les autres cautionnements encore en cours sont des cautionnements solidaires. La DélFin constate que, si les cautionnements solidaires de la Confédération constituent un instrument attrayant pour les armateurs suisses et les banques, ils ont augmenté l'intérêt pour l'acquisition de navires de haute mer sur la base d'une série de mauvaises incitations.

La banque prêteuse bénéficiaire du cautionnement court quant à elle très peu de risques avec un cautionnement solidaire, a fortiori lorsque c'est la Confédération qui se porte caution. Le cautionnement peut être sollicité dès lors que le débiteur principal est en retard dans le paiement de sa dette et qu'il a été sommé en vain de s'acquitter ou que son insolvabilité est notoire. Toutefois, en tant que caution, la Confédération est tenue d'honorer le cautionnement à hauteur du montant dû par le débiteur, et ce jusqu'au remboursement intégral du prêt. Elle court donc un risque financier important sans pouvoir intervenir de manière adéquate si des difficultés se profilent. En tant que caution, la Confédération n'a aucun moyen d'influer sur les activités des armateurs privés, mais elle supporte une grande partie du risque
entrepreneurial en cautionnant à hauteur de plusieurs millions de francs le crédit nécessaire à l'acquisition de navires de haute mer. 33 La Confédération a peu de cartes en main pour se protéger contre les pertes financières liées à la sollicitation de ses cautionnements. Elle peut notamment ­ selon la situation financière et l'organisation de l'armateur ­ octroyer des sursis de paiement ou procéder à des refinancements34, mais ces options allongent le risque, voire l'augmentent temporairement. Elles peuvent être appropriées si elles permettent de surmonter des problèmes de liquidités ­ ou d'écarter un risque d'insolvabilité ­ et d'éviter une faillite, et donc de réduire le préjudice pour la Confédération, ou de mettre en place une solution durable et économique pertinente. En d'autres termes: 32

33 34

Cf. message du Conseil fédéral du 27.6.2007 relatif à la modification de l'arrêté fédéral sur un crédit-cadre pour cautionnement visant à garantir un nombre suffisant de navires de haute mer battant pavillon suisse, FF 2007 4949, ch. 3.1, p. 4959.

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007), ch. 15-16, p. 16 ss.

Par refinancement, on entend la réutilisation ou une nouvelle mise à disposition de prêts déjà amortis.

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si elles permettent d'assurer que les emprunts cautionnés pourront être au moins en grande partie remboursés. Dans le dossier SCL/SCT, la Confédération a accepté des sursis de paiement et des refinancements pour éviter le risque d'insolvabilité au début du second semestre 2015 et, à partir de l'automne 2016, afin de gagner du temps pour la vente des navires35.

1.1.5

Brève rétrospective depuis juin 201536

Le risque financier que présentent pour la Confédération les cautionnements solidaires pour les navires de haute mer a longtemps été qualifié d'extraordinairement faible par le Conseil fédéral et l'administration fédérale, même lorsque des arriérés de paiement des amortissements ont été constatés. Ce n'est qu'en été 2015 que la dimension des risques inhérents à l'octroi de cautionnements de la Confédération pour les navires de haute mer et des pertes élevées potentielles correspondantes est clairement apparue. Lorsque l'OFAE a informé le Secrétariat général du DEFR (SGDEFR), le 24 juin 2015, de l'insolvabilité imminente des compagnies maritimes de SCL, il a donc fallu, en l'espace de quelques jours, trouver une solution pour éviter l'effondrement incontrôlé des sociétés de SCL, soit leur faillite (cf. chap. 2.1.1).

Immédiatement après avoir pris connaissance de la crise de liquidités que traversait SCL, le DEFR a demandé à une société de consultants externes de réaliser en urgence une expertise de la situation des sociétés concernées. Sur la base de cette expertise et grâce à l'adaptation d'ordonnance décidée par le Conseil fédéral le 1er juillet 2015 permettant à la Confédération de procéder à des refinancements et de prolonger la durée des cautionnements, le DEFR a réussi, en concertation avec la banque prêteuse, à gagner du temps et à éviter la sollicitation pourtant imminente des cautionnements. A l'époque, le chef du DEFR s'était donné pour objectif d'éviter, au moyen de mesures immédiates, une banqueroute incontrôlée des sociétés concernées et la mise sous séquestre des bateaux.

Dans un deuxième temps, la Confédération a élaboré, avec les consultants externes, un concept d'assainissement des compagnies de SCL. Bien qu'il ait été possible de remédier à l'insolvabilité de SCL en juillet 2015, son assainissement n'était pas garanti. C'est dans ce contexte que la recherche d'investisseurs a débuté. A cette époque, les compagnies de SCT ­ économiquement étroitement liées aux compagnies de SCL ­ n'étaient pas encore insolvables, mais elles avaient déjà clôturé l'exercice 2015 dans les chiffres rouges. Dans le cadre de la révision des comptes 2015 de la Confédération, le Contrôle fédéral des finances (CDF) a fait part. le 19 avril 2016, de la situation critique de la flotte SCL et SCT aux chefs
du DEFR, du Département fédéral des finances (DFF) et du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en vertu de l'art. 15, al. 3, de la loi fédérale sur le contrôle des finances (LCF; RS 614.0)37. Le CDF a en particulier attiré leur attention sur le surendettement des sociétés, sur des indices laissant supposer que de l'argent liquide 35 36 37

Selon les constatations de la DélFin, la possibilité d'octroyer une garantie par gage n'a pas été examinée plus avant.

Cf. historique des principaux événements à l'annexe 3.

Cf. courrier du 19.4.2016 du CDF aux chefs du DEFR, du DFF et du DFAE.

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avait été retiré des comptes des sociétés, sur des violations de l'interdiction de remboursement des apports ainsi que sur le rôle de certains organes de révision.

L'annonce, faite à l'été 2016 par l'organe de révision des compagnies de SCL/SCT, selon laquelle celles-ci avaient été surendettées à fin 201538, a constitué un tournant définitif dans la gestion de crise de la Confédération. Dès lors, les représentants de la Confédération ont exigé des propriétaires de SCL et SCT qu'ils intensifient leurs recherches d'un investisseur. En parallèle, le SG-DEFR a lui aussi commencé à chercher des investisseurs appropriés à l'automne 2016, ce qui s'est toutefois révélé difficile. Les recherches se sont donc progressivement aussi portées sur des acheteurs potentiels pour les bateaux. La société de gestion de SCL et SCT a ainsi mandaté trois courtiers en décembre 2016. Dans le même temps, la Confédération a confié à deux sociétés de conseil étrangères spécialisées dans la navigation maritime l'inspection et l'estimation de l'ensemble des bateaux.

Les événements se sont précipités au printemps 2017. Pour commencer, le 13 janvier, la société holding de SCL (SCL Reederei AG) a perdu une procédure d'arbitrage et été condamnée à payer 4,8 millions de dollars. Les représentants de la Confédération, appuyés par des experts, ont estimé qu'il existait un risque majeur que certains bateaux soient ­ en raison du jugement précité ­ mis sous séquestre au moins temporairement, ce qui aurait considérablement augmenté le risque d'une banqueroute incontrôlée des compagnies de SCL. Le 27 janvier 2017, un article de l'Aargauer Zeitung évoquait une note de discussion confidentielle du Conseil fédéral sur la situation des compagnies maritimes de SCL et SCT. Au plus tard à cette date, l'ensemble du secteur de la navigation maritime avait donc connaissance des problèmes financiers de SCL et SCT.

Au vu de la grande capacité de nuisance de la partie qui avait obtenu gain de cause dans la procédure d'arbitrage, la Confédération a conclu avec elle, le 4 mars 2017, un contrat non exclusif de courtage pour la vente des bateaux. C'est par ce mandat que le canadien Mach a soumis une offre de 70 millions de dollars pour l'acquisition des douze bateaux de SCL et SCT. S'en sont ensuivies des négociations difficiles relatives au contrat
proprement dit, menées parallèlement à d'autres négociations avec d'autres compagnies maritimes intéressées (acquisition de 2 à 3 bateaux).

Le délai posé aux différentes parties était le 14 mai 2017 afin de pouvoir respecter le délai maximal pour faire approuver le message relatif au crédit supplémentaire par le Conseil fédéral et pouvoir le soumettre au Parlement lors de la session d'été 2017.

Mach, entre autres, ayant laissé expirer le délai, SCL a vendu, le 15 mai, avec la bénédiction de la Confédération, deux navires de haute mer à l'armateur turc Tango Shipping pour 3,5 millions d'euros. Le même jour, Mach a approuvé l'offre concernant l'achat des dix bateaux restants pour 67,5 millions de dollars, de sorte que la signature des contrats a pu avoir lieu le 17 mai 2017. Mach s'étant engagé de manière contraignante, le Conseil fédéral a approuvé dès le 16 mai, par voie de circulaire, le message relatif au crédit supplémentaire à l'attention du Parlement. Les Commissions des finances du Conseil national et du Conseil des Etats ont traité la demande de crédit supplémentaire du Conseil fédéral portant sur 215 millions de francs les 18 et 19 mai 2017, suivies par les Chambres les 30 et 31 mai 2017.

38

Cf. lettre de BDO du 30.6.2016 à l'intention du propriétaire de SCL/SCT.

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Le premier bateau a été remis à son acheteur le 1er juin 2017, le dernier le 22 septembre 2017. Les différents transferts ont parfois été difficiles, l'acheteur faisant valoir de nombreuses réclamations pour défaut. Au moment desdits transferts, tous les bateaux ont en outre changé de pavillon.

La totalité des cautionnements solidaires dont ont bénéficié les compagnies maritimes de SCL et SCT avaient été sollicités au 30 juin 2017 et soldés par la Confédération, en majeure partie par le biais du crédit supplémentaire (le reste a été payé au moyen de sommes restantes sur les comptes d'amortissement bloqués et du produit des ventes). Fin juin 2017, le propriétaire de SCL et SCT et les sociétés maritimes de SCL et SCT ont engagé un liquidateur pour leur liquidation. Les sociétés holding et de gestion de SCL et SCT ont été mises en liquidation en premier à l'été 2017; les autres compagnies en décembre 2017. Fin juin 2019, aucune société n'avait encore été entièrement liquidée.

1.1.6

Haute surveillance et ouverture d'une enquête par la Délégation des finances39

Conformément à l'art. 51, al. 2, LParl, il appartient à la DélFin d'examiner et de surveiller l'ensemble des finances de la Confédération. Cette instance exerce la haute surveillance des finances de la Confédération essentiellement sous la forme d'une surveillance concomitante. Ainsi, elle accompagne et évalue les dossiers de l'administration dans le cadre des processus décisionnels, par exemple durant la gestion de la crise des cautionnements des navires de haute mer. Cette approche lui permet de prendre influence suffisamment tôt sur les développements indésirables qu'elle constate et, si nécessaire, d'inviter le Conseil fédéral et l'administration à corriger le tir. Dans ses appréciations et ses décisions, la DélFin veille tout particulièrement aux critères de l'économie des moyens et de l'efficacité économique.

Dans le cadre de sa haute surveillance financière concomitante, la DélFin s'occupe depuis l'été 2015 des engagements de la Confédération concernant les cautionnements de navires de haute mer. Le 30 juin 2015, elle a ainsi été informée pour la première fois, par le DEFR, de la situation financière précaire des compagnies de SCL et des risques de pertes financières qui en découlaient pour la Confédération.

Entre cette date et décembre 2018, le chef et/ou le secrétaire général du DEFR ont rendu rapport à la DélFin à quatorze reprises, dans le cadre d'entretiens ordinaires ou exceptionnels portant sur la situation et l'évolution des risques financiers 40. Les informations importantes et la réalisation d'étapes-clés dans la gestion de la crise ont par ailleurs fait l'objet de rapports écrits complémentaires à l'attention de la DélFin.

Cette dernière a résumé ses travaux dans le cadre de ses rapports annuels 2016, 2017 et 201841. A noter que, dès le début de la crise des cautionnements, la DélFin a eu 39 40

41

Cf. historique des principaux événements à l'annexe 3.

Cf. entretiens de la DélFin avec le chef et/ou le secrétaire général du DEFR des 30.6.2015, 1.9.2015, 4.4.2016, 17.5.2016, 6.9.2016, 22.11.2016, 11.1.2017, 13.2.2017, 22.5.2017, 29.6.2017, 20.11.2017, 28.2.2018, 28.6.2018 et 19.11.2018.

Cf. rapport 2016 de la DélFin aux Commissions des finances du 31.3.2017, ch. 4.7.5; rapport 2017 de la DélFin aux Commissions des finances du 13.3.2018, ch. 4.7.1; rapport 2018 de la DélFin aux Commissions des finances du 18.3.2019, ch. 5.7.1.

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pour objectif premier d'éviter tout préjudice ou au moins de limiter les dommages pour la Confédération.

Après avoir mené toute une série d'enquêtes préalables et sur la base des informations recueillies depuis juin 2015, la DélFin a décidé, le 12 avril 2018, de procéder à un examen approfondi du dossier des cautionnements fédéraux pour la flotte suisse de haute mer en ouvrant une enquête sur la procédure de vente des bateaux de SCL et SCT.

Si les cautionnements solidaires des douze bateaux de SCL et SCT ont été sollicités par les banques créancières, il reste des cautionnements de la Confédération pour 28 bateaux, soit un montant total d'environ 510 millions de francs (à fin 2018)42.

Parallèlement à l'enquête sur la procédure de vente, la DélFin continue à suivre attentivement l'évolution des risques financiers pour la Confédération et demande régulièrement au DEFR de lui fournir des informations. Sa haute surveillance concomitante sera maintenue au-delà de la fin de l'enquête.

1.2

Objet de l'enquête

Dans le cadre de l'exercice de la haute surveillance financière concomitante, la DélFin a régulièrement été informée par le DEFR de l'évolution des risques liés aux cautionnements de la Confédération pour les navires de haute mer et de l'avancement de la vente des bateaux. La gestion (de crise) opérationnelle relevait du Conseil fédéral, en l'occurrence de l'administration fédérale. En sa qualité d'organe chargé de la haute surveillance parlementaire, la DélFin a posé des questions critiques et examiné des décisions de l'administration sur la base des informations reçues et demandées.

Ayant connaissance des activités de la DélFin et dans l'esprit d'une procédure coordonnée des organes chargés de la haute surveillance parlementaire, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) ont décidé, le 25 septembre 2017, de ne pas inclure la procédure de vente des navires dans leur propre inspection sur les cautionnements de la flotte suisse de haute mer43. Parallèlement, les CdG ont invité la DélFin à se pencher aussi, dans le cadre de ses travaux liés à la procédure de vente, sur les reproches exprimés par différents parlementaires et dans les médias au sujet du déroulement et de la date de la vente en question44.

La DélFin a par conséquent procédé à diverses clarifications et a notamment entendu dans ce cadre le conseiller national Ulrich Giezendanner45, qui avait critiqué la procédure de vente dans les médias46. Lors de sa séance du 12 avril 2018, elle a décidé d'ouvrir une enquête en vue de faire toute la lumière sur la procédure de vente des navires SCL et SCT, et d'en tirer des enseignements pour d'éventuelles 42 43 44 45 46

Cf. rapport d'étape du 14.3.2019 de l'OFAE à l'intention de la DélFin.

Cf. communiqué de presse des CdG du 25.9.2017 «Les Commissions de gestion ouvrent une inspection sur les cautionnements de la flotte suisse de haute mer».

Cf. lettre du 25.9.2017 des CdG à la DélFin.

Cf. procès-verbal de l'audition du conseiller national Ulrich Giezendanner du 13.2.2018.

Cf. entre autres Südostschweiz du 11.9.017, «Bund hat Schweizer Flotte im dümmsten Moment verkauft», p. 2.

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procédures de vente à venir. Il s'agit donc d'une analyse à la fois rétrospective et prospective47.

Dans le cadre de son enquête, la DélFin, en sa qualité d'organe chargé de la haute surveillance parlementaire, procède conformément aux dispositions de l'art. 26 LParl à une évaluation des faits qui lui sont connus. Les faits ayant une potentielle incidence pénale dans le cadre des cautionnements de la Confédération pour les navires de haute mer sont examinés par les autorités d'instruction pénale compétentes de la Confédération et du canton de Berne.

La procédure de vente des navires des groupes SCL et SCT au sens étroit a duré d'octobre 2016, après que le DEFR a été informé, à l'été 2016, du surendettement des sociétés, à septembre 2017, lorsque les derniers navires de la flotte SCL et SCT furent remis aux acheteurs. Etant donné que, durant la phase ayant précédé la procédure de vente, les services fédéraux concernés ont procédé à des clarifications et pris des mesures en vue de la vente effective en 2017, et que la liquidation des sociétés concernées n'est toujours pas achevée au moment de la rédaction du présent rapport, la période d'enquête s'étend de juin 2015 à l'adoption du présent rapport en juin 2019. Cette période est désignée comme étant «la procédure de vente au sens large».

L'évaluation de la DélFin sur la procédure de vente au sens étroit, durant les années 2016 et 2017, intervient à la fin du premier semestre 2019 alors que la crise mondiale de la navigation maritime n'est pas surmontée. La perception était toutefois différente en 2016­2017; il était notamment difficile de savoir combien de temps la crise allait durer, le Conseil fédéral et le DEFR précisant en mai 2017 que «rien ne laisse présager une nette amélioration du marché»48. Dans le cadre de son enquête, la DélFin a évalué les actions des représentants de la Confédération et des personnes concernées en se plaçant dans l'optique de l'époque. Quand ce n'est pas le cas, le rapport précise explicitement que l'évaluation a lieu a posteriori, selon la perspective actuelle.

Au moment d'établir les questions à traiter, la DélFin a veillé à limiter l'objet de l'enquête à un volet spécifique de la vaste thématique des cautionnements de la Confédération pour les navires de haute mer, à savoir à la procédure de vente des navires
SCL et SCT. Dans son enquête, elle est partie du principe que la vente des navires, et donc la sollicitation des cautionnements de la Confédération, étaient dues en particulier à la crise de liquidités des compagnies maritimes de SCL, puis de SCT, et qu'elles étaient devenues inévitables au plus tard fin 2016, début 2017. Elle n'a donc pas analysé les raisons qui ont mené à ces dommages financiers. Il en résulte que les thèmes suivants n'ont pas été clarifiés dans le cadre du présent rapport:

47 48

­

Exercice des devoirs découlant du droit régissant les cautionnements en particulier par les (premières) banques prêteuses;

­

Exercice des devoirs légaux par les organes de révision lors de la validation des évaluations et des bilans des compagnies maritimes; Cf. lettre du 18.4.2018 de la DélFin aux chefs du DEFR, du DFAE et du DFF.

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007), ch. 31, p. 26.

5961

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­

Responsabilités lors de l'augmentation du crédit-cadre de cautionnement en 2008;

­

Gouvernance de l'OFAE;

­

Pratique d'octroi des cautionnements de la Confédération pour les navires de haute mer, modalités de remboursement et approbation des sursis de paiement avant 2015;

­

Faits ayant une éventuelle incidence pénale en lien avec l'octroi de cautionnements de la Confédération pour les navires de haute mer;

­

Gestion du risque du DEFR en matière de navires de haute mer bénéficiant de cautionnements de la Confédération avant 2015 et aujourd'hui;

­

Pratiques commerciales dans la branche de la navigation maritime (internationale).

La DélFin ne s'est en outre pas intéressée aux thématiques liées à la gestion que les CdG ont examinées dans leur inspection sur les cautionnements de la flotte suisse de haute mer en 2017 et 2018. Il s'agit notamment de la conduite et de la surveillance de l'OFAE par le DEFR, de la conduite et de la surveillance de l'Office suisse de la navigation maritime (OSNM) par le DFAE, de l'information de l'ensemble du Conseil fédéral et du rôle du CDF dans la réalisation de l'enquête administrative sur les pratiques de l'OFAE49.

Dans son communiqué de presse du 20 avril 2018, la DélFin a annoncé vouloir éclairer les interactions entre l'OFAE et l'OSNM. Elle a procédé à bon nombre d'éclaircissements et d'auditions. Faute de temps, elle a cependant décidé, au printemps 2019, de suspendre ses travaux en la matière afin de se concentrer sur la procédure de vente des navires SCL et SCT dans le cadre de l'enquête faisant l'objet du présent rapport.

1.3

Structure juridique et situation financière des compagnies de SCL et SCT

Les navires de SCL et SCT, dont la vente a été analysée par la DélFin, font partie d'une structure juridique complexe, présentée sommairement ci-après afin de permettre une meilleure compréhension des faits. La liquidation des sociétés de SCL et SCT n'ayant pas encore été finalisée au moment de la rédaction du présent rapport, cette structure juridique existait toujours à fin juin 2019, même si tous les navires étaient vendus et que les compagnies ne généraient plus de recettes. Le présent chapitre examine en outre brièvement la situation financière des sociétés de SCL et SCT au moment de la vente des navires en 2017, afin d'évaluer la nécessité de cette vente (intervenue au printemps 2017).

49

Cf. rapport du 26 juin 2018 des CDG sur les cautionnements de navires de haute mer.

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Compagnies de SCL Le groupe SCL possède à l'heure actuelle huit compagnies maritimes à un seul navire50. Les huit cargos ont été mis en service entre 2000 et 2008. Les sociétés sont détenues à 100 % par SCL Reederei AG, à l'exception de SCL Bern AG (60 %) et de SCL Anita AG (81,4 %).

SCL Reederei AG, la société holding du groupe SCL, est aux mains d'une seule personne (ci-après appelée propriétaire des compagnies de SCL et SCT). La société Enzian Ship Management AG (ESM), filiale de SCL Reederei AG, était chargée de la gestion technique et commerciale des huit compagnies à un seul navire appartenant au groupe SCL. Le groupe SCL comprend également des sociétés gestionnaires étrangères, mais ces dernières ne jouaient qu'un rôle secondaire dans la structure du groupe. La flotte de SCL incluait en outre quatre navires acquis à des fins d'investissement51, qui bénéficiaient également d'un cautionnement de la Confédération et étaient gérés par ESM. Ces navires étant détenus par des investisseurs et non par le groupe SCL, ils ne sont pas pris en considération dans la présentation de la structure du groupe.

La structure du groupe SCL a considérablement évolué depuis 2003, principalement du fait de la création de nouvelles compagnies, de changements de raison sociale, de la fusion de compagnies et de la modification des rapports de participation, en partie avec le concours de sociétés étrangères. Au moment de l'ouverture de la liquidation des compagnies de SCL, le 1er juillet 2017, la structure du groupe était la suivante: Figure 2 Organigramme du groupe SCL au 1er juillet 2017

Source: informations fournies à la DélFin par le représentant légal de SCL et SCT

50 51

MV Celine AG, MV Sabina AG, SCL Akwaba AG, SCL Andisa AG, SCL Anita AG, SCL Basilea AG, SCL Bern AG et SCL Léman AG.

SCL Angela, SCL Helvetia, SCL Trudy et SCL Basilisk.

5963

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Lorsque la crise mondiale de la navigation maritime a éclaté, les compagnies maritimes de SCL ont vu leur situation financière se dégrader au point qu'elles n'étaient plus en mesure de respecter les plans d'amortissement convenus avec les banques, dont l'OFAE avait pris acte. Les banques ont alors octroyé divers sursis de paiement des amortissements à partir de 2008 avec l'approbation de l'OFAE52.

Les sociétés de SCL sont parvenues à surmonter une première crise de liquidités à l'été 2015 grâce à un refinancement à hauteur de 3,5 millions de francs. Sans ce refinancement, ESM serait devenue insolvable en juillet 2015 selon les recherches approfondies menées par la Confédération avec l'appui d'experts53. Après cette première crise de liquidités, les compagnies maritimes ont pu poursuivre à court terme leurs activités sans nouveau refinancement de la part de la Confédération.

Elles n'ont toutefois pas été en mesure de payer les amortissements en raison d'un nouveau recul des taux de fret54.

Fin octobre 2016, les compagnies maritimes de SCL étaient de nouveau au bord de la faillite. Le DEFR ne disposait que de quelques jours pour empêcher l'insolvabilité imminente des huit compagnies à un seul navire de SCL, en étroite collaboration avec les experts externes et la banque prêteuse. Le 27 octobre 2016, UBS a octroyé à ces dernières un crédit transitoire sans intérêts de 2 millions de francs, cautionné par la Confédération. De nouveaux crédits transitoires ont été accordés le 15 décembre 2016 (1,5 million de francs), le 6 mars 2017 (0,5 million de francs), le 18 avril 2017 (1 million de francs) et le 31 mai 2017 (313 000 francs)55.

Les arriérés de paiement des amortissements constituent un indicateur de la situation financière précaire des compagnies maritimes de SCL. Sur les 186,6 millions de francs de crédit initial octroyé aux huit compagnies maritimes à un seul navire, seuls 50,1 millions avaient été effectivement amortis au 31 décembre 2016. A cette date, le crédit total cautionné se montait encore à 136,5 millions de francs au lieu des 47,6 millions prévus par le plan d'amortissement. Fin 2016, les arriérés de paiement des amortissements des compagnies maritimes de SCL s'élevaient à 88,9 millions de francs.

52 53 54 55

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007), ch. 31, p. 25.

Cf. rapport EY du 30.6.2015, «Projekt Speed».

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007), ch. 31, p. 25 s.

Cf. contrats de prêt entre SCL, UBS et l'OFAE, contrats de sûreté entre l'OFAE et UBS, et accords de dédommagement entre SCL et l'OFAE, conclus le 27.10.2016, le 15.12.2016, le 6.3.2017 et le 18.4.2017.

5964

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Tableau 2 Arriérés de paiement des amortissements des compagnies maritimes de SCL à fin 2016 En millions de CHF

Durée du cautionnement

Prêt initial Prêt prévu par Montant le plan effectivement d'amortisamorti sement

MV Celine

2001­2017

21.7

MV Sabina

2000­2017

SCL Akwaba

2008­2023

SCL Andisa SCL Anita

Prêt à fin 2016

Arriérés de paiement des amortissements

9.9

9.9

­

11.8

21.7

­

13.1

8.6

8.6

21.3

9.2

1.4

19.9

10.7

2008­2023

21.3

9.2

0.7

20.6

11.4

2009­2023

19.5

8.5

1.7

17.8

9.3

SCL Basilea

2005­2020

26.9

7.2

7.8

19.1

11.9

SCL Bern

2005­2020

27.2

6.4

5.7

21.5

15.1

SCL Léman

2005­2020

26.9

7.2

7.8

19.1

11.9

186.6

47.6

50.1

136.5

88.9

Total

Source: Aperçu des financements des navires cautionnés par la Confédération au 31 décembre 2016

Compte tenu de la dotation insuffisante en capital propre, du manque de liquidités, du surendettement constaté par la société de révision et de l'incapacité à couvrir les coûts d'exploitation, les compagnies maritimes de SCL n'étaient pas économiquement viables. En mai 2017, le Conseil fédéral est ainsi parvenu à la conclusion que la vente des navires était la seule solution envisageable56.

Compagnies de SCT En automne 2012, le groupe SCL a repris une partie du groupe Mega Chemicals, dont quatre navires-citernes / chimiquiers57, mis en service entre 2006 et 2008. Ces quatre navires appartiennent depuis à 100 % à la société holding du groupe SCT, Swiss Chem Tankers AG, qui est détenue à 100 % par le propriétaire des compagnies de SCL et SCT. Au moment de l'ouverture de la liquidation des compagnies maritimes de SCT, le 1er juillet 2017, la structure du groupe SCT était la suivante:

56 57

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007), ch. 31, p. 26.

Matterhorn AG, SCT Monte Rosa AG, SCT Breithorn AG et SCT Stockhorn AG.

5965

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Figure 3 Organigramme du groupe SCT au 1er juillet 2017

Source: informations fournies à la DélFin par le représentant légal de SCL et SCT

Du fait de la crise mondiale de la navigation maritime, les quatre navires-citernes de SCT ont dès de départ fait face à des recettes décroissantes. Dès 2009, il n'a plus été possible de couvrir l'intégralité des amortissements: un premier refinancement a été nécessaire en 2010, puis un autre en 2011 pour empêcher une insolvabilité imminente. Par ailleurs, les taux d'amortissement ont été revus à la baisse dans le cadre des efforts d'assainissement58.

Au moment de la reprise par le groupe SCL, les compagnies maritimes de SCT traversaient une crise de liquidités et devaient être recapitalisées, sachant que les anciens propriétaires s'étaient déjà vu octroyer des sursis de paiement jusqu'à l'été 2013. En août 2013, SCT a fait la demande de maintenir la suspension du paiement des amortissements pour les quatre navires-citernes. Un nouveau plan d'amortissement a été convenu avec les banques fin 2013 et approuvé par l'OFAE.

Selon ce plan, le prêt à rembourser pour les quatre navires-citernes à l'issue des quinze années de cautionnement aurait été de 42,4 millions de dollars. La situation financière s'est d'abord améliorée et les amortissements ont été versés selon les modalités convenues. Mais lorsque la situation s'est à nouveau dégradée sur le marché, les sociétés n'ont plus été à même de respecter le plan d'amortissement. De juin 2015 à avril 2017, quatorze sursis de paiement ont été accordés pour les quatre navires-citernes de SCT; le paiement des amortissements n'a toutefois jamais pu 58

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet no 17.007), ch. 31, p. 27.

5966

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reprendre. Par ailleurs, trois refinancements à hauteur de 1,5 million de francs ont été réalisés en mars et en avril 2017. Au moment du dernier refinancement, le 11 avril 2017, le prêt remboursable pour les quatre navires-citernes à l'échéance des cautionnements solidaires aurait alors été de 59,9 millions de dollars59.

Comme pour SCL, les arriérés de paiement des amortissements des compagnies maritimes de SCT au 31 décembre 2016 donnent une idée de la situation financière des navires-citernes. Le prêt initial pour les quatre compagnies maritimes s'élevait à 127 millions de francs, dont seulement 26,9 millions avaient été effectivement amortis au 31 décembre 2016. A cette date, le prêt cautionné s'élevait encore à 100 millions de francs au lieu des 47,4 millions qui avaient été convenus selon le plan d'amortissement. Ainsi, les arriérés de paiement des amortissements des compagnies maritimes de SCT à fin 2016 totalisaient 52,6 millions de francs.

Tableau 3 Arriérés de paiement des amortissements des compagnies maritimes de SCT à fin 2016 En millions de CHF

Durée du cautionnement

SCT Matterhorn

2006­2021

32.6

10.3

8.0

24.6

14.3

SCT Monte Rosa

2007­2022

32.6

11.4

6.9

25.7

14.3

SCT Breithorn

2007­2022

32.6

13.0

7.7

24.9

11.9

SCT Stockhorn

2008­2023

29.2

12.6

4.3

24.9

12.2

127.0

47.4

26.9

100.0

52.6

Total

Prêt initial Prêt prévu par MontantPrêt à fin 2016 Arriérés de le plan effectivement paiement des d'amortisamorti amortissement sements

Source: Aperçu des financements des navires cautionnés par la Confédération au 31 décembre 2016

1.4

Méthodologie

Une fois le dernier navire des flottes SCL et SCT transmis aux acheteurs le 22 septembre 2017, la DélFin a lancé ses travaux dans le but d'évaluer l'utilité d'analyses plus poussées dans le contexte des cautionnements honorés par la Confédération pour les compagnies maritimes de SCL et SCT. Elle a demandé au DEFR de prendre position par écrit sur certains points et a entendu le chef du DEFR, son secrétaire général, ainsi que le conseiller national Ulrich Giezendanner60. Elle a ensuite chargé son président de mettre au point, avec le secrétariat de la délégation, 59 60

Rapport complémentaire de l'OFAE du 23.4.2019 à l'intention de la DélFin.

Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR, du secrétaire général du DEFR et du délégué à l'approvisionnement économique du pays du 20.11.2017; procès-verbal de l'audition du conseiller national Ulrich Giezendanner du 13.2.2018.

5967

FF 2020

un plan d'enquête avec différentes approches possibles et de le lui soumettre pour discussion et prise de décision.

Lors de sa séance du 12 avril 2018, la DélFin a examiné les différentes approches61 et décidé d'ouvrir une enquête sur la procédure de vente des navires de SCL et SCT62. Par lettre du 17 avril 2018, elle a demandé au CDF de l'appuyer dans la recherche d'informations et l'examen de faits spécifiques conformément à l'art. 1 de la loi sur le Contrôle des finances (LCF; RS 614.0)63. Le CDF a accepté le mandat spécial le 23 avril 201864. Le 28 juin 2018, il a présenté ses premières conclusions à la DélFin65, et lui a remis son rapport définitif le 8 août 201866. La DélFin a débattu des résultats des travaux du CDF le 5 septembre 2018 en présence du directeur, de la directrice suppléante et de la responsable de projet du CDF67.

De novembre 2018 à mai 2019, la DélFin a réalisé toute une série d'auditions en application de l'art. 155 LParl. Elle a auditionné ­ si nécessaire, à plusieurs reprises ­ le chef du DEFR (2010­2018), le secrétaire général du DEFR (2014­2018)68, le conseiller spécialisé du SG-DEFR pour l'OFAE, le chef de l'unité Droit et protection des informations du SG-DEFR, le chef du DEFR (à partir de 2019), la secrétaire générale du DEFR (à partir de 2019), des experts externes du SG-DEFR, le délégué à l'approvisionnement économique du pays, le directeur suppléant de l'OFAE et d'autres collaborateurs de l'OFAE, le chef de l'Etat-major de l'OFAE (1991­2012), le chef du DFF, le directeur et d'autres collaborateurs de l'AFF, le chef et le secrétaire général du DFAE, la directrice de la Direction du droit international public du DFAE (DDIP), le chef et d'autres collaborateurs de l'OSNM, le procureur général de la Confédération ainsi que le propriétaire, le représentant légal et le liquidateur des compagnies de SCL et SCT69. En vertu de l'art. 154, al. 1, LParl, la DélFin a par ailleurs demandé des documents ainsi que des renseignements écrits à différents services fédéraux ou personnes externes pour analyser ces informations. Elle a, si nécessaire, consulté d'autres dossiers auprès des services fédéraux en question.

A l'art. 26, la LParl prévoit, concernant l'exercice de la haute surveillance parlementaire, que l'Assemblée fédérale respecte les critères de la légalité, de la
régularité, de l'opportunité, de l'efficacité et de l'efficience économique. L'analyse de la légalité consiste à examiner si les services de l'administration respectent le droit et la loi. Le critère de la régularité porte sur l'exactitude des données et des calculs du budget de la Confédération. Le critère de l'opportunité vise à déterminer si les mesures choisies par les autorités sont propres à atteindre les objectifs fixés. L'efficacité est jaugée en fonction des effets que produisent certaines mesures prises par les entités 61 62 63 64 65 66 67 68

69

Cf. note du président et du secrétariat de la DélFin à l'intention de la DélFin du 26.3.2018.

Cf. procès-verbal de la 2e séance ordinaire de 2018 de la DélFin du 12.4.2018.

Cf. lettre de la DélFin au directeur du CDF du 17.4.2018.

Cf. lettre du directeur du CDF à la DélFin du 23.4.2018.

Cf. procès-verbal de la 4e séance ordinaire de 2018 de la DélFin des 28 et 29.6.2018.

Cf. rapport du CDF à l'intention de la DélFin du 8.8.2018.

Cf. procès-verbal de la 5e séance ordinaire de 2018 de la DélFin des 4 et 5.9.2018.

Ci-après, la DélFin ne précise plus les durées des mandats du chef et du secrétaire général du DEFR. Lorsqu'il est question du chef du DEFR et de la secrétaire générale en fonction au moment de l'établissement du présent rapport, ceux-ci sont désignés explicitement par «le chef du DEFR (à partir de 2019)» ou «la secrétaire générale».

Cf. liste des personnes auditionnées, selon l'annexe 1.

5968

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contrôlées. Enfin, le critère de l'efficience économique permet de vérifier que les fonds engagés sont proportionnés au résultat70. La DélFin a mené son enquête selon ces critères, sachant qu'elle s'est concentrée sur l'opportunité, l'efficacité et l'efficience économique de l'activité de l'administration.

Conformément à l'art. 155, al. 5, LParl, les personnes ayant déposé ont reçu, à l'issue de chaque audition, les extraits du procès-verbal les concernant pour contrôle et signature. Dans le cadre de la consultation de l'administration, les chapitres pertinents leur ont été transmis pour avis (correction des erreurs formelles et matérielles), conformément à l'art. 157 LParl. Les retours concernant les procès-verbaux des auditions et de la consultation ont ensuite été traités par la DélFin et le rapport a été adapté si nécessaire.

La DélFin a adopté son rapport d'enquête à l'intention du Conseil fédéral lors de sa séance du 27 juin 2019; elle a décidé de le publier.

2

Procédure de vente des navires de haute mer

2.1

Priorité de la Confédération: la limitation des dommages financiers

2.1.1

Rappel des faits

Les 23 et 24 juin 2015, l'OFAE a transmis au DEFR deux notes en vue de l'informer de la situation financière précaire dans laquelle se trouvaient plusieurs compagnies maritimes financées à l'aide de cautionnements de la Confédération. Le chef du DEFR n'avait jusqu'alors pas conscience de la gravité de la situation71. Dans le cadre d'un entretien ordinaire qui a eu lieu quelques jours seulement après que le DEFR a eu connaissance des faits, le département a informé la DélFin de la situation financière difficile dans laquelle se trouvait un armateur72. Sur la base des cautionnements de la Confédération dont bénéficiaient huit compagnies maritimes de l'armateur SCL, le département a d'abord estimé que le risque financier s'élevait à 128 millions de francs au plus. A ce moment-là déjà, le DEFR n'excluait pas que la situation des quatre compagnies maritimes de SCT se détériore en raison de ce que l'on appelle l'effet domino. Le département estimait alors que, dans le pire des cas, les dommages pourraient s'élever à environ 290 millions de francs au total73. Le chapitre 1.1.5 expose la situation financière des différentes compagnies de SCL et SCT; il montre que le pire des scénarios n'a pas pu être évité et que la crise a fini par s'étendre à toutes les compagnies maritimes des groupes SCL et SCT.

70

71 72

73

Cf. Sägesser (2014), article 26, in: Graf/Theler/von Wyss, Parlamentsrecht und Parlamentspraxis der Schweizerischen Bundesversammlung ­ Kommentar zum Parlamentsgesetz (ParlG) du 13.12.2002, Bâle, pp. 232-234.

Cf. rapport des CdG du 26.6.2018, chap. 3.1.3.

Cf. procès-verbal de l'entretien entre la DélFin et le chef du DEFR, le secrétaire général du DEFR, la déléguée à l'approvisionnement économique du pays (2006­2015) et le chef de l'état-major de l'OFAE du 30.6.2015, p. 1.

Cf. procès-verbal de l'entretien entre la DélFin et le chef du DEFR, le secrétaire général du DEFR, la déléguée à l'approvisionnement économique du pays (2006­2015) et le chef de l'état-major de l'OFAE du 30.6.2015, p. 2.

5969

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Dès qu'il a eu connaissance de la situation critique, le chef du DEFR a défini l'objectif primordial de la gestion de la crise: réduire autant que possible le risque de dommages financiers pour la Confédération, en sa qualité de garant (limitation des dommages)74. Le DEFR a confirmé cette stratégie à plusieurs reprises à l'occasion des quatorze entretiens que la DélFin a menés avec le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR entre juin 2015 et fin 2018.

La question de la limitation des dommages a évolué de manière dynamique. Au début de la gestion de la crise, en juin 2015, le DEFR et les autres services fédéraux concernés (en premier lieu l'AFF) entendaient par «limitation des dommages» le fait d'éviter des sollicitations de cautionnement dues à une faillite incontrôlée de la flotte. Etant donné que le marché des navires de haute mer se caractérise par une grande volatilité, le DEFR s'était alors attendu à ce que ce marché se rétablisse.

Le 1er juillet 2015, le Conseil fédéral a approuvé la proposition du DEFR visant à modifier75 l'ordonnance sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de haute mer (RS 531.44). Grâce à cette révision de l'ordonnance, il a été possible de prolonger le cautionnement de la Confédération en faveur de la société concernée au-delà des quinze ans déjà écoulés. En outre, la Confédération a obtenu la possibilité d'exercer une influence indirecte sur le débiteur en passant par le prêteur et d'accompagner étroitement les assainissements nécessaires. Dans ces conditions, il a été possible de surmonter la crise de liquidités de SCL avec des nouveaux crédits bancaires, notamment au moyen d'un refinancement immédiat d'un montant de 3,5 millions de francs. Cela a laissé à SCL le temps de poursuivre ses mesures d'assainissement et d'éviter, pour un temps, la banqueroute incontrôlée des compagnies maritimes de SCL que redoutait la Confédération. Sans refinancement, les compagnies maritimes auraient été insolvables au début du mois de juillet 201576. Etant donné que l'assainissement du groupe SCL a tourné court, que la poursuite de l'exploitation des navires n'a été possible que grâce à des crédits transitoires de plusieurs millions de francs cautionnés par la Confédération et qu'aucune réelle réduction, pour la Confédération, des dommages liées à la
poursuite de l'exploitation n'était visible, le propriétaire a consenti en automne 2016 à la vente des navires comme nouvelle option77. Avec la vente des navires, le DEFR et les services fédéraux impliqués se sont cependant résignés à ce que la Confédération subisse des pertes considérables. Ainsi, l'application du principe de la limitation des dommages est passée de mesures visant à éviter des sollicitations de cautionnement à des mesures visant à limiter les pertes pour la Confédération.

74 75 76 77

Ibid., p. 2 Cf. arrêté du Conseil fédéral du 1.7.2015, «Modification de l'ordonnance sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de haute mer».

Cf. note d'information du secrétaire général du DEFR du 7.7.2015 à l'intention de la DélFin.

Cf. lettre du propriétaire des groupes SCL et SCT au SG-DEFR du 7.10.2016.

5970

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2.1.2

Appréciation

Les représentants de l'administration et les experts externes entendus par la DélFin ont confirmé que la stratégie de limitation des dommages financiers pour la Confédération, adoptée par le chef du DEFR, s'est avérée pertinente, même a posteriori78.

La DélFin estime que ce point de vue se tient.

Dans le cas d'une faillite désordonnée des compagnies, les créanciers des armateurs auraient pu mettre sous séquestre des navires dans le monde entier79. Le paiement des cautionnements solidaires aurait été dû et, selon les avocats du DEFR, le produit des ventes aurait été nul ou insignifiant étant donné que les navires vendus dans le cadre d'une situation de faillite le sont généralement à des prix nettement inférieurs80. Dans l'ensemble, la Confédération, en sa qualité de garante, aurait dû s'attendre ainsi à subir des dommages financiers bien plus élevés en cas de procédure beaucoup plus longue. En outre, les annonces de mise sous séquestre de navires battant pavillon suisse dans des ports étrangers et les faillites d'armateurs suisses auraient eu un effet négatif sur la Confédération. Il est probable que les répercussions négatives sur la réputation de la Suisse en tant qu'Etat du pavillon auraient eu des conséquences fâcheuses pour ce secteur économique, car les autres armateurs suisses auraient peut-être reçu moins de commandes lucratives. Dans le cas présent, la DélFin estime que le «risque de contagion» des difficultés financières aux autres navires de haute mer bénéficiant de cautionnements de la Confédération était avéré.

Si le risque auquel s'exposait la Confédération a été augmenté par le refinancement qui a eu lieu au cours de la première phase de la gestion de la crise, cette démarche s'est avérée pertinente a posteriori étant donné qu'elle a permis d'écarter le risque de faillite imminente et de mettre en oeuvre une solution qui a réduit les dommages pour la Confédération.

Lorsqu'il n'a plus été possible d'empêcher la sollicitation d'un cautionnement avec les moyens économiques et juridiques à disposition, le principe consistant à éviter les dommages a été étendu à la stratégie de limitation des pertes. Le Conseil fédéral s'est accommodé des pertes élevées liées à la vente des navires. Etant donné que les dommages financiers découlant de la mise en oeuvre des autres solutions auraient
probablement été encore plus considérables, la DélFin estime que la stratégie du DEFR est conforme au principe de l'emploi efficace et économe des fonds visé à l'art. 12, al. 4, de la loi sur les finances de la Confédération (LFC, RS 611.0), même s'il en a résulté des pertes financières. Différentes options ont été examinées concernant la mise en oeuvre de cette stratégie; celles-ci sont présentées au chapitre 2.2.

En outre, de l'avis de la DélFin, la Confédération ne doit pas s'écarter de sa stratégie de limitation des dommages et des pertes jusqu'à l'expiration de ses cautionnements restants, en 2032, ou ne le faire qu'exceptionnellement, dans des cas justifiés. La stratégie doit en principe être appliquée pour tous les éventuels futurs processus de 78

79 80

Cf. procès-verbaux des auditions du chef du DEFR, du chef du DFF, des conseillers économiques et juridiques du SG-DEFR et du liquidateur des compagnies maritimes SCL et SCT.

Le séquestre est une mesure de précaution selon laquelle le débiteur de la créance concernée ne peut provisoirement plus disposer du bien séquestré.

Cf. procès-verbal de l'audition d'un représentant de ThomannFischer du 20.11.2018, p. 2.

5971

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règlement. La Confédération doit en premier lieu tout faire pour éviter de subir des dommages et, s'il s'avère que ce n'est pas possible malgré tous les efforts entrepris, limiter autant que possible les pertes financières au moyen de mesures ciblées.

L'objectif des services fédéraux impliqués doit alors être de définir, en collaboration avec les compagnies maritimes concernées, la démarche appropriée, qui réduira autant que possible les pertes pour la Confédération.

Une autre option est en principe de s'accommoder de l'insolvabilité et ainsi de la faillite de l'entreprise, ce qui aurait pour conséquence la sollicitation du cautionnement par la banque. La DélFin salue expressément le fait que le chef du DEFR n'a pas choisi la voie la plus rapide (ne prendre aucune mesure, sollicitation du cautionnement par la banque) et qu'il s'est à chaque fois engagé en faveur d'une solution visant à limiter les dommages malgré la grande charge de travail que cela représentait.

Recommandation 1

Faire de la limitation des pertes l'objectif primordial en cas de crise

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral d'engager immédiatement des mesures appropriées, selon la stratégie de limitation des dommages, lorsque des navires de haute mer faisant l'objet de cautionnements solidaires se trouvent dans une situation financière critique et que les compagnies maritimes ne respectent pas les plans d'amortissement conclus avec la Confédération et les banques prêteuses

2.2

Stratégie de liquidation et examen des différentes options envisageables

2.2.1

Rappel des faits

Le 1er septembre 2015, le chef du DEFR a informé la DélFin des conclusions de l'expertise d'EY concernant l'assainissement des compagnies, laquelle avait été demandée par le département81. Trois scénarios y étaient évoqués: vendre les navires; poursuivre jusqu'au refinancement; et chercher des investisseurs ou vendre le groupe SCL82. La stratégie d'assainissement proposée par EY a formé la base des discussions que les compagnies de SCL ont ensuite eues avec les banques prêteuses KfW et UBS au sujet de la prolongation des crédits échus. De l'automne 2015 à l'automne 2016, les différentes possibilités d'assainissement des sociétés ont été analysées en détail; cet examen portait sur la question de savoir si la solution des investisseurs était envisageable, l'objectif étant d'éviter le versement des cautionnements. Durant cette période, les possibilités de garantie et d'influence de la Confédération et l'opportunité pour cette dernière, en sa qualité de créancière gagiste, de 81 82

Cf. procès-verbal des entretiens de la DélFin avec le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR du 1.9.2015.

Cf. rapport EY du 18.8.2015, «Projekt Speed: Planungsplausibilisierung und Handlungsempfehlungen».

5972

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prendre des mesures de réalisation forcée ont également été étudiées 83. Les discussions ont aussi porté sur l'option «transfert des navires au sein d'une société reprenante»84, qui n'a toutefois pas été retenue. Le 18 décembre 2015, le Conseil fédéral a conclu que, en raison de l'importante flotte de navires de haute mer battant pavillon suisse, l'approvisionnement économique du pays n'était pas menacé à moyen terme dans ce domaine85.

Le 22 novembre 2016, le chef du DEFR a informé la DélFin que les compagnies de SCL et SCT traversaient une crise économique et financière aiguë, de nature à menacer leur existence même, et ce, en dépit des crédits transitoires accordés par UBS sans intérêts et garantis par la Confédération86. La détérioration des taux de fret et d'affrètement, le taux de remplissage insuffisant des navires et le surendettement des différentes compagnies maritimes constituaient alors autant d'obstacles à un assainissement durable. Sans les crédits transitoires et les subordinations de créances opérées par les banques avec l'approbation de la Confédération, les groupes SCL et SCT auraient déjà été déclarés en faillite plus tôt. D'après le chef du DEFR, les compagnies concernées auraient peut-être risqué, sans l'application rapide de la solution des investisseurs, de voir survenir leur fin économique au début décembre 2016 déjà, à cause d'une crise de liquidités. C'est pourquoi les services de la Confédération intéressés (SG-DEFR, AFF, OFAE) ont travaillé énergiquement, en collaboration avec les conseillers externes de la Confédération et d'entente avec UBS ainsi qu'avec les représentants des sociétés, afin de trouver une solution permettant de limiter les pertes.

En octobre 2016, les différents scénarios de vente ou de liquidation ­ qu'il s'agisse d'une faillite ou d'un ajournement de faillite, d'une procédure concordataire judiciaire, du séquestre et de la réalisation coordonnés des navires dans des ports étrangers choisis expressément (vente au rabais ou fire sale) ou encore d'une vente de gré à gré ­ ont fait l'objet d'un examen juridique et économique approfondi. D'après le DEFR, il est ressorti de cet examen que la réalisation, dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité dans différentes juridictions, des huit compagnies à un seul navire concernées constituait une opération
extrêmement complexe. Si les experts en droit international maritime consultés estimaient, selon le chef du DEFR, qu'un séquestre et une réalisation des navires dans une juridiction telle que celle du Canada, des Pays-Bas ou de Singapour auraient limité les incertitudes juridiques, l'opération serait selon eux tout de même restée extrêmement complexe. A cela s'ajoutait le fait que la Suisse n'avait aucune expérience en matière de procédures d'insolvabilité de ce type, que la sécurité juridique faisait défaut et que le risque subsistait que de nombreux impondérables surviennent et fassent obstacle à la mise en oeuvre de

83 84 85

86

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de l'OFAE du 16.1.2019, p. 4.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 3; procèsverbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 20.

Cf. arrêté du Conseil fédéral du 18.12.2015, «Bericht über die Politik zur Sicherstellung eines ausreichenden Bestandes an Hochseeschiffen unter Schweizer Flagge und die Überprüfung des Instruments der Bürgschaft zur Finanzierung schweizerischer Hochseeschiffe».

Cf. procès-verbal des entretiens de la DélFin avec le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR du 22.11.2016, pp. 3 et 4.

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l'opération. De plus, l'insécurité juridique d'un sursis concordataire à l'étranger restait d'actualité87.

Face aux impondérables qui risquaient de compliquer la mise en oeuvre, les experts ont conseillé à la Confédération d'éviter dans la mesure du possible la faillite. Au cas où l'organe de révision dénoncerait le surendettement des compagnies maritimes de SCL et SCT, l'OFAE avait déposé des mémoires préventifs auprès des juges de la faillite compétents. Un ajournement de faillite n'entrait pas non plus en ligne de compte, car il n'était déjà plus réaliste d'envisager un assainissement et un rétablissement durable de la santé financière et du rendement de l'entreprise (aucun assainissement n'était envisageable). C'est en cas de faillite que les pertes pour la Confédération auraient été le plus élevées: cette dernière aurait dû supporter d'importants frais de procédure et le prix des navires se serait effondré. La procédure concordataire ou le séquestre et la réalisation coordonnés des navires n'ont à aucun moment constitué un scénario acceptable, de l'avis des services fédéraux concernés88.

Sur la base de cette analyse, le DEFR a choisi, d'entente avec l'AFF, le scénario de la «vente de gré à gré» sous la houlette des groupes SCL et SCT 89. Celui-ci présupposait toutefois l'approbation et la coopération du propriétaire, ce qui s'est révélé par la suite, selon les services fédéraux concernés, représenter le principal défi de l'opération90. La Confédération était étroitement associée aux tractations et privilégiait une solution permettant avant tout de maximiser le produit de la vente. Avec une vente de gré à gré, les services de la Confédération intéressés s'attendaient à limiter les pertes financières subies par la Confédération et à éviter une atteinte à la réputation du pavillon suisse. La vente de navires de haute mer induisait néanmoins une procédure juridique extrêmement complexe à préparer et à mettre en oeuvre dans un contexte international caractérisé par de nombreuses spécificités en matière de contrats, de personnel, de financement, de droit maritime et d'immatriculation des navires, lesquelles comportaient toutes des risques considérables. En termes de mise en oeuvre, trois options étaient envisageables pour la vente de gré à gré 91: ­

vente en bloc des douze navires des groupes SCL et SCT;

­

vente des navires par l'intermédiaire de courtiers, à l'unité ou en différents lots;

­

solutions impliquant des investisseurs, avec (éventuellement) le maintien des cautionnements de la Confédération.

Pendant toute la durée du processus de vente (soit d'octobre 2016 à mi-mai 2017), ces trois options ont été plusieurs fois réexaminées et adaptées aux changements

87 88 89

90 91

Cf. procès-verbal des entretiens de la DélFin avec le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR du 22.11.2016, p. 4.

Pour des explications détaillées, cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet 17.007), ch. 23.

Par vente de gré à gré, il faut entendre la vente progressive des navires sur le marché libre sans interruption de leur exploitation, hors de toute procédure d'insolvabilité ou de réalisation du gage.

Pour des explications détaillées à ce propos, cf. chap. 2.9.

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet 17.007), ch. 33, 41 et 42.

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affectant la situation92. L'objectif était que, pour chaque solution de vente, le risque de pertes soit inférieur à celui des autres variantes93. Les conseillers économiques de la Confédération étaient chargés d'examiner et d'apprécier les offres reçues et leurs avenants au fur et à mesure de leur arrivée ainsi que, à partir de février 2017, d'accompagner étroitement les courtiers et de coordonner leurs activités94. Jusqu'au début février 2017, la coordination des travaux des courtiers et, partant, des offres de vente se faisait uniquement par l'intermédiaire de la société holding du groupe SCL (SCL Reederei AG).

Option «Vente en bloc» A l'époque, la Confédération était nettement favorable à la vente en bloc, c'est-àdire la vente de l'ensemble de la flotte à un seul acquéreur, car l'administration estimait que cette option était la plus simple, la plus rapide, la plus avantageuse et la plus efficace, tant pour ce qui était de la coordination avec SCL et SCT concernant les négociations que de la préparation des contrats, du financement de la vente, de la signature et, finalement, de la concrétisation de la transaction. L'organisation de l'opération restait toutefois complexe et comportait des risques ­ des problèmes de financement ou de remise pour chacun des navires pouvaient tout faire échouer. Une disposition spéciale dans les contrats de vente, selon laquelle tous les contrats non encore exécutés seraient considérés comme étant «en demeure» si l'acquéreur n'honorait pas l'un d'eux, offrait cependant à à SCL et SCT des moyens d'action avantageux, qui aideraient à éviter que l'acheteur ne prenne que la meilleure part du gâteau. Choisir cette solution revenait à accepter que le produit total de la vente soit inférieur à ce qu'il aurait pu être en cas de vente séparée de chaque navire ou de vente par lots de plus petite taille95.

Option «Vente des navires par l'intermédiaire de courtiers» De plus petits lots, comprenant deux ou trois navires (voire davantage), restaient une alternative en cas d'échec de la vente en bloc. A cette fin, le propriétaire des groupes SCL et SCT avait mandaté, en décembre 2016, plusieurs courtiers96 actifs sur le plan international pour sonder le marché97. Ces recherches ont montré qu'il existait souvent un intérêt pour plusieurs navires du même type. En vendant les
navires par l'intermédiaire de courtiers, la Confédération comptait obtenir le produit le plus élevé par rapport à toutes les autres options. Toutefois, le déroulement de la vente aurait été plus complexe que la vente en bloc, en raison de la multiplicité des acquéreurs, ce qui aurait généré davantage de coûts d'exécution. En outre, le risque de contrepartie serait resté partiellement indéfini98. De plus, ce type de vente présentait 92 93 94 95 96 97 98

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 18.

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet 17.007), ch. 23.4.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 2.

Cf. procès-verbal des entretiens de la DélFin avec le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR du 20.11.2017, p. 11.

S'agissant des navires de SCL: Toepfer Transport GmbH, à Hambourg, et Howe Robinson Partners Ltd., à Hambourg; s'agissant des navires de SCT: Maersk Broker, à Copenhague.

Cf. déclarations du propriétaire des 2 et 23.12.2016 concernant le plan de liquidation.

Cf. procès-verbal des entretiens de la DélFin avec le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR du 20.11.2017, p.11.

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le risque de ne pas voir une offre économiquement adéquate être soumise pour chaque bateau, avec comme conséquence que les moins bons navires ne soient pas vendus ou le soient trop tardivement.

Contrairement aux solutions impliquant des investisseurs (cf. paragraphe suivant), l'option de la vente par l'intermédiaire de courtiers et celle d'une vente en bloc auraient signifié la fin des cautionnements. Après la vente, la Confédération n'aurait plus assumé aucun risque.

Option «Solutions impliquant des investisseurs» La recherche d'investisseurs, qui avait été envisagée dès la connaissance des difficultés de SCL, en juin 2015, est demeurée d'actualité dans le cadre du processus de vente comme alternative à la vente en bloc et à la vente par lots de plus petite taille par l'intermédiaire de courtiers. Avec une solution impliquant des investisseurs, l'ancien propriétaire devrait en principe être remplacé et le nouvel investisseur devrait injecter beaucoup d'argent frais afin de garantir la poursuite de l'exploitation. A partir d'octobre 2016, la Confédération a invité de plus en plus instamment le propriétaire des groupes SCL et SCT à trouver des investisseurs ou à concrétiser la vente des navires par l'intermédiaire de courtiers. Dans diverses déclarations, le propriétaire s'est engagé à faire le nécessaire99.

Dans l'optique des solutions impliquant des investisseurs, différentes options, impliquant une sollicitation partielle des cautionnement, avec et sans bon de récupération, ou avec d'autres modèles de participation au futur produit ont été chaque fois envisagées100, même si, pour la Confédération, il était clair dès le départ que le risque entrepreneurial devrait à l'avenir être assumé par l'acquéreur101. De l'avis du DEFR, la meilleure solution pour réduire les risques de pertes supplémentaires dues à un manque de financement et à une mauvaise gestion de SCL et SCT résidait initialement dans une reprise, avec ­ en fonction du prix ­ bon de récupération ou un autre modèle de participation au futur produit, des compagnies maritimes de SCL et SCT par un investisseur tiers dans le cadre d'une cession de parts (share deal) ou d'une cession d'actifs (asset deal). De cette façon, il y aurait eu des chances, moyennant les accords nécessaires, pour que la Confédération puisse profiter, grâce au
mécanisme choisi, d'un assainissement durable en cas de relance du marché102.

Le SG-DEFR a soutenu et coordonné de nombreux entretiens entre le propriétaire et divers investisseurs au sujet d'un possible engagement de ces derniers (cf. paragraphe suivant). Il a poursuivi ses efforts jusqu'à la signature des contrats de vente, parallèlement à l'idée de la vente par l'intermédiaire de courtiers, qui était aussi envisagée. Par souci d'égalité de traitement des investisseurs et pour structurer les offres et trouver une solution, des critères standard ont été établis, auxquels les investisseurs devaient satisfaire afin de pouvoir être pris en considération dans le 99

Cf. entre autres déclarations du propriétaire des 2 et 23.12.2016 concernant le plan de liquidation.

100 Le bon de récupération est une relation juridique en vertu du droit des obligations qui permet la participation au futur produit (par ex. provenant de l'exploitation ou de la vente).

101 Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet 17.007), ch. 23.4.

102 Cf. rapport supplémentaire du DEFR du 3.4.2018 à l'intention de la DélFin, p. 4.

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choix final: offres, preuves d'identité, modalités et preuves de financement, plan transactionnel (calendrier, étapes) et approbations requises103. Avec l'accord du propriétaire et du représentant légal des compagnies maritimes de SCL et SCT, le DEFR a demandé directement aux armateurs sis en Suisse s'ils souhaitaient investir104. C'est ainsi qu'une rencontre réunissant tous les armateurs suisses a été organisée en mai 2016105. Le maintien des cautionnements aurait exigé que les navires continuent d'être exploités sous pavillon suisse. D'après les règles de nationalité fixées par l'ordonnance sur la navigation maritime (RS 747.301), les deux tiers au moins des membres des organes d'administration et les trois quarts au moins des associés doivent être des ressortissants suisses (art. 5a à 5c de l'ordonnance sur la navigation maritime).

Au total, cinq investisseurs se sont entretenus de manière approfondie avec la Confédération et les compagnies de SCL et SCT106. Le 3 octobre 2016, le propriétaire des groupes SCL et SCT a présenté l'investisseur étranger A107. Afin d'évaluer son offre, la Confédération a prié les groupes SCL et SCT de lui fournir des informations plus détaillées sur l'intégrité d'A et sur le sérieux de sa proposition. Elle n'a toutefois jamais reçu ces informations108. Sur la base des renseignements obtenus à la suite d'éclaircissements opérés en interne par la Confédération, il était pourtant évident que cette solution n'était pas réaliste.

Le premier entretien avec l'investisseur suisse B a eu lieu le 19 octobre 2016. Les experts de la Confédération consultés ont estimé que, globalement, son offre n'était pas satisfaisante sur le plan économique et qu'elle ne soutenait pas la comparaison avec d'autres scénarios.

Les discussions avec l'investisseur suisse C ont débuté le 24 octobre 2016. Il s'est finalement avéré que l'offre de C manquait de fiabilité et était dépourvue d'un ordre de grandeur clair en termes financiers, ce qui l'empêchait d'être réalisable dans un délai prévisible et avec un risque acceptable pour la Confédération.

Le premier entretien avec l'investisseur étranger D a eu lieu le 10 janvier 2017. Son offre était la solution la plus complexe, en raison de sa structure, et, selon les experts de la Confédération, elle n'était pas réaliste du point de vue économique.
Le 12 janvier 2017, le propriétaire des groupes SCL et SCT a encore fait intervenir l'investisseur étranger E. Celui-ci n'a toutefois jamais présenté d'offre écrite109.

103 104 105 106

107 108 109

Cf. lettre type de SCL/SCT adressée aux investisseurs intéressés: «Binding offer for SCL and SCT vessels».

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 7.

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet 17.007), ch. 22.2.

Les explications concernant les entretiens avec les investisseurs potentiels se fondent largement sur les indications figurant dans le rapport supplémentaire du DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, pp. 2 à 9.

Afin de préserver le secret commercial, la DélFin anonymise ci-après les données concernant les investisseurs potentiels.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 17.

Ibid.

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Au bout du compte, il n'a pas été possible, malgré tous les efforts déployés, de mener jusqu'à un stade de négociation final une solution impliquant des investisseurs et assurant la survie durable et rentable des compagnies maritimes. Les investisseurs n'étaient intéressés que si les cautionnements solidaires fournis par l'Etat suisse étaient maintenus ou si la Confédération assurait un financement durable aux compagnies en honorant une partie des cautionnements. Les investisseurs n'étaient pas disposés à assumer eux-mêmes le risque lié à la reprise des navires. Ils exigeaient tous de la Confédération des garanties (ni dettes, ni mauvaises surprises) que cette dernière, pour des questions de risques, ne voulait pas leur apporter. Les éventuels produits comptables des solutions impliquant des investisseurs qui avaient été examinées par la Confédération se situaient au plus 15 % au-dessus des offres des courtiers, étant entendu que l'offre la plus élevée était fondée, d'après les conseillers de la Confédération, sur un scénario économiquement irréaliste. Les offres étaient très souvent complexes en termes de structuration des transactions et, dans l'ensemble, s'accompagnaient de nombreuses incertitudes supplémentaires ou de facteurs négatifs. La Confédération aurait encore dû supporter un risque pendant dix ans au plus (certes dans une mesure moindre que les groupes SCL et SCT) et aurait dû fournir un important travail de suivi pour une durée indéterminée, ce qui, par rapport à une vente, aurait accru le dommage qu'elle aurait subi. En outre, la Confédération craignait de devoir repartir finalement les mains vides, ou presque, car les bons de récupération ne lui auraient permis que dans une mesure limitée de profiter d'une évolution économique positive du marché et d'obtenir de meilleurs prix pour les navires110.

Autres options Les services de la Confédération intéressés jugeaient inopportune l'option selon laquelle la Confédération reprendrait à son compte les prêts des banques (sans sollicitation préalable des cautionnements par ces dernières) et deviendrait alors la créancière des compagnies maritimes. Selon la Confédération, il manquait une base légale pour un tel «rachat» des cautionnements, qui aurait impliqué que la Confédération devienne créancière tout en maintenant l'exploitation opérationnelle
des compagnies111. Il n'est en effet prévu nulle part que la Confédération puisse financer directement des activités au moyen de crédits ­ elle peut uniquement fournir des cautionnements ou, depuis le 1er juin 2017, des garanties112. La reprise des prêts n'aurait de toute façon pas amélioré sa marge de manoeuvre ­ pour la Confédération, les options seraient restées les mêmes113.

A la demande de la DélFin, la Confédération a examiné les possibilités juridiques d'une aide financière directe de la Confédération aux compagnies maritimes qui rencontraient des difficultés. Les services de la Confédération intéressés ont conclu qu'il n'existait aucune base légale permettant à la Confédération d'accorder un prêt, par exemple à titre d'aide transitoire, aux armateurs suisses qui exploitent des navires de haute mer en vue d'assurer le maintien de leur activité114. En se fondant sur 110 111 112 113 114

Cf. rapport supplémentaire du DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 9.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 2.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 3.

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 18.

Cf. lettre du secrétaire général du DEFR à la DélFin du 28.6.2016.

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l'ordonnance sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de haute mer (RS 531.44), la Confédération peut seulement fournir des cautionnements à l'intention des banques prêteuses. Par sécurité, la Confédération se fait alors remettre par le propriétaire du navire un droit de gage en premier rang. Il fallait donc trouver une solution directement avec les banques115.

Pour les services de la Confédération intéressés, il était hors de question de se départir prématurément des cautionnements solidaires. Soit ceux-ci étaient honorés, soit ils étaient maintenus («Tertium non datur»)116. La fin prématurée des cautionnements n'est possible que si les compagnies maritimes remboursent les prêts de manière anticipée ou si les banques prêteuses exercent leur droit de résilier les prêts et de faire honorer les cautionnements. Alors que la première option n'était pas réaliste du point de vue économique, la seconde, si elle ne faisait pas l'objet d'une préparation ciblée, allait à l'encontre des intérêts financiers de la Confédération117.

Le Conseil fédéral a renoncé, le 21 décembre 2016, à ouvrir un crédit-cadre ad hoc118 étant donné que cela ne semblait plus nécessaire. De plus, des mesures visant à réduire les risques ont été prises avec les compagnies maritimes existantes, l'une de ces mesures consistant par exemple à modifier les mécanismes de remboursement et à introduire notamment le mécanisme dit de la «double retenue à la source»119.

2.2.2

Appréciation

Dès le début du processus de vente, les représentants de la Confédération ont été fortement sollicités. Afin de définir le scénario idéal, les différentes options ont fait l'objet d'un examen approfondi. La DélFin estime que le choix de l'option «Vente de gré à gré» était pertinent et opportun pour la Confédération120: le fait d'honorer de façon contrôlée les cautionnements solidaires a certes occasionné des coûts importants à la Confédération, mais ceux-ci étaient chiffrables et aucuns frais subséquents indéfinis ne risquaient de survenir. Etant donné la complexité de la situation, la vente de gré à gré axée sur la vente en bloc était la stratégie la plus avantageuse économiquement parlant. Par ailleurs, cette solution permettait à la Confédération de se débarrasser rapidement de toute obligation financière à l'égard des groupes SCL et SCT, lesquels connaissaient chaque mois d'importants déficits. Grâce au travail énorme des services de la Confédération intéressés, le dommage a pu être réduit121.

Si une solution impliquant des investisseurs avait été retenue, les cautionnements solidaires auraient dû être maintenus pendant cinq à dix ans, selon les offres, et les risques inhérents aux navires (évolution du marché, fluctuation des valeurs des 115 116 117 118 119

Concernant le rôle des banques, voir le chap. 2.6.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 2.

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 18.

Cf. communiqué de presse du Conseil fédéral du 21.12.2016.

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au budget 2017 (objet 17.007), ch. 22.1.

120 S'agissant des modalités concrètes des contrats, cf. chap. 2.5.

121 Selon les estimations effectuées par le DEFR, les pertes ont pu être réduites de quelque 50 millions de francs (cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR du 19.11.2018, p. 2).

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navires, défectuosités, piraterie, etc.) auraient subsisté. Les investisseurs n'auraient repris les navires que moyennant des prêts inférieurs. Comme la Confédération aurait continué à supporter des risques en sa qualité de garante, les offres auraient dû, pour être prises en considération, être nettement supérieures à celles de la vente par l'intermédiaire de courtiers. La DélFin relève que les solutions impliquant des investisseurs, qui étaient initialement privilégiées et examinées, se sont finalement révélées inintéressantes et non concurrentielles.

La DélFin comprend les raisons qui s'opposaient à un remplacement des banques prêteuses par la Confédération pour la flotte de SCL et SCT. Dans le système politique suisse, il est en principe certes possible122, mais difficile de mettre en oeuvre des modifications législatives ad hoc au milieu de la gestion d'une crise.

Un processus de vente ordonné présuppose que les discussions requises ont eu lieu suffisamment tôt et que chaque étape clef du processus a réuni la compagnie maritime, la banque prêteuse et les services de la Confédération intéressés (compte tenu de l'avis des experts externes). Le processus peut ainsi être mené efficacement et les connaissances acquises peuvent être exploitées systématiquement.

Si d'autres compagnies maritimes devaient un jour être plongées dans des difficultés financières, la DélFin n'exclurait pas que le dommage financier pour la Confédération soit, en cas de faillite ou de montage impliquant une société supplétive, inférieur à ce qu'il pourrait être en cas de vente de gré à gré bien ordonnée. Cependant, la coopération inconditionnelle des propriétaires et dirigeants respectifs est une condition sine qua non d'une faillite organisée de manière ordonnée. La DélFin prie le Conseil fédéral d'examiner dans quelle mesure un meilleur résultat que celui découlant de la vente de gré à gré aurait pu être obtenu, pour toutes les parties, au moyen d'une faillite ou d'autres options.

Recommandation 2

Elaboration d'une stratégie de liquidation claire avant l'éclatement d'une crise de liquidités

La Délégation des finances demande au Conseil fédéral d'élaborer, en collaboration avec les organes des sociétés et les propriétaires et sur la base des expériences faites dans le cas de la liquidation des compagnies de SCL et SCT, une stratégie de liquidation claire prévoyant des étapes clefs. Il s'agira notamment d'examiner dans quelle mesure d'autres solutions, telles qu'une faillite ou un sursis concordataire (éventuellement avec une société supplétive), pourraient constituer des options alternatives permettant de réduire autant que possible les pertes pour la Confédération ou d'éviter les dommages.

122

La DélFin se réfère notamment, à ce propos, au sauvetage d'UBS par la Confédération et la BNS en 2008, et à la création de la base légale concernée sur la base de la clause générale de police de la Constitution fédérale (cf. ordonnance du 15.10.2008 relative à la recapitalisation de l'UBS SA; RS 611.055).

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2.3

Critères d'analyse des offres présentées

2.3.1

Rappel des faits

Avec le soutien de ses conseillers externes, le SG-DEFR a accompagné les divers entretiens avec des investisseurs et des acquéreurs potentiels, ou avec leurs courtiers.

Durant tout le processus de sélection, la Confédération a tenté de créer des conditions de concurrence permettant aux soumissionnaires les plus variés de présenter une offre. Pour structurer les offres reçues et pour garantir une égalité de traitement entre les acquéreurs potentiels, mais également pour permettre une meilleure comparaison entre les offres, le SG-DEFR a élaboré des critères d'évaluation standardisés avec le soutien d'experts externes. Dans ce contexte, le principe directeur était la limitation maximale des dommages subis par la Confédération. Le CDF est intervenu activement dans ce processus et l'OFAE y a également été associé (cf. chap. 2.6).

La définition des critères ainsi que leur pondération ont été discutées lors de séances collectives (SG-DEFR, AFF, OFAE, conseillers externes) et ont fait l'objet d'une décision par consensus123. Selon les déclarations des personnes auditionnées par la DélFin, le propriétaire des groupes SCL et SCT n'a pas influencé la sélection des critères d'évaluation ou, du moins, il n'existe aucun indice montrant qu'il ait cherché à influer sur ce processus. Jusqu'à la conclusion du contrat, le propriétaire s'est réservé la possibilité de présenter une meilleure solution que celle visée par la Confédération124. Lors de son audition devant la DélFin, l'avocat de l'entreprise a confirmé que les représentants des compagnies n'avaient exercé aucune influence sur les critères d'évaluation. En revanche, ils ont pu s'exprimer sur la classification des différentes offres125.

Quatre critères ont été définis pour l'évaluation des offres par la Confédération 126.

­

Prix: le montant en chiffres absolus (en dollars) offert pour chaque navire, après déduction d'éventuels frais de courtage pour réduire les pertes (produit net), ainsi que le caractère plus ou moins ferme du prix d'achat offert étaient déterminants.

­

Portée de l'offre: le nombre de navires qu'un acquéreur potentiel était prêt à reprendre était aussi un facteur déterminant pour la Confédération. En effet, plus l'offre portait sur un grand nombre de navires, plus le sort de l'ensemble de la flotte pourrait être planifié et réglé de manière ordonnée.

­

Fiabilité des acquéreurs intéressés: la probabilité qu'un acquéreur potentiel veuille réellement passer à l'acte ou qu'il dispose des moyens financiers nécessaires a été évaluée en se fondant sur les connaissances des experts de la Confédération sur le marché des navires et sur les déclarations des courtiers. En effet, de nombreuses ventes de navires avaient échoué parce que

123 124

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 2.

Cf. en particulier procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 3; procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 4; procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 4; procès-verbal de l'audition des représentants de l'OFAE du 16.1.2019, p. 4 s.

125 Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 15.

126 Cf. lettre de PwC au SG-DEFR du 18.5.2018, p. 2.

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l'acquéreur potentiel ne pouvait pas justifier de moyens financiers suffisants ou parce qu'il avait retiré son offre au dernier moment. D'une manière générale, le risque représenté par l'autre partie est élevé sur le marché des navires.

­

Rapidité du règlement de la transaction: la mauvaise santé financière des compagnies maritimes des groupes SCL et SCT nécessitait l'injection de liquidités à hauteur d'environ un million de dollars par mois, ce qui plaidait pour une action rapide dans le but de réduire au maximum le dommage subi par la Confédération.

L'objectif n'était donc pas uniquement de vendre chacun des navires au meilleur prix mais bien de trouver une solution de règlement appropriée dans l'optique de la Confédération. Pour cette dernière, la rapidité du processus constituait l'élément central car, au vu des pertes financières mensuelles enregistrées notamment par la flotte de SCL, qui se chiffraient parfois en millions de dollars, l'échéance ne pouvait être reportée indéfiniment. D'autant que des annonces d'avaries venaient s'ajouter aux pertes d'exploitation pratiquement tous les mois, avec de longues et coûteuses réparations à la clé et que des recettes très faibles, voire nulles étaient enregistrées pendant cette période127.

Plusieurs acquéreurs potentiels ainsi que des investisseurs ont fait part de leur intérêt pour les navires des groupes SCL et SCT. La structure de l'acquisition et de la reprise des navires présentait toutefois de très grandes différences, notamment sur des points essentiels. De l'avis du conseiller économique de la Confédération, les offres d'achat reçues n'étaient pas toutes crédibles128. Un tableau matriciel a donc été établi afin de pouvoir comparer les offres entre elles. Celui-ci comprenait les critères d'évaluation déjà mentionnés ainsi que d'autres critères de décision, à savoir la perte globale pour la Confédération, la complexité de la solution, le maintien des cautionnements solidaires, le suivi nécessaire de la part de la Confédération, ainsi que les financements transitoires supplémentaires requis de la part des banques et, indirectement, de la Confédération129. Les mêmes critères ont été appliqués dans chaque phase du processus de sélection pour chacune des trois options de vente (vente en bloc, courtiers, investisseurs). Ainsi, même pour une vente en bloc, une offre séparée devait être présentée pour chaque navire. De l'avis des représentants de la Confédération, cela a permis de garantir la comparabilité des offres130.

Toutes les offres présentées ont été examinées et évaluées de la même manière, sur la base des critères définis, puis elles ont été discutées au sein de l'équipe de projet (SG-DEFR, AFF, OFAE, conseillers externes) et avec les compagnies de SCL et SCT. A la connaissance de la DélFin, les différents critères n'ont cependant pas été pondérés de manière formelle. Selon les déclarations
des personnes impliquées, les critères et la manière de les évaluer n'ont pas subi de modifications fondamentales durant le processus de sélection. Certains critères ont certes été affinés lors de 127 128 129

Cf. rapport complémentaire du DEFR du 3.4.2018 à l'intention de la DélFin, ch. 2.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 4.

Cf. tableau comparatif de l'AFF du 8.3.2017 concernant les options de vente pour les navires des groupes SCL et SCT.

130 Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 3 s.

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l'analyse des nouvelles offres présentées, mais uniquement afin de pouvoir garantir la comparabilité des offres sur l'ensemble du processus de sélection 131.

Certaines parties intéressées ont fait des offres d'achat que la Confédération n'a pas jugées crédibles et elles n'ont finalement pas présenté d'offre formelle. Ainsi, par exemple, l'offre de l'investisseur A (cf. chap. 2.2) n'était pas assez détaillée et, malgré plusieurs sollicitations de la part des représentants de la Confédération, les informations manquantes n'ont jamais été fournies. Par conséquent, cet investisseur n'a pu être retenu dans la liste de présélection. Il n'a par ailleurs pas été donné suite à certaines offres qui n'étaient pas assez crédibles. De plus, les parties intéressées n'ont pas toutes pu visiter les navires. Le fait que ces derniers étaient en exploitation n'a pas simplifié les choses, étant donné qu'ils étaient constamment en déplacement sur les mers du globe.

Les offres ont été classées en fonction des critères retenus et le processus s'est poursuivi sur la base des offres les plus crédibles. Du point de vue temporel, on a toujours veillé à ce que le moment de la vente soit compatible avec la procédure d'examen d'un crédit supplémentaire par le Parlement.

Les offres ont été évaluées lors de séances communes entre les services de la Confédération concernés, en présence des conseillers économiques et juridiques ainsi que des représentants des groupes SCL et SCT (représentant légal, parfois président de la direction/CEO et propriétaire)132. Les critères ont dû être pondérés pour tenir compte des conflits d'objectifs: un produit de la vente élevé (stratégie de la limitation maximale des dommages) n'aurait par exemple en aucun cas permis de réduire les risques élevés auxquels était exposée la Confédération (maintien de ses cautionnements) 133.

De manière générale, de grandes disparités ont été constatées entre les offres: la durée prévue pour le règlement de la transaction allait par exemple de deux mois à dix ans, selon les offres. De grandes différences sont également apparues lors de l'estimation du suivi nécessaire et de l'appréciation de la complexité de la solution proposée.

Si le prix offert avait été le seul critère présidant à la décision de vente, l'offre qui a finalement été retenue (celle du groupe
canadien Mach) n'aurait pas été la meilleure solution dans l'optique de la Confédération (cf. tableau 4). Si la vente individuelle des navires ou la reprise par des investisseurs aurait peut-être permis d'obtenir un produit de la vente plus élevé, ces procédures auraient allongé la durée de règlement de la transaction, ce qui aurait entraîné des charges de suivi plus importantes pour la Confédération. Lors de la pesée des intérêts, le facteur prix a été mis en balance avec la rapidité du règlement de la transaction, mais aussi avec le rapport contractuel futur avec la Confédération (par ex. maintien des cautionnements).

L'offre de Mach était la seule qui proposait l'achat en bloc de la flotte. L'avantage de cette solution résidait dans le règlement bref et comparativement efficace de la 131

Cf. en particulier rapport complémentaire de l'OFAE du 21.2.2019 à l'intention de la DélFin, p. 1; procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 3; procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 4 s.; procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 4.

132 Cf. notes de dossier du SG-DEFR concernant les séances communes tenues entre le 3.10.2016 et le 15.5.2017.

133 Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 5.

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transaction. Etant donné qu'aucune autre offre d'achat en bloc n'a été présentée, il importait à la Confédération que l'on dispose, pour les courtiers, d'un nombre aussi élevé que possible d'offres d'acquéreurs fiables, dont le prix soit attractif et ferme, et ce pour le plus grand nombre possible de navires. Cette maximisation des offres devait permettre de disposer d'une bonne base de comparaison pour juger de l'attractivité de l'offre d'achat en bloc présentée par Mach. Selon les experts externes, de très gros efforts ont été déployés afin de maximiser le champ des offres définitives, jusqu'au moment de la décision concernant l'offre d'achat en bloc134.

Tableau 4 Matrice de décision de la Confédération pour les offres d'achat fermes 135 Celine, Sabina

Akwaba, Andisa, Anita

Bern, Basilea, Léman

Matterhorn, Monte Rosa Breithorn, Stockhorn

Acquéreur Acquéreur Acquéreur Acquéreur Acquéreur B C D E F

Flotte

Tango Ship.

Acqureur A

Groupe Mach

Prix

4

3

3

2

2

4

4

3

Portée de l'offre

3

3

3

3

2

3

3

4

Fiabilité acquéreur

3

21

2

2

3

3

2

3

Rapidité

4

2

2

2

1

3

1

2

14

10 9

10

9

8

13

10

12

Source: présentation du DEFR du 20 novembre 2017, p. 22. Les chiffres reflètent l'appréciation sur une échelle de 1 (mauvais) à 4 (très bon).

Pour mieux évaluer les offres, la Confédération a également fait procéder à une estimation de la valeur à la casse basée sur le prix de l'acier pour les huit cargos du groupe SCL, dont l'état était globalement mauvais136. Cette valeur variait entre 10 et 12 millions de francs pour l'ensemble des navires. La vente des navires de SCL a permis de dégager un produit nettement plus élevé (22,6 millions de francs). L'état général des navires-citernes du groupe SCT étant bon, l'éventualité d'une mise à la casse n'a pas été retenue et par conséquent la valeur à la casse n'a pas été calculée137.

134 135

Cf. lettre de PwC au SG-DEFR du 18.5.2018, p. 2.

Les données des acquéreurs potentiels ont été anonymisées afin de garantir le secret des affaires.

136 Lors de son audition devant la DélFin, le propriétaire a justifié le mauvais état des navires par un manque d'entretien dû aux problèmes de liquidités des compagnies; cf. procèsverbal de l'audition du propriétaire de SCL et SCT du 12.4.2019, p. 7.

137 Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 20.

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2.3.2

Appréciation

Tous les représentants de la Confédération et des organismes externes qui ont été impliqués dans le processus de sélection ont indiqué à la DélFin que, compte tenu de la situation qui prévalait à l'époque, les critères choisis restaient justes et valables même a posteriori.

La DélFin constate que le marché des navires de haute mer est très complexe. Il se compose d'une multitude d'acteurs entre lesquels les rumeurs courent vite. De nouveaux acquéreurs potentiels se manifestent sans cesse, les offres présentées sont parfois retirées sans préavis et les prix offerts sont revus à la baisse après la visite des navires. De plus, les travaux nécessaires jusqu'à la présentation d'une offre définitive sont très importants, notamment du fait qu'il faut fournir de nombreuses données sur l'état et l'affrètement des navires et que ces derniers doivent pouvoir être visités, alors qu'ils sont la plupart du temps en déplacement sur les mers du globe. Cette complexité représentait un défi particulier pour l'administration fédérale, dans l'optique de l'évaluation des offres, et il a fallu déployer de gros efforts pour pouvoir comparer les différentes offres d'une manière sérieuse et objective.

Pour la DélFin, il ne fait aucun doute que les informations disponibles à la fin de l'année 2016 et le mauvais état de la trésorerie des compagnies maritimes SCL et SCT nécessitaient une intervention rapide, car aucune amélioration de la situation n'était envisageable. Cela a notablement influencé la définition des critères d'appréciation des offres. Ainsi, les représentants de la Confédération sont arrivés à la conclusion qu'une vente en bloc serait réglée beaucoup plus rapidement qu'une vente navire après navire par le biais de courtiers ou qu'une reprise par des investisseurs. Ce facteur paraissait alors essentiel au vu de l'épuisement rapide de la trésorerie des groupes SCL et SCT (au rythme d'un million de dollars par mois environ 138).

La DélFin comprend que, dans ces circonstances, la rapidité du règlement de la transaction se soit imposée comme le critère de vente décisif. La prolongation de cette situation des années durant aurait en effet conduit la Confédération à devoir soutenir indirectement les compagnies maritimes avec des crédits d'exploitation importants, ce qui n'aurait été justifiable ni aux yeux de la
politique ni à ceux de l'opinion publique.

La DélFin relève que d'autres critères auraient pu être utilisés, en plus des critères d'évaluation définis. Ceux-ci auraient par exemple pu porter sur la question des prétentions en responsabilité après la transaction (quoi qu'un tel critère est difficile à évaluer et n'aurait, dans certains cas, pas pu l'être au moment de la vente, faute de disposer des informations pertinentes, et n'aurait donc pu l'être qu'ultérieurement), ou sur l'étendue de l'examen des navires par les soumissionnaires, ou encore sur le risque d'une réduction des prix lors du transfert des navires.

L'analyse du processus de vente des flottes de SCL et SCT n'a mis en évidence aucun indice montrant que les bases d'évaluation aient été modifiées après coup. Les 138

Cf. crédits transitoires d'UBS garantis par la Confédération entre le 27.10.2016 et le 18.4.2017 pour un montant total de 5 millions de francs; procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 2; procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 15.

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auditions menées par la délégation et les informations collectées n'ont révélé aucun indice permettant de penser que les offres présentées n'ont pas été évaluées de manière uniforme. Par ailleurs, il apparaît que les représentants des compagnies n'ont pas influé directement sur la définition des critères d'évaluation.

Dans la perspective d'une vente future, la DélFin est d'avis que le propriétaire, la Confédération et les conseillers externes devraient réexaminer les critères ensemble, en fonction du cas d'espèce. Il serait en effet risqué de reprendre telle quelle la liste de critères utilisée dans le cadre de la vente des flottes de SCL et SCT. En admettant par exemple que la situation en matière de liquidités soit meilleure, la Confédération et l'armateur disposeraient de plus de temps pour trouver une solution permettant de réduire le dommage et pour mieux planifier l'ensemble du processus. Dans ce contexte, le critère de la rapidité du règlement de la transaction perdrait considérablement de sa pertinence. Les enseignements tirés de la vente de la flotte de SCL et SCT sont néanmoins très précieux, raison pour laquelle il convient de les traiter avec le plus grand soin, pour le cas où la Confédération serait à l'avenir confrontée à des situations similaires.

La DélFin reconnaît que l'élaboration d'une liste de critères et leur pondération dans l'intérêt de la Confédération en tant que garante n'est pas une science exacte. La décision de vendre les navires revêt une très grande importance financière et politique pour la Confédération et elle ne peut être prise en se fondant uniquement sur la somme des valeurs résultant d'une liste de critères. Au contraire, il faut tenir compte de tous les éléments en présence, y compris de facteurs difficiles à quantifier. Dans ce type de processus de sélection, la DélFin estime qu'il est primordial de ne jamais perdre de vue l'objectif suprême qu'est la limitation maximale des dommages.

Recommandation 3

Elaboration de critères d'évaluation transparents

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de mettre à profit les expériences acquises dans le cadre de la vente des flottes SCL et SCT, et de définir en particulier, lors de ventes de navires, des critères relatifs à l'évaluation des offres présentées, ainsi qu'à leur pondération et à la procédure de sélection.

2.4

Offres et prix de vente

2.4.1

Rappel des faits

Vente des navires des groupes SCL et SCT à Mach et à Tango Shipping Les efforts déployés par les groupes SCL et SCT, avec le soutien de l'administration fédérale et de ses conseillers, visaient la vente en bloc de la flotte mais aussi, parallèlement, la recherche d'investisseurs et d'acheteurs par l'intermédiaire de courtiers139. L'évolution des offres d'achat entre janvier et mai 2017 est récapitulée dans le tableau 5. Les caractères gras signalent les offres fermes avec protocole d'entente 139

Cf. chap. 2.2.

5986

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(Memorandum of Agreement, MoA) en préparation. Les autres offres sont des offres non contraignantes avec prix indicatif.

Tableau 5 Evolution des offres d'achat au fil du temps140 2017

Celine, Sabina

Janvier

Février

Mars

3.0 (Tango) 2,75 (G)

3.5 (Tango) 3.1 (G)

3,7 (H) 3,7 (H) 3,75 (A) 4,0 (Tango) 3.5 (Tango) 3.5 (Tango) 3.5 (Tango) 3,75 (A) 3.4 (G) 3.4 (G)

12,0 (B)

12,0 (B) 9-10 (I)

12,0 (B) 9-10 (I)

11.7 (B)

11.7 (B)

12,5 (J) 7,6 (D, 2 navires)

12,5 (J) 7,6 (D, 2 navires) 4,0 (K, 1 navire)

7,6 (D, 2 navires) 6,3 (L, 2 navires)

7,6 (D, 2 navires)

9.0 (B) 7,6 (D, 2 navires)

Akwaba, Andisa, n/d Anita

Avril

8 mai

15 mai

Basilea, Bern, Léman

12,5 (J)

Matterhorn, Monte Rosa

26,0-28,0 (M) 28,0 (E) 28,0 (E) 28,0 (E) 28,0 (E) 26,0-28,0 (M) 26,0-28,0 (M) 26,0-28,0 (M)

28,0 (E)

Breithorn, Stockhorn

n/d

n/d

n/d

23,3 (F)

Flotte

n/d

n/d

70,0 (Mach) 70,0 (Mach) 70,0 (Mach) 70,0 (Mach)

n/d

n/d

Source: offres reçues entre le 16 janvier et le 10 mai 2017; en millions de dollars.

A mi-mai 2017, la vente à Mach était sur le point d'être finalisée pour un montant de 70 millions de dollars américains. Parallèlement, plusieurs ventes étaient aussi sur le point d'être conclues par l'intermédiaire de courtiers, ce qui permettait de disposer d'un plan B en cas d'échec de la transaction avec Mach. Les deux procédures ont été coordonnées pendant de nombreuses semaines, d'une part, pour inciter le propriétaire des groupes SCL et SCT à vendre et, d'autre part, pour respecter les délais parlementaires en vue de l'octroi d'un crédit supplémentaire à la session d'été 2017141.

La conclusion de la transaction avec Mach ayant pris du retard dans la phase finale, les navires MV Sabina et MV Celine ont été vendus à l'armateur turc Tango Shipping and Trading Ltd (ci-après Tango) le 15 mai 2017, par l'intermédiaire du courtier Toepfer. Simultanément, Mach a été informée que d'autres navires seraient vendus (via des courtiers) si les délais fixés pour la finalisation du contrat de vente continuaient à ne pas être respectés. A ce moment-là, les contrats étaient pratiquement prêts à être signés pour la vente des navires-citernes SCT Monte Rosa et SCT Matterhorn à l'armateur E par le biais du courtier Maersk et pour la vente des cargos 140

Les données sur les acheteurs potentiels ont été anonymisées afin de garantir le secret des affaires. Chaque lettre désigne un offrant et chaque offrant est représenté par la même lettre dans ce tableau et dans le tableau 4 présenté au chap. 2.3.

141 Cf. rapport complémentaire du DEFR du 3.4.2018 à l'intention de la DélFin, p. 5.

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SCL Akwaba, SCL Andisa et SCL Anita à l'armateur B par le biais du courtier Howe Robinson. Selon les représentants de la Confédération, ces deux solutions auraient toutefois comporté des inconvénients majeurs pour la Confédération. Cela aurait notamment fait augmenter le risque d'échec de la vente en bloc à Mach et les compagnies SCL et SCT n'auraient guère été en mesure de gérer simultanément le transfert de plusieurs navires à Tango, aux armateurs E et B, ainsi qu'à Mach142.

Dans ce contexte, les représentants de la Confédération et les experts impliqués ont accueilli positivement la décision de Mach, communiquée au soir du 15 mai 2017, d'approuver l'achat en bloc du solde de la flotte et la signature, le 17 mai, des contrats portant sur la vente à Mach des dix navires restants (les six cargos de SCL Andisa, Anita, Akwaba, Bern, Basilea et Léman ainsi que les quatre navires-citernes de SCT Matterhorn, Monte Rosa, Breithorn et Stockhorn). La condition à la conclusion de la transaction et à la signature consécutive des contrats était le versement par Mach d'un acompte de 10 %, ainsi que la remise d'un justificatif de la capacité financière de sa banque portant sur l'entier de la somme convenue. Dès que Mach a confirmé l'achat en bloc du solde des navires des groupes SCL et SCT, le DEFR a transmis aux autres départements le projet de message concernant un crédit supplémentaire destiné à honorer les cautionnements de la flotte de navires de haute mer battant pavillon suisse. Le 16 mai, le Conseil fédéral a adopté ce message à l'intention du Parlement par voie de circulation et les Commissions des finances des Chambres fédérales ont examiné la demande de crédit supplémentaire du Conseil fédéral les 18 et 19 mai déjà. Pour les représentants de la Confédération, l'approbation de la transaction par le propriétaire des navires n'était cependant pas acquise d'avance, et ce jusqu'au paraphe du contrat de vente le 17 mai 2017143. Les représentants de la Confédération sont parvenus à la conclusion qu'il était dans l'intérêt de la Confédération de mettre un point final au processus de vente. Les événements les plus importants survenus durant la période décisive du 10 au 19 mai 2017 sont récapitulés dans le tableau 6.

Tableau 6 Déroulement de la fin des négociations de vente en mai 2017 Mer. 10 - Communication
à Mach de l'existence de négociations d'autres MoA avec d'autres acheteurs.

- Échange des MoA avec l'acheteur B pour Akwaba, Andisa, Léman (sans signature).

Jeu. 11

- Confirmation de l'offre supérieure de Tango pour Celine et Sabina.

- Échange des MoA avec Tango sur la définition du mode de transfert.

Ven. 12 - Confirmation de l'offre finale de l'acheteur E pour Matterhorn et Monte Rosa.

142 143

Ibid.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 8.

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- Finalisation des MoA avec Tango.

Sam. 13 - Information à Mach: dernier délai pour stopper la vente de Celine et Sabina à Tango le lundi 15 mai 2017.

Dim. 14 - Mandat concernant la préparation de la signature des contrats pour la vente de Celine et Sabina le 15 mai 2017.

Lun. 15 - Réunion des représentants de la Confédération pour discuter des offres selon le tableau «Evolution des offres d'achat au fil du temps».

- Signature des contrats de vente avec Tango pour Celine et Sabina.

- Communication à Mach de la vente possible d'autres navires.

- Approbation de la transaction en bloc par Mach.

- Mise en circulation au Conseil fédéral du message concernant un crédit supplémentaire.

Mar. 16 - Approbation du message par le Conseil fédéral par voie de circulation.

Mer. 17 - Signature des contrats de vente avec Mach portant sur dix navires.

- Communication de la vente en bloc aux autres acheteurs intéressés.

Jeu. 18

- Confirmation du versement de l'acompte de 10 % par Mach.

- Examen préalable du message concernant un crédit supplémentaire par la CdF-N.

Ven. 19 - Examen préalable du message concernant un crédit supplémentaire par la CdF-E.

Source: présentation du DEFR à la DélFin du 20 novembre 2017, p. 20.

Estimations prospective et rétrospective de la valeur des navires des groupes SCL et SCT A l'automne 2016, alors que la crise s'aggravait, la Confédération a reçu diverses communications sur l'entretien déficient des navires. Dans la perspective des négociations à venir avec des investisseurs et acheteurs potentiels, le DEFR avait besoin d'informations sûres concernant l'état et l'éventuelle valeur résiduelle des navires des groupes SCL et SCT. C'est pourquoi le SG-DEFR a mandaté les consultants maritimes Weselmann et Winkelmann de Hambourg pour estimer la valeur intrinsèque des navires en se basant sur les critères de l'âge, de l'état technique, de la qualité de l'entretien, de l'armateur, etc. Les consultants n'ont toutefois fourni une estimation du prix pouvant éventuellement être obtenu sur le marché qu'après que le DEFR eut demandé, dans le cadre de la gestion de crise, à obtenir un montant à titre indicatif144.

144

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 5.

5989

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Le montant global obtenu lors de la signature des contrats de vente avec Tango, le 15 mai 2017, et Mach, le 17 mai 2017, s'est élevé à environ 71,6 millions de dollars, soit nettement moins que la valeur totale de marché estimée 133,9 millions de dollars par Weselmann (navires SCL) et Winkelmann (navires SCT) en novembre et décembre 2016145. Le CDF était lui aussi arrivé à la conclusion, dans le cadre de ses analyses, que la valeur de marché de navires de même type se situait au-dessus du prix de vente obtenu, à savoir dans une fourchette indicative allant de 89 à 104 millions de dollars. Son analyse n'avait toutefois pas pu tenir compte de l'état technique réel des navires et de la qualité de leur entretien146. La DélFin n'est pas en mesure de déterminer comment Mach a calculé le prix de son offre. Selon les informations fournies par le DEFR, les indications de prix fournies par Mach se fondaient en grande partie sur les valeurs des consultants hambourgeois. Par souci de simplification, les prix d'achat offerts par Mach ont été répartis de manière plus ou moins linéaire147. En se fondant sur la documentation disponible et sur les auditions effectuées, la DélFin n'est pas non plus en mesure d'évaluer comment Tango a calculé les prix de son offre.

Les représentants de l'administration et les experts externes se sont également penchés sur cette différence significative entre la valeur estimée et le prix conclu. Selon PwC, cela serait dû en premier lieu au fait que Winkelmann et Weselmann effectuent la plupart du temps des expertises techniques pour des banques et des assurances. Or, les valeurs résultant de ce type d'estimation sont tendanciellement plus élevées que les prix qui peuvent être réalisés sur le marché148. De plus, les experts maritimes mandatés par le DEFR n'ont pas pu inspecter les navires à fond, faute de temps. La situation est différente pour Mach, car l'entreprise a fait inspecter les navires de manière approfondie par ses propres experts149. La différence entre la valeur estimée et le prix de vente s'explique aussi, selon PwC, par les surcapacités du marché des navires au moment de la transaction et par la forte volatilité qui caractérise ce marché d'une manière générale150. Ainsi, l'évolution du Baltic Dry Index montre clairement que les prix du marché des navires ont subi de
fortes fluctuations entre novembre 2016 et mai 2017151. Pour ces raisons, le SG DFF, l'OFAE, l'AFF et les conseillers externes considèrent qu'une comparaison entre les estimations de la valeur et les prix effectifs n'est possible que de manière limitée.

145

146 147 148 149 150 151

Cf. rapports d'inspection de navires du bureau d'ingénieurs Weselmann des 1.11.2016, 4.11.2016, 7.11.2016, 10.11.2016, 11.11.2016, 15.11.2016, 17.11.2016 et 18.11.2016; rapports d'inspection de navires de Winkelmann Maritime Consult des 17.11.2016, 19.11.2016, 22.11.2016 et 14.12.2016.

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, pp. 21 et 51.

Cf. présentation du DEFR à la DélFin du 20.11.2017, p. 21.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 5.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 7.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 5.

Le Baltic Dry Index est un indice des taux de fret pour les routes standard, mais ne donne pas d'indication sur le prix du marché de navires de haute mer. Toutefois, des experts estime qu'il existe un certain lien de corrélation: lorsque les taux de fret augmentent ou baissent, les prix des navires ont tendance à le faire également.

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Répercussions d'une fuite d'informations sur le processus d'offres Un autre facteur qui a tiré les offres vers le bas, par rapport aux estimations, est la fuite d'informations survenue en janvier 2017, lorsque l'opinion publique a été informée, par le biais d'un article de l'Aargauer Zeitung152, que des navires des groupes SCL et SCT devaient être vendus. Cet article citait une note de discussion du Conseil fédéral classifiée confidentielle du 14 décembre 2016, qui évoquait un déficit d'exploitation des groupes SCL et SCT atteignant jusqu'à un million de dollars par mois. A la suite de la publication de cet article, le chef du DEFR a immédiatement déposé plainte auprès du Ministère public de la Confédération pour violation du secret de fonction153. Dès qu'elle a pris connaissance de cette fuite, la DélFin a fait savoir que la publication de cette information pourrait encore accroître les risques financiers encourus par le Confédération. Elle s'est donc félicitée que le chef du DEFR ait déposé plainte154.

Le 17 janvier 2019, la DélFin s'est fondée sur les art. 153 et 154 de la loi sur le Parlement (LParl; RS 171.10) pour auditionner le procureur général de la Confédération au sujet de l'avancement de l'enquête concernant la fuite d'informations. Elle a alors été informée que le cas n'était pas encore clos155. Selon les déclarations du chef du DEFR, la fuite d'informations de janvier 2017 a aggravé la situation qui prévalait à l'époque. La marge de manoeuvre s'est encore réduite et le représentant légal des compagnies de SCL et SCT s'est plaint à plusieurs reprises des conséquences négatives de «la publicité imputable à la Confédération» sur le processus de vente et de l'insécurité qui en a découlé pour le personnel. Désormais, le marché était au courant des difficultés économiques des compagnies maritimes de SCL et SCT, et les informations sur l'implication de la Confédération dans ce dossier n'étaient pas non plus salutaires. Tout cela a, selon le représentant des groupes SCL et SCT, fait augmenter la pression sur les prix des navires156.

Le chef du DFF était du même avis que le DEFR. Il a estimé que la fuite d'informations avait un peu plus compliqué la vente des navires et qu'elle s'était répercutée négativement sur les prix qui allaient être négociés, car il était à présent clair pour tout
acheteur potentiel que la pression sur la Confédération et l'entreprise était très forte157. Le secrétaire général du DEFR a déclaré à la DélFin que la fuite d'informations avait sensiblement perturbé le processus de vente. A la suite de cet événement, les offres ne répondant pas aux critères de qualité exigés se sont multipliées. La charge liée aux inspections des navires a aussi fortement augmenté en raison des offres de chasseurs de bonnes affaires et l'entreprise n'était pas en mesure d'y faire face dans cette phase critique158. Le propriétaire a lui aussi indiqué à la 152 153 154 155

Cf. Aargauer Zeitung du 27.1.2017, p. 4.

Cf. communiqué de presse du DEFR du 27.1.2017.

Cf. communiqué de presse de la DélFin du 27.1.2017.

Cf. procès-verbal de l'audition du procureur général de la Confédération du 17.1.2019, pp. 121 s.

156 Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR du 19.11.2018, p. 4; note de dossier du SG-DEFR concernant la séance commune tenue le 23.2.2017 entre les représentants de la Confédération, les experts externes et les représentants des groupes SCL et SCT, p. 4.

157 Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DFF du 17.1.2019, pp. 2 s.

158 Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, pp. 6 s.

5991

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DélFin que la fuite d'information avait été très préjudiciable159. La DélFin constate que les parties prenantes auditionnées, bien qu'ayant des intérêts très divergents, étaient unanimes à penser que cette fuite avait eu des conséquences négatives.

Digression: propriété actuelle des navires vendus Les deux navires vendus à Tango ont été repris dès leur vente par Transnord Industry Co Ltd. à Malte et naviguent depuis lors sous pavillon des Îles Cook. Les navires sont gérés par Tango Shipping & Trading Ltd. à Istanbul160.

S'agissant des dix navires vendus à Mach, une compagnie à un seul navire a été constituée pour chacun des vaisseaux. La vente a été organisée par Mach pour son propre compte et au nom de ses mandataires (on its behalf and on behalf of its nominees). Neuf des dix navires ont ensuite navigué sous pavillon de la Barbade161.

Les cargos, qui sont encore en possession de Mach, naviguent actuellement pour Team Ship Maritime GmbH & Co KG à Bremerhaven. Les navires-citernes naviguent pour la société U-Ship Maritime Services Inc. à Montréal, une société du courtier de Mach162.

Selon les informations de PwC, tous les navires acquis par Mach ont été remis sur le marché. D'après la presse163, le cargo SCL Andisa, rebaptisé Jennifer H après sa reprise par Mach, a été racheté par l'armateur BOCS de Brême le 20 février 2019. A la suite d'une avarie de moteur, le navire a subi d'importantes réparations avant sa reprise par BOCS164. Le cargo SCL Bern a lui aussi un nouveau propriétaire. Après son rachat, Mach a changé son nom en Angelo Maria et il s'appelle actuellement Gala. Son nouveau propriétaire est l'armateur Unimor Shipping Agency d'Odessa (Ukraine). Il n'existe aucune information officielle sur le montant de ces deux transactions165.

Les autres navires acquis par Mach ont également été remis en vente. Selon les informations de PwC, le prix de vente des cargos demandé par les courtiers était plus élevé que le prix d'achat payé par Mach. S'agissant des navires-citernes, les experts maritimes externes du DEFR ne sont pas en mesure d'articuler un chiffre, expliquant que, fin 2018, la demande pour ce type de navires était faible et aucun prix concret ne circulait166.

2.4.2

Appréciation

Les investigations de la DélFin ont montré que la Confédération avait choisi une solution compréhensible et justifiée. Il est difficile de dire, a posteriori, s'il existait 159 160 161 162 163 164 165 166

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, p. 6.

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 26.

Ibid.

Cf. rapport complémentaire de l'OFAE du 15.4.2019 à l'intention de la DélFin.

Cf. Weser Kurier du 9.2.2019.

Cf. Täglicher Hafenbericht du 11.2.2019, p. 13.

Cf. rapport complémentaire de l'OFAE du 15.4.201 à l'intention de la DélFin.

Cf. courriel de PwC du 18.12.2018 à la DélFin.

5992

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une meilleure solution. La situation, les acteurs et les circonstances (Baltic Dry Index, évolution du marché, taux d'affrètement), qui ont constamment changé et n'étaient que peu, voire pas du tout prévisibles, ont eu une influence considérable sur les prises de décision et les processus.

En faisant intervenir des courtiers pour la vente de gré à gré de certains navires ou groupes de navires, en négociant une vente en bloc, la Confédération a essayé de limiter les dommages autant que possible. Mach a signé le MoA portant sur le transfert des dix derniers navires juste après la vente de deux cargos à Tango. Pour la DélFin, cette réaction démontre clairement qu'il y avait alors une vraie situation de concurrence. Mach a réalisé que la Confédération avait d'autres options en réserve, en plus de la vente en bloc, et que d'autres navires pourraient ainsi être vendus à des concurrents n'importe quand. L'analyse des offres présentées à la Confédération confirme que la stratégie de liquidation évaluée au chapitre 2.2 était la plus avantageuse, compte tenu des circonstances qui prévalaient alors.

Les représentants de la Confédération devaient en tout temps garder à l'esprit que la solution qu'ils préconisaient, à savoir la vente en bloc à Mach, pouvait échouer abruptement. Eu égard aux autres arrangements qui auraient pu être conclus le cas échéant, la DélFin estime que les acteurs impliqués avaient consciencieusement préparé un plan B. A la mi-mai 2017, SCL et SCT auraient été en mesure de mener plusieurs ventes successives par lots de plus petite taille, voire d'un navire à la fois.

Dans le cadre de ses investigations et de ses nombreuses auditions, la DélFin n'a relevé aucun signe laissant à penser que des accords secrets aient été scellés entre les concurrents, ou entre vendeurs, acheteurs et courtiers, que ce soit avant ou pendant les négociations de vente, voire après la conclusion de la transaction. La délégation ne peut toutefois pas affirmer avec certitude qu'aucune convention accessoire ou autre accord similaire n'a été conclu. Le soupçon que le processus de vente ait pu être orienté en faveur de certains offrants, comme l'ont colporté certains médias 167, n'a pu être ni confirmé ni infirmé dans le cadre de l'enquête. Selon la DélFin, il est improbable que des acteurs du secteur de la navigation
maritime aient pu s'entendre en toute discrétion sur un objectif commun. Le fait que, deux ans après la vente des navires des groupes SCL et SCT, seuls deux cargos, à la connaissance de la DélFin, ont changé de propriétaire semble plutôt montrer qu'il n'y a pas eu d'accord entre les acheteurs potentiels. Selon la délégation, la différence, rapportée dans les médias, entre le prix de vente du navire SCL Andisa à Mach et le prix auquel celui-ci aurait été revendu à l'armateur BOCS peut principalement être imputée au fait que les prix d'achat étaient plutôt bas à l'époque de la transaction et que les frais de réparation ont été élevés.

La DélFin en conclut qu'aucune des parties intéressées à l'acquisition des navires n'a été désavantagée (cf. chap. 2.5 pour plus d'informations sur la question de la préférence ou de la discrimination de certains acteurs). Il est tout à fait plausible que les offrants n'aient pas tous pu inspecter les navires, ceux-ci étant la plupart du temps en déplacement sur les mers du globe. De plus, chaque inspection nécessitait un temps de préparation de plusieurs jours, voire semaines et il n'était pas possible

167

Cf. Aargauer Zeitung du 28.1.2017, p. 7.

5993

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de bloquer les navires, équipage compris, dans les ports pendant une période prolongée pour les inspections.

La vue d'ensemble des offres montre que les différences de prix étaient relativement faibles entre les propositions des investisseurs, celles des courtiers et la solution d'achat en bloc. Les risques accrus découlant d'une solution impliquant des investisseurs n'auraient été acceptables, de l'avis de la DélFin, que si la Confédération avait pu en retirer un gain sensiblement plus élevé. Or, les offres présentées montrent que tel n'était pas le cas.

En additionnant les montants des offres les plus élevées pour chaque navire ou groupe de navires, sans se demander s'il s'agit d'une offre ferme ou indicative, on obtient un montant total maximal de 79,8 millions de dollars. Toutefois, tous les intervenants s'accordent à dire que certaines des meilleures offres n'était pas crédibles. Il faut aussi considérer que, à aucun moment, une offre ferme n'a été présentée pour les navires Basilea, Bern et Léman, hormis dans le cadre de l'offre en bloc de Mach. De plus, les prix indiqués par Mach ne peuvent pas être comparés directement avec les prix offerts par d'autres courtiers ou acheteurs potentiels, parce que Mach devait par exemple prendre en charge des frais de transaction d'environ 3 millions de dollars en sus du prix d'achat168. L'offre de Mach ne peut donc être envisagée qu'en tant que solution globale, avec tous ses avantages (cf. chap. 2.2 pour les avantages et les inconvénients d'une vente en bloc), même si la reprise de l'ensemble de la flotte par cet opérateur est certainement aussi l'un des motifs de la décote de certains navires par rapport à leur prix de vente théorique.

Le produit global de la vente à Tango et Mach, qui est d'environ 71,6 millions de dollars, est très en dessous des estimations de la valeur des navires par les experts hambourgeois. Les investigations de la DélFin ont révélé qu'il n'était pas possible, entre la fin 2016 et le milieu de l'année 2017, soit au plus fort de la crise de liquidités des compagnies maritimes de SCL et SCT, de vendre les navires à un prix correspondant à ces estimations.

Selon la DélFin, l'une des principales raisons de cet écart est que la situation de négociation en vue de la vente des navires des groupes SCL et SCT a été profondément modifiée
par la publication d'un article se fondant sur une fuite d'informations.

En outre, l'état et l'entretien des navires en vente étaient médiocres, comme en attestent les rapports d'évaluation et les difficultés rencontrées lors du transfert 169.

Les recettes élevées résultant des solutions impliquant des investisseurs étaient purement hypothétiques. Dans ce cas, la Confédération aurait en outre dû supporter un risque important pendant de nombreuses années, vu que les cautionnements auraient perduré. Aux yeux de la DélFin, cette solution n'était pas réaliste, compte tenu des pertes d'exploitation mensuelles et des charges de suivi importantes que cela aurait nécessité.

Lors de son audition par la DélFin, le propriétaire des groupes SCL et SCT a déclaré que les représentants de la Confédération et les experts externes avaient réagi dans la panique et, pour cette raison, avaient forcé la vente ­ injustifiée à son sens­ de tous 168 169

Cf. présentation du DEFR à la DélFin du 20.11.2017, p. 21.

Cf. entre autres les rapports d'inspection de Winkelmann et de Weselmann de novembre et décembre 2016.

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les navires170. La DélFin reconnaît que les représentants de la Confédération étaient très fortement pressés par le temps, notamment en raison des importantes pertes d'exploitation mensuelles; toutefois, elle ne pense pas qu'ils aient agi dans la panique: le processus s'est étalé sur plusieurs mois et la situation était réévaluée à intervalles réguliers.

Rétrospectivement, la DélFin doit constater que la vente des navires est intervenue à un moment, le mois de mai 2017, où les prix du marché étaient effectivement bas.

Sur la place publique, dans les discussions sur les cautionnements fédéraux pour la flotte suisse de haute mer, on a même dit que c'était le moment le plus stupide171.

De fait, entre mai et décembre 2017, le Baltic Dry Index a regagné 70 % environ. La revente d'un navire de SCL à un armateur de Brême en février 2019 prouve que l'on aurait certainement pu obtenir de meilleurs prix si l'on avait temporisé. Toutefois, sur le long terme, l'évolution du marché n'a été ni positive ni négative. Fin mai 2019, la valeur du Baltic Dry Index était ainsi à peine supérieure à celle de mai 2017.

Sur un marché extrêmement volatil, il est par nature très difficile de choisir le moment pour vendre. Pendant la période sous revue, le Baltic Dry Index a rapidement et fortement évolué. Si l'on établit un parallèle avec la bourse, on pourrait parler de boom et de krach. De même, une augmentation de 70 % en neuf mois est inimaginable à la bourse. Ainsi, la DélFin comprend le moment choisi pour la vente, même si, a posteriori, il ne s'est pas avéré optimal.

Rétrospectivement, la DélFin estime qu'il aurait certainement été plus judicieux et économique d'engager le processus de vente dès l'été 2015, lorsque la crise a éclaté et alors que les chances d'assainissement des compagnies maritimes de SCL étaient déjà très minces. Dès qu'une entreprise est surendettée, il faut prendre des mesures conformément à l'art. 725 CO. Dans la situation de 2017, il n'aurait été justifiable de continuer à temporiser que si les sociétés SCL et SCT avaient au moins été en mesure de couvrir leurs charges d'exploitation. La DélFin rappelle toutefois que la Confédération octroie des crédits d'exploitation ­ même si ce n'est qu'indirectement par l'intermédiaire des banques ­ dans l'espoir que les navires endettés puissent être
vendus ultérieurement en générant un bénéfice. La Confédération n'intervient pas activement sur le marché des crédits et elle peut seulement garantir des prêts au moyen de cautionnements.

La DélFin est fermement convaincue que ce n'est pas uniquement le moment de la vente mais aussi la fuite d'information du 27 janvier 2017 qui est à l'origine du plus grand préjudice financier subi par la Confédération. La DélFin relève que la source de cette fuite se trouve très vraisemblablement dans l'environnement direct d'un ou d'une chef de département et elle s'en est alarmée.

Le Conseil fédéral doit impérativement tirer les leçons de cet incident afin que des documents hautement confidentiels ne puissent plus être livrés au public. Dans le cadre de la gestion des crises, le Conseil fédéral doit pouvoir travailler à la recherche 170

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, p. 2.

171 Dans l'original allemand: «der dümmste Moment»; cf. Aargauer Zeitung du 11.9.2017, p. 2.

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de solutions en étant protégé de l'opinion publique. Il ne doit lui rendre des comptes qu'une fois la crise surmontée. Dans le cas d'espèce, le Conseil fédéral a satisfait à cette obligation en publiant le message du 16 mai 2017 concernant un crédit supplémentaire. S'agissant de la fuite d'information publiée le 27 janvier 2017, la DélFin regrette l'inconscience de certains médias qui semblent ignorer les conséquences financières directes et indirectes que peut avoir la divulgation de certaines informations confidentielles.

Recommandation 4

Garantie d'une concurrence entre les acheteurs intéressés

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de ne pas se limiter à une seule option de transaction lors de la vente de navires de haute mer financés par des cautionnements fédéraux. Afin de limiter les dommages, il convient de garantir une vraie concurrence entre les acheteurs intéressés.

Recommandation 5

Protection contre les indiscrétions en présence d'informations secrètes ou confidentielles

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral d'adopter des mesures appropriées afin que des informations classifiées secrètes ou confidentielles ne soient plus divulguées à l'opinion publique. En cas d'indiscrétion, tous les moyens juridiques à disposition doivent être utilisés et les sanctions prévues par la loi doivent être appliquées.

2.5

Contrats de vente conclus

2.5.1

Rappel des faits

Agencement des contrats de vente Des contrats de vente standard de l'organisation maritime non gouvernementale internationale «Baltic and International Maritime Council» (BIMCO), sise à Copenhague, ont été utilisés tant pour la vente du MV Sabina et du MV Celine à Tango que pour la vente des dix autres navires de SCL et SCT à Mach. L'objectif de BIMCO est d'améliorer les normes et d'harmoniser les règles et les lois dans le domaine de la navigation maritime internationale. Le contrat standard utilisé, dont la dénomination est «Saleform 2012», offre la possibilité de procéder à des adaptations spécifiques en fonction des cas. Les contrats avec Tango et avec Mach ont été élaborés par le cabinet d'avocats BianchiSchwald, de Zurich, qui a fait appel à un expert du droit de la navigation maritime du cabinet d'avocats ThomannFischer, de Bâle.

Pour les contrats de vente conclus avec Tango, les contrats standard n'ont fait l'objet que de peu d'adaptations. Ils ont été conclus d'après le droit anglais, le for étant à Londres. Toutes les éliminations des défauts entreprises sur les navires après les signatures des contrats ont été actées dans le cadre d'adaptations a posteriori (addenda) du prix d'origine. Au total, la vente du MV Celine a fait l'objet de trois 5996

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addenda et celle du MV Sabina de quatre. Les parties aux contrats étaient d'une part la compagnie maritime concernée de SCL et d'autre part Tango (sauf pour l'addenda n° 3 du contrat de vente concernant le MV Sabina, où l'autre partie au contrat était la Transnord Industry Co. Ltd, sise à Malte). Comme cela se fait habituellement lors de ventes de navires, un acompte de 10 % du prix de vente a, pour chaque vente, été versé sur un compte de séquestre dit «escrow» lors de la signature du contrat. Après la remise des navires, l'acompte a été versé à la Confédération, en sa qualité de créancière gagiste (contre libération du gage), et le compte escrow, dissous. Les contrats ayant été rédigés selon le droit anglais, le vendeur n'assume une responsabilité que pour les défauts pour lesquels il est prouvé qu'ils sont survenus entre la signature du contrat et la remise du navire.

Etant donné qu'une flotte entière a été vendue à Mach, cette vente a fait l'objet d'un Head Memorandum of Agreement (Head MoA) qui en a défini le cadre. La procédure avec le compte escrow a été réglée dans un contrat séparé, qui a été ajouté au Head MoA. Un contrat basé sur le modèle de la BIMCO a été conclu pour la vente de chaque navire. Les parties au contrat étaient les compagnies maritimes de SCL et SCT concernées (vendeuses) et Mach (acheteur). En outre, les contrats ont également été signés par la Confédération, en tant que garante, créancière gagiste et bénéficiaire du prix d'achat, et par le courtier, s'agissant du Head MoA, qui réglait aussi les frais de courtage.

A la différence des contrats conclus avec Tango, ceux conclus avec Mach l'ont été selon le droit suisse, avec le for à Zurich. Cette divergence est due au fait que les affaires conclues avec Tango et celles conclues avec Mach étaient très différentes du point de vue de la configuration. Dans le cas de Mach, il s'agissait de la vente, complexe sur le plan juridique et négociée intensivement, d'une flotte d'une valeur considérable, à un acheteur disposant d'un conseil juridique professionnel. Selon les conseillers juridiques de la Confédération, le choix du droit suisse est évident lors d'affaires complexes avec un vendeur suisse. Dans le cas de Tango, les négociations se sont en revanche principalement limitées aux aspects économiques et à la date de la vente
­ le suivi juridique par des conseillers spécialisés s'est limité à une simple vérification de la cohérence. D'après les conseillers juridiques, la répartition des risques d'un contrat standard selon le droit anglais était acceptable au vu du montant plus faible de la transaction et de la configuration plus simple en comparaison avec l'affaire conclue avec Mach. Etant donné que la Confédération a cosigné les contrats avec Mach, seule une juridiction suisse entrait en ligne de compte selon les conseillers juridiques externes: il était en effet inconcevable que la Confédération, en sa qualité de garante, doive rendre des comptes devant un tribunal étranger. Les experts estiment que, si le for est en Suisse, l'application du droit suisse est un choix naturel.

Il s'est avéré, dans le cadre des négociations avec Mach, que l'application du droit suisse était désavantageuse pour la Confédération par rapport au droit anglais, en particulier pour ce qui est de la garantie pour les défauts. D'après le droit suisse, il est aussi possible de faire valoir des défauts s'ils ont été découverts après la remise: on les appelle alors les «vices cachés». Une chose qui est exclue en droit anglais, où c'est le principe du «tel quel» qui prévaut. Pour pallier cet inconvénient, les contrats conclus avec Mach stipulent que les règles du droit anglais s'appliquent dans le domaine de la garantie pour les défauts, bien que le contrat ait été conclu en droit 5997

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suisse. Ainsi, un avis de défaut devrait être évalué matériellement par le tribunal en tenant compte de l'exclusion de garantie prévue par le droit anglais. Un telle élection de droit partielle est valable selon la doctrine en vigueur172.

Dans les contrats conclus avec Mach, un «escrow agreement» a été conclu pour la vente de l'ensemble de la flotte en plus des clauses relatives à l'escompte. Lors de la signature des contrats, une somme correspondant à 10 % du prix de vente a dû être versée sur un compte «escrow». Lors de la remise des navires, une partie de l'escompte a été versée au vendeur et le reste a dû être conservé pendant un certain temps sur le compte après la conclusion des contrats pour d'éventuels engagements liés aux navires et annoncés a posteriori. Le représentant de ThomannFischer a indiqué que de telles clauses spéciales étaient monnaie courante lors de ventes importantes173. Selon lui, l'utilisation de telles clauses dans le cas présent s'explique par le fait que Mach avait sans doute connaissance de la probable liquidation des compagnies maritimes de SCL et de SCT après les ventes des navires et savait donc qu'il n'y aurait plus eu, dans un futur proche, d'actifs disponibles sur la base desquels il aurait pu faire valoir d'éventuels engagements a posteriori.

En revanche, des mesures appropriées ont été prises afin de garantir que tous les navires seraient remis à l'acheteur au cours de l'exécution et que celui-ci ne puisse avoir aucun intérêt à interrompre la procédure de vente après la remise de certains navires ou à renoncer à l'achat de certains d'entre eux (pas de choix opportuniste).

Conséquences négatives d'une sentence arbitrale pour SCL Reederei AG Une décision arbitrale du 13 janvier 2017 a statué en défaveur de SCL Reederei AG174 pour tous les points importants. Dans la sentence, la société holding s'est vu ordonner le versement de 4,8 millions de dollars environ, intérêts moratoires compris, à la demanderesse. La sentence était immédiatement exécutoire. De l'avis des avocats auxquels l'armateur avait fait appel pour cette procédure et du conseiller juridique de la Confédération, un recours devant le Tribunal fédéral aurait occasionné des frais, sans réelles chances d'obtenir gain de cause 175. La procédure entre la demanderesse et SCL Reederei AG était déjà en
cours depuis plusieurs années et la Confédération en était formellement informée en tout cas depuis le 26 mai 2014 176.

Néanmoins, les représentants de la Confédération n'étaient pas préparés à la sentence. Ils n'avaient d'ailleurs pas accordé une attention particulière à la procédure, les plaintes en suspens n'ayant rien d'exceptionnel dans la branche177.

L'appréciation du DEFR et de l'AFF sur l'issue possible du litige était fondée sur la communication ­ visiblement trop optimiste ­ du propriétaire de SCL. Au dire du 172

173 174

175 176 177

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 4; procès-verbal de l'audition du représentant de ThomannFischer du 20.11.2018, p. 3; avis de l'administration du 11.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de ThomannFischer du 20.11.2018, p. 3.

L'armateur SCL Reederei AG est la société holding du groupe SCL, auquel appartiennent les compagnies maritimes de SCL. Cette holding est détenue à 100 % par une personne.

Dans le présent rapport, il est fait référence au propriétaire des compagnies maritimes de SCL et de SCT pour désigner cette personne; cf. chap. 1.3.

Cf. message du Conseil fédéral du 16.5.2017 concernant le supplément Ia au Budget 2017 (projet 17.007), chap. 31.4.

Cf. procès-verbal des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 8 Cf. avis de l'administration du 11.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

5998

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représentant légal de SCL et SCT, la décision arbitrale fut un échec pour SCL Reederei AG pour des raisons formelles178.

Selon le DEFR, l'annonce de la sentence arbitrale a marqué un tournant dans la gestion de la crise et constitué un danger immédiat pour les compagnies maritimes.

La demanderesse victorieuse pouvait depuis lors à tout moment utiliser la voie judiciaire en vue de recouvrer ses créances reconnues par la sentence arbitrale auprès de SCL Reederei AG. Elle n'aurait certes pu en recouvrer qu'une petite partie dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité étant donné que SCL Reederei AG n'aurait pas pu lui verser le montant voulu en raison de sa mauvaise situation en matière de liquidités. La demanderesse aurait toutefois pu causer des dégâts importants étant donné qu'elle avait la possibilité, en se fondant sur la sentence arbitrale, de faire mettre immédiatement sous séquestre différents navires de SCL pour plusieurs jours au moins, ce qui aurait été fatal sur le plan économique pour la société chargée de la gestion commerciale des navires, avec ses nombreuses créances, et ainsi également pour les différentes compagnies maritimes sur le marché. Il n'aurait alors guère été possible d'éviter un effondrement désordonné des huit compagnies maritimes de SCL, et, par ricochet, le risque pour la Confédération que les compagnies de SCT fassent faillite179.

La situation étant très tendue entre le propriétaire des compagnies de SCL et SCT et la demanderesse en raison des nombreuses années de litige, le DEFR a immédiatement pris contact avec l'avocat de celle-ci dès qu'il a eu connaissance de la sentence afin de prolonger le délai d'exécution et de trouver une solution visant à limiter les dommages. Une telle démarche s'imposait notamment du fait que, lors d'une première rencontre avec les représentants de la Confédération, la demanderesse avait déjà menacé de faire immédiatement mettre sous séquestre tous les navires 180.

La compagnie a réussi à conclure, avec la demanderesse victorieuse, un accord à l'amiable portant sur un moratoire («Standstill Agreement») s'étendant jusqu'au 31 octobre 2017 en échange du versement immédiat d'une somme de 250 000 dollars faisant office d'acompte sur la créance entrée en force. Dans le cadre de cet accord, la demanderesse a renoncé à faire exécuter la
sentence, ce qui a permis d'éviter temporairement la mise sous séquestre des navires. En outre, l'accord a donné à l'actionnaire majoritaire de la demanderesse la possibilité de transmettre une offre pour les douze navires SCL et SCT, ce qu'il a fait avec celle de Mach.

Les représentants de la Confédération et les avocats externes entendus par la DélFin estiment que l'accord sur le moratoire n'a pas joué en défaveur de la Confédération181. Au contraire, au vu des dommages considérables que la demanderesse aurait pu causer, l'accord était selon eux absolument nécessaire pour poursuivre le processus de vente182. Les représentants considèrent que, grâce à l'accord sur le moratoire, 178 179 180 181 182

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 13.

Cf. rapport complémentaire du DEFR du 3.4.2018 à l'intention de la DélFin, p. 6.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 8; procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2018, p. 10.

Cf. en particulier le procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 4.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 7.

5999

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il a été possible d'éviter les mises sous séquestre que la demanderesse menaçait de mettre à exécution et de renforcer la concurrence entre les potentiels acheteurs, considérant les offres supplémentaires de Mach. A la suite de la défaite judiciaire, il n'y a pas eu d'accord sur la vente des navires à la demanderesse. Au contraire, il était clair pour tous les acteurs impliqués que les navires devaient être vendus au plus offrant, ce qui a finalement été fait.

Egalité de traitement entre tous les acheteurs potentiels Dans le cadre de l'analyse des contrats de vente, la DélFin s'est aussi penchée sur la question de savoir si certains acheteurs potentiels avaient été désavantagés par rapport à d'autres, par exemple en n'ayant pas reçu tous les documents ou en n'ayant pu inspecter les navires que tardivement, voire pas du tout faute de temps. Il semble que de nombreux acteurs concernés aient eu l'impression, entre fin 2016 et le printemps 2017, que le propriétaire des compagnies de SCL et SCT essayait de gagner du temps pour favoriser sa propre recherche de solution183.

Dans son rapport d'audit à l'intention de la DélFin, le CDF indique que le propriétaire de SCL et SCT a tardé à transmettre certaines informations aux intéressés. Cela a donné l'impression qu'il a intentionnellement opté pour une tactique de temporisation afin de gagner du temps pour sa propre recherche d'investisseurs184. Devant la DélFin, le représentant légal de SCL et SCT a contesté toute tactique volontaire de tergiversation185. Selon le CDF, il ne ressort pas des documents que certains investisseurs auraient été désavantagés. Les représentants de la Confédération et toutes les parties impliquées de manière générale se sont au contraire montrés, jusqu'à janvier 2017 au moins, ouverts à toutes les solutions possibles et à tous les investisseurs et courtiers, pour autant que les conditions définies étaient remplies186. Les conseillers économiques et juridiques de la Confédération n'ont pas non plus eu l'impression que des acheteurs potentiels aient été privilégiés ou désavantagés. Toutes les parties ont selon eux été entendues et considérées sur un pied d'égalité.

L'organisation du processus de visite des navires s'est toutefois avérée difficile et a mené à des problèmes de capacité pour l'entreprise et ses dirigeants. Il est
possible que ceci explique le fait que tous les acheteurs potentiels n'ont pas pu inspecter les navires187.

Dans son rapport d'audit à l'intention de la DélFin, le CDF relève que certains acheteurs potentiels se sont plaints de la difficulté de trouver une date pour les inspections des navires. Le CDF explique cette difficulté par le nombre élevé d'acheteurs intéressés et par le fait que les navires étaient en déplacement. Il n'a pas pu observer que l'on ait intentionnellement empêché des acheteurs potentiels d'inspecter les navires. L'accusation selon laquelle l'acheteur potentiel A (cf. tableaux 4 et 5) aurait été désavantagé lors de la vente des MV Sabina et MV Celine 183 184 185 186 187

Cf. procès-verbal de l'audition du conseiller national Ulrich Giezendanner du 13.2.2018, p. 9.

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 24.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, pp. 8 ss.

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 24.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 4 s; procès-verbal du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 9.

6000

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n'a pas pu être corroborée. L'acheteur a soumis sa dernière offre trop tardivement et il y a eu une confusion entre les devises (euro et dollar). L'acheteur des deux navires (Tango) avait soumis une offre en euros alors que celle de l'intéressé n'ayant pas remporté la vente était en dollars. L'offre de Tango était plus élevée en raison des taux de change d'alors188.

2.5.2

Appréciation

Les investigations de la DélFin ont montré que les contrats avec Tango et Mach correspondaient largement à la pratique habituelle de la branche. Il convient notamment de relever l'utilisation de contrats standard de la BIMCO et l'indication transparente des modifications par rapport à la version standard des différents contrats.

Grâce à la mise en relief des modifications, les particularités des deux transactions étaient clairement visibles, ce qui permet aussi de reconstituer plus facilement le processus d'élaboration des contrats.

De l'avis de la DélFin, il est compréhensible que les contrats conclus avec Tango et ceux conclus avec Mach ont été agencés différemment: les deux actes juridiques n'étaient guère comparables des points de vue de leur dimension, des intérêts en jeu et de leur importance et ils nécessitaient donc en partie des clauses différentes. Dans le cas de Tango, il s'agissait de la vente de deux navires, pour un montant modeste à sept chiffres, qui a pu être conclue sans que des négociations particulièrement longues n'aient été nécessaires. En revanche, les contrats relatifs à la vente en bloc des navires à Mach ont été le fruit d'âpres négociations avec un partenaire représenté sur le plan juridique, qui a acquis une flotte entière pour un montant élevé à huit chiffres. Toutefois, ces situations de départ très différentes n'expliquent pas toutes les différences entre les contrats.

Premièrement, la DélFin trouve incohérent le fait que la Confédération (représentée par l'OFAE) a signé, en sa qualité de caution, le contrat relatif à la vente en bloc à Mach aux côtés des compagnies maritimes, en leur qualité de vendeuses, de l'acheteur et du courtier, ou qu'elle en a pris acte en l'approuvant, alors que les contrats pour la vente à Tango n'ont été signés que par les vendeuses et l'acheteur et que la Confédération était aussi partie aux accords de séquestre. La délégation considère qu'il est nécessaire que la Confédération adopte une pratique uniforme en matière de signatures.

Recommandation 6

Réglementation des signatures de la Confédération pour les contrats de vente

La Délégation des finances demande au Conseil fédéral d'examiner dans quelle mesure la Confédération doit cosigner, en tant que garante, les contrats de vente des navires de haute mer au bénéfice de cautionnements de la Confédération.

188

Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 25.

6001

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La DélFin est elle aussi d'avis que la Confédération, en sa qualité de garante, doit absolument éviter de devoir répondre devant un tribunal étranger. L'élection d'un for suisse dans le cas de la transaction avec Mach était donc justifiée. Le fait que cela s'accompagne généralement de l'application du droit suisse renforce la position des représentants juridiques des compagnies maritimes et de la Confédération face à l'acheteur. En outre, la DélFin estime que la démarche de la Confédération, qui a insisté pour que les dispositions du droit anglais en matière de garantie pour les défauts ­ plus favorables au vendeur ­ soient appliquées dans le cadre de la vente à Mach, était pertinente sur le fond. Grâce à cette combinaison des droits suisse et anglais, la Confédération a pu veiller à ce que ses intérêts financiers (soit la limitation des dommages) soient préservés dans le cadre du déroulement de la vente. La délégation constate toutefois que, faute de jurisprudence dans ce domaine, on ne peut affirmer avec certitude qu'un juge suisse accepterait l'élection de droit partielle, visant dans le cas présent principalement à fixer un délai de garantie favorable à la Confédération.

Recommandation 7

Election de droit partielle dans les contrats de vente

La Délégation des finances estime qu'il est nécessaire de réaliser une analyse juridique approfondie, par exemple dans le cadre d'une expertise juridique, sur la question de savoir si l'élection de droit partielle dans les contrats de vente de navires de haute mer est susceptible d'être acceptée par des tribunaux suisses. Le Conseil fédéral doit veiller à ce que des résultats de l'analyse découle la mise en oeuvre d'une pratique uniforme lors des futures ventes de navires de haute mer au bénéfice d'un cautionnement de la Confédération.

Dans l'ensemble, la DélFin est d'avis que, dans le cas de Mach, la Confédération a conclu, avec l'aide des experts externes, des contrats appropriés eu égard à la situation.

L'annonce de la sentence arbitrale du 13 janvier 2017 a eu une grande influence sur le processus de vente. Clôturant un litige qui s'était étendu sur plusieurs années, elle est survenue au moment même où la Confédération s'efforçait de trouver une solution limitant les dommages et elle a donc constitué un obstacle supplémentaire. Avec l'accord sur le moratoire qui a été conclu ensuite, le DEFR a ouvert la voie à une solution fondée sur la vente en bloc de navires par l'intermédiaire de l'actionnaire majoritaire de la demanderesse. Afin d'assurer le respect de la concurrence, le département a étudié d'autres offres de courtiers. Des investisseurs potentiels ont en outre été impliqués plus avant dans le processus en vue de disposer d'une solution de remplacement. De plus, il a toujours été communiqué à l'actionnaire majoritaire de la demanderesse que les navires seraient vendus au plus offrant. Ainsi, les cargos MV Sabine et MV Celine ont effectivement été vendus à Tango lorsque les promesses d'achat de Mach ne sont pas arrivées, ce qui, d'après les informations dont dispose la DélFin, a accéléré la signature des contrats avec Mach (cf. chap.

2.4).

La DélFin conclut que, avec l'accord sur le moratoire, la Confédération ne s'est pas uniquement concentrée sur la vente en bloc des navires à Mach. L'accord a principa6002

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lement permis de créer les conditions nécessaires à ce que le processus de vente puisse se poursuivre sans le risque d'une mise sous séquestre lié à la sentence arbitrale. En permettant à la demanderesse d'avoir la possibilité de faire office de courtière pour la vente en bloc des navires, la Confédération a intégré au processus de vente un acteur supplémentaire qui, autrement, aurait pu torpiller tout le processus.

Pour la délégation, il était essentiel que la concurrence ait continué de fonctionner dans ce contexte de marché difficile, ce qui a selon elle été le cas puisque les navires auraient tout à fait pu être vendus à un autre acheteur que Mach.

Par ailleurs, la DélFin est d'avis que la configuration des contrats, avec l'accord sur le moratoire, était une solution adaptée à la situation. De par son activité de courtage, la demanderesse est devenue une sorte de «partenaire commercial» sans pour autant que la Confédération n'en soit dépendante. Avec l'accord sur le moratoire, la Confédération s'est assurée que la demanderesse veille à une liquidation ordonnée, puisque celle-ci aurait perdu sa créance d'un montant de 4,8 millions de dollars en cas de faillite. A posteriori, on peut noter que, dans la perspective d'une limitation des dommages, le montant de la commission n'aurait pas dû se fonder sur le prix contractuel, mais sur le prix de vente effectif, soit après les déductions liées aux défauts. Dans l'ensemble, la DélFin est convaincue que la solution choisie par la Confédération est acceptable sur un marché qui fonctionne, avec la présence d'autres courtiers.

La délégation n'a par ailleurs à sa disposition aucun élément laissant penser que les relations commerciales antérieures entre l'actionnaire majoritaire de la demanderesse et le propriétaire des compagnies de SCL et SCT (en particulier en raison de la participation minoritaire dans la compagnie SCL Bern AG) aient eu des répercussions négatives sur le produit de la vente.

A posteriori, on peut relever que la Confédération aurait dû chercher un accord entre la demanderesse et la société holding des compagnies maritimes SCL à l'automne 2015 déjà, soit lorsqu'elle a eu connaissance du litige entre les deux parties. En revanche, elle n'avait incontestablement aucune autre possibilité d'influer sur l'issue de la procédure arbitrale.
L'actionnaire majoritaire de la demanderesse s'est de facto trouvé dans une situation avantageuse en tant que créancier. Les investigations de la DélFin n'ont toutefois mis en lumière aucun indice laissant penser que l'un des autres acteurs intéressés par l'acquisition des navires aurait été désavantagé. Si d'autres intéressés avaient soumis des offres plus élevées lors de la vente en bloc des navires, ils auraient remporté la vente. La DélFin ne peut toutefois pas juger, sur la base des auditions qu'elle a menées et des documents dont elle dispose, si les négociations ont été menées plus intensément avec certains acheteurs potentiels qu'avec d'autres.

6003

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2.6

Répartition des tâches entre les services de la Confédération impliqués dans le processus de vente et recours à des acteurs externes

2.6.1

Rappel des faits

A partir du milieu de l'année 2015, les problèmes de liquidités rencontrés par les compagnies maritimes ont placé la Confédération face à une situation dont la complexité allait bien au-delà d'un cautionnement ordinaire et des préparatifs en vue de l'octroi d'un crédit supplémentaire. Compte tenu de cette complexité et de l'accumulation des difficultés, il est très vite apparu au DEFR, et ce dès le début de la crise, que l'appréciation des risques et la définition des mesures à prendre allaient nécessiter de vastes compétences au sein de l'administration fédérale et en dehors.

De l'avis du SG-DEFR, l'office compétent (OFAE) ne disposait pas des connaissances requises pour traiter de manière compétente les questions qui allaient se poser dans un grand nombre de domaines du droit national et international (droit des sociétés, droit maritime, droit de la faillite, droit des contrats)189.

Vu les dommages potentiellement élevés, les risques politiques et l'ouverture imminente de négociations avec des banques, des investisseurs et le propriétaire des compagnies de SCL et SCT, le chef du DEFR a délégué la gestion de la crise au SGDEFR, sous la responsabilité du secrétaire général, dès qu'il a été informé de la situation, au cours de l'été 2015190. Ensuite, on a veillé à donner une large assise aux processus de prise de décision. Au sein de l'administration fédérale, l'AFF était fortement impliquée, aux côtés du SG-DEFR. Selon les situations, le chef du DEFR, le chef du DFF et, périodiquement, le Conseil fédéral étaient associés aux décisions.

A l'extérieur, des juristes et des économistes spécialisés ont également participé au processus.

Répartition des rôles au sein de l'administration fédérale Au sein du SG-DEFR, le secrétaire général était assisté dans sa mission de chef de projet par le chef de l'unité Droit et protection des informations et par le conseiller spécialisé du SG-DEFR pour l'OFAE. Le SG-DEFR informait le chef du DEFR de tous les processus de décision d'importance stratégique ou d'une grande portée. Le chef du département a soutenu l'approche choisie pour la vente des compagnies maritimes de SCL et SCT et il a approuvé d'autres décisions. Pour les décisions stratégiques, l'approbation de l'AFF était aussi sollicitée et, lorsqu'il s'agissait de faire des choix importants, il était
également demandé au chef du DFF et au Conseil fédéral d'approuver la décision191.

Le rôle de l'OFAE était celui d'un pourvoyeur d'informations avec une fonction de soutien. Il lui incombait aussi de mettre en oeuvre les décisions prises par la direction du projet192. Les collaborateurs de l'office qui s'étaient occupés des navires de haute mer jusqu'en 2015 se sont volontairement tenus à l'écart de la gestion de la crise.

Mais en tant qu'office spécialisé responsable de ce dossier, l'OFAE demeurait le 189 190 191 192

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 10.

Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR du 19.11.2018, p. 2.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 9.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'OFAE du 16.1.2019, p. 5.

6004

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représentant de la Confédération à l'extérieur et c'est dans cette fonction qu'il a par exemple signé les contrats de vente avec Mach, prenant ainsi formellement connaissance de leur contenu.

L'AFF était un partenaire important du SG-DEFR pour les aspects stratégiques et opérationnels. Elle a fourni des informations et donné des impulsions dans les domaines des finances, du droit financier, des crédits supplémentaires et des opérations de paiement. L'AFF a suivi tout le processus de vente de très près sur le plan financier, mais aussi sur le plan juridique. Les participants ont qualifié la collaboration entre le SG-DEFR et l'AFF d'étroite et de bonne. Pour sa part, le directeur de l'AFF a déclaré à la DélFin que son office avait été un «partenaire utile» du SG-DEFR, très fortement impliqué dans le processus et défendant souvent une autre opinion que celle du SG-DEFR. Lors de son audition par la DélFin, le secrétaire général du DEFR est allé plus loin pour décrire le rôle de l'AFF dans l'organisation de crise, qualifiant l'office de «partenaire égal et absolument central» qui «défendait parfois des positions différentes». Mais en cas de divergences, le SG-DEFR et l'AFF sont à chaque fois parvenus à trouver des solution consensuelles193. En plus du directeur, trois collaborateurs de l'AFF étaient impliqués dans la gestion de la crise: le chef du Service financier III de la division Politique des dépenses, le chef de l'unité Droit général ainsi qu'un autre juriste du Service juridique. Pour chaque décision relative à la stratégie et aux étapes, le directeur de l'AFF s'entretenait avec le chef du DFF, qui était lui-même en contact régulier avec le chef du DEFR. Le chef du DFF soutenait les décisions de l'AFF mais il n'a pas joué un rôle actif dans le processus de vente.

Enfin, le Conseil fédéral était informé soit oralement soit au moyen de notes d'information ou de notes de discussion194.

La gestion de la crise de la flotte des navires de haute mer en général et le processus de vente des navires des groupes SCL et SCT en particulier ont nécessité un suivi complexe et chronophage de la part du SG-DEFR et de l'AFF. Du milieu de l'année 2015 jusqu'à fin 2018, le personnel concerné a dû faire face à une surcharge de travail durable. Le temps consacré à ce dossier n'a cependant pas été consigné de
manière systématique, de sorte que les informations qui suivent reposent uniquement sur des estimations.

De l'été 2015 jusqu'à l'automne 2018, les trois représentants du SG-DEFR ont consacré chacun entre 13 et 30 heures par semaine au dossier des navires de haute mer195. Le temps consacré par les collaborateurs de l'AFF était du même ordre, surtout dans les phases intensives du processus de vente. Le chef du Service financier III de la division Politique des dépenses et le juriste du Service juridique ont consacré à peu près la moitié de leur temps de travail au dossier de la flotte suisse de haute mer depuis 2015, et même jusqu'à 30 heures par semaine en période de pointe.

En moyenne, sur la même période, ce dossier a accaparé environ 30 % du temps de travail du chef de l'unité Droit général et environ 10 % de celui du directeur de l'AFF196.

193

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 10; procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 12.

194 Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DFF du 17.1.2019, p. 3.

195 Cf. rapport complémentaire du DEFR du 26.11.2018 à l'intention de la DélFin, p. 2.

196 Cf. rapport complémentaire de l'AFF du 21.2.2019 à l'intention de la DélFin, p. 4.

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Recours à des experts externes Un grand nombre d'experts externes sont intervenus tout au long du processus de vente des navires des groupes SCL et SCT. D'après les représentants du DEFR, la Confédération ne disposait alors et ne dispose toujours pas à l'heure actuelle de spécialistes du secteur maritime qui peuvent conseiller le département sur les plans juridique et économique et qui ont des contacts à l'international dans ce domaine.

Un expert reconnu du droit de l'exécution forcée a également été mandaté dans le cadre de la liquidation des compagnies de SCL et SCT (sociétés de holding et de gestion et compagnies maritimes proprement dites)197. Les partenaires contractuels du liquidateur sont les compagnies de SCL et SCT en liquidation198.

Lors des réunions et des conférences téléphoniques, qui furent nombreuses, il y avait pratiquement toujours des représentants de la Confédération, des experts externes et des représentants des banques. Il s'agissait de discuter, de coordonner et d'évaluer en continu les différentes tâches à effectuer199. Tous les choix et les décisions étaient abordés de manière pluridisciplinaire avec les experts pour le volet technique, et avec les instances compétentes de l'administration fédérale et les banques, en leur qualité de créancières. Cette approche s'imposait non seulement à cause des risques financiers et politiques élevés, mais aussi du fait que l'on n'avait aucune expérience dans la gestion de ce type d'affaire200.

Souvent, plusieurs mois s'écoulaient avant qu'une décision ne soit prise. Les processus et les procédures de vérification suivants ont été décidés par les parties en présence, puis mis en oeuvre dans le cadre de la gestion de la crise201: ­

assainissement et solution impliquant des investisseurs (jusqu'à fin 2016 début 2017);

­

analyse des solutions «faillite», «sursis concordataire» ou «liquidation» (2016­2017);

­

décision sur les modalités de la vente, à savoir cession de parts (share deal) ou cession d'actifs (asset deal) (fin 2016);

­

processus de vente, à savoir implication et coordination des courtiers, préparation et conclusion de la vente, préparation du transfert des navires (de l'automne 2016 à septembre 2017);

­

suivi de la mise en oeuvre de la liquidation des sociétés (en cours).

Le cabinet d'avocats Staiger, Schwald & Partner AG (SSP) ­ puis le cabinet BianchiSchwald GmbH (BiSc), qui lui a succédé ­, de Zurich, a été mandaté à l'été 2015 en tant que conseil juridique202. La Confédération n'a d'abord recouru à ses services 197 198 199

Cf. rapport complémentaire du DEFR du 3.4.2018 à l'intention de la DélFin, p. 8.

Pour plus de détails concernant le processus de liquidation, cf. chap. 2.8.

Cf. notes de dossier du SG-DEFR concernant les séances communes tenues entre le 3.10.2016 et le 15.5.2017.

200 Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 10.

201 Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 11.

202 Formellement, le mandat a tout d'abord été en mains du cabinet «Staiger, Schwald & Partner AG», puis il a été repris par le cabinet «BianchiSchwald GmbH» qui a succédé à «Staiger, Schwald & Partner AG» après la dissolution de ce dernier à fin 2016.

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que de manière ponctuelle, puis, en octobre 2016, le DEFR l'a désigné comme représentant légal permanent de la Confédération en matière de cautionnements et de droit maritime. Le mandat de SSP/BiSc consistait à élaborer des scénarios sous l'angle du droit des obligations, du droit des sociétés et du droit de la faillite, et à clarifier les questions qui en découlaient. Il s'agissait aussi de prévoir plusieurs trains de mesures juridiques comprenant entre autres des MoA, des déclarations de postposition de créances et des conventions portant sur une éventuelle liquidation203.

En tant que conseil juridique principal de la Confédération, c'est notamment le cabinet SSP/BiSc, avec l'appui de ThomannFischer, qui a suivi les négociations des contrats de vente avec Mach pour la Confédération (pour plus de détails, cf. chap. 2.5). En plus de son mandat de conseil dans l'affaire des compagnies de SCL et SCT, SSP/BiSc conseille encore actuellement la Confédération dans le cadre du suivi d'autres compagnies maritimes bénéficiant de cautionnements de la Confédération, et ce, sur la base de l'adjudication, en 2018, d'un mandat de conseil de quatre ans en matière d'accompagnement juridique204.

Vu la complexité des problématiques juridiques qui ont surgi lors de la préparation de la vente des compagnies maritimes de SCL et SCT, SSP/BiSc a sous-traité certaines questions à un expert en droit maritime du cabinet ThomannFischer (TF), de Bâle. Ce dernier connaît le droit national et international applicable en matière de navires de haute mer et, en plus, il est en contact avec les différentes autorités impliquées dans la vente de navires. Durant la procédure, TF a également reçu des mandats directement de la part de la Confédération (pour plus de détails, cf. chap. 2.7).

Au début de la gestion de la crise, en juin 2015, le SG-DEFR a tout d'abord confié un mandat de conseil économique à l'entreprise Ernst & Young Suisse (EY). A partir de 2016, ce mandat est passé à PricewaterhouseCoopers (PwC), à Zurich, à la suite d'une procédure invitant à soumissionner (pour plus de détails, cf. chap. 2.7).

Pour la composante maritime de cette affaire, PwC Zurich s'est appuyée sur la succursale de PwC à Hambourg, afin de bénéficier de ses connaissances spécialisées dans le domaine maritime. Le SG-DEFR a déclaré qu'avec PwC,
il avait trouvé un mandataire disposant d'une vaste expertise et des ressources nécessaires, et qui a été en mesure de fournir les solutions demandées en dépit de délais souvent très brefs205. Ce sont notamment les collaborateurs de PwC qui ont élaboré les critères d'évaluation des offres et qui ont coordonné et évalué les offres des courtiers sur la base des critères définis. Les résultats de leurs travaux étaient discutés lors des réunions hebdomadaires avec la Confédération. Dans le cadre du processus de vente, PwC était en outre responsable de l'établissement de l'aperçu hebdomadaire des liquidités des compagnies maritimes de SCL et SCT. Dans le cadre de la liquidation des compagnies de SCL et SCT, qui n'est pas encore terminée, PwC continue de conseiller la Confédération, même si la responsabilité de la réalisation incombe ici au liquidateur. Actuellement, PwC effectue par exemple le contrôle comptable des besoins de liquidités annoncés à l'OFAE par le liquidateur et vérifie si les noms des créanciers indiqués existent vraiment. Par ailleurs, fin 2018 PwC Zurich a obtenu

203 204 205

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 11.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 1.

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 11.

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l'adjudication du mandat de conseil quadriennal relatif au suivi économique des compagnies maritimes bénéficiant de cautionnements de la Confédération206.

Un expert en sursis concordataires et faillites du cabinet d'avocats Wenger Plattner, à Berne (ci-après «le liquidateur»), a été engagé par les compagnies comme commissaire au sursis et liquidateur des compagnies de SCL et SCT. Il est d'abord intervenu, à partir de juillet 2017, en tant que liquidateur des sociétés de holding et de gestion des cargos du groupe SCL (SCL Reederei AG et Enzian Ship Management AG) et des navires-citernes du groupe SCT (Swiss Chem Tankers AG et Swiss Chem Schiffahrts AG). Depuis le mois de décembre 2017, il agit en tant que liquidateur des compagnies à un seul navire207. En 2017, en plus de ses tâches de liquidateur, il a aussi assuré le suivi du transfert des navires aux acheteurs, sauf pour les trois navires qui avaient déjà été transférés avant le début de son mandat. Depuis décembre 2017, le liquidateur est le seul représentant des compagnies de SCL et SCT ayant le droit de signature individuelle208.

Les personnes qui ont participé au processus ont qualifié la collaboration entre les différents services de la Confédération et avec les acteurs externes de pertinente.

Elles ont majoritairement salué l'efficacité du secrétaire général du DEFR dans la conduite de l'état-major de crise209. Seul le propriétaire de SCL et SCT a déclaré à la DélFin que l'organisation de crise mise en place par les différentes personnes impliquées avait, au contraire, augmenté les dommages financiers. En outre, il a estimé que ni l'OFAE ni les conseillers économiques mandatés par le SG-DEFR ne disposaient des connaissances nécessaires en matière de navigation de haute mer210.

Les conseillers juridiques ont signalé un potentiel d'amélioration quant à la taille de l'organisation de projet de la Confédération, soulignant qu'il y avait toujours beaucoup de personnes à consulter Selon eux, dans le cadre des compagnies de SCL et SCT, une organisation de projet plus légère, avec des voies de décision plus simples (par ex. sous la forme d'un comité de pilotage doté de compétences de décision), aurait contribué à décharger certains acteurs et à accroître l'efficacité du processus211. Selon les conseillers économiques, il conviendrait même,
à l'avenir, de désigner un organe neutre qui serait chargé de défendre tous les intérêts de la Confédération et de coordonner l'ensemble du processus. Ainsi, cet organe serait seul habilité à communiquer avec les sociétés, à accompagner les processus visant à sélectionner et à mandater des courtiers, à coordonner et à organiser les inspections des navires du point de vue de la Confédération, à recueillir des informations et à examiner les offres du point de vue de la Confédération. Cela permettrait de déchar206 207 208

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 1 s.

Cf. procès-verbal de l'audition du liquidateur du 19.11.2018, p. 2.

Pour plus de détails sur le transfert des navires aux acheteurs et sur la liquidation des compagnies maritimes de SCL et SCT, cf. chap. 2.8.

209 Cf. en particulier le procès-verbal de l'audition du liquidateur du 19.11.2018, p. 3; procèsverbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 16; procès-verbal de l'audition du chef du DFF du 17.1.2019, p. 3; procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 12.

210 Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire de SCL et SCT du 12.4.2019, en particulier les pp. 3, 9, 11 et 14.

211 Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 7; procès-verbal de l'audition du représentant de ThomannFischer du 20.11.2018, p. 4.

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ger les représentants de la Confédération et de soutenir au mieux la direction des entreprises concernées212. Pour sa part, le directeur de l'AFF a déclaré ne pas voir comment on aurait pu prévoir une répartition des tâches plus simple que celle de l'organisation de crise mise en place; la procédure, avec ses négociations parfois échelonnées, a pu paraître compliquée aux experts externes, mais elle était judicieuse compte tenu de la portée financière et politique de cette affaire213.

Rôle des banques214 La DélFin a également cherché à déterminer dans quelle mesure les banques qui ont financé les navires des compagnies maritimes de SCL et SCT avaient, à l'instar des représentants fédéraux et des conseillers externes, elles aussi tenté activement de trouver une solution en tant que créancières.

Jusqu'en 2011, les prêts accordés respectivement pour trois cargos et deux naviresciternes ont été financés par le «Kreditanstalt für den Wiederaufbau (KfW)», dont le siège se trouve à Francfort-sur-le-Main, et par la «Bremer Landesbank (BLB)». La Banque Cantonale Vaudoise (BCV) a, quant à elle, financé les deux cargos restants.

Lorsque les banques ont refusé de reconduire les crédits et que les compagnies de SCT (alors «Mega Chemical Tankers MCT») étaient au bord de la faillite, UBS a repris, en 2011, les prêts cautionnés par la Confédération pour cinq cargos, la BCV ayant entre-temps repris le prêt accordé pour un cargo par la BLB. Les prêts concernant les trois cargos et les quatre navires-citernes restants ont par la suite été financés, à partir de 2014 ou de 2015, par des obligations d'emprunt de Postfinance et de la SUVA. Credit Suisse (CS) est intervenu dans cette opération comme banque intermédiaire215.

Tableau 7 Banques ayant financé les navires des groupes SCL et SCT Première banque (cautionnement)

Banque intermédiaire

Dernière banque (sollicitation du cautionnement)

MV Celine

BCV

--

UBS (à partir de 05.2011)

MV Sabina

BCV

--

UBS (à partir de 05.2011)

SCL Akwaba

BLB

--

UBS (à partir de 01.2012)

SCL Andisa

BLB

--

UBS (à partir de 01.2012)

SCL Anita

BLB

BCV (à partir de 02.2009)

UBS (à partir de 05.2011)

SCL Basilea

KfW

--

CS (à partir de 12.2015; pour Postfinance)

212 213 214

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de PwC du 20.11.2018, p. 8 s.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 16.

Dans le cadre de son enquête, la DélFin a procédé à des investigations concernant des événements liés à la procédure de vente des navires de SCL et SCT. Par conséquent, le présent rapport ne porte pas sur les actions des banques prêteuses avant juin 2015.

215 Cf. rapports complémentaires de l'OFAE à l'intention de la DélFin des 1.5 et 11.6.2019.

6009

FF 2020

Première banque (cautionnement)

Banque intermédiaire

Dernière banque (sollicitation du cautionnement)

SCL Bern

KfW

--

CS (à partir de 12.2015; pour Postfinance)

SCL Léman

KfW

--

CS (à partir de 12.2015; pour Postfinance)

SCT Matterhorn

BLB

--

CS (à partir de 05.2014; pour la SUVA)

SCT Monte Rosa

BLB

--

CS (à partir de 05.2014; pour la SUVA)

SCT Breithorn

KfW

--

CS (à partir de 12.2015; pour Postfinance)

SCT Stockhorn

KfW

--

CS (à partir de 12.2015; pour Postfinance)

Source: rapport complémentaire de l'OFAE du 1er mai 2019 à l'intention de la DélFin.

Dans le cadre des discussions menées à partir de 2015 en vue de régler la crise touchant les compagnies de SCL et SCT, UBS a pris part, en règle générale en tant que créancière, à toutes les séances et toutes les conférences téléphoniques organisées par le SG-DEFR216; ces entretiens permettaient de discuter avec la Confédération des activités des compagnies maritimes et de se mettre d'accord sur la marche à suivre pour que la vente des navires et le paiement des prêts cautionnés se déroulent en bonne et due forme, étant entendu qu'UBS, en tant que créancière, et ses conseillers juridiques apportaient notamment leur savoir-faire dans le domaine concerné.

En 2015, UBS a annoncé qu'elle sollicitait le cautionnement d'un des cargos du groupe SCL. Bien que les conditions soient remplies pour que soit honoré ce cautionnement, l'OFAE a demandé à la banque d'accorder un nouveau délai de paiement au groupe et de procéder à un nouveau refinancement de l'emprunt afin de pouvoir redresser la situation en évitant, si possible, la faillite ou une procédure concordataire. UBS et la Confédération sont alors parvenues à un accord: elles ont décidé d'une échéance coordonnée pour l'ensemble des cautionnements solidaires.

Afin de veiller à ce que les compagnies maritimes disposent de suffisamment de liquidités lors de la phase de liquidation, UBS leur a accordé de nouveaux crédits d'exploitation, lesquels ont de nouveau été garantis par la Confédération. Dans le cadre de cette opération, des crédits transitoires ont également été accordés à des compagnies qui ne bénéficiaient pas d'un prêt d'UBS cautionné217.

En 2016, UBS et les compagnies surendettées du groupe SCL ainsi que la Confédération ont également signé des conventions prévoyant une postposition des créances.

Ces conventions mentionnaient expressément que la banque agissait selon les voeux 216

Cf. en particulier les notes de dossier du SG-DEFR concernant les séances communes tenues entre le 3.10.2016 et le 15.5.2017.

217 Cf. rapport du CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 39.

6010

FF 2020

de la Confédération et en toute connaissance de la situation économique précaire des compagnies concernées218.

Entre UBS et la Confédération, une relation de coopération s'est instaurée pour faire en sorte que la liquidation ait lieu en bonne et due forme, sans faillite. Les représentants du SG-DEFR entendus par la DélFin ont qualifié l'action d'UBS dans la gestion de la crise et lors du processus de vente comme étant importante et responsable219. De l'avis des conseillers juridiques du SG-DEFR, UBS s'est engagée de façon tout à fait pertinente dans ce processus et, au regard de ses engagements en tant que banque, elle s'est investie beaucoup plus qu'elle n'était légalement tenue de le faire220. Le chef du DFF a lui aussi souligné qu'UBS s'était comportée tout à fait correctement dans le cadre du processus de vente des navires 221. Le chef du DEFR a rappelé plusieurs fois devant la DélFin l'attitude constructive d'UBS au cours du processus de vente des navires des groupes SCL et SCT.

Quant au CS, il n'était pas disposé, en tant que banque intermédiaire couvrant l'emprunt, à s'engager au-delà de ce que prévoyaient ses obligations légales; par conséquent, il n'a pas pris part au processus de vente des navires des groupes SCL et SCT et n'a accordé aucun des crédits transitoires nécessaires pour le bon déroulement du processus de vente222.

Digression: organisation du projet «Gestion de crise concernant les navires de haute mer» interne à la Confédération à partir de 2019 Si la Confédération est intervenue pour trouver une solution dans le cas des groupes SCL et SCT, c'est en grande partie dû à la surveillance lacunaire de l'OFAE au cours des années précédentes. Il ressort de la crise des navires de haute mer que les risques, qui ont beaucoup augmenté, rendent nécessaire un contrôle renforcé et professionnel des cautionnements solidaires de ces navires. A la demande du chef du DEFR, un dispositif adéquat a été mis en place par l'OFAE en 2017223. Dans le cadre de leur inspection concernant les cautionnements des navires de haute mer224, les CdG se sont penchées sur la structure organisationnelle de l'OFAE ainsi que sur la réorganisation opérée en 2017 et elles ont mené des investigations sur ce point au printemps 2019; par conséquent, la DélFin se limite, dans ce chapitre, à donner une description
succincte de la procédure ordinaire de surveillance des cautionnements solidaires.

La surveillance permanente des compagnies emprunteuses et les rapports faits à la Confédération en sa qualité de garante incombent ­ notamment sur la base de l'ordonnance sur le cautionnement de prêts pour financer des navires suisses de 218 219 220 221 222 223 224

Ibid.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 21.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 6.

Cf. procès-verbal de l'audition du chet du DFF du 17.1.2019, p. 9.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 21; procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 6.

Cf. rapport final de l'OFAE du 23.8.2017, «Projekt «Umsetzung der Massnahmen aus der Administrativuntersuchung Bürgschaften Hochseeschiffe».

Cf. rapport des CdG sur les cautionnements de navires de haute mer du 26.6.2018, chap.

3.1 et 4.1; avis du Conseil fédéral du 28.9.2018 relatif au rapport des CdG du 26.6.2018.

6011

FF 2020

haute mer (RS 531.44) et des contrats de cautionnement respectifs ­ également aux banques prêteuses, qui utilisent l'instrument que constituent les contrats de prêt dans le cadre de leurs relations avec les compagnies. En outre, la surveillance exercée par la Confédération implique des rapports trimestriels au moins sur la situation économique et financière ainsi que des entretiens avec les armateurs. De plus, une analyse est effectuée chaque mois pour connaître l'évolution des marchés. Ces outils de contrôle sont complétés par des inspections de navires et par des audits effectués par une firme indépendante, Winkelmann, spécialisée dans le domaine maritime. En premier lieu, les banques elles aussi sont associées au processus et doivent participer à des entretiens annuels. L'actuel chef du DEFR, entré en fonction en 2019, est convaincu que ces instruments permettent d'identifier en amont les risques économiques potentiels qu'encourt la Confédération en tant que caution. Les rapports trimestriels, qui contiennent également des informations sur la liquidité et les flux de trésorerie des compagnies, sont à son avis suffisants pour se forger une image précise de la situation économique de ces dernières. En cas de besoin, ces rapports peuvent être remis à des intervalles plus fréquents225.

En temps normal, le SG-DEFR est constamment tenu au courant de la situation des compagnies maritimes; en temps de crise, c'est une autre organisation qui entre en jeu.

Certains représentants de la Confédération ont relevé que, entre 2015 et 2018, l'organisation du projet de gestion de la crise n'était pas clairement définie, par exemple sous la forme d'un organigramme indiquant les tâches et responsabilités de chacun226.

Après la crise des groupes SCL et SCT, le chef du DEFR (2010­2018) a décidé qu'il incombait en principe à l'OFAE d'exercer la surveillance des compagnies maritimes restantes, mais que le SG-DEFR devait prendre la tête des opérations en cas de crise.

Le chef du DEFR (à partir de 2019) a maintenu cette répartition des rôles, tant au niveau des compétences et des tâches que des responsabilités227. Dès sa prise de fonction, il a jugé qu'il était indispensable de mettre en place une organisation claire et efficace pour la gestion de crise, incluant non seulement la désignation des personnes responsables,
mais également une définition claire des processus, des compétences et des responsabilités. De fait, début 2019, l'organisation de projet a été fixée par écrit dans un organigramme pour la gestion de crise établi selon la méthode Hermes228.

Selon cette organisation de projet, l'OFAE notifie au SG-DEFR les difficultés économiques d'une compagnie maritime risquant d'entraîner la sollicitation des cautionnements et il propose la mise en place de l'organisation de crise après avoir 225

Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR et de la secrétaire générale du DEFR du 19.2.2019, p. 4.

226 Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'OFAE du 16.1.2019, p. 5 s.

227 A ce propos et pour les paragraphes suivants, cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR et de la secrétaire générale du DEFR du 19.2.2019, p. 2 à 4.

228 Hermes est une norme ouverte de l'administration fédérale suisse. Il s'agit d'une méthode de gestion de projet pour les projets informatiques, de développement de prestations ou de produits, ainsi que d'adaptation de l'organisation. Hermes soutient le pilotage, la conduite et l'exécution de projets de caractéristiques et de complexités diverses.

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consulté le SG-DEFR et l'AFF. Le chef des secrétariats Logistique et TIC de l'OFAE assume alors en personne la fonction de chef de projet de l'organisation de crise, qui porte le nom d'organisation du projet «Gestion de crise concernant les navires de haute mer».

La direction du projet coordonne les activités de l'organisation de crise en étroite collaboration avec l'équipe de projet et les experts juridiques et économiques externes, conformément aux directives du comité de pilotage du projet, qui se compose de la secrétaire générale du DEFR, du directeur de l'AFF, du délégué à l'approvisionnement économique du pays et, en tant qu'invitée sans droit de vote, de la directrice de la Direction du droit international public du DFAE. Le comité de pilotage définit les missions et les transmet au chef de projet. Selon les situations, il en réfère auparavant au chef du DEFR, au chef du DFF, voire au Conseil fédéral.

C'est lui qui décide des mesures de communication et de l'information des autres instances comme les organes de haute surveillance du Parlement et le CDF.

L'organisation du projet «Gestion de crise concernant les navires de haute mer» est mobilisée lorsque les examens de l'OFAE (c'est-à-dire les rapports, l'évaluation des audits, les inspections des navires et les rapports des banques et des sociétés de révision) montrent qu'une entreprise possédant un ou plusieurs navires de haute mer financés grâce à un cautionnement de la Confédération: ­

ne verse plus l'amortissement et que le remboursement avant l'échéance du cautionnement solidaire n'est plus réaliste;

­

risque le surendettement ou est déjà surendettée;

­

manque de liquidités et risque d'être en défaut de paiement.

Si une ou plusieurs de ces situations se réalisent, la capacité de l'entreprise à poursuivre son activité est compromise. Il existe alors un fort risque de débâcle de la compagnie maritime et, au-delà des mesures d'assainissement usuelles, la question qui se pose est de savoir comment la Confédération peut limiter le dommage dans l'optique du garant.

La gestion de crise comprend la coordination des procédures au sein de l'administration fédérale, la définition des points clés d'un assainissement potentiel de la société ou de la vente des navires, ainsi que la définition des modalités de la sollicitation des cautionnements, d'entente avec les compagnies et les banques concernées. L'organisation du projet «Gestion de crise» doit aussi déterminer la procédure et les délais pour la transmission d'un éventuel message relatif à un crédit supplémentaire au Parlement. Sur la base de tous ces éléments, le Conseil fédéral mène une discussion, puis la DélFin et le CDF sont informés en conséquence. Le suivi d'un éventuel processus de vente incombe également à cette organisation de projet.

Le chef du DEFR a estimé que cette organisation de gestion de crise permettra d'éviter les pics d'activité au cours de la crise et de réduire sensiblement la surcharge de travail des personnes impliquées. Il s'est également déclaré convaincu que la nouvelle équipe mise en place dans le cadre de l'organisation de projet «Gestion de crise concernant les navires de haute mer» est à même de combler la perte de

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savoir-faire consécutive au départ du chef de projet, en la personne du secrétaire général du DEFR (2014­2018).

Influence des représentants de la Confédération dans le processus de vente Vu le suivi actif du processus de vente assuré par le SG-DEFR, il est permis de se demander si, par moment, la Confédération n'avait pas une position d'organe de fait.

Les membres du conseil d'administration ainsi que les personnes chargées de la gestion ou de la liquidation d'une entreprise répondent envers la société, ses actionnaires et ses créanciers, des dommages découlant d'une violation intentionnelle ou par négligence de leurs devoirs. Cette responsabilité s'étend aussi aux tiers lorsqu'ils agissent de fait comme un organe de la société. On parle d'organe de fait lorsque des personnes qui n'ont pas formellement le statut de membre de l'équipe dirigeante exercent en réalité une influence déterminante sur la destinée de la société, en prenant notamment des décisions qui incombent typiquement aux organes dirigeants 229.

L'influence exercée par la Confédération dans le processus de vente des navires des groupes SCL et SCT n'est contestée par aucune des parties prenantes. Le secrétaire général du DEFR a toutefois estimé que les décisions ont toujours été prises en veillant à ne pas franchir la ligne qui aurait mis la Confédération dans une position d'organe de fait. Le chef du DEFR a ordonné expressément au SG-DEFR de ne pas se mettre dans une position d'organe de fait, afin d'éviter tout risque d'action en dédommagement envers la Confédération230. Le SG-DEFR a donc eu à coeur de n'intervenir qu'à titre accessoire dans le cadre des négociations et, dans la mesure du possible, à ne pas les conduire lui-même.

L'un des avocats mandatés par la Confédération a confirmé à la DélFin que la Confédération a exercé une influence sur l'entreprise dans le cadre du processus de vente, auquel il a lui-même pris part. Elle ne l'a cependant fait que pour sauvegarder ses propres intérêts de garante et créancière, ce qui est légitime selon lui. Le seuil critique qui l'aurait mise dans une position d'organe de fait des sociétés des groupes SCL et SCT n'aurait toutefois pas été franchi, car la Confédération n'a jamais exercé aucune des prérogatives des organes et ne s'est jamais présentée comme représentante des entreprises. Et
même si, ultérieurement, un créancier des groupes SCL et SCT qui n'aurait pas été désintéressé devait reprocher à la Confédération de lui avoir fait subir un préjudice en raison d'une position d'organe de fait de cette dernière, cet avocat estime que le risque pour la Confédération d'avoir à en répondre au titre de la responsabilité des organes est très faible. D'une part, parce que les sociétés sont en liquidation ordinaire et ne sont donc pas soumises au régime des faillites, ce qui exclut le risque d'avoir des créanciers lésés, et, d'autre part, parce que la Confédération est le principal créancier privilégié des groupes SCL et SCT, avec un droit de gage sur les seuls actifs de la société231.

229

Cf. Forstmoser (1982), Der Organbegriff im aktienrechtlichen Verantwortlichkeitsrecht, in: Forstmoser/Schluep (Hrsg.), Freiheit und Verantwortung im Recht, Berne, p. 125 à 150.

230 Cf. notamment les procès-verbaux des auditions du secrétaire général du DEFR du 6.9.2016 (p. 7) et du 22.11.2016 (p. 4).

231 Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 20.11.2018, p. 5.

6014

FF 2020

2.6.2

Appréciation

Lorsque l'OFAE a informé le chef du DEFR, à l'été 2015, de l'insolvabilité qui menaçait les compagnies de SCL, celui-ci a saisi que la Confédération encourait un important risque de perte. Il en a donc fait une affaire personnelle du chef du département et a régulièrement informé lui-même le Conseil fédéral et la DélFin de l'évolution de la situation.

Dans la mesure où l'OFAE était l'office technique responsable de l'octroi et du suivi des cautionnements de la Confédération pour les navires de haute mer, le chef du DEFR ne pouvait lui confier la responsabilité de l'organisation de crise chargée de trouver des solutions aux problèmes identifiés. Dans ces circonstances, la DélFin estime que la décision prise par le chef du DEFR de confier la gestion de la crise au secrétaire général du DEFR était compréhensible, car celui-ci était son interlocuteur principal et le dossier revêtait une importante dimension politique. Les investigations de la DélFin ont montré que la proximité entre le secrétaire général, d'une part, et le chef de département compétent et le Conseil fédéral, d'autre part, a joué un rôle central. Ainsi, même après coup, la gestion de la crise par le département apparaît adéquate et pertinente, ne laissant à l'OFAE qu'une fonction d'exécutant.

Les parties prenantes, à l'intérieur et à l'extérieur de l'administration fédérale, ont confié à la DélFin que la conduite du projet par le secrétaire général du DEFR était tangible et efficace; seul le propriétaire des compagnies maritimes n'était pas de cet avis. Dans le cadre de sa haute surveillance concomitante, la DélFin a auditionné le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR, dans sa fonction de chef du projet de gestion de la crise, à quatorze reprises entre l'été 2015 et fin 2018. Elle a ainsi acquis la ferme conviction que le secrétaire général disposait des compétences requises en matière de gestion des crises. Si le préjudice financier et le risque de réputation de la Confédération ont pu être contenus jusqu'à la conclusion du processus de vente, c'est en grande partie à lui, à son équipe et à l'AFF qu'on le doit. La DélFin est consciente du fait que, tout au long de la gestion de la crise, le chef de projet aurait pu proposer de manière vraisemblable au chef du DEFR de mettre un point final à ce dossier, ce qui aurait éventuellement
conduit à la sollicitation des cautionnements solidaires. La DélFin se félicite donc expressément que le chef du DEFR et le secrétaire général du DEFR n'aient pas choisi la voie la plus rapide et se soient engagés avec ferveur pour trouver la meilleure solution pour la Confédération.

Dans ce processus de vente, l'AFF a également joué un rôle significatif, dépassant largement le cadre de ses prérogatives en matière de finances, de crédits supplémentaires et d'opérations de paiement. Aux yeux de la DélFin, l'AFF avait à l'égard du SG-DEFR une position de partenaire, avec une sorte de droit de veto dans le cadre de la recherche d'une solution. D'après les auditions de la DélFin, l'AFF et le chef du DFF ont été informés de manière transparente des démarches du DEFR en rapport avec la gestion de la crise et de la vente des navires des groupes SCL et SCT, et ils étaient d'accord avec les décisions prises. Pour la DélFin, il est compréhensible que le secrétaire général du DEFR ait fait en sorte que les processus de décision et les responsabilités bénéficient de la plus large assise possible. En effet, dans les situations de crise, on peut être tenté de prendre des raccourcis; l'implication d'un 6015

FF 2020

partenaire disposant de vastes compétences et poursuivant un objectif différent (à savoir la protection des finances fédérales) permettait de se prémunir contre le risque de décisions hâtives. Dans la mesure où les aspects financiers étaient un élément central de ce dossier, la DélFin estime qu'il était judicieux et efficace d'impliquer l'AFF dans les décisions à un stade précoce du processus. Si, en dépit des divergences initiales entre le SG-DEFR et l'AFF, toutes les décisions de portée stratégique ont finalement pu être prises de manière consensuelle, c'est la preuve qu'il régnait entre ces partenaires une culture de respect mutuel et un état d'esprit constructif. Il s'agit là de facteurs essentiels pour la maîtrise d'une crise, qui dépendent souvent de la personnalité des participants. Dans cette perspective, la DélFin tient à souligner combien il est important que les chefs de département favorisent un état d'esprit constructif dans le cadre de la collaboration entre les unités administratives impliquées dans la gestion d'une crise.

Les experts externes ont parlé d'un potentiel d'amélioration en ce qui concerne la durée des processus de décision. Vu de l'extérieur, l'organisation de la gestion de crise a semblé trop grande, avec des processus de décision internes trop complexes.

La DélFin relève qu'il n'est pas si simple de transposer à l'administration fédérale des processus de décision courts, tels qu'ils peuvent être mis en place avec succès dans l'économie privée. D'une part, il faut tenir compte des particularités propres aux processus de décision politiques. En effet, une décision politique doit toujours être l'expression d'une majorité et le chef du DEFR aurait été mal avisé de ne pas informer le chef du DFF et le Conseil fédéral dès le début de l'affaire et de ne pas les impliquer de manière adéquate. D'autre part, au sein d'une administration, les savoirs spécialisés sont concentrés dans les unités compétentes et, dans le cas d'espèce, il était indispensable que les spécialistes des finances publiques de l'AFF puissent donner leur avis en vue du règlement financier de ce dossier très complexe.

De plus, la répartition des tâches est définie dans les ordonnances sur l'organisation des départements232 et, de ce point de vue, il aurait été impossible au SG-DEFR de ne pas consulter
l'AFF dans la gestion de la crise.

La DélFin est parvenue à la conclusion que l'organisation de crise mise en place entre 2015 et 2018 était globalement pertinente et que, dans les circonstances de l'époque, elle était aussi sensée. Toutefois, dans une optique actuelle, il convient de relever quelques points faibles auxquels pallie largement l'organisation du projet «Gestion de crise concernant les navires de haute mer» mise sur pied par le nouveau chef du DEFR après son entrée en fonction, début 2019. Il convient notamment de saluer l'établissement d'une organisation de projet selon les critères Hermes et la définition par écrit des tâches et responsabilités dans un organigramme. Pour la DélFin, il était également pertinent de redonner des responsabilités à l'OFAE en l'incluant dans le comité de pilotage et en lui confiant la direction du projet en cas de crise, dans la mesure où les compétences et les processus nécessaires avaient assurément été mis sur pied.

La DélFin ne veut pas porter de jugement sur l'organisation de la gestion des risques mise en place au sein de l'OFAE et du DEFR en matière de cautionnements fédé232

Cf. en particulier l'art. 8 de l'ordonnance sur l'organisation du Département fédéral des finances (Org DFF; RS 172.215.1).

6016

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raux pour les navires de haute mer, car les CdG se penchent sur ce point dans le cadre de leur examen régulier de la gestion des risques. Elle attend toutefois de l'OFAE qu'il respecte ses obligations de surveillance afin de détecter assez tôt les difficultés auxquelles peuvent être confrontés les armateurs et d'être en mesure, en cas de crise, d'intervenir à temps et de manière appropriée.

La nouvelle organisation de crise mise sur pied par le chef du DEFR à son arrivée à la tête du département, début 2019, a notamment pour but d'éviter, autant que faire se peut, les pics d'activité et une surcharge de travail sur une durée prolongée pour les personnes clés au sein du SG-DEFR et de l'AFF. C'est un point essentiel, car l'implication simultanée des personnes concernées dans les affaires courantes et dans la gestion de la crise a atteint des niveaux que la DélFin juge proches de l'inacceptable entre 2015 et 2018.

Les représentants de la Confédération manquaient de l'expertise nécessaire dans certains domaines pour gérer cette crise. Il a donc fallu mandater de nombreux spécialistes externes, en Suisse et à l'étranger, pour pouvoir bénéficier de leurs connaissances dans les domaines juridique, économique et maritime. Il n'aurait pas été réaliste de chercher à engager ces experts au sein de l'administration fédérale, dans la mesure où la gestion de la crise était déjà en cours. D'une manière générale, la DélFin estime en outre qu'il serait disproportionné de développer des connaissances aussi spécifiques au sein de l'administration, pour répondre à des besoins qui restent ponctuels.

Pour réduire la surcharge de travail des représentants de la Confédération impliqués, la DélFin s'est demandé si, dans le futur, une externalisation de l'ensemble du processus de vente ne serait pas une option sensée. Elle est toutefois arrivée à la conclusion que le règlement d'une affaire d'une telle portée politique est une tâche régalienne et que, par conséquent, la Confédération ne peut pas s'appuyer exclusivement sur des experts externes. Au contraire, le rôle de la Confédération consiste à suivre de près un éventuel processus de vente, en cherchant à préserver les intérêts financiers de la Confédération en tant que garante avec le concours d'experts externes. Car, en fin de compte, ce ne sont pas ces derniers,
mais les membres du Conseil fédéral et les représentants de l'administration fédérale qui doivent rendre des comptes au Parlement et à l'opinion publique.

La DélFin constate que la Confédération s'est engagée dans le processus de vente des navires des groupes SCL et SCT afin de préserver ses intérêts financiers. Sous l'angle de la haute surveillance parlementaire des finances fédérales, il importe surtout à la DélFin que la Confédération ait tout mis en oeuvre pour contenir le plus possible le dommage subi par l'Etat et les contribuables. Pour elle, il est donc compréhensible et justifié que les représentants de la Confédération aient exploité toute la marge de manoeuvre disponible. Durant tout le processus de règlement de la crise, le SG-DEFR a constamment veillé à ce que la ligne qui aurait mis la Confédération dans une position d'organe de fait ne soit pas franchie.

La DélFin estime que l'approche choisie aurait été justifiée même si la Confédération s'était mise dans une position d'organe de fait. L'option inverse, qui aurait consisté à intervenir le moins possible afin d'exclure tout risque de se mettre en position d'organe de fait, aurait probablement eu comme conséquence une débâcle 6017

FF 2020

de l'entreprise, qui aurait entraîné le pire des scénarios pour la Confédération, à savoir la sollicitation des cautionnements solidaires et le préjudice financier maximal.

Selon l'appréciation de la DélFin, le risque que d'éventuels créanciers ayant subi un dommage du fait de la vente des navires ne se retournent avec succès contre la Confédération est plutôt faible. En effet, le plaignant aurait dû établir le préjudice subi ainsi que le lien de causalité entre le comportement de la Confédération et ce préjudice. Compte tenu de ce raisonnement, la Confédération a agi correctement et l'option consistant à en faire le moins possible par crainte de devoir répondre d'une position d'organe de fait n'était tout simplement pas envisageable.

Il n'en reste pas moins que, dans la perspective de la vente future d'autres navires de haute mer bénéficiant d'un cautionnement de la Confédération, il convient d'analyser comment la Confédération peut se prémunir contre le risque de se retrouver dans une position d'organe de fait.

2.7

Recours à des prestations de conseil externes

2.7.1

Rappel des faits

Fin juin 2015, l'OFAE et le SG-DEFR ont été surpris par l'ampleur de la crise de liquidités qui frappait les compagnies maritimes du groupe SCL. L'évolution de la situation et les problèmes financiers des compagnies de SCL et SCT et d'autres compagnies maritimes ont alors placé la Confédération, en sa qualité de caution, face à une suite ininterrompue de problèmes inédits, parfois imprévisibles, et ce, pendant toute la durée de la gestion de la crise. Comme les connaissances nécessaires étaient lacunaires au sein de l'administration fédérale, le SG-DEFR a décidé de recourir à des prestations juridiques et économiques externes. Dans le présent chapitre, la DélFin aborde ainsi la question de l'adjudication de certains mandats de prestations de services. S'agissant du rôle des experts externes concernés, elle renvoie aux explications données dans le chapitre 2.6.

Adjudication de prestations de services durant les années 2015 à 2019 Dans le contexte de la gestion de la crise, une partie des prestations externes en matière de conseil ont été adjugées selon la procédure sur invitation, mais la plupart l'ont été de gré à gré. Ce n'est que fin 2018/début 2019 que l'on a recouru à ces prestations dans le cadre d'appels d'offres. Chacune des adjudications et les procédures appliquées sont exposées ci-après. Le tableau 8 résume toutes les adjudications, y compris les plafonds des coûts respectifs.

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Tableau 8 Recours à des prestations de conseil externes: points de repère Durée du contrat

Bénéficiaire

Type d'adjudication

Plafond des coûts en francs (sans TVA)

Conseils économiques 26.06.15 ­ 02.07.15 Ernst & Young

Gré à gré

45 000

07.07.15 ­ 25.08.15 Ernst & Young

Gré à gré

190 800

07.07.15 ­ 25.08.15 Ernst & Young

Gré à gré

29 200

19.02.16 ­ 30.06.17 PricewaterhouseCoopers

Invitation

150 000

19.02.16 ­ 30.06.17 PricewaterhouseCoopers

Gré à gré

95 000

19.02.16 ­ 31.12.17 PricewaterhouseCoopers

Gré à gré

255 000

10.10.16 ­ 30.06.17 PricewaterhouseCoopers

Gré à gré

250 000

20.03.17 ­ 31.07.17 PricewaterhouseCoopers

Gré à gré

200 000

01.07.17 ­ 30.06.18 PricewaterhouseCoopers

Gré à gré

200 000

01.05.18 ­ 31.12.18 PricewaterhouseCoopers

Gré à gré

100 000

01.09.18 ­ 31.12.18 PricewaterhouseCoopers

Gré à gré

60 000

01.01.19 ­ 31.12.22 PricewaterhouseCoopers

Appel d'offres OMC

957 000

2015 ­ 2018

Total EY

265 000

2015 ­ 2018

Total PwC

1 310 000

2015 ­ 2018

Total pour les conseils économiques

1 575 000

Conseils juridiques 10.07.15 ­ 30.09.15 Staiger, Schwald & Partner Invitation

100 000

10.07.15 ­ 30.11.15 Staiger, Schwald & Partner Gré à gré

45 000

18.02.16 ­ 30.07.17 Staiger, Schwald & Partner Invitation

100 000

14.09.16 ­ 30.06.17 Staiger, Schwald & Partner Gré à gré

300 000

01.11.16 ­ 30.06.17 ThomannFischer

Gré à gré

41 700

14.02.17 ­ 30.06.17 BianchiSchwald

Gré à gré

220 000

20.04.17 ­ 30.06.17 BianchiSchwald

Gré à gré

450 000

22.06.17 ­ 31.12.17 ThomannFischer

Gré à gré

80 000

01.08.17 ­ 31.07.18 ThomannFischer

Gré à gré

200 000

13.11.17 ­ 31.12.18 BianchiSchwald

Invitation

211 650

01.11.18 ­ 31.12.22 BianchiSchwald

Appel d'offres

1 170 000 6019

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Durée du contrat

Bénéficiaire

Type d'adjudication

Plafond des coûts en francs (sans TVA)

2015 ­ 2018

Total SSP/BiSc

2015 ­ 2018

Total TF

2015 ­ 2018

Total pour les conseils juridiques

1 748 350

2015 ­ 2018

Total pour les conseils externes

3 323 350

2019 ­ 2022

Total pour les conseils externes

2 127 000

1 426 650 321 700

Sources: contrats SG-DEFR avec EY, PwC, SSP, TF et BiSc (2015­2019)

Adjudication des prestations de services: phase 1 (de juin 2015 à août 2016)233 Au début de la gestion de la crise, fin juin 2015, il a fallu disposer très rapidement de connaissances économiques spécialisées afin de surmonter la crise de liquidités et d'empêcher l'effondrement des compagnies de SCL. Le SG-DEFR a chargé la société de services fiduciaires Ernst & Young AG (EY) de procéder aux éclaircissements nécessaires concernant les liquidités, la situation en termes de capital propre et les perspectives d'assainissement, de restructuration ou de liquidation. Le plafond des coûts du mandat s'élevait à 45 000 francs pour un tarif journalier moyen de 3000 francs234. Les travaux ont duré du 26 juin au 2 juillet 2015235.

A la suite de ce mandat urgent donné fin juin 2015, EY a été chargé par le SGDEFR de présenter, pour le même tarif journalier, une expertise sur l'assainissement du groupe SCL incluant des possibilités de préserver la valeur du groupe236. Le plafond des coûts concernant ce mandat a été estimé à 190 800 francs pour la période du 7 juillet au 25 août 2015237. A la date de l'attribution du mandat, l'étendue des investigations requises n'était pas encore prévisible avec exactitude. C'est pourquoi le SG-DEFR et EY sont convenus, considérant les charges supplémentaires, d'augmenter le plafond des coûts de 29 200 francs, pour le faire passer à un total de 220 000 francs238. L'expertise établie par EY est parvenue au SG-DEFR le 18 août 2015239. Outre une analyse détaillée des liquidités des compagnies de SCL 233

234 235 236 237 238 239

Afin de garder une vue d'ensemble, la DélFin a divisé les adjudications des prestations de services externes en trois phases. Le 29.8.2016, le SG-DEFR a été informé par l'OFAE de la situation des comptes 2015 établis par la société de révision Moore Stephens au sujet du dossier SCL et du surendettement des huit compagnies maritimes. Cette étape, qui a marqué une coupure dans la gestion de la crise, équivaut pour la DélFin à la fin de la première phase d'adjudication. La deuxième phase a duré jusqu'à fin 2018, quand les prestations de services externes ont pour la première fois fait l'objet d'appels d'offres publics.

Tous les tarifs journaliers ou horaires concernant les honoraires qui sont indiqués dans le présent chapitre s'entendent sans TVA ni débours.

Cf. contrat 1 entre SG-DEFR et EY du 27.7.2015.

Cf. offres EY du 3.7.2015.

Cf. contrat 2 entre SG-DEFR et EY du 27.7.2015.

Cf. modification du contrat entre SG-DEFR et EY du 11.9.2015.

Cf. rapport EY du 18.8.2015, «Projekt Speed: Planungsplausibilisierung und Handlungsempfehlungen».

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et SCT, le rapport concerné exposait les causes des problèmes rencontrés par l'entreprise et évoquait les mesures d'assainissement possibles ainsi qu'un plan de gestion. Les mandats confiés par le SG-DEFR à EY sont restés en deçà du seuil de l'OMC de 230 000 francs240.

Le SG-DEFR a ensuite décidé de mandater, en plus des conseillers économiques d'EY, un cabinet d'avocats chargé d'éclaircir certaines questions juridiques et de conseiller la Confédération au sujet des repères juridiques et contractuels permettant d'assainir le groupe SCL et de limiter les dommages pour la Confédération. Le 7 juillet 2015, EY a pris contact avec différents cabinets d'avocats en les priant de lui envoyer rapidement une offre succincte241. En parallèle, le SG-DEFR a invité le cabinet Staiger, Schwald & Partner AG (SSP) à lui soumettre une offre. Le 8 juillet 2015, le SG-DEFR a examiné les deux offres qu'il avait reçues, l'une de SSP et l'autre d'un autre cabinet (dont le nom a été anonymisé par la DélFin) 242.

Après avoir consulté EY, le SG-DEFR a adjugé au cabinet SSP le mandat de conseil juridique. L'élément décisif en faveur de SSP a été son tarif horaire légèrement inférieur à celui de la concurrence pour des compétences comparables243. Un plafond des coûts de 100 000 francs a été prévu pour ce mandat, qui couvrait la période du 10 juillet au 30 septembre 2015. Les tarifs horaires se situaient dans une fourchette allant de 200 à 600 francs, selon la qualification des juristes concernés244. Les prestations de services juridiques consistaient essentiellement, dans cette première phase, à clarifier les scénarios possibles, en Suisse et à l'étranger, concernant le droit de la dette et de la faillite. Ces investigations juridiques se sont révélées très complexes et onéreuses, de sorte que les partenaires contractuels sont convenus d'augmenter le plafond des coûts de 45 000 francs, le portant ainsi à 145 000 francs au total, et de prolonger le délai d'exécution du mandat jusqu'au 30 novembre 2015245. Le mandat confié en 2015 à SSP est donc resté inférieur au seuil de l'OMC, même en tenant compte de l'augmentation du plafond des coûts.

Les prestations de conseil de natures économique et juridique ont fait l'objet d'une procédure sur invitation formelle pour la première fois fin 2015246.

En ce qui concerne l'adjudication
des prestations de nature économique, le SGDEFR a invité trois entreprises à soumissionner. EY et PricewaterhouseCoopers AG (PwC) ont soumis une offre, tandis que la troisième y a renoncé, à en croire les documents fournis par le SG-DEFR247. Le chef Droit et protection des informations du SG-DEFR et le chef d'état-major de l'OFAE ont évalué les offres et considéré

240 241 242 243 244 245 246

247

Cf. art. 6, al. 1, let. b, de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP; RS 172.056.1).

Cf. courriel d'EY au SG-DEFR du 7.7.2015.

Cf. offres succinctes de SSP et de l'autre cabinet du 8.7.2015.

Cf. courriel du SG-DEFR à divers destinataires du 8.7.2015; courriel d'EY au SG-DEFR du 8.7.2015.

Cf. contrat entre SG-DEFR et SSP du 1.9.2015.

Cf. modification du 2.12.2015 du contrat entre SG-DEFR et SSP.

La procédure invitant à soumissionner, selon l'art. 35 de l'ordonnance sur les marchés publics (OMP; RS 172.056.11), intervient généralement lorsque la valeur des services se situe entre 150 000 et 230 000 francs. Le service chargé de l'acquisition détermine qui il va inviter à présenter une offre. Il doit si possible demander au moins trois offres.

Cf. offres EY et PwC du 15.1.2016; note SG-DEFR du 1.2.2016.

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que les exigences avaient été remplies par les deux soumissionnaires248. Le mandat a été adjugé à PwC en raison de la compétence technique avérée dans le domaine de la navigation de haute mer dont jouissait un expert de cette société, lequel travaillait à Hambourg249. S'agissant des prestations de nature économique fournies durant la période du 19 février 2016 au 30 juin 2017 au plus tard, un plafond des coûts de 150 000 francs a été convenu, pour un tarif journalier moyen de 2500 francs250. A la suite de deux adjudications de gré à gré251, le plafond des coûts a été augmenté successivement à un total de 500 000 francs, la durée du contrat étant limitée au 31 décembre 2016252. Dans une demande adressée au chef du DEFR, le SG-DEFR motivait l'augmentation du plafond des coûts et le dépassement qui en découlait du seuil de l'OMC par l'urgence du dossier et les conséquences financières menaçant la Confédération. Le chef de département a fait droit à cette demande le 17 mai 2016.

A ce moment-là, le DEFR prévoyait d'adjuger les prestations de nature économique au moyen d'un appel d'offres public à partir de janvier 2017253. Le contrat avec PwC et les deux compléments qui y ont été apportés ont été signés, pour la Confédération, par le secrétaire général du DEFR.

Dans le cadre de l'adjudication des prestations de nature juridique, ce sont, d'après les documents du SG-DEFR, quatre cabinets qui ont été sollicités pour la soumission d'offres254. Seul SSP en a présenté une255. Un autre cabinet n'a pas soumis d'offre pour des motifs de partialité. Le chef Droit et protection des informations du SGDEFR a procédé à l'évaluation et a estimé que les exigences avaient été remplies: la compétence technique demandée était avérée et le montant des tarifs horaires se situait, selon le SG-DEFR, dans une fourchette raisonnable ­ vu la complexité du mandat256. Le 21 décembre 2015, le secrétaire général du DEFR a informé le cabinet SSP que le mandat lui était adjugé257. Pour la fourniture des prestations de nature juridique durant la période du 18 février 2016 au 30 juin 2017 au plus tard, un plafond des coûts de 100 000 francs a été convenu, pour les mêmes tarifs horaires que ceux des précédents contrats conclus dans le même dossier. Le contrat avec SSP a été signé, pour la Confédération, par le secrétaire général du DEFR258.

248 249 250 251

252 253 254 255 256 257 258

Cf. procès-verbal de la présentation d'EY du 22.1.2016; procès-verbal de la présentation de PwC du 29.1.2016; évaluation des offres EY et PwC du 1.2.2016.

Cf. lettres du SG-DEFR à EY et PwC du 9.2.2016.

Cf. contrat entre SG-DEFR et PwC du 8.3.2016.

L'art. 13 OMP définit les conditions auxquelles un adjudicateur peut adjuger un marché directement, sans lancer d'appel d'offres, pour des services d'une valeur supérieure à 150 000 francs et au seuil de l'OMC et, par conséquent, adjuger exceptionnellement de gré à gré des marchés tombant sous le coup de la LMP. L'adjudicateur doit notamment motiver l'existence et la raison du critère d'exception au sens de l'art. 13, al. 1, OMP.

Cf. compléments du 19.4.2016 et du 26.5.2016 au contrat entre SG-DEFR et PwC du 8.3.2016.

Cf. demande du SG-DEFR pour une adjudication de gré à gré en faveur de PwC, avec approbation du chef du DEFR du 17.5.2016.

Cf. note du chef Droit et protection des informations du SG-DEFR du 16.11.2015; lettres du SG-DEFR aux cabinets d'avocats sélectionnés du 24.11.2015.

Cf. offre SSP du 9.12.2015.

Cf. rapport CDF du 8.8.2018 à l'intention de la DélFin, p. 30.

Cf. lettre du SG-DEFR à SSP du 21.12.2015.

Cf. contrat entre SG-DEFR et SSP du 18.2.2016.

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Adjudication des prestations de services: phase 2 (de septembre 2016 à décembre 2018) A l'automne 2016, le SG-DEFR a chargé le cabinet SSP, dans le cadre d'une convention d'honoraires valable jusqu'au 30 juin 2017, de représenter les intérêts de la Confédération sur les plans judiciaire et extrajudiciaire pour les affaires liées aux cautionnements de navires de haute mer par la Confédération. Un plafond des coûts à hauteur de 300 000 francs a été fixé pour la fourniture de cette prestation, au tarif horaire convenu précédemment. Il a également été convenu que SSP pourrait, si nécessaire, faire appel à un expert de la navigation maritime du cabinet ThomannFischer (TF) qui disposait d'une expérience en matière d'application des dispositions du droit maritime et de connaissances en droit des faillites et en droit en matière de concordat dans l'industrie nautique259. L'AFF avait préalablement donné son approbation concernant le mandat confié à SSP dans le cadre des compétences qu'il a déléguées au DEFR en vertu de l'art. 59, al. 2, de la loi sur les finances (LFC; RS 611.0)260. En sa qualité de dernière instance, le chef du DEFR a finalement décidé d'approuver l'attribution du mandat de représentation légale à SSP sans qu'un appel d'offres ne soit passé261. Dans sa proposition à l'intention du chef du département, le SG-DEFR a justifié l'attribution du mandat sans appel d'offres par le fait que les procédures judiciaires se caractérisent souvent par leur caractère urgent, raison pour laquelle une adjudication de gré à gré serait plus appropriée. Il a également renvoyé au rapport explicatif du DFF du 1 er avril 2016 sur la révision de la loi fédérale sur les marchés publics, dans lequel est indiqué: «Plaident contre l'appel d'offres [...] des motifs tels que la tactique du procès, le respect des délais et la relation de confiance particulière qui s'établit avec l'avocat mandaté262.» Pour soutenir SSP dans le cadre de la représentation juridique des intérêts de la Confédération pour les affaires liées aux cautionnements de navires de haute mer par la Confédération, le SG-DEFR a confié à PwC un mandat d'expertise valable jusqu'au 30 juin 2017. Celui-ci prévoyait un plafond des coûts de 250 000 francs et le même tarif journalier moyen que celui convenu précédemment 263. Se fondant sur l'art. 13, al. 1,
let. d, de l'ordonnance sur les marchés publics (OMP; RS 172.056.11), le chef du DEFR a également donné son accord à l'adjudication de gré à gré à PwC en raison du caractère urgent du mandat. Il a alors été décidé que les mandats de conseil devraient à l'avenir faire l'objet d'une mise au concours publique264.

259 260 261

Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et SSP le 14.9.2019.

Cf. lettre du directeur de l'AFF au SG-DEFR du 6.10.2016.

Cf. proposition du SG-DEFR concernant l'attribution du mandat de représentation légale à SSP et du mandat d'expertise à PwC avec approbation par le chef du DEFR du 15.11.2016.

262 Cf. rapport explicatif du DFF du 1.4.2016 sur la révision de la loi fédérale sur les marchés publics, p. 34, cf. aussi, dans une teneur similaire, le message du Conseil fédéral du 15.2.2017 concernant la révision totale de la loi fédérale sur les marchés publics (projet 17.019), p. 1749.

263 Cf. mandat d'expertise confié par le SG-DEFR à PwC du 21.11.2016 264 Cf. proposition du SG-DEFR concernant l'attribution du mandat de représentation légale à SSP et du mandat d'expertise à PwC avec approbation par le chef du DEFR du 15.11.2016.

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Il s'est avéré que l'accompagnement juridique et économique a représenté un travail considérable. Parallèlement à la recherche de solutions au problème du surendettement des sociétés maritimes, ce travail a consisté à chercher des investisseurs et à accompagner la vente des navires de SCL et SCT, ce qui a notamment impliqué de coordonner de nombreux entretiens avec des courtiers et des investisseurs, de clarifier des points concernant les privilèges maritimes (créances privilégiées liées à un navire), et d'éclaircir des questions de droit international liées à la vente des navires et à la réalisation de celle-ci. En raison de cette complexité, les plafonds de coûts étaient déjà presque atteints à fin mars 2017. A ce moment-là, la Confédération avait déjà opté pour la vente de gré à gré des navires de SCL et SCT (cf. chap. 2.2 à 2.4).

La sentence arbitrale en défaveur de la société holding du groupe SCL a représenté une difficulté supplémentaire.

Le SG-DEFR a demandé au chef du département d'approuver les adjudications de gré à gré à BianchiSchwald GmbH (ci-après BiSc)265 et à PwC. Il avait préalablement consulté l'Office fédéral des constructions et de la logistique (OFCL) en sa qualité de service d'achat central de la Confédération. De l'avis du SG-DEFR, il était indispensable, faute d'option plus appropriée, de procéder à des adjudications de gré à gré pour la représentation juridique, dont le coût s'est élevé à 220 000 francs, et pour l'assistance sur le plan économique, pour un coût de 200 000 francs, si l'on souhaitait atteindre l'objectif d'une vente rapide des navires de SCL et de SCT. Le chef du DEFR a approuvé les adjudications de gré à gré à BiSc et PwC le 27 mars 2017266 en vertu de l'art. 13, al. 1, let. c, OMP. Les plafonds de coûts convenus (220 000 et 200 000 francs) se situaient sous le seuil défini par l'OMC pour les prestations, qui est de 230 000 francs. Le délai pour l'accomplissement du mandat avait été fixé au 30 juin 2017 pour BiSc et au 31 juillet 2017 pour PwC. Le secrétaire général du DEFR a signé les contrats pour la Confédération267. La proposition soumise au chef du département prévoyait que, pour l'accompagnement des autres armateurs subissant des difficultés financières, les prestations juridiques à partir du 1er juillet 2017 feraient l'objet d'une procédure sur
invitation, et que l'assistance économique fournie dans le cadre d'un contrat valable à partir du 1er août 2017 ferait l'objet d'un appel d'offres public268.

Le plafond des coûts de 220 000 francs pour la représentation juridique de la Confédération a été atteint mi-avril 2017 et celui de 200 000 francs pour les conseils économiques l'a été fin juin 2017. Il s'est avéré que les travaux de nature juridique (élaboration des contrats de vente, traitement des actions en garantie des acheteurs, préparation des liquidations des compagnies, examen des éléments relevant du droit pénal et des prétentions en responsabilité en droit civil) étaient nettement plus complexes que prévu à l'origine. Pour les étapes suivantes dans l'affaire des compagnies 265

Le mandat de représentation légale attribué à SSP a été assumé par BiSc à partir du 1.1.2017. Le cabinet SSP a été dissout fin 2016 et les principaux interlocuteurs de la Confédération chez SSP sont tous passés au cabinet BiSc, nouvellement fondé.

266 Cf. propositions du SG-DEFR concernant les adjudications de gré à gré à BiSc et PwC avec approbation par le chef du DEFR du 27.3.2017.

267 Cf. conventions d'honoraires conclues entre le SG-DEFR et BiSc le 14.2.2017 et entre le SG-DEFR et PwC le 11.4.2017.

268 Cf. propositions du SG-DEFR concernant les adjudications de gré à gré à BiSc et PwC avec approbation par le chef du DEFR du 27.3.2017.

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de SCL et SCT, le SG-DEFR a demandé au chef du département d'approuver des adjudications de gré à gré supplémentaires à hauteur de 450 000 francs pour l'assistance juridique et de 200 000 francs pour les prestations économiques. Le chef du DEFR a approuvé les adjudications urgentes le 26 juin 2017269. Les conventions d'honoraires correspondantes, valables jusqu'au 30 juin 2018, ont été signées par le secrétaire général du DEFR270.

Le plafond de coûts pour les prestations de PwC, dont le chef du DEFR avait approuvé l'augmentation à hauteur de 200 000 francs fin juin 2017, a été atteint en mai 2018. Le chef du département a alors approuvé, le 22 mai 2018, une nouvelle adjudication de gré à gré à hauteur de 100 000 francs pour le recours urgent à l'assistance fournie par PwC sur le plan économique271. La convention d'honoraires correspondante, valable jusqu'au 31 décembre 2018, a été signée par le secrétaire général du DEFR272. En raison de l'urgence et faute de disposer d'une autre solution, le chef du DEFR a approuvé, le 1 er octobre 2018, une dernière augmentation du plafond de coûts, à hauteur de 60 000 francs273. Pour la première fois, la convention d'honoraires, valable jusqu'au 31 décembre 2018, a été signée, au nom de la Confédération, par le secrétaire général adjoint du DEFR, en sa qualité de chef des ressources du département, et par le chef Droit et protection des informations du SGDEFR274. Avec cette nouvelle adjudication de gré à gré, le coût total des prestations de conseil fournies par PwC entre mars 2016 et décembre 2018 s'est élevé à 1 310 000 francs (cf. le tableau 8, qui récapitule toutes les adjudications). A l'origine, ces mandats ont été attribués à PwC à l'issue d'une procédure sur invitation. Par la suite, en raison de l'aggravation de la crise des liquidités des compagnies de SCL et SCT, mais aussi d'autres sociétés, les mandats ont été attribués à PwC dans le cadre d'adjudications de gré à gré en raison de l'urgence et faute de disposer d'autres solutions appropriées.

La procédure sur invitation concernant les prestations de conseil juridique pour les autres armateurs en difficulté s'est déroulée entre fin mars et début juin 2017. Elle ne portait pas sur l'accompagnement juridique de la vente des navires de SCL et SCT. Le SG-DEFR a demandé à cinq cabinets de lui soumettre
des offres 275. Il n'en a reçu que deux, l'une émanant de BiSc et l'autre d'un autre cabinet (nom connu de la DélFin)276. Les deux offres ont été évaluées par le chef Droit et protection des informations, un collaborateur juridique du SG-DEFR et le responsable des Secrétariats des domaines logistique / TIC de l'OFAE. Le prix légèrement plus bas pratiqué 269 270 271 272 273 274 275 276

Cf. propositions du SG-DEFR concernant les adjudications de gré à gré à BiSc et PwC avec approbation par le chef du DEFR du 26.6.2017.

Cf. conventions d'honoraires conclues entre le SG-DEFR et BiSc le 20.4.2017 et entre le SG-DEFR et PwC le 10.7.2017.

Cf. proposition du SG-DEFR concernant l'adjudication de gré à gré à PwC avec approbation par le chef du DEFR du 22.5.2018.

Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et PwC le 25.5.2018.

Cf. proposition du SG-DEFR concernant l'adjudication de gré à gré à PwC avec approbation par le chef du DEFR du 1.10.2018.

Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et PwC le 1.9.2018.

Cf lettre du 29.3.2017 du SG-DEFR à l'intention de différents cabinets d'avocats, y c. le cahier des charges annexé.

Cf. offre de BiSc du 28.4.2017, y c. présentation de l'offre du 23.5.2017, offre de l'autre cabinet du 27.4.2017.

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par BiSC et la grande expérience dont disposait le cabinet en matière d'assainissement financier, de vente et de recherche d'investisseurs dans le secteur de la navigation maritime ont joué en faveur de l'attribution du mandat à ce cabinet277.

A l'issue de la procédure sur invitation, le SG-DEFR et BiSc ont conclu un nouveau plafond de coûts à hauteur de 211 650 francs pour l'activité de conseil et la représentation judiciaire des intérêts de la Confédération dans les affaires liées aux cautionnements de navires de haute mer par la Confédération jusqu'au 31 décembre 2018.

Ce mandat n'englobe pas les prestations de conseil juridique nécessaires à la liquidation des compagnies de SCL et SCT. Le secrétaire général du DEFR a signé le contrat au nom de la Confédération278. Le contrat a par la suite été complété de telle sorte que les prestations de conseil juridique encore nécessaires dans le cadre de la liquidation des sociétés de SCL et SCT puissent être décomptées sur la base de ce contrat279. Au total, le coût des prestations de conseil fournies par SSP/BiSC entre juillet 2015 et décembre 2018 s'est élevé à 1 426 650 francs (cf. tableau 8: récapitulatif de toutes les adjudications).

Comme cela a déjà été mentionné, le SG-DEFR a donné son accord pour que SSP/BiSc fasse appel à un expert du droit maritime du cabinet d'avocats TF. Afin de permettre la facturation des prestations de cette tierce personne, le SG-DEFR a également conclu des conventions d'honoraires directement avec TF. Le plafond de coûts pour la fourniture de ces prestations jusqu'au 30 juin 2017 a d'abord été fixé à 41 667 francs, avec un tarif horaire de 300 à 400 francs280. Une fois que les navires de SCL et SCT ont été vendus, TF a été chargé d'accompagner la remise de ces navires. Le plafond de coûts a été fixé à 80 000 francs281. La remise des navires s'étant révélée bien plus complexe que l'on pouvait le prévoir, le SG-DEFR a proposé que le plafond de coûts soit relevé à 200 000 francs. En août 2017, vu l'urgence et faute de disposer d'une autre solution, le chef du DEFR a approuvé l'adjudication de gré à gré282. En comptant cette nouvelle adjudication de gré à gré, le montant total des prestations de conseil adjugées à TF entre novembre 2016 et juillet 2018 s'élevait à 321 700 francs (cf. tableau 8: récapitulatif de toutes
les adjudications). Le secrétaire général du DEFR a signé tous les contrats conclus avec TF.

Adjudication des prestations de services: phase 3 (à partir de janvier 2019) Le SG-DEFR indique que, en raison du degré d'urgence élevé de l'affaire, il n'a été possible de faire jouer la concurrence que de manière limitée lors du recours aux prestations juridiques et économiques entre 2015 et 2018. Une fois que la liquidation 277

278 279 280 281 282

Cf. note de procès-verbal de la présentation de l'offre de l'autre cabinet du 22.5.2017; note de procès-verbal de la présentation de l'offre de BiSc du 23.5.2017; notes relatives à l'évaluation par le SG-DEFR du 7.6.2017; lettre du SG-DEFR à BiSc du 8.6.2017; lettre du SG-DEFR à l'autre cabinet du 8.6.2017.

Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et BiSc le 13.11.2017.

Cf. complément à la convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et BiSc du 1.6.2018 Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et ThomannFischer le 1.11.2016.

Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et ThomannFischer le 22.6.2017.

Cf. proposition du SG-DEFR concernant l'adjudication de gré à gré à ThomannFischer avec approbation par le chef du DEFR d'août 2017; complément d'août 2017 à la convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et Thomannfischer le 22.6.2017.

6026

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des sociétés de SCL et SCT a été lancée, et alors qu'elle se trouvait déjà à un stade avancé, le SG-DEFR a décidé, à l'été 2018, de procéder à des appels d'offres publics pour les prestations juridiques et économiques auxquelles il aurait recours jusqu'à fin 2022283.

Les mandats externes ont été mis au concours sur la plateforme simap.ch le 1er septembre 2018. Un appel d'offres OMC a été publié pour les prestations de nature économique et un appel d'offres public a été lancé pour les prestations juridiques. Au total, quatre prestataires ont soumis des offres pour les prestations de conseil économique et cinq prestataires ont soumis des offres pour les prestations de conseil juridique. L'équipe d'évaluation, composée de membres du SG-DEFR et de l'OFAE et dirigée par le secrétaire adjoint du DEFR, a attribué les mandats respectivement à PwC et à BiSc. PwC l'a notamment convaincue grâce au fait qu'il remplissait toutes les exigences en matière de qualifications et aussi en raison du fait qu'il proposait le prix le plus bas parmi toutes les offres284. BiSc ne proposait certes pas le prix le plus bas, mais remplissait nettement mieux les exigences en matière de qualifications que les autres cabinets285. Pour le soutien sur le plan économique apporté à la Confédération lors du règlement de problèmes liés à des décisions et positions de la Confédération concernant des cautionnements de navires de haute mer jusqu'à fin 2022, un plafond de coûts d'un montant de 957 000 francs a été fixé, avec un tarif horaire de 290 francs286. En ce qui concerne les prestations de conseil juridique et la représentation de la Confédération dans les affaires liées aux cautionnements de navires de haute mer jusqu'à fin 2022, un plafond de coûts à hauteur de 1 170 000 francs et un tarif horaire mixte de 390 francs ont été convenus avec BiSc287.

Le secrétaire général adjoint et le chef Droit et protection des informations ont signé les contrats correspondants au nom de la Confédération. D'après ces contrats, il revient à la Confédération de définir le volume des prestations nécessaires. Elle n'est donc pas tenue d'avoir recours aux prestations de nature juridique ou économique.

Coûts des prestations de conseil (2015­2018) et perspectives à partir de 2019 L'analyse des coûts sur la période de 2015 à 2018 montre que la majorité
des dépenses est liée à la préparation, au déroulement et au suivi de la vente des navires des groupes SCL et SCT. Cela découle, d'une part, du fait que la Confédération était fortement pressée par le temps et, d'autre part, du fait qu'elle ne disposait pas des connaissances techniques et spécifiques au droit maritime qui lui auraient permis d'effectuer elle-même les travaux requis. Le suivi permanent, de 2015 à 2018, des autres compagnies maritimes cautionnées par la Confédération a nécessité nettement moins de travail et s'est révélé beaucoup moins onéreux288. Néanmoins, les coûts en question ne sauraient être séparés de ceux qui concernent les groupes SCL et SCT, raison pour laquelle ils figurent également dans le tableau ci-dessous.

283 284 285 286 287 288

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 15.

Cf. rapport d'évaluation du SG-DEFR du 4.11.2018.

Cf. rapport d'évaluation du SG-DEFR du 10.10.2018.

Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et PwC le 10.1.2019.

Cf. convention d'honoraires conclue entre le SG-DEFR et BiSc en janvier 2018.

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 13.

6027

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Tableau 9 Ventilation des dépenses consacrées aux prestations de conseil (2015­2018) Période

Société de conseil

Juin ­ décembre 2015

EY

Montant facturé en francs289

293 000

Staiger, Schwald & Partner

142 000 Total

Janvier ­ juin 2016

PricewaterhouseCoopers

356 000

Staiger, Schwald & Partner

184 000 Total

Juillet ­ décembre 2016

381 000

Staiger, Schwald & Partner

327 000 18 000 Total

273 000

BianchiSchwald

526 000

ThomannFischer

109 000

195 000

BianchiSchwald

140 000

ThomannFischer

27 000

132 000

BianchiSchwald

129 000

ThomannFischer

2 000

PricewaterhouseCoopers

163 000 Total

Ernst & Young PricewaterhouseCoopers

289

Les montants sont tous arrondis aux 1000 francs supérieurs.

6028

263 000 75 000

BianchiSchwald

Total 2015­2018

362 000

PricewaterhouseCoopers

Total Juillet ­ décembre 2018

908 000

PricewaterhouseCoopers

Total Janvier ­ juin 2018

726 000

PricewaterhouseCoopers

Total Juillet ­ décembre 2017

540 000

PricewaterhouseCoopers ThomannFischer

Janvier ­ juin 2017

435 000

237 000 293 000 1 412 000

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Période

Société de conseil

Montant facturé en francs289

Staiger, Schwald & Partner / BianchiSchwald

1 611 000

ThomannFischer

156 000 Total 3 472 000

Source: rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, annexe 23, avis de l'administration du 11 juin 2019 concernant le projet de rapport de la DélFin et rapport complémentaire du SG-DEFR du 14 juin 2019 à l'intention de la DélFin

Grâce à la mise sur pied minutieuse de la procédure de vente des navires des groupes SCL et SCT, le SG-DEFR estime que, s'il fallait un jour vendre d'autres navires, les dépenses seraient moindres. Le DEFR a en effet pris des mesures préventives au sujet des compagnies maritimes pour lesquelles il existe encore des crédits bénéficiant de cautionnements solidaires, afin qu'une éventuelle vente puisse avoir lieu en temps utile et avec un maximum d'efficience290.

Selon le DEFR, le recours à des experts externes demeurera toutefois nécessaire à l'avenir. Les conseillers économiques de la Confédération sont consultés en priorité pour l'examen des besoins financiers des compagnies de SCL et SCT qui sont en liquidation. Sur le plan juridique, le plus grand défi réside dans le traitement des prétentions en responsabilité contre les anciens organes des groupes SCL et SCT et contre les banques prêteuses initiales, ainsi que dans le suivi de la clarification des faits concernant les groupes SCL et SCT du point de vue pénal et dans la liquidation des compagnies de SCL et SCT. Cependant, le DEFR escompte que les coûts des prestations de conseil externes diminueront considérablement, dans l'ensemble, par rapport à ceux qui ont été occasionnés de 2015 à 2018. La Confédération pourrait surtout avoir à supporter davantage de coûts et de dépenses s'il fallait vendre des navires d'autres compagnies maritimes qu'elle cautionne291. Les derniers cautionnements fédéraux pour la flotte suisse de haute mer expireront en 2032.

Rôle du secrétaire général du DEFR (2014­2018) dans l'adjudication des prestations de conseil de nature juridique Le chef Droit et protection des informations du SG-DEFR était le responsable des questions de droit des marchés publics. Avec le concours de ses propres collaborateurs et de représentants de l'OFAE, il procédait à l'évaluation des offres reçues et soumettait des propositions au secrétaire général du DEFR en conséquence. Ce dernier signait finalement, jusqu'en mai 2018, toutes les conventions d'honoraires conclues avec les experts externes. Depuis juin 2018, le secrétaire général adjoint du DEFR a assumé la responsabilité de l'adjudication des prestations de services externes, en sa qualité de chef des ressources.

Lors de son enquête, la DélFin a constaté que, au moment de la première adjudication, il existait déjà un lien d'amitié entre le secrétaire général du DEFR et un Senior 290

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, pp. 13 s.

291 Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 14.

6029

FF 2020

Partner du cabinet SSP/BiSc. Comme c'est le secrétaire général qui, en juillet 2015, a sollicité le cabinet SSP pour les prestations de conseil urgentes de nature juridique, cette adjudication pourrait donner une impression de partialité. D'autant plus que le secrétaire général a ensuite signé lui-même les demandes d'adjudication de gré à gré à l'intention du chef de département et les conventions d'honoraires correspondantes avec SSP/BiSc.

Le secrétaire général du DEFR a confirmé à la DélFin l'amitié qu'il entretenait depuis des années avec le Senior Partner du cabinet d'avocats. En revanche, il n'existait entre eux ni liens familiaux ni parrainages, contrairement à ce que certains tiers avaient prétendu devant la DélFin. Selon le secrétaire général du DEFR, cette amitié était connue aussi bien du chef du DEFR que des autres intéressés au sein du SG-DEFR, tout comme de l'AFF. Etant donné ce lien personnel, le secrétaire général du DEFR ne se serait à aucun moment mêlé de l'examen matériel des offres, ni de la décision concernant l'adjudication. S'il a signé les contrats, c'est uniquement sur recommandation du service juridique du département. En outre, le Senior Partner concerné n'aurait, dans ce cas précis, pas travaillé de manière déterminante pour la facturation292.

Le chef Droit et protection des informations du SG-DEFR a confirmé à la DélFin la véracité de ces déclarations. Dès le départ, le secrétaire général aurait signalé son lien d'amitié avec le Senior Partner concerné. Ce serait justement la raison pour laquelle il n'a jamais été impliqué dans le processus de sélection et il n'a signé la décision d'adjudication et les contrats que sur recommandation du service juridique du département. A aucun moment il n'aurait exercé une quelconque influence sur la procédure d'adjudication. Il aurait tout de suite été clair sur le fait que, eu égard aux risques financiers importants, l'attention devait se porter principalement, outre sur les coûts, sur la compétence technique. Il n'aurait par ailleurs donné aucune instruction s'agissant du choix des personnes. Au contraire, il aurait déclaré sans ambiguïté qu'il ne voulait pas être impliqué dans le processus de sélection. Les représentants du groupe interne à la Confédération, issus du SG-DEFR, de l'AFF et de l'OFAE, ont attesté la grande compétence
technique de SSP/BiSc. De plus, la décision de transférer le mandat de représentation à SSP à l'automne 2016 aurait été prise en étroite concertation avec les représentants de l'AFF; le directeur de l'AFF a formellement confirmé cette décision293. Les représentants de l'AFF concernés ont également confirmé à la DélFin avoir eu connaissance de ces relations personnelles, même si c'était tardivement selon eux. Ils ont affirmé en outre que, comme seul le SG-DEFR était responsable de la procédure d'adjudication, l'AFF ne s'est pas mêlée concrètement du processus décisionnel294.

292 293

Cf. courriel du secrétaire général du DEFR à la DélFin du 29.6.2018.

Cf. courriel du chef Droit et protection des informations du SG-DEFR à la DélFin du 29.6.2018.

294 Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, pp. 14 s.

6030

FF 2020

2.7.2

Appréciation

De l'été 2015 à la fin 2018, le SG-DEFR a adjugé des prestations de conseil pour un plafond total de 3,3 millions de francs, soit une moyenne de 80 000 francs par mois environ (sans la TVA et les frais). Les dépenses effectives de la Confédération au titre des conseillers externes ont atteint, pour la même période, environ 3,5 millions de francs (y c. la TVA et les frais). Selon les indications des services fédéraux impliqués, environ 75 % de ces dépenses sont attribuables aux prestations de conseil fournies aux compagnies de SCL et SCT295.

La DélFin se demande si le recours à des prestations de services externes était indispensable et si leur ampleur financière était raisonnable. Fin juin 2015, la Confédération a été surprise par la crise de liquidités frappant les compagnies maritimes de SCL. Les opérations qui se sont ensuivies se sont révélées extrêmement laborieuses; ni le SG-DEFR ni l'OFAE, qui était l'office fédéral compétent, ne disposaient du personnel et du savoir juridique et économique nécessaires. C'est pourquoi le DEFR a décidé de recourir à un soutien spécialisé externe. La DélFin considère que la procédure choisie par le DEFR est justifiée. Celle-ci avait notamment pour but de limiter autant que possible les pertes financières subies par la Confédération (cf.

explications au chap. 2.1). En outre, l'analyse des dossiers reçus en 2018 à la suite des appels d'offres montre que les prestataires mandatés ont facturé à la Confédération des montants conformes aux usages de la branche, même si ceux-ci étaient largement supérieurs au coût horaire moyen d'un employé de l'administration fédérale296.

Pour ce qui est de la procédure d'adjudication, la DélFin a aujourd'hui l'impression que le DEFR aurait pu l'organiser en la structurant mieux et en faisant preuve de davantage de lucidité. Entre l'été 2015 et l'été 2018, les mandats attribués à SSP/BiSc et PwC ont été adjugés dans le cadre d'une procédure sur invitation. Les plafonds des coûts respectifs ont alors été notablement augmentés par le biais d'adjudications de gré à gré successives (cf. tableau 8). Il apparaît en outre que les adjudications de gré à gré se sont succédé à un rythme rapide. De l'avis de la DélFin, le DEFR aurait dû identifier ce problème et réagir au plus tard lorsque la somme des adjudications de gré à gré a dépassé
le seuil de l'OMC.

La DélFin constate que les procédures sur invitation étaient motivées par l'urgence de la situation. De plus, à ce moment-là, on ne pouvait pas encore prévoir le coût total des conseils juridiques et économiques. Par conséquent, un appel d'offres public n'aurait pas constitué la procédure adéquate, selon la DélFin, car celle-là aurait duré trop longtemps ­ une procédure OMC nécessite au moins sept mois. Par ailleurs, la publication des prix de vente potentiels des navires aurait pu avoir une influence négative et accroître les pertes financières subies par la Confédération.

295 296

Cf. avis de l'administration du 12.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

Selon la documentation complémentaire de l'OFPER du 22.3.2019 concernant le personnel, établie à l'intention des Commissions des finances (compte d'Etat 2018, «Annexe 5: Coûts annuels moyens d'un employé de l'administration fédérale»), le coût horaire moyen, y c. les frais liés au poste de travail, au sein de l'administration fédérale se situe, à compétences égales (classes de salaire 26 à 37), de 120 à 257 francs (y c. TVA et débours).

6031

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S'agissant des adjudications de gré à gré en faveur de SSP/BiSc et PwC qui dépassaient le seuil de l'OMC, le SG-DEFR s'est référé à l'art. 13, al. 1, let. c et/ou d, OMP. Selon la let. c, l'adjudicateur peut adjuger un marché directement, sans lancer d'appel d'offres, si un seul soumissionnaire entre en considération en raison des particularités techniques ou artistiques du marché ou pour des motifs relevant du droit de la propriété intellectuelle, et s'il n'existe pas de solution de rechange adéquate. L'adjudicateur doit prouver de manière crédible que les circonstances exigent impérativement une adjudication de gré à gré. Aux termes de la let. d, l'adjudicateur peut adjuger un marché directement, sans lancer d'appel d'offres, si, en raison d'événements imprévisibles, l'urgence du marché est telle qu'il est impossible de suivre une procédure ouverte ou sélective. Par «événements imprévisibles», il faut entendre des événements dans lesquels les autorités ne sont pas elles-mêmes fautives (par ex. à cause d'une mauvaise planification) ou sur lesquels elles n'ont aucune influence; de plus, ce critère et celui de l'urgence sont cumulatifs et il doit y avoir un lien de causalité entre les deux. Enfin, l'urgence doit être de nature à empêcher l'adjudicateur de remplir ses obligations s'il voulait lancer une procédure ouverte ou sélective ou une procédure sur invitation297. La DélFin relève que les adjudications de gré à gré en faveur de SSP/BiSc et PwC ont chaque fois été motivées en détail et autorisées par le chef de département.

Les autres mandats de conseil attribués à EY et TF ont également été adjugés de gré à gré. En ce qui concerne les adjudications des prestations de conseil de nature économique qui ont eu lieu en juin et juillet 2015 en faveur d'EY, l'urgence était clairement établie en raison des graves problèmes de liquidités. A l'origine, TF avait été sollicité par SSP/BiSc dans le cadre du mandat du DEFR en tant que soustraitant. Par la suite, le SG-DEFR a mandaté directement TF. Il partait alors du principe que les plafonds des coûts initiaux de 40 000 et 80 000 francs suffiraient jusqu'au terme de la procédure. L'adjudication de gré à gré en faveur de TF qui a eu lieu ensuite, à hauteur de 200 000 francs, était motivée conformément au droit en vigueur, malgré le dépassement du seuil,
et signée par le chef de département.

Vu ses investigations, la DélFin arrive globalement à la conclusion qu'il n'y a eu aucune infraction au droit des marchés publics en vigueur. Les procédures sur invitation et de gré à gré qui étaient prévues ont été appliquées conformément au droit et l'interdiction de subdivision, au sens de l'art. 7, al. 1, de la loi fédérale sur les marchés publics (LMP; RS 172.056.1) et de l'art. 14a, al. 2, OMP, n'a pas été violée. Il était en effet impossible de prévoir que les dépenses prendraient une telle ampleur.

Pour la DélFin, le SG-DEFR n'a pas délibérément réparti les mandats externes au début de l'affaire. En principe, il faudrait toutefois éviter des augmentations continuelles du plafond des coûts.

Grâce à l'expérience acquise lors de la vente des navires des groupes SCL et SCT, l'étendue des prestations de services requises devrait désormais, si un tel cas se reproduisait, être fixée assez tôt pour l'adjudication de mandats et l'établissement de contrats. Cela permettrait d'avoir moins de mandats à adjuger de gré à gré pour des raisons d'urgence et de pouvoir profiter de l'effet de concurrence. La DélFin estime 297

Cf. message du 15.2.2017 concernant la révision totale de la loi fédérale sur les marchés public (objet 17.019), p. 1772.

6032

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en fin de compte que le SG-DEFR et les experts mandatés n'ont jamais évalué de façon réaliste l'ampleur de ce dossier et n'ont pas anticipé de manière appropriée ses développements futurs. Cette situation est probablement due au manque d'expérience des personnes concernées dans le domaine en question, mais aussi à l'extrême volatilité du marché dans le secteur des navires de haute mer.

La DélFin est en outre d'avis que les adjudications auraient pu, dans l'ensemble, être effectuées avec davantage de soin. L'analyse des documents dont elle disposait a révélé que les contrats conclus avec les sociétés de conseil avaient souvent été signés seulement après le début du mandat. De plus, la date exacte du contrat n'apparaissait pas toujours, notamment dans les conventions d'honoraires conclues avec les cabinets d'avocats298. Si, du point de vue juridique, cela ne pose pas particulièrement de problèmes, cela donne quand même l'impression que les mandataires n'ont pas contrôlé attentivement la mesure dans laquelle les plafonds des coûts étaient atteints, alors qu'un examen régulier du niveau des coûts par les mandataires avait été convenu contractuellement.

Au sujet du rôle du secrétaire général du DEFR dans l'adjudication en faveur du cabinet SSP/BiSc, son lien personnel avec un Senior Partner pourrait effectivement donner une impression de partialité. Le secrétaire général a signé les contrats avec SSP/BiSc jusqu'en mai 2018. L'enquête de la DélFin n'a toutefois révélé aucun élément qui prouverait une influence concrète de sa part. Le secrétaire général a parlé de ses relations privées tout à fait franchement à la DélFin et s'est récusé lorsqu'il s'agissait de sélectionner les conseillers juridiques. Les investigations menées par la DélFin ont montré aussi que le secrétaire général n'avait pas participé au choix des cabinets auxquels écrire ­ sauf en juillet 2015 ­, ni à l'évaluation des offres. Ces tâches ont été effectuées par le juriste en chef du département, qui ne connaissait ni le Senior Partner concerné de SSP/BiSc, ni les principaux avocats intéressés. En conclusion, il est quand même permis de relever qu'il aurait été préférable que, dès le départ, le secrétaire général confie l'intégralité du processus d'adjudication, y compris la signature des contrats, à son adjoint, lequel est le chef des
ressources du département.

La DélFin a pris acte du fait que, à l'été 2018, le SG-DEFR avait procédé à une nouvelle adjudication en matière de conseils économiques et juridiques en s'appuyant sur un appel d'offres public et sur un appel d'offre OMC. Elle considère que cette démarche était opportune, car le marché de la navigation maritime reste extrêmement volatile, ce qui, dans le pire des cas, pourrait conduire à ce que d'autres navires cautionnés par la Confédération se retrouvent dans une situation critique. Eu égard à l'expérience acquise lors de la vente des navires des groupes SCL et SCT, la DélFin escompte que, si l'on doit un jour vendre d'autres navires, le besoin en matière de conseils sera moindre que ce qu'il a été durant les années 2015 à 2018.

298

Lorsque le contrat ne contenait pas de date, la DélFin a indiqué, sous les sources concernées, le début de la durée contractuelle.

6033

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Recommandation 8

Finies les adjudications de gré à gré successives

La Délégation des finances reconnaît que la gestion de crises imprévisibles répond en principe à des situations exceptionnelles et exige des solutions tout aussi exceptionnelles. Néanmoins, quand l'administration fédérale est appelée à surmonter de telles situations, elle doit respecter les dispositions fixées par le législateur..

C'est en ce sens que la Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de veiller, si des cas similaires à celui des compagnies de SCL et SCT se produisaient, à ce que les services compétents de la Confédération ­

prennent les mesures appropriées afin d'éviter, en cas de crise, des augmentations successives du plafond des coûts au moyen d'adjudications de gré à gré;

­

sollicitent des offres concurrentielles dans les règles de l'art; et

­

concluent et datent valablement des contrats portant sur des prestations de conseil avant le début des mandats concernés.

2.8

Liquidation des compagnies de SCL et SCT

2.8.1

Rappel des faits

Les chapitres 2.2 à 2.5 décrivent les processus de réflexion et de décision qui visaient à limiter les dommages et ont mené à la vente des douze navires des groupes SCL et SCT aux sociétés Tango et Mach. Cette vente était coordonnée avec la liquidation en bonne et due forme (selon art. 736 ss du code des obligations [CO, RS 202]) des groupes SCL et SCT. Cette procédure avait reçu l'assentiment du propriétaire des compagnies de SCL et SCT, qui avait donné son aval à la Confédération avant la signature des actes de vente299.

La liquidation a été confiée à un avoué spécialiste des liquidations judiciaires au sein du cabinet d'avocats Wenger Plattner, dont le siège se trouve à Berne. Les partenaires contractuels du liquidateur sont, aux termes du mandat du 30 juin 2017, les compagnies de SCL et SCT, en liquidation. La Confédération, représentée par l'office compétent, l'OFAE, a signé le contrat de vente en adjoignant la mention «zustimmend zur Kenntnis genommen» («pris acte»). Ce faisant, elle se déclarait prête à apporter une contribution financière à une liquidation au sens du CO en utilisant le produit de la vente des navires300.

Le liquidateur est intervenu au cours de deux phases. La première phase, qui avait commencé début juillet 2017, a vu la liquidation conjointe des sociétés de holding et de gestion des cargos SCL (SCL Reederei AG et Enzian Ship Management AG) et 299

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 19.

300 Cf. dispositions contractuelles du mandat conclu entre les groupes SCL-/SCT, l'actionnaire et le liquidateur le 30.6.2017.

6034

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des navires-citernes SCT (Swiss Chem Tankers AG et Swiss Chem Schiffahrts AG).

Après la cession du dernier navire et son transfert à l'acheteur le 22 septembre 2017, l'OFAE a confirmé au liquidateur, le 5 décembre 2017, qu'il était prêt à soutenir une liquidation ordonnée aux conditions qui avaient été fixées, ce qui était nécessaire pour pouvoir entamer la deuxième phase, soit la procédure de liquidation des compagnies à un seul navire301. Cette seconde phase marquait la scission entre le propriétaire des groupes SCL et SCT, en tant qu'organe formel, et les différentes compagnies. Les fonctions assumées par les conseils d'administration des sociétés en liquidation ont alors été reprises par le conseiller financier consulté par le liquidateur302.

Selon la planification financière et le calendrier des paiements convenus entre la Confédération et le liquidateur, la liquidation ordonnée des compagnies maritimes de SCL et SCT a été budgétée, au vu de la situation de décembre 2017, à approximativement 7,5 millions de francs303. Les frais de liquidation englobaient les dépenses engagées par l'organe de liquidation, y compris les émoluments des experts externes, les coûts d'exploitation ordinaires liés au personnel et aux assurances, ainsi que d'autres frais d'exploitation (notamment des intérêts et des impôts) et des charges dues à des litiges. Le dernier employé des groupes SCL et SCT a quitté les compagnies à la fin du mois de novembre 2018. Après cette date, seul l'ancien chef des finances était en fonction ­ ponctuellement et sur la base d'un mandat en tant qu'indépendant ­ pour seconder le liquidateur304.

Le produit de la vente des navires a été versé sur des comptes bancaires contrôlés par la Confédération: ils ont en partie permis d'honorer les prêts cautionnés et de rembourser les crédits transitoires accordés par UBS aux groupes SCL et SCT. Les sommes restantes ont été utilisées dans le cadre de la liquidation: le liquidateur pouvait en effet déposer une demande chaque mois auprès de la Confédération afin d'obtenir les moyens financiers nécessaires. Les sommes qui n'auraient, par la suite, pas été utilisées lors de la liquidation devaient alimenter les caisses fédérales. Un premier montant de 11 millions de francs provenant de la vente des navires a déjà pu être reversé, fin 2017, à la caisse
générale de la Confédération305.

Le liquidateur a estimé que les moyens disponibles au moment de la rédaction du présent rapport selon le plan financier suffiraient à couvrir le coût des travaux de liquidation à venir306, à condition que la poursuite d'éventuelles prétentions en responsabilité à l'encontre des anciens organes des compagnies concernées n'occasionne pas de coûts supplémentaires élevés ou qu'il n'y ait pas de prétentions en dommages-intérêts contre les compagnies pour actes délictueux des anciens organes307.

En tant que seul représentant des sociétés de holding et de gestion de SCL et SCT ayant le droit de signature individuelle, le liquidateur a également suivi, selon le 301 302 303 304 305 306 307

Cf. lettre du 5.12.2017 envoyée par l'OFAE au liquidateur.

Cf. procès-verbal de l'audition du liquidateur du 19.11.2018, p. 4.

Cf. annexe «Plan financier» à la lettre adressée par l'OFAE au liquidateur le 5.12.2017.

Cf. procès-verbal de l'audition du liquidateur du 19.11.2018, p. 3.

Cf. rapport complémentaire de l'AFF à l'intention de la DélFin du 21.2.2019, p. 4.

Cf. lettre adressée par le liquidateur à la DélFin le 14.1.2019.

Cf. avis du liquidateur du 12.6.2019 concernant le projet de rapport de la DéFin.

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mandat qui lui avait été confié, la remise des navires à leurs acheteurs, sauf pour les trois navires qui avaient déjà été livrés avant le début de son mandat. Bien que les processus correspondants aient été précisément définis dans les contrats de vente, les premières livraisons de navires, c'est-à-dire celles qui ont eu lieu avant la présence du liquidateur, ont été synonymes de mauvaise surprise pour la Confédération. En effet, les navires n'avaient pas été correctement préparés par la compagnie compétente et l'acheteur a constaté différents manquements. De ce fait, le liquidateur a instauré des processus au sein des compagnies afin que les navires soient préparés au mieux pour les autres livraisons. Etait présent sur place, en premier lieu, le responsable technique des groupes SCL et SCT, qui soutenait le liquidateur dans la négociation des prix avec les acheteurs. D'autres représentants des compagnies concernées ne se trouvaient sur place que si besoin était. Pour réduire au maximum les rabais demandés par les acheteurs, il a parfois été fait appel à des experts externes venant de chantiers navals. Dans la plupart des cas, la stratégie du liquidateur pour éviter les baisses de prix a été couronnée de succès: il est apparu que les prétentions des acheteurs quant aux rabais étaient hors de proportion par rapport aux manquements effectivement constatés308. Mach a négocié au total des rabais à hauteur de 2,5 %309.

Les conditions contractuelles spécifiques convenues entre les groupes SCL et SCT et le groupe acheteur Mach sont exposées au chapitre 2.5. L'une de ces conditions prévoyait que l'argent versé pour l'achat des navires devait être placé sur un compte de séquestre durant les 12 mois suivant la livraison du dernier navire, ce afin de couvrir les éventuelles obligations liées aux navires qui pourraient se faire jour ultérieurement. En tout, ce sont quelque 3,9 millions de dollars qui ont été placés sur le compte-séquestre jusqu'au 23 septembre 2018. Les créances des acheteurs se montant à 93 513 dollars ont été honorées via le compte de séquestre310. Le montant restant sur le compte de séquestre, de 3,8 millions de dollars, a pu être reversé sur le compte bancaire où était déposé le produit de la vente des navires. En ce qui concerne le cargo SLC Andisa, les acheteurs ont fait valoir auprès
du liquidateur une demande de garantie de 1,3 million de dollars à raison de défauts. Celui-ci a rejeté ces exigences. Par la suite, un arrangement a été conclu pour un montant de 80 000 dollars seulement au titre de coûts et manquements justifiés 311. Ainsi, la saisine du tribunal arbitral compétent par les acheteurs a pu être évitée et l'argent restant du compte de séquestre a pu être rapidement versé.

Le SG-DEFR a présenté à la DélFin les aspects positifs du processus de liquidation.

Déjà lors de la phase précédant son intervention, le liquidateur a apporté une certaine stabilité dans le processus de vente et a permis à la Confédération de gagner une meilleure assise dans ses négociations avec le propriétaire des navires. Lorsque le liquidateur est intervenu directement dans les sociétés de holding et de gestion de SCL et SCT, début juillet 2017, l'indépendance de la Confédération vis-à-vis du 308 309

Cf. procès-verbal de l'audition du liquidateur du 19.11.2018, p. 5 à 7.

Cf. factures des compagnies maritimes remises aux acheteurs entre le 30.5 et le 22.9.2017.

310 Cf. rapport complémentaire de l'OFAE à l'intention de la DélFin du 22.4.2019 et factures établies par les compagnies maritimes pour les acheteurs entre le 30.5.2017 et le 22.9.2017.

311 Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, pp. 9 s.

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propriétaire a pu être garantie, notamment pour ce qui est de la réglementation des signatures312. Au début du processus de liquidation, le liquidateur, le SG-DEFR, l'AFF et les conseillers juridiques et économiques se sont rencontrés chaque semaine313. Au dire des personnes entendues, la coordination entre le liquidateur et les avocats de la Confédération en particulier a toujours été assurée314.

Selon l'art. 746 CO, la liquidation est un processus qui se termine lorsque les liquidateurs avisent le préposé au registre du commerce que la raison sociale est éteinte.

Au moment de l'établissement du présent rapport, ceci n'a toujours pas été fait, notamment parce que les compagnies se sont réservé la possibilité, d'entente avec la Confédération, de prendre part, en tant que plaignant au civil et au pénal, à une éventuelle procédure en matière de prétentions en responsabilité contre leurs anciens organes, y compris les organes de révision315. Dans cette perspective, le liquidateur a chargé PwC, avec l'aval de la Confédération, de procéder à une vérification systématique des flux financiers des compagnies maritimes entre 2003 et 2017. Au moment de la finalisation du présent rapport, les compagnies de SCL et SCT concernées se sont constituées parties plaignantes dans la procédure pénale menée contre le propriétaire dans le canton de Berne316.

La liquidation des compagnies maritimes ne peut pas être achevée pour le moment parce que tous les litiges n'ont pas encore été réglés. D'après les informations fournies par le liquidateur, il reste à ce jour cinq litiges non résolus. Le liquidateur tente actuellement d'écarter ces réclamations ou de trouver un arrangement avec les différentes parties afin de réduire si possible les coûts pour les compagnies concernées et donc pour la Confédération dans le cadre du budget de liquidation. La procédure de liquidation des groupes SCL et SCT est donc encore en cours à l'heure où le présent rapport est présenté (état au 30.5.2019)317. Il n'est pour l'instant pas possible de déterminer quand cette procédure pourra être close.

2.8.2

Appréciation

Il ressort des investigations menées par la DélFin que l'entrée en jeu du liquidateur, à l'été 2017, a marqué un changement radical de paradigme dans le dossier des navires de haute mer. Le remplacement de la direction des groupes SCL/SCT et le départ du propriétaire en tant qu'organe du groupe ont entraîné un remaniement des processus internes des compagnies concernées. De plus, ils ont donné au liquidateur la possibilité d'instaurer un climat de collaboration constructif entre la Confédération et les compagnies maritimes, dans le but de limiter au maximum les dommages pour le créancier principal, soit la Confédération.

312 313 314 315 316 317

Cf. procès-verbal de l'entretien de la DélFin avec le chef et le secrétaire général du DEFR du 29.6.2017, pp. 3 s.

Cf. procès-verbal de l'entretien de la DélFin avec le chef et le secrétaire général du DEFR ainsi qu'avec le délégué à l'approvisionnement économique du pays du 20.11.2017, p. 10.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant de BianchiSchwald du 10.11.2018, p. 8.

Cf. procès-verbal de l'audition du liquidateur du 19.11.2018, p. 2.

Cf. avis du liquidateur du 12.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

Ibid.

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Le déroulement de la remise des navires a été tout particulièrement amélioré avec l'implication du liquidateur. S'appuyant sur les enseignements tirés du premier transfert de navires, celui-ci a défini des processus clairs, qui ont en grande partie contribué au fait que les demandes de garantie à raison de défauts des acheteurs n'étaient pratiquement plus justifiées. La DélFin considère que les compagnies devront à l'avenir préparer les navires de telle sorte que leur état, notamment technique, ne puisse pratiquement plus permettre aux acheteurs d'invoquer l'existence de défauts au moment de la remise. Dans cette perspective, les gestionnaires devront être en mesure de présenter des documents irréfutables prouvant l'état des navires à la Confédération ou à ses représentants. Les défauts spécifiques aux types de bateaux doivent être traités au plus tôt dans un port spécialement équipé et pour un coût raisonnable. Dans le cas des compagnies SCL et SCT, il est apparu que des rabais parfois substantiels avaient dû être accordés, car la réparation des défauts constatés dans le port où avait lieu la remise des navires aurait coûté bien trop cher.

Cependant, même si leur entretien est constant, l'exploitation économique des navires de haute mer comporte des risques résiduels qui peuvent entraîner des défauts imprévisibles à court terme.

La DélFin constate que la liquidation de compagnies maritimes bénéficiant du cautionnement de la Confédération est une opération très coûteuse pour cette dernière. Toutefois, elle relève que la désignation d'un liquidateur neutre, qui n'est pas tenu de veiller aux intérêts particuliers du propriétaire, mais procède à la liquidation en considérant les intérêts de la Confédération en tant que créancier principal, est une mesure judicieuse dans l'ensemble, car elle permet de limiter les dommages. La délégation a acquis la conviction qu'il est indispensable de nommer le plus rapidement possible ­ plus tôt que cela ne l'a été fait pour les compagnies SCL/SCT ­ un liquidateur pour les prochaines procédures de vente. Les expériences positives réalisées dans ce cas ont montré que la désignation d'une personne compétente ayant les connaissances et le savoir-faire nécessaires en matière de procédures complexes d'insolvabilité et de restructuration au niveau international contribue
considérablement à ce que la procédure soit efficace et n'entraîne pas de dépenses inconsidérées.

En ce qui concerne l'éventuelle procédure en matière de prétentions en responsabilité, la DélFin salut le fait que la Confédération et le liquidateur ont réagi rapidement sur la question de la prescription des prétentions en responsabilité et ont pu obtenir une attestation de renonciation à la prescription de la part des anciens organes des compagnies et des organes de révision318. La DélFin entend que la présentation des faits et l'analyse des perspectives d'aboutissement des procédures en matière de responsabilité soient réalisées avec le plus grand soin.

318

Cf. lettre du SG-DEFR au CDF du 23.10.2018.

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2.9

Collaboration entre les services de la Confédération concernés et les représentants des compagnies maritimes

2.9.1

Rappel des faits

Le risque de sollicitation de cautionnements solidaires durant la période de 2015 à 2017 était déterminé en partie par des facteurs externes, comme la volatilité du marché. Pour surmonter la crise, les parties concernées pouvaient toutefois influer directement sur un facteur essentiel et contribuer ainsi à limiter les dommages: la collaboration. Le présent chapitre est consacré aux interactions entre les représentants de la Confédération et ceux des compagnies maritimes. La répartition des rôles entre les représentants de la Confédération, en sa qualité de caution solidaire, à savoir non seulement les services de la Confédération concernés, mais aussi les experts externes et les banques prêteuses, a été analysée et évaluée au chapitre 2.6.

La stratégie de gestion de la crise des cautionnements a fait l'objet, du 3 octobre 2016 au 15 mai 2017, de trente séances au Palais fédéral, convoquées par le secrétaire général du DEFR, qui occupait la fonction de gestionnaire de crise.

C'est dans ce contexte que les jalons ont été posés. Les séances hebdomadaires réunissaient, outre le gestionnaire de crise, d'autres représentants de la Confédération (SG-DEFR, AFF, OFAE) et ­ la plupart du temps ­ les conseillers externes de PwC et BiSc, des représentants d'UBS et des groupes SCL et SCT. Pour les armateurs, les participants aux séances étaient généralement le propriétaire, le représentant légal, le CEO et le chef des finances ­ à noter que le propriétaire a été fréquemment excusé à partir de février 2017319.

Les discussions menées lors des séances communes portaient en particulier sur la situation économique des groupes SCL et SCT, l'assainissement des compagnies grâce à des investisseurs et, plus tard, la vente des navires, y compris la liquidation ordonnée des compagnies. D'autres thèmes ont été notamment la gestion des créances en souffrance et la garantie des liquidités des compagnies, par exemple au moyen de crédits transitoires. La marche à suivre pour les étapes suivantes a été examinée, intensivement négociée et finalement convenue d'un commun accord. Le Conseil fédéral a été consulté pour les décisions importantes.

Pendant toute la durée du processus de vente, la collaboration entre la Confédération et le propriétaire des groupes SCL et SCT a été difficile, selon les représentants de la Confédération
concernés. Celui-ci comptait sur un redressement rapide du marché et sur la poursuite de son activité d'armateur ­ spécialement pour ce qui était des navires-citernes de SCT ­ et, par conséquent, il était opposé à toute vente. Les représentants de la Confédération entendus par la DélFin lui ont confirmé que la collaboration avec le propriétaire avait été difficile, marquée par son refus de vendre et un manque d'efficacité. D'après eux, son attitude a compliqué l'ensemble du processus, qu'il a systématiquement tenté de retarder des mois durant 320.

319 320

Cf. notes du SG-DEFR concernant les séances tenues du 3.10.2016 au 15.5.2017.

Cf. procès-verbaux des auditions des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 4; procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 14; procèsverbal de l'audition des représentants de l'OFAE du 16.1.2019, pp. 4 s.

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Devant la DélFin, le propriétaire conteste avoir eu une attitude de refus 321. Selon le représentant légal des compagnies, le propriétaire ne pratiquait pas d'opposition et n'a jamais retardé le processus de vente. Pour lui, le propriétaire a toujours essayé de trouver de nouvelles solutions, même si celles-ci se sont ultérieurement révélées inadéquates. Certes, au début, il avait de la peine à accepter la vente de ses navires ­ après tout, les armateurs SCL et SCT constituent l'oeuvre de sa vie et son attitude est compréhensible à cet égard. Cependant, le propriétaire avait sincèrement l'intention de ne pas causer de dommages à la Confédération, au dire du représentant légal 322.

D'après ses propres déclarations, le propriétaire des groupes SCL et SCT a été très éprouvé par les séances hebdomadaires organisées au Palais fédéral. Celles-ci étaient dures à supporter pour lui parce que, en sa qualité de propriétaire, il devait assumer une part importante de la responsabilité de la situation, avec toutes les conséquences que cela impliquait pour les contribuables323. Le représentant légal des compagnies a confirmé à la DélFin que la pression exercée par les représentants de la Confédération sur ceux de l'entreprise était extraordinairement forte. Selon lui, c'est le secrétaire général du DEFR qui a véritablement accéléré le processus de vente. Celui-ci et son équipe ont agi comme s'ils étaient investis d'un pouvoir supérieur. La première séance consacrée à l'organisation de crise, sous la direction du secrétaire général, à laquelle le représentant légal des groupes SCL et SCT a participé, a été ressentie par ce dernier comme une grande désillusion, produisant l'effet d'une douche froide.

Pourtant, l'avocat de l'entreprise est d'avis que les personnes ayant participé à la gestion de la crise faisaient preuve d'un respect mutuel et comprenaient les propositions des différentes parties. Il a admis devant la DélFin qu'il n'y avait pas tellement d'autre solution que celle qui était prônée par le secrétaire général, car aucune autre voie n'aurait permis de progresser comme on l'a fait. D'après lui, le secrétaire général a contribué de manière efficace à trouver une solution324.

Les représentants de la Confédération ont déclaré que le représentant légal des groupes SCL et SCT avait contribué à améliorer
la collaboration avec les sociétés 325.

Celui-ci s'est vu confier son mandat à l'été 2015. En tant qu'avocat de l'entreprise, il avait la responsabilité de faire au mieux dans l'intérêt des compagnies. Il considérait qu'il était de son devoir de trouver une solution qui satisfasse tous les intéressés.

Il agissait donc un peu comme un trait d'union entre la Confédération et le propriétaire des navires, afin que le processus de vente puisse être couronné de succès 326.

321 322 323

324 325 326

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, p. 6.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, pp. 5, 8, 9 et10.

Cf. note du propriétaire des groupes SCL et SCT du 10.4.2019 à l'intention de la DélFin, p. 1; note du propriétaire des groupes SCL et SCT du 14.6.2018 à l'intention du CDF, ch. 3.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, pp. 2, 4, 7, 8, 9, 11 et 12.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'OFAE du 16.1.2019, pp. 4 s.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, pp. 2, 3 et 7 à 10.

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Collaboration entre la Confédération et les compagnies maritimes au cours des principales étapes du dossier A l'été 2016, l'organe de révision de SCL et SCT a informé le propriétaire du surendettement des compagnies maritimes327. A la première séance de crise réunissant les représentants de la Confédération et ceux des groupes SCL et SCT, le 3 octobre 2016, les différentes options visant à répondre au besoin urgent de liquidités à court terme ont été discutées328. L'option qui a été favorisée consistait à mener les négociations avec les investisseurs intéressés à leur terme afin de générer de nouveaux capitaux329.

D'après les déclarations de l'avocat de l'entreprise, le propriétaire cherchait continuellement des investisseurs et était en négociation avec diverses personnes intéressées en Suisse et à l'étranger. Il a toujours essayé de donner une nouvelle impulsion à ses affaires et de trouver de nouvelles solutions. Les représentants de la Confédération et le représentant légal des compagnies étaient particulièrement sceptiques s'agissant de l'investisseur A (cf. chap. 2.2). Malgré cela, le secrétaire général du DEFR, le directeur de l'AFF et l'avocat de l'entreprise ont rencontré A. Avec le temps, il s'est avéré que l'opération était vouée à l'échec. La décision de poursuivre sérieusement l'examen de cette option émanait du propriétaire, alors que le représentant légal l'en avait dissuadé. On a ainsi perdu du temps dans le processus de gestion de la crise, sans pour autant le prolonger de façon déterminante. La solution impliquant l'investisseur E (cf. chap. 2.2) a elle aussi été considérée d'emblée comme peu claire330.

Le propriétaire a reconnu devant la DélFin que les options impliquant les investisseurs A et E s'étaient révélées peu sérieuses et qu'elles n'étaient prometteuses que sur le papier331. Etant donné que le propriétaire a longtemps misé sur A comme nouvel investisseur, la Confédération a dû tenir compte de cette possibilité afin notamment de pouvoir réagir si A s'était engagé dans les groupes SCL et SCT et de ne pas créer d'insécurité juridique supplémentaire envers les compagnies 332. Aux yeux des représentants de la Confédération, le propriétaire a compliqué et retardé tout le processus à cause de son entêtement à privilégier la solution impliquant l'investisseur A et de la mauvaise
communication333. Finalement, les représentants de la Confédération n'ont plus fait confiance au propriétaire et n'ont plus cru aux solutions qu'il proposait334.

Il semble que la confiance ait été rompue lorsque, le 25 janvier 2017, l'avocat de l'entreprise a informé le SG-DEFR de l'issue de la sentence arbitrale335 au détriment 327 328 329 330 331 332 333 334 335

Cf. lettre de BDO du 30.6.2016 à l'intention du propriétaire de SCL/SCT.

Cf. note du DEFR concernant la séance SCL/SCT du 3.10.2016.

Pour plus de détails sur la recherche d'investisseurs, cf. chap. 2.2.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, pp. 3, 10, 16 et 17.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, pp. 2 et 4.

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR du 15.1.2019 à l'intention de la DélFin, p. 3.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'OFAE du 16.1.2019, p. 7.

Cf. procès-verbaux des auditions des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 3.

Pour plus de détails sur la sentence arbitrale, cf. chap. 2.5.

6041

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de SCL Reederei AG336. Le secrétaire général du DEFR en particulier a sévèrement critiqué le propriétaire des navires, qui était censé connaître cette sentence depuis le 13 janvier 2017. Selon lui, ce retard de douze jours représentait une grave violation du devoir d'information et de coopération résultant de la convention conclue le 15 décembre 2016 et compliquait sérieusement la recherche d'une solution consensuelle pour la suite de la procédure. Il résultait de la sentence arbitrale une modification et une charge lourdes de conséquences pour les affaires, tant du point de vue juridique que du point de vue objectif. Le secrétaire général a qualifié d'inacceptable la communication tardive de la part du propriétaire337.

Intervenue au milieu de la gestion de la crise, la sentence arbitrale a fait l'effet d'un tremblement de terre338. Il est toutefois incontesté que l'OFAE avait été informé du cas par le propriétaire des navires avant le début de la crise339. En outre, le propriétaire a déclaré que la procédure avait «certainement» été examinée lors des séances communes hebdomadaires340. Comme, selon lui, chaque armateur avait des douzaines de cas d'arbitrage ou de plaintes en suspens, aucune importance particulière n'a été accordée à cette procédure341. Même l'avocat de l'entreprise, qui n'était pas directement impliqué dans la procédure d'arbitrage, n'a pas estimé le potentiel dommageable à son juste niveau. Lorsqu'il a appris l'issue de la sentence arbitrale, il a immédiatement transmis l'information aux représentants de la Confédération342.

Le secrétaire général du DEFR a ajouté que la Confédération aurait tenté plus tôt de persuader le propriétaire de conclure un accord avec le demandeur, si le risque de dommages pour les navires cautionnés par la Confédération avait été communiqué en temps utile et de manière réaliste343. En fin de compte, la Confédération a conclu un moratoire avec le demandeur (cf. chap. 2.5) et lui a permis de faire fonction de courtier dans le cadre de la vente des navires des groupes SCL et SCT.

Le propriétaire des groupes SCL et SCT a fait part au SG-DEFR et à UBS, à travers plusieurs lettres, de son scepticisme concernant la vente à Mach et le courtier engagé par les intéressés. Pour lui, l'affaire était extrêmement risquée. Sur l'ordre et sous la pression de la
Confédération, il conclurait certes un contrat d'achat avec Mach, mais déclinerait toute responsabilité à ce sujet344. Le propriétaire a aussi critiqué le fait que le chef du DEFR s'était entretenu au téléphone avec le président de Mach345. Le représentant légal des groupes SCL et SCT a confirmé à la DélFin que le proprié336 337 338 339 340 341 342 343 344 345

Cf. courriel du représentant légal des groupes SCL et SCT au SG-DEFR du 25.1.2017.

Cf. lettre du secrétaire général du DEFR au propriétaire des groupes SCL et SCT du 26.1.2017.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 10.

Cf. lettre du propriétaire des groupes SCL et SCT à l'OFAE du 26.5.2014.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, p. 6.

Cf. procès-verbaux des auditions des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 8.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 13.

Cf. procès-verbaux des auditions des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 8.

Cf. lettre du représentant légal des groupes SCL et SCT au secrétaire général du DEFR du 16.5.2017; courriel du propriétaire des groupes SCL et SCT à UBS du 5.5.2017.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, p. 5.

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taire des navires avait eu énormément de peine à accepter que le demandeur soit justement derrière l'acheteur de Montréal346.

Au dire du propriétaire des navires, il n'a lui-même joué aucun rôle personnel dans le processus de vente et n'a exercé aucune influence sur les critères d'évaluation des offres d'achat reçues347. D'après l'avocat de l'entreprise, le propriétaire a participé au processus de vente dans la mesure où il essayait constamment de trouver d'autres personnes intéressées par les navires348. Du point de vue des représentants de l'AFF, le propriétaire n'était pas très actif dans ce processus, étant tout au plus porteur d'un potentiel d'obstruction349. Afin de l'inciter à coopérer, la Confédération a d'ailleurs conclu plusieurs conventions écrites avec lui350.

Au début, le propriétaire des navires ne soutenait pas la stratégie de liquidation développée par les représentants de la Confédération. Pour lui, non seulement la vente des navires avait lieu à un moment défavorable, considérant la mauvaise situation du marché, mais elle n'était pas nécessaire dans cette ampleur. Il jugeait que les navires-citernes de SCT n'étaient pas en danger, car, d'après ses estimations, ils gagnaient assez d'argent pour couvrir les intérêts et les coûts opérationnels ainsi qu'une partie des amortissements convenus351. Malgré cela, ils ont été vendus à perte pour la Confédération et lui-même352. Le propriétaire a déclaré en outre que le secrétaire général du DEFR voulait vendre les navires-citernes de SCT en même temps que les cargos de SCL uniquement parce que l'ensemble était plus attrayant.

A son avis, les navires des groupes SCL et SCT n'auraient de toute façon jamais dû être vendus en bloc, mais individuellement et successivement par l'intermédiaire de courtiers internationaux et à un moment approprié, lorsque la situation du marché se serait améliorée353. Le représentant légal des compagnies ne partage pas l'opinion du propriétaire en ce qui concerne les navires-citernes de SCL. Leurs taux d'affrètement étaient nettement inférieurs aux coûts qu'ils engendraient et les taux d'affrètement rentables étaient déjà du passé au moment de la vente354.

Le propriétaire n'a pas participé en personne aux négociations avec les acheteurs potentiels, lesquelles se déroulaient principalement au téléphone et parfois
de nuit.

Dans leur phase finale, ces négociations ont été menées le plus souvent par le secrétaire général du DEFR et par les avocats de la Confédération externes. Du côté des 346 347 348 349 350 351 352 353 354

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, pp. 4 et 7.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, pp. 3 s.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 7.

Cf. procès-verbal de l'audition des représentants de l'AFF du 16.1.2019, p. 4.

Cf. notamment explications sur le plan de liquidation échangées entre le propriétaire des groupes SCL et SCT et la Confédération les 2 et 23.12.2016.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, pp. 2 et 4.

Cf. note du propriétaire des groupes SCL et SCT du 14.4.2019 à l'intention de la DélFin, p. 2.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, p. 4, 6 et 13.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 14.

6043

FF 2020

compagnies, le CEO, le chef des finances et le représentant légal ont en partie été impliqués355. Durant cette phase, les contacts avec le propriétaire se limitaient à l'essentiel, surtout pour ne pas compromettre les efforts de la Confédération et du représentant des compagnies. Jusqu'à la fin, rien ne certifiait, selon le SG-DEFR, que le propriétaire signerait les documents de vente avec Mach. Or, il était incontestable que la vente des navires exigeait son approbation, celle-ci étant toutefois acquise si l'on en croit les décisions y afférentes de l'assemblée générale et du conseil d'administration des compagnies356. Devant la DélFin, le chef du DEFR a défini la collaboration avec le propriétaire pendant cette phase comme «le jeu du chat et de la souris»357. Une autre solution que la vente ­ par exemple en cas de refus du propriétaire ­ aurait été la faillite, qui aurait entraîné le risque d'une perte totale et d'une atteinte à la réputation du pavillon suisse et des autres compagnies. Pour l'avocat de l'entreprise, le risque de faillite a toujours plané sur les compagnies. Une faillite aurait toutefois constitué le pire des scénarios et il s'agissait de l'éviter à tout prix, selon lui. L'avocat de l'entreprise est convaincu que la Confédération et les compagnies maritimes ont obtenu le maximum grâce à la vente en bloc à Mach, en tout cas du point de vue économique358.

Le propriétaire des navires a déclaré à la DélFin que certaines erreurs avaient été commises dans la gestion des compagnies de SCL et SCT. Selon lui, on n'avait pas toujours engagé les bonnes personnes. Au milieu de la gestion de la crise, il aurait même dû se séparer d'un CEO sans délai359. Le représentant légal a indiqué que la demande de la Confédération de voir le propriétaire se retirer des activités opérationnelles était fondée. Par ailleurs, en tant qu'avocat de l'entreprise, il a été surpris de constater que de nombreux employés des groupes SCL et SCT, en majorité étrangers, percevaient des salaires importants. Pourtant, les attentes élevées envers les cadres de l'entreprise ont généralement été déçues. Le chef des finances constitue une exception, selon l'avocat de l'entreprise, qui le considère comme «une pointure absolue» dans ce domaine. Après le licenciement immédiat du CEO, c'est une personne n'ayant pas suivi la
filière habituelle qui a été placée à la tête de la direction. Cependant, il ne lui a pas été possible d'améliorer les taux d'affrètement, entre autres, et de stabiliser l'entreprise360.

Le liquidateur a affirmé que, lors de sa collaboration avec le propriétaire des navires, ce dernier avait surtout essayé de jauger ses intentions. Au cours de la première phase de la liquidation, le propriétaire était encore formellement un organe des sociétés, devant donc fournir des signatures et effectuer diverses tâches formelles. Il s'était auparavant engagé par écrit à participer à la liquidation et, de fait, il a déposé les actions des deux sociétés holdings auprès du liquidateur afin de garantir 355 356 357 358 359 360

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, pp. 11, 15 et 19.

Cf. avis de l'administration du 11.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR du 19.11.2018, p. 2.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant légal des groupes SCL et SCT du 6.5.2019, p. 4, 5 et 12.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire des groupes SCL et SCT du 12.4.2019, pp. 2 et 12.

Cf. procès-verbaux des auditions des représentants du SG-DEFR des 19 et 20.11.2018, p. 5.

6044

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l'éventuel exercice des droits des actionnaires et de participation. Cette collaboration formelle a fonctionné361. Le propriétaire a définitivement cessé d'exercer sa fonction en tant qu'organe de la société en décembre 2017.

Le Ministère public du canton de Berne enquête sur le propriétaire de SCL et SCT dans le cadre d'une enquête pénale362.

2.9.2

Appréciation

Lors du processus de vente, les intérêts des représentants de la Confédération se sont opposés à ceux du propriétaire des sociétés maritimes, avec lesquels ils n'étaient que difficilement conciliables.

Les représentants de la Confédération ont, pendant la gestion de la crise des cautionnements, toujours eu pour objectif premier de réduire autant que possible les dommages financiers subis par la Confédération et donc pour le contribuable. Leur marge de manoeuvre était très limitée en raison des cautionnements solidaires existants. En outre, l'évolution du marché leur a été défavorable et les mauvaises nouvelles concernant les sociétés maritimes, telles que des dégâts subis par les navires et la sentence arbitrale, se sont accumulées. C'est pourquoi la DélFin tout comme l'avocat de l'entreprise estiment que les représentants de la Confédération ont bien fait d'exercer une pression importante sur les sociétés pour trouver une solution limitant les dommages et vendre les navires.

Pour sa part, le propriétaire des navires a, en sa qualité d'entrepreneur privé, essayé par tous les moyens de sauver l'oeuvre de sa vie. Il a cru jusqu'au dernier moment au redressement du marché et ainsi à la survie possible de ses sociétés. La DélFin peut dans une certaine mesure comprendre cette attitude. Ses investigations ont montré que le propriétaire a, jusqu'à la fin, proposé à la Confédération des solutions visant à sauver ses sociétés ou au moins ses navires-citernes. La situation financière des sociétés s'est dégradée à vue d'oeil et il n'était plus possible, en raison des faillites qui se profilaient et du risque de mise sous séquestre des navires en découlant, de remettre à plus tard les mesures nécessaires. En outre, il s'est avéré a posteriori que l'espoir de voir le marché se rétablir rapidement était vain.

2.10

Stratégie de communication de la Confédération

2.10.1

Rappel des faits

Lorsque la direction du DEFR a été mise au courant, fin juin 2015, de la situation financière très préoccupante des groupes SCL et SCT, et donc du risque accru que la Confédération ait à honorer ses cautionnements, les principes de communication sur ce sujet ont été très vite définis: le chef du DEFR a informé immédiatement et en toute transparence les responsables politiques ­ soit le Conseil fédéral in corpore et 361 362

Cf. procès-verbal de l'audition du liquidateur de SCL et SCT du 19.11.2018, pp. 3 et 13.

Cf. procès-verbal de l'audition du propriétaire de SCL et SCT du 12.4.2019, pp. 8 s.

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l'organe chargé de la haute surveillance parlementaire sur les finances, la DélFin ­ des difficultés des groupes en question et des réflexions de son département sur la marche à suivre. Par contre, au vu des intérêts économiques de ces groupes, il a décidé de classer ce dossier comme confidentiel et de ne pas mettre en place une politique active d'information du public. Cette manière de procéder avait été, selon les déclarations du chef du DEFR, décidée en accord avec le Conseil fédéral. Le DEFR craignait un effet domino sur la situation des autres navires de haute mer cautionnés par la Confédération si le public avait été informé du dossier. Or la Confédération ne voulait à aucun prix que la situation des entreprises visées se détériore davantage et elle souhaitait encore moins nuire à la réputation du pavillon suisse et de l'Etat suisse à travers lui. Même rétrospectivement, le chef du DEFR estime que la stratégie de communication défensive adoptée alors était justifiée363.

De même, le secrétaire général du DEFR ne voit pas, a posteriori, en quoi une information active du public aurait pu être un avantage. Il fallait alors éviter toute réaction de panique qu'aurait pu entraîner, chez les créanciers, une communication ouverte du DEFR, laquelle aurait pu au final déboucher sur une mise sous séquestre des navires364.

Ce n'est qu'en raison des fuites du 27 janvier 2017, mentionnées au chapitre 2.4, et de la publication dans la presse d'extraits d'une note de discussion du Conseil fédéral classée confidentielle, que le DEFR a clarifié certains points dans un communiqué de presse365. La réaction de la Confédération à l'égard de ces fuites a été immédiate, les fondements de la communication d'urgence étant déjà depuis longtemps en place selon le chef du DEFR366. Dans son communiqué, le DEFR n'a cependant fourni aucune information sur les entreprises concernées afin de ne pas affaiblir leur position sur le marché367. Par la suite, le DEFR s'est systématiquement référé à ce communiqué de presse lorsqu'il s'adressait aux médias. Il est à souligner que ce sujet n'a dès lors que très peu été traité par ces mêmes médias et, bien que la position des propriétaires ait été affectée par les fuites, le processus de vente des navires a pu être poursuivi.

L'approbation par le Conseil fédéral du message du 16 mai
2017 sur le supplément au budget 2017 a marqué la première action de la Confédération nécessitant une communication officielle des autorités sur le problème des cautionnements des navires de haute mer. Ce message décrivait en effet de manière détaillée les processus mis en place pour surmonter la crise et exposait les différentes solutions envisagées. Toutefois, il ne faisait pas mention des conditions contractuelles convenues, à la suite des négociations, entre les groupes SCL et SCT d'une part, et les acheteurs d'autre part. Ce n'est que dans le communiqué de presse du 18 mai 2017 sur le supplément de crédit que le DEFR a annoncé que des contrats de vente avaient été

363 364 365

Cf. procès-verbal de l'audition du chef du DEFR du 19.11.2018, p. 4.

Cf. procès-verbal de l'audition du représentant du SG-DEFR des 19/20.11.2018, p. 7.

Cf. communiqué de presse du DEFR «Mesures visant à assurer les cautionnements de la Confédération dans le secteur de la navigation maritime» du 27.1.2017.

366 Cf. procès-verbal de l'entretien de la DélFin avec le chef et le secrétaire général du DEFR du 13.2.2017, p. 10 367 Cf. procès-verbal de la Commission des finances du Conseil national du 18.5.2017, examen préalable du supplément Ia au budget (projet 17.007), p. 5 s.

6046

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signés. Les détails de ces ventes ­ et notamment le nom des acheteurs ­ n'ont cependant pas été divulgués368.

Le DEFR a par ailleurs publié un autre communiqué de presse après que la DélFin a annoncé, le 20 avril 2018, l'ouverture d'une enquête sur le processus de vente des navires des groupes SCL et SCT369. Il y assurait cette dernière de son soutien plein et entier dans le cadre de son enquête. De même, il informait le public, de manière sommaire, de l'avancement des procédures concernant les groupes SCL et SCT.

A l'inverse de la position défensive que le DEFR a adoptée devant les médias, le chef du département et le secrétaire général ont eu à coeur de tenir la DélFin et le Conseil fédéral régulièrement informés de la situation et de l'évolution des risques financiers encourus. Ainsi, le Conseil fédéral a été périodiquement informé au moyen de notes de discussion et la DélFin a reçu des rapports écrits (lettres ou rapports complémentaires) ou a été informée par oral. Entre fin juin 2015 et fin 2018, le chef du département ou le secrétaire général, ou les deux, se sont entretenus en tout quatorze fois avec la DélFin dans le cadre d'entretiens extraordinaires sur le thème des navires de haute mer.

Après que le processus de vente a été clos, la presse a rapporté les faits et en a donné une version déformée, voire erronée370. Le DEFR a décidé, sciemment, de ne pas prendre position sur les articles publiés. Il a en revanche informé activement la DélFin lorsque les articles de presse ont nécessité des éclaircissements au niveau de la haute surveillance concomitante exercée par le Parlement371.

2.10.2

Appréciation

La DélFin est heureuse de constater que le chef du DEFR et le secrétaire général du département l'ont tenue régulièrement informée, en toute transparence et de façon très complète, de la difficile situation des navires de haute mer sous cautionnement de la Confédération et de l'évolution des risques financiers qui en découlaient. Le DEFR a de lui-même tenu la DélFin au courant des derniers développements importants et lui a, à chaque fois, transmis un rapport écrit. La Délfin apprécie également que le chef du département ainsi que la secrétaire générale, qui sont entrés en fonction en 2019, aient tenu à perpétuer la pratique d'une information active de la DélFin instaurée par leurs prédécesseurs.

Eu égard au risque élevé de pertes financières auquel la Confédération s'est vue confrontée, il apparaissait judicieux à la DélFin que le DEFR adopte une stratégie de 368

Cf. communiqué de presse du DEFR du 18.5.2017 «Cautionnement de navires de haute mer: signature des contrats de vente et approbation du message sur le crédit supplémentaire».

369 Cf. communiqué de presse de la DélFin du 20.4.2018 «Navires suisses de haute mer: la Délégation des finances examine le déroulement et la procédure de vente des navires»; communiqué de presse du DEFR du 20.4.2018 «Navires de haute mer: le DEFR entend limiter les dommages autant que possible».

370 Cf. entre autres Schweiz am Wochenende du 20.1.2018, «Flottenaffäre trifft CVPGrössen», p. 9; Aargauer Zeitung du 18.7.2018, «Bundes-Havarie im Ärmelkanal», p. 6.

371 Cf. entre autres le rapport complémentaire du SG-DEFR du 30.1.2018 à l'intention de la DélFin.

6047

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communication plutôt défensive envers le public durant la crise. Les répercussions des fuites de janvier 2017 ont bien montré que la valeur des navires pouvait baisser dès le moment où le marché et le public étaient informés de la situation précaire des compagnies concernées. Si le DEFR avait communiqué activement plus tôt au cours de la procédure, il aurait déclenché une réaction de panique chez les créanciers des compagnies maritimes concernées, réaction qui aurait possiblement mené à la mise sous séquestre des navires. Il aurait été pratiquement impossible d'éviter un effondrement des entreprises concernées. Le risque que ce scénario catastrophe se réalise a pu être réduit grâce à la stratégie de communication tout en retenue adoptée par le département.

La DélFin constate toutefois que cette stratégie a quelques désavantages: dans le cas présent, le DEFR n'a ainsi pas pu faire part au grand public du fait qu'il avait changé de stratégie et visait non plus à éviter les dommages, mais à les réduire (cf. explications au chap. 2.1). Cette nouvelle stratégie n'entraînait de plus pas de pertes pour la Confédération. La DélFin considère toutefois que, tout bien pesé, les avantages de la stratégie adoptée par le DEFR en matière de communication contrebalancent largement ses inconvénients. En effet, elle estime que la communication doit être adaptée à chaque situation: elle invite donc le DEFR à tirer les enseignements du dossier des compagnies de SCT et de SCL en matière de communication.

Outre la DélFin, le DEFR a également périodiquement informé le Conseil fédéral des développements importants du dossier. La DélFin est d'avis que le Conseil fédéral in corpore doit pouvoir prendre part aux décisions stratégiques dans un dossier d'une telle portée et donc être impliqué le plus tôt possible par le département concerné. Le Parlement et le grand public ont été informés lorsque le Conseil fédéral a soumis à l'Assemblée fédérale un message demandant l'octroi d'un crédit supplémentaire de 215 millions de francs en mai 2017. Le Conseil fédéral ­ représenté par le chef du DEFR et par le chef du DFF ­ a ensuite répondu aux questions des parlementaires lors de l'examen préalable du projet en commission, puis lors de son traitement aux conseils.

Rétrospectivement, la DélFin se demande s'il ne serait pas pertinent
d'informer le public lorsque celui-ci a de toute façon déjà connaissance des faits et que l'on estime qu'une telle communication n'aura pas de répercussions négatives. Dans le cas présent, le DEFR aurait notamment pu informer le public de la conclusion des étapes suivantes du dossier, par exemple lorsque le dernier navire a été remis à son acheteur, le 22 septembre 2017. A ce moment-là, le dossier venait d'être clos, à l'exception de la liquidation ordonnée des compagnies maritimes, et une communication officielle n'aurait, selon la DélFin, aucunement nui à la Confédération.

En effet, les médias se sont emparés de cette affaire essentiellement après que le processus de vente a été clos: le contenu des articles publiés aurait peut-être demandé que le DEFR prenne position et apporte des clarifications. La DélFin ne peut déterminer si les explications des autorités fédérales auraient eu un quelconque écho dans le public ou si elles auraient plutôt amené les médias à se focaliser sur ce sujet sur une longue période, sans que l'on puisse s'approcher de la vérité. En tout état de cause, elle salue expressément le fait que le DEFR ait toujours, dans le cadre de la haute surveillance concomitante exercée par la DélFin, remis à cette dernière des

6048

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prises de position détaillées sur des éléments qui ont souvent été présentés de manière déformée, voire erronée, dans les médias.

2.11

Des dommages financiers pour la Confédération

2.11.1

Rappel des faits

Pour évaluer le montant des dommages financiers subis par la Confédération en raison de la sollicitation, par les banques prêteuses, des cautionnements solidaires des compagnies maritimes de SCL et SCT372, la DélFin a établi la vue d'ensemble ci-après en se fondant sur les indications fournies par l'administration et par le liquidateur.

Dans le tableau 10, la délégation expose d'une part l'utilisation du crédit supplémentaire de 215 millions de francs approuvé par le Parlement en mai 2017 (angle du financement) et, d'autre part, les recettes et les dépenses engendrées pour la Confédération dans le cadre du processus de vente, soit le paiement des créances de cautionnement, la vente des navires et la liquidation des compagnies (angle des coûts).

Tableau 10 Perte financière pour la Confédération (état au 31.5.2019) Poste de coûts

Montant en francs

1.1

Crédit supplémentaire pour le financement des cautionnements - 215 000 000 solidaires (31.5.2017)

1.2

Recouvrement d'une partie du produit des ventes (décembre 2017)

1.3

Montant de l'ancien compte de séquestre

1.4

Dépenses consacrées à la poursuite des prétentions en responsabilité/prétentions en dommages-intérêts contre les compagnies

p.m.

1.5

Recettes provenant de la poursuite des prétentions en responsabilité

p.m.

I.

Charges nettes pour la Confédération (angle du financement)

372

11 000 000 3 767 404

- 200 232 596

Le crédit supplémentaire de 215 millions de francs approuvé par le Parlement le 31.5.2017 pour honorer les cautionnements de la Confédération selon le crédit-cadre de cautionnement visant à garantir une flotte suffisante de navires de haute mer battant pavillon suisse a servi à honorer non seulement les cautionnements des douze navires de SCL et SCT, mais aussi le cautionnement du SCL Angela (acquis à des fins d'investissement), et ce, pour un montant de 10 628 800 francs.

6049

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Poste de coûts

2.1

Montant en francs

Paiement des créances de cautionnement solidaire (montant net), - 246 914 624 crédits transitoires et intérêts (de juin à août 2017)

2.1.1 Paiement des créances de cautionnement solidaire aux banques - 241 215 525 (compte tenu des comptes d'amortissement bloqués) 2.1.2 Remboursement des crédits transitoires et des crédits de liquidation accordés aux compagnies 2.1.3 Paiement des intérêts 2.2

Produit net provenant de la vente des navires à Tango/Mach (1.6­22.9.2017)

2.2.1 Recettes provenant de la vente

- 5 334 260 - 364 839 57 173 632 71 172 322

2.2.2 Privilèges maritimes, frais de réparation, commissions de courtage et autres frais liés aux intermédiaires, TVA

- 13 998 690

2.3

Coûts liés à la liquidation des compagnies (état au 31.5.2019 ­ Coûts effectifs & estimés; depuis le 1.7.2017)

- 10 491 604

II.

Charges nettes pour la Confédération (angle des coûts)

200 232 596

Source: vue d'ensemble réalisée par la DélFin le 27 juin 2019 sur la base notamment de l'avis du liquidateur du 12 juin 2019 concernant le projet de rapport de la DélFin

Angle du financement: charges pour la Confédération Grâce à l'approbation du crédit supplémentaire de 215 millions de francs par les Chambres fédérales le 31 mai 2017 et à une partie du produit des ventes, les prêts garantis par les cautionnements des différentes compagnies maritimes ont pu être remboursés pour une valeur nominale de 253 709 411 francs (conversion des dollars en francs suisses sur une base 1:1) et le processus de vente, financé (cf. poste de coûts 1.1).

En juin 2017, l'OFAE a ouvert différents comptes auprès d'UBS afin de pouvoir recevoir le versement du produit des ventes et de régler les dépenses liées aux ventes et aux liquidations. Ces comptes ont été alimentés avec le crédit supplémentaire de 215 millions de francs et avec le produit des ventes. En outre, un compte bloqué (compte de séquestre ou «escrow», cf. explications au chapitre 2.5) a été ouvert en mai 2017 pour couvrir les éventuelles dépenses liées à la garantie. Ce compte, sur lequel ont été versés les acomptes liés aux ventes des navires lors de la signature des contrats, présentait un solde restant d'environ 3,9 millions de dollars jusqu'au 23 septembre 2018.

Comme indiqué au chapitre 2.8, la somme de 94 000 dollars environ a été versée à l'acheteur, à partir du compte de séquestre. Le montant restant, à savoir 3,8 millions de dollars environ, a été transféré sur les comptes UBS de la Confédération destinés à recevoir le produit des ventes des navires (cf. postes de coûts 1.3). D'après le SGDEFR et l'AFF, cette structure de comptes a été choisie parce que la Confédération 6050

FF 2020

avait directement droit au produit des ventes payé en contrepartie de la libération du gage373.

Au moment de la remise des navires, le produit des ventes, déduction faite de la part placée sur le compte de séquestre, a été versé sur ces comptes. Par ailleurs, ont également été payés via ces comptes les créanciers devant être remboursés, selon les règles en vigueur, au moment de la remise du navire concerné en fonction du produit des ventes et conformément à la convention ad hoc conclue avec les compagnies (privilèges maritimes, carburant, taxes portuaires, assurances, frais de personnel).

D'autre part, le produit des ventes a aussi continué de servir à octroyer des prêts aux compagnies afin de couvrir les coûts liés à la liquidation, y compris les honoraires du liquidateur.

L'OFAE a déjà recouvré, en décembre 2017, une part du produit des ventes d'un montant de 11 millions de francs (cf. poste de coûts 1.2). Cette somme a été reversée à la caisse fédérale. Il n'était pas prévu qu'elle soit nécessaire à la liquidation des compagnies. Sur le solde, la Confédération effectue des versements à titre de prêt à la société en vue du financement de la liquidation des compagnies de SCL et SCT.

Angle des coûts: dépenses à la charge de la Confédération découlant du processus de vente Avec le simple paiement des créances liées aux prêts garantis, les coûts se seraient élevés pour la Confédération à une valeur nominale de 253 709 411 francs (conversion des dollars en francs suisses sur une base 1:1) au titre des cautionnements. Le produit net de la vente des navires (cf. poste de coûts 2.2) et la liquidation ordonnée des compagnies de SCL et SCT (cf. poste de coûts 2.3) ont permis de réduire les dommages pour la Confédération, compte tenu des frais de liquidation auxquels il faut encore s'attendre à partir d'aujourd'hui, à 200 millions de francs environ à fin mai 2019. Ce, sous réserve d'autres dépenses concernant la poursuite des prétentions en responsabilité, pour autant que celles-ci n'engendrent pas de recettes correspondantes, ou d'éventuelles prétentions en dommages-intérêts contre les compagnies, par exemple pour actes délictueux commis par les anciens organes374.

Coûts des conseillers externes Outre les dépenses financées directement au moyen du produit des ventes et du crédit supplémentaire, la
Confédération a dû faire face à des coûts à hauteur de 3,6 millions de francs environ, liés au recours à des conseillers externes dans le cadre de la gestion urgente de la crise subie par SCL/SCT et du processus de vente entre l'été 2015 et fin 2018 (cf. poste de coûts 3 et indications au chap. 2.7). La majeure partie de ces coûts correspond à la rémunération des prestations de conseil juridique et économique fournies par SSP/BiSc et PwC.

373 374

Cf. avis de l'administration du 11.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

Cf. avis du liquidateur du 12.6.2019 concernant le projet de rapport de la DélFin.

6051

FF 2020

Tableau 11 Total des coûts incombant à la Confédération (processus de vente et conseillers externes) Poste de coûts

Montant en francs

3.1

Ernst & Young

3.2

PricewaterhouseCoopers

1 412 000

293 000

3.3

Staiger, Schwald & Partner / BianchiSchwald

1 611 000

3.4

ThomannFischer

3.5

Ingenieurbüro Weselmann

72 000

3.6

Winkelmann Maritime Consult

25 000

3.7

Divers petits prestataires

16 000

3.

Coût total des prestations de conseil externes 2015­2018

2.

Report des charges nettes pour la Confédération découlant du processus de vente (état au 31.5.2019) du tableau 10

4.

Estimation des dommages financiers subis par la Confédéra- 203 818 000 tion (état au 31.5.2019)

156 000

3 585 000 200 233 000

Source: vue d'ensemble réalisée par la DélFin le 27 juin 2019 sur la base de l'avis de l'administration du 11 juin 2019 concernant le projet de rapport de la DélFin et du rapport complémentaire du SG-DEFR du 14 juin 2019 à l'intention de la DélFin; les montants sont tous arrondis au millier le plus proche.

Charges de personnel internes à la Confédération Contrairement aux coûts externes, les charges internes à la Confédération ne sont pas quantifiables avec précision. La charge de travail et le temps consacré par les principaux acteurs internes au sein du SG-DEFR, de l'OFAE et de l'AFF ont été très importants, d'après les estimations du chef du DEFR et des personnes concernées.

La plupart des employés de la Confédération impliqués étaient, de par leur contrat de travail, soumis à l'horaire de travail fondé sur la confiance et ne saisissaient donc pas leurs heures de travail. Avec de tels contrats, les heures supplémentaires ne génèrent pas de coûts supplémentaires pour la Confédération. En outre, les heures de travail n'ont pas systématiquement été relevées lors du processus de vente des navires de SCL et SCT. Les travaux en question ont donc dans une large mesure pu être réalisés dans le cadre des crédits de personnel disponibles.

La DélFin a demandé aux services fédéraux impliqués de lui remettre une estimation approximative de la charge de travail que les processus de vente de SCL et SCT ont engendré à l'interne entre le second semestre 2015 et fin 2018. Durant cette période, chacun des trois collaborateurs du SG-DEFR chargés du dossier des navires (dont le

6052

FF 2020

secrétaire général) lui a consacré entre 13 et 30 heures par semaine375. A l'OFAE, outre le délégué et le directeur suppléant, quatre personnes se sont principalement occupées du dossier SCL/SCT, y consacrant entre un tiers et la moitié de leur temps de travail376. A l'AFF, ce sont quatre personnes qui se sont penchées sur le dossier.

Au cours de la période en question, deux d'entre elles ont dédié la moitié de leur temps de travail à ce dossier en moyenne. Lors des périodes les plus chargées, elles y ont toutefois consacré jusqu'à 30 heures par semaine. En outre, le directeur de l'AFF et un autre collaborateur étaient étroitement impliqués dans ces travaux, avec respectivement 10 % et 30 % de leur temps de travail consacré au dossier377.

Pour conclure, il convient de relever que le suivi de la crise des liquidités et la vente des navires de SCL et SCT ont nécessité l'intervention d'autres employés de la Confédération. Il s'agit notamment de collaborateurs du CDF, des Services du Parlement (secrétariat de la DélFin et des CdG), de l'Office suisse de la navigation maritime du Département fédéral des affaires étrangères (OSNM), du secrétariat général du DFF et de tous les autres secrétariats généraux dans le cadre de la préparation des séances du Conseil fédéral au cours desquelles l'affaire a été traitée.

2.11.2

Appréciation

Le suivi de la crise des liquidités des compagnies de SCL et SCT ainsi que la vente des navires ont engendré des coûts externes à hauteur de 204 millions de francs pour la Confédération (estimation à fin mai 2019). En particulier la poursuite des prétentions en responsabilité ou d'éventuelles prétentions en dommages-intérêts risquent d'engendrer des dépenses supplémentaires, pour autant que des recettes y afférentes ne puissent pas être obtenues. Le montant exact du dommage total ne sera connu que lorsque la liquidation de toutes les compagnies de SCL et SCT sera achevée.

Si les cautionnements solidaires avaient déjà été sollicités à l'automne 2016, une grande partie des coûts occasionnés par la suite ne seraient certes pas survenus.

Toutefois, si le pire des scénarios s'était réalisé, les coûts à la charge du contribuable auraient été de 30 à 40 millions de francs plus élevés378. De l'avis de la DélFin, le chef du DEFR a permis au contribuable d'économiser des coûts supplémentaires grâce à sa stratégie de limitation des dommages.

En ce qui concerne les charges de personnel, la DélFin attend des services compétents qu'ils appliquent des procédures moins lourdes dans le cas où d'autres navires devaient être vendus, de sorte que les coûts liés à la gestion de la crise soient réduits.

375 376 377 378

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR à l'intention de la DélFin du 26.11.2018, p. 2.

Cf. rapport complémentaire de l'OFAE à l'intention de la DélFin du 21.2.2019, p. 1 s.

Cf. rapport complémentaire de l'AFF à l'intention de la DélFin du 21.2.2019, p. 4 s.

Cf. rapport complémentaire du SG-DEFR à l'intention de la DélFin du 11.6.2019.

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3

Enseignements et conclusions de la DélFin

Face à la vente et à la liquidation d'une flotte entière de navires de haute mer, le Conseil fédéral et l'administration fédérale naviguaient à vue. C'était là le résultat de la plus grave crise de liquidités qu'ait connue un armateur bénéficiant de cautionnements solidaires de la Confédération.

Lorsque la crise de liquidités des groupes SCL et SCT a éclaté, l'administration fédérale ne disposait d'aucune organisation rompue à ce genre d'exercice. Il a fallu y remédier rapidement afin d'éviter autant que possible que les banques ne sollicitent les cautionnements et afin de limiter les pertes pour la Confédération. Les processus adéquats ont été élaborés en peu de temps, sans que l'on pût s'appuyer pour cela sur des valeurs empiriques. Il s'agissait de compenser le manque de savoir-faire spécifique à la navigation de haute mer et l'absence de réseau dans ce secteur en faisant appel à des conseillers externes, et ce, en l'espace de quelques heures. Pour compliquer le tout, le marché maritime international est imprévisible en raison de sa grande volatilité et la Confédération, en tant que garante, supporte la majeure partie du risque financier sans détenir des possibilités de pilotage appropriées.

A l'été 2017, les navires des groupes SCL et SCT ont finalement été vendus et la liquidation des compagnies a commencé. Les banques ont alors sollicité les cautionnements. Le dommage qui en a découlé pour la Confédération a excédé 200 millions de francs. Jamais encore dans toute l'histoire de la Confédération suisse des cautionnements fédéraux n'avaient dû être honorés pour une telle somme.

Dans le cadre de ses attributions de haute surveillance financière concomitante, la DélFin s'est intéressée depuis le milieu de l'année 2015 à la gestion des problèmes de liquidités des compagnies de SCL et SCT. Dans ce contexte, la DélFin a décidé d'éclaircir le processus de vente des navires des groupes SCL et SCT. Les principaux enseignements que la DélFin a tirés de son enquête peuvent se résumer en trois points: ­

limitation des dommages: facteurs d'influence positifs et négatifs;

­

investigations nécessaires concernant d'autres risques en matière de liquidités dans le secteur de la navigation maritime suisse;

­

bilan: enseignements et perspectives d'avenir.

Limitation des dommages: facteurs d'influence positifs et négatifs La sollicitation des cautionnements de la Confédération par les banques prêteuses en 2017 a provoqué un dommage de 204 millions de francs au total pour les finances fédérales. La DélFin estime que le chef du DEFR a agi correctement à l'été 2015, dès qu'il a eu connaissance des problèmes de liquidités concernant les navires des groupes SCL et SCT, en décidant d'adopter une stratégie de limitation des pertes.

C'est ce qui a permis de réduire en fin de compte, d'un montant de 30 à 40 millions de francs, les pertes pour le budget de la Confédération. La volonté politique de limiter les pertes était manifeste de tous côtés. Les chefs du DEFR et du DFF ainsi que le Conseil fédéral dans son ensemble avaient le même objectif et sont restés cohérents dans leur approche pendant toute la gestion de la crise, y compris lorsque les avis divergeaient considérablement au sujet de certaines questions.

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La DélFin estime que l'organisation de crise mise sur pied par le chef du DEFR en 2015, après qu'il eut appris l'existence des problèmes de liquidités des groupes SCL et SCT, et placée sous la direction de son secrétaire général a contribué à limiter les pertes financières subies par la Confédération jusqu'à la conclusion du processus de vente ­ bien que l'organisation de crise de l'époque puisse présenter, avec le recul, quelques points faibles.

La désignation d'un liquidateur à l'été 2017, avec le remplacement de la direction et le départ du propriétaire en tant qu'organe des compagnies qui se sont ensuivis, a aussi eu un effet positif sur tout le processus et l'a stabilisé. A l'avenir, il y aura lieu de veiller à ce qu'une personne compétente et neutre, n'ayant aucune obligation de défendre les intérêts particuliers du propriétaire des compagnies, soit désignée suffisamment tôt par l'entreprise et chargée de définir, si possible à un stade précoce, les modalités de la liquidation et les processus nécessaires.

Il est en outre réjouissant de constater que les services de la Confédération impliqués sont parvenus, avec l'aide des experts consultés, à créer une situation concurrentielle entre les acheteurs intéressés, lors du processus de vente, et ce, malgré le contexte difficile et les conditions compliquées (fuite d'informations, sentence arbitrale défavorable). Outre la vente en bloc des navires, qui était la solution préconisée, un plan B avait été soigneusement préparé. A l'avenir, il est toutefois essentiel que la Confédération ne se limite pas à une solution, mais prévoie des variantes et pose les jalons nécessaires à leur finalisation.

La fuite d'informations de janvier 2017 a été particulièrement dommageable pour la vente des navires des groupes SCL et SCT. La publication d'un article consacré aux difficultés économiques des compagnies concernées a influé sur le processus de vente et eu une incidence négative sur le montant des offres d'achat. D'une manière générale, la DélFin considère qu'il est urgent de prendre des mesures par rapport aux indiscrétions qui émanent du Conseil fédéral ou de l'administration fédérale. De récents événements ­ dans d'autres dossiers également ­ laissent peu de place au doute: les affaires du Conseil fédéral sont devenues depuis quelque temps des «affaires
publiques», même quand elles ont été préalablement classifiées confidentielles. D'après la DélFin, le seuil d'inhibition a nettement baissé s'agissant de commettre des indiscrétions. Aussi la délégation invite-t-elle le Conseil fédéral à adopter sans retard des mesures visant à permettre au gouvernement d'examiner les affaires de l'Etat classifiées confidentielles ou secrètes sans que l'opinion publique en ait été informée en amont, soit avant leur traitement par le Conseil fédéral ou avant la communication médiatique planifiée par le Conseil fédéral.

Par ailleurs, il est apparu rétrospectivement que le moment de la vente des navires n'était pas optimal. En mai 2017, les prix du marché étaient en effet plutôt bas, alors qu'ils se sont redressés par intermittence au cours des mois suivants. Comme des facteurs exogènes restreignaient considérablement la marge de manoeuvre de la Confédération, la DélFin s'abstient toutefois de porter un jugement sur ce point en ce qui concerne le Conseil fédéral et l'administration fédérale. D'une part, les pertes monumentales enregistrées par les compagnies de SCL et SCT ­ jusqu'à un million de dollars par mois ­ ne permettaient pas de reporter le processus de vente. D'autre part, il est hautement spéculatif, sur un marché par nature extrêmement volatil, de

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choisir le moment idéal pour la liquidation d'une affaire. Or, le marché des navires de haute mer peut être qualifié de parfait exemple d'un marché très volatil.

Au final, le processus de vente et, partant, les finances fédérales ont également subi les conséquences négatives des difficultés qui ont caractérisé par moments la collaboration entre les représentants des compagnies et ceux de la Confédération. A cet égard, il est indispensable que, avant l'éclatement d'une crise de liquidités, la confiance règne entre, d'un côté, le chef de département compétent et le gestionnaire de la crise pour le compte de la Confédération et, de l'autre côté, les armateurs, et ce, même si les intérêts de la Confédération et ceux des propriétaires des navires divergent par essence.

Investigations nécessaires concernant d'autres risques en matière de liquidités dans le secteur de la navigation maritime suisse La DélFin reconnaît que la gestion de crises imprévisibles répond en principe à des situations exceptionnelles et exige parfois des solutions tout aussi exceptionnelles.

L'administration fédérale est toutefois aussi tenue de respecter les dispositions fixées par le législateur lorsqu'il est question de surmonter de telles situations. Dans le cadre de ses investigations, la délégation n'a certes pas relevé, de la part des services fédéraux impliqués dans le processus de vente, d'agissements qui auraient enfreint les règles de droit. Elle recommande cependant au Conseil fédéral d'analyser en détail certains aspects de la gestion de la crise dans la perspective d'éventuelles futures situations de crise dans le secteur de la navigation maritime suisse et d'adapter les processus qui doivent l'être, le cas échéant.

En ce qui concerne le recours à des prestations de conseil externes au moyen de procédures sur invitation et de gré à gré, la délégation est parvenue à la conclusion que le SG-DEFR avait correctement appliqué les dispositions en vigueur du droit des marchés publics et n'avait pas violé l'interdiction de subdivision. Toutefois, il convient en principe, dans des cas similaires qui pourraient se présenter à l'avenir, de ne plus procéder à des augmentations répétées, au moyen de procédures de gré à gré, des plafonds de coûts convenus avec les experts externes. La délégation appelle le Conseil fédéral à
tirer les enseignements de cette situation et à prendre les mesures appropriées pour que la dimension des affaires ­ notamment en situation de crise ­ et les ressources nécessaires puissent à l'avenir être évaluées de la manière la plus réaliste possible.

Pour ce qui est des contrats de vente conclus, la DélFin se félicite du fait qu'une configuration des contrats favorable du point de vue des intérêts financiers de la Confédération ait pu être trouvée lors de la vente en bloc des navires grâce à la combinaison des droits suisse et anglais. Elle considère en particulier que l'application des dispositions du droit anglais en matière de garantie des défauts, avantageuse pour les compagnies de SCL et SCT en leur qualité de vendeuses, était pertinente. En l'absence d'une jurisprudence claire, il est toutefois indispensable que la Confédération se penche de manière approfondie, dans la perspective de cas similaires pouvant survenir à l'avenir, sur la question de savoir si l'élection de droit partielle dans les contrats de vente de navires de haute mer est susceptible d'être acceptée par des tribunaux suisses.

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En outre, dans l'optique d'une éventuelle vente d'autres navires de haute mer au bénéfice de cautionnements solidaires de la Confédération, il convient de clarifier dans quelles conditions la Confédération s'expose au risque de se retrouver dans une position d'organe de fait si elle s'implique dans le processus de vente en vue de préserver ses intérêts financiers. Dans le cas des compagnies de SCL et SCT, la délégation conclut, au moyen des informations dont elle dispose, que la Confédération ne s'est pas mise dans une position d'organe de fait.

Bilan: enseignements et perspectives d'avenir Jetons les cautionnements solidaires aux oubliettes ! Il s'agit là du principal enseignement tiré par la DélFin de cette affaire, même si l'utilisation de l'instrument que constitue le cautionnement de la Confédération dans le secteur de la navigation maritime n'était pas en soi directement l'objet de son enquête. Lorsque l'on octroie des cautionnements solidaires, il ne faut pas s'étonner ensuite de subir les conséquences négatives des sollicitations de ces cautionnements. C'est l'introduction de cet instrument par le Conseil fédéral, en 1992, qui est à l'origine des problèmes que l'on connaît aujourd'hui. En prenant cette décision, il avait alors permis que la Confédération s'expose à des risques financiers élevés sans contrepartie. D'après les informations dont dispose la DélFin, les responsables suivants n'ont pas non plus remis en question l'instrument des cautionnements solidaires ni la politique d'approvisionnement de la Confédération dans le secteur de la navigation maritime.

Octroyer un cautionnement solidaire revient à signer un chèque en blanc: la Confédération cède tous ses moyens de pilotage alors qu'elle assume tous les risques financiers. Pour les banques, les cautionnements solidaires constituent en revanche une affaire très peu risquée, voire sans aucun risque, notamment en raison de l'excellente solvabilité de la Confédération en sa qualité de garante.

Recommandation 9

Eviter les cautionnements solidaires

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de ne plus utiliser l'instrument du cautionnement solidaire. Il convient de se pencher sur les cautionnements solidaires existants et, si possible, de les convertir en cautionnements simples.

En décembre 2016, le DEFR est parvenu à la conclusion qu'il convenait de relativiser l'importance de la navigation maritime pour garantir la sécurité d'approvisionnement de la Suisse. Par conséquent, le Conseil fédéral a décidé de ne pas demander au Parlement le renouvellement du crédit-cadre de cautionnement arrivant à échéance fin juin 2017. Autrement dit, il a décrété que, dans un premier temps, aucun nouveau cautionnement ne serait octroyé pour des navires de haute mer. Le Conseil fédéral a en même temps décidé de réexaminer au plus tard en 2021 le besoin en navires de haute mer afin de garantir, à l'avenir également, l'approvisionnement économique du pays par voie maritime en cas de besoin. La DélFin est toutefois fermement convaincue que non seulement le cautionnement solidaire, mais aussi le cautionnement simple ne constituent pas des instruments appropriés pour garantir que les besoins en transport maritime sont assurés. Elle considère qu'il convient plutôt de définir d'autres instruments permettant 6057

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d'encourager, de maintenir et de renforcer la flotte suisse de navires de haute mer. Elle préconise aussi que le Conseil fédéral détermine, sur le principe, si la Suisse doit continuer à l'avenir de disposer d'une flotte battant son propre pavillon.

La DélFin n'exclut pas que l'octroi de cautionnements par la Confédération puisse constituer un instrument pertinent dans d'autres secteurs. Elle appelle toutefois le Conseil fédéral à veiller à ce que les banques prêteuses assument elles aussi les risques de pertes. Elles doivent porter une plus grande responsabilité notamment lorsque les plans d'amortissement ne sont pas respectés.

Comme chacun le sait, la crise qui frappe le secteur de la navigation maritime internationale perdure, avec les risques qu'elle induit pour la Confédération en tant que garante. C'est pourquoi la DélFin tenait à tirer rapidement les enseignements de l'affaire SCL/SCT, ceux-ci pouvant être utiles à l'avenir en cas de nouvelles crises de liquidités. Elle constate par ailleurs que l'exécutif a aussi tiré des enseignements de cette affaire et mis en oeuvre des mesures. Les chefs de département compétents et les services fédéraux impliqués en ont informé la délégation dans le cadre de la haute surveillance financière concomitante. Il convient en particulier de relever le renforcement de la gestion des risques du DEFR, avec notamment l'introduction d'instruments visant à renforcer la surveillance des cautionnements solidaires existants octroyés pour des navires de haute mer. En outre, des mécanismes doivent être mis en place afin de garantir la réduction des risques. Les excédents des activités opérationnelles doivent en premier lieu être utilisés pour l'amortissement des prêts cautionnés; ce n'est qu'ensuite qu'ils peuvent être utilisés pour amortir d'autres prêts ou pour rémunérer les actionnaires. Les enseignements tirés lors de la vente et de la liquidation de SCL/SCT ont également été mis à profit par la nouvelle direction du département lors du remaniement et de la mise en place de la nouvelle organisation de crise pour les navires de haute mer, début 2019.

La DélFin estime qu'il est indispensable, pour prévenir des situations de crise de ce genre, que la Confédération engage immédiatement des mesures appropriées lorsque des compagnies maritimes ne respectent pas les
plans d'amortissements conclus avec elle et les banques prêteuses. La Confédération et les compagnies visent en principe le même objectif prioritaire, qui est d'éviter des dommages financiers ou de réduire autant que possible les pertes si celles-ci sont prévisibles. C'est dans la démarche suivie pour atteindre cet objectif que l'approche diffère, entre la Confédération, qui doit veiller à une utilisation parcimonieuse de l'argent du contribuable, et une entreprise privée. C'est pourquoi la délégation estime qu'il est important que les deux parties procèdent, le plus tôt possible, à une évaluation conjointe de la situation. Il convient alors de rappeler les dirigeants et les propriétaires des compagnies maritimes à leurs devoirs et à leurs responsabilités, en tant que preneurs de cautionnements, et de les obliger à participer.

De l'avis de la DélFin, il est essentiel que le Conseil fédéral et les services fédéraux compétents procèdent sans tarder à une évaluation du risque global que représentent les cautionnements solidaires encore en cours dans la navigation maritime. Il convient d'analyser, en collaboration avec les représentants des compagnies maritimes, les modalités et les perspectives de succès de la poursuite de l'exploitation des navires. Si l'éclatement d'une crise devient inévitable, il faudra notamment

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examiner toutes les autres options qui pourraient permettre de réduire autant que possible les dommages financiers pour la Confédération.

En vertu du caractère impératif de la poursuite visé à l'art. 7 du code de procédure pénale (RS 312.0), le Ministère public de la Confédération et le Ministère public du canton de Berne sont tenus de mener à terme les procédures liées aux cautionnements de navires de haute mer par la Confédération qu'ils ont ouvertes sur la base de plaintes pénales. La DélFin, qui s'intéresse aux résultats de ces procédures, les examinera une fois qu'ils seront entrés en force en vue de déterminer s'il est nécessaire d'intervenir du point de vue de la haute surveillance financière exercée par le Parlement.

Le 27 juin 2019

Au nom de la Délégation des finances des Chambres fédérales: Le président, Albert Vitali, conseiller national La vice-présidente, Anita Fetz, conseillère aux Etats Le secrétaire, Stefan Koller

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Liste des abréviations AFF BCV BIMCO BiSc BLB CDF CdG CS DDIP DEFR DélFin DFAE DFF ESM EY KfW OFAE OFCL OFPER OSNM MoA MV PwC SCL SCT SG-DEFR SSP TF AFF

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Administration fédérale des finances Banque Cantonale Vaudoise The Baltic and International Maritime Council BianchiSchwald GmbH Bremer Landesbank Contrôle fédéral des finances Commissions de gestion des Chambres fédérales Credit Suisse Direction du droit international public Département fédéral de l'économie, de la formation et de la recherche Délégation des finances des Chambres fédérales Département fédéral des affaires étrangères Département fédéral des finances Enzian Ship Management AG Ernst & Young AG Kreditanstalt für Wiederaufbau Office fédéral pour l'approvisionnement économique du pays Office fédéral des constructions et de la logistique Office fédéral du personnel Office suisse de la navigation maritime Memorandum of Agreement Motor Vessel PricewaterhouseCoopers AG Swiss Cargo Line Swiss Chem Tankers Secrétariat général du DEFR Staiger, Schwald & Partner AG ThomannFischer, étude d'avocats et de notaires Administration fédérale des finances

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Annexe 1

Liste des personnes auditionnées Baumeler, Thomas

Chef Droit et protection des informations, SG-DEFR

Brupbacher, Stefan

Secrétaire général du DEFR (2014­2018)

Cassis, Ignazio

Conseiller fédéral, chef du DFAE

Chappuis, Jean-Marc

Conseiller spécialisé OFAE (2012­2018), SG-DEFR

Cicéron Bühler, Corinne

Directrice de la DDIP

Dürler, Reto

Chef de l'OSNM

Eichmann, Michael

Chef de l'Etat-major de l'OFAE (1991­2012)

Erbe, Stephan

Avocat, TF

Flessenkämper, Alfred

Directeur suppléant de l'OFAE

Gaillard, Serge

Directeur de l'AFF

Giezendanner, Ulrich

Conseiller national

Goumaz, Nathalie

Secrétaire général du DEFR (à partir de 2019)

Grunder, Hansjürg

Propriétaire des sociétés SCL et SCT

Künzler, Eugen

Chef suppléant Service juridique de l'AFF

Lauber, Michael

Procureur général d la Confédération

Maurer, Ueli

Président de la Confédération (2019), chef de DFF

Meier, Werner

Délégué à l'approvisionnement économique du pays

Parmelin, Guy

Conseiller fédéral, chef du DEFR (à partir de 2019)

Pfammatter, Simon

Chef Service financier III de l'AFF

Roth, Lukas

Chef suppléant de l'OSNM

Rothenbühler, Fritz

Liquidateur des sociétés SCL et SCT

Rutz, Benjamin

Director Business Restructuring Services, PwC

Rytz, Rudolf

Chef Domaines logistique & TIC de l'OFAE

Schmid, Thomas

Associé, BiSc

Schneider-Ammann, Johann

Conseiller fédéral, chef du DEFR (2010­2018)

Seiler, Markus

Secrétaire général du DFAE

Staudenmann, Roman

Chef suppléant Domaine logistique de l'OFAE

Trautweiler, Barbara

Collaboratrice scientifique de l'OSNM

Ueltschi, Michael

Représentant légal des sociétés SCL et SCT

Vetter, Jonas

Juriste, Service juridique de l'AFF

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Annexe 2

Collaborateurs du secrétariat de la DélFin ayant participé à l'enquête et à la rédaction du rapport Florent Strobel

Chargé d'enquête de la Délégation des finances

Roberto Ceccon

Secrétaire suppléant de la Délégation des finances

Barbara Pfander

Rédactrice des procès-verbaux de la Délégation des finances

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Annexe 3

Historique des principaux événements (2015 ­ 2019)

Intensification de la recherche d'investisseurs

Annonce de la société d'audit sur le surendettement des SCL Plainte pénale du CDF

Attribution mandat d'experts externes à SSP/BiSc et PwC

Information OFAE à SG-DEFR (insolvabilité SCL)

Concept d'assainissement des compagnies SCL

CS reprend les prêts de la KfW

Annonce CDF conformément à l'art. 15, al. 3, LCF

22.11.16 oct. 16 06.09.16 30.06.16 08.06.16

17.05.16 avr. 16 fév. 16

04.04.16 déc. 15 01.09.15 18.08.15 30.06.15 23.06.15

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

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Examen supplément Ia au CE et au CN

Examen préalable supplément Ia aux CdF-N et CdF-E Vente 10 navires à Groupe Mach

Message supplément Ia

Vente 2 navires à Tango

Fuite d'informations dans l'Aargauer Zeitung

- Accord sur moratoire avec partie adverse procédure d'arbitrage - Offre Groupe Mach 70 mio. USD

Sentence arbitrale au détriment des SCL

Évaluation et inspection des navires sur mandat du GS-WBF

Attribution mandats à courtiers par SCL/SCT

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

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30/31 mai 17 22.05.17 18/19 mai 17 17.05.17 16.05.17 15.05.17 mars 17 27.01.17

13.02.17 13.01.17 déc. 16

11.01.17 nov./déc. 16

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Mise en place nouvelle organisation de crise navires de haute mer par le chef du DEFR

Appel d'offres mandats d'experts

Publication rapport d'inspection des CdG

Remise du dernier navire aux acheteurs Plainte pénale du DEFR

Ouverture de la liquidation des sociétés SCL et SCT

Remise du premier navire aux acheteurs

jan. 19 19.11.18 sep. 18 28.06.18 juin 18

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

Ouverture enquête processus de vente

Entretien DélFin/DEFR

Entretien DélFin/DEFR

28.02.18

12.04.18 20.11.17 22.09.17 16.08.17

01.07.17 29.06.17 01.06.17

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Annexe 4

Liste des recommandations Recommandation 1

Faire de la limitation des pertes l'objectif primordial en cas de crise

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral d'engager immédiatement des mesures appropriées, selon la stratégie de limitation des dommages, lorsque des navires de haute mer faisant l'objet de cautionnements solidaires se trouvent dans une situation financière critique et que les compagnies maritimes ne respectent pas les plans d'amortissement conclus avec la Confédération et les banques prêteuses

Recommandation 2

Elaboration d'une stratégie de liquidation claire avant l'éclatement d'une crise de liquidités

La Délégation des finances demande au Conseil fédéral d'élaborer, en collaboration avec les organes des sociétés et les propriétaires et sur la base des expériences faites dans le cas de la liquidation des compagnies de SCL et SCT, une stratégie de liquidation claire prévoyant des étapes clefs. Il s'agira notamment d'examiner dans quelle mesure d'autres solutions, telles qu'une faillite ou un sursis concordataire (éventuellement avec une société supplétive), pourraient constituer des options alternatives permettant de réduire autant que possible les pertes pour la Confédération ou d'éviter les dommages.

Recommandation 3

Elaboration de critères d'évaluation transparents

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de mettre à profit les expériences acquises dans le cadre de la vente des flottes SCL et SCT, et de définir en particulier, lors de ventes de navires, des critères relatifs à l'évaluation des offres présentées, ainsi qu'à leur pondération et à la procédure de sélection.

Recommandation 4

Garantie d'une concurrence entre les acheteurs intéressés

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de ne pas se limiter à une seule option de transaction lors de la vente de navires de haute mer financés par des cautionnements fédéraux. Afin de limiter les dommages, il convient de garantir une vraie concurrence entre les acheteurs intéressés.

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Recommandation 5

Protection contre les indiscrétions en présence d'informations secrètes ou confidentielles

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral d'adopter des mesures appropriées afin que des informations classifiées secrètes ou confidentielles ne soient plus divulguées à l'opinion publique. En cas d'indiscrétion, tous les moyens juridiques à disposition doivent être utilisés et les sanctions prévues par la loi doivent être appliquées.

Recommandation 6

Réglementation des signatures de la Confédération pour les contrats de vente

La Délégation des finances demande au Conseil fédéral d'examiner dans quelle mesure la Confédération doit cosigner, en tant que garante, les contrats de vente des navires de haute mer au bénéfice de cautionnements de la Confédération.

Recommandation 7

Election de droit partielle dans les contrats de vente

La Délégation des finances estime qu'il est nécessaire de réaliser une analyse juridique approfondie, par exemple dans le cadre d'une expertise juridique, sur la question de savoir si l'élection de droit partielle dans les contrats de vente de navires de haute mer est susceptible d'être acceptée par des tribunaux suisses. Le Conseil fédéral doit veiller à ce que des résultats de l'analyse découle la mise en oeuvre d'une pratique uniforme lors des futures ventes de navires de haute mer au bénéfice d'un cautionnement de la Confédération.

Recommandation 8

Finies les adjudications de gré à gré successives

La Délégation des finances reconnaît que la gestion de crises imprévisibles répond en principe à des situations exceptionnelles et exige des solutions tout aussi exceptionnelles. Néanmoins, quand l'administration fédérale est appelée à surmonter de telles situations, elle doit respecter les dispositions fixées par le législateur..

C'est en ce sens que la Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de veiller, si des cas similaires à celui des compagnies de SCL et SCT se produisaient, à ce que les services compétents de la Confédération ­

prennent les mesures appropriées afin d'éviter, en cas de crise, des augmentations successives du plafond des coûts au moyen d'adjudications de gré à gré;

­

sollicitent des offres concurrentielles dans les règles de l'art; et

­

concluent et datent valablement des contrats portant sur des prestations de conseil avant le début des mandats concernés.

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Recommandation 9

Eviter les cautionnements solidaires

La Délégation des finances recommande au Conseil fédéral de ne plus utiliser l'instrument du cautionnement solidaire. Il convient de se pencher sur les cautionnements solidaires existants et, si possible, de les convertir en cautionnements simples.

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