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XLIIIIme année. Vol, III.

N° 24.

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Mercredi 10 juin 1891

Message du

conseil fédéral à l'assemblée fédérale sur les taxes de patente des voyageurs de commerce.

(Du 29 mai 1891.)

Monsieur le président et messieurs, A la date du 11 décembre 1883, vous avez pris l'arrêté fédéral suivant : « Les " voyageurs de commerce voyageant en Suisse pour le compte d'une maison suisse pourront, sur la simple justification de leur identité, prendre, sans être soumis à aucun droit de patente, des commandes avec ou sans échantillons, pourvu qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux. » Dans notre rapport du 9 novembre 1888, qui accompagnait ce projet d'arrêté rejeté plus tard à la votation populaire du 11 mai 1884 par 189,550 voix contre 174,195, soit à une majorité de 15,355 voix, nous disions déjà (P. féd. 1883, IV. 427): c En ce qui concerne le prélèvement de taxes de patente sur les voyageurs de commerce suisses, la jurisprudence actuelle ne saurait continuer à subsister en regard des rapports conventionnels avec les états étrangers.... Sous ce rapport, le droit d'établir des impôts, tel qu'il appartient aux cantons, ne saurait plus être reconnu, attendu que, en l'état actuel des choses, il porte réellement une grave atteinte au principe de la liberté de commerce et d'industrie, l'annihile même tout simplement et est dès lors contraire à l'article 81, dernier alinéa, de la constitution fédérale. > Feuille fédérale suisse. Année XLIII Vol. III.

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Aujourd'hui encore, nous sommes d'avis que l'abolition eomplète des taxes de patente imposées aux voyageurs de commerce serait, au point de vue du droit constitutionnel, la meilleure solution de la question. Nous parlons des voyageurs de commerce qui représentent une maison établie en Suisse, des établissements qui paient en Suisse les impôts ordinaires sur le revenu. A leur égard,, la patente constitue en réalité une double imposition et il ne suffit donc pas, pour la justifier, d'invoquer le droit d'imposition réservé par l'article 31, lettre e, de la constitution fédérale. En ce qui concerne par contre les colporteurs proprement dits, les gens qui portent des marchandises avec eux et qui les offrent de maison en maison, qui exercent leur industrie en se transportant d'un lieu à l'autre et qui n'ont pas de domicile fixe d'affaires, les cantons dans lesquels ils font leurs opérations paraissent bien être autorisés, chacun pour ce qui le concerne, à les soumettre à l'impôt dans la mesure indiquée par les circonstances. Ces gens déplacent en effet continuellement le siège de leurs aifaires, en sorte qu'il se trouve être régulièrement dans l'endroit où ils exploitent momentanément leur industrie, quel que soit d'ailleurs le temps pendant lequel ils y séjournent. En 1872, 1873 et 1874, alors qu'il s'agissait de reviser l'article de la constitution fédérale qui traite de la liberté de commerce et d'industrie, personne ne songeait, dans le sein des chambres, à placer les voyageurs de commerce sur le même pied que les colporteurs. Plus tard, en 1877, le conseil fédéral se référait encore, à l'égard de la nouvelle loi du canton de Lucerne sur le colportage, les foires et marchés, aux arrêtés fédéraux de 1859 et de 1860, exonérant des taxes de patente les voyageurs de commerce qui n'ont pas de marchandises avec eux (voir rapport du conseil fédéral de 1883, F. féd. 1883, IV. 435). Ces arrêtés faisaient alors jurisprudence et c'est seulement à partir de 1877 que des vues opposées, inspirées par des motifs fiscaux et protectionnistes, se sont insensiblement fait jour au sein des chambres.

Le besoin de résoudre uniformément la question des taxes imposées aux voyageurs de commerce a toujours été ressenti, surtout par ceux de nos concitoyens pour lesquels la liberté de commerce et d'indastrie est une question
de vie ou de mort, par les classes industrielles et commerçantes de la population.

Aussi les intéressés ont-ils demandé, bientôt après le 11 mai 1884, que l'on voulût bien reprendre l'étude de la question. A cet effet, les représentants du commerce se sont adressés directement aux autorités fédérales dès le commencement de 1889.

Entre-temps, une conférence intercantonale de délégués des gouvernements s'était réunie dans le même but, sur l'initiative du gouvernement zurichois. La conférence, à laquelle douze cantons

étaient représentés, se tint à Neuchâtel le 10 juillet 1885, sous la présidence de M. A. Corriaz, conseiller d'état, chef du département de justice et police du canton de Neuchâtel. Les cantons représentés étaient Zurich, St-Gall, Argovie, Soleure, Fribourg, Grisons, Schaffhouse, Baie-ville, Baie-campagne, Vaud, Genève et Neuchâtel.

Le canton de Berne, qui avait répondu affirmativement à la convocation, s'est fait excuser; mais il a demandò la communication du protocole. Quant aux autres cantons, ils avaient décliné toute participation à la réunion.

La conférence unanime adopta la résolution suivante : Le conseil fédéral est prié de vouloir bien nantir à nouveau les chambres, dans leur prochaine session (décembre 1885), du projet d'affranchir les voyageurs de commerce suisses des taxes de patente qui leur sont imposées, avec la seule modification de rédaction que cette franchise de taxe serait accordée seulement aux représentants de maisons de commerce établies en Suisse. Ce point n'était pas exprimé peut-être d'une manière suffisamment claire dans l'arrêté fédéral de 1883. La conférence ajoutait qu'elle ne serait pas opposée, en principe, à l'imposition d'une modeste taxe de contrôle ou de chancellerie, qui serait perçue une fois pour toute la Suisse.

En réponse à cette ouverture, nous avons fait savoir au président de la conférence intercantonale que, avant de porter à nouveau l'affaire devant l'assemblée fédérale, nous désirions recueillir de plus nombreuses expériences dans ce domaine.

A la date du 2 février 1886, M. Cornaz, conseiller d'état, a transmis à notre département de justice et police quatre lettres complémentaires, émanant des gouvernements d'Uri, d'Unterwaldenle-bas, de Glaris et de Thurgovie, qui déclaraient ne pouvoir se rallier aux résolutions votées par la conférence.

Dans sa réunion du 30 avril 1889, l'assemblée des délégués de l'union suisse du commerce et de l'industrie a décidé, sur la proposition de la chambre suisse du commerce à Zurich, présidée par M. Cramer-Frey, conseiller national, d'envoyer au conseil fédéral et par lui à l'assemblée fédérale une résolution ainsi conçue : « L'assemblée des délégués de l'union suisse du commerce et « de l'industrie décide de prier le conseil fédéral : « 1. De soumettre le plus tôt possible à l'assemblée fédérale t un nouveau
projet d'arrêté fédéral concernant les taxes de pa« tente des voyageurs de commerce, de manière à ce qu'il puisse « entrer en vigueur au plus tard dans la première moitié de « l'année 1891.

« 2. De s'inspirer, pour la rédaction de ce projet, des principes < suivants : « a. Sont envisagés comme négociants en gros tous voyageurs « de commerce suisses ou étrangers qui sont en relations d'affaires « exclusivement avec des clients qui achètent leurs articles pour les c revendre ou pour les besoins de leur profession. Ces voyageurs, « moyennant qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux, peuvent, « sur la simple constatation de leur identité, prendre des comman« des dans toute la Suisse, avec ou sans échantillons, sans être as« treints à aucune taxe.

c 6. Tous autres voyageurs suisses ou étrangers sont envisagés « comme faisant le détail. Ils peuvent, moyennant la production « d'une carte de légitimation, valable pour une année dès sa date, « et sous la condition de ne pas prendre de marchandises avec « eux, voyager sur tout le territoire de la Confédération.

« c. La carte de légitimation est de la teneur suivante : c La taxe est de 150 francs et celui qui l'a payée est affran« chi, pour la durée de la carte de légitimation, de toute autre taxe « cantonale ou communale.

c La carte de légitimation est prise, par les voyageurs de « maisons établies à l'intérieur de la Suisse, au bureau ouvert dans « le canton de leur domicile, et, par les voyageurs de maisons « étrangères, au bureau du canton qu'ils visitent en premier lieu.

« d. Disposition pénale en cas d'usage abusif de la carte de « légitimation.
e. A la fin de chaque année, le produit des cartes de légi« timation, sous déduction d'un droit de perception de 4 °/0, est
« versé par les cantons à la caisse fédérale et réparti entre eux « par tête de population.

« f. La législation sur le colportage et le déballage reste aux « cantons. » Le vorort de l'union suisse du commerce et de l'industrie a ensuite signalé au département fédéral de justice et police, dans plusieurs lettres consécutives, l'importance capitale qu'il attache pour le commerce suisse à la régularisation de cette question. En même temps, il insistait sur la relation intime d'une réforme apportée dans ce domaine avec les négociations prochaines en vue de la conclusion de nouveaux traités de commerce.

Le 15 juin 1890, l'assemblée des délégués de la société suisse des arts et métiers se trouvait réunie à Altorf. Après avoir mis la question en délibération au sein de son comité et de ses sections, elle a voté les résolutions suivantes: « 1. Les artisans suisses donneront volontiers la main à l'éla« boration d'une loi fédérale, dans le but : « a. d'assurer en Suisse l'égalité de traitement entre les voya« geurs suisses et les voyageurs étrangers ; t l>. d'introduire une taxe de patente unique qui remplace celle « des cantons.

« 2. Les voeux suivants sont ajoutés aux propositions de l'u« nion suisse du commerce et de l'industrie : « a. une réciprocité stricte pour les taxes des voyageurs de com« mercé doit être exigée dans la négociation des nouveaux « traités de commerce ; « b. une finance de contrôle unique doit être exigée de tous les « voyageurs, afin de les placer sous une surveillance plus sé« vére ; la vente d'échantillons et de marchandises doit leur « être rigoureusement interdite, sous peine du retrait de la « patente ; « c. en fixant le chiffre de la taxe, il y a lieu de tenir compte « soit de l'ennui causé au public par les colporteurs et voya« geurs au détail, soit du dommage qui résulte de l'exercice « de ces professions pour le commerce établi qui paie les « impôts ; en d'autres termes, d'adopter une taxe aussi élevée « que possible. » Notre département de justice et police s'est adressé à M. le conseiller aux états Cornaz, conseiller d'état à Neuchâtel, sous la présidence duquel la conférence intercantonale de 1885 avait tenu ses assises. Il le priait de vouloir bien lui présenter, accompagné des propositions qu'il croirait devoir formuler, un rapport substantiel, embrassant la question sous toutes ses faces, tant au point de vue historique, constitutionnel et des traités qu'à celui des intérêts économiques du pays.

M. Cornaz a bien voulu se charger de cette tâche difficile. Il a remis au département, le 26 mars 1891, un mémoire renfermant le résultat de son étude. Ce mémoire traite la question d'une manière remarquable, absolument circonstanciée et approfondie.

Sur la proposition du département, nous avons fait imprimer ce' rapport, pour le joindre in extenso au présent message. Nous

6 ne saurions mieux vous renseigner sur les différents points qu'il y a lieu de prendre en considération dans une question aussi importante pour le commerce de notre pays.

Des divers partis à prendre pour résoudre la question et sortir de la difficulté où nous sommes, le plus simple et le meilleur serait sans contredit, au point de vue purement constitutionnel, d'exonérer simplement les voyageurs de commerce de tout droit de patente, à l'exception d'un modeste émolument de chancellerie ; c'est aussi au fond l'avis de notre expert ; mais les voeux émis par les représentants du commerce eux-mêmes et le désir d'arriver à une prochaine solution l'ont engagé, et nous aussi, à nous contenter, -- faute de mieux, -- de ce qui nous paraît pouvoir être réalisé aujourd'hui, savoir l'exonération complète des voyageurs de commerce en gros et une taxe unique pour ceux qui font -le détail, donnant une patente valable pour toute la Suisse.

Nous ne pouvons en effet nous dissimuler qu'il est infiniment plus difficile de revenir aujourd'hui, vis-à-vis des voyageurs de commerce, à la franchise absolue des taxes de patente, le seul point de vue juste, en principe, que cela n'était encore le cas en 1880 et années suivantes, alors que les cantons n'avaient pas encore pris l'habitude d'imposer les voyageurs de commerce.

En revanche, personne ne peut nier que l'état de choses actuel, qui nous oblige à traiter les étrangers plus favorablement que nos, nationaux, si nous voulons conserver des traités avec l'étranger, ne soit devenu intolérable. Il faut y porter remède et, pour cela, faire ce que nous nous sommes décidés à faire, le nécessaire.

Nous avons en conséquence l'honneur, monsieur le président et messieurs, de vous soumettre le projet d'arrêté qui accompagne le présent message. Nous n'avons rien de particulier à y ajouter.

Ses dispositions, claires en elles-mêmes, peuvent aisément se passer de commentaire.

L'arrêté que nous vous proposons est destiné à créer, pour les voyageurs de commerce, un seul et même droit dans toute l'étendue de la Confédération. En revanche, le colportage proprement dit, y compris le déballage, continue à être régi par la législation cantonale. Nous avons par conséquent, d'un côté, les voyageurs de commerce et, de l'autre, les colporteurs. Ce qui les distingue les uns des autres, c'est
le fait d'avoir des marcJiandises avec soi, ce signe caractéristique du colportage. En effet, le colporteur offre ses marchandises et les délivre à l'acheteur immédiatement ; il ne s'occupe nullement de prendre des commandes à effectuer d'une autre place.

Quant au rôle du voyageur de commerce, il est différent ; il con-

siste à vendre, pour le compte d'une maison établie ailleurs, des marchandises livrables ensuite par cette maison, laquelle les expédie du lieu où elle a son domicile. Le colporteur et le voyageur de commerce se distinguent ainsi l'un de l'autre par la manière différente qu'ils ont d'exploiter leur profession et il n'y a pas, de la part de l'un, un besoin réel d'empiéter dans le domaine de l'autre.

Oette ligne de démarcation, tracée par les exigences de la vie ellemême,' se trouve d'ailleurs accentuée par un nouvel élément de séparation. A l'avenir, les cantons seront tous solidairement intéresses à l'exécution de prescriptions uniformes sur les voyageurs de commerce, tandis que, pour ce qui est du colportage, le fisc de chacun d'eux continuera à poursuivre exclusivement son propre intérêt.

Par tous ces motifs, nous estimons que la Confédération a le droit, qu'elle est même obligée, pour assurer une bonne et saine application des nouvelles prescriptions, d'interdire aux voyageurs de commerce de pratiquer en même temps le colportage, c'est-àdire de prendre des commandes en ayant des marchandises avec eux.

Quant à l'observation faite par la conférence de- Neuchâtel, tendant à modifier la rédaction de l'arrêté fédéral en disant voyageurs de maisons établies en Suisse, au lieu de voyageurs de maisons suisses, pour ne pas confondre les premières avec les maisons suisses à l'étranger, elle ne pouvait viser que le texte français, puisque le texte allemand de 1883 disait « inländischer Handelshäuser», ce qui indiquait d'une manière suffisamment claire que la maison devait être une maison établie en Suisse. On n'a donc tenu compte de cette observation, dans le projet actuel, que pour le texte français.

Agréez, monsieur le président et messieurs, l'assurance de notre haute considération.

Berne, le 29 mai 1891.

Au nom du conseil fédéral suisse, Le président de la Confédération : W E L TI.

Le vice-chancelier: SCHÄ.TZMANN.

Projet.

Arrêté fédéral concernant

les taxes de patente des voyageurs de commerce..

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message et les propositions du conseil fédéral, en date du 29 mai 1891, arrête : Art. 1er. Les voyageurs de commerce voyageant en, Suisse pour le compte d'une maison établie en Suisse ou d'une maison étrangère, qui sont en relations d'affaires exclusivement avec des maisons opérant la revente de leurs articles ou faisant usage de ces marchandises pour leursbesoins professionnels, sont autorisés, moyennant qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux, sur la simple constatation de leur identité, à prendre des commandes dans toute l'étendue de la Confédération, avec ou sans échantillons, sans être astreints à aucune taxe.

Art. 2. Tous les autres voyageurs suisses ou étrangers qui n'ont pas de marchandises avec eux peuvent prendre des commandes, avec ou sans échantillons, sur tout le territoire suisse, à la condition de se munir d'une carte de légitimation.

Art. 3. Les voyageurs de commerce étrangers ne sont au bénéfice des dispositions des articles 1" et 2 que si le pays où sont établies les maisons qu'ils représentent n'impose pas aux voyageurs de commerce suisses des conditions plus onéreuses.

Art. 4. La carte de légitimation prévue à l'article 2 est délivrée en conformité des dispositions ci-après : a. Elle est dressée, aux frais des cantons, sur un type uniforme arrêté par le conseil fédéral.

1). Le prix en est de 100 francs.

c. Elle indique le nom de la maison représentée et celui du voyageur.

d. Elle est délivrée, pour les voyageurs de maisons établies en Suisse, par le bureau du canton où ces maisons ont leur établissement commercial, et, pour les voyageurs de maisons étrangères, par le bureau du canton qu'ils visitent en premier lieu.

Art. 5. La carte de légitimation est valable pour une année. Le titulaire est affranchi, pour sa durée, de toute autre taxe cantonale ou communale.

Art. 6. Le produit des cartes de légitimation, sous déduction d'un droit de perception de 4°/ 0 , est versé à la fin de chaque année à la caisse fédérale et réparti entre les cantons par tête de population.

Art. 7. Sont punis d'une amende jusqu'à 1000 francs : a. les voyageurs s'ils font des celles qui y prennent des avec eux ;

de commerce mentionnés à l'article 1e', affaires avec des personnes autres que sont également mentionnées, ou s'ils commandes en aya.nt des marchandises

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b. les autres voyageurs de commerce, si, à l'encontre de l'article 2, ils prennent des commandes en ayant des marchandises avec eux, ou s'ils prennent des commandes sans être munis d'une carte de légitimation (articles 2, 4 et 5).

Les amendes qui ne peuvent être recouvrées sont converties en emprisonnement. Un jour d'emprisonnement compte pour 5 francs d'amende.

En cas de récidive, la peine peut ótre doublée.

Les contraventions sont jugées par les autorités pénales du canton où elles ont été commises, en conformité de la procédure cantonale.

Les amendes reviennent de droit aux cantons.

Art. 8. Les cantons conservent la législation sur le colportage et le déballage.

Art. 9. Le conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

Il en ordonnera la publication conformément aux dispositions de la loi du 17 juin 1874, concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, et fixera l'époque de son entrée en vigueur.

11 Annexe.

Rapport au

Département fédéral de justice et police sur

la question des voyageurs de commerce.

(Du 24 mars 1891.)

Monsieur le conseiller fédéral, A diverses reprises, les chambres fédérales ont manifesté le désir que la question des voyageurs de commerce, prenant des commandes chez les particuliers, avec ou sans échantillons, soit définitivement réglée. Diverses circonstances ont empêché le conseil fédéral de donner suite à cette invitation. La matière est fort difficile et délicate à traiter, les intérêts sont divers et même opposés, les divergences s'accentuent, les décisions officielles ont été contradictoires, il règne une véritable confusion d'idées et de notions dans laquelle on a de la peine à se retrouver, et nous ne saurions méconnaître que la Suisse a subi pour cela, comme en d'autres domaines, l'influence des courants d'opinions qui lui venaient de l'étranger et qui l'entraînaient, selon que l'un ou l'autre devenait prédominant, tantôt dans le sens d'une liberté complète, tantôt du côté des restrictions policières et fiscales.

Il faut cependant choisir. Il faut arrêter une base. Il nous faut une norme fixe qui soit applicable aussi bien à l'intérieur que dans nos relations avec les pays étrangers. Trop de situations particulières sont affectées par l'état de choses actuel. Il règne des inégalités choquantes aussi bien entre nos propres ressortissants et les voyageurs étrangers à la Suisse, mieux traités que les gens du

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pays sur son territoire, que dans les modes de traitement adoptés par les cantons.

La question est d'ailleurs internationale. Les négociations qui vont s'ouvrir cette année pour le renouvellement de nos principaux traités de commerce nous obligent à prendre une prompte détermination. Avant d'être fixés sur le régime que nous voulons appliquer aux nations étrangères, nous devons l'être sur celui que nous nous proposons de choisir pour nous-mêmes. Cette conséquence s'impose dans tous les cas. Les négociations pour un tarif douanier conventionnel vinssent-elles même à échouer avec tel ou tel pays, le règlement de questions spéciales, particulièrement celui des conditions faites aux voyageurs de commerce, qui appartient aussi bien à un traité d'établissement qu'à un traité de commerce, n'en serait pas moins réservé. Le ministre des affaires étrangères du gouvernement français, M. Eibot, le disait expressément à la chambre dans la communication qu'il lui a faite dans le mois de janvier, concernant la dénonciation des traités.

Vous avez désiré que la question fût examinée d'une manière aussi complète que possible, à ses divers points de vue, et qu'elle fût introduite dans ce rapport par un exposé historique des faits principaux qui s'y rattachent. Je m'efforcerai de suivre les grandes lignes que vous avez bien vonlu me tracer.

I.

Exposé historique.

1. Sous la constitution fédérale de 1848.

L'article 29 de la constitution fédérale de 1848 était ainsi conçu : « Le libre achat et la libre vente des denrées, du bétail et des « marchandises proprement dites, ainsi que des autres produits du « sol et de l'industrie, leur libre entrée, leur libre sortie et leur « libre passage d'un canton à l'autre, sont garantis dans toute c l'étendue de la Confédération.

« Sont réservés : t a. Quant à l'achat et à la vente, la régale du sel et de !a
poudre à canon.
« &. Les dispositions des cantons touchant la police du commerce « et de l'industrie, ainsi que celle des routes.

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« c. Les dispositions contre l'accaparement.

« d. Les mesures temporaires de police de santé lors d'épidémies c et d'épizooties.

« Les dispositions mentionnées sous lettres & et c oic dessus doivent ótre les mêmes pour les citoyens du canton « et ceux des autres Etats confédérés. Elles sont soumises a c l'examen du conseil fédéral et ne peuvent être mises à « exécution avant d'avoir reçu son approbation.

« e. Les droits accordés ou reconnus par la diète et que la Con« fédération n'a pas supprimés (articles 24 et 31).

c f. Les droits de consommation sur les vins et les autres bois« sons spiritueuses, conformément aux prescriptions de l'ar« ticle 32. > De 1852 à 1862, il fut passé entre plusieurs cantons, d'une part, de l'autre entre la plupart des Etats de l'Allemagne et de l'Italie, une série de traités pour l'exemption des droits de patente en faveur des voyageurs de commerce.

On ne paraissait pas admettre alors que la franchise de taxes fût la conséquence nécessaire du texte constitutionnel.

Conventions diverses touchant l'exemption de droits de patente pour les voyageurs de commerce.

Wurtemberg, en 1852.

Zurich, Berne, Lucerne, Unterwald-le-Haut et lé-Bas, Glaris, Zug, Fribourg, Soleure, Baie (Ville et Campagne), Appenzell (ShodesExt. et-Int.), St-Gall, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin, Vaud, Neuchâtel et Genève.

Sardaigne, en 1852.

Zurich, Berne, Lucerne, Unterwald-le-Haut et lé-Bas, Glaris, Zug, Fribourg, Soleure, Baie (Ville et Campagne), Schaffhouse, Appenzell (Ext. et-Int.), St-Gall, Argovie, Thurgovie, Tessin, Vaud, Neuchâtel et Genève.

Grand-Duché de Bade, en 1853.

Zurich, Berne, Lucerne, Uaterwald-le-Haut et lé-Bas, Glaris, Zug, Fribourg, Soleure, Baie (Ville et Campagne), Schaffhouse, Appenzell (Rhodes-Ext. et-Int.), St-Gall, Argovie, Thurgovie, Tessin, Vaud, Neuchâtel et Genève.

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Bavière, en 1854.

Zurich, Berne, Lucerne, Unterwald-le-Haut et lé-Bas, Glaris,, Zug, Fribourg, Soleure, Baie (Ville et Campagne), Schaffhouse,, Appenzell (Rhocles-Ext. et-Int.), St-Gall, Argovie, Thurgovie, Tessin, Vaud, Neuchâtel et Genève.

Francfort "JMein, en 1855.

Saxe, en 1858, Brème, Lübeck, Prusse, en J860, Hambourg et Hanovre, en 1862.

Les mêmes cantons, sauf Unterwald-le-Haut.

Il serait oiseux de vouloir analyser tous les volumineux dossiers, qui se rapportent à ces diverses conventions.

En ce qui concerne les négociations avec la Sardaigne, nous voyons que le conseil fédéral écrivait, le 27 avril 1852, au chargé d'affaires de ce pays, en réponse à une question posée au nom deson gouvernement, que, d'après les renseignements pris, la plupart des gouvernements cantonaux n'étaient pas contraires à la proposition d'abolir réciproquement les taxes perçues jusqu'alors sur les voyageurs de commerce, que, cependant, il serait très difficile, peutêtre même impossible, d'engager tous les cantons à consentir à cette^ abrogation.

Aucune taxe n'était alors perçue dans les cantons d'Unterwaldle-Bas, Fribourg, Baie-Ville, Baie-Campagne, Appenzell-Intérieur,.

Argovie, Thurgovie, Tessin, Vaud, Neuchâtel et Genève.

Dans les autres cantons, les taxes étaient les suivantes : Zurich, de 8 à 30 francs par an; Berne, une patente annuelle de fr. 14. 50 ; Lucerne, une patente annuelle de 4 à 8 francs, ancienne monnaie ; Schwyz, pour les voyageurs étrangers, une patente de 20 à 100' francs par an, ancienne monnaie ; Glaris, une patente annuelle de 15 à 40 francs par an, anciennemonnaie ; Zug, l franc par jour pour les voyageurs étrangers ; Soleure, pour les voyageurs étrangers, 2 francs par jour, anciennemonnaie ; Schaffhouse, une patente de 4 à 8 florins pour les voyageursétrangers, valable pour six mois ;

15, St-Gall, une patente industrielle de 1 à 200 florins par an ; Grisons, une patente de 2 à 25 florins par an pour les étrangers ;.

Valais, une taxe proportionnelle au chiffre d'affaires.

Par une note du 6 août 1859, la légation de Prusse à Berne annonçait au conseil fédéral l'intention de son gouvernement de conclure avec la Suisse une convention pour l'exemption des taxe& des commis-voyageurs, semblable à celles que la Suisse avait stipulées précédemment avec le Wurtemberg, le grand-duché de Bade et la Bavière. Elle proposait, à cet effet, l'adoption de l'article 18 du traité de commerce entre la Prusse et l'Autriche, portant exemption complète pour les négociants voyageant avec des échantillons, mais sans avoir de marchandises avec eux.

Avec la France, il n'y avait pas de traité formel sur cettematière, mais seulement un mode de vivre basé sur la réciprocité.

Nous lisons dans les actes que, le 17 juin 1851, le gouvernement de Genève transmet au conseil fédéral une pétition de 14 maisons de commerce genevoises, exposant que jusqu'alors les voyageurs français prenant des commandes à Genève n'ont payé aucune taxe et que des voyageurs genevois ont joui en France de la même réciprocité. Mais il s'est introduit depuis quelque temps dans le pays de Gex une mesure fiscale en vertu de laquelle on exige des voyageurs genevois une patente de 30 francs.

Il résulte des explications échangées à ce sujet entre le conseil fédéral et le gouvernement français que la mesure incriminée provient de ce que, dans certains autres cantons, les voyageurs français sont soumis à des taxes. Mais ces cantons paraissent tout disposés à accorder la réciprocité à la France.

L'incident n'a pas d'autres suites.

Mais, le 29 juillet 1859, les chambres fédérales rendirent l'arrêté suivant : « L'assemblée fédérale de la Confédération suisse, « en application de l'article 29 de la constitution fédérale, < arrête : « 1. Les cantons sont requis de ne plus percevoir de taxes de
patente ou autres droits des voyageurs de commerce suisses, pour
« autant que ceux-ci ne font que prendre des commissions -- avec
ou sans exhibition d'échantillons -- et n'ont point de marchan dises avec eux.
« 2. Le conseil fédéral veillera à l'exécution de cet arrêté. »

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On vient de voir que la décision de l'assemblée fédérale a son origine première dans les conventions liées par la presque totalité des cantons avec les gouvernements étrangers. Mais il paraît que, déjà alors, les étrangers étaient mieux traités que les Suisses.

Peu de temps après la promulgation de cet arrêté, il arriva de divers côtés au conseil fédéral des réclamations par lesquelles les requérants se plaignaient de ce que dans plusieurs cantons l'exercice de leur vocation leur était rendu impossible, parce qu'on les y frappait de fortes amendes uniquement pour avoir présenté des échantillons et pris des commissions, et qu'ainsi l'exercice d'un droit résultant de la liberté du commerce d'un canton dans un autre leur y était ou bien complètement interdit ou permis seulement à la condition d'acquitter une taxe de patente élevée. Ils réclamaient auprès des autorités fédérales contre cette manière d'agir, comme n'étant pas en harmonie avec l'arrêté fédéral du 29 juillet 1859.

Le conseil fédéral trouva ces plaintes fondées et il consigna cette opinion dans une circulaire aux gouvernements cantonaux intéressés : « Nous devons nous opposer à ce que l'on interprète les dis-« positions de l'article 29, b, de la constitution fédérale de manière « à comprendre dans l'idée de colportage et à pouvoir ainsi inter« dire le commerce consistant à prendre de maison en maison des « commandes de marchandises avec ou sans présentation d'échantilc Ions. Nous verrions dans une telle interprétation une restriction trop « grande apportée à la liberté de commerce qui est garantie. En c revanche, nous n'avons rien à objecter à des mesures de police, « alors même qu'elles impliqueraient une prohibition effective, du < moment qu'elles ne concernent que le colportage proprement dit, « c'est-à-dire l'acte d'offrir de maison en maison des marchandises « que l'on porte avec soi ou bien d'y faire des achats. » Par office du 27 juin 1860, le gouvernement de Thurgovie interjeta contre cette décision un recours auquel se joignit le gouvernement de Zug par une missive du 13 juillet suivant. Les deux gouvernements estimaient que l'interprétation donnée par le conseil fédéral à l'arrêté fédéral du 29 juillet 1859 était inexacte et en contradiction avec la souveraineté cantonale garantie par la Confédération, spécialement avec les
articles 3 et 29 de la constitution fédérale, et, en outre, que les conséquences pratiques en allaient trop loin.

Dans un rapport adressé au conseil des Etats, le conseil fédéral .s'exprime à ce sujet comme suit :

17 « La divergence d'opinion entre les gouvernements recourants ·« et nous consiste principalement en ce que nous avons donné à « l'idée du voyageur de commerce une étendue plus grande que « celle admise par ces gouvernements comme étant compatible avec « leurs droits et leurs intérêts. On est généralement d'accord que « la profession de colporteur servant souvent de prétexte pour s'in« traduire dans les maisons avec de mauvaises intentions, des met sures de police, dans le sens de l'article 29, b, de la constitution « fédérale, sont parfaitement justifiées à l'égard des colporteurs. Il « ne nous reste donc qu'à expliquer les motifs qui nous ont engagés « à ne pas assimiler aux colporteurs les voyageurs de commerce ·* qui, n'ayant pas de marchandises avec eux, vont de maison en « maison prendre des commissions avec ou sans présentation d'é« chantillons. A cet effet, il est nécessaire de jeter un coup d'oeil « sur les recours qui nous sont adressés. Les deux premiers avaient « pour objet la loi sur les métiers, du canton de Berne. Un rnar·* ch and-tailleur établi à Morat exerçait sa vocation dans les districts « bernois du voisinage et y visitait ses pratiques avec un paquet ·» d'échantillons. Il fut considéré comme colporteur, et cette profes« sion étant interdite dans le canton de Berne, à peu d'exceptions « près, il y fut condamné à réitérées fois et ne put plus s'y livrer i à la pratique de sa profession.

« II en était tout à fait de même dans le second cas. Une « maison de commerce neuchâteloise faisait offrir sur échantillon des ·« marchandises à des particuliers du Val-de-St-Imier. Le voyageur « fut frappé à réitérées fois de fortes amendes et se vit forcé « de renoncer à faire des affaires dans cette contrée. Du reste, le ·« gouvernement de Berne a tenu compte de notre manière de voir, « suspendu l'exécution de l'article de son ordonnance sur l'industrie i qui donnait lieu à critique et par la fait droit aux réclamations < susmentionnées. Ensuite, il nous parvint plusieurs plaintes sem« blables de collecteurs de souscriptions et de librairies, l'une « contre la loi sur les métiers, de Bàie-Campagne, puis deux autres « contre les dispositions de la législation du canton de Thurgovie « sur cet objet, pétitions qui ont donné lieu au présent recours.

< Enfin, un négociant du canton d'Argovie
nous a exposé qu'il a ·« été plusieurs fois puni dans ce canton, où il est établi, pour y « avoir pris chez des particuliers des commissions sur présentation « d'échantillons. » Le conseil fédéral exposait dans le même rapport que la discussion portait déjà à ce moment sur la question de savoir si les voyageurs de commerce prenant des commandes avec ou sans échantillons, mais sans porter de marchandises avec eux, pouvaient visiter Feuille fédérale suisse. Année XLIII. Vol. III.

2

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·

seulement les magasins faisant le commerce de leurs articles, ou s'ils pouvaient aussi s'adresser directement aux particuliers. Il résolvait la question dans le sens le plus large et repoussait l'accusation formulée par le gouvernement de Thurgovie d'un empiétement sur la souveraineté cantonale. cSans doute, disait-il, l'article 29,& f « de la constitution fédérale réserve aux cantons le droit de prendre « des mesures de police sur l'exercice du commerce et de l'industrie ; « néanmoins cette disposition suppose implicitement, mais clairement, « que les autorités fédérales sont compétentes à statuer sur l'étendue« et la nature desdites mesures ; car, s'il en était autrement, on « pourrait introduire sous ce nom une foule de finances et de taxes « dont l'élévation serait assez forte pour paralyser complètement la « liberté industrielle et commerciale garantie. » Le conseil fédéral concluait au rejet des deux recours.

L'assemblée fédérale rendit, le 12 décembre 1860, l'arrêté suivant : « 1° Le recours du gouvernement du canton de Thurgovie, du « 27 juin 1860, y compris la réclamation produite à l'appui par «le gouvernement du canton de Zug, en date du 13 juillet 1860, « touchant l'abrogation de la disposition de la loi thurgovienne sur « le trafic et le colportage, interdisant aux voyageurs de commerce « de prendre des commandes chez les particuliers, est déclaré mal « fondé.

« 2° Le conseil fédéral est chargé de l'exécution complète du présent arrêté. » Et le conseil fédéral insérait dans son rapport de gestion pour l'année 1860 la note ci-après : « Dans le courant de l'exercice, les gouvernements de Thurgovie « et de Zug ©nt recouru à l'assemblée fédérale contre notre décision « relative à l'interprétation de l'arrêté fédéral du 29 juillet 1859, « sur les taxes de patente perçues de voyageurs de commerce, mais.

« ils ont été déboutés par un arrêté du 12 décembre 1860. Consé« quemment, l'arrêté fédéral du 29 juillet 1859 s'étend aussi aux « voyageurs qui vont de maison en maison offrir à vendre des mar« chandises avec exhibition d'échantillons. Ainsi ces derniers ne sont « pas non plus soumis à l'acquittement de taxes de patentes, et leur « industrie ne peut être défendue. Les cantons ont été invités à « prendre leurs mesures en conséquence. » Au moment où le traité de commerce de 1864 fut négocié avec la France, la prise de commandes chez les particuliers par les

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commis-voyageurs suisses ou étrangers n'était ainsi soumise en Suisse à aucune espèce de taxes. Les arrêtés fédéraux de 1859 et 1860 avaient complètement renversé cette barrière élevée contre le libre exercice des professions industrielles et commerciales.

Aussi, lorsque la France proposa, dans le cours de ces négociations, d'établir un droit de patente de vingt francs pour les voyageurs de commerce de chacun des deux pays, ne fut-il pas possible au conseil fédéral d'accepter cette proposition. Il insista, au contraire, pour l'abolition complète des taxes dans le sens des deux arrêtés fédéraux que nous venons de citer. La France, qui venait de prendre un arrangement semblable avec la Prusse, donna volontiers son consentement, et c'est ainsi que l'exemption absolue de toutes taxes en faveur des voyageurs de commerce fut introduite dans le traité. Les étrangers se trouvaient de la sorte assimilés en Suisse aux nationaux, et, de leur côté, les commis-voyageurs suisses obtenaient l'exemption de toutes taxes en France.

La même disposition fut introduite en 1868 dans les traités de commerce avec l'Italie et l'Autriche, et en 1869 dans le traité avec le Zollverein allemand. L'esemption des taxes était ainsi stipulée avec nos quatre grands voisins. D'autre part, les traités d'établissement et de commerce conclus der/uis 1869 à 1878 avec l'Espagne, la Russie, le Danemark, les Pays-Bas et la Perse, stipulaient pour ce point, comme pour d'autres, le régime de la nation la plus favorisée. Il en était de même pour les traités conclus antérieurement avec les Etats-Unis en 1850 et avec la Grande-Bretagne et l'Irlande en 1855, qui sont encore aujourd'hui en vigueur.

La franchise obtenue soit de canton à canton, soit dans les relations internationales, se limitait uniquement aux voyageurs de commerce. Les restrictions apportées au trafic et à la liberté de travail, de commerce et d'industrie, continuaient d'ailleurs à subsister en plein. Le colportage et les autres industries ambulantes demeuraient notamment soumis aux lois et ordonnances des cantons.

Nous reviendrons dans le cours de ce rapport sur les efforts qui furent faits pour lever les obstacles qui subsistaient dans ce domaine.

2. Sous la constitution fédérale de 187é.

Telle était la situation lorsque la constitution fédérale de 1874 fut promulguée.

L'article 31 de cette constitution dispose :

20

« La liberté de commerce et d'industrie est garantie dans toute « l'étendue de la Confédération.

« Sont réservés : «a « 6

*

« c. Les dispositions touchant l'exercice des professions commer« ciales et industrielles, les impôts qui s'y rattachent et la « police des routes.

c Ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au « principe de la liberté de commerce et d'industrie. » Aussitôt après l'entrée en vigueur de la nouvelle constitution, soit dès le 30 mai 1874, le conseil fédéral demandait à tous les gouvernements cantonaux de lui soumettre leurs lois sur l'exercice des professions commerciales et industrielles et les impôts qui s'y rattachent. Un certain nombre de cantons furent invités à reviser leurs dispositions sur cette matière, afin de les mettre en harmonie avec les prescriptions constitutionnelles. En effet, le colportage était à ce moment complètement interdit dans huit cantons. Toutefois, jusqu'en 1877, le conseil fédéral n'eut pas à s'occuper plus spécialement de la position faite aux voyageurs de commerce.

Mais il dut le faire à l'occasion de la nouvelle loi du canton de Lucerne sur les foires et marchés et le colportage, loi qui statuait entre autres qu'il était dû un droit de 5 à 200 francs par an pour la prise de commandes dans les maisons particulières, avec échantillons mis en vente ou non.

Le conseil fédéral déclara que cette disposition n'était pas en harmonie avec les arrêtés fédéraux de 1859 et 1860. Il fit observer, en outre, qu'elle pourrait amener des difficultés avec les Etats étrangers qui avaient conclu des traités de commerce avec la Suisse.

Cette décision fut mentionnée dans le rapport de gestion du conseil fédéral sur l'année 1877.

La commission du conseil national s'arrêta tout particulièrement à cette question dans la partie de son rapport concernant le département de justice et police. Renversant la notion admise jusqu'alors, elle développait l'idée que la prise de commandes chez les particuliers doit être assimilée au colportage. « Si, disait-elle, on « donnait toute liberté aux voyageurs de commerce de prendre des « commandes chez les particuliers, il deviendrait impossible de con« trôler s'ils n'éludent pas les impôts dont le colportage proprement « dit est l'objet. Si les négociants ou les fabricants désirent que

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« leurs produits parviennent sans intermécliaire en mains du public, « ils peuvent demander des patentes de colporteur pour leurs voya« geurs de commerce.» La commission résumait son opinion de la manière suivante :
La Suisse, soit les cantons, sont' autorisés :
« a. à déclarer comme colportage la prise de commande.3 che/, « des personnes qui ne sont pas négociants, soit de maison « en maison ; « &. à exiger pour l'exercice du colportage une carte de légiti« mation, une patente ou une licence ; « c. à prélever une taxe pour l'expédition des cartes de k'gitima« tion, et à soumettre le colportage en général à un impôt « sur les industries. » La commission revenait encore sur le même objet à propos de la gestion du département fédéral des chemins de fer et du commerce. Faisant la critique de la décision du conseil fédéral concernant les restrictions apportées par la loi lucernoise à la prise de commandes chez les particuliers, elle disait : « . . . On peut se demander si cette distinction entre « la prise « de commandes sur échantillons » et « la vente de marchandises » « tient bien compte de toutes les circonstances, ou bien s'il ne s'agit « pas, comme on s'en plaint souvent, d'éluder la loi et de faire « passer la vente sous le faux titre de « commande ». Lorsqu'un « négociant en voyage parcourt un certain rayon, entrepose ses « marchandises à un point central quelconque, prend partout des « commandes sur échantillons, les exécute immédiatement après et « ne paie aucune taxe pour cela, cet homme est bien réellement un « marchand » et non un commis-voyageur, et cette manière de faire « concurrence sans payer d'impôts est de nature à provoquer le mé" contentement des négociants du pays, qui acquittent leurs taxes.

i Le public s'occupe fréquemment de ces faits, surtout lorsque, par « moments, ce colportage de marchandises en vient à l'obséder.

« Cette question touche non seulement Lucerne et sa législa« tion, mais encore un certain nombre d'antres cantons et ordon« nanees. Il faut ajouter que, par exemple en Allemagne, l'inter« prétation du principe convenu de la liberté de Commerce n'est « point pratiquée dans cette extension absolue, mais qu'elle est sou« mise à des restrictions contre la concurrence déloyale ou la vio« lation des règlements. Nous risquons donc que nos négociants « suisses en Allemagne soient moins bien traités que leurs concur« rents allemands en Suisse. »

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La commission de gestion concluait en proposant à l'assemblée fédérale le postulat suivant : « Le conseil fédéral est invité à soumettre à un nouvel examen « les considérations mentionnées dans la rubrique « prise de com« mandes sur échantillons », c'est-à-dire à revoir la décision prise « par lui sur cet objet. » L'assemblée fédérale adopta ce postulat, le 28 juin 1878, avec une légère modification de rédaction.

Le eourant d'idées plus restrictives en matière de commerce, venant surtout de la Suisse orientale, gagnait ainsi de proche en proche.

Dans l'intervalle, les cantoas de Berne et de Bâle-Campagoe avaient promulgué en 1877 de nouvelles lois sur les foires et marchés et le colportage, lois d'après lesquelles, comme d'après celle de Lucerne, la recherche de commandes chez des personnes autres que celles faisant commerce des mêmes articles ou s'en servant dans leur industrie rentre dans le colportage et doit être soumise à une taxe de patente de 1 à 200 francs par mois, pour le canton de Berne, et de 12 à 160 francs par an, pour celui de Baie-Campagne. Le conseil fédéral ayant été nanti en 1878 de plusieurs recours contre ces dispositions, les deux gouvernements cantonaux alléguèrent que les arrêtés de 1859 et 1860 n'avaient plus force de loi sous la nouvelle constitution fédérale, que la liberté de commerce ne pouvait plus être assimilée au droit de libre trafic de canton à canton, mais devait au contraire être considérée comme le droit d'exercer individuellement une profession à l'intérieur de chaque canton, que l'imposition de l'exercice des industries dans les cantons était une charge expressément admise par l'article 31 de la constitution fédérale, charge qui atteint uniformément tant les habitants du canton que les ressortissants d'autres cantons, et que dès lors l'exigence de se pourvoir d'une patente était parfaitement admissible, non seulement dans l'intérêt de la police, mais aussi du fisc, et avait déjà été reconnue comme telle par le conseil fédéral dans son message du 17 juin 1870 concernant la revision de la constitution fédérale.

En présence du postulat du 28 juin 1878, le conseil fédéral se rangea à cette manière de voir et rendit le 8 octobre suivant un arrêté déclarant non fondés en principe les recours contre les lois de Berne et de Baie-Campagne, attendu, disait-il,
que l'article 31 de la constitution fédérale n'interdit ni l'assimilation au colportage de la prise de commandes chez des particuliers, ni l'imposition de ce genre de commerce par des taxes de patente, mais réserve, au contraire, d'une façon non équivoque, en ce qui con-

23 cerne la liberté de commerce et d'industrie, les dispositions touchant les impôts, dispositions qui, il est vrai, ne peuvent rien contenir de contraire au principe de cette liberté. A ce point de vue, le conseil fédéral n'avait rien à objecter au sujet de la loi de BaieCampagne, tandis que pour celle de Berne, dont les taxes élevées pouvaient rendre impossible l'exercice de certaines industries, il se réservait expressément, dans l'application qui en serait faite, l'examen des cas concrets.

Ces recours contre les lois de Berne et de Bal e-Campagne n'ayant pas été portés devant l'assemblée fédérale, la loi lucernoise se trouva de fait sanctionnée. Le conseil fédéral déclara, dans son rapport de gestion pour l'année 1878, le postulat du 28 juin comme étant de la sorte liquidé, ce qui paraît avoir été tacitement admis par l'assemblée fédérale.

Les arrêtés fédéraux des 29 juillet 1859 et 12 décembre 1860 se sont trouvés ainsi abrogés sinon expressément, du moins de fait, ·et les voyageurs de commerce qui prennent des commandes dans les domiciles particuliers ont pu être depuis lors assimilés aux colporteurs. La jurisprudence du conseil fédéral, à partir de ce moment, peut se résumer comme suit : L'imposition de l'exercice des professions rentrant dans le colportage est admissible au point de vue constitutionnel, pourvu qu'elle ne soit pas contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie. Il y a violation de ce principe lorsque les cantons appliquent des taxes fixes ne permettant pas une appréciation équitable dans chaque cas spécial du chiffre d'affaires de chaque ambulant, soit en raison de la nature de son négoce, soit en raison du temps pendant lequel il l'exerce. Les lois «t ordonnances cantonales qui établissent des taxes de patente avec des minima et des maxima n'ont rien d'inconstitutionnel. Pour qu'elles puissent être critiquées à ce point de vue, il faudrait que la taxe appliquée à une industrie déterminée soit évidemment trop élevée et hors de proportion avec le gain que peut faire l'industriel.

Les cantons, se sentant plus libres, s'empressèrent, pour la plupart, dans les années suivantes, de profiter de la latitude qui leur était laissée pour soumettre à de nouvelles entraves policières et fiscales l'exercice des professions ambulantes, y compris celle des voyageurs de
commerce. Les droits des communes vinrent s'ajouter aux taxes perçues par l'Etat. La prise de commandes chez les particuliers, avec ou sans échantillons, était assimilée dans ces cantons au colportage. Je ferai remarquer que les taxes adoptées à cette époque, qui subsistent encore maintenant pour la plupart, si elles n'ont été aggravées, sont .du double, du triple et môme du décuple de ce qu'elles étaient dans les cantons avant 1859.

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Pour faire mieux ressortir combien, une fois entré dans la, voie des restrictions, on arrive à d'étranges résultats, je veux citer quelques exemples : Schwyz oblige à payer une patente les fabriques de papier et les papeteries qui vendent du papier aux imprimeries, par exemple à celles d'Einsiedlen.

Le même canton impose la patente aux voyageurs de mercerie qui vendent des boutons aux couturières et les assimile aux colporteurs.

Un autre canton exige la patente des maisons de denrées coloniales qui vendent du poivre aux charcutiers pour la fabrication de leurs saucisses.

Dans d'autres cantons, on l'impose aussi aux maisons de commerce qui vendent aux hôteliers des meubles et d'autres fournitures d'hôtel à l'usage des voyageurs et des touristes.

Ils l'exigent aussi des marchands de vins qui placent leurs produits dans les hôtels, non pas pour la consommation du maître d'hôtel lui-même et de sa famille, mais même pour celle des étrangers, c'est-à-dire pour la revente.

Il y eut plusieurs tentatives pour réagir contre cette tendance, mais la nouvelle jurisprudence fédérale fut confirmée par de nouveaux arrêtés.

M. J. Dierauer et trente-sept autres négociants établis dans lecanton de St-Gall avaient recouru contre la loi saint-galloise de 1878, qui disposait que les négociants établis dans le canton, prenant des commandes sur échantillons chez les particuliers, devaient payer une patente de 10 à 20 francs par mois.

Les recourants invoquaient l'arrêté fédéral de 1859 et l'article 31 de la constitution fédérale qui était violé par cette mesure fiscale, surtout pour une maison occupant plusieurs voyageurs et contrainte à payer autant de fois la patente qu'elle emploie de voyageurs. Ils alléguaient aussi une double imposition.

De son côté, le gouvernement du canton de St-Gall soutenait dans sa réponse : 1° Le conseil fédéral a abandonné le point de vue de 1859 par ses décisions sur les recours contre les lois de Berne et deBàie-Campagne.

2° II n'y a pas double imposition, la commission du conseil national ayant déclaré en 1877 que les taxes des patentes ne sont pas incompatibles avec l'impôt sur les industries.

25.

Par un arrêté du 31 janvier 1879, le conseil fédéral écarta le recours en se fondant sur les motifs suivants : 1. La- commission de gestion du conseil national pour l'année 1877 a posé le principe.

2. Le conseil fédéral s'est conformé à ces indications en statuant sur d'autres recours.

3. La patente ne fait pas double emploi avec l'impôt sur lerevenu. Cette question relèverait, du reste, comme double imposition, du tribunal fédéral.

M. Dierauer et cosignataires recoururent à l'assemblée fédérale contre la décision du conseil fédéral. Leur recours fut écarté le 17 décembre 1879. La commission du conseil des Etats (M. Théodore Wirz, rapporteur) faisait ressortir que les recourants pouvaient avoir raison au point de vue historique, en se reportant à l'interprétation de 1859, mais qu'une autre interprétation plus récentes'était substituée à celle-là et qu'elle faisait règle pour l'avenir.

Il est exact que l'article 31 de la constitution fédérale de 1874 garantit la liberté de commerce et d'industrie, mais il n'en est pas moins vrai qu'il garantit aussi aux cantons le droit d'imposer l'industrie. L'impôt ne doit pourtant jamais être un obstacle à l'exploitation d'une industrie. Ce principe est favorable à la souveraineté cantonale en matière d'impôts ; quant à ce qu'ils entendent par mesures prohibitives, c'est aux recourants à démontrer que l'impôt . en revêt les caractères ; lorsqu'ils en auront fait la preuve, la Confédération interdira cette prohibition.

Le 4 janvier 1881, le conseil fédéral statuait sur un recours du conseil d'Etat de Neuchâtel contre les taxes fribourgeoises sur les voyageurs de commerce. MM. Blum frères, marchands-tailleurs à Neuchâtel, s'étaient plaints auprès du gouvernement de leur canton contre le fait que, pour aller prendre à Morat et à Estavayer des commandes de vêtements sur mesure, ils devaient payer à la police centrale de Fribourg, tant pour l'Etat que pour la commune, une somme de fr. 241. 60 par mois. Le recours fut admis, la taxe imposée étant déclarée trop élevée.

Le 12 janvier de la même année, le conseil fédéral admettait atassi, pour le même motif, le recours du colporteur en librairieF. Pointet, originaire neuchâtelois, auquel le canton de Fribourg réclamait une taxe de 90 francs par mois.

Le gouvernement de Fribourg recourut à l'assemblée fédéralecontre ces deux décisions.

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L'assemblée fédérale, sur message du conseil fédéral du 14 février 1882, écarta les deux recours dans sa session de juin de la même année.

En même temps, elle invitait le conseil fédéral à formuler et à soumettre à l'approbation de l'assemblée fédérale les principes qui, en conformité de l'article 31, dernier alinéa, de la constitution fédérale, doivent présider à l'examen des lois cantonales sur les taxes de colportage et à celui des recours contre les taxes trop élevées (23 juin 1882).

Il n'a pas encore été répondu à ce postulat.

Avant ces recours fribourgeois, MM. Flückiger, G amper-Andres «t consorts, représentés par M. le D r Ryf, avocat, à Zurich, avaient recouru contre le taux trop élevé des taxes soleuroises. Le conseil fédéral avait admis le recours par un arrêté du 2 novembre 1880.

Nouvelle plainte des recourants, disant que l'arrêté fédéral n'avait pas été suivi d'effet. Le conseil fédéral décida d'attendre la décision de l'assemblée fédérale sur les recours fribourgeois, ce qu'on trouve exposé dans son message du 5 avril 1882. L'assemblée fédérale ·engloba les deux cas dans sa décision ci-dessus rappelée.

Un nouveau traité de commerce était négocié avec la France en 1882 et stipulait la franchise de toute taxe de patente dans les cantons en faveur des voyageurs de commerce français.

Le conseil fédéral ne manqua pas de faire des efforts pour obtenir du gouvernement français qu'il renonçât à cette clause embarrassante, en présence du régime intérieur de la Suisse. Il y eut à ce moment de nombreux échanges de communications au sujet de ce point spécial entre le conseil fédéral et les négociateurs du traité. Mais tout fut inutile ; la France ne voulut pas céder.

Des réserves furent déjà exprimées dans le cours de la discussion sur la ratification au sein des chambres, concernant la situation privilégiée faite aux voyageurs français au détriment des nationaux.

Le 9 juin de la même année, M. Cornaz déposa au conseil des Etats la motion suivante : « Le conseil fédéral est invité à prendre les mesures d'exécu« tion nécessaires pour que les voyageurs de commerce suisses ne « soient pas soumis dans leur propre pays à des taxes dont sont « affranchis les voyageurs de commerce étrangers. » Cette motion, transformée en postulat, fut prise en considération.

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Le 9 novembre 1883, le conseil fédéral présentait aux chambres un rapport sur la double question de la libération des commisvoyageurs suisses des taxes de patente et de l'adoption de principes généraux concernant l'examen des lois cantonales sur le colportage «t celui des recours qu'elles entraînent.

Dans ce document, le conseil fédéral expose qu'il s'agit pour lui tout à la fois de donner suite au postulat Cornaz, voté par le ·conseil des Etats, et de satisfaire à l'arrêté fédéral du 23 juin 1882.

Il rappelle le développement de la jurisprudence sous l'empire de la constitution fédérale de 1848 et depuis la nouvelle constitution ·de 1874, puis il se livre à un exposé critique.

« Nous n'avons pas de peine à comprendre, dit-il, que perv sonne ne soit satisfait de la jurisprudence actuelle. Il y a ab·« sence de principes clairs et précis pour établir une pratique sûre « et juste à tous égards. L'arrêté fédéral du 23 juin 1882 prouve « que les conseils législatifs de la Confédération sont également pé« nôtres de ce même sentiment de mécontentement. On ne saurait « contester ce que dit le conseil d'Etat du canton de Fri bourg dans « son mémoire de recours à l'assemblée fédérale, du 8 avril 1881, « c'est que, grâce à la grande diversité de leurs tarifs, les cantons « sont inégalement atteints par la jurisprudence fédérale, qu'une « règle générale sur l'application de la contribution en matière de « colportage fait défaut, ot qu'il est peu digne pour les autorités « cantonales et fédérales d'examiner dans chaque cas spécial l'ap« plieation du tarif au point de vue de son admissibilité en droit « fédéral et de faire ainsi chaque fois de l'exécution dm tarif une 4 question fédérale d'appréciation individuelle. Il peut, en effet, ré·« sulter d'une telle pratique un marchandage peu digne entre une « autorité cantonale, les particuliers intéressés et les plus hautes « autorités de la Confédération. » Si le conseil fédéral n'est pas intervenu plus énergiqueinent dans ce domaine de la réglementation des professions ambulantes, c'est parce qu'il hésite à reconnaître la compétence de la Confédération pour édicter des prescriptions générales de ce genre et qu'elle lui parait même tout simplement inadmissible. Cependant il doit tenir compte des invitations réitérées de l'assemblée fédérale, et si les difficultés
qui s'opposent à la réglementation des professions ambulantes en général lui semblent presque insurmontables, il est cependant au clair sur un point ; la jurisprudence actuelle concernant les taxes de patente des voyageurs de commerce suisses ne saurait continuer à subsister en regard des traités conclus avec l'étranger.

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Laissons ici parler le rapport : « Nous en sommes arrivés au moment critique. De même qu'on « avait ressenti dans tout le pays, immédiatement après la conclu« sion du traité de commerce et d'établissement franco-suisse de« 1864, tout ce qu'il y avait d'intolérable dans le fait que les Is« raélites français en Suisse devaient être placés sur un meilleur « pied que les citoyens suisses d'origine et de confession mosaïque, « on éprouve aujourd'hui généralement le sentiment que les com« mis-voyageurs suisses, qui prennent des commandes chez les non« industriels, ne sauraient être soumis plus longtemps à des taxes« de patente dojit les voyageurs français, espagnols, russes, autrio- chiens et autres sont exemptés. Il est d'autant plus facile au « conseil fédéral d'en venir sur ce point eà la pratique inaugurée « en 1859 qu'il n'a jamais, pour ce qui Je concerne, recommandé « ou approuvé qu'on y renonçât. » ....

. . . . « Mais la réserve d'établir des impôts ne saurait à notre « avis être interprétée et élargie de façon à ce qu'un droit indivi« duel pour la Suisse entière soit placé plus désavantageusement « que ne l'était un droit intercantonal avant 1874. La protection « de l'établissement cantonal et communal à laquelle on tend de« vient tout à fait inadmissible et incompréhensible dès qu'il s'agit « de l'exercer envers les voyageurs du propre état fédératif, qui « habitent un autre canton, y sont établis et y paient les impôts « ordinaires, alors que les voyageurs étrangers y sont déclarés de « par les traités exempts de tout impôt et qu'on ne peut pas non « plus empêcher les maisons étrangères d'inonder le pays d'offres « de vente faites par lettres ou par l'envoi de catalogues et d'é« chantillons et de rendre ainsi toute concurrence indigène de plus « en plus impossible. En théorie, l'exercice d'un commerce consis« tant dans la recherche de commandes chez les non-industriels « n'est pas, il est vrai, interdit aux maisons du pays, mais, en pra« tique, il leur est rendu impossible, au profit de l'étranger ; en c d'autres termes, le principe constitutionnel de la liberté de com« mercé et d'industrie reste dans le sens indiqué lettre close pour « ces maisons. Sous ce rapport, le droit des cantons d'établir des « impôts ne saurait plus être reconnu, attendu que, vu les circons« tances actuelles, il
porte réellement une grave atteinte au pri-n« cipe de la liberté de commerce et d'industrie, l'annihile même « tout simplement et se trouve dès lors en contradiction avec l'article 31, dernier alinéa, de la constitution fédérale.

« Par tous ces motifs, nous estimons que la manière de ré« soudre la question s'impose; aussi n'hésitons-nous pas à vous.pro-

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·« poser l'exonération des voyageurs de commerce suisses de toute « taxe de patente. » En revanche, et pour des motifs sur lesquels nous reviendrons, le rapport se prononçait contre l'extension de cette mesure au colportage proprement dit.

Le 11 décembre 1883, l'assemblée fédérale adoptait, sur la proposition du conseil fédéral, l'arrêté suivant : « 1. Les voyageurs de commerce, voyageant en Suisse, pour « le compte d'une maison suisse, pourront, sur la simple justifica« tion de leur identité, prendre, sans être soumis à aucun droit de « patente, des commandes avec ou sans échantillons, pourvu qu'ils « n'aient pas de marchandises avec eux.

« 2 et 3. Formules référendaires et d'exécution. » Cet arrêté fédéral, contre lequel le referendum avait été demandé, fut rejeté par le peuple, le 11 mai 1884, à la majorité de 189.550 voix contre 174.195.

Le 5 juin suivant, M. Gornaz déposa une nouvelle motion, proposant un arrêté comme suit : « ·« « ·*

« 1. Les voyageurs de commerce, voyageant en Suisse pour le compte d'une maison suisse, pourront, sur la simple justification de leur identité, prendre, sans être soumis à aucun droit de patente, des commandes avec ou sans échantillons, pourvu qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux.

« 2. Le conseil fédéral est chargé, etc. »

C'était la reproduction textuelle de l'arrêté repoussé par le peuple.

De son côté, M. Théraulaz déposa, le 11 juin, la motion suivante : « Le conseil fédéral est invité, en ce qui concerne les taxes de -« patente des voyageurs suisses (et les colporteurs), à déterminer, « à l'occasion des recours qui lui sont soumis et en tenant compte ·« des différentes catégories d'affaires, des taxes maximales que les « cantons ne pourront pas dépasser. » Après une courte discussion, les deux motions furent écartées, dans la séance du 16 juin 1884, comme inopportunes.

Sur l'initiative des gouvernements de Zurich et de Neuchâtel, les délégués de douze gouvernements cantonaux, représentant une

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population totale de 1,700,000 âmes, se réunissaient à Neuchâtel,, le 10 juillet 1885, pour examiner s'il y avait lieu de reprendrel'oeuvre rejetée par le peuple en 1884 (').

Le point de départ de cette conférence était le projet d'un concordat entre tous les cantons disposés à venir en aide à la situation de nos voyageurs de commerce et à obtenir sous cette forme le résultat qu'on avait vainement attendu de l'arrêté fédéral. Mais la discussion qui s'ouvrit ne tarda pas à mettre en lumière toutes.

les difficultés inhérentes à un concordat. Tel canton, dont les autorités et le peuple se sont montrés en principe favorables à une' mesure fédérale, aurait beaucoup de peine à régler la question intercantonalement. On consent plus volontiers à un sacrifice auquel tous sont également soumis que lorsqu'il s'impose seulement aux uns, tandis que d'autres réussissent à s'y soustraire. Ailleurs, les dispositions libérales en faveur des voyageurs de commerce ne sont pas très bien vues, on voudrait réagir contre l'invasion des voyageurs étrangers, plutôt que de faciliter encore les nationaux. Cependant, on n'irait pas jusqu'à prendre contre un arrêté fédéral l'initiative d'une demande de referendum ; mais il en serait autrement si la ratification d'un concordat sur cette matière était soumise à la délibération du grand conseil et à la votation du peuple. Un concordat aurait surtout de la valeur si les cantons qui l'auraient signé formaient une seule agglomération de territoire, mais il perd sa principale utilité du moment que les territoires des cantons du concordat doivent rester séparés les uns des autres par ceux de cantons qui y sont demeurés étrangers. D'une manière générale, on trouve que le concordat est une vieille et lourde machine, qui a fait son temps. La négociation en est hérissée de difficultés, et eût-elle même abouti qu'il n'en résulterait auoune garantie permanente de sécurité pour les intérêts qui sont en cause, puisque les cantons peuvent s'en retirer en tout temps, d'un moment à l'autre. En résumé, l'idée du concordat fut abandonnée dans le tour de préconsultation par tous les cantons représentés, sauf un. Encore ee dernier se déclarait-il au fond parfaitement d'accord avec l'exonération des commis-voyageurs suisses de toute taxe de patente.

On en revint à l'idée d'un arrêté fédéral,
et la conférence décida de s'adresser au conseil fédéral pour le prier de reprendre l'ancien arrêté voté par les chambres, mais rejeté par le peuple à (') Les cantons représentés étaient ceux de Zurich, Fribourg, Soleure, Baie-Ville, Bàie-Campagne, Schaft'house, St-Gall, Grisons, Argovie, Vaud, Neuchâtel et Genève. Le canton de Berne s'était l'ait excuser pour cause d'empêchement des membres de son gouvernement.

31

une faible majorité, en amendant l'article 1er de manière à substituer à la définition : « Les voyageurs de commerce voyageant en « Suisse pour le compte d'une maison suisse, etc., » celle-ci : pour le compte d'une * maison établie en Suisse. » Cette adjonction du mot établie devait mieux préciser la portée de la mesure, applicable à toute maison de commerce ayant son siège en Suisse, quelle que soit la nationalité de ses chefs. Le conseil fédéral était également prié d'examiner s'il ne conviendrait pas d'introduire dans le nouvel arrêté la réserve que la franchise de taxe en faveur des voyageurs de maisons établies en Suisse serait maintenue seulement aussi longtemps qu'elle continuerait à être assurée par les traités aux voyageurs de pays étrangers. En outre, la conférence émettait le voeu que lebureau fédéral de statistique fût chargé d'établir un tableau sur le colportage et le déballage, dans lequel on dénombrerait notamment le« commis-voyageurs du canton, ceux des cantons confédérés et ceux de l'étranger.

Le 3 décembre 1885, le conseil fédéral répondait à M. Oornaz, président de la conférence intergantonale de Neuchâtel, qu'il ne lui paraissait pas opportun de reprendre immédiatement la question et qu'il fallait compléter auparavant les renseignements statistiques* Depuis la conférence de Neuchâtel, il s'est produit sur la question qui nous occupe d'autres manifestations dont je parlerai plus loin.

II.

Etat actuel des législations cantonales.

D'après la Feuille fédérale du commerce, 10 avril 1890 : Cinq cantons accordent la franchise complète aux voyageurs de commerce établis sur leur territoire : Berne, Uri, Appenzell-Intérieur, Tessin et Valais ; Les maisons établies dans le canton et dans ceux qui accordent la réciprocité sont affranchis de toute taxe dans le canton de Soleure; Dans le canton de Fribourg, les voyageurs de maisons établies dans le canton paient une taxe trimestrielle de 5 francs; les voyageurs venant de cantons qui accordent la réciprocité sont affranchis de toute taxe ;

-'32 Trois cantons taxent les voyageurs de maisons établies sur leur territoire plus bas que ceux des autres cantons: Appenzell-Extérieur, Saint-Gall et Thurgovie; La taxe est la môme pour les uns et pour les autres dans dix ·cantons : Zurich, Lucerne, Schwyz, Unterwald (Haut et Bas), Glaris, Zug, Baie-Campagne, Schaffhouse et Argovie ; Les Grisons accordent la franchise entière aux voyageurs des maisons du canton et des maisons suisses, pourvu que la marchandise soit expédiée directement depuis le siège de la maison ; Baie-Ville, Yaud, Neuchâtel et Genève ne soumettent les voyageurs de commerce à aucune taxe.

Sous réserve dès exceptions qui précèdent, les voyageurs de -commerce sont assimilés aux colporteurs et soumis aux mêmes taxes · que ces industriels ou à des taxes analogues dans les cantons suivants : Zurich, de 1 à 300 francs par mois; Berne, de 10 à 200 francs par mois; Lucerne, de 10 à 200 francs par an pour les voyageurs avec échantillons (un projet du conseil d'Etat, revisant la loi de 1877, établit une taxe pour les voyageurs avec ou sans échantillons, de 20 à 300-francs par an); Uri, de 10 à 40 francs par mois, la taxe étant sextuplée lorsque la patente est prise pour un an ; Schwyz, de 2 à 300 francs pour six mois; Obwald, de 3 à 20 francs par semaine; Nidwald, de 2 à 10 francs par jour; Glaris, de 4 à 15 francs par mois et de 12 à 40 francs par an; Zug, de 20 à 100 francs par mois; Fribourg, de 3 à 100 francs pour trois mois, suivant la nature et la classification des marchandises: Soleure, de 1 à 100 francs par mois, et de 1 à 200 francs par mois, cette dernière taxe dans les localités qui ont des foires et marchés, sans que le chiffre total puisse dépasser 600 francs par an; Baie-Campagne, de 6 à 240 francs pour trois mois; Schaffhouse, de 5 à 80 francs par mois, suivant la nature des marchandises ; Appenzell-Extérieur, de 3 à 30 francs par mois;

33

Appenzell-Intérieur, de 10 à 20 francs par semaine; St-Gall, de 20 à 200 francs par mois; Argovie, jusqu'à 100 francs par mois, suivant la nature des marchandises ; Thurgovie, de 20 à 50 francs par mois; Tessin, 50 francs pour un mois, 100 francs pour trois mois, 150 francs pour six mois, 250 francs pour un an'; Valais, quatre classes de 50 à 200 francs par mois; si la patente est demandée pour un terme plus court, le prix peut être réduit proportionnellement.

Les taxes d'Appenzell-Extérieur sont donc les plus basses, de 3 à 30 francs par mois; celles de Zurich les plus élevées, de 1 à 300 francs par mois, dix fois celles d'Appenzell.

Si l'on tient compte du fait que les voyageurs de commerce ne parcourent le territoire d'un même canton que pendant deux ou trois mois de l'année seulement, et si l'on divise ces taxes additionnées entre les 25 cantons, on obtient une taxe moyenne par canton d'environ 200 francs par an.

Des taxes communales sont perçues, à côté de la taxe cantonale, dans les cantons suivants : Argovie, le double de la taxe cantonale, au prorata du temps; Berne, une taxe égale à celle du canton, au prorata du temps, avec un minimum de 20 centimes par jour; Fribourg, un droit proportionnel qui varie, suivant la nature et la classification des marchandises, de 2 francs à 20 centimes par jour; Soleure, au maximum jusqu'à la moitié de la taxe cantonale; Tessin, une taxe égale, comme dans le canton de Berne; Valais, de 50 centimes à 10 francs par jour; Zug, jusqu'au quart de la taxe cantonale, au prorata du temps ; Zurich, une taxe égale à celle du canton, le maximum par jour ne devant pas dépasser le 1/308 de la taxe cantonale.

Il est également intéressant de connaître les recettes annuelles que se font les cantons avec les taxes. Pour un certain nombre de cantons, il né nous a pas été possible d'obtenir le chiffre du produit des taxes appliquées aux voyageurs de commerce seulement; Feuille fédérale suisse. Année XLIII. Vol. III.

B

34

elles y sont confondues avec celles des autres professions ambulantes. Mais si l'on procède du connu à l'inconnu, si l'on prend les chiffres des cantons où ces recettes sont divisées sous diverses rubriques, où celles des voyageurs de commerce sont comptées à part, on peut facilement se faire une idée de ce qu'elles peuvent être pour les voyageurs de commerce dans toute la Suisse.

Zurich.

Voyageurs de commerce Colporteurs Déballenrs Autres métiers ambulants

1889.

.

.

.

.

1890.

fr. 8,100. -- » 40,700. -- » 350. -- » 11,300. --

fr. 8,500. -- ·» 42,150. -- » 400. -- » 11,900. --

fr. 60,450. --

fr. 62,950. --

fr.

» » »

fr.

» » »

Seme.

Colportage et déballage Professions artistiques .

Os et chiffons Voyageurs de commerce

.

.

.

.

.

.

38,905.

12,104.

1,253.

5,068.

10 80 50 20

43,548.

11,836.

1,250.

4,931.

40 55 -- 70

fr. 57,331. 60

fr. 61,566. 65

fr. 9,206. -- » 135. » 2,620. --

fr. 8,715. -- » 105. -> 2,870. --

Lucerne.

Colportage Déballage Voyageurs de commerce

.

.

fr. 11,961. -- fr. 11,690. -

Uri.

Voyageurs de commerce et colporteurs .

.

.

.

f r . 3,622. --

f r . 3,189. --

Voyageurs de commerce, colportage et déballage.

.

.

fr. 15,780. --

fr. 15,627. --

Obwald.

Colporteurs

fr. 1,744. 50

fr. 2,804. 75

Nidwald.

Voyageurs de commerce et autres ambulants .

.

.

.

fr. 1,554. --

fr. 1,769. --

.

Schwye.

35

otorfe.

Professions ambulantes.

1889.

.

1890.

.

fr. 8,138. --

fr. 9,521. 50

.

fr. 9,305. -- » 40. -- » 75. --

fr. 5,170. -- » 40. -- » 1,110. --

fr. 9,420. --

fr. 6,320. --

Frîbourg.

Colporteurs Etalagistes Voyageurs de commerce

.

Note. La taxe des voyageurs de commerce de maisons non établies dans le canton a été rétablie en 1890.

Soleure* Professions ambulantes.

.

.

fr. 9,610. --

--

--

Sale- Ville.

Colporteurs Déballeurs

Baie- Campagne.

Voyageurs de commerce Colporteurs

Schaffhouse.

Voyageurs de commerce Colporteurs e t autres .

.

.

.

.

.

.

fr. 9,218. -- » 769. --

fr. 9,261. -- » 679. --

fr.

9,987. --

fr. 9,940. --

fr. 3,520. -- » 10,620. --

fr. 3,120. -- » 10,593. --

fr. 14,140. -

fr. 13,713. --

fr. 1,215. -- » 7,189. --

fr. 1,891. -- » 8,565. --

fr.

8,404. --

fr. 10,456. --

fr. 8,283. -- » 1,972. 50

fr. 9,268. 25 » 2,080. 50

fr. 10,255. 50

fr. 11,348. 75

fr.

fr. 1,027. --

Appeneell-Extérieur.

Total des taxes Voyageurs de commerce

.

.

.

Appenzell-Intérieur.

Toutes professions ambulantes comprises

923. --

36

St-Gall.

1889.

Colporteurs Voyageurs de commerce

.

.

1890.

fr. 37,010. -- » 9,208. --

fr. 35,490. -- » 9,550. --

fr. 46,218. --

fr. 45,040. --

Grisons.

Ambulants

fr. 9,171. 80' fr. 9,991. 75

Argovie.

Foires et marchés et autres ambulants .

.

.

.

fr. 25,755. 90

fr. 26,705. 85

Thurgovie.

Voyageurs de commerce : 159 patentes.

.

.

161 » . . ' .

Colporteurs : 1518 patentes 1780 » Autres métiers : 3 2 5 patentes.

407 » . .

.

.

.

.

.

.

.

fr. 4,172. 50 f r . 4,162. -- » 17,754. 9 0

.

.

.

. .

.

Tessin.

Professions ambulantes diverses .

Vaud.

Colporteurs et déballeurs .

.

Artistes et artisans ambulants .

L'étalage est laissé aux finances communales avec un maximum " de taxe de 10 francs par jour.

Dans les quatre dernières années, la seule ville de Lausanne a perçu en moyenne 18,500 francs.

» 18,570. 4 0 »

2,644. 2 0 ·»

4,630. --

fr. 24,571. 60

fr. 27,362. 40

fr. 7,603. --

fr. 6,992. --

fr. 28,417. -- » 15,091. --

fr. 27,152. -- » 15,991. --

fr. 43,508. --

fr. 43,143.

37

Fatai«.

1889.

Professions ambulantes diverses .

fr. 7,847. --

1890.

--

--

Neuchâtel.

Colporteurs Déballeurs Genève.

Colporteurs Etalagistes .

,

.

.

fr. 10,179. -- » 1,092. 90 fr. 11,271. 90

fr. 11,515. 50 » 1,728. 20 fr. 13,243. 70

fr. 3,154. -- » 642. fr. 3,796. -

fr. 2,902. -- » 710. -- fr. 3,612. --

On peut inférer des chiffres qui précèdent que le produit des taxes de patente imposées aux voyageurs de commerce, dans les cantons où ils doivent les payer, est, par rapport au produit total des professions ambulantes, approximativement dans la proportion de l/6me, et, d'autre part, que le produit total des taxes des voyageurs de commerce ne dépasse pas annuellement en Suisse 50,000 francs.

III;

Les traités et les législations étrangères.

Nous avons vu que, dans les premières années qui suivirent la mise en vigueur de la constitution fédérale de 1848, la plupart des cantons furent amenés à conclure des conventions particulières avec divers états de l'Allemagne et avec l'Italie pour la franchise de taxe en faveur des voyageurs de commerce.

Ce qui donne maintenant à cette question une importance toute spéciale, ce qui la complique et ce qui la distingue des autres professions ambulantes, c'est le caractère international que lui ont donné les nombreux traités conclus en cette matière par la Suisse avec l'étranger. La Suisse ne peut faire abstraction de la situation créée par ces traités lorsqu'elle s'occupe de régler à cet égard son régime intérieur, ou, du moins, si elle en a fait la tentative, elle s'est exposée à des ennuis et à des déceptions.

Pour bien apprécier la position faite à nos voyageurs de commerce en Suisse, il est donc nécessaire de se rendre exactement compte de celle qui résulte des traités, soit pour les étrangers en Suisse, soit pour les Suisses à l'étranger.

38

France.

Le traité de commerce conclu le 23 février 1882 avec la France stipule à l'article 22 : « Les voyageurs de commerce français, voyageant en Suisse « pour le compte d'une maison française, et réciproquement les « voyageurs de commerce suisses, voyageant en France pour le « compte d'une maison suisse, pourront, sur la production d'un acte c de légitimation conforme au modèle annexé au présent traité sous « lettre H, ou sur la simple justification de leur identité, faire, sans « y être soumis à aucun droit de patente, des achats pour les be soins de leur industrie, et recueillir des commandes avec ou sans « échantillons, mais sans colporter de marchandises. » Cette clause parfaitement nette n'a jamais donné lieu dans la pratique à aucune difficulté. Les voyageurs de commerce suisses appelés en France par leurs affaires n'ont jamais eu à formuler aucune plainte. Il en est de même pour les voyageurs français en Suisse. A notre connaissance, il ne s'est présenté qu'un seul cas où ce traité ait donné lieu, non pas à ce qu'on pourrait appeler une divergence d'interprétation, mais à une méprise évidente. Au printemps dernier, un voyageur originaire du canton de Berne, qui pla-çait des articles pour une maison de Paris, a été condamné à l'amende par le tribunal de police de Delémont, parce qu'étant citoyen suisse, il aurait dû payer la patente. Mais le conseil fédéral a cassé cet arrêt en se fondant sur le traité de commerce, attendu qu'il s'agissait d'une maison française, placée au bénéfice du traité, et que la nationalité de son voyageur était indifférente.

Je pourrais mentionner encore le recours de la maison BlumJaval, marchands-tailleurs, ayant deux sièges, à Berne et a Besançon, à laquelle le canton d'Argovie imposait une taxe de patente, attendu qu'elle faisait voyager pour une maison bernoise. Ici, le recours a été écarté par le conseil fédéral, le voyageur de MM. BlumJaval n'ayant pas réussi à faire la preuve que les commandes qu'il prenait étaient exécutées par la maison de Besançon.

Allemagne.

Le traité d'établissement avec l'Allemagne, du 27 avril 1876, contient un article 6, ainsi conçu : « Tout avantage en matière d'établissement ou d'exercice d'in« dustrie qui aurait été accordé par l'une des parties contractantes « à une autre puissance, de quelque manière que ce soit, ou serait

39

« accordé à l'avenir, profitera également à l'autre partie contrac« tante, sans qu'il soit nécessaire d'en faire l'objet d'une conven« tion particulière. » Une des conséquences immédiates de cette clause était que l'article 22 du traité de commerce avec la France devenait applicable aux relations entre l'Allemagne et la Suisse.

Cette stipulation fut d'ailleurs confirmée plus expressément par le traité de commerce avec l'Allemagne, du 1er juillet 1881, qui dit à l'article 10 : « Les marchands, fabricants et autres industriels qui prouve« ront qu'ils sont autorisés à exercer leur profession dans l'Etat où « ils ont leur domicile, ne pourront être soumis à aucune taxe si, « personnellement ou par l'intermédiaire de voyageurs à leurs « gages, ils font des achats sur le territoire de l'autre Etat, ou y « recueillent des commandes, même avec des échantillons. » Une disposition identique figurait, comme article 9, dans le traité avec le Zollverein.

Cet article 10 a soulevé une vive controverse sur la question de savoir s'il s'appliquait seulement aux voyageurs ne prenant des commandes que chez les négociants.

Le conseil fédéral avait admis l'interprétation la plus large du traité avec le Zollverein, puisqu'à propos de la loi lucernoise, il disait que l'interprétation restreinte appliquée en Suisse amènerait des conflits avec les états étrangers, notamment avec l'Allemagne.

Mais à la suite du postulat de la commission de gestion du conseil national en 1878, il changea brusquement de point de vue et déclara les taxes de patentes imposées aux voyageurs de commerce par les nouvelles lois de Berne et de Baie-Campagne bien fondées en principe. Il interprétait donc l'article 10 du traité de commerce avec l'Allemagne dans le sens restrictif.

Cette portée donnée au traité devait rencontrer un accueil d'autant plus favorable en Allemagne qu'on s'efforçait précisément alors de soumettre dans ce pays les. industries ambulantes à une surveillance plus sévère. Le gouvernement allemand se déclara disposé à admettre, dans le procès-verbal d'échange des ratifications, la réserve expresse que la disposition de l'ancien traité, réintroduite dans le nouveau, au sujet de l'exemption des commis-voyageurs quant au paiement de taxes, devait être interprétée comme elle l'avait toujours été, et, par conséquent, n'être applicable qu'à la recherche de commandes chez des marchands et industriels.

40

On en a tiré la conséquence, juste à mon sens, que les taxes de patentes établies par les cantons pour les voyageurs de commerce étaient aussi applicables aux voyageurs allemands. Les interprétations ont cependant varié à cet égard d'un canton à l'autre.

J'aurai l'occasion de parler, dans le cours de ce travail, avec quelques détails, d'une disposition en vertu de laquelle, en Allemagne, l'autorité locale peut refuser le droit de colporter ou de prendre des commandes, en se fondant sur le motif que le besoin de tels ou tels articles ne se fait pas sentir. II est vrai que cette mesure, bien qu'elle existe réellement, n'est pas générale. Autrement, on n'entendrait pas chaque année le même concert de plaintes contre le débordement croissant des ambulants.

Quoi qu'il en soit, il suffit que la chose existe, même à l'état restreint, pour qu'on soit autorisé à dire que la franchise de taxe, basée sur la réciprocité, n'est qu'apparente en Allemagne.

Le conseil fédéral disait dans son rapport de gestion sur l'année 1878: « II va sans dire qu'il ne peut être fait une position plus fa« vorable aux étrangers qu'aux citoyens suisses, mais, en considé« ration des mesures prises en Allemagne dans plusieurs Etats et « des prescriptions de l'article 1er, alinéa 2, du traité conclu avec « l'Allemagne relativement au droit d'établissement, les citoyens « allemands n'ont aucune raison de croire que le traité de com« mercé et de douane de 1869 doive s'interpréter de manière à « faire supposer que les lois suisses dont il s'agit ne puissent leur « être appliquées. » Ce deuxième alinéa est ainsi conçu : « Tout genre d'industrie et de commerce permis aux ressor« tissants des divers cantons le sera également aux Allemands, sans« qu'on puisse en exiger aucune condition pécuniaire ou autre plus t onéreuse. » On retrouve la reproduction textuelle de cette disposition dans le traité d'établissement conclu avec l'Allemagne le 31 mai 1890, mais elle doit être encore combinée avec l'article 7 du même traité, qui reproduit aussi textuellement l'article 6 du traité d'établissement de 1876.

Autriche-Hongrie.

Le traité de commerce du 14 juillet 1868 avec cet Empire contenait la clause suivante :

41 « Art. VI. Les voyageurs de commerce qui justifient que leur « maison paie les taxes et impôts légaux dans son pays sont auto« risés à prendre des commandes dans l'autre Etat, avec ou sans « échantillons, sans être astreints à d'autres taxes. » II en résulte que la situation était aussi douteuse qu'avec l'Allemagne. Il n'était pas dit expressément s'il s'agissait seulement de commandes prises chez les négociants^ Depuis lors, la Suisse a conclu avec l'Empire austro-hongrois, le 23 novembre 1888, un nouveau traité, dans lequel le .régime de la nation la plus favorisée a été garanti à ses ressortissants, mais sous la réserve que, dans tous les cas, ils ne jouiraient pas en Suisse d'un régime meilleur que les nationaux.

On doit en conclure qu'actuellement les voyageurs de commerce de ces pays, qui prennent des commandes che/, les particuliers, sont soumis aux taxes des cantons.

En fait, l'Autriche entrave beaucoup les voyageurs suisses.

Tout dernièrement, le voyageur d'une importante maison de St-Grall, qui ne visitait que les maisons de gros dans le Vorarlberg et le Tyrol, a été refoulé sur la frontière à St-Margarethen, avec cheval et voiture, bien qu'il fût porteur d'une carte de légitimation délivrée par le consulat autrichien.

Italie.

Le traité de commerce du 1er février 1884 stipulait à l'article 11 la franchise de toute taxe et la réciprocité pour les voyageurs de l'un des deux pays, qui prenaient des commandes dans l'autre pays, avec ou sans échantillons.

Un nouveau traité a été conclu le 23 janvier 1889, qui garantit à l'Italie, comme à l'Autriche-Hongrie, le régime de la nation la plus favorisée, sans que, dans aucun cas, les ressortissants italiens puissent prétendre à être mieux traités que les Suisses.

Les voyageurs italiens, allant de maison en maison prendre des commandes, sont donc aussi astreints à la taxe dans les cantons qui exigent des patentes.

Il est évident que les dispositions concernant les voyageurs de commerce ont surtout de l'importance dans les relations avec les états limitrophes de la Suisse. Dans les rapports avec d'autres pays plus éloignés, l'application de ces clauses est naturellement beaucoup plus rare.

-42

Je veux cependant rappeler pour mémoire : 1. le traité de commerce et d'établissement avec le Danemark, du 10 juillet 1875, -- le traité de commerce et d'établissement, du 6 mars 1856, avec la Grande-Bretagne et l'Irlande, ·-- le traité de commerce et d'établissement, du 1er octobre 1878, avec les Pays-Bas, -- la convention d'établissement et consulaire, du 16 février 1888, avec la Serbie, -- qui stipulent tous lo régime de la nation la plus favorisée; 2. la convention de commerce, du 30 mars 1878, avec la Roumanie, qui dit expressément que les maisons de commerce des deux pays et leurs voyageurs pourront prendre des commandes, avec ou sans échantillons, pourvu qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux; 3. le traité de commerce, du 14 mars 1883, avec l'Espagne, qui stipule à l'article 9 que les maisons de commerce de l'un des pays et leurs voyageurs pourront prendre des commandes dans l'autre pays, avec ou fans échantillons, sans être astreints à aucune taxe, pourvu qu'ils ne portent pas de marchandises avec eux; 4. le traité de commerce, du 3 juillet 1889, avec la Belgique, qui stipule à l'article 5 que les voyageurs de commerce, voyageant en Suisse pour le compte d'une maison établie en Belgique, seront traités, quant à la patente, comme les commis-voyageurs nationaux.

Je laisse de côté les traités et conventions avec les pays hors ·d'Europe.

J'ajoute, comme élément de comparaison, quelques indications sur ce qui se passe dans les autres pays du continent.

En Autriche-Hongrie, en Bulgarie, en France, en Grèce, en Italie, en Portugal et en Turquie, les voyageurs de commerce indigènes jouissent d'une entière liberté et ne sont- soumis à aucune restriction.

En Belgique, ils paient une licence de 10 francs, et les échantillons, s'ils peuvent être placés comme marchandises, paient un droit d'entrée, remboursable à la sortie.

En Hollande, la patente est de 26 marcs. Pour le reste, comme en Belgique.

En Danemark, les voyageurs de maisons établies à l'étranger, danoises ou étrangères, ne peuvent faire des aifaires qu'à Copen-

43

bague et dans les autres villes, avec les négociants seulement, et pour un chiffre minimum de 25 marcs. Ils doivent payer au port d'arrivée une carte de légitimation indiquant la nature de leur commerce et le lieu de leur domicile. Cette carte est valable pour un an et coûte 156 marcs. Si le voyageur représente une seconde maison, il doit payer un supplément · de 88 marcs. Les contraventions sont passibles de fortes amendes.

En Allemagne, les nationaux n'ont pas à payer de patente, s'ils voyagent seulement avec des échantillons; mais s'ils portent des marchandises avec eux, ils sont envisagés comme voyageurs au détail et soumis à des taxes élevées.

En Espagne, il y a une carte de légitimation. Si le voyageur porte des marchandises avec lui, il est assimilé aux colporteurs.

En Suède, il y a une licence de 112 marcs, valable pour trois mois et renouvelable à raison de 25 marcs par mois. -- En Norwège, les voyageurs de commerce n'ont accès que sur les foires et marchés et chez les négociants.

En Russie, liberté complète, sauf en Finlande, où il y a une licence de 100 marcs par mois.

Nulle part, sauf en Suisse, les étrangers ne sont mieux traités que les nationaux.

IV.

Les manifestations récentes de l'opinion.

1. Les journaux.

C'est, en première ligne, dans la presse qu'il faut chercher le mouvement d'opinion qui s'est produit dans ces dernières années.

Un grand nombre de journaux sont revenus à plusieurs reprises sur la question générale des professions ambulantes et particulièrement sur celle des voyageurs de commerce. Je ne les ai pas tous sous la main et je ne puis avoir la prétention de les citer tous. Il suffira de reproduire quelques fragments d'articles pour donner une idée des courants qui se sont produits.

J'ai eu déjà l'occasion de dire que la Suisse, en cette matière comme en beaucoup d'autres, recueille attentivement les échos de ce qui se dit et se passe à l'étranger. Nos journaux 'enregistrent avec soin les renseignements qui leur arrivent d'autres pays. Aujourd'hui, les regards se portent notamment du côté de l'Allemagne. C'est une affaire de mode, et il en sera ainsi aussi longtemps

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qu'une autre influence ne sera pas devenue prépondérante en Europe.

La Nouvelle Gazette de Zurich, du 18 décembre 1885, mentionnait une résolution de la chambre du commerce et de l'industrie de la Haute-Bavière, aux termes de laquelle il était reconnu en principe que les voyageurs de commerce doivent être assimilés aux colporteurs et qu'il ne doit pas être délivré de patentes de colportage à des étrangers.

Le même journal, dans son numéro du 25 février 1886, annonçait que la chambre du commerce de Eavensburg (Wurtemberg) avait résolu de demander une adjonction à la loi allemande sur les arts et métiers, afin d'interdire la prise de commandes chez les particuliers.

La publication de ces nouvelles paraissait avoir pour but d'éveiller et d'encourager en Suisse des tendances analogues.

Le Merkur, paraissant à Zurich, est la publication officielle de la société suisse des voyageurs de commerce. Il mérite à ce titre une mention spéciale.

Le numéro du 19 décembre 1885 contient un réquisitoire général contre les professions ambulantes. C'est la reproduction d'arguments déjà connus. On écrit au journal, sur le même sujet, de Lucerne : « Le public admet par erreur que la patente ne peut « être refusée aux voyageurs allemands. Il n'en est rien. Le droit « de demander une patente n'appartient qu'aux seuls négociants « qui justifient qu'ils ont en Suisse leur principal établissement.

« L'article 10 du traité de commerce ne parle pas du colportage c de maison en maison. » -- On voit combien la concurrence des voyageurs allemands et le traitement appliqué aux voyageurs suisses en Allemagne dominent les préoccupations.

Un correspondant de St-Gall propose dans le journal de fonder une société dont les membres s'engagent à ne rien acheter des colporteurs ni des voyageurs de commerce.

Le numéro du 7 juillet 1888 contient un article qui discute la question des voyageurs de commerce dans son ensemble. « Pourc quoi ne pas demander à l'assemblée fédérale la suppression pure « et simple des taxes de patentes ? Cela rétablirait, il est vrai, l'é« galité avec les voyageurs français. Mais qu'y aurions-nous gagné ?

« Au lieu de subir la concurrence d'un nombre restreint de mar« chands de vins et de confections, le régime de la nation la plus « favorisée nous inonderait de marchands allemands, autrichiens et « italiens. Le nombre de nos voyageurs suisses augmenterait aussi,

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« et quel tort irrémédiable serait fait à notre petit commerce éta« bli, quelle obsession pour les particuliers ! » La rédaction du journal ajoute une note : « II n'en est pas « moins vrai, dit-elle, que tout système uniforme serait préférable ·s au régime actuel, qui est mauvais, arbitraire, et qui expose dans -« certains cantons, particulièrement à Schwyz, les voyageurs de -* commerce à être traités par le premier gendarme venu comme ·« des vagabonds. > Le numéro du 15 mars 1890 cite avec éloge la nouvelle loi lucernoise sur les professions ambulantes, et le correspondant enre·gistre avec satisfaction qu'elle fait rentrer dans cette catégorie la .prise de souscriptions pour des livres, journaux et publications illustrées, ainsi que la prise de commandes chez les particuliers.

Le Luzerner-TagUatt, reproduit par le Merkur, dit que cette .loi aura pour effet de protéger le- public et le commerce établi.

La Ostschweiz, paraissant à St-Gall, publie dans son numéro .-du 16 février 1891 la notice suivante: « Un Autrichien peut, sans aucune entrave, ni aucuns frais, « sur la seule production de son acte d'origine, parcourir la Suisse ·« et faire des ventes sur échantillons chez tous les particuliers « (voyager au détail, colporter), tandis qu'un Suisse est contraint, ·< suivant le caprice de l'autorité de police régionale ou locale, qui « ne se pique pas de célérité, comme l'on sait, non seulement de « se soumettre minutieusement aux prescriptions de police des corn·« munes, de perdre ainsi non seulement des heures, mais des jour* nées entières d'un temps précieux, mais aussi de payer, non point ·« une taxe de patente, mais un impôt sur le chiffre de ses affaires ·» qui s'élève de 200 à 400 florins, dont le chiffre est fixé par une ·« commission spéciale, pour quelques pauvres ventes effectuées pen» dant une quinzaine de jours, et de le payer d'avance pour toute « l'année, en une seule fois. En outre, les autorités policières et fis« cales déploient en Autriche, notamment dans le Vorarlberg, une ri« gueur que l'on comprendrait pour une chose plus importante, ·« tandis que les autorités de police suisses font preuve, en sens in« verse, d'une véritable mansuétude. La ville de St-Gall, entre « autres, ne se distingue pas par sa sévérité et elle ferait bien de -e prendre exemple sur le canton de Thurgovie,
où l'on se montre « beaucoup plus strict, afin que, non seulement l'Etat ne soit pas « frustré d'une recette légitime, mais que le négociant établi, qui ~« supporte de lourds impôts, soit au moins protégé dans une cer-c taine mesure. Aussi 'disons-nous qu'en serrant de plus près l'ap·< plication des lois existantes et avec moins de laissez-faire dans

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« la négociation des traités, on arriverait à, un état de choses « plus supportable. » Je ferai remarquer que le point de départ de cet article me-, paraît erroné. Il n'est pas exact de dire que les voyageurs de commerce austro-hongrois soient aujourd'hui mieux traités en Suisse que= les nationaux. D'après le traité du 23 novembre 1888, ils sont astreints à la taxe de patente dans tous les cantons qui l'imposent aux voyageurs suisses.

·Voilà pour le courant négatif.

Les manifestations d'une tendance moins étroite sont beaucoup plus nombreuses. Je dois renoncer à les reproduire toutes. Je nedirai rien en particulier des articles de journaux qui ont paru, à.

diverses reprises, dans la Suisse française, toujours dans un sens favorable à une complète liberté.

On vient de voir que le Mêrkur, tout en étant l'organe attitré des voyageurs de commerce, accueille cependant des communications opposées à leurs revendications. D'autres articles du même-, journal représentent mieux les idées de la société.

Le numéro du 26 mai 1888 insiste sur l'inégalité de la réciprocité entre l'Allemagne et la Suisse. Dans certaines parties de l'Allemagne, on n'accorde pas de patente aux Suisses si le besoin del'article offert en vente ne se fait pas sentir dans la contrée. La.

suppression de cette réserve doit être exigée. Il est à présumer que,, lors du renouvellement du traité de commerce, l'Allemagne réclamera pour ses ressortissants les mêmes avantages qui sont concédésaux Français. C'est une raison de plus pour régler la question fédéralement avant la négociation d'un nouveau traité. Le net produit des patentes pourra être distribué aux cantons, comme le net produit de l'alcool. L'Allemagne a consenti, dans le protocole de 1881, l'atténuation que la franchise s'appliquait seulement aux voyageurs visitant les marchands. Mais, si nous ne faisons rien, elleréclamera la franchise complète, lors du renouvellement du traité.

Il est à noter que la commission zuricoise a renoncé à l'idée de la franchise complète pour les voyageurs prenant des commandes, chez les particuliers.

Le numéro du 4 mai 1889 revient sur le même sujet. La moyenne des taxes cantonales qui atteignent actuellement les voyageurs de commerce est de 400 francs par an. On ne pourrait alleisi loin pour la taxe unique et on propose 150 francs. Au lieu de
dire : le voyageur indigène doit être affranchi de toute taxe, commelé voyageur étranger, il faut renverser la proposition et dire : le voyageur étranger doit être soumis à une même taxe uniforme qu&

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le voyageur suisse. Il faudrait que, dans les grands cantons, pour plus de facilité, la patente ne soit pas délivrée uniquement au siège du gouvernement, mais dans les districts de la frontière. Des pénalités uniformes devraient aussi être établies pour les infractions.

Je dois encore ici relever une appréciation qui repose évidemment sur un faux calcul. La moyenne des taxes cantonales pour les voyageurs de commerce n'est pas de 400 francs par an, ou du moins elle ne l'est que théoriquement. Pour arriver à ce chiffre, il faudrait que les voyageurs de commerce fussent en route toute l'année. Mais on sait bien qu'ils ne se présentent qu'à certaines saisons. En réduisant ce chiffre de moitié, comme nous l'avons fait, on sera plus près de la vérité. En effet, il y a lieu de tenir encore compte, pour établir cette moyenne, du fait que les patentes sont divisées en classes, d'après la valeur de la marchandise, et que celles des classes inférieures ou intermédiaires sont de beaucoup les plus nombreuses.

La Schweizer Industrie» und Handels-Zeitung, à St-Gall, reproduit dans son numéro du 29 mai 1889 un article de la « Deutsche Industrie-Zeitung » sur la profession des voyageurs de commerce, devenant toujours plus la base du trafic international. Onrencontre les voyageurs allemands dans tous les pays d'outre-mer.

Les maisons de confection de Berlin en envoient chaque année plus de mille dans tous les pays du monde. Les fabricants d'articles de quincaillerie, de cuir, de bimbeloterie de la même ville en envoient plus de huit cents. Les fabricants de blanc, trois ou quatre cents. Les voyageurs pour les articles de métal argenté, d'or et d'argent, de passementerie, de ganterie, de fourrures et de tapis sont aussi plus de mille. Il y a en tout au moins six mille voyageurs de Berlin dans tous les pays d'Allemagne, d'Europe et d'outre-mer.

Aux Etats-Unis, dit le British-Trade-Journal, il y a un mouvement très marqué qui tend à supprimer la taxe des voyageurs de commerce.

En France, on s'occupe de leur procurer des billets de chemin de fer à prix réduit.

A Elbenf, une vingtaine de petits fabricants se sont syndiqués pour entretenir à frais communs des voyageurs qui portent leurs échantillons.

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2. Les sociétés.

Le 9 février 1889, la chambre suisse du commerce, siégeant ·sous la présidence de M. Cramer-Frey, conseiller national, prenait connaissance d'un mémoire très complet et fort intéressant sur cet objet, que le vorort lui proposait d'adresser au département fédéral ,de justice et police.

Ce document mérite qu'on l'étudié avec soin.

Trois questions avaient été soumises aux sections : 1. Faut-il agir immédiatement?

·2. Le vorort doit-il préparer un mémoire ?

3. Faut-il reprendre le projet d'arrêté fédéral de 1884, ou faut-il chercher une solution meilleure ?

Le Thurgauischer Handels- und Gewerbeverein se prononce nettement pour le maintien du statu quo. Son argumentation est spécieuse : les voyageurs français jouissent, il est vrai, d'une entière liberté en Suisse, mais les voyageurs suisses obtiennent la réciprocité en France, et le reste importe peu.

Il est d'ailleurs seul de son opinion.

D'autres sociétés pensent qu'il ne faut pas agir pour le moment, mais c'est pour des motifs d'opportunité.

Le Basler Industrie- und Gewerbeverein croit qu'il existe un courant permanent d'hostilité : le commerce de détail n'est pas favorable à la franchise de taxes pour les voyageurs de commerce ; beaucoup de communes tiennent au maintien de leurs taxes ; il faut éviter un nouvel échec.

La Finanz- und HandélsdireJction, du canton de Glaris, se prononce dans le même sens : le courant est à l'augmentation des taxes et non pas à leur suppression; un essai de restreindre sur ce point la souveraineté cantonale serait mal reçu; les opinions sont trop divergentes entre les cantons pour rendre possible l'établissement d'une taxe unique; certains cantons ne sauraient comment remplacer cet élément de recettes.

Les autres sections, favorables en principe à une nouvelle solution, se divisent en deux groupes : l'un, le moins nombreux, veut reprendre tel quel l'arrêté de 1883 ; l'autre veut essentiellement limiter la franchise complète des taxes aux seuls voyageurs qui traitent avec des marchands ou des personnes qui utilisent les articles vendus pour leur industrie.

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On rencontre dans le premier groupe la Société intercantonale des industries du Jura, -- l'Association commerciale et industrielle genevoise, -- le Sor,senverein de (ïlaris, -- la Kaufmännische Gesellschaft d'Aarau.

Ces sociétés font valoir diverses considérations : Elles reprochent à la jurisprudence fédérale ses inconséquences. Elles se plaignent en particulier de ce que, dans certains cantons (Argovie, Soleure, Berne), les patentes sont délivrées au minimum pour un mois et même à Baie-Campagne pour trois mois.

Ces taxes équivalent -souvent à une prohibition ; en effet, on n'imagine pas que pour aller prendre quelques commandes dans un canton et y-voyager quelques jours, ce qui se présente fréquemment, une maison de commerce veuille payer une taxe comme si elle faisait voyager effectivement pendant un temps beaucoup plus long. -- Elles se plaignent aussi de l'inégalité de traitement qui existe de canton à canton au point de vue de la .différence qui est établie par un certain nombre d'entre eux entre.les.maisons domiciliées, sur leur territoire et celles domiciliées dans d'autres cantons.

-- Ils font encore ressortir d'autres points de vue. Il est vrai que nos voyageurs n'ont à payer aucune patente dans un grand nombre de pays, mais la réciprocité n'est pour nous qu'apparente en raison des droits d'entrée excessifs qui .entravent l'importation de nos marchandises. -- Le chef d'une maison de gros peut traiter à l'intérieur de la Suisse des affaires qui se chiffrent par des centaines de mille francs chaque année et il ne paie rien. Pourquoi cette différence ? Pourquoi le marchand au détail, dès qu'il sort du territoire de sa commune, devient-il suspect? On allègue que lui et son voyageur sont trop pressants, qu'ils obsèdent le public et qu'ils encouragent les gens à faire des dettes en vendant trop facilement à crédit. Mais on peut faire les mêmes reproches aux marchands de gros. Personne n'est forcé de leur acheter quoi que ce soit et l'on peut renvoyer les uns et les autres. On dit que les voyageurs de commerce font concurrence aux magasins de détail de la localité, mais c'est réciproque entre les divers cantons et les diverses localités, en sorte qu'il y a compensation. -- Puis, le voyageur vend des articles et des genres que ne fournissent pas les magasins de la localité et que les particuliers
qui veulent se les procurer n'en auraient pas moins achetés hors de l'endroit. -- Comme la maison paie l'impôt à son siège pour toute sa fortune et toutes ses ressources, les taxes des patentes constituent une double imposition. -- II y a encore une flagrante inégalité de traitement avec des maisons qui remplissent d'annonces et de réclames la quatrième page des journaux et qui envoient directement aux Feuille fédérale suisse. Année XLIU. Vol. If L

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particuliers des albums de prix-couranta et des prospectus, établissements tels que «le Louvre», « le Printemps », le Bon Marché», dont la concurrence est bien autrement dangereuse pour le commerce local. -- Les taxes de patentes imposées au voyageur decommerce suisse sont pour lui une ruine et favorisent l'étranger.

-- Pourquoi y a-t-il tant de voyageurs de commerce faisant le détail chez les particuliers ? C'est parce que les maisons suisses.

particulièrement celles qui sont établies dans de petites villes ou à la campagne, ne peuvent se soutenir que par ce moyen. Si elles devaient rester confinées dans leur localité, le champ d'activité serait pour elles trop restreint, elles seraient condamnées à végéter,, elles ne pourraient pas fournir un choix et une variété d'articles suffisants. La prise de commandes dans d'autres cantons et d'autres villes est pour ces maisons une question d'existence.

En résumé, on peut dire : 1. que ces commandes s'imposent à notre industrie; 2. que la plupart des lois cantonales constituent à cet égard des atteintes évidentes à la liberté de commerce et d'industrie 3. qu'elles imposent des charges au commerce suisse sans 1& protéger en aucune façon contre la concurrence étrangère; 4. que les maisons qui prennent ces commandes sont soumises à une double imposition ; 5. qu'il existe dans un certain nombre de cantons une inégalité de traitement entre les citoyens du canton et ceux venant d'autres cantons; 6. qu'à tous ces points de vue, les taxes de patentes des voyageurs de commerce sont inconstitutionnelles.

Le deuxième groupe est représenté par le Kaufmännische DireJctorium, de St-Gall, -- la Société des industries de la soie, à . Zurich, -- le Eernischer Verein für Handel und Industrie, -- leSchweizerischer Spinner-Zwirner-und Weberverein, -- la Société suisse des voyageurs de commerce.

Le Kaufmännische Direktorium voudrait la suppression pure et simple de toute taxe; les taxes de canton à canton lui paraissent aussi inadmissibles que les péages à l'intérieur, les droits de pontonage et autres barrières analogues. La situation est d'autant plus intolérable que les étrangers sont favorisés au détriment des nationaux, Toutefois, il y a lieu de donner satisfaction à l'opinion publique en établissant une différence entre ceux qui prennent des commandes dans les magasins et ceux qui visitent aussi les particuliers. On pourrait compléter dans ce sens l'arrêté fédéral da 1883.

51 La Kaufmännische Gesellschaft, de Zurich, se place au même point de vue; elle irait encore plus loin et serait pour la suppression complète de toute taxe, si la Société suisse des voyageurs de commerce ne s'était pas prononcée en faveur d'une taxe unique.

L'essentiel est de créer un régime uniforme, le même pour tous.

Il faut sortir la question du domaine cantonal pour la remettre à la Confédération. La Suisse n'a pas osé imposer aux étrangers le régime anormal qu'elle fait subir à ses propres ressortissants. Il en a été de même pour la question des juifs et pour la protection des marques de fabrique. Or, toutes les fois qu'il en est ainsi, c'est la preuve que notre régime suisse à l'intérieur est devenu intenable. -- La société demande une patente unique et annuelle de 100 francs. Les cartes de légitimation seraient confectionnées par la Confédération et déposées dans les cantons. La répartition du produit aurait lieu par tête de population. On pourrait même examiner s'il n'y aurait pas lieu d'imposer aux voyageurs de maisons étrangères des taxes plus élevées.

La Société pour les industries de la soie et le Bernisclie Handels- und Industrie-Verein se prononcent dans le même sens.

Le Spinner-Zwirner-und Weberverein voudrait une taxe uniforme et unique pour les colporteurs et les voyageurs prenant des commandes de maison en maison.

Déjà lors de l'élaboration du projet d'arrêté fédéral de 1883, la Société suisse des voyageurs de commerce avait adressé au conseil fédéral une pétition dans laquelle elle demandait que les gouvernements cantonaux fussent invités à mettre à bref délai leurs lois et ordonnances sur l'exercice des industries en harmonie avec la constitution fédérale et que ces lois et ordonnances fussent suspendues jusque-là comme inconstitutionnelles.

Cette fois encore, ces premiers intéressés n'osent pas demander l'exemption complète. Ils se bornent à réclamer une taxe unique et uniforme pour les voyageurs suisses et les étrangers. Ils énumèrent les effets d'une pareille mesure : les cantons n'y perdraient rien financièrement ou du moins fort peu de chose; les petits magasins seraient protégés contre une concurrence excessive; l'inégalité avec les étrangers et de canton à canton prendrait fin ; la France, qui a repoussé les taxes cantonales, accepterait une taxe unique. Si l'on
prononçait la franchise complète, le commerce local serait débordé. Il faut établir une différence bien nette entre les voyageurs de gros et les voyageurs au détail. Le peuple suisse ayant à choisir entre la franchise complète et une taxe uniforme se prononcerait certainement pour la seconde alternative. On ne

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peut plus alléguer les besoins financiers des cantons, depuis que les recettes de l'alcool leur ont créé de nouvelles ressources.

Le vorort partage l'opinion du Directoire de St-Gall et de la Kaufmännische Gesellschaft de Zurich, mais il fait cette concession uniquement pour des raisons d'opportunité. La franchise complète de toute taxe serait la solution la plus vraie et la plus juste. Il n'y a pas d'obstacle constitutionnel ou législatif à la mesure proposée, en présence du fait que les cantons ont pu, malgré l'arrêté fédéral de 1859 et l'article 31 de la constitution fédérale, établir avec le consentement tacite de la Confédération les taxes les plus arbitraires. La lettre c de l'article 3l donne à la Confédération la . compétence nécessaire. Seulement il est à craindre qu'on ait à lutter contre l'opposition de droite et celle de gauche : de droite, les cantons et les communes qui perçoivent de grosses taxes ; de gauche, les cantons qui n'en ont point et font beaucoup voyager, comme Baie et Genève. Encore ne faudrait-il pas établir une taxe unique tellement fiscale qu'elle soit de prime abord repoussée par l'étranger, ou qu'on soit obligé d'eu revenir.

Dans la séance tenue le 9 février 1889, M. Numa Droz, conseiller fédéral, chef du département des affaires étrangères et du commerce, exprimait des doutes sur l'efficacité de la mesure proposée par le vorort. Du moins avait-il remporté cette impression d'un entretien qu'il avait eu à ce sujet avec son collègue, le chef du département fédéral de justice et police. Les Français consentiront tout au plus à une taxe uniforme, établie à un taux très bas, comme ils la paient eu Belgique. Si l'on ne s'en tient pas à l'arrêté fédéral de 1859, qui n'a jamais été abrogé, et à l'arrêté de 1883, rejeté par le peuple à une faible majorité seulement, il faut chercher un moyen terme. La constitutionnalité d'une taxe fédérale peut être contestée. On pourrait faire ceci : les voyageurs prenant des commandes, avec ou sans échantillons, chez les particuliers, paieraient une taxe de 100 francs au maximum dans le canton de leur domicile. Les voyageurs de maisons étrangères à la Suisse paieraient cette taxe dans le premier canton qu'ils visitent.

La carte de légitimation serait dressée sur un modèle fédéral. La législation sur le colportage et le déballage serait
laissée aux cantons. Si l'on ne s'entend pas, on ira au-devant d'un nouvel échec.

La chambre du commerce décidait de ne pas entrer en matière sur le projet de lettre du vorort, et elle invitait celui-ci à soumettre à une nouvelle assemblée de délégués des propositions positives au sujet desquelles elle se réservait de donner son opinion par écrit.

53 Une nouvelle réunion de la chambre du commerce avait lieu le 30 avril suivant à Zurich. Le bureau, sous la présidence de M. Cramer-Prey, proposait la résolution suivante: « L'assemblée des délégués de l'Union suisse du commerce et « de l'industrie décide de prier le conseil fédéral : « 1. De soumettre le plus tôt possible à l'assemblée fédérale un nouveau projet d'arrêté fédéral concernant les taxes des patentes des voyageurs de commerce, de manière à ce qu'il puisse entrer en vigueur au plus tard dans la première moitié de l'année 1891.

« 2. De s'inspirer pour la rédaction de ce projet des principes « suivants :

« « « «

« a. Sont envisagés comme négociants en gros tous voyageurs « de commerce suisses ou étrangers qui sont en relations d'affaires « uniquement avec des clients qui achètent leurs articles pour les « revendre ou pour les besoins de leur profession. Ces voyageurs, « moyennant qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux, peuvent, « sur la simple constatation de leur identité, prendre des comman« des dans toute la Suisse, avec ou sans échantillons.

<* « « «

« 6." Tous autres voyageurs suisses ou étrangers sont envisagés comme faisant le détail. Ils peuvent, moyennant la production d'une carte de légitimation, valable pour une année dès sa date, et sous la condition de ne pas prendre de marchandises avec eux, voyager sur tout le territoire de la Confédération.

« c. La carte de légitimation est de la teneur suivante :

« La taxe est de 150 francs et celui qui l'a payée est af« franchi pour sa durée de toute autre taxe cantonale ou com« munale.

« La carte de légitimation est prise, par les voyageurs de mai<· sons établies à l'intérieur de la Suisse, au bureau ouvert dans le « canton de leur domicile, et par les voyageurs de maisons étran« gères, au bureau du canton qu'ils visitent en premier lieu.

« d. Disposition penalo en cas d'usage abusif de la carie de « légitimation.

« e. A la fin de chaque année, le produit de cette recette, sous « déduction d'un droit de perception de 4 °/0, est versé par les can« tons à la caisse fédérale et réparti entre eux par tête de popu« lation.

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« f. La législation sur le colportage et le déballage demeure « aux cantons. * Le vorort exposait que ces propositions sont basées, d'une manière générale, sur celles d'une assemblée de délégués de la société suisse des voyageurs de commerce. Elles paraissent au vorort préférables à celles de M. Droz, qui laisseraient subsister des inégalités.

La distinction principale est établie entre le gros et le détail.

Les voyageurs de gros sont actuellement affranchis de toute taxe, sauf dans le canton de Schwyz. L'opinion générale en Suisse demande que les voyageurs au détail soient imposés. La distinction entre ces deux genres d'affaires se fait pratiquement avec beaucoup de facilité.

Un droit de 150 francs par année doit être envisagé comme une transaction entre l'état de choses actuel et la franchise complète. Il ne serait pas possible d'établir pour toute la Suisse une taxe unique de 400 francs. Cela ne serait pas juste, puisque la plupart des maisons vendant au détail ne font voyager que dans un rayon assez restreint.

La société suisse des voyageurs de commerce insiste pour que la matière soit réglée législativement par la Confédération avant la négociation de nouveaux traités de commerce.

Le protocole donne quelques renseignements sur la discussion qui a suivi cette communication.

M. Rodolphe Schmid voudrait porter la taxe à 200 francs pour diminuer l'ennui des visites à domicile. -- M. Heitz appuie cette opinion pour diminuer la perte fiscale des cantons. -- M. A. Jenny-Kunz demande une taxe par zones. -- M. Hohl ne croit pas que le peuple suisse ait changé d'avis. Il approuve cependant les propositions du vorort, qui sont adoptées.

La chambre du commerce autorise son président à soumettre, en son nom, les résolutions qu'il a rédigées à l'assemblée des délégués de l'union suisse du commerce et de l'industrie.

L'assemblée des délégués a voté ces propositions le même jour (30 avril 1889).

Au mois de mai 1890, le vorort, en transmettant au département fédéral de justice et police le procès-verbal de l'assemblée des délégués de 1890, insistait sur l'impossibilité de maintenir l'état de choses actuel et sur la relation intime d'une réforme apportée dans ce domaine avec les -négociations prochaines en vue de la con-

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·clusion de nouveaux traités de commerce. A la suite de nouvelles démarches, le chef du département a fait espérer la présentation d'un projet de loi pour le printemps 1891.

Le comité central de la société suisse des arts et métiers s'est aussi préoccupé des taxes imposées à nos voyageurs de commerce.

Un journal nous fournit des détails sur une séance du comité qui a eu lieu au printemps de 1890. Le comité demande que le bénéfice de la réciprocité soit mieux garanti par les traités. La distinction entre voyageurs de gros et voyageurs au détail est vivement critiquée. Le sentiment démocratique, dit M. Scheidegger, directeur des Lehrwerkstätten, à Berne, est blessé de voir affranchir de la patente le voyageur d'un marchand de vins, qui prend des commandes dans les établissements publics, tandis que son collègue, qui place une pièce chez un particulier, doit payer cet impôt. -- M. le Dr Stössel fait observer que la patente a principalement pour objet de protéger le public contre l'indiscrétion des colporteurs et des voyageurs au détail. Elle est trop minime comme recette pour avoir Tine importance fiscale. -- On fait remarquer qu'en France tous les voyageurs de commerce sans distinction paient une patente de 20 francs. -- M. Huber-Burkhardt, de Baie, fait ressortir la nécessité de protéger le commerce établi à la frontière contre l'invasion des artisans et marchands au détail étrangers, qui ne paient ni taxes, ni impôts. Il vaut la peine de voir la cbose de près dans les traités de commerce. Les artisans occupés au bâtiment, venant <3e Suisse, paient une taxe spéciale dans le grand-duché de Bade, même lorsqu'ils n'y travaillent que temporairement. -- Ce qu'on entend par réciprocité, est-il dit encore, c'est que les voyageurs de commerce indigènes jouissent de tous les avantages concédés aux voyageurs étrangers en Suisse et que les Suisses jouissent à l'étranger de tous les avantages dont les étrangers profitent dans leur propre pays. Or, l'Autriche-Hongrie, par exemple, est fermée aux voyageurs de commerce suisses, faisant le détail, lorsqu'ils ne sont pas établis dans l'Empire. -- Le colportage et le déballage doivent ·être laissés aux cantons.

Le comité central décide de présenter à l'assemblée des délégués de la société les résolutions suivantes : 1. Eéciprocité. 2. Patente unique. 3. Surveillance rigoureuse exercée sur les voyageurs de commerce. 4. Interdiction de la vente de marchandises et d'échantillons, sous peine du retrait de la patente.

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L'enquêté à laquelle le comité central s'est livré auprès des sections de la société des arts et métiers donne' les résultats suivants : 1. Sur quinze sections, quatorze se prononcent en faveur d'une loi fédérale. Liestal veut laisser l'affaire aux cantons.

2. Toutes les sections, sauf Beute-Oberegg, se prononcent contre l'exemption de toutes taxes. Huit sections veulent la franchise pour les voyageurs de gros et la taxe seulement pour les voyageurs au détail. Le Gewerbeverein de Zurich veut soumettre les voyageurs de gros- à une taxe modérée.

3. La section d'Arbon et la société des maîtres-cordonniers se prononcent seules pour la taxe uniforme de 150 francs. La section de Schaffhouse envisage ce chiffre comme un maximum.

4. La réciprocité la plus stricte doit être stipulée dans les traités de commerce.

5. Il est généralement reconnu que la concurrence des voyageurs de commerce fait le plus grand tort aux négociants établis et qu'elle exerce une influencé fâcheuse sur le public à cause de l'excessif bon marché, des longs crédits, qui sont des appâts, et de la facilité de contracter des dettes.

6. Concernant les rapports de frontière, la section de Schaffhouse constate qu'il est très rare que les artisans suisses trouvent de l'occupation dans le grand-duché de Bade. Les Allemands n'occupent en général que leurs nationaux, et les Suisses devraient en faire autant.

L'assemblée des délégués, réunie à Altorf, le 15 juin 1890, écrit sous la signature de son président, M. le Dr Stessei, au département fédéral des affaires étrangères, section du commerce, qu'après avoir mis en discussion au sein de son comité central et de ses sections les taxes de patente des voyageurs de commerce, elle a voté les résolutions suivantes : 1. Les artisans suisses donneront volontiers la main à l'élabosation d'une loi fédérale, dans le but : a. d'assurer en Suisse l'égalité de traitement entre les voyageurs suisses et les voyageurs étrangers ; b. d'introduire une taxe de patente unique qui remplace celles des cantons.

2. Les voeux suivants sont ajoutés aux propositions de l'union suisse du commerce et de l'industrie :

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a. une réciprocité stricte pour les taxes des voyageurs de commerce doit être exigée dans la négociation des nouveaux traités de commerce ; b. une finance de contrôle unique doit être exigée de tous les voyageurs, afin de les placer sous une surveillance plus sévère ; la vente d'échantillons et de marchandises doit leur être rigoureusement interdite, sous peine du retrait de la patente ; c. en fixant le chiffre de la taxe, il y a lieu de tenir compte soit de l'ennui causé au public par les colporteurs et voyageurs au détail, soit du dommage qui résulte de l'exercice de ces professions pour le commerce établi qui paie les impôts ; en d'autres termes, d'adopter une taxe aussi élevée que possible.

Je pourrais ajouter aux manifestations de la presse et des associations de nombreuses communications individuelles qui me sont parvenues. Elles sont en général très catégoriques. Ainsi que me l'écrivait récemment le chef d'une maison de commerce neuchâteloise, « il n'y a pas trop de tout le territoire suisse pour champ « d'activité, si des établissements de commerce sérieux veulent lutter « chez nous contre la concurrence étrangère qui rayonne dans des « pays dix fois plus grands que le nôtre.... Les taxes cantonales « forcent les négociants suisses à créer dans les cantons à prohibi« tion des succursales fictives, des dépôts d'échantillons, des repré« sentants sur place, etc., tout autant de moyens qui échappent « pour la plupart au contrôle de la police et au paiement de la « patente. »

V.

Les colporteurs.

1. Sont-ils exemptés par les traités ?

Un nommé Hunold, marchand de plantes des Alpes, à Oberurnen (Glaris), demandait, en 1882, à l'administration du district d'Engen, au grand-duché de Bade, ce que lui coûterait une carte de légitimation pour colporter durant un mois ses produits dans ce district.

L'administration du district d'Engen lui répondait : 1. Que dans le grand-duché la carte de légitimation coûterait 3'/2 marcs et l'impôt industriel pour colportage 3 marcs par mois.

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2. Qu'on ne lui délivrerait aucune carte de légitimation, attendu que le besoin de colporteurs de plantes des Alpes ne se faisait pas sentir dans le district.

Hunold porta ses plaintes auprès du ministre suisse à Berlin, lequel lui répondit en substance que la décision du district d'Engen était conforme à un édit du chancelier de l'Empire, du 7 mars 1877, et qu'elle était conforme au traité d'établissement entre la Suisse et l'Allemagne.

Le 30 juin de la môme année, le gouvernement de Glaris transmit toute l'affaire au conseil fédéral, moins, disait-il, dans l'espoir d'obtenir une solution favorable au désir de son ressortissant que pour être fixé sur le sens à donner au traité avec l'Allemagne, et par conséquent sur le droit qu'ont les cantons suisses de soumettre à des taxes les colporteurs allemands.

Le département fédéral de justice et police soumit le cas à un examen approfondi. J'ai sous les yeux le mémoire qu'il avait préparé pour être soumis au conseil fédéral, et j'emprunte à ce document les développements qui vont suivre.

Il existe sur la matière deux traités entre la Suisse et l'Allemagne : le traité d'établissement, du 27 avril 1876, et le traité de commerce, du 23 mai 1881.

A.

Le département rappelle les clauses de l'article 1er du traité d'établissement, aux termes duquel « les Allemands seront traités « et reçus en Suisse, relativement à leurs personnes et à leurs proc priétés, sur le même pied et de la même manière que le sont ou « pourront l'être à l'avenir les ressortissants d'autres cantons. Ils « pourront en conséquence aller, venir, séjourner temporairement et « s'établir d'une manière permanente en Suisse, en se conformant « aux lois et règlements de police.

«Tout genre d'industrie et de commerce permis aux ressortis« sants des divers cantons le sera également aux Allemands, sans « qu'on puisse en exiger aucune condition pécuniaire ou autre plus « onéreuse. » L'article 3 du même traité assure aux Suisses en Allemagne tous les droits que l'article 1er donne aux Allemands en Suisse.

Il semble résulter des articles précités, dit le département, que les Suisses doivent être admis à exercer le colportage en Allemagne au même titre que les Allemands, et cela quand même ils seraient domiciliés. en Suisse et n'iraient en Allemagne qu'à titre de séjournants.

59 Mais il est survenu, postérieurement à la date du traité, un fait nouveau : Le ministre d'Allemagne en Suisse a adressé, le 10 décembre 1876, une note au conseil fédéral, lui proposant d'insérer dans le protocole d'échange des ratifications une explication portant que le colportage (Peilbieten im Umherziehen) ne serait pas compris dans les divers genres de commerce dont parle l'article 1er.

La note du ministre plénipotentiaire fait remarquer que ni en Allemagne, ni en Suisse, il n'y a de loi uniforme sur le colportage et que la Suisse a déjà, dans son traité d'établissement avec l'Autriche, mis le colportage en dehors des genres de commerce réciproquement garantis aux ressortissants des deux pays.

Cet allégué, concernant le traité d'établissement austro-suisse, est exact. L'article 1 de ce traité dit expressément que l'égalité de droits assurée aux ressortissants des deux pays ne s'étend ni à l'exercice de la pharmacie, ni au colportage. D'où il résulte qu'on pourrait soutenir qu'un Autrichien, même domicilié en Suisse, pourrait être exclu du droit de colporter ou pourrait être soumis à des taxes plus fortes que celles qu'on exige des Suisses, et réciproquement.

A la note du général de Rôder, du 10 décembre 1876, le conseil fédéral répondit qu'il admettait que le traité d'établissement avec l'Allemagne ne s'appliquait pas au colportage (Hausirhandel) de pays à pays, mais que les citoyens d'un pays, établis dans l'autre, devraient y être assimilés aux nationaux, même pour le colportage (19 décembre 1876).

Le ministère allemand des affaires étrangères insista pour que le conseil fédéral consentit à échanger avec lui une déclaration portant purement et simplement que le colportage fait par des Allemands en Suisse ou par des Suisses en Allemagne demeurait soumis aux lois particulières des divers Etats ou des divers cantons.

Mais, dans sa séance du 26 décembre 1876, le conseil fédéral décida, sur le vu de cette proposition, de maintenir sa décision du 19 du même mois, estimant que la proposition allemande constituerait une modification du traité, ce à quoi le conseil fédéral ne pouvait consentir, puisque le traité avait été ratifié par l'assemblée fédérale.

Il n'existe pas en mains de l'autorité suisse un document indiquant expressis verbis quelle détermination l'Allemagne a prise ensuite de
l'attitude du conseil fédéral. -- On trouve au dossier une lettre de la légation suisse à Berlin, qui rend compte d'un entretien qu'elle a eu, au sujet de la ratification du traité d'établissement, avec le conseiller de légation Hellwig. Cette lettre est du 27 décembre ; la légation suisse connaît la décision fédérale du 19 ; elle l'expose à M. Hellwig. Ce dernier reconnaît qu'elle est conforme

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au traité, tandis que, selon lui, la proposition allemande modifie effectivement le traité. Mais, ajoute M. Hellwig, l'Allemagne tient à sa proposition, parce que depuis plusieurs mois elle prépare une loi pour autoriser les Etats à interdire aux étrangers le colportage lorsque ces Etats estimeront que les besoins locaux ne le demandent pas. Et si, dit encore M. Hellwig, on faisait une exception en faveur des Suisses, il faudrait l'étendre à tous les pays qui jouissent de la clause de la nation la plus favorisée.

A la date du 28 décembre 1876, le ministère allemand des affaires étrangères soumit à la légation suisse à Berlin un projet de protocole pour l'échange des ratifications, projet qui ne fait aucune mention du colportage, et ce protocole fut signé le 31 du même mois.

L'insuccès partiel des démarches faites par l'Allemagne, comme on vient de le voir, pour faire admettre que le traité ne s'appliquait pas au colportage, n'a pas empêché le gouvernement allemand d édicter, à la date du 7 mars 1877, les dispositions qu'il avait projetées. D'après l'article 1er de ces dispositions, l'étranger qui veut exercer une industrie ambulante en Allemagne doit être muni d'une carte de légitimation, et, d'après l'article 2, il ne pourra plus être délivré de ces cartes lorsqu'il en aura été remis pour la même industrie à un nombre de personnes correspondant aux besoins du district.

Ces dispositions n'ont pas été ignorées du conseil fédéral. Il les mentionne dans son rapport de gestion de 1877, mais se borne à dire qu'il est intéressant de les étudier au point de vue de l'interprétation du traité d'établissement.

Le département examine : 1. si, conformément à l'interprétation stricte du traité, cette ordonnance ne peut pas s'appliquer aux Suisses ; 2. ou si, conformément à la proposition du conseil fédéral, des 19 et 26 décembre 1876, elle peut s'appliquer aux Suisses domiciliés en Suisse, mais non à ceux qui sont établis en Allemagne ; 3. ou enfin si, comme le demande l'Allemagne, elle s'appliquerait à tous les Suisses, comme en général à tous les étrangers à l'Allemagne, même s'ils étaient domiciliés et établis dans ce dernier pays.

Le département estime que le conseil fédéral doit s'arrêter à la deuxième de ces solutions.

Il ne pourrait accepter la troisième, puisqu'il l'a déclarée être une modification du traité, modification qu'il n'était pas autorisé à,

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consentir, et puisque le gouvernement allemand n'a pas insisté, devant le refus du conseil fédéral, pour faire insérer dans le protocole d'échange des ratifications cette interprétation, ou plutôt ·cette modification du traité.

11 ne pourrait pas non plus insister sur la première solution, si même il la reconnaissait correcte, car il a offert, les 19 et 26 décembre 1876, de dire que l'article 1er, deuxième alinéa, ne s'appliquait pas au colportage de pays à pays. Il est vrai que sa proposition n'a pas été expressément acceptée; mais, puisqu'il l'a présentée comme donnant l'interprétation, c'est-à-dire le véritable sens ·de l'article Ier, il ne peut en revenir.

B.

Le mémoire discute ensuite les conséquences découlant du traité de commerce conclu avec l'Allemagne le 23 mai 1881. J'ai déjà abordé cette question dans le chapitre III du présent rapport et fait ressortir comment la subite volte-face de la jurisprudence fédérale dès l'année 1878 a exercé de l'influence sur l'interprétation donnée à ce traité et au traité d'établissement.

Voici encore une autre preuve que les traités avec l'Allemagne n'assurent pas aux Suisses le droit de colportage dans ce pays. En Bavière aussi, il appartient à l'autorité locale de décider souverainement si le besoin du colportage de tel ou tel article se fait sentir.

Lorsque la demande est accordée, le requérant doit payer l'impôt du royaume et une taxe de 40 marcs. Encore cela ne lui donnet-il le droit de colporter ses marchandises que dans un arrondissement.

Je reviendrai plus loin sur la situation faite en Allemagne à nos voyageurs de commerce, mais, pour ne parler que des colporteurs suisses, je tire la conclusion de ce qui' précède qu'ils ne jouissent de fait en Allemagne d'aucune espèce de garantie. -- Ils sont formellement exclus de toute protection dans le traité avec l'Autriche-Hongrie. -- D'autre part, aucune réserve n'existe en leur faveur dans les autres traités, en sorte que la clause de la nation la plus favorisée ne leur est point applicable.

Il y a donc cette différence essentielle entre les voyageurs de commerce et les colporteurs, c'est que pour les premiers nous sommes liés par une série de traités dont nous ne pouvons faire abstraction pour notre législation intérieure, tandis que pour les seconds la Suisse et ses cantons ont la main entièrement libre, ou du moins la Suisse n'est-elle tenue envers aucune puissance à les traiter mieux que ses propres ressortissants.

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2«. La situation des colporteurs doit-elle être réglée eu même temps que celle des voyageurs de commerce?

Sous l'empire de la constitution fédérale de 1848, qui garantissait la liberté de commerce de canton à canton, la majorité de la commission du conseil national faisait valoir, à l'appui de l'arrêté du 29 juillet 1859, la différence existant entre les voyageurs de commerce et les colporteurs. Ces derniers font leurs affaires à l'intérieur d'un canton, tandis que les voyageurs de commerce sont les agents du trafic intercantonal et même international. Avec la, vente sur échantillons et la prise de commandes à domicile, le vendeur est dans un canton et l'acheteur dans un autre. C'est bien l'état de fait qu'a voulu prévoir la constitution, en garantissant la liberté de commerce.

Blumer, dans son Bundesstaatsreclit, n'est pas entièrement d'accord avec ce point de vue, les colporteurs étant à ses yeux, dans une mesure presque aussi grande que les commis-voyageurs, les intermédiaires des relations commerciales de canton à canton.

Néanmoins, cette distinction a dominé le droit public suisse pendant de longues années. La doctrine de l'arrêté fédéral de 1859 se trouve encore confirmée clans l'arrêté fédéral de 1860 rejetant le recours du gouvernement de Thurgovie, qui voulait établir la distinction entre les commandes prises chez les négociants et celles prises chez les particuliers. L'arrêté fédéral de 1859, dit l'arrêté de 1860, a fixé la ligne de démarcation entre les colporteurs et les déballeurs, d'un côté, et les voyageurs de commerc.e, de l'autre.

Elle réside dans le fait essentiel de porter avec soi des marchandises.

Ce n'est pas cependant qu'on n'ait rien tenté pour supprimer ou du moins pour atténuer les autres restrictions apportées à la liberté du travail, du commerce et de l'industrie. Le conseil fédéral en fit l'essai, lors de la revision partielle de la constitution en 1865. Il admit et discuta entre autres points de revision « le droit de libre industrie dans toute l'étendue de la Confédération». Mais les chambres fédérales ne se rangèrent pas à ce point de vue. Les rapports de leurs commissions font, au contraire, ressortir que si l'exercice des industries était rendu libre en dehors des frontières cantonales, les citoyens non établis obtiendraient, contre toute justice, un privilège
sur les citoyens établis qui paient les impôts.

Le maintien de la distinction entre les voyageurs de commerce et les colporteurs puise donc ses origines dans notre droit public.

Existe-t-il des raisons déterminantes pour revenir sur cette différence ? La méthode la meilleure de s'en rendre compte me

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paraît consister à examiner les services respectifs que ces deux professions rendent aux populations.

Or, sur ce terrain de leur utilité relative, il n'y a pas d'hésitation possible.

Tandis que les voyageurs de commerce deviennent chaque année davantage les intermédiaires du négoce international, tandis que ces agents ont incontestablement pour eux l'avenir et que les gouvernements envisagent comme leur devoir de les protéger le plus possible, tandis que cette tendance se manifeste de plus en plus, il me paraît, au contraire, que les professions de colporteur et de déballeur ne doivent pas être encouragées, parce qu'elles ont cessé de répondre à un besoin général. Elles ont eu certainement leur utilité à une époque où les communications étaient rares et difficiles. L'arrivée du colporteur, avec sa balle contenant toute espèce d'objets d'emploi usuel ou de fantaisie, était un petit événement dans les villages et hameaux reculés et dans les fermes de la montagne. Le déballeur fournissait aux gens l'occasion de renouveler leur garde-robe sans avoir à, faire un voyage long et coûteux. On pouvait alors, mieux qu'aujourd'hui, passer sur les inconvénients que présente l'arrivée de ces industriels, puisqu'ils étaient en partie compensés par les avantages qu'on en retirait.

Mais il n'en est plus ainsi maintenant que le pays est sillonné de routes et de chemins de fer. Les habitudes se sont transformées, les voyages dans l'intérieur du pays sont beaucoup plus fréquents, les magasins sont beaucoup plus nombreux et mieux approvisionnés, les conditions de choix et de bon marché se rencontrent partout.

D'autre part, il y a, parmi les colporteurs, beaucoup d'individus plus ou moins suspects. Sous le couvert de ce métier, ils trouvent le moyen de s'introduire dans les maisons isolées ou dans celles dont les habitants sont momentanément absents. A chaque instant, il se présente des cas de ce genre, des vols sont signalés, mais ils n'arrivent pas au jugement devant les tribunaux, parce que leurs auteurs n'ont pu être atteints. L'origine des marchandises exposées en vente aux étalages, déballages et liquidations est le plus souvent très louche. On sait, mais sans pouvoir en faire la preuve juridiquement, qu'elles ont été acquises à vil prix et soustraites à des masses en faillite. Il existe de pays à pays des
associations organisées, de véritables bandes qui opèrent par l'escroquerie, l'abus du crédit, la banqueroute frauduleuse et le recel.

Lorsqu'on achète aux colporteurs et aux déballeurs, on est ordinairement très mal servi. Leurs articles sont presque toujours de qualité très inférieure ou de rebut. Un marchand établi hésite

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.à tromper le publie, parce qu'indépendamment de toute autre considération d'honnêteté, il s'exposerait à perdre sa clientèle. Il en est de même du voyageur de commerce, qui revient à époques 'fixes et représente une maison connue. Ni l'un ni l'autre ne voudraient s'exposer à des reproches mérités. S'ils devenaient coutu.miers du fait, ils feraient un calcul ruineux. Le colporteur et le déballeur n'ont pas les mêmes scrupules, ils circulent de pays à pays, de canton à canton, sont irréguliers, ne se montrent que de loin en loin, changent de nom et ne sont plus là pour entendre les plaintes de ceux dont ils ont exploité la crédulité.

Ces professions ne doivent pas être favorisées, parce qu'elles ·sont inutiles et dangereuses. Chaque profession n'a droit à la sollicitude du gouvernement et du pays que dans la mesure des services qu'elle rend à la société. C'est le principe d'utilité générale qui l'emporte sur d'autres motifs. Ici, les services me paraissent très contestables. Je connais, pour les avoir vus de près, les individus qui exercent ces métiers. Ils sont pour la plupart assez peu intéressants. Quand ce n'est pas du recel, c'est de la mendicité déguisée, et la mendicité est interdite par la loi pénale. C'est souvent l'un et l'autre. Dans beaucoup de maisons, on remarque un écriteau portant : La mendicité et le colportage sont interdits.

Je me sens d'autant plus à l'aise pour parler ainsi que les gens qui exercent ces professions ne sont pas des travailleurs, dans le sens fécond de ce mot; ils ne sont pas des producteurs, mais . seulement des intermédiaires superflus, onéreux et fréquemment malhonnêtes.

Tout ce qu'on peut dire en faveur du colportage, et du colportage seulement, c'est qu'il met de pauvres gens, des vieillards, des infirmes, à l'abri du besoin. Il y a aussi des femmes qui gagnent péniblement leur vie à ce métier. Je veux tenir compte de cette raison de sentiment. Rien n'empêchera les cantons de délivrer des patentes gratuites à leurs ressortissants qui se trouvent dans l'un de ces cas. Le canton de Neuchâtel le fait depuis plusieurs années et il a tiré par ce moyen plusieurs familles de la misère.

Dans la consultation à laquelle s'est livré le vorort de l'Union suisse du commerce et de l'industrie, l'impression qui s'est dégagée, en ce qui concerne le colportage, c'est que
la loi fédérale, si on en fait une, ne 'doit pas le favoriser, mais au contraire chercher à l'endiguer par des taxes élevées. C'est du moins l'opinion la plus généralement répandue dans le monde des affaires. Ainsi que me l'écrivait récemment un grand industriel de la Suisse allemande, membre des chambres fédérales, on envisage que le plus grand tort fait à nos artisans et à notre petit commerce provient

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toujours du colportage et du déballage. Il se produit notamment ·depuis l'Allemagne une véritable invasion.

Dans certains milieux, on va même plus loin, on n'en fait pas seulement une question d'utilité, on s'attaque au principe, on ne craint pas de heurter de front la liberté de commerce. On dit couramment que l'école de Manchester a fait son temps, et, de même qu'elle est abandonnée en matière de douanes, qu'elle ne tient plus debout à l'intérieur du pays. La Suisse a fait u^e législation sur les fabriques, elle veut assurer les ouvriers contre les accidents et la maladie, elle prend des mesures de police contre certaines exhibitions dans les foires et fêtes publiques, elle protège les marques de fabrique et les brevets d'invention, elle impose le repos du dimanche, elle prend toutes ces mesures pour le bien général, sans s'inquiéter du tort qui peut en résulter pour certains intérêts particuliers. Elle ne devrait pas reculer, et avoir le courage d'interdire complètement les professions ambulantes.

Cette opinion est fort loin de devenir prépondérante, mais je la cite comme un symptôme de la réaction qui s'est produite.

Et, si l'on se place au point de vue de l'opportunité, des chances de succès que pourraient avoir auprès de l'assemblée fédérale et du peuple suisse de nouvelles propositions qui leur seraient soumises, je pense qu'il ne faut pas compromettre la cause des voyageurs de commerce, assez difficile par elle-même, en l'associant à celle des colporteurs, déballeurs et étalagistes.

Nous avons vu dans le cours de ce travail que les taxes de patentes prélevées sur les voyageurs de commerce représentent seulement un sixième du produit total des taxes sur les professions ambulantes. La conséquence à tirer de ce rapprochement, c'est qu'il faut se garder de toucher aux taxes de colportage et de déballage, qui ont une toute autre importance pour les cantons et pour les communes.

J'arrive ainsi à la conclusion naturelle que le colportage et le ·déballage doivent être laissés aux cantons, sous la réserve du contrôle de la Confédération en ce qui concerne la liberté de commerce et d'industrie. Il n'y a aucun intérêt à les placer sur la même ligne que les commis-voyageurs. Il n'en résulte point d'ailleurs que, dans la négociation des nouveaux traités, la Suisse doive renoncer à prendre des
mesures réellement efficaces contre l'envahissement des colporteurs et des déballeurs venant du dehors.

Nous sommes en état de légitime défense. Les fâcheux effets ·de cet état de choses ne sont pas compensés par les taxes, si élevées soient-elles.

Feuille fédérale suisse. Année XLIII. Vol. III.

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Nos propres ressortissants, qui colportent et vendent des articles similaires, paient les impôts cantonaux et communaux, font le service militaire et le service des pompes, mais ils sont débordés par ces étrangers, qui ont la langue mieux affilée. C'est ainsi, me disait tout dernièrement un négociant de la Suisse orientale, qu'on voit grossir les groupes de mécontents qui rejettent toutes les lois fédérales.

La loi autrichienne, dont le but est de remédier à des abus; analogues à ceux dont on se plaint chez nous, contient une disposition à teneur de laquelle, dans les localités de plus de 10,000 âmes, qui possèdent un nombre suffisant de magasins, le colportage et le déballage peuvent être interdits ou restreints à certains jours de la semaine. En outre, le colporteur ou déballeur doit justifier qu'il a acheté sa marchandise à l'intérieur du pays.

Nous avons en Suisse, il est vrai, le principe de la liberté de commerce et d'industrie. Ce principe est mitigé par les impôts, mais il exclut toute mesure prohibitive. La prohibition comme en Autriche, ou comme en Allemagne, serait donc inadmissible s'appliquant à des personnes domiciliées sur notre territoire. Mais les pays étrangers n'ont aucun droit à se prévaloir contre nous des prescriptions constitutionnelles qui nous régissent à l'intérieur, ou du moins ce droit ne peut résulter que des traités. Or, ceux-ci doivent être basés sur la réciprocité. Toute clause qui. pratiquement, n'aboutit pas à ce résultat est une duperie.

Je n'hésite pas à dire, et c'est par là que je termine cetteétude concernant les colporteurs et les déballeurs, que les cantons ont certainement le droit de prendre contre l'Allemagne et contre l'Autriche-Hongrie des mesures de rétorsion. J'estime qu'ils ont le droit, sans que la législation fédérale doive statuer quelque chose à ce sujet, d'introduire dans leurs lois cette réserve que les colporteurs étrangers, soumis d'ailleurs aux mêmes taxes et aux mêmes impôts que les ressortissants suisses, ne seront admis chez eux que dans la mesure exacte en laquelle les colporteurs et autres ambulants de nationalité suisse sont admis à exercer leur profession dans le pays d'où ces étrangers nous arrivent. Le tort qu'on a eu en Suisse a été de laisser trop longtemps dans le doute cette question qui demandait à être élucidée. Il sera
ainsi donné satisfaction, à l'un des principaux griefs du commerce suasse et au juste sentiment d'égalité, vivement blessé par les procédés employés à notre égard dans certains pays.

Permettez-moi d'exprimer encore une dernière considération plus générale. Ce ne sont pas seulement les professions ambulantes qui nuisent au petit commerce ; on les ferait complètement dispa-

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raître qu'il se plaindrait encore. Les nouveaux moyens de communication ont bouleversé toutes choses; la concurrence a triplé, le nombre des magasins de détail a considérablement augmenté; les populations rurales gagnent moins et achètent moins; les sociétés de consommation, les ventes à terme, qu'on ne peut empêcher, les liquidations vraies ou simulées, les grands magasins et les grands bazars font le reste. Bien loin de diminuer par la répression du colportage, ces causes diverses ne feront que gagner en intensité.

11 ne faut pas se faire d'illusion. Si le relèvement des petits magasins doit être le but, on peut, dans ce domaine, essayer des palliatifs; mais on doit renoncer à une réforme vraiment sérieuse et durable.

VI.

due faut-il faire?

Les colporteurs et autres ambulants étant éliminés, il nous reste trois solutions possibles : Eefuser toute franchise aux voyageurs étrangers et les soumettre, de la même manière que les voyageurs suisses, au régime particulier de chaque canton; par conséquent, maintenir l'état de choses actuel; Etablir, comme le propose le vorort de rtfnion suisse, une taxe uniforme pour les voyageurs des maisons suisses et pour ceux des maisons appartenant à des pays avec lesquels nous avons des traités ; Proclamer l'exemption complète et reprendre l'arrêté fédéral rejeté en 1884.

Et d'abord, les circonstances sont-elles favorables, le courant des opinions s'est-il modifié, ou bien la disposition actuelle des esprits doit-elle nous engager à ajourner ces réformes ?

C'est toujours délicat de vouloir démêler le courant des opinions dans une affaire où les intérêts privés ont leur rôle. Les intéressés mènent plus ou moins de bruit, c'est dans l'ordre. Les petits marchands identifient volontiers l'intérêt public avec leurs intérêts particuliers. Dans une certaine mesure, ils sont de bonne foi ; l'apitoiement que leur inspire leur propre cause est sincère.

Cependant, à côté de ces plaintes d'une minorité, il y a le grand public, dont l'opinion à l'état latent, livrée à elle-même, non influencée par une propagande organisée, n'a pas cessé d'être favorable à une mesure libérale.

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Reportons-nous à l'année 1884. L'assemblée fédérale venait de voter à une forte majorité l'arrêté prononçant l'exemption absolue de toute taxe pour les voyageurs de commerce suisses.

Cette décision, en elle-même, fut peu critiquée. Malheureusement, l'arrêté fédéral sur les voyageurs était associé à trois autres arrêtés rendus dans le même moment et soumis au même délai référendaire. Ces trois arrêtés, pour des motifs divers, soulevaient une vive opposition politique. L'un revisait le code pénal et lui ajoutait l'article dit « de Stabio », qui augmentait les compétences fédérales ; le second augmentait le personnel du département fédéral de justice et police ; le troisième augmentait les traitements de la légation suisse à Washington.. Le mot d'ordre était donné : rejeter tout ce qui venait de Berne. L'arrêté sur les voyageurs de commerce a été emporté par le même courant de négation.

Mais, tandis que la majorité négative, dans la votation populaire, était pour l'article de Stabio de 43,705 voix, tandis qu'elle était pour le département de justice et police de 65,187 voix, tandis qu'elle était pour la légation à Washington de 81,904 voix, elle ne s'élevait qu'à 15,355 voix pour l'exemption des taxes des patentes.

C'était peu sur un chiffre total de 360,000 votants. Il n'est pas douteux que si ee dernier arrêté avait été présenté seul à l'épreuve du referendum, celui-ci n'aurait pas été demandé. C'est toujours une lourde machine à mettre en mouvement, et les petits intérêts que cet arrêté lésait n'auraient pas suffi à provoquer une agitation popukire sérieuse. A supposer même que le nombre voulu de signatures eût été recueilli, il est très probable que le résultat de l'effort se fût arrêté là et que la décision votée par les chambres eût été ratifiée à une bonne majorité.

S'il y avait eu à cette époque un courant véritablement hostile, il se serait manifesté dans la presse, ce qui n'a pas été le cas, et l'assemblée fédérale, reflet des sentiments et des intérêts du peuple et des cantons, aurait eu une attitude beaucoup moins résolue.

Depuis lors, la cause des commis-voyageurs suisses a plutôt gagné du terrain.

Je n'en veux pour preuve que la conférence tenue à Neuchâtel en 1885, dans laquelle, bien qu'on fût au lendemain de l'éehec de 1884, les gouvernements de douze cantons, représentant une
population de 1,700,000 âmes, se sont tous énergiquement prononcés en faveur de l'exemption; Postérieurement à cette époque, on a vu des cantons, qui imposaient précédemment les voyageurs suisses, renoncer spontanément en tout ou en partie au revenu de cette taxe ; ainsi Vaud, Fribourg et Soleure. Autre fait significatif, le .gouvernement de l'un

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des cantons les plus populeux, qui perçoit sur les voyageurs de commerce les taxes les plus élevées, celui de Zurich, s'est prononcé nettement pour l'exemption complète, votée d'ailleurs par le peuple zuricois, à une grande majorité, en 1884.

Les manifestations récentes provoquées par le vorort de l'Union suisse du commerce et de l'industrie ont aussi une grande importance. Elles ont donné un spectacle réjouissant. On a vu les principales sociétés commerciales et industrielles de la Suisse, qui représentent des intérêts considérables et des milliers et des milliers de citoyens demander la substitution d'une mesure uniforme à l'état de choses actuel, qu'elles envisagent comme intolérable.

Nous pouvons y ajouter encore la résolution votée par la société suisse des arts et métiers, dans sa réunion d'Altorf en 1890, qui veut aussi des taxes uniformes, également applicables aux Suisses et aux étrangers, tout en demandant, il est vrai, qu'elles soient aussi élevées que possible.

Le chiffre des taxes peut se discuter, mais il est très remarquable que le besoin d'âne taxe unique ait pénétré dans ce groupe, plus intéressé que d'autres au maintien des taxes. C'est assez dire combien la situation est intenable.

C'est qu'elle l'est bien en réalité. Nous sommes le seul pays du monde civilisé où les étrangers soient mieux traités que les nationaux. Ce qu'après une grande guerre le vainqueur n'a pas osé imposer au vaincu, nous le subissons volontairement, de gaîté de coeur. Bien ne semble plus contraire à la dignité d'un pays, rien n'est plus humiliant pour notre caractère. Nous avons la prétention d'être le peuple le plus libre de l'Europe, nous sommes de fiers républicains, et nous ne savons pas seulement protéger nos concitoyens sur notre propre territoire, nous laissons subsister cette double ironie, qui se dresse contre nous, que le Suisse est moins bien traité que l'étranger dans son propre pays et que pour jouir de la liberté commerciale qu'on lui refuse, il doit aller en France.

Voilà où nous en sommes arrivés à la fin du dix-neuvième siècle.

Et nous supportons cette honte pour sauver des taxes cantonales dont le total annuel n'atteint pas 50,000 francs! Nous la supportons sous le vain prétexte de sauvegarder la position de pelits magasins, qui est battue en brèche par tant d'autres côtés et pour
laquelle les voyageurs de commerce ne sont pas la concurrence la plus redoutable. L'impression d'abaissement qu'on en éprouve est d'autant plus forte que nous n'avons pas même l'excuse d'une contrainte, d'une force majeure que nous devrions subir. C'est librement, c'est par de petits calculs intéressés que nous avons sacrifié une des premières règles de droit public qui régissent

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les Etats ; c'est par un singulier manque de logique et de fermeté, pour complaire à des préjugés d'un autre âge, que nous avons abandonné un principe clairement établi et sanctiomné par les pouvoirs de la Confédération. Les tergiversations et les évolutions de la jurisprudence fédérale ont été à cet égard du plus fâcheux effet.

Toutes les arguties qu'on a fait valoir pour revenir à l'interprétation la plus étroite ne soutiennent pas l'examen, en présence du fait capital, qui éclipse tous les autres, qu'on arrivait par ce moyen au résultat misérabl« de placer nos concitoyens dans une situation d'infériorité dans leur propre pays.

Ce point de vue domine tous les autres. Il y a au fond des coeurs un sentiment inné de fierté auquel on ne fera pas appel en vain. La Suisse, qui donne l'exemple de la liberté dans tous les autres domaines, la Suisse, si passionnée d'égalité, si jalouse de son indépendance et de celle de ses enfants, la Suisse, qui sacrifie chaque année des millions pour maintenir son armée à la hauteur des exigences nouvelles, ne voudra pas tolérer plus longtemps un pareil régime. Quand on demandera de nouveau au peuple suisse : Veuxtu que les étrangers continuent à être mieux traités en Suisse que les Suisses ? il répondra certainement non et se prononcera pour l'égalité de traitement, pour l'uniformité.

Mais cette égalité, cette uniformité, comment pourront-elles être obtenues ? Serait-ce en soumettant à des règles fixes les taxes maximales des cantons, en adoptant un cadre dans lequel elles devraient se mouvoir, comme des postulats de l'assemblée fédérale l'ont demandé au conseil fédéral ? Le conseil fédéral a hésité jusqu'à présent à résoudre cette question, et je pense qu'il a sagement agi. Vouloir imposer des règles aux cantons pour les maxima de leurs taxes est une entreprise bien difficile. L'arbitraire reste l'arbitraire, et on ne le réglemente pas. Avec ce système boiteux, qui dénote un regrettable entraînement à faire plier les principes les mieux établis devant des raisons d'ordre secondaire, on aurait tous les inconvénients d'une ingérence de la Confédération sans en recueillir les avantages.

Serait-ce en maintenant tout simplement, avec ou sans ce correctif insuffisant, les taxes des cantons, et en voulant aussi les imposer aux étrangers ? Voilà une illusion dont il
faudra nous défaire au plus vite. S'imagine-t-on que les pays avec lesquels nous avons le plus grand intérêt à renouveler des traités de commerce, que la France, par exemple, eonsentira jamais à laisser soumettre ses voyageurs, qui sont complètement exempts de toutes taxes, à l'étrange macédoine des taxes cantonales ? Ce serait bien mal connaître l'esprit français, amoureux avant tout d'unité, et les intentions manifestes du gouvernement français.

71 Malgré certaines tendances protectionnistes qui se sont fait jour et ne reculeraient pas devant les conséquences de l'application intégrale de tarifs généraux, on peut dire que l'immense majorité du peuple suisse désire avant tout le renouvellement des traités de ·commerce. Et si un grand pays comme la France, entraîné déjà par sa situation particulière dans le sens d'une complète liberté d'action et du rejet des traités, si ce pays vient nous dire, à titre de condition préliminaire, qu'il n'acceptera jamais pour ses voyageurs le régime des cantons, le maintien des taxes cantonales ne. pèsera pas bien lourd dans la balance, à côté des immenses intérêts qui réclament un traité. Cela me paraît d'autant plus vrai que la France «st précisément un des seuls pays où les voyageurs suisses sont nombreux et où ils ne sont exposés à aucune vexation quelconque.

Il en sera de même, à des degrés différents, avec d'autres pays.

Pourrions-nous laisser passer cette échéance de 1892 sans régler la question ? Nous le voudrions que l'étranger ne nous le permettrait pas. Il est des situations, et celle-ci est du nombre, qui sont plus fortes que toutes les résistances et qui s'imposent à ·de mesquins intérêts.

J'arrive ainsi à poser cette alternative inéluctable : ou bien maintien de la libération complète des taxes cantonales en ce qui concerne les voyageurs étrangers, ou bien point de traités. Le peuple suisse n'hésitera pas.

Mais qui aurait encore le triste courage de soutenir que nous pourrions, sans déchéance, supprimer les taxes cantonales pour les étrangers et les maintenir pour les Suisses? J'espère, pour l'honneur de mon pays, que le mercantilisme, dans ce qu'il a de moins rrelevé, dans ce qu'il a de plus mauvais et de plus étroit, ne l'emportera pas à ce point-là.

Je repousse donc toutes les solutions qui tendraient au maintien des taxes cantonales, même celle qui consisterait à généraliser ce qui se pratique dans certains cantons, à établir un maximum «t un minimum pour chaque classe d'articles et à faire payer le maximum aux étrangers. Ce subterfuge, peu digne de nous, serait ·contraire à la loyauté qui doit présider aux relations internationales.

Le maintien des taxes cantonales présenterait encore l'inconvénient d'entraîner celui des taxes communales. On peut même dire qu'avec l'état de choses
actuel, rien n'empêcherait les cantons, les plus grands surtout, de substituer à leurs taxes cantonales des taxes par district et de rendre ainsi l'existence impossible aux voyageurs de commerce, sous le prétexte qu'ils veulent obtenir L'équivalent des recettes perçues dans les plus petits cantons.

72 Nous avons vu de quel faible poids sont les taxes des cantons; et l'intérêt fiscal que ceux-ci peuvent avoir à les maintenir en présence des intérêts bien plus grands qui sont en .jeu. Nous avons vu que la Suisse devra compter avec d'autres volontés que la sienne, Et d'ailleurs, après les grosses répartitions des recettes de l'alcool, les cantons seraient mal venus de parler encore des brècbes que la législation fédérale fait à leurs budgets.

Mais si l'on serre de près l'autre argument invoqué, en faveur du maintien des taxes cantonales, l'intérêt du petit commerce établi, on verra qu'il ne vaut pas mieux. J'ai déjà suffisamment insisté sur le fait que le commerce établi doit s'en prendre à d'autres facteurs, à d'autres causes, de l'état de langueur dont il se plaint.

Il est un autre argument qui saute aux yeux et qui me paraît irréfutable. Dans la plupart des pays de l'Europe, les voyageurs nationaux sont exempts de toute taxe. Or, il y a aussi dans ces pays des négociants établis qui paient leurs impôts locaux, un petit commerce qui supporte des charges. Ces négociants et ce petit commerce se maintiennent cependant, ils vivent, malgré la dureté des temps, et il ne leur vient pas à l'idée de réclamer une taxe. Les.

conditions d'existence sont pour eux les mêmes que chez nous. Les loyers sont aussi chers, les impôts sont plus élevés et plus nombreux, la clientèle est autant, si ce n'est plus, parcimonieuse et difficile, la concurrence est aussi grande, les droits d'entrée sur les marchandises sont pour le moins aussi élevés, la lutte contre les grands magasins est aussi inégale. Il n'est pas un motif qu'en invoque en faveur du petit commerce en Suisse, qu'on ne puisse faire valoir avec autant et plus de raison en faveur du petit commerce de ces pays. Et cependant il reste debout, il soutient le combat de l'existence. C'est donc que la concurrence des voyageurs n'est pas tellement ruineuse qu'on le prétend en Suisse.

On en peut dire autant des cantons où les voyageurs de corn· mercé suisses et étrangers sont exempts de toute taxe. Les conditions de la vie n'y sont pas moins difficiles que dans les autrescantons. L'argument principal sur lequel on se fonde ne tient pas debout.

Puis il y a un intérêt bien plus considérable, bien plus général que celui du petit commerce, l'intérêt du grand
public, celui des consommateurs. Sur le terrain économique, c'est à ce point de vue surtout qu'il faut se placer. Si je me déclare pour le maintien des taxes des colporteurs et des déballeurg en faveur des cantons, c'est dans l'intérêt du public, bien plus que pour les petits marchands auxquels ces industriels font concurrence. S'ils vendaient de la bonne marchandise, s'ils ne faisaient pas métier de tromper

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le public, si beaucoup d'entre eux n'étaient pas des gens sans aveu,, si l'exercice de leur profession ne se rattachait pas à des affaires véreuses, je me serais volontiers rangé à l'idée de leur accorder plus de liberté.

La protection, du moment qu'elle n'est pas générale, devient injuste. Pourquoi refuser aux uns ce qu'on accorde aux autres ?

Pourquoi protéger certaines branches d'industrie et de commerce seulement ? Et qui mesurera les besoins de chacune d'elles ? Interrogez les industriels de toute catégorie, tous ou presque tous diront qu'ils ont besoin d'être protégés. Mais se représente-t-on un régime dans lequel la protection serait universelle, protégé l'industriel, protégé le négociant, protégé l'agriculteur, protégées les professions libérales contre la concurrence des. collègues et des confrères, le nombre des médecins, des pharmaciens, des dentistes et des ingénieurs limité, limité aussi le nombre des hôtels et des auberges, non pas au point de vue de la moralité publique, mais à celui de l'intérêt de leurs propriétaires ? Où l'Etat prendrait-il la force et l'argent nécessaires pour assurer toutes ces protections, et quelle armée d'agents ne lui faudrait-il pas ? Et quel serait inévitablement le résultat final de cette belle conception ? L'appauvrissement de toutes ces professions dont on aurait voulu prendre soin, l'étiolernent de toutes ces forces, le rétrécissement des intelligences et l'abdication des initiatives, la torpeur du monde oriental prenant la place de toutes les énergies de l'occident.

J'étais décidé, en commençant ce travail, à vous proposer le retour pur et simple, avec quelques améliorations de rédaction, à la suppression de toutes les taxes des voyageurs de commerce, telle qu'elle était contenue dans l'arrêté fédéral de 1883. Je l'ai déjà fait une fois au sein des chambres. J'ai encore appuyé cette idée dans la conférence intercantonale -de 1885.

Ce serait la seule solution entièrement nette et logique, la seule qui faciliterait réellement la conclusion de nouveaux traités et supprimerait toutes les difficultés à l'extérieur comme à l'intérieur.

Si j'en suis venu cependant à l'idée d'adhérer à une taxe uniforme, c'est après avoir pris connaissance de l'enquête du vorort de l'Union suisse, c'est par raison plutôt que par entraînement, dans un esprit de rapprochement,
à titre de concession, pour gain de paix et pour en finir. C'est aussi parce que la société des voyageurs de commerce suisses, qui représente les principaux intéressés à une solution libérale, n'a pas voulu aller au delà, qu'elle envisage cette transition d'une taxe uniforme comme nécessaire et que, rendus plus prudents ou plus timides par des échecs précédents, ses.

membres ne se sont pas hasardés à revenir jusqu'à la franchisecomplète.

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Ce qu'on peut dire encore en faveur d'une taxe unique très modérée, c'est qu'il y a une certaine équité à ce que les voyageurs de commerce paient l'équivalent des impôts auxquels sont soumis les marchands établis. Cet argument n'est même que partiellement juste, puisque les maisons représentées par les voyageurs de commerce acquittent les impôts dans le lieu de leur domicile. C'est la grande différence entre les voyageurs se rattachant à des maisons ·établies et les colporteurs ou déballeurs qui n'ont pas de domicile fixe.

Le petit commerce établi ne pourra donc pas trop se plaindre ; si cette idée vient à prévaloir, ses intérêts auront été suffisamment ménagés. Il y aura même compensation dans une certaine mesure.

Les négociants d'un canton, même ceux qui ne le faisaient pas ·jusqu'à présent, auront plus de facilités pour faire voyager dans les autres cantons.

Mais quelle base choisir, quel chiffre adopter ?

Comme il s'agit de régler tout à la fois la situation des voyageurs nationaux et des voyageurs étrangers, il eût été intéressant de procéder à un recensement dans les cantons, pour savoir combien d'étrangers exercent cette profession, et de quels pays, et connaître la proportion entre les voyageurs étrangers et les voyageurs .indigènes.

Nos ministres devraient aussi pouvoir nous renseigner sur le nombre des voyageurs suisses dans les pays où ils sont accrédités, -sur leurs genres de commerce et sur le plus ou moins de bienveillance qu'ils rencontrent de la part des autorités.

Mais je reconnais combien une pareille statistique serait difficile à obtenir, combien elle risquerait d'être inexacte ; je comprends que la solution presse et qu'il est trop tard pour vouloir entreprendre ce travail maintenant.

J'ai beaucoup de respect pour les travaux du vorort de l'Union commerciale et industrielle et pour les données dont il s'est ,patiemment entouré. Cependant, il me paraît s'être laissé entraîner un peu loin par les doléances du commerce établi en proposant une patente unique de 150 francs. N'oublions pas que cette taxe doit être négociée avec d'autres pays et acceptée par eux. Je ne ·crois pas que la France, par exemple,, consentirait à une taxe dé.passant 100 francs, et nous aurons déjà beaucoup de peine à l'amener là.

Avec une taxe de 100 francs, les patentes des voyageurs ·étrangers, qui ne payaient rien jusqu'à présent, compenseront en-

75 core jusqu'à un certain point la perte éprouvée par les cantons sur les patentes des voyageurs suisses.

J'accepte à regret la distinction entre les voyageurs de gros, qui s'adressent uniquement aux magasins, et ceux qui, suivant la formule consacrée, prennent des commandes sur échantillons dans les maisons ou chez des personnes autres que celles qui font commerce des mêmes articles ou qui les emploient pour leur industrie.

Elle ne me paraît ni juste, ni logique. Beaucoup de voyageurs travaillent sous ces deux formes. Mais cette notion parait être fortement ancrée dans la Suisse allemande et je désire avant tout que les nouvelles propositions réussissent. Ce qui m'engage encore ·à passer par l'exemption en faveur des voyageurs de gros, c'est ·qu'elle constitue pour ces derniers une mesure plus libérale, un acheminement à une libération complète des autres voyageurs de commerce.

La procédure à suivre et lés formalités à remplir doivent Ótre simplifiées autant que possible. Il faut éviter les complications policières et les tracasseries inutiles. Je me place à cet égard entièrement sur le terrain des propositions du vorort.

Mais il est un autre point sur lequel je ne saurais trop insister, c'est que nous exigions pour les voyageurs de commerce, ·comme nous le faisons pour d'autres clauses des traités, une réciprocité absolue. La loi fédérale, qui servira de base aux négociations, doit être à cet égard aussi explicite que possible.

Les propositions du vorort demandent à être complétées dans ·cette direction. C'était la grande lacune des traités conclus antérieurement avec certains pays. Il faut dire dans la loi,
Cette idée d'une réciprocité sincère et réelle est à la base de toutes les conventions internationales. Lorsqu'on s'en écarte, c'est .qu'on viole les traités. Elle est au fond très juste. En France, par exemple, où la liberté des voyageurs de commerce est complète, on en arrive aussi
à reconnaître qu'elle ne doit être consentie que pour les pays qui la pratiquent eux-mêmes. Un journal très répandu, le Figaro, annonçait ces derniers jours que, par décret ministériel, les conseils municipaux étaient autorisés à prélever des taxes sur les voyageurs arrivant de pays qui n'accordent pas la

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réciprocité aux Français. Le journal voit dans cette mesure, moins la tendance à protéger l'industrie nationale que la volonté d'imposer la réciprocité à tous les autres Etats. Le voyageur de commerce français en a besoin pour donner libre carrière & son activité.

Il a su tellement lier la plupart des Etats à l'industrie française que la seule nouvelle d'un changement de politique douanière en France émeut toute l'Europe. Par son savoir-faire, par son intelligence, et aussi, disons-le, par la valeur de ses articles, il a su.

gagner de vastes débouchés à l'industrie française et assurer l'existence de millions de travailleurs. Le gouvernement français appréciant comme ils le méritent les services rendus par ces pionniers de la grandeur commerciale et industrielle de leur pays, déploiepour eux autant de sollicitude que le ferait pour son armée le prince d'une monarchie militaire. L'opinion publique comprend l'importance de ces efforts et elle appuie le gouvernement.

Le Beisende Kaufmann, de Vienne, fait remarquer à ce propos qu'on peut conclure de la mesure prise la ferme volonté du gouvernement français, dans les négociations qui vont s'ouvrir, de protéger de toutes ses forces ses voyageurs de commerce.

Nous sommes d'autant plus en droit de réclamer une entière réciprocité que dans la plupart des pays avec lesquels nous sommes appelés à traiter, le nombre des voyageurs suisses est presque insignifiant si on le compare à celui des voyageurs arrivant de ces pays, qui parcourent la Suisse. Mais nous devons attacher d'autant plus d'importance aux dispositions du gouvernement français que la France est, je le répète, un des seuls pays où les voyageurs suisses soient un peu nombreux et fassent bien leurs affaires. On doit môme se demander ce que sera pour les maisons suisses la conséquence de notre taxe uniforme de 100 francs, appliquée aux Français comme aux Suisses et aux autres étrangers. Il y a là un point noir qui me laisse quelque inquiétude.

Cette taxe de 100 francs a d'ailleurs beaucoup de chances de réunir la majorité des chambres et du peuple. Les cantons où la franchise existe actuellement représentent une population de plus de 500,000. âmes et lui apporteront certainement le contingent de leurs suffrages. L'appoint nécessaire se trouvera sans trop de peinedans les autres parties de la Suisse. Il me paraît même bien improbable que le referendum soit demandé.

77

VIL

Xie point de vue constitutionnel. -- Conclusion.

Pour établir une taxe uniforme, dans les conditions qui viennent d'être indiquées, est-il nécessaire de reviser la constitution fédérale ?

Cela est-il nécessaire parce que la Confédération n'aurait pas une compétence suffisante pour légiférer sur les voyageurs de commerce ?

Cela est-il nécessaire, à supposer qu'elle possède cette compétence, parce qu'elle n'aurait pas celle d'établir un impôt ?

Je v»ux examiner ces deux questions successivement.

1.

On a vu que l'arrêté fédéral de 1859 n'a jamais été formellement abrogé. Il y a eu pour des cas concrets, à propos de recours de droit public, une jurisprudence divergente ; il y a eu des postulats de l'une ou de l'autre des chambres fédérales; il n'y a jamais ·eu un arrêté d'une portée genorale, comme l'était celui de 1859, modifiant cette décision.

Le rapporteur de la commission du eonseil des états, de 1860, M. Jacques Dubs, réfutait le raisonnement des particularistes à outrance, qui voulaient assimiler au colporteur le voyageur de commerce prenant des commandes sur échantillons, et il disait : « Ces arguments sont en contradiction avec le principe fonda1. mental de la liberté du trafic en général. Il est plus que vrai « que ce principe présente aussi ses revers, qui consistent pour «l'industriel dans le grand nombre de concurrents dans la même « branche, et pour le public dans d'autres inconvénients. Toutefois, « la constitution fédérale, nonobstant ces revers et ne les ignorant « nullement, a néanmoins consacré le principe de la liberté du -t trafic à l'intérieur de la Suisse, vu qu'il présente de grands avan« tages. Mais ce principe consiste dans deux choses, d'abord dans « le droit de vendre librement, et ensuite dans le droit à?acquérir « librement. Or, du -moment que la législation d'un canton consacre « le principe que le voyageur de commerce ne peut vendre qu'à « des industriels, mais non pas au public en général, elle porte bien « moins de préjudice au voyageur qu'au public ; elle astreint ce -* dernier à acheter de seconde main, tandis qu'il pourrait acheter

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« de première main, et à payer à l'intermédiaire des provision» « (faux frais). » Quant à l'objection consistant à dire que le négociant établi se trouve vis-à-vis du voyageur de commerce étranger au canton dans une condition moins avantageuse, en ce qu'il paie l'impôt à.

l'Etat tandis que l'étranger ne le paie pas, M. Dubs ajoutait encore c La maison de commerce pour laquelle voyagent des commis « acquitte son impôt au lieu de son domicile, et cela aussi à raison « de la fortune qu'elle acquiert en dehors du canton. Ce système « compense les pertes qu'on prétend subir. . . Un système contraire « porterait atteinte à l'égalité des citoyens suisses et empêcherait « en général de conclure des conventions avec un Etai, quelconque c au sujet de la liberté réciproque du trafic, vu que l'étranger doit « pouvoir trafiquer chez nous sans être soumis à un impôt, tandis « que le ressortissant qui est établi doit contribuer aux charges « publiques. » Ces considérations reflètent mieux que tout autre exposé l'esprit qui guidait et animait alors la majorité de l'assemblée fédérale.

Elles sont toujours vraies, elles ont conservé toute la valeur juridique. Elles ont une grande portée dans la bouche d'un homme qui, pendant bien des années, a joué un rôle prépondérant dans les autorités politiques de la Confédération.

Je reviendrai plus loin sur une autre opinion exprimée par M. Dubs.

M. le Dr J.-J. Blumer, dans son Droit public fédéral, tome I, page 463, n'est pas en désaccord avec l'arrêté fédéral de 1859. Il critique seulement la distinction qu'on a établie entre les voyageurs de commerce et les colporteurs. La conclusion à tirer de cette observation, c'est qu'on aurait dû mettre aussi les colporteurs au bénéfice de l'exemption des taxes: En «ffet, il ne conteste pas que les.

commis-voyageurs ne soient les agents du trafic de canton à canton, mais il dit que les colporteurs le sont au même titre. En d'autres termes, M. Blumer aurait voulu aller plus loin que l'assemblée fédérale.

De même aussi, le conseil fédéi'al, dans son message à l'appui de la revision partielle de 1865, cherche à lever les obstacles maintenus concernant le colportage. Il y a une divergence d'opinions entre lui et les chambres, mais elle consiste uniquement en ce que les chambres ne veulent pas aller aussi loin et accorder aux colport3%rs la même immunité qu'aux commis-voyageurs.

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Telle était la législation sous l'empire de la constitution de 1848, qui garantissait seulement la liberté de commerce de cantoa à canton.

Il s'agit de savoir aujourd'hui si la constitution de 1874 est revenue en arrière de ce principe. Toute la question est là. On remarque, en effet, non sans étonnement, que c'est, la nouvelle constitution qui a servi de prétexte à l'introduction d'entraves à la.

liberté du commerce. En d'autres termes, voici, dans sa crudité,, l'argumentation qui se cache sous la phrase un peu vague du rapport de gestion de 1878. La constitution de 1848 a voulu garantir d'une façon étendue la liberté de commerce ; sous l'empire de cet acte, l'autorité fédérale a rendu un arrêté interdisant aux cantons, de taxer les voyageurs de commerce; mais 1874 est venu, apportant une constitution moins libérale ; cette constitution nouvelle a.

rendu aux cantons leur liberté d'action pour les taxes commerciales ;· par conséquent, l'arrêté de 1859 est abrogé de fait, comme contraire à la constitution nouvelle ; par conséquent, les cantons sont libres, aujourd'hui de faire payer des patentes aux voyageurs de commerce.

Ce raisonnement fantaisiste ne soutient pas l'examen.

J'ai cité le rapport du conseil fédéral de 1883, qui ne laisserien debout de toute l'argumentation des commissions de 1878. Je n'y reviendrai pas, mais on ne saurait mieux dire. La réserve d'établir des impôts ne saurait être interprétée et élargie de façon à ce qu'un droit individuel pour la Suisse entière soit placé plus désavantageusement que ne l'était un droit intercantonal avant 1874..

C'est bien effectivement d'un droit individuel qu'il s'agit. M. le Dr Dubs, le rapporteur de 1860, le proclame expressément dans son.

livre sur le Droit public de la Confédération suisse, publié eu 1877.

L'auteur, subissant un peu l'entraînement général et dominé par des préoccupations personnelles très fédéralistes, manifeste, il est vrai, une tendance à légitimer les patentes des cantons. Mais il n'en dit pas moins: «La constitution de 1874, article 31, garantit « simplement la liberté du commerce et de l'industrie, et cela non « seulement de canton à canton, mais d'une manière générale dans « toute l'étendue de la Confédération, en sorte que ce principe, sous « une forme très générale, doit être considéré comme un droit « fondamental
pour la Suisse entière. Dans le domaine du com« mercé, la conséquence de cette modification fut que le commerce « ambulant, le colportage et la réception de commandes échurent « à la Confédération. » Je ne veux retenir que ce point, le plus essentiel à mes yeux, c'est que la réception de commandes a passé avec la constitution

so de 1874 sous la compétence fédérale. La conséquence est facile à tirer.

Peut-on soutenir raisonnablement, après cela, que la constitution de 1874 ait voulu être moins libérale que celle de 1848 ?

Est-il admissible qu'elle ait voulu retourner à la diversité des législations cantonales, abolie sur ce point spécial en 1859, alors que pour tant d'autres elle réalisait l'unification et la centralisation ?

Peut-on dire que la constitution de 1874 ait voulu restreindre sur un seul point les droits de la Confédération ?

Prenons d'abord les circonstances extérieures au milieu desquelles la revision de 1872 --1874 s'est accomplie. De graves événements avaient bouleversé la situation de l'Europe ; l'Allemagne et l'Italie, longtemps divisées à l'intérieur, avaient réalisé leur unité, et la Suisse se trouvait entourée de toms les côtés par de puissants Etats fortement organisés. La Suisse, à son tour, éprouvait le besoin d'une plus grande centralisation, elle ne pouvait se soustraire au mouvement d'unité qui entraînait d'autres nations ; cela devenait pour elle une question d'existence, elle voulait s'affirmer davantage comme Etat et devenir, en face des gouvernements étrangers, un tout plus compact et plus homogène, être mieux ce que les Allemands appellent vertragsfuhig, capable de négocier et de s'engager.

Il n'a donc pas été dans l'esprit général de la revision de restreindre sur aucun point les compétences fédérales. Pour qu'on puisse admettre l'existence d'une pareille restriction, il faudrait qu'elle eût été bien clairement exprimée. Mais on ne la trouve nulle part, ni dans le message du conseil fédéral, du 17 juin 1870, ni dans les délibérations des chambres, ni dans le texte de la nouvelle constitution.

Il faut se reporter à l'état de droit et de fait qui existait au moment de la revision. Les voyageurs de commerce suisses étaient absolument protégés par la Confédération ; les colporteurs étaient soumis au droit des cantons. Lors donc que l'article 31 réserve les impôts qui se rattachent à l'exercice des professions commerciales et industrielles, il ne peut avoir en vue, en ce qui concerne les cantons, les voyageurs de commerce, puisque, déjà à ce moment, les cantons ne peuvent leur faire payer aucune taxe.

Becherchons les débats sur l'article 31 en 1871 et 1872. On les trouve dans le bulletin
sténographique des chambres qui parut en français à cette époque. Le projet d'article 30, sur lequel la discussion porte, comprend à la fois la liberté de commerce et d'industrie, article 31 actuel, et l'exercice des professions libérales, article 33 actuel.

81 La réserve sous lettre c est rédigée textuellement comme elle l'est dans l'article 31 du texte définitif: « Sont réservés : « c. Les dispositions concernant l'exercice des professions comt merciales et industrielles, les impôts qui s'y rattachent et la police « des routes. » L'alinéa suivant est aussi identique : « Ces dispositions ne peuvent rien renfermer de contraire au « principe de la liberté de commerce et, d'industrie. » M. le Dr Joos propose un amendement concernant les profes·sions qui se rapportent à l'art de guérir.

M. le Dr Scheuchzer propose de supprimer les lettres 6 et c de l'article. Il explique qu'il vise les médecins et le libre exercice de la médecine. Eventuellement, il votera l'article tel quel, parce qu'il envisage, d'une manière générale, que la proposition de la commission constitue déjà un progrès sensible.

M. Anderwert parle uniquement des médecins.

M. Carteret demande si la liberté de commerce et d'industrie s'applique aussi aux instituteurs, aux corporations religieuses s'occupant d'enseignement.

MM. Cossy, Heer, Desor, Philippin et Klein ne parlent que des médecins et des avocats.

Une rédaction de M. Desor, proposant de reporter aux dispositions transitoires les dispositions concernant les médecins, chirurgiens, vétérinaires et pharmaciens déjà patentés, est mise en opposition à l'amendement Scheuchzer et l'emporte par 66 voix contre 28.

Pas un mot des commis-voyageurs.

Au conseil des états, M. Estoppey, rapporteur de la commission, rappelle qu'avant 1848 la liberté d'industrie et de commerce n'existait pas en Suisse ; il existait, au contraire, une foule d'entraves qui s'opposaient au développement de l'industrie et du commerce.

Le principe de la liberté a été consacré par la constitution de 1848, et il a maintenant passé dans nos moeurs, de telle façon qu'il n'est pas à craindre que nous revenions en arrière sur ce point. Aussi, était-il bien nécessaire de répéter encore ce principe dans la nouvelle constitution ? Le conseil national a trouvé utile de maintenir une disposition de ce genre, et la commission du conseil des états a adhéré à cette manière de voir. Elle recommande donc l'adoption Feuille fédérale suisse. Année XL1II. Vol. JII.

6

82

de l'article 30 avec la seule modification que la parenthèse qui se trouve sous lettre a doit être supprimée et remplacée par les mots suivants à ajouter à la fin de l'alinéa : « dans la mesure donnée par l'article 33 >.

MM. Blumer, Bingier et Dubs parlent de l'ohmgeld. M. Noef également.

M. James Pazy parle de l'octroi de Genève.

Une proposition de MM. Lusser et Stamm, consistant à renvoyer à la commission la rédaction de la lettre a de l'article est adoptée.

Les autres alinéas de l'article 30 n'ont été combattus par personne et l'article est adopté, sauf la lettre a, concernant la régale du sel et des poudres et les droits de consommation.

De toute cette discussion, il ne reste qu'une chose pour les commis-voyageurs, c'est la déclaration du rapporteur que la liberté de commerce et d'industrie est tellement entrée dans les moeurs qu'il est à peine nécessaire de rappeler ce principe dans la constitution.

Je conclus de tout ce qui précède que la constitution fédérale de 1874 n'est pas moins libérale pour les voyageurs de commerce que ne l'était la constitution de 1848. J'en conclus que la restriction contenue à la lettre c ne s'appligiie pas aux voyageurs de com~ tierce.

Et comment pourrait-on songer à la leur appliquer en présence de l'article 4 de cette même constitution, qui garantit à tous les Suisses l'égalité devant la loi î Ce principe sera violé aussi longtemps que le canton d'Uri, qui ne présente aux voyageurs de commerce qu'une surface de moins de 20,000 âmes de population, aura le droit d'établir des taxes de patentes aussi élevées que le canton de Berne trente fois plus populeux.

Non seulement l'établissement d'une taxe uniforme ne serait pas inconstitutionnel, mais le maintien des taxes cantonales serait contraire à la constitution.

e.

La Suisse doit concilier un double devoir : se mettre en situation de traiter avec les Etate étrangers sur les objets les plus nécessaires, -- ne pas placer ses nationaux dans une position d'infériorité à celle, qu'on accorde aux étrangers. A quoi aurait servi la revision de 1874, si elle ne nous permettait pas de satisfaire à ces deux exigences, qui s'imposent à tous les pays, si elle permettait de main-

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tenir un conflit entre notre intérêt et notre conscience, entre nos devoirs internationaux et notre dignité nationale ? A quoi serviraitil à la Suisse d'avoir créé une armée, de marcher à grands pas vers l'unification du droit et d'avoir garanti tous les droits primordiaux à ses citoyens, d'avoir la main libre pour négocier sur toutes les matières, si, sur ce point spécial, elle devait faire banqueroute ?

Placée comme nous venons de le dire entre deux devoirs, la Suisse doit chercher dans la mesure du possible à les concilier.

Toutefois, ses obligations internationales l'emportent évidemment sur des considérations d'ordre purement intérieur. Les petites exigences des cantons doivent se plier à des nécessités auxquelles les intérêts généraux du pays nous obligent à donner le pas.

Cette conciliation désirable n'est pas impossible, si l'on serre le problème d'un peu près. L'obstacle n'est qu'apparent.

Etablir une taxe uniforme sur les voyageurs de commerce suisses et étranger?, c'est légiférer. Mettre une loi à la base de ses négociations avec les autres gouvernements, c'est user de la puissance législative, c'est faire ce qu'elle a fait dans d'autres domaines, pour les péages comme pour les extraditions. Ce n'est pas introduire un principe nouveau.

Sur le terrain des taxes des voyageurs de commerce, le droit de légiférer que possède la Confédération ne se dis»ute plus. Ce serait aussi faire oeuvre de législation que de vouloir, comme les chambres fédérales l'ont demandé au conseil fédéral, établir des normes pour un maximum. Dire que la taxe sera uniforme ne va pas beaucoup plus loin. Imposer une taxe uniforme aux cantons est une contrainte moins grande que de supprimer toute taxe. L'arrêté fédéral de 1859 a légiféré. L'arrêté fédéral de 1883 légiférait aussi. Cependant le droit de législation de la Confédération n'a pas été sérieusement contesté en 1859 et en 1883. Si l'arrêté fédéral de 1«83 a été rejeté par le peuple à une faible majorité, ce n'est pas que la compétence fédérale ait été déniée, c'est par des motifs d'opportunité, de la même manière qu'on voit le peuple rejeter d'autres lois et d'autres arrêtés au sujet desquels l'autorité de la Confédération n,e fait pas doute.

La constitution fédérale parle des impôts qui se rattachent à l'exercice des professions commerciales et
industrielles. Elle ne dit pas si ces impôts seront établis par la Confédération au par les cantons. C'est une question de pure fbrme ; l'essentiel est que le produit en appartienne aux cantons.

84 y

Mais nous pouvons même laisser de côté ce dernier argument.

J'ai démontré que les voyageurs de commerce n'étaient pas visés par la lettre c de l'article 31 d& la constitution.

Je crois avoir traité les divers points que vous aviez renvoyés à mon examen et répondu à toutes les questions qui m'étaient posées.

S'il en était autrement, je suis prêt à introduire dans ce rapport les adjonctions et les modifications que vous voudrez bien m'indiquer.

Deux faits nouveaux se sont produits ces derniers jours : d'un côté, le rejet par le peuple suisse, à une majorité formidable, de la loi fédérale sur les pensions de retraite des employés et fonctionnaires invalides ; de l'autre, l'attitude protectionniste très accentuée de la chambre française et de sa commission des douanes, avec le double tarif maximum et minimum. Si le premier de ces événements semble dénoter qu'un courant négatif entraîne de nouveau notre peuple, le second est de nature à impressionner fortement les esprits en Suisse et à mieux faire comprendre la nécessité de compter avec nos voisins. Je n'en conserve pas moins l'entière conviction qu'une solution juste et pratique s'impose à la Suisse pour les voyageurs de commerce aujourd'hui plus que jamais.

Aussi est-ce animé de ce sentiment que j'ai l'honneur de vous soumettre, à titre d'annexé au présent rapport, un avant-projet d'arrêté fédéral concernant les taxes de patente des voyageurs de commerce.

Veuillez agréer, monsieur le conseiller fédéral, l'assurance de ma haute considération.

Neuchâtel, le 24 mars 1891.

Cornaz, député au conseil des états.

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Annexe.

Avant-projet. ·

Arrêté fédéral concernant

les taxes de patente des voyageurs de commerce.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE

de la CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message et les propositions du conseil fédéral, en date du 1891, arrête : 1. Les voyageurs de commerce, voyageant en Suisse pour le compte d'une maison établie en Suisse ou d'une maison étrangère, qui sont en relations d'affaires exclusivement avec des maisons opérant la revente de leurs articles ou faisant usage de ces marchandises pour leurs besoins professionnels, sont autorisés, moyennant qu'ils n'aient pas de marchandises avec eux, sur la simple constatation de leur identité, à prendre des commandes dans toute l'étendue de la Confédération, avec ou sans échantillons, sans être astreints à aucune taxe.

2. Tous les autres voyageurs suisses ou étrangers sont envisagés comme faisant le détail. Ils peuvent, moyennant la production d'une carte de légitimation, valable pour une année dès sa date, et sous la condition de ne pas avoir de marchandises avec eux, voyager sur tout le territoire suisse et prendre des commandes, avec ou sans échantillons.

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3. La carte de légitimation est dressée sur un type uniforme arrêté par le conseil fédéral. Le prix en est de 100 francs et celui qui l'a payée est affranchi pour sa durée de toute autre taxe cantonale ou communale.

Elle est délivrée pour les veyageurs de maisons établies en Suisse par le bureau du canton où celles-ci ont leur domicile, et pour les voyageurs de maisons étrangères par le bureau du canton qu'ils visitent en premier lieu.

Le produit des cartes de légitimation, sous déduction d'un droit de perception de 4°/0, en faveur du canton qui les a délivré«?, est réparti, à la fin de chaque année, entre les cantons, sur la base de leur population.

4. Le voyageur de commerce faisant le gros ou le détail, qui prend des marchandises avec lui et les offre à sa clientèle, est passible d'une amende jusqu'à 1000 francs.

5. Les voyageurs de commerce étrangers, dont il est parlé aux articles 1 et 2, ne sont au bénéfice des dispositions du présent arrêté que si le pays où sont établies les maisons qu'ils représentent n'impose pas aux voyageurs de commerce suisses des taxes et des conditions plus onéreuses.

6. La législation sur le colportage et le déballage reste aux cantons.

7. Le conseil fédéral est chargé, conformément aux dispositions de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux, de publier le présent arrêté et de fixer l'époque où il entrera en vigueur.

8. Le conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

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Message du conseil fédéral à l'assemblée fédérale sur les taxes de patente des voyageurs de commerce. (Du 29 mai 1891.)

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10.06.1891

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