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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral et sur son élection par le peuple.

(Du 3 mai 1940.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous faire rapport sur l'initiative populaire du 29 juillet 1939 concernant l'augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral et son élection par le peuple ainsi que sur les deux motions Müller-Amriswil et Wettstein, toutes deux du 15 décembre 1938.

C'est en effet le 29 juillet 1939 que le parti socialiste suisse, faisant application de l'article 121 de la constitution fédérale et de la loi du 27 janvier 1897 sur le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, a déposé une initiative ainsi conçue: « Les articles 95 et 96 de la constitution fédérale sont remplacés par les dispositions suivantes: Art. 95. L'autorité directoriale et executive supérieure de la Confédération est exercée par un Conseil fédéral composé de neuf membres.

Les membres du Conseil fédéral sont élus le même jour que ceux du Conseil national, pour une durée de quatre ans, par les citoyens suisses ayant le droit de vote; ils entrent en fonctions le 1er janvier suivant.

Peut être élu tout citoyen suisse éligible au Conseil national dont l'élection est proposée par la signature d'au moins 30 000 citoyens ayant le droit de vote. On ne pourra toutefois choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton. L'ensemble de la Suisse forme un seul arrondissement électoral.

Art. 96. En élisant le Conseil -fédéral on doit tenir compte équitablement des tendances politiques et des régions linguistiques de la

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Suisse. Trois membres du Conseil fédéral au moins doivent appartenir aux régions de langue française, italienne ou romane de la Suisse, cinq au moins aux régions de langue allemande.

En cas de vacance, il doit être procédé sans retard à une élection complémentaire, à moins, que le renouvellement intégral ne doive avoir lieu dans l'espace de six mois.

Art. 96bis. La législation fédérale édicté les dispositions de détail pour l'application des principes mentionnés aux articles 95 et 96. » Notre rapport du 18 septembre 1939 (FF 1939, II, 372) constate que l'initiative porte 157 081 signatures valables et qu'elle a donc abouti.

Par décisions du Conseil national, du 21 septembre 1939, et du Conseil des Etats, du 5 décembre 1939, vous l'avez accepté et invité le Conseil fédéral à vous faire des propositions sur cet objet.

Antérieurement déjà, soit le 15 décembre 1938, des motions avaient été déposées devant les deux Conseils pour demander que le nombre des conseillers fédéraux fût porté à neuf. Au Conseil national, le député MûllerAmriswil et vingt-quatre cosignataires formulèrent la motion ' suivante : « Le Conseil fédéral est invité à déposer un projet de re vision constitutionnelle portant de sept à neuf le nombre des membres du Conseil fédéral. Ce dépôt devra se faire assez tôt pour que le vote populaire puisse intervenir avant le début de la nouvelle période législative de 1939 des conseils législatifs et du Conseil fédéral. » Le même jour, M. Wettstein et sept cosignataires déposèrent au Conseil des Etats une motion sur le même objet en ces termes: « Le Conseil fédéral est invité à présenter aux conseils législatifs, pour la session de printemps 1939, un rapport et des propositions sur une revision de la constitution portant de sept à neuf le nombre des membres du Conseil fédéral. » Les deux motions ont été transformées en « postulats » et acceptées comme tels dans la session de mars 1939. Nous les traiterons conjointement avec l'initiative puisqu'elles ont le même objet que le premier point de cette dernière et concordent même en partie avec elle quant au fond.

Nous discuterons séparément les deux questions principales qui se posent : celle de l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux et celle de leur élection par le peuple. Bien qu'elles aient toujours été jointes dans les propositions
faites depuis la dernière décennie du XIXe siècle, il n'y a pas entre elles une telle connexité qu'on ne saurait raisonnablement les examiner l'une sans l'autre. La première partie de notre message se rapportera donc à l'augmentation du nombre des membres du gouvernement. En même temps, au cas où ce nombre serait porté à neuf, nous verrons s'il y a lieu

613 de supprimer ou de modifier la défense de choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton et si des garanties doivent être instituées en faveur des minorités politiques ou de langue, comme l'initiative le demande. La deuxième partie sera consacrée à l'élection du Conseil fédéral par le peuple.

PREMIÈRE

PARTIE

AUGMENTATION DU NOMBRE DES MEMBRES DU CONSEIL FÉDÉRAL A. La question de principe.

/. Aperçu historique.

L'initiative et les deux postulats demandent que le nombre des conseillers fédéraux soit porté à neuf. Il y aurait donc lieu de modifier dans ce sens l'article 95 actuel de la constitution qui statue : « L'autorité directoriale et executive supérieure de la Confédération est exercée par un Conseil fédéral composé de sept membres ». Cette disposition existe dans la constitution, sans changement sinon sans être attaquée, depuis le 12 septembre 1848, c'est-à-dire depuis que la Confédération est un Etat fédératif.

Déjà alors on n'avait pas été du tout d'accord sur le nombre des membres du gouvernement. La commission de revision avait proposé un Conseil fédéral de cinq membres, vraisemblablement d'après les projets de constitution de 1832 et 1833 qui prévoyaient un landammann et quatre conseillers fédéraux. Et ces projets s'appuyaient sans doute sur la constitution helvétique du 12 avril 1798 qui avait institué un directoire de cinq membres avec quatre puis six ministres subordonnés audit directoire, tandis que la deuxième constitution helvétique du 25 mai 1802 connaissait un conseil exécutif de trois membres seulement (soit un landammann et deux conseillers) qui nommait cinq secrétaires d'Etat. Mais, contrairement à la proposition de la commission unanime, la diète du 15 mai 1848 décida, sur la proposition du canton d'Argovie, de porter le nombre des conseillers fédéraux à sept, cela, notamment, afin de donner aux petits cantons la chance d'être représentés au sein du Conseil fédéral. Le canton de Schwyz proposa d'aller encore plus loin et de fixer le nombre des conseillers à neuf parce qu'en Suisse on n'aime pas qu'un si grand pouvoir soit réuni en si peu de mains. Cette proposition fut repoussée.

Le nombre de sept membres ne fut pas changé pendant près d'un demisiècle. Lors des revisions constitutionnelles de 1870/72 et de 1873/74 la question ne fut même pas agitée. L'article 83 de l'ancienne constitution devint tel quel l'article 95 de la nouvelle constitution. Mais déjà auparavant deux « postulats » étaient nés du désir des petits cantons d'améliorer

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la perspective d'avoir un représentant au Conseil fédéral. L'un entendait limiter la rééligibilité à deux périodes de fonctions. Plusieurs demandes populaires l'avaient réclamé après que les sept sièges eurent été constamment occupés par des représentants des grands cantons, en sorte que le conseiller fédéral Numa Droz parlait d'une « heptarchie » des grands cantons. Mais la votation populaire de 1866 rejeta cette restriction avec d'autres modifications constitutionnelles. Lors de la revision de 1870 des propositions semblables eurent le même sort. Le second postulat émanait du Genevois Carteret; il proposa au Conseil national de ne pas autoriser la nomination successive de deux ressortissants du même canton. Mais il ne fut pas tenu compte de cette proposition lors de la revision de 1874. Toutefois, déjà en 1875, deux représentants de plus petits cantons furent nommés (le landammann Heer, de Glaris, et le ministre Hammer, de Soleure). Et les plaintes de cesser.

Une motion acceptée par le Conseil national le 23 juin 1892 demanda l'élaboration d'un projet de réforme de l'administration fédérale à cause de l'accroissement constant des affaires. Elle donna au Conseil fédéral l'occasion d'examiner s'il convenait d'augmenter le nombre de ses membres.

Cette question est discutée en détail dans le message du 4 juin 1894 concernant l'organisation et le mode de procéder du Conseil fédéral, message dû à la plume du conseiller fédéral Schenk et devenu célèbre. Le Conseil fédéral y arrive à la conclusion que le nombre de sept membres doit être maintenu. On craignait notamment qu'une augmentation de ce nombre ne porte atteinte à la cohésion interne du gouvernement (FF 1894, II, 915 s.).

L'Assemblée fédérale se rallia aux propositions du Conseil fédéral, et la situation demeura sans changement. Cependant le problème n'a pas cessé de préoccuper les esprits. Déjà l'année 1899 vit aboutir deux initiatives dont l'une demanda l'introduction du système proportionnel dans les élections du Conseil national et l'autre l'élection du Conseil fédéral par le peuple ainsi que l'augmentation du nombre de ses membres à neuf (FF 1899, IV, 906 s.). Cette seconde initiative porte 56 031 signatures valables. Ce qui avait dicté la demande d'augmentation, c'était apparemment surtout l'intérêt de partis politiques à la représentation
des minorités. L'Assemblée fédérale, par arrêté du 21 juin 1900, décida de ne pas adhérer aux projets présentés et d'en recommander le rejet au peuple (FF 1900, III, 570).

Aussi, la votation populaire du 4 novembre 1900 repoussa-t-elle les deux initiatives (la seconde par 270 522 votants contre 145 926 et par 14 Etats contre 8, FF 1900, IV, 920).

Quelques années plus tard, le Conseil fédéral s'occupa derechef de la question dans son rapport du 2 juillet 1909 relatif à la réorganisation du département politique (FF 1909, IV, 347 s.), puis dans son rapport du 9 juillet 1912 sur la réorganisation de l'administration fédérale (FF 1912, IV, 63 s.). Invoquant son message de 1894, il proposa les deux fois de ne pas augmenter le nombre de ses membres. Conformément à une proposition

615 de la commission du Conseil national (FF 1913, II, 2), le Conseil fédéral soumit le problème à un nouvel examen dans son message du 13 mars 1913 concernant l'organisation de l'administration fédérale (FF 1913, II, 1 s.).

Il examina en même temps l'opportunité d'abandonner le système du changement de la direction du département politique, auquel on était revenu en 1894, pour adopter de nouveau le système de la direction stable de ce département (dit système Droz). La création d'un département de la présidence fut également envisagée. Le Conseil fédéral se prononça cette fois encore contre l'augmentation du nombre de ses membres. Une meilleure solution consisterait à leur enlever le poids d'innombrables affaires de peu d'importance par une délégation de compétence de haut en bas des échelons de l'administration. Le Conseil fédéral fit dans ce sens des propositions positives qui furent en grande partie adoptées (LF du 26 mars 1914 sur l'organisation de l'administration fédérale). Les propositions de minorité des commissions tendant à porter à neuf le nombre des conseillers fédéraux furent repoussées par le Conseil national en été 1913 et par le Conseil des Etats en automne de la même année.

Entre-temps le conseiller fédéral Perrier défunt avait été remplacé par M. Calonder, en sorte que la Suisse romande n'était plus représentée que par le conseiller fédéral Decoppet. Aussi, en automne 1913, le député Richard et deux cosignataires présentèrent-ils au Conseil des Etats une motion visant à porter à neuf le nombre des membres du gouvernement.

La guerre mondiale empêcha toutefois la discussion de cette motion qui fut rayée du rôle des affaires à traiter. En 1916, la même question fut reprise au Conseil national à la suite d'une nouvelle motion déposée par le député Micheli et 48 cosignataires; cette motion fut prise en considération à l'unanimité.

Le Conseil fédéral y donna suite par message du 6 août 1917 (FF 1917, III, 649 s.) et préconisa pour la première fois de porter le nombre de ses membres à neuf, alors qu'il s'y était toujours refusé jusque là. A l'appui de sa nouvelle opinion, le Conseil fédéral fait valoir que ce sont surtout des considérations politiques qui nécessitent l'augmentation. Celle-ci serait aussi d'une grande utilité pour l'administration. Le Conseil des Etats, qui avait la
priorité, entra en matière et accepta le projet du Conseil fédéral au vote final (par 21 voix contre 8) mais avec le complément proposé par la majorité de la commission: nécessité de la présence de cinq membres pour que le Conseil fédéral puisse délibérer valablement. Il refusa cependant d'adopter une disposition en faveur des minorités.

Lorsque le Conseil national s'occupa du projet en mars 1918, la situation poh'tique s'était sensiblement modifiée: la Suisse romande avait obtenu un deuxième représentant, si bien que désormais quatre conseillers de souche latine siégeaient au gouvernement. L'intérêt porté à l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux avait par conséquent notablement

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diminué. La majorité de la commission du Conseil national proposa, il est vrai, d'examiner le projet. Mais le conseil s'y refusa (par 72 voix contre 53) conformément à la proposition de la minorité formée par le parti conservateur-catholique. Le parti radical et le parti conservateur-catholique avaient déclaré que la réforme n'était plus urgente, tandis que le parti socialiste avait déclaré qu'il s'abstiendrait de voter. Le Conseil des Etats, auquel le projet revint, se rallia dans la session de printemps 1919 à la décision du Conseil national. Le projet était ainsi définitivement repoussé.

La question ne fut plus soulevée pendant près de vingt ans. Puis il advint que la revendication d'un siège par le parti socialiste ne fut pas prise en considération le 15 décembre 1938, lors de l'élection du Conseil fédéral. Ce parti y trouva l'occasion de lancer l'initiative du 29 juillet 1939 qui est l'objet du présent message. L'initiative tend à deux fins comme celle de 1899: premièrement, augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral de sept à neuf, avec prise en considération équitable des tendances politiques et des langues, trois membres au moins devant appartenir aux régions de langue française, italienne et romane et cinq au moins aux régions de langue allemande ; secondement, élection du Conseil fédéral par le peuple.

L'ensemble °de la Suisse devrait former un seul arrondissement électoral et l'élection émaner d'au moins 30 000 citoyens ayant le droit de vote.

En concordance partielle avec cette initiative, les motions transformées en postulats dont il a été question proposent de porter à neuf le nombre des conseillers fédéraux. La date de ces motions montre leur rapport avec l'élection du Conseil fédéral du 15 décembre 1938. Deux motions antérieures n'ont pas été traitées: celle du conseiller national Huber-St-Qall du 11 décembre 1919 qui demandait l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux et l'élection du Conseil fédéral par le peuple d'après le système proportionnel et celle du conseiller national Reinhard du 3 avril 1935 tendant aussi à l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux.

Tel est l'historique de la question depuis la fondation de l'Etat fédératif suisse.

//. Motifs en faveur de l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux.

1. L'initiative réclame l'augmentation
du nombre des conseillers fédéraux avant tout pour des raisons politiques. Il n'y a pas de doute, en effet, que cette revendication est en rapport avec les récentes élections complémentaires à l'occasion desquelles les aspirations du parti socialiste n'ont pas été satisfaites et que l'élargissement du Conseil fédéral permettrait à ce parti d'entrer au gouvernement sans rien modifier à la représentation actuelle des autres partis. Les deux « postulats » paraissent partir de considérations analogues. L'initiative propose en outre une disposition aux termes de laquelle trois membres du Conseil fédéral au moins doivent

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appartenir aux régions de langue française, italienne ou romane de la Suisse, cinq au moins aux régions de langue allemande.

a. Que les minorités de langue, pour parler d'abord de cet élément, doivent être prises en considération, cela est généralement admis en principe. Dans notre Confédération composée de citoyens de cultures et de langues différentes -- et qui voit sa mission internationale idéale dans le fait qu'elle prouve que des populations de plusieurs races, de plusieurs cultures et de plusieurs langues, et dont les forces numériques sont inégales, peuvent cohabiter librement et paisiblement dans le même Etat et travailler en plein accord en vue du but commun, pour la justice, pour la liberté et pour la civilisation --, le principe qu'on vient d'énoncer s'impose non seulement pour la conservation de la Suisse, mais est encore une chose qui va de soi. Ce principe a du reste été reconnu de tout temps, encore que son application n'ait pas toujours été facile. C'est ainsi que la Suisse romande a toujours eu deux représentants au Conseil fédéral sauf de 1848 à 1874 (lorsque Franscini et Pioda en faisaient partie), de 1875 à 1881 (remplacement de Cérésole par Hammer), de 1913 à 1917 (remplacement de Perrier par M. Calonder) et depuis 1934 (remplacement de M. Musy par M. Etter), périodes pendant lesquelles elle n'a eu qu'un représentant.

En outre, pendant les années 1848 à 1864 et depuis 1911 il y a eu un Tessinois au Conseil fédéral et de 1913 à 1919 un Grison de langue romane.

La Suisse latine a donc été représentée par un membre de 1875 à 1881, par deux membres de 1848 à 1875, de 1881 à 1911 et depuis 1934, par trois membres de 1911 à 1917 et de 1919 à 1934 et par quatre membres de 1917 à 1919. Cet aperçu suffit à montrer non seulement l'effort sincère d'être juste envers la minorité (constituant le 28 pour cent de la population, elle a eu temporairement la majorité au Conseil fédéral, soit exactement le 57 pour cent), mais encore la difficulté de réaliser cette volonté, comme le prouvent les variations considérables relevées plus haut (de un à quatre représentants). Cette instabilité est devenue un facteur d'incertitude et de mécontentement lorsque la balance penche d'un côté ou de l'autre.

Proportionnellement, à s'en tenir purement aux chiffres, cinq sièges sur sept reviendraient à la
Suisse allemande et deux au restant de la Suisse.

L'expérience des dernières décennies a toutefois montré qu'il ne fallait pas se livrer à un calcul purement mathématique et qu'il valait mieux se placer à un point de vue plus élevé, en faisant intervenir la raison d'Etat, pour accorder aux minorités de langue non pas seulement deux sièges mais trois. Cela permet d'assurer aussi un siège à la population de langue italienne, deux étant réservés à la Suisse romande. Et l'on met ainsi fin aux fâcheuses oscillations du passé. Cependant, si les conseillers fédéraux restent au nombre de sept, cela n'est pas toujours possible sans que la représentation de quatre membres laissée à la population de langue allemande puisse être parfois ressentie comme une injustice. Une motion Feuille fédérale. 92« année. Vol. I.

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Legier l'a montré. Si, en revanche, il y a neuf sièges à répartir, il est possible de prendre en considération les désirs des minorités de langue sans demander à la population de langue allemande un trop grand sacrifice. Lors donc qu'on a égard aux minorités de langue, l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux apparaîtrait désirable.

b. D'autre part, il y a la représentation au Conseil fédéral des tendances politiques en faveur desquelles l'initiative voudrait faire insérer une garantie expresse dans la constitution, comme les minorités des commissions parlementaires l'avaient déjà proposé en 1913 et 1917. Pendant les premières décennies de l'existence de notre Etat fédératif, les circonstances ont fait adopter le principe de l'unité de gouvernement, d'après lequel le parti de majorité est seul représenté au pouvoir exécutif et assume seul toute la responsabilité. Ce principe a été abandonné pour la première fois en 1891 où un représentant du parti conservateur-catholique est entré au Conseil fédéral. Dès lors, ce parti a été représenté par un membre jusqu'en 1919 et ensuite par deux (remplacement de Decoppet par M. Musy). De 1917 à 1919 il y a aussi au gouvernement un représentant du parti libéraldémocratique (Gustave Ador). Depuis 1930 le parti des bourgeois et paysans y est également représenté. En revanche, ces dernières années, le parti socialiste a revendiqué en vain une représentation. Numériquement, ce parti serait, sans conteste, assez fort pour pouvoir revendiquer un siège au Conseil fédéral.

Aujourd'hui se pose donc la question de principe suivante : convient-il de suivre la voie dans laquelle on s'est engagé et d'aller plus loin dans la représentation des différents partis au sein du gouvernement ? Si l'on répond par l'affirmative, il y a là un autre motif, même s'il n'est pas décisif, pour élever le nombre des conseillers fédéraux. Et il n'en est pas ainsi seulement sur le terrain fédéral; au cours des dernières dizaines d'années, les cantons eux aussi ont de plus en plus admis les partis de minorité à la direction de l'Etat. Certains cantons (p. ex. Argovie, Lucerne et Berne) ont même consacré ce principe dans leurs constitutions.

La difficulté de répondre à tous ces désirs tant qu'on ne dispose que de sept sièges est apparue lors des dernières élections du Conseil fédéral.
D'où l'initiative de porter à neuf le nombre des membres du gouvernement.

Il ne s'agit d'ailleurs pas uniquement d'opportunité mais de principe, car les différents facteurs qui doivent jouer un rôle pour des raisons supérieures (langues, cultures, politique, régions, comme aussi les droits traditionnels des trois plus grands cantons) ne laissent pas assez de jeu à un autre facteur, extrêmement important, celui de la qualification personnelle des candidats, si l'on s'en tient au nombre de sept conseillers fédéraux. L'envergure des hommes d'Etat qui auront à diriger notre pays ne doit en aucun cas souffrir de cet état de choses. Tous les égards, du reste parfaitement justifiés, qu'on aura ne devront pas faire perdre de

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vue les capacités et l'aptitude personnelle requises pour ces hautes fonctions.

La nécessité d'avoir égard aux minorités milite donc pour l'augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral à neuf. Pareille augmentation se justifie en outre par le fait qu'avec sept conseillers fédéraux là majorité des membres du gouvernement serait toujours fourme par les cantons de Berne, Zurich, Vaud et Tessin si l'on admet que les trois plus grands cantons et la Suisse de langue italienne doivent être représentés en permanence au Conseil fédéral.

2. Outre les arguments politiques, on fait valoir de sérieuses raisons administratives. La plus importante, et de beaucoup, est la possibilité de décharger le Conseil fédéral dans son ensemble et les conseillers fédéraux individuellement d'une partie de leur travail et de leur permettre ainsi de consacrer plus de temps et d'attention aux grands problèmes de la direction de l'Etat, comme aussi de mieux embrasser et surveiller les affaires de leur département. Le message de 1894 considère ce côté de la question comme essentiel pour la réorganisation du Conseil fédéral.

a. Lorsque la diète de 1848 ne se contenta pas des cinq conseillers fédéraux proposés par sa commission et qu'elle en fixa le nombre à sept, un des arguments décisifs consista à dire que sept conseillers seraient mieux à même d'accomplir le travail prévu. La suite montra que le volume des affaires dépassait considérablement tout ce qu'on avait attendu.

Déjà en 1894 le Conseil fédéral écrivait dans son message (FF 1894, II, 911) : « Pour se faire une idée de cette énorme augmentation, il suffit de jeter un coup d'oeil sur les rapports de gestion des périodes antérieures et de celles les plus rapprochées de nous, de les comparer entre eux, d'examiner les budgets avec leurs rubriques et leurs sommes, les annuaires fédéraux, le nombre et l'étendue des bureaux et des locaux aménagés précédemment et maintenant pour l'administration fédérale, les registratures des départements, la quantité des actes déposés aux archives dans les différentes périodes et la liste des tractanda des conseils de la Confédération. » Cela est encore vrai aujourd'hui. Il faut cependant noter que, depuis le message cité, une tout aussi longue période s'est écoulée et que les affaires ont continué d'augmenter jusqu'à aujourd'hui. La guerre mondiale de 1914 a encore notablement accéléré cette progression. Le tableau suivant donne un aperçu général de cet accroissement:

620 Dépenses ordinaires en millions de francs

1849 1870 1900 1913 1920 1930 1938

28

18,2 60,2 105,8 2769 4264 5780

Etat du lersonnel administration centrale

80 807 2883

4992 4625 6427

au total 3079

8874 19877 66756 74 373 65 590 62950

Ces chiffres démontrent que les tâches de l'administration fédérale ont beaucoup augmenté depuis la création de l'Etat fédératif. Au fur et à mesure de cette évolution on s'est aussi efforcé de déléguer certaines attributions à des organes subordonnés, afin que le travail du Conseil fédéral reste dans des limites raisonnables. Bien que ces efforts aient abouti en grande partie, on ne peut pas contester que les membres du Conseil fédéral sont actuellement surchargés de besogne. Certains départements devraient être déchargés même en temps normal.

b. Tous ceux qui connaissent la situation sont persuadés de cette nécessité d'alléger ce fardeau. Les avis divergent seulement parfois quant aux voies à suivre. Un allégement en faveur de l'administration fédérale en général et, plus particulièrement, du Conseil fédéral et de ses membres, a été tenté ces Hi-y dernières années et en partie réalisé par l'application plus stricte du principe de la séparation des pouvoirs. On a attribué à des organes créés à cet effet des pouvoirs juridictionnels et législatifs. Ainsi, à partir de 1890, la compétence pour juger certaines affaires a été transférée du Conseil fédéral au Tribunal fédéral.

Ce qui serait beaucoup plus efficace, c'est la libération de l'administration fédérale de ses missions législatives, comme on l'a parfois proposé.

Une grande partie du temps et de la force de travail du Conseil fédéral, de ses membres et des chefs de service est en effet absorbée par la préparation de changements constitutionnels, de lois ou d'arrêtés fédéraux, par leur défense devant le parlement ou même devant le peuple. Cependant, ainsi que le message de 1894 (p. 912 et s.) l'a déjà exposé, il ne saurait être question d'ôter cette charge au Conseil fédéral, en enlevant complètement, comme en Amérique, à l'administration l'élaboration des projets législatifs. En revanche, il serait possible -- et les circonstances favorisent cette tendance chez nous également -- d'augmenter les attributions du

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gouvernement même en temps normal, toute hypertrophie du parlementarisme pouvant à la longue devenir malsaine et même dangereuse.

c. Au lieu de cet allégement, que l'on peut qualifier d'absolu puisqu'il profite à l'ensemble de l'administration dont il diminue le travail, il est possible d'envisager un autre mode de faire, soit simplement une répartition différente des tâches. Et ici intervient la possibilité d'une délégation de compétence et de responsabilité du haut vers le bas des échelons administratifs, non seulement pour le Conseil fédéral comme tel, mais pour chaque chef de département.

aa. La surcharge du Conseil fédéral provient principalement du système de gouvernement qui nous est propre. Le pouvoir exécutif de la Confédération est organisé d'après le modèle habituel d'un gouvernement cantonal : c'est une autorité formée par un collège dont émane en principe la décision de toutes les affaires, chaque membre de ce collège dirigeant en outre une partie de l'administration (département). D'après le premier texte de la constitution, adapté à un état de choses beaucoup plus simple qu'aujourd'hui, la création des départements avait simplement pour but de faciliter l'étude et l'expédition des affaires, la décision appartenant au Conseil fédéral comme autorité (l'organisation du 16 mai 1849 le réglait plus en détail). Selon l'interprétation étroite de cette disposition au début, les départements n'étaient pas compétents pour prendre des décisions quelconques. Il leur appartenait seulement de préparer et d'exécuter les décisions du Conseil fédéral comme tel. Le collège des conseillers fédéraux réunis devait donc aussi s'occuper des détails de l'administration fédérale.

Ce système ne put être maintenu longtemps, à cause de l'augmentation des affaires. Une interprétation plus libérale de la constitution apporta un remède: la délégation de certaines attributions du Conseil fédéral aux différents départements fut déclarée faisable lorsque les parties avaient la faculté de recourir au Conseil fédéral. La compétence des départements augmenta graduellement, de même que, par suite de délégations, celle des organes subordonnés (cf. arrêté fédéral du 21 août 1878, art. 20, 2e al.).

Beaucoup plus tard, cette conception fut consacrée par la constitution même, article 103 (votation populaire du 25 octobre
1914) (*). Ce mode (*) V. la loi du 26 mars 1914 sur l'organisation de l'administration fédérale, article 23 (RO 30, 292s.); l'arrêté du Conseil fédéral du 17 novembre 1914 donnant aux départements et aux services qui en dépendent la compétence de régler certaines affaires, dit arrêté de la délégation de pouvoirs, ainsi que les modifications de cet arrêté, des 1er mars 1918, 4 novembre 1919, 25 novembre 1919, 27 décembre 1928, 22 mars 1929 et 30 décembre 1937; l'arrêté du Conseil fédéral du 26 février 1926 donnant au département de justice et police et aux services qui en dépendent la compétence de régler les affaires qui leur ont été transmises par suite de la suppression de la division des affaires intérieures, ainsi que l'arrêté du Conseil fédéral du 19 février 1926 concernant la suppression de la division des affaires intérieures et la répartition de ses attributions.

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d'allégement était évidemment très incomplet, puisque la possibilité de recourir au Conseil fédéral existait en principe dans tous les cas.

Pour obtenir un allégement encore plus accentué, il importe d'examiner s'il n'y a pas lieu de modifier le système, du moment qu'il est lui-même la source des difficultés. Le système de directoire entrerait en ce cas en considération, qui permettrait ainsi de séparer nettement le gouvernement d'avec l'administration. Le Conseil fédéral ne s'occuperait guère que des affaires de gouvernement proprement dites, de la direction de l'Etat, à savoir de questions politiques. Il pourrait leur vouer toute son attention. Les affaires administratives, en revanche, incomberaient aux directeurs administratifs et aux services placés sous leurs ordres. Ils seraient investis des pouvoirs nécessaires, et dans les limites de leur compétence ils seraient aussi directement responsables. En conséquence, ils auraient accès aux conseils de la Confédération pour y défendre eux-mêmes leurs projets.

Ce mode d'organisation aurait l'avantage de soulager efficacement le Conseil fédéral (et du même coup ses membres). Mais il aurait le grand désavantage de créer deux catégories de membres du Conseil fédéral et, comme le message de 1894 le relève (p. 916), les directeurs, étant les véritables chefs actifs de l'administration, auraient bientôt l'avantage de mieux connaître les affaires, ce qui ferait perdre aux conseillers fédéraux la supériorité et l'autorité nécessaires. L'inconvénient du système ne serait pas corrigé par le fait que le peuple élirait le Conseil fédéral tandis que l'Assemblée fédérale nommerait les directeurs. Ces considérations ont amené le Conseil fédéral à rejeter cette séparation entre gouvernement et administration déjà en 1894 et constamment depuis lors. L'Assemblée, fédérale en a fait autant. Ce système est d'ailleurs complètement étranger aux conceptions suisses. Les expériences faites depuis la dernière guerre mondiale ne parlent pas non plus en faveur de cette innovation. Aujourd'hui moins que jamais il ne peut être question d'amoindrir le prestige du gouvernement, défaut inhérent au système directorial. Nous repoussons toutes les propositions faites dans ce sens.

Le Conseil fédéral comme tel ne peut donc être déchargé que dans une mesure limitée.

66. Moins la
possibilité d'alléger le travail du Conseil fédéral même est considérable et plus important est l'allégement du fardeau de chacun de ses membres, afin qu'il puisse vouer plus de temps et d'attention aux affaires du Conseil fédéral réuni en corps ainsi qu'à celles de son propre département. Une décharge sérieuse n'est concevable que de deux manières : délégation de pouvoirs de haut en bas (solution dite verticale) et élargissement de la base, soit augmentation du nombre des conseillers fédéraux (solution horizontale).

623 .La question de la délégation de pouvoirs à certains services et offices a déjà été traitée en détail dans le message de 1894. Elle était même, considérée à l'époque comme le seul moyen propre à soulager, jusqu'à un certain point, les chefs de département et à leur permettre, même avec un surcroît d'occupations, de venir à bout de leurs affaires administratives, avec leurs travaux législatifs et leurs obligations comme membres du Conseil fédéral. Ce système s'est développé depuis. Bien que la délégation de pouvoirs de haut en bas ait dès lors été réalisée dans une forte mesure, la charge de chaque conseiller fédéral n'en est pas moins devenue, sans conteste, encore plus lourde. En ce qui concerne le département de l'économie publique, cette charge dépasse les limites permises même en temps normal, de sorte qu'un allégement efficace apparaît inévitable. Mais jusqu'à un certain point pareil allégement pourrait se faire sans augmenter le nombre des conseillers fédéraux. Une enquête plus approfondie démontrerait peut-être la possibilité d'opérer ici ou là une utile délégation de pouvoirs à des organes subordonnés.

Le moyen le plus simple d'aboutir à ce résultat consisterait sans doute à créer des sous-secrétaires d'Etat qui pourraient défendre devant les chambres certaines affaires de moindre importance. Mais comme l'a déjà démontré le message de 1894, il ne serait cependant pas recommandable de transporter cette institution -- nécessaire peut-être aux grands Etats unitaires -- dans notre pays dont l'administration fédérale a des proportions plus modestes. Des tentatives en ce sens ont été faites pendant la guerre mondiale, certains fonctionnaires du département de l'économie publique ayant alors accès au parlement en vertu des pleins pouvoirs.

Mais ce mode de faire ne se Justine que pour les cas où des circonstances extraordinaires rendraient opportun d'y recourir temporairement. Plus utile serait sans doute une meilleure répartition des charges entre les différents départements.

d. Le second moyen: l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux de sept à neuf serait plus efficace que la délégation de pouvoirs. Cette innovation serait en tout cas de nature à soulager grandement les membres du gouvernement.

Le message de 1917 a proposé pour la première fois de chercher l'allégement dans
cette direction. Jusqu'alors on avait cru pouvoir se contenter d'autres remèdes (notamment de la délégation de pouvoirs de haut en bas).

Mais au cours de la guerre mondiale les affaires ont pris un développement si inattendu, qu'il est apparu d'une urgente nécessité d'augmenter le nombre des conseillers fédéraux.

Pendant les vingt-trois ans qui se sont écoulés depuis lors, la charge des chefs de département n'a cessé d'augmenter notablement malgré un ample transfert d'attributions. Et il n'y a guère lieu de s'attendre d'ici

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longtemps à une diminution des affaires de l'administration fédérale.

Même lorsque la paix sera revenue en 'Europe, l'après-guerre (l'expérience de la guerre mondiale l'a montré) avec ses nouveaux problèmes sociaux, économiques, financiers, politiques et de culture mettra à contribution la force de travail du Conseil fédéral encore pendant de nombreuses années dans la même mesure que maintenant.

///. Motifs 'contre, l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux.

L'examen auquel nous venons de procéder montre par conséquent que l'augmentation proposée du nombre des conseillers fédéraux peut être recommandée par des motifs tant politiques qu'administratifs. Mais à ces motifs s'opposent aussi de sérieuses objections que nous allons passer en revue ci-après avec la même objectivité.

1. L'argument le plus fort qu'on puisse avancer contre l'innovation proposée, c'est que l'augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral menace son unité et sa cohésion et affaiblit sa force de décision. Le Conseil fédéral avait déjà signalé ce danger dans son message de 1894 (p. 917) en exprimant la crainte qu'il puisse porter préjudice au pays.

Lors de la réorganisation de l'administration fédérale en 1913, il a exposé ce qui suit : « Le nombre actuel des membres garantit, comme l'expérience nous l'apprend, leur union intime, leur ferme cohésion, et par suite la force et l'unité du pouvoir exécutif. Aujourd'hui encore le Conseil est un corps compact; ses membres s'efforcent sincèrement non seulement de paraître unis, mais de l'être effectivement. De bonnes et loyales relations ont toujours été possibles avec les représentants de la minorité. Nous craignons que l'augmentation du nombre des membres ne facilite la formation de groupements, ne relâche la cohésion de l'autorité et ne lui fasse ainsi perdre de sa force et de son influence vis-à-vis du dehors » (FF 1913, II, 12 ; cf. aussi FF 1917, 655s.).

Ces considérations ne peuvent être que confirmées aujourd'hui. C'est un fait connu et même proverbial depuis longtemps qu'une décision est d'autant plus difficile à obtenir que le nombre des personnes appelées à se prononcer est plus grand. Certes la cohésion intime et la force de décision du Conseil fédéral dépendent moins du nombre que de la volonté d'entente de ses membres. Mais à cet égard aussi les
difficultés augmenteraient si le Conseil fédéral se composait de représentants d'opinions qui se contredisent sur des éléments essentiels. Que l'on songe par exemple à certain« problèmes importants en matière économique, financière ou de politique étrangère. Si les divergences qui existent incontestablement dans le peuple devaient se manifester dans le gouvernement du pays, elles pourraient en fait sinon paralyser son unité et sa force de décision, au moins les affaiblir. Or, dans les temps troublés que nous vivons, l'unité et la résolution

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sont pour le pays d'une importance primordiale et peut-être même vitale.

Les circonstances actuelles, dont les fortes tensions font souvent évoluer les événements de façon rapide et inattendue, exigent d'un peuple qui entend prospérer une concentration des forces et par conséquent une discipline intérieure accrue. Les partisans de l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux espèrent contribuer à ce résultat du fait que des couches plus nombreuses de la population se placeraient derrière le gouvernement et pourraient être appelées à collaborer efficacement avec lui. Mais il faut se demander si le gouvernement ne risquerait pas de reperdre en profondeur ce qu'il aurait ainsi gagné en élargissant sa base. Car la concentration intime de l'esprit dans une direction claire et suivie est tout aussi essentielle, si ce n'est même plus importante et plus précieuse, que la concentration extérieure des forces. Or c'est le gouvernement qui doit en premier lieu garder cette direction. Si le gouvernement est intérieurement résolu et fort, il lui sera possible de transmettre cette lucidité, ce calme et cette fermeté au peuple, malgré toutes lés difficultés. Est-il au contraire divisé et par conséquent indécis, la discorde et les dissensions s'accentueront d'autant plus dans le peuple.

Plus le nombre des membres est élevé, plus est grand le danger de voir se constituer des groupes au sein du Conseil fédéral lui-même et se former une majorité et une minorité, voire plusieurs petites fractions. Pareille situation affaiblirait ou compromettrait même la conduite énergique du pays, ce qui à la longue pourrait s'avérer dangereux pour celui-ci, précisément aux époques mouvementées et décisives.

Dans les gouvernements cantonaux l'évolution s'est faite dans le sens non d'une augmentation, mais d'une diminution. Vers 1840, plusieurs d'entre eux comptaient encore neuf, onze, douze, treize et quinze membres, tandis qu'aujourd'hui la plupart en ont sept ou cinq (*). Sans doute cette évolution a-t-elle été provoquée au moins en partie du fait que, d'une part, le champ d'activité des gouvernements cantonaux a été considérablement réduit par la constitution de 1848 et que, d'autre part, pour les .conseillers d'Etat le système des fonctions accessoires a de plus en plus fait place à celui des fonctions principales.. N'oublions
pas, d'ailleurs, que la cohésion est beaucoup plus importante pour le Conseil fédéral que pour un Conseil d'Etat cantonal, déjà du fait que le Conseil fédéral est non seulement un gouvernement au sens étroit, mais exerce encore les fonctions de chef de l'Etat. Pour des raisons analogues, on ne peut pas non plus (*) Le gouvernement cantonal est composé de cinq membres dans les cantons de Soleure, Baie-campagne, Schaffhouse, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin, Valais et Neuchâtel; de sept membres dans les cantons de Zurich, Lucerne, Uri, Schwyz, Unterwald-le-Haut, Glaris, Zoug, Fribourg. Baie-Ville, Appenzell Rh.-Ext., St-Gall, Vaud et Genève. Il y a neuf conseillers d'Etat dans les cantons de Berne et d'Appenzell Bh.-Int. et onze dans le canton d'Unterwald-le-Bas.

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faire de comparaison utile avec des ministères étrangers qui comptent un plus grand nombre de membres.

2. Une autre objection consiste à dire que nécessairement la réforme proposée augmenterait les frais de l'administration et les autres dépenses et accentuerait encore le fonctionnarisme. Même si l'on sait que l'élargissement du Conseil fédéral ne constituera en grande partie qu'une autre répartition des tâches existantes, il est facile de voir qu'on ne pourra pas créer deux nouveaux départements sans augmenter le nombre des fonctionnaires et les dépenses de l'administration. Les deux départements devront avoir chefs de division, adjoints, chefs de section, experts techniques et personnel de chancellerie. Des locaux convenables devront être mis à leur disposition. Puis il y aura l'usure du matériel de toute sorte, etc.

Pour pouvoir indiquer avec quelque précision l'ampleur de cette extension, il faudrait faire des enquêtes et des calculs approfondis. Mais même sans cela on peut au moins dire que cet élément doit être pris en sérieuse considération à notre époque où l'on tend énergiquement à une réduction des dépenses et en particulier du coût de l'administration. De plus on ne saurait écarter entièrement le danger de voir les deux nouveaux départements envisagés exercer une certaine force attractive et engendrer de nouvelles attributions et tâches pour l'Etat, ce qui augmenterait encore les dépenses de l'administration.

Abstraction faite de ces dépenses supplémentaires, il est sans doute superflu d'expliquer longuement que l'augmentation du nombre des fonctionnaires ne serait pas précisément accueillie avec satisfaction.

3. Signalons en outre que l'innovation proposée pourrait donner lieu à des luttes politiques qu'il faudrait pourtant éviter autant que possible dans les temps troublés actuels. Certes la controverse autour du principe ne pourra plus être empêchée, maintenant que par l'initiative la question a été soumise au peuple. Celui-ci devra donc voter sur la revision constitutionnelle proposée et le choc des arguments pour ou contre ne pourra pas non plus être évité. N'oublions pas cependant que si l'innovation est acceptée, ces luttes se prolongeront encore longtemps et se renouvelleront toujours. L'administration fédérale devrait être réorganisée sur certains points importants, de
nouveaux départements devant être créés et les sept actuels transformés. Des années seraient peut-être nécessaires pour élaborer la législation nécessaire et son application qui donneraient lieu pendant ce temps à de nouvelles discussions politiques.

4. Il faut compter avec certaines difficultés même après que la réorganisation sera chose faite; on peut craindre en particulier que la création de nouveaux départements et la nouvelle répartition des tâches gouvernementales ne provoquent dans l'appareil administratif des frottements qui ne se manifestent pas encore aujourd'hui. Actuellement les opinions diver-

627 gentes et intérêts contradictoires peuvent être éliminés et réglés déjà au sein des départements. Cela sera plus difficile lorsque certaines attributions empiétant l'une sur l'autre auront été réparties entre plusieurs départements. Avec le temps, il est vrai, ces frottements pourront être atténués considérablement, mais il faudrait compter jusque là sur plus d'une difficulté.

IV. Création d'un département de la présidence.

Il serait sans doute prématuré de faire aujourd'hui déjà des propositions sur le partage des attributions entre les départements, en vue de l'éventualité où l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux devrait être décidée. En revanche nous croyons justifié d'ajouter quelques observations au moins sur la question essentielle de savoir si le neuvième département ne devrait pas être constitué sous forme de département de la présidence.

Cette question est étroitement liée à celle de la direction du département politique. Celle-ci a eu des avatars. Jusqu'en 1888 ce département fut confié par décisions successives du Conseil fédéral au président de la Confédération. On lui donna ensuite un chef stable (système Droz), mais en 1895 le régime antérieur fut rétabli. La loi de 1914 sur l'organisation de l'administration fédérale a institué à nouveau la continuité de la direction du département politique, système qui a été maintenu dès lors, sauf une courte interruption de 1917 à 1919. Les expériences faites semblent avoir ancré la conviction générale qu'il ne saurait plus être question de revenir au système du changement annuel dans la direction du département politique.

Ce régime, qui tient notamment compte des besoins du département politique, ne résout cependant pas de façon satisfaisante la question de la présidence. Les attributions et l'importance du président de la Confédération s'en trouvent considérablement amoindries, alors qu'il reste surchargé, puisque, outre les affaires de son département, il assume les nombreuses affaires de la présidence.

La création d'un département spécial de la présidence serait peut-être de nature à remédier efficacement à cet état de choses. Le président pourrait alors se vouer exclusivement aux affaires présidentielles. Il serait par conséquent possible d'augmenter sensiblement ses tâches, d'une part en élargissant le cadre des décisions
présidentielles et, d'autre part, en lui donnant mission de s'occuper surtout des grands problèmes de la direction de l'Etat. Ce devoir impliquerait celui de prêter une plus grande attention aux projets les plus importants des autres départements. On pourrait ainsi remettre en valeur le principe suivant lequel les décisions essentielles doivent émaner du Conseil fédéral en corps. Concurremment avec la

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création d'un département de la présidence, il faudrait examiner la prolongation de la durée des fonctions présidentielles (p. ex. à trois ans). Pareille innovation serait-elle compatible avec nos conceptions fondamentales ? Ne serait-ce pas placer un pouvoir démesuré dans les mains d'un seul homme ?

Ne devrait-on pas, tout au moins, se prémunir contre ce danger par des mesures appropriées ?

F. Récapitulation.

Les explications ci-dessus, qui ont cherché à opposer objectivement le pour et le contre, nous conduisent aux conclusions suivantes: Du fait que le Conseil fédéral comme tel et ses membres pris individuellement, certains d'entre eux plus particulièrement, sont très chargés, une augmentation du nombre des conseillers fédéraux apparaîtrait souhaitable.

En outre, un gouvernement de neuf membres permettrait de réaliser plus facilement la représentation proportionnelle des différentes langues et régions du pays. De même les principales tendances politiques pourraient mieux être prises en considération, surtout si l'on veut aller plus loin dans ce sens que jusqii'à maintenant. Remarquons cependant que la représentation du parti socialiste au sein du gouvernement n'a pas à cet égard une portée de principe, ai importante que soit en elle-même cette question.

Car l'on pourrait aussi réaliser cette idée si le Conseil fédéral compte sept membres.

A ces motifs en faveur de l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux s'opposent les arguments suivants: L'affaiblissement possible de la cohésion et de la force de décision du gouvernement ; l'augmentation du coût de l'administration et d'autres dépenses; l'accroissement du nombre des fonctionnaires; les luttes politiques provoquées par la réalisation de l'innovation et de nouveaux frottements dans l'appareil administratif.

Ce sont ces objections qui nous engagent à ne faire aucune proposition relative à l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux, l'allégement nécessaire devant être obtenu en revisant prochainement la loi du 26 mars 1914 sur l'organisation de l'administration fédérale afin de répartir autrement le travail entre les départements et d'accentuer la délégation de pouvoirs aux organes subordonnés. Si vous ne partagiez pas nos scrupules, nous vous laisserions le soin de proposer au peuple et aux cantons cette augmentation au
moyen d'un contre-projet à l'initiative. Dans ce cas, le contre-projet pourrait être ainsi conçu: « Les articles 95 et 100 de la constitution fédérale sont remplacés par les dispositions suivantes: « Art. 95. L'autorité directoriale et executive supérieure de la Confédération est exercée par un Conseil fédéral composé de neuf membres.» « Art. 100. Le Conseil fédéral ne peut délibérer que lorsqu'il y a au moins cinq membres présents.»

629 «Après l'article 100 est inséré l'article IQQbis suivant: « Art. lOObis. La législation fédérale statue les dispositions de détail pour l'application des principes énoncés aux articles 95 et 100.» « Le Conseil fédéral répartira de son chef le travail entre les départements, jusqu'à la revision de l'organisation de l'administration fédérale du 26 mars 1914.» B. Questions spéciales.

Pour le cas où l'on se déciderait à augmenter le nombre des conseillers fédéraux, il faut résoudre à nouveau trois questions: 1° Faut-il inscrire dans la constitution une disposition relative à la représentation des minorités ?

2° Faut-il biffer la disposition qui interdit de choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton? (art. 96, 1er alinéa); 3° Qu'en est-il du nombre de membres présents requis pour que le Conseil fédéral puisse délibérer valablement ? (question du quorum, art. 100).

Il y a lieu d'examiner plus en détail ces trois questions.

/. La représentation de minorités.

Tandis que les deux postulats ne s'occupent point de la représentation des minorités, l'initiative propose d'insérer dans l'article 96 le 1er alinéa suivant : « En élisant le Conseil fédéral on doit tenir compte équitablement des tendances politiques et des régions linguistiques de la Suisse. Trois membres du Conseil fédéral au moins doivent appartenir aux régions de langue française, italienne ou romane de la Suisse, cinq au moins aux régions de langue allemande. » Cette disposition a pour but d'assurer la représentation équitable, au sein du Conseil fédéral, des groupes du peuple les plus importants, d'après la langue et quant aux partis politiques.

L'initiative double de 1899 demandait seulement que « deux membres au moins » fussent choisis dans « la Suisse romande ». Cette proposition rencontra alors peu de sympathie. Dans son message de 1917, le Conseil fédéral déclare : « Nous, ne voudrions pas . . . étendre la revision constitutionnelle à la question des garanties à donner éventuellement à la représentation des minorités tant politiques que considérées au point de vue de la langue », et cela, surtout, pour éviter de fâcheuses discussions au sujet de la constitution (FF 1917, III, 660). Au Conseil des Etats, les représentants de minorités réclamèrent des garanties constitutionnelles.

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Mais toutes les propositions furent rejetées. Au Conseil national il n'y eut même pas de votation sur cette question.

1. Que l'on tienne compte équitablement des langues nationales dans la Confédération, c'est un principe non seulement admis mais encore suivi depuis 1848. La majorité.de langue allemande a toujours considéré comme son devoir moral de faire aux autres langues la place qui leur revient proportionnellement au chiffre de la population, et souvent elle a utilisé sa position privilégiée pour leur accorder une représentation encore plus grande. L'histoire montre, de fait, que les minorités de langue ont eu, en moyenne, au Conseil fédéral une représentation plus que proportionnelle.

La notion des minorités de langue dans le sens péjoratif de minorités prétéritées dans leurs droits est inconnue en Suisse non seulement en apparence, mais aussi en réalité. Le principe même, nous l'avons déjà dit, n'est donc pas en discussion. Et ce n'est guère le cas non plus pour le nombre des représentants qui reviendrait aux minorités de langue si les conseillers fédéraux devenaient plus nombreux. Car la modification constitutionnelle doit précisément permettre de donner trois représentants à ces minorités, comme le propose l'initiative. Une fraction de 28 pour cent de la population aurait ainsi une représentation de 33% pour cent dans le gouvernement.

Il ne s'agit donc que d'examiner s'il faut statuer une garantie formelle en faveur des différentes langues nationales. L'expérience du passé prouve suffisamment que cela n'est pas nécessaire. Introduire dans la constitution une garantie expresse risque au contraire de créer des situations embarrassantes et des dilemmes dont les conséquences seraient très nuisibles pour l'ensemble de l'institution. La nécessité d'élire immédiatement un représentant des minorités de langue pourrait, par exemple, avoir pour effet d'exclure indéfiniment des forces eminentes du Conseil fédéral.

On ne peut objecter à ces arguments que l'article 107 de la constitution fédérale institue déjà une telle garantie de minorité pour le Tribunal fédéral et que cette garantie n'a pas provoqué de difficultés. La situation n'est en effet pas la même. Le nombre des juges fédéraux est sensiblement plus grand (24 aujourd'hui). Puis il ne s'agit pas de la direction de l'Etat, de sorte que les
intérêts supérieurs de celui-ci ne font pas obstacle à l'application du principe. La représentation des langues nationales au Tribunal fédéral est au contraire désirable pour des raisons objectives. La représentation équitable des minorités de langue au Conseil fédéral doit donc rester une loi non écrite qu'il faudra, d'une manière générale, appliquer aussi consciencieusement qu'un texte formel.

2. Encore moins peut-on songer à instituer une garantie en faveur des partis politiques. Car, ici, le point de départ est bien plus défavorable.

Le groupement d'après les langues correspond à une notion claire et se

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fonde sur des chiffres relativement constants; ni l'un ni l'autre critères n'existent pour les partis politiques. L'appartenance à un parti est souvent incertaine; le parti lui-même ne connaît qu'approximativement le nombre de ses adhérents. Le groupement des partis est sujet à de fréquentes fluctuations; en quelques années il peut changer essentiellement. Des partis disparaissent ou se divisent ou fusionnent d'après d'autres conceptions politiques; de nouveaux partis se forment qui ont des programmes complètement différents; d'autres encore se développent de façon inattendue; et des partis dirigeants passent à l'arrière-plan. On voit qu'au bout d'un petit nombre d'années la constellation des partis politiques peut avoir une apparence toute modifiée. Par ces motifs, entre autres, le principe de la représentation proportionnelle au gouvernement est loin d'être reconnu aussi généralement pour les partis que pour les groupes formés d'après les langues. Tandis que les dictatures ne reconnaissent qu'un seul parti, parce que l'Etat comportant des partis est contraire à la notion même de la dictature, il y a une deuxième catégorie d'Etats où le parti qui détient la majorité ou une coalition formant la majorité revendique tous les sièges au gouvernement. Dans une troisième catégorie enfin, on admet une représentation proportionnelle des principaux partis au gouvernement, la proportion étant ou bien fixée par la loi, ou bien volontaire. Dans ce dernier cas, elle est plus ou moins marquée suivant les circonstances. Sous le régime de la constitution actuelle, le Conseil fédéral a comporté jusqu'en 1890 une seule tendance politique, la tendance radicale (freisinnige). Depuis lors, le principe de l'admission des grands partis de minorité s'est instauré de plus en plus. Aujourd'hui de vastes cercles sont disposés à faire un pas de plus et à réserver une place à tous les grands partis existants. On ne saurait mettre en doute la volonté bien arrêtée de persévérer dans cette voie pour tous les grands partis qui sont prêts à collaborer loyalement à la direction de l'Etat, mais le saut serait grand jusqu'à l'institution d'une garantie constitutionnelle, et ce serait un saut très risqué dans l'inconnu, singulièrement parce qu'on donnerait imprudemment à des partis et des coalitions futures dont on ignore le programme
une traite en blanc qu'il serait, le cas échéant, difficile de solder lors de sa présentation. En effet, tout autrement que pour les minorités de langue, on peut imaginer ici des situations où l'élection du représentant d'un parti dont ce serait « le tour » ne se concilierait pas avec l'intérêt vital du pays. Et il ne s'agit pas seulement du risque qu'une disposition rigide de la constitution empêche le choix du plus digne. Il serait encore plus fâcheux que chaque parti qui compte au moins un neuvième des électeurs eût droit à une représentation, sans égard à sa position en face des problèmes fondamentaux de l'Etat. De tout autres conséquences que pour un corps législatif pourrait avoir l'introduction de la représentation proportionnelle dans un collège de magistrats appelés à diriger et à conduire, à prendre de promptes décisions et à agir rapidement, activité dont le cours limpide et continu est

632 une condition .du bien-être de la collectivité. Ces conséquences pourraient même être funestes à l'Etat.

L'application de la disposition envisagée serait du reste extrêmement difficile. Qu'est-ce qu'une tendance politique ? Quand sa représentation sera-t-elle équitable ? L'autorité électorale devrait le décider. Deux conceptions fondamentales entrent en question. Ou bien l'Assemblée fédérale apprécie librement ce que l'équité requiert, en considérant toutes les circonstances, soit notamment la raison d'Etat et l'opportunité. En ce cas, la disposition constitutionnelle est sans valeur. Elle n'institue pas une garantie et peut seulement créer des difficultés. Ou bien l'équité signifie représentation proportionnelle: chaque parti qui rassemble autour de son drapeau au moins un neuvième des électeurs a droit à un siège.

La question suivante se pose alors : un conseiller fédéral doit-il démissionner lorsque son parti n'atteint plus le quotient électoral, par exemple paisuite de division ou de fusion de deux plus petits partis dont l'ensemble forme un nouveau parti plus fort que celui qui est représenté au Conseil fédéral ? Qu'arrivera-t-il si un parti retire sa confiance à son représentant ?

Et si un grand parti ne veut pas en avoir ? Faut-il néanmoins lui en donner un ? Quelles garanties y a-t-ü contre une violation du principe ? Que faire si, dans un cas donné, on s'en départ volontairement, par exemple dans l'intérêt supérieur de l'Etat?

Encore plus critiquable que ces obscurités et ces incertitudes serait la conséquence nécessaire de la proportionnelle, qui ferait de chaque conseiller fédéral le représentant d'un parti. Même s'il s'élevait personnellement au-dessus des considérations de parti -- ce qui serait bien plus difficile dans ce système --, il ne laisserait pas d'être, regardé et jugé comme un homme de parti. On introduirait ainsi la lutte des partis politiques dans le gouvernement, et la proportionnelle agirait dans ce collège, où la cohésion et la décision ont une importance essentielle, comme une force dissolvante. L'expérience faite dans les cantons où la constitution a institué le système proportionnel pour le gouvernement semble contredire ce que nous venons d'avancer. Mais il ne faut pas perdre de vue que les circonstances dans les cantons sont très différentes. Derrière les
cantons il y a toujours la Confédération. En outre, la mission du Conseil fédéral n'est pas la même que celle des gouvernements cantonaux.

Par ces motifs, nous écartons l'idée d'adopter une disposition sur la représentation équitable des partis politiques.

//. Un canton -- tout au plus un conseiller fédéral.

La deuxième question se rapporte au principe : « un canton -- tout au plus un conseiller fédéral ». Il faut en effet se demander si, après une augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral, il n'y aurait pas lieu de biffer la règle qui figure depuis 1848 en ces termes dans la

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constitution (art. 96, 1er alinéa) : « On ne pourra toutefois choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton. » Ni l'initiative ni les deux postulats ne le proposent, il est vrai. Ceux-ci n'en parlent même pas, tandis que celle-là prévoit expressément le maintien de la disposition. Mais dans la presse sa suppression a été réclamée comme étant le corollaire du nombre accru des membres du Conseil fédéral. Et, de fait, ces deux questions sont liées: plus nombreux sont les conseillers fédéraux et moins la disposition se justifie.

Elle a été adoptée pour donner aux petits cantons une garantie contre la prééminence des grands. Alors que la Confédération d'Etats avait compté uniquement le nombre des Etats, l'Etat fédératif a instauré le principe démocratique qui exige la majorité calculée par têtes, la majorité des Etats étant maintenue en outre pour certaines questions. Pour l'élection du Conseil fédéral, le principe démocratique l'emporte mémo, puisque les 187 voix des conseillers nationaux et les 44 voix des conseillers aux Etats s'ajoutent les unes aux autres lors de la votation et que celles du Conseil des Etats jouent numériquement un rôle moins important que celles du Conseil national. La disposition en question devait compenser ce déséquilibre. Les événements ont montré combien on avait eu raison de l'adopter, car, pendant de nombreuses années, les sept plus grands cantons s'attribuèrent tous les sièges au Conseil fédéral. "D'où le mouvement qui s'est produit pour faire porter à neuf le nombre des membres du gouvernement. Cette situation serait-elle essentiellement modifiée après l'augmentation du nombre ?

Les deux plus grands cantons, il est vrai, ont ensemble le tiers à peu près de la population suisse totale, de sorte que proportionnellement trois sièges leur reviendraient sur neuf. Il est juste aussi que l'interdiction de choisir plus d'un conseiller fédéral dans le même canton empêche parfois l'élection du plus capable, ce qui est regrettable. Il faut néanmoins s'en tenir à cette règle parce qu'elle repose sur les arguments suivants qui ont encore plus de poids.

En supprimant la restriction existante on courrait le risque de voir les trois plus grands cantons disposer constamment de la majorité au Conseil fédéral bien qu'ils ne représentent que le quarante pour cent de la
population totale. Pareille situation non seulement serait inéquitable, mais encore affaiblirait considérablement la structure federative de la Confédération. La clause dont il s'agit a d'ailleurs été introduite dans la constitution comme l'une des garanties de cette structure. Car au cours de l'histoire des efforts ont toujours été faits pour renforcer cette particularité. Songeons aux propositions d'interdire l'élection successive de deux conseillers fédéraux du même canton ou de limiter la récligibilité des membres du gouvernement. Renoncer à la défense de choisir plus d'un conseiller fédéral dans le même canton reviendrait donc à affaiblir dans une sensible mesure l'équilibre actuel.

Feuille fédérale. 92<= année. Vol. I.

48

634

///. Quorum nécessaire pour délibérer.

Il serait en revanche nécessaire d'élever le chiffre du quorum. Aux termes de l'article 100 de la constitution, « le Conseil fédéral ne peut délibérer que lorsqu'il y a au moins ' quatre membres présents ». Dans les discussions de 1848, on proposa de dire qu'au moins trois voix sont nécessaires pour qu'une décision soit valable. Mais cette proposition fut repoussée, puisqu'un quorum de trois membres, soit la minorité, eût alors suffi. La réglementation en vigueur (art. 100 Cst. et 7 de la loi sur l'organisation de l'administration fédérale) statue que le Conseil fédéral prend ses décisions à la majorité des voix mais qu'une décision est seulement valable lorsqu'elle a réuni au moins les voix de trois membres, que le président vote et qu'en cas d'égalité de suffrages sa voix est prépondérante.

Après l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux de sept à neuf, le quorum devrait être porté à la majorité absolue, soit à cinq membres.

Cela serait suffisant. La proportion actuelle serait à peu près maintenue.

Il faudrait en outre élever à quatre le nombre de voix requis pour la validité d'une décision. Mais on pourrait se borner à modifier en ce sens la loi d'organisation.

En ce qui concerne la première question, nous estimons donc ne devoir faire aucune proposition d'augmenter le nombre des membres du Conseil fédéral. Au cas où l'augmentation serait néanmoins décidée, nous recommandons de porter à cinq membres le quorum requis pour les délibérations et d'écarter toutes modifications quant à la représentation des minorités et des cantons.

DEUXIÈME

PARTIE

L'ÉLECTION DU CONSEIL FÉDÉRAL PAR LE PEUPLE /. Introduction.

L'initiative tend en second lieu à faire élire le Conseil fédéral par le peuple. Ce mode d'élection a déjà été envisagé lors de la création de l'Etat fedératif. Mais il fut repoussé à une très faible majorité (10 contre 9).

Par la suite, des minorités le proposèrent à réitérées reprises, en avançant des arguments variés. Vers 1860, l'association du Grütli réclama cette réforme pour mettre mieux en oeuvre les droits populaires. Ce fut surtout Bernet, conseiller national st-gallois, qui soutint ce mouvement dans la presse. Dans la commission du Conseil national, Vautier, député radical genevois, fit une proposition dans ce sens; Alfred Escher la combattit et la commission la rejeta. La proposition de Wïlhelm Vigier, conseiller radical soleurois, eut un sort analogue dans la commission du Conseil des Etats. Mais la discussion continua dans le peuple. Le colonel Scherer, qui devint plus tard conseiller fédéral, prit, pour des raisons démocratiques,

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la défense de l'élection par le peuple; James Fazy eh fit autant pour assurer une meilleure séparation des pouvoirs; et le conseiller fédéral Dubs se prononça dans le même sens avec quelques réserves, en sa qualité de fédéraliste. Il s'ensuivit qu'en 1872, lors des discussions relatives à là revision constitutionnelle, le Genevois Carteret, collaborateur de Fazy, proposa de nouveau au Conseil national l'élection par le peuple. Sa proposition ne fut pas mise aux voix, car il la retira parce que son caractère avait changé après l'adoption de la proposition éventuelle de Cérésole de faire élire le Conseil fédéral non seulement par le peuple mais encore par les cantons.

Quant au député Kaiser, il proposa au Conseil national une forme négative de l'élection par le peuple, c'est-à-dire le droit pour celui-ci de révoquer l'élection du Conseil fédéral. Dubs appuya cette proposition, mais elle ne fut pas agréée. Et on laissa la question dormir jusqu'en 1890, Entre-temps, l'élection du gouvernement par le peuple avait gagné beaucoup de terrain dans les cantons. Encouragé par ce fait, le « Grutlianer » rouvrit le débat dans une série d'articles. Le 22 avril 1898, le groupe socialiste du Conseil national (Wull.schleger et Scherrer-Füllemann) déposa ensuite une motion en faveur de l'élection par le peuple. Avant qu'on pût la traiter, les deux initiatives lancées par quelques démocrates st-gallois aboutirent. La seconde d'entre elles visait à porter à neuf le nombre des conseillers fédéraux et à les faire élire par le peuple, deux sièges devant revenir à la Suisse romande. Mais les Chambres repoussèrent ces demandes (le Conseil national par 79 voix contre 33, le Conseil des Etats par 28 voix contre 7). La votation populaire du 4 novembre 1900 leur fit le même sort à une grande majorité (270 522 non contre 145 926 oui et 124/2 Etats contre 72/2)- Depuis lors, l'élection par le peuple ne fut plus demandée que conjointement avec l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux. Dix ans plus tard, en effet, Blumer fit cette double proposition dans la commission du Conseil national qui s'occupait de la réorganisation de l'administration fédérale.

Le Conseil fédéral promit d'étudier ces questions. Son message du 13 mars 1913 relatif à l'organisation de cette administration se prononce contre l'élection par le peuple
(FF 1913, II, 13). Les Chambres en firent autant.

Le message de 1917 y fait à peine allusion (FF 1917, III, 649 s.). Les conseils discutèrent la question mais la résolurent négativement. Une motion du conseiller national Huber-St-Gall du 11 décembre 1919, qui réclamait l'élargissement du Conseil fédéral et son élection par le peuple d'après le système proportionnel, ne fut pas discutée. L'initiative du 29 juillet 1939 propose à nouveau l'élection de neuf conseillers fédéraux par le peuple.

Cette demande est due au fait que le parti socialiste n'a pas été pris en considération lors des élections du Conseil fédéral.

Faut-il faire droit à la demande populaire ? Il y a lieu d'examiner la question indépendamment de celle de l'augmentation du nombre des conseillers fédéraux. Sans doute les deux questions ont-elles toujours été liées depuis 1890, en sorte qu'on pourrait croire que la décision en faveur

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de l'augmentation préjuge la question de l'élection. Le message de 1917 a toutefois montré qu'il n'en est rien. Il déclare que « l'augmentation du 'nombre des membres ne dépend point organiquement de la nomination par le peuple. On ne voit pas pourquoi un pouvoir exécutif de neuf membres devrait être élu par le peuple plutôt qu'un pouvoir exécutif de sept membres.

Il est désirable, croyons-nous, de séparer la question du nombre des membres de celle de la nomination par le peuple et de la traiter entièrement à part » (FF 1917, III, 659). On peut donc, comme l'a dit alors M. Häberlin, devenu dans la suite conseiller fédéral, être partisan de l'augmentation mais adversaire de l'élection par le peuple. On peut même faire un pas de plus et dire : Plus le nombre des conseillers fédéraux à élire est grand et plus grandes sont les difficultés de l'élection par le peuple, lorsque la Suisse ne doit former qu'un seul arrondissement électoral. Si pendant cinquante ans les deux réformes ont toujours été proposées en même temps, c'est parce qu'on estimait qu'elles constituaient l'une et l'autre dans la même mesure des moyens appropriés et se complétant pour répondre aux voeux des minorités qui en avaient pris l'initiative. Aujourd'hui, la question de l'élection se pose d'une manière tout à fait indépendante.

//. Considérations de principe.

L'avantage qui rend l'élection par le peuple sympathique à première ^rae résidé dans l'occasion qu'on fournit au peuple de manifester sa volonté directement dans une question importante. La notion de la démocratie en général implique que le peuple puisse exercer une influence sur le choix de son gouvernement; l'élection du gouvernement directement par le peuple est un principe de la démocratie pure. Montesquieu disait déjà à propos de la démocratie : « C'est donc un des principes essentiels de ce genre de gouvernement que le peuple nomme ses ministres, c'est-à-dire ses autorités ». Le prototype de ce système est l'élection par la landsgemeinde. L'élection par le peuple peut même être regardée comme un idéal démocratique et un principe indiscutable.

Si belle que soit cette conception et si bienfaisante que puisse être sa réalisation pour de petites collectivités, tout aussi difficile est son application dans des collectivités plus grandes et plus compliquées. Or, lorsque
ce principe démocratique excellent ne peut être appliqué convenablement, il risque d'aller à fins contraires, et le droit conféré au peuple au nom de la démocratie peut devenir pour elle un danger considérable.

La condition première de la réalisation judicieuse de la volonté populaire, c'est que -- outre la liberté du choix -- les électeurs connaissent les candidats et puissent juger de leur capacité et de leur caractère, et sachent aussi ce que les fonctions exigent de leur part. Il est vrai que le peuple montre un intérêt particulier pour les questions de personnes en matière politique, et l'on peut admettre avec Bluntschli, le professeur

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zurichois de droit public, que du moins le peuple qui a reçu une instruction politique et qui possède de l'expérience dans ce domaine se rend instinctivement fort bien compte des capacités humaines. En revanche, l'autre condition de l'élection par le peuple n'est, en règle générale, pas remplie, c'est-à-dire la connaissance, dans une certaine mesure tout au moins, du candidat par la plus grande masse des électeurs dans toute la Suisse.

Dans de très nombreux cas, les candidats au Conseil fédéral n'étaient connus que d'une petite partie du peuple suisse. Pour les membres de l'Assemblée fédérale la tâche est beaucoup plus facile que pour le simple citoyen. Il leur est le plus souvent loisible d'observer pendant des années le futur candidat au travail dans telle ou telle activité et de voir comment il prouve sa capacité et son caractère dans les situations les plus différentes. Cela est d'une importance particulière pour notre système de gouvernement, puisque le conseiller fédéral a une mission non seulement politique mais encore administrative, étant à la fois membre du collège et chef d'un département. Outre les qualités politiques qui sont plus apparentes et plus faciles à juger, il faut que le candidat possède celles d'un directeur de département. Or, nul n'est mieux à même d'apprécier, d'une part, les exigences de la charge et, d'autre part, la capacité du candidat, que les membres du parlement. Aussi, cette aptitude de l'Assemblée fédérale est celle qu'on lui conteste le moins. Au surplus, il ne faut pas -perdre de vue que précisément des personnalités eminentes, des caractères à principes arrêtés, qui suivent leurs principes et leur conviction plutôt que l'opinion momentanée du peuple, ont souvent plus de peine à passer aux élections populaires que des politiciens moins qualifiés mais plus souples.

Qu'arrivera-t-il si l'électeur ne connaît pas suffisamment le candidat et qu'il ne puisse se faire une opinion personnelle à son sujet ? Il devra alors s'en remettre au jugement d'autrui, -- soit à celui que des tiers ont ou prétendent avoir. Et ce seront son parti, la presse, la radio et la propagande en général. Aux membres responsables de l'Assemblée fédérale se substitueront ainsi d'autres forces, en partie irresponsables. Il y aura alors danger qu'en définitive ce ne soit pas le bien commun
qui décide mais que des intérêts particuliers l'emportent. Il n'est du reste pas nécessaire de mettre en doute la bonne foi de ces intermédiaires. On favoriserait donc le jeu de coulisse qu'on voudrait empêcher en confiant l'élection au peuple.

Lorsque l'électeur doit s'en remettre à un tel point au jugement d'autrui, il fait facilement le jeu des divers intérêts. La propagande électorale prend alors une importance décisive. La capacité et les qualités personnelles du candidat passent à l'arrière-plan par rapport aux effets de la propagande, et les plus grandes chances d'être élu sont pour le candidat servi par la meilleure propagande. Une autre conséquence fâcheuse est la violence des luttes électorales qui n'hésitent pas à discréditer les candidats du parti adverse devant le grand public, et cela souvent en employant

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des moyens fort douteux. Les candidats, victimes de cette propagande, trouveront une bien mince consolation dans le fait d'avoir été prônés outre mesure par leur propre parti. Ils resteront « défigurés par la faveur et par la haine des partis ». Ce n'est pas l'affaire de chacun de s'exposer à une pareille campagne. Les meilleures forces pourront précisément être empêchées de poser leur candidature. Et ce genre d'élection entravera en outre pendant longtemps l'activité de l'élu, en particulier lorsque les conseillers fédéraux en fonctions doivent se soumettre périodiquement à une réélection. La stabilité de notre gouvernement pourrait en outre être compromise.

Ces considérations ne sont pas infirmées par les progrès que l'élection du gouvernement par le peuple n'a cessé de faire dans les cantons depuis 1860. (Elle, est pratiquée aujourd'hui dans tous les cantons, soit au scrutin, soit à mains levées dans les landsgemeinde. ) Nous ne contestons pas que l'élection par le peuple ait fait ses preuves sur le terrain cantonal, encore que même dans les cantons les luttes électorales autour des sièges du gouvernement revêtent parfois des formes peu édifiantes. En revanche, nous devons insister sur la différence totale entre cantons et Confédération. Tout est beaucoup plus petit, plus simple et plus facile à constater dans un canton. Cela suffirait à justifier l'adoption d'un autre système sur le terrain fédéral. Puis la position du Conseil fédéral, surtout en sa qualité de chef de l'Etat, diffère considérablement de celle des gouvernements cantonaux. Aussi bien, l'élection par le peuple n'existo-t-elle pas dans d'autres Etats.

En faveur de la modification du système actuel, on fait notamment valoir qu'il faut permettre au peuple d'exercer une plus grande influence sur le choix du gouvernement, dont le pouvoir et l'importance ont énormément grandi depuis la création de l'Etat fédératif. On ajoute que le gouvernement s'en trouvera raffermi et que, d'autre part, l'Assemblée fédérale sera plus libre dans sa critique d'un gouvernement élu de cette manière que d'un gouvernement qu'il a désigné lui-même. Ces arguments ne résistent pas à l'examen. Plus important est le rôle -du gouvernement dans l'Etat et moins on peut tolérer que le choix de ses membres dépende d'agissements de puissances irresponsables. Quant
au second argument (position affermie du gouvernement et du parlement), il est contradictoire. Ce qui importe surtout, c'est la force du gouvernement en face du parlement; on ne peut donc dire que la position de tous deux soit renforcée. Il est seulement exact que la position du Conseil fédéral vis-à-vis des Chambres serait plus forte s'il était élu par le peuple et non par l'Assemblée fédérale.

Mais on peut douter que ce résultat soit le résultat désiré. L'élection du Conseil fédéral par le peuple ne faciliterait en tout cas pas la tâche de l'Assemblée fédérale de le surveiller et de critiquer au besoin sa gestion.

Il peut même en résulter une rivalité fâcheuse. L'équilibre des forces en oeuvre dans notre Etat fédératif serait troublé. Et cela surtout parce que

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le principe fédéraliste, qui joue aujourd'hui un rôle -- encore que modeste --dans les élections du Conseil fédéral, deviendrait caduc. Il n'est guère exact de prétendre que l'élection par le peuple soit conforme à l'évolution de notre Etat, comme Ruchonnet l'avait déjà déclaré, il serait plus juste de dire qu'elle constituerait un pas de plus vers l'Etat unitaire. Mais si l'on voulait exiger pour l'élection d'un conseiller fédéral la majorité des électeurs et des cantons, il serait encore plus difficile d'aboutir à un résultat.

///.

Difficultés pratiques.

Abstraction faite de ces considérations de principe, il importe de se rendre compte clairement du fonctionnement des élections par le peuple.

Une série de difficultés surgissent aussitôt.

Il est d'emblée évident qu'on ne peut abandonner au hasard le soin de désigner les candidats pour lesquels les citoyens voteront. Sinon il se pourrait que des centaines de personnes recueillent des voix sans qu'une seule en réunisse une fraction appréciable. Il faut donc limiter dès le début le choix un à petit nombre de candidats pour que les élections aboutissent à un résultat positif et il est indispensable de limiter le droit de faire des propositions. Tandis que la double initiative de 1900 ne prévoyait rien à ce sujet, l'initiative actuelle limite le choix aux candidats proposés par la signature d'au moins 30 000 citoyens ayant droit de vote. Les élections seraient donc toujours précédées de la cueillette de signatures, comme c'est le cas pour les initiatives constitutionnelles. Bien de contraire n'étant prévu, ce procédé s'appliquerait aussi à la réélection de conseillers fédéraux en charge.. Tous les quatre ans, il faudrait réunir 30 000 signatures pour chaque conseiller fédéral. On peut s'imaginer quels agissements, quelle propagande et quel déchaînement des passions politiques cette campagne provoquerait. Même si on modifiait ladite disposition dans ce sens que les conseillers fédéraux en fonctions seraient candidats sans cueillette de signatures, le trouble jeté dans le public par de telles élections resterait néanmoins considérable.

Il faut encore se demander quelle majorité est requise. La double initiative prévoyait seulement deux tours de scrutin, le premier avec majorité absolue, le second avec majorité relative. Deux tours seraient souvent nécessaires, ce qui alourdirait beaucoup les élections. Pour éviter cet inconvénient, on a proposé de confier l'élection à l'Assemblée fédérale si elle n'avait pas abouti au premier tour. Il saute aux yeux que cette solution serait encore plus maladroite. La présente initiative ne fait plus aucune proposition à cet égard. Il faut sans doute en conclure que la majorité relative suffit déjà au premier tour. Mais il s'ensuivrait qu'un candidat serait élu alors même qu'il n'aurait obtenu qu'une faible fraction des voix émises. Résultat assurément regrettable. D'autre part, les élections auraient une marche extrêmement pesante et traînante, si l'on voulait

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renouveler les tours de scrutin jusqu'à ce que la majorité absolue fût acquise. Il suffit de se rappeler que même dans l'Assemblée fédérale il faut souvent procéder à plusieurs tours pour obtenir un résultat. Il y aura en outre des désistements et des élections complémentaires inopinément nécessaires, auxquelles, selon l'initiative, il devra être procédé sans retard, à moins que le renouvellement intégral ne doive avoir lieu dans l'espace de six mois.

Le problème des minorités devient encore plus ardu si les élections se font par le peuple. La prise en considération des diverses langues provoquerait à elle seule des complications, alors que l'Assemblée fédérale a résolu jusqu'ici ce problème de façon judicieuse. Du moment que la population de langue allemande dispose presque des trois quarts du total des voix, il se pourrait que la majorité relative ne soit atteinte que par des Suisses alémaniques. On pourrait, il est vrai, ne considérer comme élus dans ce cas que les candidats revenant proportionnellement à la Suisse alémanique, tandis que les autres sièges seraient attribués aux candidats de langue française ou italienne qui auraient eu le plus grand nombre de voix.

Cette solution ne serait toutefois point recommandable. Il serait choquant qu'on proclamât élu celui qui peut-être n'aurait même pas obtenu la moitié des voix données à celui pour lequel on devrait déclarer qu'il n'est pas élu. Ce mode de procéder suppose, au surplus, que la constitution détermine la proportion dans laquelle on doit tenir compte des différentes langues. Nous avons déjà exposé (p. 631) ce qui parle contre cette fixation. Nous avons aussi essayé de montrer que l'institution d'une garantie constitutionnelle en faveur des minorités politiques entre encore moins en question. Il ne sera en tout cas pas possible de fixer dans la constitution la force relative des partis, puisque ce rapport varie sans cesse. Mais l'application du procédé examiné à propos des langues serait ainsi impossible. D'autre part, il serait difficile de trouver un autre mode de faire permettant de tenir équitablement compte des partis politiques.

L'élection par le peuple pourrait donc avoir des conséquences fatales, précisément pour les minorités politiques qui se promettent tant de cette réforme. Et qu'en serait-il de la collaboration des parties
de la Suisse où l'on parle différentes langues, si les minorités n'avaient pas le nombre de représentants qui leur revient, ou si, au cas où elles l'obtiendraient, ce seraient les Suisses de langue allemande qui eussent donné leurs voix à un Suisse romand ou à un Tessinois qui aurait ainsi leur confiance mais non celle de ses frères de race ?

Si l'on considère enfin que le système actuel n'offre pas de difficultés de principe et que l'on a fait de bonnes expériences, on dira, comme Alfred Escher l'a dit autrefois au Conseil national: il ne faut pas sans nécessité modifier les bases de l'Etat pour l'amour de la seule théorie.

Cela d'autant moins lorsque cette théorie ne laisse pas d'être contradictoire.

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Et notamment les expériences faites jusqu'ici nous amènent à cette conclusion: quieta non movere.

Nous vous recommandons par conséquent de repousser la demande tendant à faire élire le Conseil fédéral par le peuple.

Nous saisissons cette occasion, Monsieur le Président et Messieurs, pour vous renouveler les assurances de notre haute considération.

Berne, le 3 mai 1940.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, PILET-GOLAZ.

Le chancelier de la Confédération, G. BOVET.

(Projet.)

Arrota fédéral sur

l'initiative populaire tendant à l'augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral et à son élection par le peuple.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu l'initiative populaire du 29 juillet 1939 concernant l'augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral et son élection par le peuple; vu les articles 121 et suivants de la constitution fédérale et les articles 8 et suivants de la loi du 27 janvier 1892 sur le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale; vu le message du Conseil fédéral du 3 mai 1940, arrête : Article premier.

Est soumise au vote du peuple et des cantons la demande du 29 juillet 1939, dont le peuple a pris l'initiative en ces termes: « Les citoyens suisses soussignés déposent, conformément à l'article 121 de la constitution fédérale et à la loi fédérale du 27 janvier

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1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, l'initiative suivante: Les "articles 95 et 96 de la constitution fédérale sont remplacés par les dispositions suivantes: Art. 95. L'autorité directoriale et executive supérieure de la Confédération est exercée par un Conseil fédéral composé de neuf membres.

Les membres du Conseil fédéral sont élus le même jour que ceux du Conseil national, pour une durée de quatre ans, par les citoyens suisses ayant le droit de vote; ils entrent en fonctions le 1er janvier suivant.

Peut être élu tout citoyen suisse éligible au Conseil national dont l'élection est proposée par la signature d'au moins 30 000 citoyens ayant le droit de vote. On ne pourra toutefois choisir plus d'un membre du Conseil fédéral dans le même canton. L'ensemble de la Suisse forme un seul arrondissement électoral.

Art. 96. En élisant le Conseil fédéral on doit tenir compte équitablement des tendances politiques et des régions linguistiques de la Suisse. Trois membres du Conseil fédéral au moins doivent appartenir aux régions de langue française, italienne ou romane de la Suisse, cinq au moins aux régions de langue allemande.

En cas de vacance, il doit être procédé sans retard à une élection complémentaire, à moins que le renouvellement intégral ne doive avoir lieu dans l'espace de six mois.

Art. 96 bis. La législation fédérale édicté les dispositions de détail pour l'application des principes mentionnés aux articles 95 et 96. »

Art. 2.

Il est recommandé au peuple et aux cantons de rejeter la demande populaire (art. 1er).

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé d'exécuter le présent arrêté.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'augmentation du nombre des membres du Conseil fédéral et sur son élection par le peuple. (Du 3 mai 1940.)

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1940

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