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FEUILLE FÉDÉRALE 107e année

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Berne, le 13 octobre 1955

Volume II

RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques (Du 4 octobre 1955) Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous adresser notre rapport sur l'initiative pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques.

Appuyée par 59 333 signatures valables, cette initiative a été déposée à la chancellerie fédérale le 23 février 1953 par le «comité hors partis pour la protection des sites depuis là chute du Rhin jusqu'à Rheinau». Elle est ainsi rédigée: Die unterzeichneten stimmberechtigten Schweizerbürger verlangen auf dem Wege der Volksinitiative, dass der Art. 89 der Bundesverfassung wie folgt ergänzt werden soll : Die vom Bunde zu erteilenden Wasserrechts-Konzessionen (Art. 24 bis, Abs. 4) bedürfen der Zustimmung beider Bäte und sollen dem Volk zur Annahme oder Verwerfung vorgelegt werden, wenn es von 30 000 stimmberechtigten Schweizerbürgern oder acht Kantonen verlangt wird.

Übergangsbestimmung : Art. 89, neuer Absatz, findet Anwendung auf alle vom Bund zu erteilenden Wasserrechts-Konzessionen, welche am 1. September 1952 noch nicht erteilt sind.

Les citoyens suisses soussignés, qui possèdent le droit de vote, demandent par voie d'initiative populaire que l'article 89 de la constitution fédérale soit complété comme suit: Les concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques qu'il appartient à la Confédération d'octroyer (art. 24bis, 4e alinéa) doivent être approuvées par les deux Conseils et soumises à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par 30 000 citoyens suisses ayant droit de vote ou par huit cantons.

Feuille fédérale. 107« année. Vol. II.

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658 Disposition transitoire : L'article 89, nouvel alinéa, est applicable à toutes les concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques, non encore octroyées le 1er septembre 1952.

I sottoscritti cittadini svizzeri, aventi diritto di voto, chiedono -- in base al diritto d'iniziativa popolare -- che l'articolo 89 della Costituzione federale venga completato nel modo seguente: Le concessioni per l'utilizzazione di forze idrauliche accordate dalla Confederazione (art. 246is, capoverso 4) devono essere approvate da ambo i Consigli legislativi, e sottoposte al popolo per l'accettazione o il rifiuto quando ciò sia domandato da 30 000 cittadini svizzeri, aventi diritto di voto, oppure da otto cantoni.

Disposizione transitoria : L'articolo 89, nuovo capoverso, sarà applicato a tutte le concessioni per il conferimento dei diritti d'utilizzazione di forze idrauliche non ancora accordate il 1° settembre 1952.

Les promoteurs de l'initiative ont autorisé quelques signataires, nommément désignés, «à retirer l'initiative en faveur d'un contre-projet de l'Assemblée fédérale ou à la retirer sans condition».

Le 5 juin 1953, le Conseil des Etats a pris acte de notre rapport du 20 mars 1953 (FF 1953,1, 690) constatant que l'initiative avait abouti et nous a invités à présenter un rapport sur le fond et des propositions. Le Conseil national a pris une décision semblable le 19 du même mois.

PREMIÈRE PARTIE Forme et contenu de l'initiative

1. L'initiative constitutionnelle a été déposée dans les trois langues officielles de la Confédération. Il y a donc lieu d'examiner tout d'abord si les trois textes concordent.

Pour la disposition principale, il y a concordance si l'on fait abstraction du fait que le terme «zu erteilende Konzession» a été traduit en italien par «concessioni accordate». Le texte français n'exprime pas exactement, bien que rédigé en termes semblables, la pensée du texte allemand, qui n'est luimême pas très clair. Nous reviendrons sur ce point à la page 667.

Les deux traductions de la disposition transitoire ne correspondent pas littéralement au texte allemand. Contrairement à ce dernier, où il est question des concessions à octroyer «par la Confédération», les textes français et italien contiennent seulement les mots «concessions n'ayant pas encore été accordées le 1er septembre 1952». Comme les trois textes de la disposition transitoire ont trait expressément au nouvel alinéa proposé pour l'article 89, où il est uniquement question des concessions à octroyer par la Confédération en vertu de l'article 24ow, on peut admettre que les traductions française et italienne ne diffèrent pas du texte allemand, qu'elles ne peuvent être interprétées dans un autre sens que l'allemand et que les trois textes sont concordants. Dans ces conditions, il paraît superflu de les adapter.

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2. On doit se demander aussi où le nouvel alinéa devrait être inséré dans l'article 89, si cette adjonction était acceptée par le peuple et les cantons. L'initiative ne prévoit rien à ce propos.

Le troisième alinéa de l'article 89 ayant été supprimé dans la votation populaire du 11 septembre 1949 et remplacé par l'article SQbis, l'article 89 ne comprend plus que trois alinéas. L'ancien 4e alinéa, qui concerne les traités internationaux soumis au referendum, est ainsi devenu, selon la pratique suivie jusqu'à présent, le 3e alinéa (cf. à cet égard les délibérations de l'Assemblée fédérale relatives à la rectification de la frontière dans le Val di Lei, BS 1953, CE p. 18; ON p. 207).

Du point de vue systématique, le nouveau texte devrait former le 3e alinéa de l'article 89, et le 3e alinéa actuel redevenir le 4e alinéa. De même que les 1er et 2e alinéas, le nouveau texte constitutionnel réglerait des rapports de droit interne, tandis que le 3e alinéa actuel -- traités internationaux soumis au referendum -- concerne les relations de la Suisse avec l'étranger.

Puisque l'initiative ne contient aucune précision, l'Assemblée fédérale est, bien entendu, compétente pour décider où doit être inséré le nouvel alinéa dans l'article 89. Nous vous proposons, pour le cas où il serait accepté, d'en faire le 3e alinéa. Ainsi, le 3e alinéa actuel -- traités internationaux soumis au referendum -- redeviendrait le 4e alinéa.

Pour des raisons de principe, nous estimons qu'il n'est pas indiqué d'insérer dans l'article 89 la disposition proposée. Cet article réglant des questions générales de compétence, la nouvelle disposition, qui a spécialement trait aux usines hydrauliques, y ferait figure de corps étranger. Il vaudrait mieux l'insérer entre les 4e et 5e alinéas de l'article 24bis de la constitution. Il est intéressant de relever, à ce propos, que le comité hors partis pour la protection des sites depuis la chute du Rhin jusqu'à Rheinau se proposait, avant de lancer l'initiative de Rheinau et celle qui fait l'objet du présent rapport, de lancer une «initiative concernant la protection du paysage et l'octroi des concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques», dont le contenu eût été le même que celui des deux initiatives. Le contenu de la présente initiative aurait constitué -- ce qui eût été systématiquement
juste -- une adjonction à l'article 24bis, 4e alinéa.

La présente initiative propose cependant sans équivoque une adjonction à l'article 89. L'autorité est liée par la formule de l'initiative, à laquelle on ne pourrait opposer qu'un contre-projet.

3. L'initiative pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques a la même origine que celle de Rheinau, rejetée le 5 décembre 1954 par le peuple et les cantons; les deux initiatives ont été lancées et déposées en même temps. C'est pourquoi on désigne parfois la seconde sous le titre de «IIe initiative de Rheinau». Elle n'a cependant aucunement trait à l'usine

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hydroélectrique de Rheinau en construction et ne lui serait pas non plus applicable.

En proposant d'insérer une nouvelle disposition à l'article 89, le comité d'initiative pensait obtenir, dans le cas de concessions fédérales, que les exigences que pose la protection de la nature et du paysage fussent respectées. La disposition prévoit à cet effet que les concessions ne pourront plus être définitivement accordées par le Conseil fédéral en vertu de la compétence que lui attribue la loi du 22 décembre 1916 sur l'utilisation des forces hydrauliques, mais qu'elles seront soumises à l'approbation des deux conseils et au referendum facultatif.

L'initiative tend ainsi avant tout à une revision fondamentale des règles de compétence pour les concessions délivrées par la Confédération.

C'est pourquoi nous l'appellerons dans la suite «l'initiative concernant les concessions de droits d'eau».

DEUXIÈME PARTIE EXAMEN DE L'INITIATIVE QUANT AU FOND Chapitre Ier LA DISPOSITION PRINCIPALE Pour faire saisir clairement les règles de compétence proposées par l'initiative et permettre de juger plus aisément si elles sont judicieuses et pratiques, nous donnerons tout d'abord un aperçu des attributions que la constitution et la loi confèrent actuellement à la Confédération en matière de concessions de droits d'eau. Nous examinerons ensuite de quelle manière le Conseil fédéral a usé de ses attributions.

A. Les attributions accordées à la Confédération par la constitution et la loi pour l'octroi de droits d'eau L'article 24ôïs, 3e alinéa, de la constitution pose le principe selon lequel, sous réserve des dispositions légales générales édictées en vertu du 2e alinéa, il appartient aux cantons de régler l'utilisation des forces hydrauliques. Mais le 4e alinéa prévoit ce qui suit: Cependant, lorsqu'une section de cours d'eau dont l'utilisation est revendiquée pour créer une force hydraulique relève de la souveraineté de plusieurs cantons et qu'une entente entre ces cantons touchant une concession commune n'a pu intervenir, il appartient à la Confédération d'octroyer la concession. Il lui appartient également de le faire, après avoir entendu les cantons intéressés, lorsqu'il s'agit de cours d'eau formant la frontière du pays.

La loi sur l'utilisation des forces hydrauliques précise la portée de cette règle constitutionnelle ; elle indique quelle est l'autorité fédérale compétente pour octroyer les concessions visées par l'article 24ois, 4e alinéa. Le droit

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d'utiliser les forces hydrauliques pouvant reposer sur un autre titre juridique que la concession, la loi règle également ce cas, qui n'est pas expressément prévu par la constitution. Le cas se produit lorsqu'une communauté (canton, district, commune ou corporation) qui dispose de la force en vertu de la législation cantonale, entend l'utiliser elle-même, conformément à son droit de souveraineté. Il en est de même lorsqu'une communauté qui dispose de la force entend conférer à une autre communauté le droit de l'utiliser, ce qui peut se faire par la loi, un décret, un concordat ou un contrat.

Ces cas sont visés par l'article 3 de la loi.

I. Le Conseil fédéral en tant qu'autorité concédante pour des sections de cours d'eau situées sur le territoire de plusieurs cantons (art. 6 et 38, 2e al., de la loi) 1. Le Conseil fédéral statue si les cantons intéressés ne peuvent s'entendre au sujet de la mise en valeur d'une section de cours d'eau située sur le territoire de plusieurs d'entre eux ou, dans une seule et même usine, de plusieurs sections situées dans des cantons différents. Dans sa décision, il doit «tenir équitablement compte de la législation des cantons, ainsi que des avantages et des inconvénients qui résultent de l'entreprise pour chacun d'eux». (Art. 6, 1er et 2<> al., de la loi.)

Pour le cas où il s'agit d'accorder des concessions pour utiliser des sections des cours d'eau empruntant le territoire de plusieurs cantons, la loi contient une disposition spéciale selon laquelle les cantons intéressés doivent le faire d'un commun accord. Le Conseil fédéral n'est compétent pour accorder la concession que si les cantons ne peuvent s'entendre dans un délai raisonnable. (Art. 38, 2e al., de la loi.)

Pour tenir compte des craintes qu'éprouvaient quelques petits cantons au sujet de la construction de bassins d'accumulation qui pourraient submerger une partie considérable de leurs terrains cultivables, voire des communes entières, l'Assemblée fédérale, lors de la discussion de la loi, y a inséré l'article 6, 3e alinéa. C'est ainsi que l'occupation de terrains ne doit pas, sans le consentement du canton, restreindre dans une mesure excessive l'établissement de la population d'un canton ou ses moyens d'existence.

Le Conseil fédéral statue sur la question de savoir si la restriction est excessive.
2. Jusqu'à présent, le Conseil fédéral a été appelé dans quatre cas à se prononcer en vertu des articles 6 et 38, 2e alinéa, de la loi. Le premier cas concernait l'utilisation des forces hydrauliques de la Sitter, du pont de Mettlen (Appenzell Rh.-Int.) jusqu'à la List dans le canton d'Appenzell Rh.-Ext. (projet dit de l'entreprise de Lank). En 1923, il décida en principe d'accorder la concession sollicitée par les forces motrices de Saint-Gall et Appenzell. Mais lorsque le texte définitif de la concession fut soumis, en

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1925, pour approbation à la requérante, celle-ci renonça à la concession (cf. Salis-Burckhardt, Droit fédéral suisse, n° 1555, II). Dans le second cas, de 1947, il s'agissait dû-projet d'usine électrique de Greina-Blenio, auquel étaient intéressés les cantons des Grisons et du Tessin. Les requérants ayant retiré leur demande, le Conseil fédéral n'eut pas à statuer. Le troisième cas concerne l'utilisation dans une usine à Veytaux sur le Léman des forces hydrauliques de l'Hongrin et d'autres affluents de la Sarine. Le quatrième cas se rapporte à l'exploitation d'une section de la Sihl entre Schindellegi dans le canton de Schwyz et Hütten dans celui de Zurich. Contestée dans les deux cas, la compétence du Conseil fédéral fut admise par le Tribunal fédéral (cf. ATF 78, I, 14s. et 335 s.). Les cantons cherchant à s'entendre par la voie de négociations, le Conseil fédéral n'a pris, jusqu'à présent, aucune décision quant au fond.

II. Le Conseil fédéral en tant qu'autorité concédante pour les sections de cours d'eau touchant à la frontière nationale (art. 7 et 38, 3e al., de la loi) 1. «A l'égard des sections de cours d'eau touchant à la frontière nationale, il appartient au Conseil fédéral, après avoir entendu les cantons intéressés, de constituer les droits d'utilisation et d'autoriser la communauté qui en dispose à les mettre en valeur elle-même.» (Art. 7 de la loi.) Le Conseil fédéral dirige les négociations avec les Etats étrangers au sujet de l'utilisation des forces hydrauliques de cours d'eau touchant à la frontière nationale.

Si le droit d'utilisation doit être octroyé sous la forme d'une concession, c'est au Conseil fédéral qu'il appartient de le conférer (art. 38, 3e al., de la loi).

2. Le Conseil fédéral a usé de cette compétence dans les cas ci-après: Bassin du Rhin: Usines de Kembs (1925), de Rekingen, d'AlbbruckDogern, de Ryburg-Schwörstadt (1926), de Rheinau (1944) et de Birsfelden (1950); Bassin du Ehône: Usine du Châtelot (1947).

Une série d'avenants aux concessions anciennes ont en outre été accordés pour des usines frontières existantes, avenants qui autorisaient une surélévation des niveaux de retenue ou l'utilisation d'un plus grand volume d'eau.

Avant que l'article 24 ois de la constitution ait été adopté dans la votation du 25 octobre 1908, le Conseil fédéral était intervenu
comme intermédiaire dans les rapports officiels entre des cantons et des gouvernements étrangers (art. 10 Cst.) dans les seuls cas des accords conclus avec l'ancien grand-duché de Bade au sujet des usines suivantes: Rheinfelden (proto-

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coles de 1889 et 1890/1893); Rheinau (protocoles de 1896 et 1904); Laufenburg (protocoles de 1897, 1903/1904 et 1905) et Augst-Wyhlen (protocoles de 1897 et 1906).

Après l'adoption de l'article 24&is, le Conseil fédéral n'était plus uniquement autorisé à représenter les cantons lors de la conclusion d'accords avec des Etats étrangers et à approuver ces accords avec leur consentement.

Il devenait compétent pour octroyer lui-même les concessions. Ainsi fut renforcée la position de la Suisse dans les négociations internationales concernant l'exploitation de sections de cours d'eau touchant à la frontière (cf. Delessert: «Les compétences des autorités fédérales en matière d'utilisation des forces hydrauliques», Revue de droit suisse, nouvelle série, vol. 45, p. 328« s.; s'expriment dans le même sens: le message du Conseil fédéral du 19 avril 1912 concernant le projet de loi sur l'utilisation des forces hydrauliques, FF 1912, II, 815; Geiser, Abbühl et Bühlmann: Kommentar zum Bundesgesetz über die Nutzbarmachung der Wasserkräfte, p. 100/101; Isler: Die Kompetenzbegrenzung zwischen Bund und Kantonen auf dem Gebiete der Wasserkraftnutzung, thèse Zurich 1935, p. 35 s.).

Dans le premier cas qui s'est présenté, celui de l'usine d'Eglisau, le Conseil fédéral ne s'est ainsi pas borné à approuver l'accord conclu par un protocole de 1911 relatif au contenu des deux concessions, mais il a lui-même accordé la concession suisse. En 1917, il a également octroyé, conformément à l'article 24ois, des concessions pour les usines de la Barberine et de ChancyPougny.

Dans nos relations avec la France et l'Italie, il est apparu désirable et judicieux de conclure avec ces pays des traités fondamentaux concernant l'exploitation de certaines sections de cours d'eau touchant à la frontière.

Il s'agit de : -- la convention avec la France du 4 octobre 1913 pour l'aménagement de la puissance hydraulique du Rhône entre l'usine projetée de la Plaine et un point à déterminer en amont du pont de Pougny-Chancy (RS 12, 499s.); -- la convention du 27 août 1926 pour le règlement des rapports entre la Suisse et la France au sujet de certaines clauses du régime juridique de la future dérivation de Kembs (RS 12, 506s.); -- la convention entre la Suisse et la France du 19 novembre 1930 au sujet de la concession de la chute du Châtelot
(RS 12, 502s.); -- enfin, l'accord entre la Suisse et l'Italie du 18 juin 1949 au sujet de la concession des forces hydrauliques du Reno di Lei (RO 1955, 611 s.).

La convention conclue avec la France le 4 octobre 1913 a été approuvée par l'Assemblée fédérale. Le Conseil fédéral n'était alors pas encore expressément autorisé à octroyer des concessions pour l'exploitation de cours d'eau touchant à la frontière. En effet, la loi sur l'utilisation des forces hydrauliques

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n'existait que sous forme de projet et le conflit de compétence dont la solution devait définir les véritables rapports de droit entre la Confédération et le canton du Valais au sujet de l'usine de la Barberine n'était pas encore tranché.

Dans son message du 30 décembre 1913, le Conseil fédéral expose ce qui suit à l'appui de sa demande d'approbation de la convention francosuisse : A.la vérité, dans quelques cas antérieurs, le Conseil fédéral a conclu avec le grandduché de Bade des arrangements pour l'établissement et l'exploitation d'une usine hydraulique sur le Rhin, sans demander l'approbation de l'Assemblée fédérale. Mais dans ces cas la situation de droit était différente. Il existe déjà certains engagements conventionnels d'ordre général, concernant l'installation d'ouvrages hydrauliques sur le Rhin, de Neuhausen jusqu'en aval de Baie; la convention entre la Suisse et le grandduché de Bade du 10 mai 1879 (RO 4, 337) prévoit à l'article 5 que les deux gouvernements doivent pourvoir à ce qu'on n'établisse ni ne modifie notablement des ouvrages artificiels, tels que roues hydrauliques, ni, en général, des travaux qui pourraient exercer une influence sensible sur l'écoulement des eaux, avant que l'on ait communiqué à l'autorité compétente de l'autre Etat, pour sauvegarder les intérêts en jeu, les plans de.l'ouvrage projeté, afin d'amener, si possible, une entente. En application de cette disposition, on a dans chaque cas arrêté la teneur des concessions à accorder par les deux Etats dans des conférences internationales, auxquelles ont pris part du côté suisse la Confédération et le canton intéressé, et les concessions ont été formulées et accordées conformément à l'entente intervenue.

Le Conseil fédéral aurait apparemment pu procéder de la même manière dans le · cas' présent ; mais d'une part il n'existe pas avec la France de convention de portée générale réglant la matière, et d'autre part la France désirait conclure d'abord une convention fixant les bases de l'entreprise projetée; nous nous trouvons donc en présence d'une convention internationale proprement dite, qui constituera dorénavant pour ainsi dire la base juridique des rapports des deux Etats riverains en ce qui concerne l'usine internationale. Et puisque la forme de la convention internationale avait été choisie, nous avons estimé qu'il était plus correct de requérir l'approbation de l'Assemblée fédérale, de même que le gouvernement français s'est assuré celle du parlement

A la fin de son message, le Conseil fédéral se réserve de demander à l'Assemblée fédérale, «dans une occasion ultérieure, l'autorisation de conclure et de modifier sans ratification spéciale des conventions de ce genre, en tant qu'elles n'ont pas de portée de principe».

En 1913 déjà, M. Calonder, conseiller fédéral, intervint pour que le rapporteur de la commission du Conseil des Etats chargée d'examiner le projet de loi sur l'utilisation des forces hydrauliques mît cette question en discussion au sein du conseil. M. Calonder avait déclaré que, selon lui, il n'est pas nécessaire que l'Assemblée fédérale s'occupe de l'arrangement conclu avec l'Etat voisin lorsqu'il s'agit de cours d'eau frontières au sujet desquels le Conseil fédéral s'est prononcé et a constitué les droits d'utilisation, naturellement après avoir entendu les cantons du commencement à la fin. Le rapporteur de la commission du Conseil des Etats s'exprima alors comme il suit : « Je suis du même avis et je pense que la commission partage aussi cette manière de voir. Il est toutefois réservé au Conseil fédéral de

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s'adresser à l'Assemblée fédérale, car il existe des cas où un intérêt supérieur l'exige. La règle habituelle, mais non absolue, est que le Conseil fédéral peut conclure de lui-même des conventions avec des Etats étrangers sans devoir les soumettre à l'Assemblée fédérale.» M. Calonder déclara ensuite «que lorsqu'il s'agit de tels cours d'eau, les Etats sont absolument contraints de s'entendre entre eux, de tenir compte de leurs intérêts réciproques et d'agir d'un commun accord. Si tel n'est pas le cas, on n'aboutit à rien. Les usines que l'on construit actuellement sont si grandes et modifient si considérablement le cours des rivières qu'il est absolument exclu que les différents Etats agissent indépendamment les uns des autres.» Le représentant du Conseil fédéral, revenant sur la question de savoir si cette autorité est, en pareil cas, autorisée par l'article 24 ois de la constitution «non seulement à accorder la concession, mais aussi à conclure la convention internationale précédant l'octroi de la concession», ajouta: «J'ai constaté avec intérêt que le rapporteur de la commission partage ma manière de voir et je suis aussi d'accord avec lui de réserver au Conseil fédéral, dans tous les cas d'une certaine importance, le droit de soumettre les traités à l'approbation de l'Assemblée fédérale. Au demeurant, il y aura lieu de poursuivre l'examen de cette intéressante question de droit public.» Ces déclarations n'ont suscité aucune objection ni au Conseil des Etats, ni au Conseil national (cf. BS CE de septembre 1913, p. 259 s. ; CN de septembre 1915, p. 215). De son côté, le professeur Burckhardt avait fait observer ce qui suit, le 10 février 1914, à la commission du Conseil national: «II faut distinguer, d'une part, l'entente préalable entre les Etats au sujet de l'utilisation de forces hydrauliques et, d'autre part, la concession subséquemment octroyée par chacun de ces Etats. L'entente préalable doitelle toujours avoir lieu avec le concours de l'Assemblée fédérale ? Celle-ci peut-elle déléguer les pouvoirs nécessaires au Conseil fédéral ? C'est dans ce dernier sens qu'il faut répondre. Il s'agit donc uniquement de savoir si l'Assemblée fédérale entend autoriser le Conseil fédéral. A noter qu'on peut aussi considérer que l'utilisation de cours d'eau internationaux est le simple exercice de droits
existants et que l'entente entre les Etats n'est rien d'autre qu'une entente au sujet de la façon d'exercer ces droits. Dans les cas de peu d'importance, il n'y aura même pas d'arrangement en la forme écrite.» Dans son rapport à l'Assemblée fédérale du 11 août 1922 sur la politique qu'il a suivie jusqu'alors dans la question du Rhin, le Conseil fédéral est revenu sur la réserve faite dans son message précité du 30 décembre 1913. Il y déclarait ce qui suit: «Par la suite, la loi fédérale sur l'utilisation des forces hydrauliques, du 22 décembre 1916, est entrée en vigueur.

L'article 7 de cette loi confère au Conseil fédéral les cç/mpétences suivantes : «A l'égard des sections de cours d'eau touchant à la frontière nationale, il appartient au Conseil fédéral, après avoir entendu les cantons intéressés, de constituer les droits d'utilisation ou d'autoriser la communauté qui en dis-

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pose à les mettre en valeur elle-même». Le droit de disposer de sections de cours d'eau touchant à la frontière est donc exclusivement réservé au Conseil fédéral. Il lui appartient, d'accord avec le gouvernement de l'Etat voisin intéressé, de décider-sous quelle forme l'autorisation doit être accordée.

La conclusion d'un traité formel avec l'Etat en question est une des solutions auxquelles il peut s'arrêter. Or, au cas où il choisirait le moyen d'une convention, le Conseil fédéral, en se basant sur la disposition légale que nous venons d'indiquer, pourrait non seulement la conclure mais encore la ratifier». (FF 1922, II, 1087). Ce rapport se fondait sur une consultation du 8 juin 1922 rédigée dans le même sens par le département de justice et police.

Cette conception juridique n'a pas non plus suscité d'objections de la part de l'Assemblée fédérale. Elle a été confirmée expressément dans le rapport du Conseil fédéral sur sa gestion en 1926 (chapitre du département politique, p. 72). En. conséquence, le Conseil fédéral a ratifié, sans en avoir requis l'approbation par l'Assemblée fédérale, la convention du 27 août 1926, mentionnée sous chiffre 2, concernant l'usine hydroélectrique de Kembs.

(Rapport de gestion de 1926, p. 72, et de 1927, p. 55; RS 12, 506). Il en fut de même de la convention franco-suisse concernant l'usine du Châtelot (rapport de gestion de 1930, p. 67 et 742; de 1932, p. 65; RS 12, 502), ainsi que de l'accord entre la Suisse et l'Italie au sujet de la concession de forces hydrauliques du Reno di Lei (rapport de gestion de 1949, p. 103 et 382; RO 1955, 611).

III. Cours d'eau non utilisés (art. 11 de la loi) Selon l'article 11, 2e alinéa, de la loi, le Conseil fédéral décide, en tant qu'autorité de recours, si un gouvernement cantonal doit constituer le droit d'utilisation de la force au nom du district, de la commune ou de la corporation qui en dispose lorsque ladite communauté n'a pas utilisé le cours d'eau pendant un temps prolongé, sans de justes motifs et malgré des offres équitables, ou ne l'a pas laissé utiliser par des tiers.

Quant à savoir si le Conseil fédéral est autorisé, en cas de recours, à accorder lui-même le droit d'utilisation en lieu et place du canton, c'est là une question controversée. Le Conseil fédéral l'a examinée et est arrivé à une conclusion négative
dans son rapport à l'Assemblée fédérale sur le postulat relatif à l'utilisation des forces hydrauliques et son message à l'appui d'un projet °de loi revisant partiellement la loi sur l'utilisation des forces hydrauliques, tous deux du 24 septembre 1945 (FF 1945, II, 77).

Nous n'avons toutefois pas à nous occuper ici de ce problème, puisque, selon le texte de l'initiative, la nouvelle réglementation doit avoir uniquement trait aux concessions de droits d'eau octroyées en vertu de l'article 245ÌS, 4e alinéa, c'est-à-dire aux concessions intercantonales et inter-

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nationales. En revanche, l'article 11 de la loi assure l'application de l'idée contenue à l'article 24&is, 2e alinéa, de la constitution, selon lequel «la législation fédérale édictera les dispositions générales nécessaires pour sauvegarder l'intérêt public et pour assurer l'utilisation rationnelle des forces hydrauliques ».

» IV. Le régime juridique actuel a-t-il eu de bons effets?

Les considérations ci-dessus montrent combien utile est la disposition légale qui, pour assurer la réalisation de l'idée contenue dans l'article 246is, 4e alinéa, de la constitution, confère au Conseil fédéral la compétence d'accorder les concessions pour l'utilisation de la force de sections de cours d'eau intercantonaux et internationaux. Si le Conseil fédéral n'a pas eu jusqu'à présent l'occasion d'user de sa compétence pour prendre, dans une affaire intercantonale, une décision sur le fond, il a en revanche statué dans 33 affaires de cours d'eau internationaux sans que ces actes administratifs eussent suscité des critiques. Seule la concession pour l'usine de Rheinau a été critiquée, mais six ans seulement après la décision, et trois ans après sa publication dans la Feuille fédérale, et encore bien à tort. Aussi l'initiative de Rheinau, qui demandait l'annulation de cette concession régulière, a-t-elle été nettement rejetée en décembre 1954 par le peuple et les cantons.

Serait-il indiqué, dans ces conditions, de modifier le régime institué par la loi sur l'utilisation des forces hydrauliques et qui a eu de bons effets ?

B. Les règles de compétence proposées par l'initiative I. Généralités Aux termes des dispositions actuelles, toutes les concessions à octroyer par la Confédération conformément à l'article 246is, 4e alinéa, de la constitution sont accordées définitivement par le Conseil fédéral. L'initiative tend à faire modifier ce régime en ce sens que ces concessions seraient soumises à l'approbation des conseils législatifs et également à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons.

1. Il va sans dire que les dispositions de la législation fédérale contraires au nouveau texte constitutionnel cesseraient d'être en vigueur si la disposition principale de l'initiative était adoptée (art. 2 des dispositions transitoires de la constitution). Les
dispositions de la loi réglant les attributions du Conseil fédéral en matière de concessions devraient en outre être modifiées et complétées puisque la constitution aurait établi les grandes lignes d'un nouveau régime des attributions qui devrait encore être précisé dans la loi.

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Ce ne serait pas là une tâche aisée, car le texte de l'initiative n'est pas du tout clair et donne lieu, sur plusieurs points, à différentes interprétations.

Grammaticalement, la rédaction de la disposition principale proposée par l'initiative n'est pas claire. Son obscurité apparaît très nettement dans le texte français, qui peut être interprété en ce sens que les concessions à octroyer par la Confédération ne doivent être soumises à l'approbation des deux conseils (et du peuple) qu'à la demande de 30 000 citoyens actifs ou de huit cantons. Cela signifie qu'à défaut d'une telle demande le Conseil fédéral serait compétent pour accorder définitivement la concession. Cette interprétation ne répond cependant guère à la volonté des promoteurs de l'initiative, qui s'inspiraient vraisemblablement de ce qui est prévu à l'article 89, 1er et 2e alinéas, de la constitution, pour les lois et arrêtés fédéraux de portée générale. Ils auraient ainsi dû exprimer leur idée dans deux phrases distinctes et non pas dans une seule et mettre un point, dans les trois langues, après les mots « . . . beide Räte», « . . . deux conseils», « . . . i consigli legislativi».

' ' Le champ d'application du nouveau régime des attributions ne ressort pas non plus, avec toute la clarté désirable, du texte de la demande. Selon ce texte, les concessions à accorder par la Confédération en vertu de l'article 24bis, 4? alinéa, de la constitution doivent être approuvées par l'Assemblée fédérale et, le cas échéant, soumises au peuple.

Cette disposition vise en tout cas les concessions qui concernent des sections de cours d'eau relevant de la souveraineté de plusieurs cantons, lorsque ces derniers n'ont pu s'entendre au sujet de l'octroi d'une concession commune. Elle vise aussi les concessions pour l'exploitation de sections de cours d'eau touchant à la frontière nationale.

Comme nous l'avons indiqué brièvement au début de notre rapport, des forces hydrauliques peuvent être utilisées en vertu d'un autre titre juridique que la concession. L'article 3 de la loi prévoit que la communauté qui dispose de la force d'un cours d'eau peut l'utiliser elle-même et que le droit d'utilisation peut être accordé à une communauté sous une autre forme que celle de la concession. Cette idée est manifestement reprise à l'article 7 de la loi, qui prévoit
qu'à l'égard des sections de cours d'eau touchant à la frontière nationale, «il appartient au Conseil fédéral, après avoir entendu les cantons intéressés, d'autoriser la communauté qui en dispose à les mettre en valeur elle-même» (cf. le message du 19 avril 1912 concernant le projet de loi sur l'utilisation des forces hydrauliques, FF 1912, II, 830). L'article 6, 1er alinéa, de la loi exprime la même idée.

Le nouvel article constitutionnel proposé doit-il être applicable également à cette forme de l'exercice et de la constitution de droits d'eau ?

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Interprété grammaticalement le texte de l'initiative s'opposerait à ce qu'il en soit ainsi, car il emploie les termes « concessions ... qu'il appartient ... d'octroyer».

Dans son esprit non plus, le texte ne semble pas s'appliquer au cas où la force doit être utilisée en vertu d'un autre titre que celui d'une concession.

Si, par exemple, un canton frontière entend utiliser lui-même sa part d'énergie d'une section de cours d'eau touchant à un territoire étranger, il n'a besoin d'aucune concession suisse. Mais il doit s'entendre avec l'Etat voisin.

Cette entente ne peut être conclue, selon les articles 8, 9 et 10 de la constitution, que par l'entremise du Conseil fédéral. Si elle est approuvée par cette autorité, le droit d'utiliser la force est de ce fait accordé conformément à l'article 7 de la loi. Selon l'article 85, chiffre 5, de la constitution, un accord ainsi approuvé n'est soumis à l'Assemblée fédérale que si un autre canton élève des réclamations. Même dans ce cas, le peuple n'aurait pas le droit de dire son mot, puisque le referendum prévu pour les traités internationaux à l'article 89, dernier alinéa, ne s'applique pas à ceux qui sont conclus entre des cantons et des Etats étrangers.

Si l'adjonction proposée pour l'article 89 de la constitution ne devait s'appliquer qu'aux concessions de droits d'eau, il y aurait ainsi une inconséquence. On ne verrait pas pourquoi la procédure serait rendue plus compliquée lorsqu'il s'agit de concessions et ne le serait pas quand la force doit être utilisée en vertu d'un autre titre que celui de la concession. Dans un cas comme dans l'autre, des questions relatives à la protection de la nature et du paysage peuvent jouer un rôle tout aussi important.

2. Mais le texte de l'initiative recèle encore une série d'autres imprécisions.

Le fait que la disposition principale touche dans un sens seulement aux règles légales sur la compétence en matière de concessions jette forcément le trouble dans le système érigé par la loi. Nous étayerons cette assertion en donnant trois exemples particulièrement probants, tirés de trois domaines entièrement différents de la législation en matière de droits d'eau.

La disposition principale entend que l'octroi de concessions par la Confédération soit subordonné à l'approbation de l'Assemblée fédérale et, le cas échéant,
du peuple. Il semble bien qu'elle ne touche en rien à l'article 43, 3e alinéa, de la loi, qui dispose que le Conseil fédéral doit statuer sur le bien-fondé du retrait de la concession. La loi modifiée instituerait par conséquent un singulier régime : Certaines concessions seraient octroyées avec l'intervention de l'Assemblée fédérale et, le cas échéant, du peuple, mais le Conseil fédéral serait qualifié, selon l'article 43, 2e et 3e alinéas, de la loi pour retirer seul des concessions confirmées par l'Assemblée fédérale et le peuple. Ce nouveau régime mettrait en question le principe de la séparation des pouvoirs. Si l'on admettait qu'une concession approuvée par l'Assem-

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blée fédérale et le peuple est, en raison même de sa forme, un acte ayant force de loi, on devrait en outre conclure que la règle selon laquelle un acte législatif ne peut être abrogé que par un acte équivalent, par un contrarius actus, serait violée. (Burckhardt, Kommentar der Schweizerischen Bundesverfassung, IIIe édition, p. 677 s. et 711 s.).

L'article 42 de la loi dispose que la concession ne peut être transférée sans l'agrément de l'autorité concédante. Cela découle du fait qu'en droit le «transfert de la concession équivaut, en quelque sorte, à l'octroi d'une nouvelle concession au tiers acquéreur» (cf. ATF 53, I, 88). Cela étant, on doit immédiatement se demander si, sous l'empire du droit proposé, la notion de l'autorité concédante pour le transfert des concessions intercantonales et internationales comprendrait uniquement le Conseil fédéral ou s'étendrait à l'Assemblée fédérale et, le cas échéant, même au peuple.

Pour élucider la situation juridique susindiquée, il faudrait reviser la loi ou alors ne pas admettre d'autoriser expressément le Conseil fédéral, dans chaque décision par laquelle l'Assemblée fédérale donnera son approbation, à retirer lui-même la concession ou à la transmettre à un autre requérant.

Ces considérations valent aussi pour le cas où il s'agit de déclarer le concessionnaire déchu de ses droits, conformément à l'article 65 de la loi, de renouveler ou modifier la concession, ainsi que lorsqu'une usine intercantonale fait retour aux communautés concédantes et que les cantons intéressés ne peuvent s'entendre sur l'usage des installations et la part de chacun d'eux, (art. 68, 2e al., de la loi).

Les articles 70 et 71 de la loi disposent que les contestations entre le concessionnaire et d'autres usagers ainsi qu'entre le concessionnaire et les autorités concédantes sont du ressort des tribunaux. Si, comme le voudrait l'initiative, les concessions à octroyer par la Confédération devaient être soumises au referendum facultatif, on pourrait soutenir qu'elles sont assimilables à une loi ou à un arrêté de portée générale. Il s'agirait alors d'établir si ces concessions octroyées en vertu de la loi n'auraient pas elles-mêmes le caractère d'une loi et si elles ne seraient par conséquent pas obligatoires pour les tribunaux; l'article 113, 3e alinéa, de la constitution prévoit
en effet que le Tribunal fédéral applique les lois et arrêtés de portée générale votés par l'Assemblée fédérale. Si cette manière de voir était admise, les tribunaux ne seraient plus en mesure d'examiner la validité de ces actes, ni le contenu des concessions. La compétence conférée aux tribunaux par les articles 70 et 71 de la constitution serait restreinte dans le cas des concessions octroyées par la Confédération. Le concessionnaire pourrait alors, tant à l'égard de la communauté en faveur de laquelle la concession impose des prestations qu'envers les tiers, se prévaloir de son droit élevé au rang d'une loi. De telles conséquences ne pourraient être évitées que si la Confédération

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accordait les concessions par un arrêté soumis au referendum mais expressément déclaré sans portée générale. Toutefois, en procédant ainsi, on créerait une nouvelle catégorie d'arrêtés fédéraux: les arrêtés simples soumis au referendum. Nous reviendrons plus loin sur ce point.

3. Mais la procédure proposée par l'initiative pour l'octroi de concessions par la Confédération n'est elle-même pas clairement définie par la disposition principale. Le texte de l'initiative se borne à énoncer que les concessions qu'il appartient à la Confédération d'octroyer doivent être approuvées par les deux conseils et qu'elles doivent être soumises à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par 30 000 citoyens suisses ayant droit de vote ou par huit cantons. Ce texte permet différentes interprétations.

Le Conseil fédéral doit-il, comme jusqu'ici, accorder des concessions qui, une fois acceptées par les concessionnaires, ne deviendraient cependant pleinement valables qu'après avoir été approuvées par l'Assemblée fédérale et le peuple ou, le cas échéant, à l'expiration du délai référendaire non utilisé ?

Ou bien les concessions, acceptées en projets par les concessionnaires, doivent-elles, sur la proposition du Conseil fédéral, être octroyées par l'Assemblée fédérale elle-même ? Dans l'affirmative, il faudrait résoudre encore une autre question laissée ouverte par l'initiative. Les conseils législatifs auraient-ils simplement la possibilité -- comme pour les traités internationaux -- d'adopter ou de rejeter en bloc, sans les modifier, les concessions présentées par le Conseil fédéral et mises au point au cours de négociations avec l'Etat voisin ? Pourraient-ils au contraire -- sous réserve de l'accord des concessionnaires et de nouvelles négociations avec l'Etat étranger -- modifier le texte des concessions ? Cette dernière forme de l'octroi des concessions se rapprocherait de celle des concessions de chemins de fer, avec cette différence que lesdites concessions ne sont pas soumises au referendum.

Si l'initiative demande que les concessions à octroyer par la Confédération soient soumises au referendum facultatif après leur approbation par les deux conseils, cela signifie, comme nous l'avons dit, que ces concessions devraient être dorénavant accordées dans les formes prévues pour les lois et
les arrêtés fédéraux de portée générale non urgents, même si de pareils actes administratifs, selon la doctrine unanime, devaient tout au plus revêtir la forme d'arrêtés fédéraux simples, non soumis au referendum (Fleiner, Bundesstaatsrecht, p. 401 et 404/405; Burckhardt, Kommentar, p. 709s. ; Pleiner-Giacometti, Bundesstaatsrecht, p. 739 s.). Ainsi, le texte constitutionnel proposé modifierait, pour un cas déterminé, l'article 2 de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux. Cet article dispose que la décision constatant qu'un arrêté fédéral

672 n'a pas de portée générale ou revêt un caractère d'urgence est du ressort de l'Assemblée fédérale.

Pour empêcher que les concessions octroyées par la Confédération n'acquièrent désormais force de loi, leur approbation par les conseils législatifs devrait se faire sous la forme d'un arrêté fédéral simple. Mais comme le referendum, tel qu'il est réglé par la constitution et par la loi d'exécution du 17 juin 1874, a été institué pour des lois et des arrêtés fédéraux de portée générale, et non pas pour des actes administratifs et des arrêtés fédéraux simples, le nouveau genre de referendum prévu par l'initiative pour les concessions de droits d'eau devrait être réglé en détail par une nouvelle loi, établissant des dispositions appropriées à un referendum administratif et différentes de celles concernant le referendum législatif. Cela pourrait finalement amener l'institution d'un referendum administratif général en matière fédérale. Il y aurait pour le moins une nouvelle forme d'acte législatif fédéral: l'arrêté fédéral simple soumis au referendum. La confusion ne ferait qu'augmenter. Le régime actuel pèche déjà par son imprécision quant à la portée des diverses espèces d'actes législatifs. Si l'on entend avoir une pratique constitutionnelle claire, il ne paraît guère désirable d'instaurer une nouvelle catégorie d'actes législatifs fédéraux.

4. Les considérations de ce chapitre qui ne concernent qu'une partie seulement des problèmes soulevés par l'initiative montrent clairement à quel point ses promoteurs ont été superficiels. Du point de vue systématique, l'initiative ne satisfait pas aux exigences requises pour une revision constitutionnelle.

Ce fait ne constitue pas, il est vrai, un argument suffisant contre l'initiative. Mais même si celle-ci doit être rejetée pour d'autres considérations de portée plus générale, il sied de vouer aussi une attention convenable à ces défauts qui concernent plutôt la forme.

II. Les effets juridiques et pratiques de la nouvelle compétence proposée pour l'octroi des concessions 1. Atteinte au principe de la séparation des pouvoirs L'octroi d'une concession pour l'utilisation de forces hydrauliques est un acte de souveraineté fondé sur la constitution et la loi ; il est aussi générateur de droits. Selon l'opinion dominante, il constitue un acte administratif et est en principe, comme tel, du ressort d'une autorité administrative. En effet, en accordant la concession, l'autorité administrative crée, avec l'assentiment du concessionnaire, un rapport de droit distinct et concret, fondé sur le droit administratif et différent de l'acte législatif.

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Cette manière de voir est consacrée par la loi sur l'utilisation des forces hydrauliques. Les articles 6, 7 et 38 prévoient que le Conseil fédéral est l'autorité administrative chargée d'octroyer les concessions au nom de la Confédération.

Comme l'initiative propose, contrairement au régime systématiquement juste qui est aujourd'hui en vigueur, que les concessions relevant de la Confédération soient désormais soumises à l'approbation des deux conseils et, le cas échéant, du peuple, on peut se demander si la nouvelle procédure ne violerait pas le principe de la séparation des pouvoirs.

La constitution ne proclame nulle part le principe de la séparation des pouvoirs, mais elle repose sur ce principe. A vrai dire, elle ne l'applique pas d'une façon absolument conséquente. Il y a été dérogé lorsque des raisons impérieuses d'opportunité politique le justifiaient. C'est ainsi que le Conseil fédéral accomplit certaines tâches de nature législative et que l'Assemblée fédérale exerce, de son côté, des fonctions administratives. Mais ils n'agissent dans ces domaines qu'en vertu de dispositions expresses de la constitution ou de la législation (cf. Burckhardt, Kommentar, p. 639 et 640/641).

Il appert de ce qui précède que les règles de compétence proposées seraient entièrement conformes à la constitution, encore qu'elles porteraient certainement atteinte au principe de la séparation des pouvoirs appliqué par la législation sur l'utilisation des forces hydrauliques. Quant à savoir si cette nouvelle atteinte au principe de la séparation des pouvoirs se justifierait, c'est là, en premier lieu, une question de politique législative que nous examinerons ci-après.

2. Les' effets

sur les rapports entre la Confédération et les titulaires de la souveraineté sur les cours d'eau

a. Pour porter un jugement sur les effets juridiques et politiques résultant du fait que l'Assemblée fédérale et le peuple auraient certaines attributions en matière de concessions de droits d'eau, il est bon de considérer brièvement comment la loi règle les attributions relatives à l'octroi d'autres importantes concessions fédérales.

Selon l'article 36 de la constitution, ainsi que l'article 3 de la loi du 2 octobre 1924 sur le service des postes et l'article 3 de la loi du 14 octobre 1922 réglant la correspondance télégraphique et téléphonique, le département des postes et des chemins de fer accorde des concessions aux entreprises de navigation, aux entreprises de transport par automobiles, etc., ainsi que des concessions pour l'établissement et l'exploitation d'installations destinées à la transmission électrique et radioélectrique de signaux, d'images et de sons.

Feuille fédérale. 107<* année. Vol. II.

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50

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En vertu de l'article 37 ter de la constitution et des articles 27 et suivants de la loi du 21 décembre 1948 sur la navigation aérienne, le département des postes et des chemins de fer accorde des concessions aux entreprises de navigation aérienne.

Les décisions par Lesquelles le département des postes et des chemins de fer octroie les concessions peuvent faire l'objet d'un recours administratif au Conseil fédéral.

En revanche, l'Assemblée fédérale accorde, sur la proposition du Conseil fédéral, les concessions de chemins de fer par un arrêté simple non soumis au referendum, après qu'une entente est intervenue avec les concessionnaires et que les gouvernements cantonaux intéressés ont été entendus au sujet des clauses des concessions (art. 39 de la loi du 23 décembre 1872 concernant l'établissement et l'exploitation des chemins de fer sur le territoire de laConfédération suisse). Ce pouvoir de l'Assemblée fédérale s'explique, historiquement, par l'importance extraordinaire que l'on attribuait, à l'époque, à la souveraineté, en matière de chemins de fer, qui avait passé des cantons à la Confédération.

La situation de la Confédération par rapport aux cantons, en sa qualité d'autorité concédante dans le domaine des postes et des télégraphes, comme dans celui des chemins de fer, diffère considérablement de celle qu'elle a en matière de concessions de droits d'eau.

Alors que les articles 24 fer, 26, 36 et 37 ter de la constitution confèrent à la Confédération le droit illimité de légiférer en matière de navigation, de chemins de fer, postes et télégraphes, ainsi que de navigation aérienne, l'article 24ois ne lui attribue qu'un droit restreint: celui d'édicter des dispositions générales, en tant qu'elles sont nécessaires pour sauvegarder l'intérêt public et assurer l'utilisation rationnelle des forces hydrauliques.

Ce cas mis à part, il appartient aux cantons de régler l'utilisation des forces hydrauliques (art. 246is, 3e al. Cst.). S'exprimant sur ce point, Burckhardt déclare ce qui suit: «Ainsi que l'enseignent la genèse de la disposition constitutionnelle et le texte, la Confédération doit pouvoir régler l'utilisation des forces hydrauliques, mais non pas utiliser elle-même ces forces ; le droit de disposition doit rester aux cantons, à moins qu'il ne soit de nature privée. Ce sont donc les
cantons qui ont, d'ordinaire, le pouvoir de décider si un cours d'eau doit être exploité et de quelle manière; ce sont eux qui accordent le droit d'exploitation et en tirent profit.» (Burckhardt, Kommentar, p. 177; cf. en outre Fleiner, Schiveizerisches Bundesstaatsrecht, p. 571 s.). -- Ainsi, la Confédération n'a pas le droit de disposer librement des forces hydrauliques des cantons. Il n'y a point de cours d'eau fédéraux.

Cela vaut aussi pour les usines intercantonales et internationales.

b. Il appartient à la Confédération d'octroyer les concessions pour les usines intercantonales lorsque les sections de cours d'eau à utiliser sont

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placées sous la souveraineté de plusieurs cantons et que ceux-ci ne peuvent s'entendre au sujet d'une concession commune (art. 24&is, 4e al., Cst.).

Cette règle ne touche cependant pas au principe suivant lequel les cantons ont le droit de disposer des eaux et de tirer profit de leur utilisation; c'est bien la Confédération qui accorde la concession, mais elle le fait pour le compte des cantons intéressés. (Burckhardt, Kommentar, p. 179). L'article 24cbis, 5e et 6e alinéas, de la constitution, de même que les articles 6 et 38, 2e alinéa, de la loi, combinés avec les articles 39 et 52, tiennent compte de ce principe. A défaut d'entente entre les cantons, c'est au Conseil fédéral qu'il appartient d'accorder le droit d'exploiter des sections intercantonales de cours d'eau. Il doit tenir équitablement compte de la législation des cantons, ainsi que des avantages et des inconvénients qui résultent de l'entreprise pour chacun d'eux et, dans le cas de l'article 6, 3e alinéa, de la loi, n'accorder la concession qu'avec l'assentiment des cantons que l'entreprise projetée frappe dans une mesure excessive. Après avoir entendu les cantons intéressés, il fixe, en tenant équitablement compte de leur législation, les prestations dues à chacun d'eux.

Ces dispositions légales confèrent au Conseil fédéral un rôle d'arbitre entre deux ou plusieurs cantons. Il doit non pas statuer sur des intérêts fédéraux en se fondant sur des considérations d'opportunité politique, mais arbitrer les intérêts opposés -- le plus souvent d'ordre technique et économique -- des différents cantons. Selon Burckhardt, Kommentar, p. 778, il s'agit de contestations de droit public entre cantons qui doivent être tranchées par le Conseil fédéral et non par le Tribunal fédéral.

Lors de la discussion de la loi sur l'utilisation des forces hydrauliques, il n'a jamais été question de donner à l'Assemblée fédérale la compétence d'octroyer les concessions pour les usines intercantonales. Une proposition faite au Conseil des Etats tendait, en revanche, à réserver au Tribunal fédéral, et non pas au Conseil fédéral, la décision définitive concernant l'octroi de concessions intercantonales (BS CE, 1913, p. 240). M. Isler, président de la commission du Conseil des Etats, s'opposa à cette proposition en déclarant ce qui suit: «D'autre part, il est
évidemment impossible de confier la décision au Tribunal fédéral lorsque le Conseil fédéral doit statuer comme juge sur des affaires de concessions entre plusieurs cantons qui n'ont pu s'entendre. Il s'agit en effet de questions d'ordre technique et économique, et non pas juridique, que le Tribunal fédéral n'est pas à même de trancher.

Si le pouvoir de statuer lui était donné, il devrait se borner à envoyer l'affaire à Berne pour que le Conseil fédéral fasse établir une proposition par ses organes ou charge des experts à l'étranger de donner leur avis. De même que ce sont les gouvernements cantonaux qui accordent les concessions, et non pas les tribunaux cantonaux, de même c'est au Conseil fédéral qu'il doit appartenir de statuer, dans les cas de l'article 6, lorsque les gouvernements cantonaux ne peuvent pas s'entendre.» (BS CE, 1913, p. 257.)

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c. Entrent en considération pour l'octroi de concessions relatives à des usines frontières, d'une part, les relations internationales et, d'autre part, les rapports internes entre la Confédération et les titulaires de la souveraineté sur les cours d'eau.

aa. Les relations internationales: La compétence de la Confédération d'accorder des concessions pour l'exploitation de sections de cours d'eau touchant à la frontière nationale a sa raison d'être dans le fait qu'il y a des ·relations internationales à régler (cf. art. 8 et 10 Cst. ; message du Conseil fédéral concernant le projet de loi sur l'utilisation des forces hydrauliques, FF 1912, II, 822; Geiser, Kommentar, p. 100 s. et 170; Isler, ouvrage précité, p. 35 s., et la documentation à laquelle il se réfère, et Delessert, ouvrage précité, p. 328« s.).

L'octroi d'une concession pour l'utilisation d'une section de cours d'eau frontière présuppose chaque fois une entente avec l'Etat voisin. Lorsqu'il s'agit de l'exploitation d'une section de cours d'eau empruntant le territoire de deux Etats, un Etat riverain ne peut, en effet, accorder le droit d'utiliser sa part de force sans toucher en même temps aux intérêts de l'autre Etat. Dans des exposés présentés à la Ire conférence internationale de l'économie hydraulique, des 13 et 14 juillet 1912, les professeurs Max Huber et Walter Burckhardt se sont exprimés sur la nécessité et l'utilité de telles ententes.

Jusqu'au jour où fut adopté l'article 24ois de la constitution, les cantons frontières pouvaient conclure de telles ententes, par l'entremise du Conseil fédéral, en vertu des articles 9 et 10 de la constitution, demeurés jusqu'à présent sans changement. Ils pouvaient le faire également avec le consentement de l'Assemblée fédérale, lorsque le Conseil fédéral ou un autre canton avait élevé des réclamations (art. 85, chiffre 5, Cst.). Depuis l'adoption de l'article 24&«s, la situation s'est modifiée uniquement en ce sens que le Conseil fédéral n'est plus l'intermédiaire des cantons intéressés et que ceux-ci n'accordent plus eux-mêmes la concession lorsque des ententes avec l'Etat voisin sont nécessaires au sujet de l'octroi de concessions pour l'exploitation de cours d'eau frontières. Le Conseil fédéral agit maintenant en son propre nom et accorde lui-même la concession. Cela lui permet de s'acquitter
efficacement de la tâche qui lui est conférée par la constitution : sauvegarder les intérêts de la Confédération au-dehors et notamment ses relations internationales.

Ce régime est d'autant plus logique que, selon l'article 102, chiffre 8, de la constitution, «le Conseil fédéral seul et non pas l'Assemblée fédérale, a qualité dans les rapports internationaux pour engager la Suisse par sa signature; en ratifiant un traité, il le conclut au nom de la Suisse» (Burckhardt, Kommentar, p. 673).

Au cours des travaux qui aboutirent au projet de loi sur l'utilisation des forces hydrauliques et dans les délibérations auxquelles il a donné lieu,

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on n'a jamais hésité à admettre la compétence du Conseil fédéral pour régler les rapports internationaux lors de l'octroi de concessions concernant des usines frontières. Dans son message à l'Assemblée fédérale du 19 avril 1912 concernant ledit projet, le Conseil fédéral déclarait ce qui suit au sujet de l'article 7: L'article 7 accorde au Conseil fédéral, conformément à l'article 24 bis de la constitution, le droit de constituer, après avoir consulté les cantons intéressés, des droits d'utilisation sur les cours d'eau internationaux. Si une convention entre les Etats riverains doit être conclue au sujet de l'utilisation d'une section internationale de cours d'eau, il appartiendra naturellement au Conseil fédéral de conduire les négociations.

(FF 1912, II, 830).

M. Calonder, conseiller fédéral, fit remarquer ce qui suit lors de la discussion au Conseil national: Nous sommes tous d'avis que l'article 7 doit attribuer au Conseil fédéral la tâche et la responsabilité de sauvegarder l'intérêt national quant aux cours d'eau frontières.

C'est au Conseil fédéral qu'il appartient de mener les négociations, de former des oppositions, de conclure des traités, etc. Les opinions ne divergent pas sur ce point et le rôle que l'article 7 attribue au Conseil fédéral répond au droit public, notamment à l'article 8 de la constitution. (BS CN 1915, p. 215.)

Déjà en 1914, c'est-à-dire avant l'adoption de la loi, le Tribunal fédéral a expressément admis que le Conseil fédéral était compétent pour octroyer des concessions intercantonales de droits d'eau. Il déclarait ce qui suit: « Quant à la ratio legis (art. 24=bis, 4e al., Cst.), elle n'est pas douteuse. Si la Confédération a été reconnue compétente pour accorder les concessions sur les cours d'eau formant la frontière du pays, c'est à raison des problèmes d'ordre international auxquels de telles concessions peuvent donner naissance. De même qu'en matière de cours d'eau intercantonaux, il peut y avoir divergence de vues entre cantons -- ce qui justifie l'intervention du pouvoir fédéral -- de même les concessions sur les cours d'eau internationaux peuvent donner lieu à des rapports avec l'Etat étranger, et le Conseil fédéral étant, d'après la constitution, l'autorité chargée de traiter avec l'étranger, il est naturel que ce soit lui aussi qui soit compétent pour statuer à leur sujet.» (ATF 40, I, 542, Barberine-Eau-Noire.)

bb. Les rapports avec les cantons: Comme nous l'avons dit, la compétence conférée au Conseil fédéral pour accorder des concessions sur des sections de cours d'eau frontières résulte de la nécessité de régler les relations internationales. Cette compétence n'a pas été attribuée à la Confédération en vue de lui transférer une part de la souveraineté cantonale sur les cours d'eau dans le dessein de nationaliser des forces hydrauliques. L'idée d'un monopole fédéral; émise en 1891 par la société Frei-Land, a été expressément rejetée parce que les cantons étaient en mesure de sauvegarder suffisamment l'intérêt public et que le transfert du droit de souveraineté à la Confédération ne présenterait aucun avantage pour le pays. (Isler, ouvrage précité, p. 9, et la documentation à laquelle il se réfère.)

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En octroyant les concessions, la Confédération, c'est-à-dire le Conseil fédéral, agit, du point de vue externe, en son propre nom, et non plus comme intermédiaire pour les cantons, ainsi que c'était le cas, en vertu de l'article 10 de la constitution, avant l'adoption de l'article 24tbis. Dans les rapports internes, en revanche, le Conseil fédéral agit, comme précédemment, pour le compte et dans l'intérêt de la communauté qui dispose de la force en vertu de la législation cantonale. Telle est la raison pour laquelle l'article 24 ois de la constitution et l'article 7 de la loi l'obligent à entendre les cantons intéressés et à fixer, «en tenant compte équitablement de leur législation», les prestations dues à chacun d'eux par le concessionnaire (art. 52 de la loi).

Dans les contestations au sujet des droits et des obligations découlant de la concession (art. 71 de la loi), on reconnaît, pour la même raison, à la communauté qui dispose de la force en vertu de la législation cantonale, et non pas au Conseil fédéral, la qualité pour agir et se défendre (cf. dans le même sens le professeur S. Mutzner, Die Bundesgesetzgebung über die Ausnützung der Wasserkräfte, Politisches Jahrbuch der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 1916, p. 288 s. En outre: Trueb: Die Streitigkeiten über Wasserrechtskonzessionen, Abhandlungen zum schweizerischen Recht, n. s. 288e fascicule, p. 18).

En accordant les concessions, le Conseil fédéral dispose en effet d'un bien qui, en vertu de la constitution, appartient actuellement encore au canton ou à la communauté désignée par le droit cantonal. Il dispose de ce bien en quelque sorte comme «gérant», selon l'expression employée par le professeur Burckhardt dans un avis de droit du 14 septembre 1938, comme «représentant», selon le terme figurant dans un arrêt du Tribunal fédéral rendu le 3 décembre 1914 pour régler un conflit de compétence entre la Confédération et le canton du Valais. Ce tribunal relevait expressément que le Conseil fédéral est tenu de sauvegarder les intérêts des cantons ou des communes et qu'il attendait de lui qu'il se conforme à sa déclaration (consignée au procès-verbal) selon laquelle «l'attribution des forces de la Barberine, qui pourra être faite par l'autorité fédérale, ne devra pas léser les intérêts des communes valaisannes» (ATF 40, I, 549).

d. Comme
le montrent clairement ces considérations relatives aux rapports entre la Confédération et les titulaires de la souveraineté sur les cours d'eau, la compétence fédérale établie par la constitution en matière de concessions représente un rôle d'intermédiaire et un pouvoir de décision lorsqu'il s'agit d'usines intercantonales, un pouvoir de gestion et de représentation lorsqu'il s'agit d'usines internationales.

Dans les deux cas, l'autorité executive -- le Conseil fédéral -- est certainement l'organe prédestiné pour exercer cette compétence. En d'autres termes, il est qualifié pour rendre, en application de la loi et après avoir entendu les cantons et examiné tous les documents nécessaires, une décision bien fondée, tenant objectivement et équitablement compte des intérêts des cantons.

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La règle suivant laquelle les concessions devraient être soumises à l'approbation des conseils législatifs pourrait se fonder sur le principe démocratique selon lequel les représentants du peuple doivent pouvoir dire leur mot lorsqu'il s'agit d'actes administratifs importants et d'une grande portée politique. L'intervention des deux conseils pourrait sans doute augmenter la confiance dans le bien-fondé de la décision. Une plus grande publicité serait aussi donnée à la concession ; les milieux intéressés auraient la possibilité de faire valoir leurs objections encore au cours des délibérations de l'Assemblée fédérale. Le régime proposé aurait en revanche l'inconvénient de rendre plus compliquée, plus longue et plus coûteuse la procédure d'octroi des concessions. Dans nombre de cas, cet «alourdissement» ne se justifierait certainement pas, notamment pas pour les concessions non contestées, de peu d'importance ou de courte durée (par exemple, la concession autorisant l'usine de Ryburg-Schwörstadt à élever la retenue du Rhin pour cinq ans). On pourrait cependant, à la rigueur, prendre son parti de cet.

inconvénient et recommander l'intervention des conseils législatifs lors de l'octroi de concessions fédérales si une pareille réglementation ne suscitait pas des appréhensions touchant à des principes. Nous avons déjà exposé ci-dessus de façon détaillée que, dans le domaine de l'utilisation des forces hydrauliques, la Confédération ne détient pas un monopole tel qu'il lui est attribué, par exemple, dans le domaine des postes, des télégraphes et des chemins de fer. Il n'y a pas là de régale fédérale; sous réserve de la souveraineté des cantons intéressés, la Confédération à des droits de disposition, mais étroitement limités. Si le pouvoir très restreint d'octroyer des concessions fédérales passait du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale, son exercice représenterait quelque chose de tout différent pour les cantons intéressés, alors même que les attributions constitutionnelles de la Confédération et des cantons ne subiraient aucun changement. Cette manière de voir n'est nullement infirmée par l'article 12 de la loi, qui autorise la Confédération «à requérir pour l'accomplissement des tâches qui lui incombent la force d'un cours d'eau public», ni par l'article 15, qui dispose: «Dans l'intérêt d'une
meilleure utilisation des forces hydrauliques et dans celui de la navigation, la Confédération peut, après avoir entendu les cantons intéressés, décréter la régularisation du niveau et de l'écoulement des lacs, ainsi que la création de bassins d'accumulation.» L'Assemblée fédérale statue, dans ce dernier cas, sur l'exécution des ouvrages et sur la répartition des frais entre la Confédération et les cantons (art. 15, 2e al.). A cet égard, nous renvoyons aux considérations détaillées émises dans notre rapport du 24 septembre 1945 sur le postulat relatif à l'utilisation des forces hydrauliques (FF 1945, II, 87 s.).

Mais l'initiative n'entend pas seulement soumettre à l'approbation de l'Assemblée fédérale les concessions que le Conseil fédéral pouvait accorder jusqu'à présent à titre définitif, elle réserve en outre le referendum, ce

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qui veut dire que le peuple serait appelé.à se prononcer lorsque la demande en serait faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons.

L'initiative propose ainsi une solution dépassant largement le cadre du referendum facultatif actuel. A l'origine, le referendum ne s'appliquait qu'aux lois et arrêtés fédéraux de portée générale; en 1939, une exception fut faite pour ceux de ces arrêtés qui avaient un caractère urgent. En 1921, le referendum fut étendu aux traités internationaux conclus pour une longue durée et, en 1949, aux arrêtés fédéraux urgents de portée générale (art. 89, 3e al., et SQbis, 2« al., Cst.).

Si l'acte administratif typique qu'est l'octroi d'une concession par le Conseil fédéral pouvait faire l'objet d'une demande de referendum, il y aurait certainement là une exagération du principe démocratique. Cette extension des droits populaires aurait pour effet de créer la confusion des responsabilités, de sacrifier injustement le principe de la séparation des pouvoirs et d'affaiblir la situation des cantons en tant que titulaires de la souveraineté sur les cours d'eau.

Le simple fait que 30 000 citoyens -- ou huit cantons n'étant peut-être pas du tout touchés par l'exploitation d'un cours d'eau frontière -- pourraient demander le referendum contre une concession approuvée par l'Assemblée fédérale, porterait déjà atteinte au droit des cantons intéressés d'être entendus, droit garanti par l'article 24=bis de la constitution et par la loi.

Et cela serait encore plus vrai si, en cas d'aboutissement de la demande de referendum, le corps électoral suisse pouvait jouer un rôle décisif dans l'exercice du droit de disposition. Selon l'article 52 de la loi, le Conseil fédéral, lorsqu'il accorde la concession, fixe «après avoir entendu les cantons et en tenant compte équitablement de leur législation, les prestations dues à chacun d'eux». Si l'initiative était adoptée, cette décision appartiendrait à l'Assemblée fédérale et, le cas échéant, au peuple, c'est-à-dire à des électeurs qui, pour la plupart, voteraient dans des cantons qui ne seraient pas intéressés à l'affaire. La majorité aurait ainsi, de toute évidence, la possibilité d'imposer sa volonté aux cantons intéressés dans des questions sur lesquelles la décision appartient aujourd'hui tout au plus au peuple de ces -cantons.

Lorsque le
peuple et les cantons rejetèrent, le 6 décembre 1954, l'initiative de Rheinau, on a pu précisément constater que le vote de l'ensemble des citoyens suisses a été différent de celui des électeurs du canton de Schaffhouse directement intéressé à l'affaire.

Des concessions concernant des usines intercantonales ou frontières pourraient ainsi, par la voie du referendum, être refusées contre la volonté des cantons disposant de la force hydraulique et contre la décision des conseils législatifs, pour des raisons quelconques, aucunement circonscrites par le droit. Des ententes qui n'ont peut-être pu se faire qu'au terme de négociations s'échelonnant sur des dizaines d'années seraient alors rendues vaines. La confiance que les cantons placent dans leur droit constitutionnel

681 et légal d'être entendus lors de l'octroi de telles concessions serait ébranlée.

En outre, les relations internationales de la Suisse en matière d'utilisation des forces hydrauliques -- ainsi que nous l'exposons plus loin de façon détaillée -- seraient rendues plus difficiles.

Le referendum entraînerait surtout de nouvelles pertes de temps et d'argent. Comme il peut être demandé dans les 90 jours à compter de la publication de l'acte législatif (art. 7 de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux), il faudrait chaque fois compter avec un retard de plus de trois mois, même lorsque aucune demande n'aurait été déposée. En cas d'aboutissement, la perte de temps serait de plusieurs mois et les frais que la Confédération encourrait de ce fait s'élèveraient, dans chaque cas, à une somme oscillant entre 8000 et 20 000 francs. La procédure de concession étant ordinairement très longue, on pourrait toutefois considérer que la perte de temps supplémentaire due au referendum serait parfaitement supportable. Mais il n'en est pas nécessairement ainsi. Lorsque la procédure a été longue, comme c'est généralement le cas pour les usines frontières, de plus grands retards dans l'octroi de la concession peuvent entraîner de nouvelles difficultés d'ordre juridique et pratique. Ces difficultés peuvent ensuite entraver ou même empêcher la construction d'une usine, peut-être hautement désirable du point de vue économique.

3. Les effets sur les relations internationales Comme nous venons de le dire, la procédure relative à l'octroi de concessions pour des usines frontières est, aujourd'hui déjà, presque toujours extrêmement longue par suite des négociations laborieuses entre les Etats.

La procédure interne proposée par l'initiative prolongerait encore cette durée, notamment parce qu'elle compliquerait forcément les négociations internationales.

Dans les pays voisins, sauf en France, l'octroi de concessions sur des cours d'eau frontières est du ressort exclusif des autorités administratives.

Ainsi, en Italie, les concessions sont accordées par décret du président de la République, sur la proposition du ministère des travaux publics, en Autriche, par le ministère fédéral de l'agriculture et des forêts, dans le pays de Sade-Wurtemberg, par les Landratsämter, avec le
consentement du ministère des finances. En France, selon une loi de 1919, la concession doit être instituée par une loi, «lorsque les travaux d'appropriation de la force comporte le déversement des eaux d'un bassin fluvial dans un autre ou le détournement des eaux sur une longueur de vingt kilomètres mesurés suivant le ht naturel ou lorsque la puissance normale excède 50 000 kilowatts». Une telle loi ne saurait cependant être comparée aux lois édictées dans les formes du droit suisse et soumises au referendum facultatif. A cela s'ajoute que l'économie hydraulique et électrique française est nationalisée.

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Dans les autres cas, les concessions sont accordées par décret gouvernemental, après avoir été soumises au Conseil d'Etat.

Traitant avec des Etats où, en général, l'autorité administrative peut octroyer définitivement les concessions concernant les cours d'eau frontières, le Conseil fédéral devrait donc toujours faire ses déclarations sous réserve du referendum. Cela ne manquerait pas de compliquer inutilement les pourparlers, et la Suisse se mettrait ainsi en contradiction avec les exigences qui se manifestent de plus en plus sur le plan international. L'Organisation européenne de coopération économique (OECE), dont la Suisse est membre, comme la Commission économique pour l'Europe instituée, à Genève par les Nations Unies, et le Comité de l'énergie électrique, à l'activité duquel la' Suisse participe, ont reconnu la nécessité de faciliter la collaboration internationale dans ce domaine. Ils ont déclaré, en particulier, que la construction d'installations hydrauliques internationales ne devrait pas être contrariée inutilement par des obstacles de nature administrative. Le «Comité de l'énergie électrique» de la «Commission économique pour l'Europe» a rédigé dans ce sens une étude détaillée, parue en janvier 1952, sous le titre «Aspects juridiques de l'aménagement hydroélectrique des fleuves et des lacs d'intérêt commun». Il a adressé jusqu'à présent aux gouvernements des Etats intéressés les trois recommandations que voici: -- Une recommandation concernant le transport et l'échange d'énergie électrique, dans le sens d'une utilisation aussi complète que possible des forces hydrauliques actuellement exploitées.

-- Une recommandation en vue de faciliter l'aménagement hydroélectrique des fleuves et des lacs contigus.

-- Et enfin, une recommandation tendant à favoriser l'aménagement hydroélectrique des fleuves successifs en Europe.

Dans la question qui nous occupe, ces recommandations, acceptées sur le plan international et adressées aux gouvernements nationaux, méritent une attention particulière.

Rappelons en outre que la première usine frontière de l'Europe, celle de Rheinfelden, a été construite en Suisse d'entente avec l'ancien pays de Bade et que, jusqu'à ce jour, notre pays, du fait de sa situation géographique, a construit le plus grand nombre d'usines hydroélectriques frontières. C'est
pourquoi la Suisse dispose d'une grande expérience en matière d'aménagements de sections de cours d'eau frontières et qu'elle est souvent appelée à fournir, même à des Etats non européens, des renseignements sur l'aménagement de tels cours d'eau. D'autre part, la manière dont la Suisse procède pour la mise en valeur des cours d'eau frontières a été fréquemment citée en exemple à l'étranger et dans des organisations internationales. Il serait regrettable que la participation de la Suisse a l'exploitation des cours d'eau frontières soit entravée par la procédure proposée pour l'octroi des conces-

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sions et que cette procédure fasse douter que notre pays ait, dans le domaine des forces hydrauliques, une législation et une politique favorables au progrès.

C. La portée pratique des règles de compétence proposées II convient d'examiner non seulement si la disposition constitutionnelle proposée par l'initiative est politiquement défendable et juridiquement bonne mais aussi si elle est opportune.

I. En général Les promoteurs de l'initiative ont voulu que les conseils législatifs et, le cas échéant, le peuple aient un rôle à jouer lors de l'octroi des concessions. Ils pensaient que l'adoption de leur projet assurerait une meilleure protection des beautés naturelles. Or, même si la disposition en question permettait d'atteindre ce but final, cela pourrait être tout au plus le cas dans une mesure très limitée, le champ d'application étant trop étroitement défini.

N'oublions pas que les concessions cantonales, qui sont de beaucoup les plus nombreuses et qui peuvent avoir des conséquences tout aussi graves pour la beauté de la nature et des sites, continueraient d'être octroyées par les cantons, seuls compétents.

Lorsqu'un projet d'usine concerne plus d'un canton et que les cantons intéressés arrivent à s'entendre, la Confédération n'a pas à intervenir. La disposition proposée par l'initiative serait inopérante en l'occurrence. La situation serait particulièrement étrange dans le cas où, faute d'entente entre les cantons, le Conseil fédéral, en vertu de l'article 6 de la loi, déciderait simplement qu'une section de cours d'eau doit être mise en valeur, sans octroyer déjà la concession en application de l'article 38, 2e alinéa, de la loi. Si, cette décision une fois rendue, les cantons arrivaient à s'entendre dans un délai convenable sur l'octroi d'une concession commune, la disposition proposée demeurerait également sans effet. La situation deviendrait vraiment grotesque lorsque le concessionnaire, après avoir obtenu une concession accordée par le Conseil fédéral et approuvée par les conseils législatifs et peut-être aussi par le peuple, y renoncerait et accepterait une concession de teneur différente au sujet de laquelle les cantons se seraient mis ultérieurement d'accord. Il en serait de même lorsque les cantons, au vu de projets différents, décideraient d'un commun accord qu'il y aura deux usines
distinctes et non pas une usine intercantonale.

Comme nous l'avons dit, la disposition contenue dans l'initiative serait sans effet dans les cas où la communauté qui dispose de la force d'un cours d'eau déciderait, conformément à l'article 3, 1er alinéa, de la loi de l'utiliser elle-même et de ne pas octroyer de concession. Elle ne s'appliquerait pas

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non plus au cas où le Conseil fédéral (art. 11 de la loi) devrait statuer sur recours quand, malgré des offres d'utilisation équitables, et pour de justes motifs, le district, la commune ou la corporation refusent, pendant un temps prolongé, d'utiliser eux-mêmes ou de laisser utiliser la force d'un cours d'eau public dont ils disposent.

Mentionnons, enfin, que le nouveau texte ne s'appliquerait pas aux faits visés par les articles 12, 15 et 16 de la loi (cas de forces hydrauliques requises par la Confédération pour l'accomplissement de ses tâches ; décision de régulariser le niveau et l'écoulement des lacs ou de créer des bassins d'accumulation dans l'intérêt d'une meilleure utilisation des forces hydrauliques, régularisation du débit des lacs et de bassins d'accumulation créés avec la participation de la Confédération).

Dans tous les cas que nous venons de signaler, les milieux s'occupant de la protection de la nature et des sites auraient certainement intérêt à exercer une influence accrue plus souvent que dans les cas d'octroi de concessions visés par la disposition contenue dans l'initiative.

On doit donc se demander s'il ne convient pas de laisser aux cantons le soin de décider s'il y a lieu de réserver à leur parlement et à leur peuple un droit de participer à la procédure d'octroi des concessions. Il est possible que, dans le cadre plus étroit et plus familier des affaires cantonales, il soit* judicieux de permettre au Grand conseil de dire son mot lors de l'octroi d'une concession.

Actuellement les grands conseils de certains cantons exercent déjà certaines attributions en matière de concessions. Dans le canton d'Appenzell Rhodes-Intérieures, c'est le gouvernement qui accorde les concessions, mais sa décision peut être déférée au Grand conseil. Dans le canton de Schwyz, où les cours d'eau publics appartiennent aux districts, ceux-ci accordent en général les concessions, sous réserve de l'approbation du Grand conseil.

Il y a partage de la compétence dans les cantons d'Appenzell RhodesExtérieures et du Tessin: les petites concessions sont octroyées par le seul Conseil d'Etat, tandis que les grandes le sont par le Grand conseil. Dans les cantons d'Uri et de Baie-Ville l'octroi des concessions est réservé au Grand conseil. Une disposition de la constitution du canton des Grisons prescrit,
depuis 1949, que les concessions de droits d'eau et les conventions intercantonales sont soumises à la votation populaire, lorsqu'on entend, pour produire de l'énergie, dériver des eaux dans d'autres cantons ou mettre à disposition des bassins d'accumulation pour des usines situées hors du canton.

Une revision des règles sur la compétence en matière de concessions de droits d'eau, dans le sens indiqué par l'initiative qui fait l'objet du présent rapport, a été proposée récemment dans les cantons de Zurich et de Schaffhouse. Le Grand conseil du canton de Zurich a été saisi en 1953 d'une motion demandant une revision de la loi cantonale sur les eaux en ce sens

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que les concessions cantonales et l'avis du Conseil d'Etat concernant les concessions à accorder par la Confédération sur des cours d'eau frontières soient désormais soumis à l'approbation du Grand conseil. Dans le canton de Schaffhouse, on a lancé une initiative tendant a ce que l'octroi des concessions cantonales et l'avis à donner au sujet des concessions à accorder par la Confédération passent des attributions du Conseil d'Etat dans celles du Grand conseil. Cette initiative prévoit en outre que ces décisions doivent être soumises à la votation populaire si 500 citoyens le demandent en temps utile.

Des dispositions qui, sur le terrain cantonal, régleraient les attributions de la manière susindiquée ou dans un sens analogue ne porteraient pas atteinte au principe de la souveraineté cantonale sur les eaux, principe consacré par la constitution fédérale et la loi fédérale sur l'utilisation des forces hydrauliques. Elles respecteraient en particulier la règle selon laquelle le canton détermine la communauté à laquelle appartient le droit de disposer de la force des cours d'eau publics (cf. art. 2 de la loi).

Une question générale se pose cependant, celle de savoir s'il ne serait pas plus avantageux pour la protection de la nature et des sites que les cantons développent leur législation en la matière ou qu'on insère, à ce sujet, une disposition dans la constitution fédérale. Nous reviendrons sur ce dernier point à la fin de notre rapport.

II. Dans les cas particuliers Comme les nouvelles règles de compétence ne s'appliquent, d'après le texte de l'initiative, qu'aux concessions qu'il appartient à la Confédération d'octroyer en vertu de l'article 246is, 4e alinéa, il est intéressant d'examiner dans quels cas elles pourraient trouver une application pratique.

1. Lorsque les deux procédures pendantes devant le Conseil fédéral à la suite des arrêts rendus par le Tribunal fédéral au sujet des projets d'aménagement Hongrin-Léman (Vaud-Fribourg) et Schindellegi-Hütten (Schwyz-Zurich) auront été réglés, les litiges intercantonaux ne seront guère plus nombreux que jusqu'à présent. Même dans ces deux affaires, une entente entre les cantons intéressés demeure possible. Les concessions cantonales ne seraient alors ni soumises à l'approbation de l'Assemblée fédérale ni au referendum facultatif, bien que la
protection de la nature soit en cause, spécialement dans le cas de Schindellegi-Hütten.

2. Les usines entrant en considération sur des sections de cours d'eau touchant à la frontière nationale sont les suivantes: Bassin du Rhin: les usines de Säckingen et Koblenz-Kadelburg et la reconstruction des usines vétustés de Rheinfelden et Schaffhouse; l'usine à accumulation de Val di Lei-Innerferrera. Bassin du Rhône: l'usine de l'Etournel; l'usine à accumu-

lation d'Emosson-Le Châtelard. Bassin de l'Inn: les usines de LivignoPunt dal Gali (Spöl) et de Martina-Prutz.

A côté des concessions relatives à ces nouvelles usines, il y aura peutêtre lieu d'accorder quelques concessions pour de petits agrandissements d'usines existantes. Tel serait le cas pour Rekingen, Albbruck-Dogern, Laufenburg et Augst-Wyhlen; Refrain et La Goule; Theusseret; ChancyPougny.

Il n'est pas impossible qu'une exploitation encore plus poussée des forces hydrauliques entraîne l'élaboration de quelques autres projets pour lesquels l'octroi de la concession serait du ressort de la Confédération.

Etant donné que l'aménagement des cours d'eau frontières est déjà très avancé, il ne pourra guère s'agir de projets importants.

a. Chose à noter, la plupart des cas susmentionnés font déjà l'objet d'arrangements internationaux. Voici ce qui en est: La convention germano-suisse du 28 mars 1929 sur la régularisation du Rhin entre Strasbourg/Kehl et Istein implique déjà pour la Suisse certains engagements ayant trait au but convenu à l'article 6: Rechercher l'établissement d'une voie de grande navigation de Baie au lac de Constance.

La convention ne contient, certes, pas l'engagement précis d'accorder une concession déterminée pour chacune des usines de Säckingen et de Koblenz/ Kadelburg. On ne doit cependant pas oublier qu'il existait en Suisse et en Allemagne des projets et des demandes de concession pour ces deux usines avant même la conclusion de la convention de 1929, que les deux Etats avaient engagé des négociations avant cette époque, que des projets de concessions avaient été établis et que les deux pays avaient mis au point ensemble, au moment de la conclusion de la convention, un plan général qui prévoyait déjà l'aménagement des paliers de Säckingen et de KoblenzKadelburg en vue de l'utilisation des forces hydrauliques et de la navigation.

Pour l'usine de Säckingen, il faut aussi considérer qu'elle est envisagée de façon nette dans les concessions de 1926 et 1927 octroyées d'un commun accord par la Suisse et Bade pour la construction de l'usine de RyburgSchwörstadt. Aux termes de l'article 2, chiffre 5, de ces concessions, l'usine de Ryburg-Schwörstadt sera tenue, sur demande des autorités compétentes . des deux pays, de fournir à la future usine de Säckingen la quantité d'énergie
dont cette usine sera privée du fait de la surélévation du niveau de la retenue de Nieder-Schwörstadt. Cette compensation commencera au moment de la mise en exploitation de l'usine de Säckingen. Elle consistera dans la fourniture, au prix de revient, de courant produit par l'usine de Nieder-Schwörstadt ou revêtira une autre forme.

Les concessions ,,accordées en 1926 et 1929 pour l'usine de Rekingen règlent d'une façon analogue les rapports entre cette usine et l'usine de Waldshut-Kadelburg à construire en aval, usine appelée aujourd'hui

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«Koblenz-Kadelburg» (art. 2a, ch. 2, des concessions). L'article 15, 3e alinéa, de ces concessions dispose que l'usine de Rekingen devra tolérer, contre indemnité, une mise en remous si cette mesure paraissait judicieuse pour pouvoir disposer d'un chenal suffisamment profond lorsque le fleuve sera rendu navigable. Si une usine située en aval tire profit de la surélévation du niveau de la retenue, elle devra payer l'indemnité.

Les concessions pour l'usine de Ryburg-Schwörstadt contiennent à l'article 2 a, chiffre 1, une disposition selon laquelle l'entreprise exploitant cette usine a, «dans les limites du projet général présenté et sous réserve de l'observation des règles légales de procédure, le droit de construire l'usine de Neu-Rheinfelden en vue d'utiliser la chute comprise entre NiederSchwörstadt et le pont de Rheinfelden. Sur demande ,des deux gouvernements, l'entreprise est tenue d'exécuter cet aménagement si l'intérêt de la navigation l'exige et si la construction, étant donné l'état du marché de l'argent et de l'énergie, paraît rentable et promet un rendement suffisant des capitaux engagés». S'il était contesté que les conditions dans lesquelles les deux gouvernements peuvent exiger la construction de l'usine de NeuRheinfelden soient remplies, un tribunal arbitral statuerait sur le différend (ch. 2). Lorsqu'il aura été constaté que l'entreprise est tenue de construire l'usine, une demande de concession pour l'aménagement de l'usine de NeuRheinfelden devra être remise aux autorités compétentes dans un délai de deux ans; toutes les mesures exigées par la marche de la procédure devront être prises. Les conditions à prévoir dans la concession devront être assez semblables à celles qui sont contenues dans la concession pour l'usine de Nieder-Schwörstadt et ne pas être moins favorables qu'elles (art. 2 a, ch. 3, des concessions).

Le préambule de l'accord germano-suisse du 11 juillet 1953 sur le service de la dette des usines hydroélectriques frontières du Rhin et le message du Conseil fédéral du 21 août 1953 ont relevé, récemment encore, qu'il existe pour ces usines des conditions particulières, obligeant de tenir compte des rapports internationaux (RO 1953, 936; FF 1953, II, 92).

L'usine à accumulation de Val di Lei-Innerferrera fait l'objet de l'accord entre la Suisse et l'Italie au sujet
de la concession des forces hydrauliques du Reno di Lei, du 18 juin 1942, et de la convention du 25 novembre 1952 concernant une modification de la frontière dans le Val di Lei, accord et convention entrés en vigueur le 23 avril 1955 (RO 1955, 611 s.). Les concessions que la Suisse et l'Italie doivent octroyer en exécution de l'accord sont au point. Lors de la conclusion de l'accord italo-suisse du 23 juillet 1955 sur le financement de la construction et de l'électrification de certaines voies d'accès en Suisse des chemins de fer italiens de l'Etat, l'Italie s'est engagée, conformément à un voeu suisse, à délivrer la concession à fin 1955 au plus tard. Nous renvoyons à ce sujet au message du 24 août 1955 (FF 1955, II, 479). Etant donnée cette situation, la disposition constitutionnelle

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proposée entraînerait uri retard injustifié, qui serait d'autant moins compréhensible que la Suisse avait toujours été jusqu'alors celle des parties qui insistait pour un prochain octroi de la concession. Si la disposition proposée devait entrer en vigueur, la concession suisse devrait encore être soumise à l'approbation de l'Assemblée fédérale, puis au referendum facultatif, bien qu'elle rencontre l'assentiment général. Fait unique dans l'histoire des usines, aucune opposition n'a été formée au cours de la procédure d'enquête publique de la demande de concession.

L'usine du palier de l'Etournel utiliserait une section du Rhône ayant fait l'objet de la convention franco-suisse du 4 octobre 1913. La construction est prescrite dans un avenant à la concession suisse du 28 décembre 1917 relative à l'usine existante de Chancy-Pougny. Le délai imparti pour la mise en service a été prolongé par le Conseil fédéral en dernier lieu en 1948. Il court jusqu'à l'année 1963.

Comme le montrent ces explications, l'utilisation rationnelle des forces hydrauliques intercantonales et internationales est déjà si avancée qu'il ne reste, plus spécialement dans ce dernier cas, qu'assez peu de sections qui méritent d'être aménagées. Pour ce qui concerne les usines frontières, nous devons en outre constater que l'octroi des concessions est déjà largement préjugé dans la plupart des cas.

b. Si l'on fait abstraction de quelques projets de moindre importance ou périmés, il ne reste vraisemblablement que les trois usines suivantes, pour lesquelles la disposition constitutionnelle proposée pourrait jouer pratiquement un rôle: usine de lÀvigno-Pont dal Gali sur le Spöl (SuisseItalie), usine de Martina-Prutz sur l'Inn (Suisse-Autriche) et usine d'Emosson-Le Châtelard (Suisse-France). Pour le Spöl et l'Inn, des négociations avec les Etats voisins sont en cours depuis 1948 et 1952. Avant de songer à engager des pourparlers avec la France au sujet du projet d'Emosson, il faudra élucider sur le plan interne toute une série de problèmes ardus.

Dans ces trois cas, nous pouvons d'ores et déjà constater qu'il ne sera pas possible de passer aux réalisations avant d'avoir créé une base juridique sûre fondée sur des traités particuliers avec l'étranger. Dans ses relations avec la France, l'Italie et l'Autriche, la Suisse n'a pas conclu
de conventions générales analogues à celle qui l'a été avec l'Allemagne ; elle ne peut non plus se fonder sur ces règles, bien établies, qui sont nées dans les rapports germano-suisses, d'une pratique vieille de 65 ans. Les différences entre la législation suisse et les droits français, italien et autrichien sont en outre trop grandes pour qu'il paraisse possible d'accorder de part et d'autre, en vertu du seul droit national, les concessions de teneur identique qu'exigé l'unité des ouvrages projetés. Si l'on veut éviter des incompatibilités et permettre de construire et d'exploiter les usines susmentionnées sur une base juridique sûre, force sera d'introduire dans les conventions internationales des règles qui déborderont à plusieurs égards le domaine particulier

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de la législation sur les eaux et qui imposeront aussi de nouvelles obligations à notre pays. Il ne suffira pas, par exemple, de convenir des conditions techniques des usines, de déterminer les droits de souveraineté des parties sur les forces à exploiter, de régler la procédure en vue de l'octroi de concessions uniformes et de s'entendre sur d'autres points que la loi suisse place, sur le plan du droit interne, dans la compétence exclusive du Conseil fédéral.

On ne pourra donc pas se borner à conclure des arrangements administratifs, analogues à ceux qui concernent les usines de Kembs, du Châtelot et de Val di Lei-Innerferrera, arrangements que le Conseil fédéral, conformément aux conceptions juridiques qui étaient justes et demeurent valables, a ratifiés, sans solliciter l'approbation de l'Assemblée fédérale. Au cours de ces dernières années, il est en effet apparu de façon toujours plus nette que les projets de ce genre suscitent des questions délicates qui ne peuvent être résolues que si des accords complémentaires, dépassant la compétence du Conseil fédéral, sont conclus avec l'étranger. On voit ainsi qu'il sera nécessaire de donner d'emblée une plus large assise aux traités internationaux relatifs au Spöl, à l'Inn et à Emosson.

Aux termes de l'article 85, chiffre 5, de la constitution, ces traités sont soumis à l'approbation de l'Assemblée fédérale. Comme ils sont, par la nature des choses, de durée illimitée et qu'ils doivent subsister aussi longtemps que la concession (normalement 80 ans), leur soumission à l'approbation de l'Assemblée fédérale entraîne automatiquement la procédure du referendum facultatif.

Nous voyons ainsi qu'à cet égard également une revision de la législation sur les forces hydrauliques dans le sens proposé par l'initiative ne répondrait pas à un besoin. Il y aurait superfétation du fait que les conventions internationales elles-mêmes, comme aussi leur exécution -- sous forme de l'octroi de la concession prévue conventionnellement -- seraient soumises à l'approbation de l'Assemblée fédérale de même qu'au peuple si le referendum était demandé. Il ne serait, théoriquement du moins, pas impossible que l'Assemblée fédérale, puis le peuple, approuvent le traité international, mais empêchent plus tard son exécution, créant ainsi un droit interne violant le droit
international. On pourrait, il est vrai, prévenu- une telle situation de la façon suivante : l'arrêté fédéral qui approuve sous réserve du referendum la convention accorderait au Conseil fédéral le droit d'octroyer la concession de son propre chef, sans soumettre cette dernière ni a l'approbation de l'Assemblée fédérale ni à la clause référendaire.

Dans ce cas également, l'additif constitutionnel proposé par l'initiative deviendrait superflu. Un tel procédé pourrait cependant être facilement interprété comme une manière d'éluder la volonté populaire et rejeté par les conseils législatifs.

Les auteurs de l'initiative n'ont jamais dissimulé le fait que leur projet vise spécialement l'octroi de la concession internationale pour l'utilisation Feuille fédérale. 107« année. Vol. II.

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du Spöl recommandée par le canton des Grisons et les communes de l'Engadine. Des commentaires publiés dans la presse à propos du rejet de l'initiative de Rheinau, en décembre 1954, ont montré qu'il en est bien ainsi.

Comme on sait, le projet du Spöl rencontre une vive opposition, fondée sur l'idée -- controversée -- que l'arrêté fédéral du 3 avril 1914 sur la création d'un parc national suisse dans la Basse-Engadine interdit l'utilisation des forces hydrauliques.

Si une entente intervient un jour avec l'Italie au sujet de l'utilisation commune du Spöl, la convention entre les deux Etats sera, nous l'avons dit, soumise à l'approbation de l'Assemblée fédérale et au referendum facultatif.

Le droit de dire son mot sera ainsi réservé au peuple, même si le texte proposé par l'initiative n'entre pas en vigueur.

Pour conclure, nous répétons que la revision proposée ne permet pas de se rapprocher du but envisagé par les auteurs de l'initiative. Elle ne répond à aucun besoin pratique, puisque le texte en question ne serait applicable qu'à quelques cas très peu nombreux, dans lesquels le droit de se prononcer est déjà assuré aux conseils législatifs et même au peuple (en vertu des dispositions sur le referendum en matière de traités internationaux).

Chapitre II

LA DISPOSITION TRANSITOIRE 1. Dans un Etat régi par le droit, de nouvelles dispositions constitutionnelles ou légales ne peuvent s'appliquer qu'aux faits qui se sont produit* et aux rapports juridiques qui se sont formés sous leur empire. Si l'on peut être amené à se demander ce que doit signifier le droit nouveau pour certains rapports juridiques nés sous l'empire du droit ancien, une disposition transitoire doit mettre les choses au clair. Une disposition transitoire a ainsi pour but de régler l'effet d'une nouvelle règle de droit sur les rapports juridiques qui se sont formés sous l'empire de la règle abrogée.

Lorsqu'une disposition transitoire dit que le droit nouveau doit produire tous ses effets déjà à partir d'un certain moment antérieur au jour de son entrée en vigueur, elle confère à la nouvelle règle un effet rétroactif sur les rapports juridiques nés sous l'empire du droit ancien. Si la disposition transitoire de l'initiative concernant les droits d'eau prescrit que la nouvelle règle est applicable à toutes les concessions non encore octroyées le 1er septembre 1952, elle apparaît comme une véritable disposition rétroactive et viole ainsi le principe de la non-rétroactivité du droit nouveau. En tant que règle de procédure, la disposition principale de l'initiative n'aurait eu besoin d'une disposition transitoire que pour indiquer quel est le droit applicable aux demandes de concessions pendantes au moment de l'entrée en vigueur du nouveau régime. Une règle de procédure instituée pour la création de-

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rapports juridiques ne peut, logiquement, avoir aucun effet sur des rapports déjà formés.

2. En insérant dans l'initiative une disposition transitoire, les promoteurs ont manifestement voulu empêcher le Conseil fédéral d'accorder de nouvelles concessions fédérales avant que le peuple se soit prononcé sur l'initiative.

Si une concession était accordée dans la période antérieure à la votation du peuple et des cantons, il en résulterait une contradiction : Conformément à l'article 123, 1er alinéa, de la constitution, la disposition contenue dans une initiative tendant à la revision de la constitution n'a effet que lorsqu'elle a été acceptée par la majorité des citoyens ayant participé à la votation et par la majorité des cantons. Jusqu'à l'adoption de l'initiative, ce sont donc les anciennes dispositions constitutionnelles et légales qui sont applicables.

Cela signifie, dans le cas qui nous occupe, que le Conseil fédéral reste compétent, jusqu'à l'adoption de l'initiative par le peuple et les cantons, pour octroyer lui-même, définitivement, les concessions de forces hydrauliques relevant de la Confédération. Or si l'initiative était adoptée par le peuple et les cantons, sa disposition principale entrerait en vigueur rétroactivement, ce qui voudrait dire que toutes les concessions accordées par le Conseil fédéral depuis le 1er septembre 1952 doivent encore être approuvées par l'Assemblée fédérale et, le cas échéant, par le peuple. Si l'Assemblée fédérale ou le peuple refusait, dans un cas donné, son approbation, la concession accordée valablement dans la période antérieure deviendrait nulle. Le concessionnaire, au bénéfice d'un droit acquis, se verrait frustré de ses droits par l'effet d'une modification des bases légales (cf. Burckhardt, Die Organisation der Rechtsgemeinschaft, p. 104/105). Cette privation d'un droit acquis serait assimilable à une expropriation, de sorte qu'il y aurait lieu de se demander si l'Etat ne serait pas tenu de payer des dommagesintérêts.

Nous voyons ainsi que la disposition transitoire crée un inquiétant · état d'insécurité juridique pour la période antérieure à la votation populaire.

Il est cependant juste de relever que, dans les conditions présentes, cet état d'insécurité reste théorique. Depuis le 1er septembre 1952, le Conseil fédéral n'a pas accordé de concessions
pour de nouvelles usines. Dans un avenir rapproché, il n'aura pas non plus l'occasion d'en octrpyer, abstraction faite de la concession pour l'usine frontière du Val di Lei, prévue par un traité international. Dans aucun cas de demande pendante, les pourparlers ne sont en effet assez avancés pour qu'une concession puisse être délivrée dans un assez bref délai. Il faut constater néanmoins que l'adoption de l'initiative avec sa disposition transitoire ajouterait à la constitution une disposition dont on ne saurait approuver le principe. Les règles claires que la constitution pose en matière d'initiative ne souffrent pas qu'on confère des effets juridiques à une initiative qui n'est pas encore acceptée. L'accep-

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tatiorf de l'initiative porterait d'ailleurs atteinte au principe général de la non-rétroactivité et créerait ainsi un précédent fâcheux.

TROISIÈME PARTIE CONSIDÉRATIONS FINALES

L'initiative qui nous occupe est née d'une préoccupation fort respectable: ménager la beauté des sites et la conserver intacte, si un intérêt public majeur l'exige. Cette préoccupation n'est cependant pas exprimée dans la disposition constitutionnelle proposée.

Pour atteindre son but, l'initiative propose de soumettre à l'approbation de l'Assemblée fédérale et au referendum facultatif les concessions qu'il appartient à la Confédération d'octroyer. Ce moyen est impropre.

La disposition constitutionnelle proposée prête à la critique du point de vue juridique, politique et pratique. Elle porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, crée une confusion des responsabilités, détruit des notions claires et constitue une exagération du principe démocratique.

Le referendum facultatif, tel qu'il est réglé par la constitution et la loi, a été institué pour les lois et les arrêtés de portée générale et ne peut être appliqué sans complications à des actes administratifs tels que l'octroi de concessions de droits d'eau.

L'article 24=bis et la loi d'exécution du 22 décembre 1916 sont, en ce qui concerne l'octroi des concessions, d'inspiration nettement fédéraliste. Lors de l'adoption de l'un et de l'autre, on put voir tout le prix que les cantons attachaient à leur souveraineté sur les eaux. Quand il fut question plus tard de reviser la loi, il devint évident qu'une proposition qui ne respecterait pas suffisamment le principe de la souveraineté cantonale serait vouée à un échec. Les dispositions qui règlent actuellement la compétence fédérale et cantonale dans les cas d'exploitation de cours d'eau intercantonaux ou internationaux constituent, en faveur des cantons intéressés, la garantie de leur droit particulier d'être entendus. Le nouveau texte constitutionnel s'il était accepté, ébranlerait ce droit.

Etant donné le principe de la souveraineté cantonale sur les eaux, il paraît indiqué de laisser à ces seuls cantons le soin de décider si la possibilité d'une consultation populaire doit être réservée.

Dans les relations avec les Etats étrangers, la nouvelle disposition rendrait plus difficile la collaboration dans le domaine de l'utilisation des forces hydrauliques; elle irait aussi à l'encontre des recommandations des organisations internationales (OECE et ONU).

Du point de vue pratique,
la nouvelle disposition n'est pas non plus judicieuse. Elle prolongerait inutilement la procédure de concession et la rendrait plus onéreuse. Ajoutons que son champ d'application serait trop

693 étroit, puisque les cantons, dans la très grande majorité des cas, demeureraient compétents pour accorder définitivement les concessions. Pour plusieurs cours d'eau touchant à la frontière nationale, les choses sont déjà largement réglées par des conventions avec nos voisins. Dans les rares cas d'application de la disposition proposée -- par exemple dans le cas du Spöl -- un accord avec l'Italie ne pourra être établi que sous la forme d'une nouvelle convention internationale. Or cette convention, pour les diverses raisons exposées dans le présent rapport, devra être approuvée par l'Assemblée fédérale et soumise au referendum facultatif prévu pour les traités internationaux. Les citoyens auront ainsi la possibilité de se prononcer sur le principe de ces projets d'usines, de sorte que l'initiative, à cet égard aussi, ne répond pas à un besoin.

Si les beautés naturelles doivent être mieux protégées, ce ne doit pas être dans le seul domaine des forces hydrauliques. C'est pourquoi on s'est demandé, en examinant la présente initiative, s'il n'y aurait pas lieu de proposer à l'Assemblée fédérale un contre-projet sous la forme d'une disposition sur la protection des sites en général. Il a fallu cependant constater que cette manière de procéder serait contraire aux dispositions légales.

L'article 10 de la loi de 1892 sur la manière de procéder pour les initiatives populaires et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale exige en effet que le principe de l'unité de la matière soit également observé dans les contre-projets opposés à des initiatives. Cela signifie que les uns et les autres doivent avoir le même objet. Cette condition ne serait pas remplie en l'occurrence, puisque l'initiative propose manifestement une revision de la procédure d'octroi des concessions de droits d'eau par la Confédération.

Rien dans le texte ne permet de dire que l'initiative vise la protection de la nature et des sites.

Lors de la discussion de l'initiative de Rheinau, dans la session d'automne 1954, la commission du Conseil national chargée de donner son avis sur l'objet déposa, le 28 septembre 1954, une motion chargeant le Conseil fédéral «d'étudier avec les autorités cantonales et les représentants des organismes pour la protection de la nature et des sites la question d'insérer dans la
constitution un article satisfaisant aux exigences que pose le maintien et la sauvegarde des beautés naturelles de notre pays». La motion invite le Conseil fédéral à présenter aux chambres un rapport et des propositions.

Elle a été acceptée par le Conseil national dans la session de juin 1955 (BS CN 1955, p. 122 s.).

Soucieux de ne pas perdre de temps et pensant que le Conseil des Etats adopterait également la motion (ce qui a eu lieu dans la session d'automne 1955), le département compétent a entrepris immédiatement les travaux préparatoires en vue de la rédaction d'un article constitutionnel sur la protection de la nature et des sites. Cet article fera l'objet, le moment venu, d'un message du Conseil fédéral.

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Invités, au cours des années «trente», à donner leur avis sur le principe d'une législation fédérale relative à la protection de la nature et des sites, les cantons s'étaient, en majorité, déclarés opposés à une telle législation (voir le rapport sur l'initiative de Rheinau, FF 1954, I, 697 s.). Nous pensons qu'ils sont aujourd'hui plus favorables, car l'idée de la protection a gagné, entre-temps, beaucoup de terrain.

Si le peuple et les cantons devaient accepter un jour un article constitutionnel sur la protection de la nature et des sites, il serait possible d'assurer cette protection d'une façon beaucoup plus efficace et plus large que par la mesure envisagée, pour un domaine restreint, par les auteurs, de l'initiative.

Cela étant, les promoteurs de l'initiative devraient, croyons-nous, se demander s'il n'y aurait pas lieu de la retirer.

Nous fondant sur les considérations qui précèdent, nous vous proposons de recommander au peuple et aux cantons de rejeter l'initiative pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques et de ne pas présenter de contre-projet.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 4 octobre 1955.

Au nom du Conseil fédéral suisse: L& président de la Confédération, Max Petitpierre 10783

Le chancelier de la Confédération,

Ch. Oser

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(Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL sur

l'initiative pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse, vu l'initiative du 23 février 1953 pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques, ainsi que le rapport du Conseil fédéral du 4 octobre 1955; vu les articles 121 et suivants de la constitution et les articles 8 et suivants de la loi du 27 janvier 1892/5 octobre 1950 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, arrête: Article premier L'initiative pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques sera soumise au vote du peuple et des cantons. Cette demande a la teneur suivante : Les citoyens suisses soussignés, qui possèdent le droit de vote, demandent par voie d'initiative populaire que l'article 89 de la constitution fédérale soit complété comme suit: Les concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques qu'il appartient à la Confédération d'octroyer (art. 246*«, 4e alinéa) doivent être approuvées par les deux Conseils et soumises à l'adoption ou au rejet du peuple lorsque la demande en est faite par 30 000 citoyens suisses ayant droit de vote ou par huit cantons.

Disposition transitoire : L'article 89, nouvel alinéa, est applicable à toutes les concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques, non encore octroyées le 1er septembre 1952.

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Art. 2 Si l'initiative est acceptée par le peuple et les cantons, la nouvelle disposition deviendra l'article 89, 3e alinéa, de la constitution. Les textes français et italiens de la disposition principale doivent être ainsi rédigés: Les concessions pour l'utilisation des forces hydrauliques qu'il appartient à la Confédération d'octroyer (art. 24 bis, 4e al.) doivent'être-approuvées par les deux Conseils. Elles sont soumises à l'adoption ou au rejet du peuple, si la demande en est faite par 30 000 citoyens actifs ou par huit cantons.

Le concessioni per l'utilizzazione di forze idrauliche il cui rilascio spetta alla Confederazione (art. 24 bis, capoverso 4) devono essere approvate da ambo i Consigli legislativi. Devono inoltre essere sottoposte al popolo per la accettazione o il rifiuto, quando .

ciò sia domandato da 30 000 cittadini svizzeri aventi diritto di voto, oppure da 8 cantoni.

L'article 89, 3e alinea, actuel (traités internationaux soumis au referendum) deviendrait par conséquent l'article 89, 4e alinéa, de la constitution.

Art. 3 Le peuple et les cantons sont invités à rejeter l'initiative.

Art. 4 Le Conseil fédéral est chargé d'exécuter le présent arrêté.

10783

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative pour une extension des droits populaires lors de l'octroi par la Confédération de concessions pour l'utilisation de forces hydrauliques (Du 4 octobre 1955)

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