Rapport concernant le classement de la motion 07.3281 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 4 juin 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous proposons de classer l'intervention parlementaire suivante: 2008

M 07.3281

Devoirs et droits des employés exerçant une activité de conseil juridique ou de représentation en justice.

Assimilation aux avocats indépendants (N 19.6.07, Commission des affaires juridiques CN; E 2.6.08)

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

4 juin 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2010-1035

3731

Rapport 1

Situation initiale

En Suisse, le conseil juridique ne fait pas l'objet d'une réglementation générale.

Cette activité peut être exercée au sein d'une entreprise par des personnes qui ne sont pas titulaires d'un diplôme de fin d'études de droit. A ce jour, seules deux professions juridiques sont codifiées en Suisse: la profession d'avocat (au niveau tant fédéral que cantonal) et l'activité de notaire (au niveau cantonal). Avec l'entrée en vigueur de la loi sur les conseils en brevets (LCBr), une troisième profession juridique sera réglementée.

Au niveau fédéral, la loi du 23 juin 2000 sur les avocats (LLCA; RS 935.61) fixe les principes applicables à l'exercice de la profession d'avocat indépendant en Suisse.

Si une personne souhaite pratiquer, à titre professionnel, la représentation en justice, elle doit se faire inscrire dans un registre cantonal des avocats (art. 4 LLCA). A cet effet, elle doit être titulaire d'un brevet cantonal d'avocat et satisfaire à diverses conditions tant personnelles que sur le plan de la formation. Par ailleurs, le droit en vigueur n'autorise pas les personnes exerçant le conseil juridique dans une entreprise avec le statut d'employé à se faire inscrire dans un registre cantonal des avocats, même si elles disposent d'un brevet d'avocat. La seule exception concerne les employés de personnes elles-mêmes inscrites dans un registre cantonal (v. art. 8, al.

1, let. d, LLCA). Les règles professionnelles spécifiques de la loi sur les avocats ne sont pas applicables aux personnes pratiquant le conseil juridique dans une entreprise. En particulier, ces personnes ne sont pas soumises au secret professionnel inscrit à l'art. 13 LLCA.

Cette différence de statut juridique entre les avocats indépendants, d'une part, et les personnes pratiquant le conseil juridique au sein d'une entreprise, d'autre part, a récemment donné matière à discussion. Notamment, l'absence de droit au secret professionnel pour les juristes d'entreprise fragilise la position juridique des entreprises suisses confrontées à une procédure civile ouverte aux Etats-Unis. Les avocats autorisés à pratiquer le barreau aux Etats-Unis ont pour privilège professionnel le droit de garder confidentiel le produit de leur travail, même s'ils sont employés par une entreprise. Quant aux conseillers juridiques d'entreprises suisses ayant
l'obligation de déposer dans une procédure civile aux Etats-Unis, certains Etats américains ne leur reconnaîtraient un tel droit que si le droit suisse offrait une protection analogue du secret professionnel.

Dans le cadre des débats sur l'unification de la procédure pénale, il a été proposé d'instituer dans le nouveau code de procédure pénale le droit de refuser de témoigner pour les personnes exerçant une activité de conseil juridique au sein d'une entreprise. La Commission des affaires juridiques du Conseil national n'a pas donné suite à cette proposition, mais a adopté, en lieu et place, une motion demandant que les personnes exerçant une activité de conseil juridique ou de représentation en justice en tant qu'employés d'une entreprise soient assimilés de manière générale aux avocats indépendants. Il s'agit de la motion 07.3281 intitulée «Devoirs et droits des employés exerçant une activité de conseil juridique ou de représentation en justice. Assimilation aux avocats indépendants».

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Le Conseil fédéral a proposé d'accepter la motion, tout en relevant qu'il y avait lieu de veiller à ce que les poursuites pénales ou la constatation des faits juridiquement déterminants dans un procès civil n'en soient indûment entravées. La motion a été adoptée par le Conseil national le 19 juin 2007 (BO 2007 N 970) et transmise sans opposition par le Conseil des Etats le 2 juin 2008 (BO 2008 E 364 s.).

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Procédure de consultation

Le 22 avril 2009, le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation concernant un avant-projet de loi fédérale sur les juristes d'entreprise (LJE). Le projet prévoit l'inscription facultative des juristes d'entreprise dans un registre cantonal. L'inscription au registre impose aux juristes concernés de se conformer à certaines règles professionnelles et leur donne le droit de se prévaloir du secret professionnel dans le cadre de procédures pénales, civiles ou administratives. La procédure de consultation a duré jusqu'au 31 juillet 2009.

Un nombre important de participants s'est prononcé sur le projet. 26 cantons, 5 partis politiques et 21 organisations ont répondu. 35 participants qui n'avaient pas été officiellement consultés se sont en outre prononcés de façon spontanée.

11 participants ont expressément renoncé à prendre position.

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Résultats de la procédure de consultation

Les résultats de la procédure de consultation relative à l'avant-projet de loi sur les juristes d'entreprise sont présentés de façon détaillée dans le rapport du Conseil fédéral du ... 2010. D'une façon globale, le projet se heurte à un rejet au niveau de la majorité des cantons (ZH, BE, LU, SZ, ZG, SO, BL, BS, SG, TG, VD, NE, GE), de quelques autorités (par ex. la Commission de la Concurrence ComCo ou l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers FINMA), de certains partis (UDC, Parti du Travail), d'un certain nombre d'associations (par ex. Swissmechanic SM l'Association suisse d'entreprises mécaniques et techniques ou la Société suisse des employés de commerce), de même que, notamment, l'Ordre des avocats de Genève ou l'Union syndicale suisse.

Les points suivants du projet ont été particulièrement critiqués: ­

les procédures administratives, civiles et pénales se trouveraient alourdies et leur durée se verrait allongée;

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une loi spéciale sur le sujet est inutile et représente une règlementation excessive («surlégifération»); il suffirait de modifier certaines lois de procédure ou de conclure un accord bilatéral avec les Etats-Unis;

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il n'est pas certain que le projet proposé améliorera effectivement la situation des entreprises suisses engagées dans des procédures civiles aux Etats-Unis;

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la loi représenterait un énorme surcoût en termes financiers et administratifs pour les cantons si ces derniers se voyaient contraints de tenir un registre et d'exercer une surveillance sur les juristes d'entreprise;

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il y a contradiction ou rapport mal défini entre le devoir d'indépendance du juriste d'entreprise sur l'appréciation quant au fond de questions juridiques et le droit de l'employeur de donner des instructions;

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les règles professionnelles n'ont pas de teneur propre; le devoir de diligence prévu dans le projet correspond au devoir de diligence en matière de droit du travail.

La grosse majorité des milieux économiques consultés approuve le projet. Les points suivants du projet ont notamment été jugés favorablement: ­

promotion de la place économique suisse et renforcement du respect des normes au sein de l'entreprise (compliance);

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sécurité juridique sur la question du secret professionnel appliqué aux juristes d'entreprise;

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confiance accrue dans le conseil juridique interne à l'entreprise;

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amélioration des chances de voir reconnaître un attorney-client privilege aux juristes d'entreprise de sociétés suisses engagés dans des procès civils aux Etats-Unis.

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Motifs fondant la proposition de classer la motion

Le Conseil fédéral a décidé de ne pas remettre de message aux Chambres fédérales concernant un projet de loi sur les juristes d'entreprise. Se fondant sur l'art. 122, al. 3, let. b, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl; RS 171.10), il propose de classer la motion pour les motifs suivants:

4.1

Désavantages majeurs au niveau suisse

Les critiques formulées pendant la procédure de consultation, en particulier par les cantons, ne s'attaquent pas à des détails. Au contraire, elles portent sur l'utilité même d'une loi fédérale sur les juristes d'entreprise. Les résultats de la procédure de consultation laissent clairement transparaître des doutes quant à l'utilité d'une telle loi, et permettent de relever les désavantages certains du projet, et notamment les conséquences négatives sur les procédures administratives, civiles et pénales, qui se verraient alourdies et dont la durée serait prolongée.

4.2

Les problèmes entre Etats ne s'en trouveraient pas résolus pour autant

De l'avis du Conseil fédéral, l'un des principaux motifs ayant conduit au dépôt de la motion résidait dans le danger de voir les juristes d'entreprises suisses ne pas être traités sur un pied d'égalité avec les juristes d'entreprises américaines lors de procès civils aux Etats-Unis. Le Conseil fédéral prend ce souci au sérieux. Toutefois, le projet ne saurait à lui seul régler ce problème. Les difficultés ne se présentent pas, d'une part, uniquement en rapport avec des mesures unilatérales relatives aux juristes d'entreprise, ni d'autre part, uniquement dans le cadre de procès civils. Au 3734

regard des avis exprimés dans la consultation, le problème de l'absence d'un attorney-client privilege dont les juristes d'entreprises suisses engagés dans une procédure civile de droit américain pourraient se prévaloir, ne constitue qu'une partie d'un problème de droit international plus large. Celui-ci réside dans l'application unilatérale de mesures juridiques par certains Etats étrangers qui portent ainsi atteinte à la souveraineté de la Suisse.

Lors de procès civils menés aux Etats-Unis, une partie, un tiers ou encore un témoin étranger ­ et, le cas échéant, le juriste d'une entreprise suisse ­ peut être confronté au danger de se voir contraint de déclarer ou de produire des documents lors même que la partie ou le tiers américain peut faire valoir un droit au refus de collaborer.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu'aux Etats-Unis, les tribunaux n'appliquent que partiellement la Convention sur l'obtention des preuves à l'étranger en matière civile ou commerciale (RS 0.274.132), ou même, la considèrent inapplicable. Celui qui se voit dans l'obligation de divulguer certaines preuves situées en Suisse peut se rendre coupable d'une violation de l'art. 271 (actes exécutés sans droit pour un Etat étranger) ou de l'art. 273 (service de renseignements économiques) du code pénal (RS 311.0), ou encore, selon les cas, d'une violation de l'obligation de garder le secret inscrite dans certaines lois spéciales, comme par exemple la loi sur les banques (LB; RS 952.0). Un exemple de menace de violation de souveraineté a été la plainte civile déposée en 2009 devant un tribunal de Miami contre UBS SA et requérant la divulgation d'un certain nombre de données sur les clients de cette dernière. Dans ce cas précis, la démarche unilatérale des autorités américaines s'est heurtée à la convention contre les doubles impositions en vigueur, et notamment à la procédure prévue en matière d'échange d'informations. Le fait que des Etats étrangers puissent adopter de telles mesures de façon unilatérale génère le risque de vider de son sens l'ordre juridique suisse, et par conséquent, les accords conclus par la Suisse avec d'autres Etats.

En général, les traités internationaux n'offrent pas de possibilité de sanction contre ce type d'action unilatérale, en l'absence de base juridique et pour des motifs liés à la
difficulté de mettre en oeuvre de telles sanctions. Il s'agit donc de réfléchir globalement à la façon de préserver efficacement la souveraineté suisse et la compétence, en droit interne, de prendre des mesures lui permettant de se protéger et de se défendre en conséquence. Le Conseil fédéral estime qu'il y a lieu d'examiner s'il est nécessaire de légiférer sur ce point, sous la forme, par exemple, d'une «loi sur la protection de la souveraineté». Cette loi fixerait des mesures de protection et instituerait les autorités compétentes pour prendre ces mesures. Par exemple, il serait possible de créer les bases légales permettant, dans un cas similaire à celui d'UBS, d'interdire explicitement à une banque de communiquer des données concernant ses clients, voire de lui retirer la liberté de disposer des informations exigées par les autorités étrangères. Cela serait une mesure légale de protection (parmi les plus incisives) permettant aux autorités suisses de prévenir des violations du droit au lieu de se contenter de les poursuivre pénalement a posteriori. En d'autres termes, l'objectif de cette règlementation serait de renforcer la protection de la sphère de souveraineté de l'Etat en mettant en place des instruments allant au-delà du droit pénal (cf. art. 271 CP). Dans ce contexte, il faudrait également examiner l'opportunité de fonder à l'avenir sur cette «loi sur la protection de la souveraineté» les autorisations de procéder à des actes pour un Etat étranger (art. 31, al. 1, de l'ordonnance du 25 novembre 1998 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration; RS 172.010.1). Cette loi permettrait ainsi non seulement de mieux 3735

protéger la souveraineté suisse mais, grâce à l'uniformisation de la pratique en matière d'autorisations, d'accroître la sécurité du droit.

4.3

Conclusion

En définitive, l'approche de la motion que le Conseil fédéral a tentée de mettre en oeuvre avec l'avant-projet de loi sur les juristes d'entreprise mis en consultation s'avère trop étroite. Etendre l'attorney-client privilege aux juristes d'entreprise ne permettrait de résoudre qu'une infime partie ­ au mieux ­ des problèmes de droit international public existants. Pour ces motifs, et au vu des désavantages liés à l'adoption d'un droit au secret professionnel en faveur des juristes d'entreprise, le Conseil fédéral propose à l'Assemblée fédérale de classer la motion 07.3281.

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