Rapport concernant le classement d'interventions parlementaires relatives aux fonds en déshérence du 1er octobre 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous proposons de classer les interventions parlementaires suivantes: 2000

M 97.3306

Avoirs en déshérence datant de la Seconde Guerre mondiale. Implications juridiques (N 10.10.1997, Rechsteiner; E 20.6.2000)

2000

M 97.3401

Fonds en déshérence. Au Conseil fédéral d'agir (N 3.3.1999, Grobet; S 20.6.2000)

2005

P

05.3069

Adaptation des procédures de déclaration d'absence lors de catastrophes naturelles (N 17.6.2005, Nordmann)

2010

P

09.4040

Limitation de la durée de l'obligation de conservation?

(N 19.3.2010, Fässler-Osterwalder)

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

1er octobre 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2010-2305

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Rapport 1

Contexte

Au cours de la dernière décennie du XXe siècle, suite à la chute du rideau de fer, la Suisse et sa place financière durent une nouvelle fois se défendre de l'accusation de s'être enrichies sur le dos des victimes du nazisme1. Les banques suisses s'employèrent alors à faire émerger la vérité et à corriger les erreurs du passé.

Une commission instituée en 1996 et présidée par Paul Volcker fut chargée d'identifier les comptes de victimes des persécutions nazies et de juger du traitement qui leur avait été réservé par les banques suisses2. En 1997, plusieurs listes de comptes dits dormants furent publiées et un Tribunal pour la liquidation des Plaintes (Claims Resolution Tribunal for Dormant Accounts in Switzerland, CRT) fut mis en place pour régler la procédure de revendication de ces avoirs. Aux Etats-Unis, le Credit Suisse (CS) et UBS SA acceptèrent en 1999 une transaction de 1,25 milliard de dollars, dont 800 millions réservés pour les demandes fondées sur des avoirs en déshérence.

Parallèlement, le Parlement chargea le Conseil fédéral d'examiner le régime juridique applicable aux fonds en déshérence et de lui proposer les modifications législatives requises3. Pour y donner suite, le gouvernement ouvrit, en 2000, la procédure de consultation sur un avant-projet de loi fédérale sur les fonds en déshérence (LFFD)4. Les acteurs financiers y étaient tenus de tout entreprendre pour empêcher la perte de contact avec leurs clients ou pour renouer des liens avec eux lorsque ceux-ci avaient été rompus. En cas d'échec des mesures prises, l'acteur financier devait déclarer les fonds à un centre d'information étatique, sous peine de sanctions pénales. Ce centre d'information devait publier la liste des fonds en déshérence déclarés et, si la publication restait sans effet, les fonds devaient passer à la Confédération après 50 ans.

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Précisions: Barbara Bonhage/Hanspeter Lussy/Marc Perrenoud, Nachrichtenlose Vermögen bei Schweizer Banken ­ Depots, Konten und Safes von Opfern des nationalsozialistischen Regimes und Restitutionsprobleme in der Nachkriegszeit, édité par la Commission Indépendante d'Experts Suisse ­ Seconde Guerre mondiale, vol. 15, Zurich 2001.

Cf. Comité Indépendant de Personnes Eminentes (ICEP), Rapport sur les comptes dormants des victimes des persécutions nazies dans les banques suisses/Report on Dormant Accounts of Victims of Nazi Persecution in Swiss Banks, Berne 1999.

Po. 96.3574 Nabholz «Fortunes tombées en déshérence»; Mo. 96.3610 Plattner «Fortunes tombées en déshérence»; Mo. 96.3606 Rechsteiner «Fortunes tombées en déshérence.

Obligation de s'annoncer»; Mo. 96.3611 Groupe radical-libéral «Fortunes tombées en déshérence. Constitution d'un fonds»; Mo. 97.3306 Rechsteiner «Avoirs en déshérence datant de la Seconde Guerre mondiale. Implications juridiques»; Mo. 97.3369 Baumann «Avoirs en déshérence déposés auprès des banques suisses. Création d'un code de procédure civile»; Mo. 97.3401 Grobet «Fonds en déshérence. Au Conseil fédéral d'agir». Les motions 97.3306 Rechsteiner et 97.3401 Grobet sont encore en suspens. Les autres interventions ont été classées pour permettre la bonne application de la nouvelle loi sur le Parlement du 13 décembre 2002 (FF 2003 6269).

L'avant-projet et le rapport explicatif peuvent être téléchargés sur Internet à l'adresse: www.bj.admin.ch/bj/fr/home/dokumentation/medieninformationen/2000/27.html.

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La consultation déboucha sur des résultats très hétéroclites. La branche des assurances critiqua l'étendue du champ d'application, qu'elle jugeait trop large. Les banques arguèrent que le projet ne tenait pas compte de l'autorégulation ­ qui a été sensiblement durcie en juin 2000 ­ mais la remplaçait par une norme de droit public5. La création d'un centre d'information étatique et la publication des fonds en déshérence furent jugées inutiles, voire dangereuses. Enfin, la dévolution des fonds à la Confédération fut aussi critiquée. Certains y voyaient une expropriation anticonstitutionnelle, tandis que d'autres auraient voulu que les cantons apparaissent aussi parmi les bénéficiaires.

Le Conseil fédéral estima donc qu'il était indispensable de revoir tout le projet. A cette fin, le Département fédéral des finances (DFF) institua une petite commission d'experts6, qui présenta un projet rédigé de loi fédérale sur les avoirs non réclamés (LANR)7 en 2004. Le Conseil fédéral refusa toutefois de soutenir ce projet et chargea, en 2007, le Département fédéral de justice et police (DFJP) de préparer un nouveau projet qui réglerait la problématique des fonds en déshérence par le biais de modifications ponctuelles du code civil et du code des obligations. C'est de ces travaux qu'est né l'avant-projet de loi fédérale portant révision partielle du code civil, du code des obligations et du code de procédure civile (fonds en déshérence).

Le 28 août 2009, le Conseil fédéral a mis cet avant-projet en consultation jusqu'au 30 novembre 20098.

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Cf. Directives de l'Association suisse des banquiers relatives au traitement des avoirs (comptes, dépôts et compartiments de coffre-fort) auprès de banques suisses lorsque la banque est sans nouvelles du client (directives ASB sur les avoirs sans nouvelles), qui peuvent être téléchargées sur Internet à l'adresse: www.swissbanking.org/114_f.pdf.

La commission d'experts se composait des membres suivants: Luc Thévenoz, docteur en droit, avocat, professeur à l'Université de Genève, membre de la CFB (président); Victor Füglister, licencié en droit, avocat, vice-président du Comité exécutif de l'Association suisse des banquiers (remplacé dès février 2003 par Alexandra Salib, avocate, fondée de pouvoir de l'ASB); Stephan Fuhrer, docteur en droit, privat-docent, membre de la direction des Assurances Bâloise, président de la commission juridique assurance-vie de l'Association Suisse d'Assurances; Beat Kaufmann, docteur en droit, chef de division suppléant, Division des affaires économiques et financières, Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) (remplacé dès juin 2003 par Christoph Burgener, chef de division suppléant, Division des affaires économiques et financières, DFAE); Felix Schöbi, docteur en droit, Division des projets de législation, Office fédéral de la justice (OFJ); Andrea Kiefer, docteur en droit, avocate, Service juridique, Office fédéral des assurances privées (OFAP) (remplacée dès novembre 2002 par Olivier Salamin, licencié en droit et en sciences économiques, Service juridique, OFAP); Simona Bustini, docteur en droit, Service juridique, Secrétariat de la CFB; Jacqueline Cortesi-Künzi, avocate, chef de section, Service juridique de l'Administration fédérale des finances (AFF).

Le DFF a publié les textes correspondants sur son site Internet à l'adresse ci-après: http://www.efd.admin.ch/Documentation/Faits et chiffres/Rapports/Loi fédérale sur les avoirs non réclamés FF 2009 5355

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Avant-projet de 2009

2.1

Obligation de maintenir les contacts

L'ensemble de l'avant-projet de 2009 tournait autour de l'obligation faite aux intermédiaires financiers (et en particulier aux banques) d'entreprendre toutes les démarches qui peuvent raisonnablement être exigées d'eux pour maintenir le contact avec les créanciers (art. 96a, al. 1, AP-CO). L'avant-projet ne précisait pas ce que signifie «raisonnablement» et laissait à la pratique le soin de régler ce point, ce qui offrait une marge de manoeuvre pour l'autorégulation. L'avant-projet renonçait toutefois à mentionner explicitement l'autorégulation comme source juridique, ce qui l'aurait rendue impérative aussi pour les tribunaux civils.

2.2

Obligation de déclarer

En cas de rupture du contact avec le créancier, après 30 ans le débiteur était censé notifier la situation au juge compétent pour statuer sur les requêtes en déclaration d'absence (art. 96a, al. 2, AP-CO), sous réserve de stipulations privées sur l'utilisation des fonds au cas où ils tomberaient en déshérence (art. 96a, al. 3, AP-CO). Le créancier gardait donc la haute main sur ce qu'il devait advenir des fonds dans l'éventualité d'une déshérence. Il allait de soi que de telles stipulations ne seraient reconnues que dans les limites de la liberté de disposer au sens du droit des successions.

Contrairement à l'avant-projet de 2000 (cf. ch. 1), celui de 2009 ne prévoyait aucune sanction pénale pour le débiteur qui omettrait de déclarer des fonds en déshérence au juge compétent. La renonciation à toute sanction pénale a été justifiée par le fait qu'il est aussi dans l'intérêt du débiteur de déclarer les fonds en déshérence, car c'est pour lui la seule façon de se libérer de ses obligations contractuelles envers le créancier. Par ailleurs, le Conseil fédéral est parti de l'idée qu'il y a de fortes chances qu'une banque qui omet systématiquement de déclarer ses avoirs en déshérence ne présente plus toutes les garanties d'une activité irréprochable (art. 3, al. 2, let. c, de la loi sur les banques9), ce qui l'expose, de la part de l'autorité de surveillance, à des sanctions pouvant aller jusqu'au retrait de l'autorisation d'exercer des activités bancaires.

2.3

Déclaration d'absence et appel aux héritiers

Selon l'avant-projet de 2009, l'avis au juge compétent pour statuer sur les déclarations d'absence n'était pas une fin en soi, mais un moyen de se donner une dernière chance de retrouver les ayants droit par le biais d'une procédure administrative (art. 38a, al. 1, AP-CC). Vu que l'on pouvait souvent présumer de la mort de l'ayant droit, la procédure pouvait être couplée à un appel aux héritiers. L'avant-projet

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Loi fédérale du 8 novembre 1934 sur les banques et les caisses d'épargne (loi sur les banques, LB); RS 952.0.

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permettait ainsi de liquider les fonds en déshérence dans le respect absolu des principes de l'Etat de droit10.

2.4

Droit successif des collectivités publiques

L'avant-projet (art. 466, al. 2, AP-CC) prévoyait d'instituer un nouveau droit successif en faveur de la Confédération et de combler ainsi une lacune du droit actuel puisqu'il n'existe encore aucune règle pour déterminer à qui doivent être dévolus les avoirs déposés en Suisse lorsque l'ayant droit ne laisse aucun héritier et avait son dernier domicile à l'étranger. Mais la dévolution à la Confédération n'intervenait que subsidiairement, lorsque les conditions du droit successif des autres collectivités publiques au sens de l'art. 466 CC ne sont pas remplies. Cette règle permettait d'atténuer le reproche formulé à l'encontre du projet de 2000 selon lequel seule la Confédération profiterait des avoirs en déshérence.

2.5

Dispositions transitoires

De l'avis du Conseil fédéral, les procédures décrites ci-avant seraient trop laborieuses pour permettre de liquider tous les avoirs qui, lors de l'entrée en vigueur de la loi, seraient en déshérence depuis très longtemps. Le Conseil fédéral avait chiffré à quelque 400 millions de francs le montant de ces fonds, montant dont les banques étaient censées se défaire sans déclaration d'absence préalable. Le produit de la liquidation devait être réparti à raison de moitié entre la Confédération et les cantons.

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Résultats de la procédure de consultation11

3.1

Partisans de l'avant-projet

La proposition consistant à régler le problème des fonds en déshérence par le biais du droit privé, en renonçant à la création d'une législation spéciale, a été approuvée par tous les cantons (sauf ZH). A noter cependant que BE et BS ont demandé une clarification des liens entre le texte soumis à la consultation et le droit de la tutelle.

L'avant-projet a donné matière à controverse entre les partis: si l'Union démocratique du centre (UDC), le Parti démocrate chrétien (PDC) et le Parti écologiste suisse (PES) sont favorables à l'avant-projet, le parti libéral radical (PLR), le parti socialiste (PS) et le parti chrétien social (PCS) ont formulé des réserves. Le PLR a émis la crainte que la réglementation préconisée n'engendre de lourdes procédures judiciaires. Pour le PS, les normes proposées étaient trop succinctes. Enfin le PCS a estimé

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Le droit actuel prévoit déjà un cas dans lequel la déclaration d'absence est prononcée d'office: lorsque les biens d'une personne disparue ont été administrés d'office pendant dix ans, ou lorsque cette personne aurait atteint l'âge de 100 ans (art. 550, al. 1, CC).

Le rapport détaillé sur les résultats de la procédure de consultation et la liste des participants peuvent être téléchargés à l'adresse Internet suivante: http://www.bj.admin.ch/bj/fr/ home/themen/wirtschaft/gesetzgebung/nachrichtenlosevermoegen.html.

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que le problème des fonds en déshérence était fondamental, ce qui justifiait l'adoption d'une loi spéciale.

3.2

Opposants à l'avant-projet

economiesuisse et swissbanking on fait part de leur opposition à l'avant-projet. A l'instar de ZH, elles admettent qu'il faut légiférer sur les fonds en déshérence, mais jugent qu'une solution de droit public telle que la prévoyaient les avant-projets présentés en 2000 et 2004, serait plus appropriée. Leurs arguments sont les suivants: ­

Une solution de droit public est préférable parce que son champ d'application territorial la rend applicable à tous les intermédiaires financiers actifs en Suisse, indépendamment de toute restriction découlant du droit international privé pour les clients dont le dernier domicile connu est à l'étranger.

­

Une réglementation de droit public dispense de l'obligation de faire déclarer une personne absente au seul motif qu'elle a laissé en Suisse des fonds en déshérence.

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Une réglementation de droit public peut être fondée sur le concept de déchéance des droits. Elle tient ainsi compte du fait que les obligations de déclaration et de remise des fonds en déshérence ne découlent pas d'une absence conçue artificiellement, mais bien de la négligence voire de la perte de mémoire du client.

Enfin, l'Association suisse des gérants de fortune (ASG) a proposé que l'on renonce à tout projet de réglementation, le dispositif d'autorégulation en vigueur étant, à son sens, suffisant.

3.3

Critiques sur le contenu de l'avant-projet

De nombreux participants, notamment la Conférence des directrices et directeurs cantonaux des finances (CDF) et certains cantons (AG, AR, BE, BS, BL, FR, JU, SG, SH, SO, SZ, VD) qui sont pourtant favorables au projet sur le principe (v.

ch. 3.1), se sont opposés aux propositions qui visaient à instaurer un droit successif de la Confédération (art. 446 et 550, al. 2, AP-CC et dispositions transitoires). Quant à l'UDC, elle estime que la perte définitive des avoirs constituerait une atteinte très grave à la garantie de la propriété, raison pour laquelle le transfert à la Confédération devrait à la rigueur être conditionnel.

A l'inverse, d'aucuns ont mis fortement en doute que l'autorégulation soit suffisante pour atteindre l'objectif fixé (SZ, PES, Union syndicale suisse [USS]). En lieu et place, un participant (GE) a demandé que des sanctions pénales ou administratives soient appliquées aux intermédiaires financiers qui ne respecteraient pas la loi. Une sanction pénale devrait pour le moins être prévue en cas de violation de l'obligation d'aviser le juge de la présence de fonds en déshérence (FR, SO, CSP). Il faudrait, en tout cas, réexaminer attentivement l'opportunité d'une telle sanction (USS).

Sur ce point, le PS a exigé, en tout état de cause, une solution de droit public et la création d'un bureau de communication centralisé pour tous les fonds en déshérence.

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Appréciation des résultats et suite des opérations

La consultation a fait ressortir que la majorité des participants continue d'estimer qu'il est nécessaire de légiférer en matière de fonds en déshérence. Mais elle a montré aussi que les avis sur la manière de répondre à ce besoin divergeaient fortement: si d'aucuns souhaitent l'adoption de nouvelles normes législatives qui permettent pour l'essentiel de consacrer le statu quo, d'autres revendiquent que le traitement des fonds en déshérence fasse l'objet d'une nouvelle législation d'ensemble.

Autre enseignement tiré de la consultation: les organismes les plus concernés par la thématique en cause, à savoir les banques, font montre de scepticisme, voire d'opposition à l'égard de la solution de droit privé préconisée dans l'avant-projet. Ils considèrent que celle-ci n'est pas praticable, notamment s'agissant des relations avec les clients étrangers et lorsque l'on a affaire à de petits montants.

Le Conseil fédéral entend tenir compte de ces critiques. Aussi soumet-il au Parlement, conjointement avec le présent rapport, un message additionnel12 à celui du 12 mai 2010 concernant la modification de la loi fédérale sur les banques (garantie des dépôts)13. Le Parlement pourra ainsi adopter, en sus de la nouvelle réglementation sur la garantie des dépôts, des normes qui permettront de résoudre de manière viable le problème des fonds en déshérence. La réunion des deux préoccupations dans le même projet est judicieuse étant donné que le projet de modification de la loi fédérale sur les banques14 aborde déjà le problème des fonds en déshérence en ouvrant la voie à une gestion centralisée de ceux-ci par les banques (art. 37l P-LB).

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Interventions parlementaires connexes

5.1

Postulat Nordmann (05.3069)

Conjointement avec la nouvelle réglementation concernant les fonds en déshérence, le Conseil fédéral a examiné le postulat 05.3069 Nordmann «Adaptation des procédures de déclaration d'absence lors de catastrophes naturelles». Face à de tels événements, on doit, en effet, se demander quelle attitude adopter lorsque l'on n'a pas la certitude que le créancier ou le propriétaire des fonds a survécu.

Selon le droit en vigueur, le décès d'une personne dont le corps n'a pas été retrouvé est considéré comme établi, lorsque cette personne a disparu dans des circonstances telles que sa mort doit être tenue pour certaine (art. 34 CC). En revanche, il suffit que le décès d'une personne disparue en danger de mort ou dont on n'a pas eu de nouvelles depuis longtemps paraisse très probable pour que le juge déclare l'absence (art. 35 CC).

Il n'est pas aisé dans chaque cas de déterminer si la personne en cause est vraiment décédée (malgré l'absence d'un cadavre) ou si son décès parait très probable. Aussi, lors du Tsunami, a-t-on redouté que cette question soit tranchée différemment d'un tribunal à l'autre. Toutefois, cette crainte ne s'est, heureusement, pas confirmée, principalement parce qu'en définitive, il n'y eut à déplorer que cinq victimes de nationalité suisse qu'il a été impossible d'identifier à coup sûr. Dans le seul cas

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FF 2010 6853 FF 2010 3645 FF 2010 3689

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révélé au public, la personne en question a finalement été déclarée décédée par le tribunal compétent, au vu des circonstances concrètes de sa disparition15.

S'il devait se produire de nouvelles catastrophes, l'art. 127 du code de procédure civile du 19 décembre 2008 (CPC)16 ­ il entrera en vigueur le 1er janvier 2011 ­ permettrait de réunir toutes les procédures connexes devant le tribunal qui a été saisi en premier lieu. A cet égard, l'on songe par exemple au crash d'un avion dans les Alpes qui ne laisse aucun espoir de ramener les corps et d'identifier les passagers17.

La disposition susmentionnée contribuera à garantir l'application de critères uniformes lorsqu'il s'agit de déterminer si une personne doit être déclarée décédée ou absente.

Lorsqu'une personne est déclarée absente, les héritiers sont tenus de fournir des garanties durant une période limitée car on ne saurait exclure que cette personne réapparaisse ultérieurement (art 546 ss, CC). S'agissant de fonds en déshérence, il y a lieu de partir de l'idée qu'à la date où le juge rend une déclaration d'absence, le délai pour fournir des garanties a généralement expiré depuis longtemps. En conséquence, les héritiers peuvent, en règle générale, disposer librement de fonds en déshérence. Il n'y a donc pas de nécessité de légiférer sur ce point.

5.2

Postulat Fässler-Osterwalder (09.4040)

Le 2 décembre 2009, la conseillère nationale Fässler-Osterwalder a déposé le postulat 09.4040 «Limitation de la durée de l'obligation de conservation». Elle y charge le Conseil fédéral d'examiner le problème de l'obligation de conservation et d'élaborer un rapport, en veillant en particulier à lever l'incertitude qui règne concernant la durée de l'obligation de conserver l'objet. Concrètement, l'auteur du postulat y cite l'exemple du réparateur qui doit conserver un vélo une fois les travaux terminés si son propriétaire ne vient pas le chercher parce qu'il ne peut pas payer la réparation.

Le Conseil national a adopté le postulat le 19 mars 2010.

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V. le jugement du tribunal du district de Luzern-Land du 4 octobre 2005. Ce tribunal a déclaré décédée la victime présumée de la catastrophe du Tsunami aux motifs suivants (RSJ 2006, 235 et RNRF 2007, 86): «La catastrophe du Tsunami s'est produite le 26 décembre 2004. Il est notoire que la localité de Khao Lak a été particulièrement dévastée par le raz de marée qui a détruit l'hôtel Sofitel Magic Lagoon peu après 10 heures, à un moment donc où la plupart des clients prenaient leur petit-déjeuner ou étaient encore dans leur chambre. Selon le document émanant de la représentante du groupe Accor, la vague est montée jusqu'au plafond du 2e étage où était située la chambre de C et D. Après le Tsunami, les sauveteurs ont extrait du lieu susmentionné le cadavre de D et des effets très souillés de C et D. [...] Etant donné l'ampleur de la catastrophe et les circonstances, telles que décrites, de la disparition de C, il est établi avec une certitude suffisante du point de vue juridique, que cette personne a été tuée par le Tsunami».

RO 2010 1739 Rappelons l'accident du vol Swissair SR 111 qui s'est abîmé en mer au large de Halifax.

A l'époque, les autorités canadiennes, en se fondant sur les listes de la compagnie, ont établi des certificats de décès pour l'ensemble des passagers et des membres de l'équipage, quand bien même il avait été impossible de retrouver les corps. Par la suite, ces certificats ont été reconnus par les autorités suisses en vertu de l'art. 32 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP). V. à ce sujet la lettre que l'Office fédéral de l'état civil a adressée le 22 septembre 1998 aux autorités cantonales de surveillance en matière d'état civil (Vol Swissair SR 111: Crash en mer à proximité des côtes de la province de Nouvelle-Ecosse, Canada; enregistrement des cas de décès par les offices de l'état civil; Revue de l'état civil 1998, p. 292 s.)

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Ce postulat soulève les mêmes questions d'ordre juridique que celles que pose l'utilisation des fonds en déshérence. Dans les deux cas, le débiteur est résolu à s'acquitter de son obligation, mais soit il ne parvient pas à contacter le créancier, soit ce dernier n'est pas coopératif. Il semble donc tout naturel d'examiner ici le postulat Fässler-Osterwalder.

Le dépôt est un contrat réglé aux art. 472 ss, CO. La loi n'indique pas ce qu'il advient lorsque le déposant ne vient plus rechercher la chose mobilière qui lui appartient. Aussi les questions qui se posent en l'occurrence doivent-elles être résolues à la lumière des principes du droit régissant les contrats, et, au premier chef, de celui de la liberté contractuelle. Il appartient par principe aux parties contractantes de déterminer comment régler le fait que le déposant ne vient plus rechercher la chose mobilière qui lui appartient. Pour parer à ce problème, le dépositaire peut exiger que le contrat de dépôt soit muni d'une clause qui l'habilite, par exemple, à vendre, voire à détruire, la chose déposée si le déposant ne vient pas la rechercher dans un laps de temps déterminé.

Si cette clause fait défaut (parce que les parties contractantes ne pensent pas que l'on en arrive à une telle situation), les règles applicables sont celles qui régissent la demeure du créancier. Selon celles-ci, le débiteur ­ ou, plus précisément, le dépositaire dans le contexte du dépôt ­ a le droit de consigner la chose auprès d'un tiers aux frais et risques du créancier et de se libérer ainsi de son obligation (art. 92, al. 1, CO). S'il n'est pas possible de consigner plus longtemps la chose, le débiteur peut, après sommation et avec l'autorisation du juge, la faire vendre publiquement (art. 93, al. 1, CO). En revanche, l'autorisation du juge suffit et ni une sommation préalable ni une vente publique ne sont nécessaires si la chose est cotée à la bourse, a un prix courant ou est de peu de valeur proportionnellement aux frais (art. 93, al. 2, CO). Le produit de la vente revient au déposant, le délai de prescription ordinaire de 10 ans (art. 127 CO) étant applicable. Le dépositaire peut déduire du produit de la vente les frais occasionnés par le dépôt ou la vente de la chose. Il peut également soustraire les frais d'une éventuelle réparation. Il peut y avoir
compensation de la dette et de la créance (art. 120 ss, CO).

Le Conseil fédéral estime que le régime que nous venons de décrire donne satisfaction et qu'il n'y a donc aucune nécessité de le modifier. Certes, il peut arriver que le dépositaire éprouve des difficultés à déterminer s'il est tenu de conserver la chose qui lui a été confiée ou s'il peut la vendre (de gré à gré). Ces difficultés n'ont toutefois rien d'extraordinaire. Elles sont propres à un régime de droit privé fondé sur le principe de la liberté contractuelle et caractérisé par des clauses générales et des notions juridiques imprécises. Si le dépositaire n'entend pas assumer lui-même la responsabilité de son acte ou n'est pas en mesure de le faire, il lui reste toujours la possibilité de demander au juge de l'y habiliter.

Les difficultés qui s'ajoutent à celles qui viennent d'être évoquées ne sont pas dues aux carences du droit en vigueur mais bien à la solvabilité insuffisante du créancier.

Que l'on songe à l'exemple du locataire qui, à l'expiration du bail, quitte l'appartement qu'il a loué sans le débarrasser de ses affaires. En pareille occurrence, il n'est pas rare que l'enlèvement des affaires coûte plus cher au bailleur que ce que lui rapporte la vente de celles-ci. Or aucune loi, aussi parfaite soit-elle, ne permet de remédier à cette situation. Seule la prévoyance du bailleur qui, lors de la conclusion du contrat de location, demande au locataire de lui fournir des sûretés (art. 257e CO) permet au premier d'éviter pareils problèmes.

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Conclusion

Les démarches entreprises ces dix dernières années dans le but d'instaurer un nouveau régime applicable aux fonds en déshérence ont montré combien il est difficile d'y parvenir. Pas plus une réglementation de droit public d'ensemble que des modifications ponctuelles du code civil et du code des obligations ne se sont révélées propres à permettre d'atteindre l'objectif fixé. Il apparaît, en revanche, judicieux d'adopter des dispositions complétant la loi sur les banques, qui non seulement ouvrent la voie à une gestion centralisée des fonds en déshérence mais encore règlent ce qui doit advenir de ces valeurs lorsqu'en dépit de toutes les démarches entreprises, il n'est plus possible d'établir de contact avec les déposants. Enfin, il n'y a aucune nécessité d'adopter des dispositions législatives allant au-delà de ce qui vient d'être dit. Cela étant, le Conseil fédéral propose au Parlement de classer les interventions en suspens concernant les fonds en déshérence.

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