10.018 Message relatif à l'initiative populaire «De l'espace pour l'homme et la nature (initiative pour le paysage)» du 20 janvier 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, Nous vous proposons de soumettre l'initiative populaire «De l'espace pour l'homme et la nature (initiative pour le paysage)» au vote du peuple et des cantons en leur recommandant de la rejeter. Nous vous soumettons en même temps dans un message séparé un contre-projet indirect, sous la forme d'une révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire, que nous vous proposons d'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

20 janvier 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2009-1756

945

Condensé L'initiative populaire fédérale «De l'espace pour l'homme et la nature (initiative pour le paysage)» vise à la fois à enrayer le mitage du territoire et à mieux protéger le paysage. Une révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire, proposée à titre de contre-projet indirect, offrirait un moyen tout aussi bon voire meilleur d'atteindre les buts de l'initiative.

L'initiative vise, d'une part, à inscrire à l'art. 75 de la Constitution des principes qui régissent déjà les dispositions relatives à l'aménagement du territoire et, d'autre part, à habiliter la Confédération à édicter des dispositions détaillées favorisant le développement d'une urbanisation de qualité à l'intérieur du tissu bâti. Elle prévoit en outre d'interdire l'extension de la surface totale des zones à bâtir durant vingt ans, tout en permettant au Conseil fédéral d'accorder des dérogations.

L'aménagement du territoire n'a pas réussi à résoudre le problème du mitage et celui de la destruction des terres cultivables. L'initiative apporte globalement de bonnes solutions. Toutefois, le moratoire sur les zones constructibles ne tient pas compte de la diversité des situations régionales. Il récompense par ailleurs les cantons qui disposent de trop grandes zones constructibles et pénalise ceux qui les ont planifiées rigoureusement en fonction de leurs besoins.

Les buts de l'initiative peuvent aussi être atteints par une révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire, proposée à titre de contre-projet indirect dans un message séparé. Cette procédure est de surcroît mieux adaptée pour harmoniser les zones constructibles actuelles et futures avec les besoins des différentes régions du pays.

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Message 1

Aspects formels et validité de l'initiative

1.1

Texte de l'initiative

L'initiative populaire fédérale «De l'espace pour l'homme et la nature (initiative pour le paysage)» a la teneur suivante: I La Constitution est modifiée comme suit: Art. 75

Aménagement du territoire

La Confédération et les cantons veillent à l'utilisation judicieuse et mesurée du sol, à l'occupation rationnelle du territoire, à la séparation entre le territoire constructible et le territoire non constructible et à la protection des terres cultivables. Ils prennent en considération les impératifs de l'aménagement du territoire dans l'accomplissement de leurs tâches.

1

La Confédération fixe les principes applicables à l'aménagement du territoire. Elle édicte des dispositions visant notamment à développer une urbanisation de qualité à l'intérieur du tissu bâti et à restreindre la construction dans le territoire non constructible. Elle encourage et coordonne l'aménagement du territoire des cantons.

2

3

Abrogé

II Les dispositions transitoires de la Constitution sont complétées comme suit: Art. 197, ch. 8 (nouveau) 8. Disposition transitoire ad art. 75 (aménagement du territoire) La surface totale des zones à bâtir ne peut être agrandie pendant 20 ans à compter de l'acceptation de l'art. 75. Le Conseil fédéral peut accorder des dérogations dans des cas motivés.

1.2

Aboutissement et délais de traitement

L'initiative a fait l'objet d'un examen préliminaire par la Chancellerie fédérale le 26 juin 20071 et a été déposée le 14 août 2008 avec le nombre de signatures requis.

1

FF 2007 4721

947

Par décision du 27 août 2008, la Chancellerie fédérale a constaté que l'initiative avait recueilli 109 422 signatures valables et qu'elle avait donc abouti2.

L'initiative revêt la forme d'un projet rédigé. Le Conseil fédéral lui oppose un contre-projet indirect. En vertu de l'art. 97, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement3 (LParl), le Conseil fédéral avait jusqu'au 14 février 2010 pour soumettre à l'Assemblée fédérale un projet d'arrêté accompagné d'un message. En vertu de l'art. 100 LParl, l'Assemblée fédérale a 30 mois à compter du dépôt de l'initiative, soit en l'occurrence jusqu'au 14 février 2011, pour recommander l'acceptation ou le rejet de l'initiative.

1.3

Validité

L'initiative remplit les critères fixés à l'art. 139, al. 3, de la Constitution4: ­

elle revêt exclusivement la forme d'un projet rédigé (principe de l'unité de la forme);

­

il existe un lien intrinsèque entre ses différentes parties (principe de l'unité de la matière);

­

elle ne viole aucune règle impérative du droit international.

Selon une règle non écrite, une initiative populaire peut aussi être invalidée s'il est manifestement impossible de la mettre en oeuvre. En l'occurrence, toutefois, aucun argument juridique ou pratique ne s'oppose à sa réalisation.

L'initiative est donc valable.

2

Contexte

2.1

Contexte pour les auteurs de l'initiative

Les auteurs de l'initiative estiment que le mitage du territoire a pris une ampleur considérable en Suisse et qu'il a des répercussions graves sur l'environnement, sur la société et sur la nature. Ils fondent notamment leur analyse sur des relevés de l'Office fédéral de la statistique, selon lesquels: ­

près de 100 000 nouveaux bâtiments d'habitation ont été construits entre 2000 et 2005, dont 76 % de maisons individuelles;

­

les surfaces industrielles et artisanales ont augmenté de plus de 24 % ces 25 dernières années, des constructions dans les zones de verdure n'étant pas rares;

­

le réseau routier s'est étoffé de 60 000 kilomètres ces 32 dernières années;

­

depuis le milieu des années soixante, le territoire urbanisé a crû beaucoup plus vite que la population.

2 3 4

948

FF 2008 6905 RS 171.10 RS 101

Le comité d'initiative est d'avis que cette urbanisation galopante menace la survie de nombreuses espèces animales, détruit la structure du sol, crée de nouveaux dangers (par ex. inondations) et fait disparaître les zones de détente. Le mitage a aussi des conséquences négatives sur l'économie: il engendre des coûts d'infrastructure et de services élevés, diminue les surfaces cultivables et menace le tourisme en détruisant les paysages naturels.

Le comité d'initiative constate par ailleurs qu'il existe encore des réserves de surfaces considérables dans les zones à bâtir en Suisse5. Selon la Statistique suisse des zones à bâtir 2007, établie par l'Office fédéral du développement territorial, entre 17 et 24 % des zones à bâtir6, soit entre 37 810 et 53 016 hectares sur 226 530, ne sont pas encore construites. Théoriquement, ces surfaces pourraient accueillir entre 1,4 et 2,1 millions d'habitants supplémentaires. Ces chiffres ne comprennent pas les zones à bâtir qui sont certes construites, mais qui ne sont pas utilisées au maximum de leur capacité selon le plan d'affectation.

2.2

La réglementation actuelle et ses lacunes

Aux termes de l'art. 75 de la Constitution, la Confédération fixe les principes applicables à l'aménagement du territoire. L'aménagement lui-même est l'affaire des cantons et sert une utilisation judicieuse et mesurée du sol et une occupation rationnelle du territoire (al. 1). La Confédération encourage et coordonne les efforts des cantons et collabore avec eux (al. 2). Par ailleurs, la Confédération et les cantons doivent prendre en considération les impératifs de l'aménagement du territoire dans l'accomplissement de leurs tâches (al. 3).

Selon l'art. 15 de la loi du 22 juin 1979 sur l'aménagement du territoire (LAT)7, les zones à bâtir comprennent les terrains qui seront probablement nécessaires à la construction dans les quinze ans à venir et seront équipés dans ce laps de temps. La dimension de la zone à bâtir est ainsi déterminée en fonction des besoins avec un horizon de planification de quinze ans. Les plans d'affectation doivent en général être réexaminés tous les dix ans et, le cas échéant, modifiés en conséquence.

L'évolution enregistrée depuis l'entrée en vigueur de la LAT le 1er janvier 1980 a montré les lacunes de la législation, notamment dans la lutte contre le mitage du territoire. Ces trente dernières années, l'objectif constitutionnel d'une utilisation mesurée du sol n'a pas été atteint. Les causes en sont multiples. Tout d'abord, les autorités de planification ont surévalué la croissance de la population, ce qui a provoqué le surdimensionnement des zones à bâtir. Le plus souvent, elles ont évalué les besoins à l'échelle communale, et non pour la région ou le canton, perdant toute vision d'ensemble. Des motifs étrangers à la planification, comme l'assainissement des finances communales ou le soutien des entreprises locales (de construction), ont favorisé l'affectation de bien-fonds à une zone à bâtir. En outre, l'intérêt financier des propriétaires fonciers accentue cette tendance: l'écart considérable entre la valeur des terrains à bâtir et celle des terrains non constructibles les pousse à demander le classement de leurs terrains en zones à bâtir. Par contre, au niveau 5 6 7

Office fédéral du développement territorial, Rapport 2005 sur le développement territorial, p. 33 ss Selon la méthode de calcul de l'incertitude.

RS 700

949

politique, les déclassements sont beaucoup plus difficiles à obtenir que les classements, notamment par crainte de demandes d'indemnités de la part des propriétaires fonciers.

2.3

Révision de la loi sur l'aménagement du territoire

Dans son message du 23 janvier 2008 sur le programme de la législature 2007 à 2011, le Conseil fédéral annonçait une révision de la LAT en ces termes: «l'utilisation mesurée du sol passe par l'arrêt de la dispersion des constructions et par une meilleure harmonisation des attentes vis-à-vis du territoire. [...] Il [le Conseil fédéral] va tout d'abord identifier les tâches de la Confédération à la lumière du principe de subsidiarité et proposer les améliorations qui s'imposent dans les domaines des planifications fédérales et des plans directeurs des cantons. Il s'agira aussi de promouvoir l'urbanisation à l'intérieur du tissu bâti et d'accorder davantage d'importance à la question des zones à bâtir.»8. Le Conseil fédéral a ainsi soumis à consultation le 12 décembre 2008 une loi sur le développement territorial. La plupart des participants s'est exprimée contre une révision totale de la LAT, tandis qu'une majorité s'est déclarée favorable à une révision partielle. Prenant acte de ce résultat, le Conseil fédéral propose dans un premier temps une révision partielle de la LAT portant exclusivement sur les thèmes abordés par l'initiative pour le paysage. Cette révision partielle constitue un contre-projet indirect à l'initiative.

3

Buts et teneur de l'initiative

3.1

Buts de l'initiative

Le but principal de l'initiative est d'enrayer le mitage de la Suisse. Elle vise à mieux exploiter les zones à bâtir et à geler leur surface totale pendant 20 ans à compter de l'acceptation du nouvel article constitutionnel. Le paysage sera ainsi protégé, l'habitat de la faune et de la flore conservé, des surfaces utiles agricoles proches de la nature préservées et des zones de détente sauvegardés. Parallèlement, l'initiative favorisera l'urbanisation à l'intérieur du tissu bâti. Leurs auteurs poursuivent encore d'autres objectifs: la hausse de la densité de construction permettra de diminuer le trafic individuel motorisé, de promouvoir les transports publics et d'économiser des coûts d'infrastructure.

3.2

Réglementation prévue par l'initiative

L'initiative pour le paysage reformule l'art. 75 Cst. et le dote d'une disposition transitoire. Le nouvel al. 1 obligera la Confédération et les cantons à veiller ensemble à une utilisation mesurée du sol. L'objectif d'une séparation entre le territoire constructible et le territoire non constructible et celui de la protection des terres cultivables y figurent désormais explicitement. L'actuel al. 3, selon lequel la Confédération et les cantons prennent en considération les impératifs de l'aménagement du territoire dans l'accomplissement de leurs tâches, est aussi intégré au nouvel al. 1.

8

950

FF 2008 639 689

Le nouvel al. 2 oblige la Confédération à édicter des dispositions visant à développer une urbanisation de qualité à l'intérieur du tissu bâti et à restreindre la construction dans le territoire non constructible. L'actuel al. 2 est repris, dans la mesure où il est fait obligation à la Confédération d'encourager et de coordonner les efforts des cantons dans le domaine. Par contre, l'obligation de collaborer avec eux n'est plus mentionnée.

La disposition transitoire de l'initiative prévoit que la surface totale des zones à bâtir ne peut pas être agrandie pendant 20 ans, même si le Conseil fédéral pourra accorder des dérogations dans des cas motivés.

3.3

Commentaire du texte de l'initiative

La grande nouveauté de l'al. 1 est qu'il s'adresse à la Confédération et aux cantons en leur conférant les mêmes droits. Réaliser les objectifs de l'aménagement du territoire inscrits dans la Constitution sera ainsi une tâche tant de la Confédération que des cantons. Les objectifs, eux, ne sont pas nouveaux, mais tous ne figurent pas explicitement dans la Constitution. La séparation entre le territoire constructible et le territoire non constructible découle de l'objectif de l'utilisation mesurée du sol. La doctrine et la jurisprudence la considèrent comme l'un des principaux objectifs de l'aménagement du territoire et l'érigent au rang de principe constitutionnel. La protection des terres cultivables figure pour sa part à l'art. 3, al. 2, LAT.

La règle énoncée à l'al. 2, selon laquelle la Confédération édicte des dispositions visant à développer une urbanisation de qualité à l'intérieur du tissu bâti, est également nouvelle. L'expression «de qualité» devra être définie plus précisément par le législateur. Il ressort des explications données par les auteurs de l'initiative9 qu'elle comprend par exemple des mesures visant à lutter contre la thésaurisation de terrains à bâtir et à améliorer la qualité du tissu bâti existant. Les auteurs de l'initiative indiquent également qu'il faut densifier et mieux aménager les territoires urbanisés pour garder de la place pour les espaces verts comme les parcs, les terrains de sport et les places de jeux. Cette disposition est clairement dirigée contre la construction de maisons individuelles, notamment. Toutefois, l'amélioration de la protection contre les nuisances telles que le bruit, les gaz d'échappement et d'autres atteintes à l'environnement, de même que des mesures d'organisation de l'espace et de construction contribuant à réduire les risques d'accidents de circulation, de violence et de catastrophes naturelles, contribuent aussi à l'augmentation de la qualité du tissu bâti.

Habituellement, la Constitution définit la répartition des compétences entre Confédération et cantons par des formulations différentes de celle employée dans l'initiative à l'al. 1 («La Confédération et les cantons veillent à ...»). Rien ne laisse toutefois penser que les auteurs de l'initiative entendent créer un nouveau type de tâches, par exemple une tâche collective de la
Confédération et des cantons. Il faut donc partir de l'idée que l'initiative pour le paysage conçoit la répartition des compétences entre la Confédération et les cantons comme un partage et non comme une entreprise commune.

9

Cf. www.initiative-pour-le-paysage.ch

951

Selon l'al. 2, la Confédération fixe les principes applicables à l'aménagement du territoire et édicte des dispositions visant notamment à développer l'urbanisation à l'intérieur du milieu bâti et à restreindre la construction dans le territoire non constructible. Cette disposition donnerait à la Confédération une compétence législative avec effet dérogatoire subséquent (compétences concurrentes). L'al. 2 ne précise toutefois pas la relation entre la définition des principes (1re phrase) et le fait d'édicter des dispositions relatives au développement de l'urbanisation et à la construction hors de la zone à bâtir (2e phrase). Il n'indique pas notamment si la Confédération ne fixe que les principes ou si elle entre aussi dans les détails, notamment pour les deux domaines où elle doit édicter des dispositions.

La Confédération voit l'étendue de sa compétence limitée tout d'abord par le fait que les tâches qui devraient rester du ressort des cantons aux termes de l'al. 1 dépassent la simple exécution de la législation fédérale. En outre, elle devra aussi respecter les principes généraux de la collaboration entre la Confédération et les cantons prévus à l'art. 46 Cst.

Aux termes de la disposition transitoire de l'art. 197, ch. 8, Cst., la surface totale des zones à bâtir ne peut être agrandie pendant 20 ans. Aucun nouveau terrain ne pourra donc être classé en zone à bâtir sans déclasser ailleurs des terrains de surface équivalente. Le Conseil fédéral pourra cependant autoriser exceptionnellement une augmentation de ces zones dans des cas motivés. Le texte de l'initiative ne précise toutefois pas les motifs justifiant une dérogation. Le législateur devra donc également les préciser. D'après les explications qu'ils ont données, les auteurs de l'initiative souhaitent que le Conseil fédéral fasse un usage très restrictif des dérogations et que seuls les cas de rigueur entrent en considération. Le comité d'initiative accepterait par exemple que le Conseil fédéral valide les classements en zone à bâtir mis à l'enquête publique avant l'acceptation de l'initiative. Après l'acceptation de l'initiative, le classement de terrains destinés à des pôles de développement cantonaux pourrait aussi entrer en considération lors de l'approbation des plans directeurs cantonaux, pour autant que le canton ait fait preuve de modération dans la délimitation de ses zones à bâtir.

4

Appréciation de l'initiative

4.1

Appréciation des buts de l'initiative

L'initiative vise en premier lieu à mettre un terme au mitage résultant du classement en zone à bâtir et de la construction de terrains situés en zone agricole, promouvoir la construction sur des terrains à bâtir encore non construits et encourager une densification de qualité du tissu bâti dans les zones à bâtir existantes. Le Conseil fédéral partage les préoccupations des auteurs de l'initiative sur la progression des surfaces bâties au détriment des terres agricoles. En effet, les surfaces urbanisées ont augmenté de 32 700 hectares ces vingt dernières années, soit de près d'un mètre carré par seconde10. Le Conseil fédéral convient également que le besoin en nouvelles constructions doit d'abord être satisfait par une meilleure utilisation des zones à bâtir existantes. Enfin, il reconnaît que les instruments et les prescriptions en matière d'aménagement du territoire ne suffisent pas à enrayer efficacement le mitage. C'est 10

952

Office fédéral du développement territorial, Rapport 2005 sur le développement territorial, p. 31.

d'ailleurs l'une des principales raisons pour lesquelles il a lancé la révision de la législation sur l'aménagement du territoire.

4.2

Conséquences en cas d'acceptation

Nous évaluerons principalement les conséquences d'une interdiction d'agrandir les zones à bâtir durant 20 ans, qui constituerait un véritable moratoire sur les terrains constructibles. Aujourd'hui, on calcule en général le besoin en zones à bâtir par commune. Or, le recensement à petite échelle est inadapté pour réaliser les objectifs de l'aménagement du territoire. Calculer au niveau suisse le besoin en zones à bâtir ne permettrait cependant pas davantage de les atteindre. L'offre et la demande en zones à bâtir sont en effet très différentes selon les régions: alors que la demande dépasse en partie l'offre dans les agglomérations, l'offre dépasse souvent la demande dans les régions rurales. La disposition transitoire entérinera quasiment cette répartition inadaptée des zones à bâtir non encore construites. L'approche retenue dans l'initiative ne constitue donc pas une solution satisfaisante car, bien qu'elle vise à lutter contre les trop grandes zones à bâtir et le mitage en Suisse, le moratoire sur les zones à bâtir fige la situation actuelle. Les cantons et les communes ayant délimité de trop grandes zones à bâtir se verraient ainsi récompensés, alors que ceux qui ont effectué leur planification en fonction des besoins seraient privés de possibilités de développement. Comme il n'est pas rare que la demande en zones à bâtir soit plus forte là où l'urbanisation à l'intérieur du tissu bâti, c'est-à-dire la densification, est la plus avancée, le moratoire sur les zones à bâtir toucherait plus durement ces régions.

On y verrait alors l'utilisation mesurée du sol déboucher à court terme sur un arrêt du développement. Ces régions seraient ainsi pénalisées d'avoir mené une bonne politique d'aménagement du territoire.

D'après les explications des auteurs de l'initiative11, un report des droits de bâtir devrait permettre d'ajuster l'offre de terrains constructibles là où la demande existe.

Ils demandent donc que le législateur fédéral crée les instruments requis à une échelle supracantonale pour effectuer de tels reports. Concrètement, on pourrait déclasser des zones à bâtir en surnombre dans un canton pour classer des terrains en zones à bâtir dans un autre canton qui n'en a pas assez. On ne connaît cependant aucun instrument efficace qui permettrait de le faire et aucun n'a jamais été testé. Il n'est
pas certain que l'on puisse en créer un par la voie législative et le mettre en oeuvre en temps voulu.

En cas d'acceptation de l'initiative, la surface totale des zones à bâtir en Suisse ne pourra pas être agrandie pendant 20 ans. Si, malgré la construction des réserves d'utilisation, les zones à bâtir deviennent rares dans une région où un développement serait judicieux du point de vue de l'aménagement du territoire et que, par conséquent, la demande dépasse l'offre, les terrains constructibles situés dans cette région devraient renchérir, ce qui entraînerait en outre une hausse des loyers. Les prix et les loyers n'évolueraient pas de la même façon partout en Suisse. Les agglomérations et les régions dans lesquelles les réserves de zones à bâtir sont déjà rares seraient particulièrement touchées.

11

Cf. www.initiative-pour-le-paysage.ch

953

Plus le moratoire sur les zones à bâtir durera (20 ans selon l'initiative), plus il sera difficile de trouver suffisamment de terrains contigus disponibles pour accueillir une nouvelle grande installation industrielle sur un site approprié. S'ils devaient suffire, on ne voit pas quels instruments permettraient de réaliser en temps voulu la compensation des zones à bâtir prévue à l'art. 197, ch. 8, Cst. Il y aurait alors de grands risques que des entreprises s'installent à l'étranger, près de la frontière suisse.

L'expérience de ces dernières années a en effet montré que le facteur temps joue un rôle déterminant dans ce genre d'implantations. L'acceptation de l'initiative pourrait donc engendrer des désavantages économiques pour la place économique suisse.

En revanche, l'urbanisation à l'intérieur du tissu bâti pourrait provoquer une vague de rénovations. La démolition de bâtiments vétustes et leur remplacement par des bâtiments mieux adaptés, plus rentables et surtout plus efficaces énergétiquement pourraient se multiplier, ce qui permettrait d'obtenir une plus grande densité d'utilisation. Des ensembles urbains plus compacts permettraient aussi de diminuer les coûts d'équipement et d'autres infrastructures.

4.3

Mérites et lacunes de l'initiative

Constatant l'extension ininterrompue des zones à bâtir, le Conseil fédéral partage les préoccupations des auteurs de l'initiative concernant la perte de terres agricoles et la dégradation de la nature et du paysage. Il reconnaît aussi que les instruments d'aménagement du territoire ne suffisent pas à mettre un terme à cette évolution. Le nouvel art. 75 Cst. proposé ne pose guère problème en soi. Cependant, le Conseil fédéral estime que les dispositions constitutionnelles permettent déjà de créer les instruments juridiques et de planification requis pour intensifier une urbanisation à l'intérieur du tissu bâti et pour mieux protéger la nature et le paysage en révisant la loi sur l'aménagement du territoire. A ses yeux, il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution.

L'initiative semble appropriée pour enrayer l'extension des zones à bâtir au détriment de terrains non constructibles pour vingt ans au moins. En outre, elle contribuerait à mieux protéger les terrains agricoles et le paysage, ainsi qu'à limiter la consommation de sol par habitant. Par contre, elle aurait tendance à favoriser le mitage dans certaines régions. En effet, en raison du moratoire, les constructions pourraient se concentrer dans des régions où les zones à bâtir ont été délimitées trop largement et sont aussi souvent inadaptées du point de vue de l'aménagement du territoire. En revanche, il convient de saluer l'importance que l'initiative accorde à l'urbanisation à l'intérieur du tissu bâti. Elle met ainsi à juste titre l'accent sur la qualité de l'urbanisation.

Bien que le moratoire de vingt ans sur les zones à bâtir puisse juguler temporairement le mitage, c'est justement cette disposition transitoire de l'initiative qui pose problème aux yeux du Conseil fédéral: les cantons et les communes qui ont fait une utilisation mesurée du sol et délimité des zones à bâtir correspondant aux besoins seraient pénalisés, alors que les régions qui ont délimité trop généreusement leurs zones à bâtir et les ont situées dans des lieux inappropriés du point de vue de l'aménagement du territoire, seraient récompensées, car elles auraient encore des possibilités de croissance.

954

Comme exposé plus haut, une compensation supracantonale serait difficile à mettre en oeuvre. En cas d'acceptation de l'initiative, certaines régions risqueraient donc d'être confrontées à une raréfaction importante des zones à bâtir, ce qui entraînerait une hausse des prix du terrain et des loyers et pénaliserait sensiblement la place économique suisse. La Suisse ne serait en effet plus en mesure de proposer des terrains pour l'implantation de grandes entreprises, ou seulement à des prix beaucoup plus élevés qu'à l'étranger, ce qui nuirait à sa compétitivité.

Il serait certes encore possible de classer des terrains en zones à bâtir en déclassant d'autres terrains de même surface. Bien que ce genre de système de compensation semble réalisable à l'intérieur d'une commune ou d'un canton, reste à savoir s'il pourrait être mis en oeuvre par-delà les frontières cantonales. La réponse dépendrait largement du législateur fédéral qui devrait créer les instruments pour inciter les cantons, voire les contraindre, à déclasser des zones à bâtir en faveur d'autres régions. C'est pourquoi il semble douteux que l'on puisse lutter efficacement contre une pénurie importante de terrains constructibles dans certaines régions.

L'initiative prévoit que le Conseil fédéral pourrait, dans des cas exceptionnels, accorder des dérogations durant le moratoire en autorisant l'agrandissement de zones à bâtir. Cependant, elle n'indique pas la procédure à suivre ni s'il serait possible de recourir contre la décision.

Enfin, l'initiative ne précise rien sur les mesures à prendre au terme du moratoire.

5

Conclusions

L'initiative populaire s'attaque à un problème majeur de l'aménagement du territoire en Suisse. Cependant, le moratoire de vingt ans sur les zones à bâtir ne prend pas en considération les besoins différents en terrains à bâtir des cantons et des régions et n'envisage pas une éventuelle pénurie de terrains constructibles. Surtout, il pourrait contribuer à renforcer le mitage. En effet, aucun terrain ne pourrait plus être affecté à une zone constructible, même dans des sites appropriés du point de vue de l'aménagement du territoire, ce qui favoriserait la construction des terrains à bâtir dans les zones de verdure. En outre, le renchérissement des terrains constructibles risquerait fortement de se répercuter sur les prix d'acquisition des biens immobiliers et sur leurs loyers. Enfin, en autorisant l'affectation de nouveaux terrains à la zone constructible, le Conseil fédéral exercerait une compétence entamant largement celles des cantons. Quant à la disposition transitoire, elle va bien au-delà du but recherché, tant par la mesure retenue que par sa durée.

Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral propose de rejeter l'initiative populaire «De l'espace pour l'homme et la nature (initiative pour le paysage)».

6

Présentation du contre-projet

Le Conseil fédéral oppose à titre de contre-projet indirect à l'initiative une révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire. Cette révision partielle repose sur trois constatations: ­

l'initiative met le doigt sur des lacunes réelles de l'aménagement du territoire ces dernières années; 955

­

le moratoire de vingt ans sur les zones à bâtir n'est pas adapté pour contenir de manière appropriée une urbanisation galopante: le mitage se poursuivra là où des zones à bâtir trop grandes ont été délimitées, tandis que les cantons et les régions qui ont fait une utilisation modérée du sol seront pénalisés;

­

les lacunes peuvent être comblées sans réviser la Constitution.

Le Conseil fédéral propose une révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire en se limitant aux thèmes abordés par l'initiative pour le paysage, en prévoyant notamment: ­

des mesures rapidement efficaces pour enrayer le mitage en Suisse;

­

la promotion d'une urbanisation de qualité à l'intérieur du tissu bâti;

­

le dimensionnement conforme aux besoins des zones à bâtir.

Il propose ainsi de compléter les buts et les principes de planification de l'aménagement du territoire, de reformuler le contenu minimum des plans directeurs cantonaux en matière d'urbanisation, de redéfinir les exigences pour les zones à bâtir etd'ajouter des dispositions sur la promotion de la disponibilité des terrains constructibles et sur l'obligation des cantons d'adapter leurs plans directeurs et leurs zones constructibles.

Alors que les instruments de l'initiative pour le paysage se focalisent sur la surface totale des zones à bâtir en Suisse, la révision partielle met l'accent sur les cantons.

S'ils suivent une bonne politique d'aménagement du territoire, ils pourront affecter, au besoin, de nouveaux terrains à la zone constructible. Là où les zones à bâtir actuelles dépassent les besoins, ils devront procéder à des déclassements ou, à tout le moins, compenser les nouveaux classements. En tout état de cause, la révision partielle exclut qu'un canton souffre de la mauvaise planification d'un autre canton.

Le contre-projet vise, comme l'initiative, à rendre disponible les réserves d'utilisation et à promouvoir une urbanisation de qualité à l'intérieur du tissu bâti.

Le Conseil fédéral le soumet au Parlement dans un message séparé.

956