La relation entre droit international et droit interne Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat 07.3764 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats du 16 octobre 2007 et au postulat 08.3765 de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 20 novembre 2008 du 5 mars 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, En réponse au postulat 07.3764 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats et du postulat 08.3765 de la Commission des institutions politiques du Conseil national, nous vous soumettons le présent rapport en vous priant d'en prendre connaissance.

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'expression de notre haute considération.

5 mars 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2009-0297

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Condensé Le présent rapport est élaboré en réponse à deux postulats, l'un de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats et l'autre de la Commission des institutions politiques du Conseil national. Il examine la relation entre le droit national et le droit international et, plus particulièrement, celle entre les initiatives populaires et le droit international. Cette dernière question est d'autant plus actuelle que le nombre d'initiatives populaires contraires au droit international est en augmentation.

La place du droit international au regard du droit interne dépend de trois facteurs.

Premièrement, il s'agit de savoir s'il acquiert une validité immédiate à l'intérieur du pays (système moniste) ou s'il est d'abord nécessaire de le transposer en droit national (système dualiste). Deuxièmement, les tribunaux peuvent l'appliquer soit directement, soit au travers d'un acte normatif édicté par le législateur. Troisièmement, il faut déterminer lequel, du droit national ou du droit international, prime l'autre.

L'approche des Etats est loin d'être schématique. Le droit coutumier international et les principes généraux de droit acquièrent une validité immédiate même dans les Etats dualistes. A l'opposé, de nombreux Etats monistes fixent de telles limites à l'application directe des règles internationales qu'un acte du Parlement est tout de même nécessaire pour qu'elles déploient des effets à l'intérieur du pays, ce qui, au final, ne diffère guère de la doctrine de la transposition. Aucun Etat n'accorde sans restriction la primauté au droit international sur le droit national; en cas de conflit de normes, des mécanismes de pesée des intérêts sont mis en oeuvre. Dans toute la mesure du possible, on évite les contradictions en interprétant le droit national de manière conforme au droit international.

La Suisse ne se distingue pas foncièrement des autres Etats dans la manière dont elle aborde la question de la place du droit international sur le plan interne. Cela est vrai aussi pour ce qui est de la «jurisprudence Schubert». Sa particularité réside dans l'institution de l'initiative populaire, qui représente une problématique inconnue dans les autres pays.

De tradition moniste, la Suisse reconnaît au droit international une validité immédiate sur le plan interne. Elle le considère comme
directement applicable dès lors qu'il est suffisamment précis pour fonder une décision dans un cas concret. Par principe, il prime le droit suisse; on évite les conflits de norme dans la mesure du possible en interprétant la législation nationale conformément au droit international. Il arrive toutefois que l'Assemblée fédérale déroge intentionnellement à des règles de droit international, auquel cas ­ et tel est le sens de la jurisprudence Schubert ­ le Tribunal fédéral est lié par la décision du Parlement en vertu de la séparation des pouvoirs. Font exception les droits fondamentaux consacrés au niveau international, notamment par la Convention européenne des droits de l'homme.

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Abandonner ce système ne présente aucun avantage sensible. L'adoption du dualisme ne délierait pas la Suisse de son obligation de respecter ses engagements internationaux. Inscrire dans la loi la jurisprudence Schubert empêcherait le Tribunal fédéral de statuer dans chaque cas sur la base d'une mise en balance minutieuse des intérêts et de faire évoluer cette pratique comme il le fait aujourd'hui. En ce qui concerne la suggestion d'ouvrir le recours au Tribunal fédéral contre toutes les décisions concernant la relation entre le droit national et le droit international, cela irait à l'encontre des efforts entrepris pour décharger les juges de Montrepos, sans compter qu'il est difficile de comprendre pourquoi ceux-ci examineraient sans exception tous les recours touchant cette question mais non ceux qui concernent des violations de droits constitutionnels. Quant à une éventuelle extension de la juridiction constitutionnelle, cette question ne sera pas traitée dans le présent rapport. Il conviendra de l'examiner dans le cadre des initiatives parlementaires Studer Heiner 05.445 et Müller-Hemmi 07.476.

Pour ce qui est du problème particulier à la Suisse que représentent les conflits entre certaines initiatives populaires et le droit international, les initiatives populaires peuvent être déclarées nulles uniquement lorsqu'elles violent les règles impératives du droit international. Cette notion recouvre un petit ensemble de normes fondamentales telles que l'interdiction du génocide,' de la torture ou de l'esclavage.

Depuis les années 90, de plus en plus d'initiatives populaires enfreignant d'autres règles du droit international ont été déposées, or elles doivent être déclarées valables. La question est alors de savoir comment résoudre la contradiction avec le droit international au moment de les mettre en oeuvre. Elle est particulièrement d'actualité au lendemain de l'acceptation de l'initiative populaire «contre la construction de minarets».

En pratique, l'Assemblée fédérale s'efforce de concrétiser ces initiatives de manière conforme au droit international, tout en tenant compte au mieux de la volonté de leurs auteurs. Les traités contraires devraient, lorsque c'est possible, être renégociés ou dénoncés.

Le système que nous expérimentons depuis des décennies n'a que rarement, dans l'ensemble,
causé des problèmes sérieux. La plupart du temps, il laisse à l'Assemblée fédérale suffisamment de marge pour trouver une solution satisfaisante. Le Conseil fédéral estime qu'il n'y a pas lieu de modifier en profondeur les règles actuelles. Il reconnaît cependant qu'il existe certains problèmes par rapport aux initiatives populaires contraires au droit international. Se pose dès lors la question de la subordination de la validité ou la mise en oeuvre des initiatives populaires à d'autres exigences que le respect des règles impératives du droit international. Un critère général tel que «les normes d'importance vitale pour la Suisse» manquerait de précision. Inclure dans les motifs d'invalidité les garanties de procédure et les droits fondamentaux du droit international, ou bien énumérer les normes et les traités concernés, par exemple les dispositions importantes de la CEDH, pose des difficultés tout aussi grandes. A y regarder de plus près, ces critèes soulèvent nombre de questions juridiques et politiques. Ils ne conviennent en tout cas pas pour résoudre le conflit entre les initiatives populaires et le droit international simplement et à court terme. Le Conseil fédéral n'entend pas pour autant exclure de telles

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solutions du débat. Il juge toutefois souhaitable d'étudier plus en détail leurs conséquences et d'évaluer leur faisabilité. Il chargera donc l'Office fédéral de la justice, la Direction du droit international public et la Chancellerie fédérale d'examiner ces questions.

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Table des matières Condensé

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1 Introduction

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2 Portée du droit international

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3 Légitimation interne du droit international

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4 Les règles de droit international 4.1 Vue d'ensemble 4.2 Les traités internationaux 4.3 Droit international coutumier 4.4 Principes généraux de droit 4.5 Actes juridiques unilatéraux 4.6 La jurisprudence et la doctrine: deux moyens auxiliaires 4.7 La hiérarchie des règles de droit international

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5 La relation entre droit national et droit international en général 5.1 Introduction 5.2 Validité 5.3 Application 5.4 Rang

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6 Les conséquences d'une violation du droit international 6.1 Examen de la conformité au droit international 6.2 La responsabilité internationale et ses suites concrètes

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7 La relation entre droit national et droit international à l'étranger 7.1 Introduction 7.2 République fédérale d'Allemagne 7.2.1 Validité 7.2.2 Application 7.2.3 Rang 7.2.4 Contrôle judiciaire 7.3 France 7.3.1 Validité 7.3.2 Application 7.3.3 Rang 7.3.4 Contrôle judiciaire 7.4 Royaume-Uni 7.4.1 Validité 7.4.2 Application 7.4.3 Rang 7.4.4 Contrôle judiciaire 7.5 Etats-Unis d'Amérique 7.5.1 Validité 7.5.2 Application

2093 2093 2093 2093 2094 2094 2094 2095 2095 2095 2095 2096 2096 2096 2097 2097 2097 2097 2098 2098 2071

7.5.3 Rang 7.5.4 Contrôle judiciaire 7.6 Suède 7.6.1 Validité 7.6.2 Application 7.6.3 Rang 7.6.4 Contrôle judiciaire 7.7 Inde 7.7.1 Validité 7.7.2 Application 7.7.3 Rang 7.7.4 Contrôle judiciaire 7.8 Synthèse

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8 Relation entre le droit national et le droit international en Suisse 8.1 Introduction 8.2 Validité 8.3 Application 8.4 Rang 8.5 Interprétation conforme au droit international 8.6 Conflits de normes 8.6.1 Conflit entre droit international et Constitution fédérale 8.6.2 Relation entre droit international et lois fédérales 8.7 Relation entre droit international et initiatives populaires 8.7.1 Initiatives populaires contraires aux règles impératives du droit international 8.7.1.1 Règles impératives du droit international 8.7.1.2 Interprétation conforme 8.7.1.3 Invalidité partielle et élaboration d'un contre-projet 8.7.2 Initiatives populaires contraires au droit international non impératif 8.8 Contrôle judiciaire

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9 Actions envisageables 9.1 Introduction 9.2 Passer au dualisme 9.3 Régler la primauté dans la Constitution 9.3.1 En fonction de l'importance matérielle 9.3.2 En fonction de la légitimité démocratique 9.3.3 En donnant la primauté au droit constitutionnel postérieur 9.3.4 En codifiant la jurisprudence Schubert 9.4 Compléter l'art. 190 Cst.

9.5 Ouvrir l'accès au Tribunal fédéral sur les questions de relation entre droit national et droit international 9.6 Clarifier la relation entre le droit international et les initiatives populaires

2121 2121 2122 2123 2123 2124 2124 2125 2126

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9.6.1 Extension des motifs d'invalidité 9.6.1.1 Introduction 9.6.1.2 Violation de dispositions du droit international qui sont d'une importance vitale pour la Suisse 9.6.1.3 Violation des dispositions internationales de protection des droits de l'homme (initiative parlementaire 07.477) 9.6.1.4 Enumération des règles internationales (importantes) ou des traités (importants) visés (postulat 08.3765) 9.6.1.5 Inapplicabilité de l'initiative populaire sur le plan juridique ou politique 9.6.2 Examen préliminaire de la validité des initiatives populaires 9.6.2.1 Contrôle préalable avant la récolte des signatures 9.6.2.2 Avis consultatif après l'aboutissement de l'initiative 9.6.2.3 Contre-projet obligatoire en cas d'initiative populaire nulle ou contraire au droit international 9.6.3 Résumé 10 Conclusion

2131 2131 2133 2134 2135 2136 2137 2137 2138 2139 2140 2140

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Message 1

Introduction

Le présent rapport est rédigé en réponse au postulat 07.3764 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats du 16 octobre 2007, adopté le 11 décembre 2007, et au postulat 08.3765 de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 20 novembre 2008, adopté le 11 mars 2009.

Le postulat de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats, intitulé «Rapport entre droit international et droit national», a la teneur suivante: «Le Conseil fédéral est chargé de présenter au Parlement un rapport dans lequel il: a. expose la valeur du droit international pour la Suisse et au sein de notre ordre juridique; b. s'exprime sur l'opportunité de remplacer le système moniste par un système dualiste et précise quels seraient les avantages et les inconvénients d'un tel changement; c. met en évidence le rapport entre le droit international et le droit national et s'exprime notamment sur la poursuite de la et son éventuel ancrage dans la loi; d. précise s'il est d'avis que les décisions d'instances inférieures sur le rapport entre le droit international et le droit national doivent pouvoir être soumises dans tous les cas au Tribunal fédéral afin de garantir une jurisprudence uniforme.» Le postulat de la Commission des institutions politiques du Conseil national, intitulé «Initiatives populaires et droit international», a la teneur suivante: «Le Conseil fédéral est chargé de soumettre un rapport complétant celui que la Commission des affaires juridiques du CE avait demandé au moyen du postulat 07.3764 , et répondant aux questions ci-après: ­ que faire face à cette réalité qui veut que de plus en plus d'initiatives populaires déposées ne peuvent être mises en oeuvre, ou ne peuvent l'être que partiellement, car, même si elles ne contreviennent pas aux dispositions impératives du droit international, elles entraîneraient une violation des droits constitutionnels fondamentaux ou du droit international?

­ sous l'angle de la déclaration de validité des initiatives populaires par le Parlement, quelles seraient les conséquences d'un élargissement de la notion constitutionnelle de à celle de ?» Le présent rapport répond également au postulat
du groupe UDC 09.3676 du 12 juin 2009, non encore traité au Conseil national, qui demande au Conseil fédéral d'examiner l'opportunité d'un passage du monisme au dualisme. Il complète la réponse du Conseil fédéral au postulat Heim 09.3118 du 17 mars 2009, non encore traité par le Conseil national, qui demande que les comités d'initiative signalent très 2074

clairement sur les listes de signatures les éventuels problèmes de compatibilité de l'initiative avec les engagements internationaux de notre pays.

Ces interventions sont à placer dans le contexte de la mondialisation, dont un des traits est l'importance croissante du droit international, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Il résulte de cette réalité que la place occupée par le droit international en Suisse et la manière de régler les relations entre le droit national et international constituent à l'heure actuelle des thèmes souvent discutés, que ce soit en politique, dans les médias ou dans la doctrine juridique. Parmi les problèmes mis en évidence, on citera notamment les conséquences de l'adoption d'initiatives populaires contraires au droit international non impératif, les conflits entre une disposition constitutionnelle ou légale et une règle internationale ainsi que, de manière plus générale, les prétendues restrictions à la souveraineté du constituant ou du législateur qui découlent du droit international et des jugements d'instances judiciaires internationales.

Les avis divergent cependant dans l'analyse de la problématique et peuvent être groupés, schématiquement, en trois grands courants d'idées.

Selon le premier, l'emprise du droit international et des tribunaux internationaux sur notre ordre juridique serait trop importante. Sont évoquées à ce sujet les restrictions aux droits populaires découlant de l'existence de règles internationales, l'absence de légitimation démocratique de ces dernières et l'influence croissante des décisions émanant d'organes internationaux tels que la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg, qui, parfois, n'hésitent pas à remettre en cause la pesée des intérêts opérée par le législateur national, en particulier en matière de droits de l'homme, et dont l'interprétation dynamique du droit international a pour effet de préciser les obligations contractées à l'origine dans un sens qui n'est pas toujours prévisible.

Selon le deuxième, la Suisse ne respecterait pas suffisamment, au contraire, ses engagements internationaux, notamment en cas d'adoption d'une initiative populaire contraire au droit international non impératif, et qui ne peut donc pas être invalidée.

Les débats qui ont entouré la concrétisation, par le législateur, de l'initiative
populaire pour l'internement à vie, ou ceux qui ont accompagné la prise de position de l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire pour l'interdiction de la construction de minarets, sont symptomatiques de ces interrogations. Un autre exemple en est fourni par l'initiative parlementaire Vischer 07.477 du 5 octobre 2007 «Validité des initiatives populaires» et par le postulat Heim 09.3118 du 17 mars 2009, mentionné plus haut.

Enfin, le troisième courant d'idées, qui se situe dans une optique plus juridique que politique, traduit l'opinion que le droit actuel ne fournit pas de réponses claires et satisfaisantes à un certain nombre de questions qui se posent en lien avec la relation entre le droit international et le droit interne. Les postulats à la base du présent rapport illustrent cette manière de voir, en mettant l'accent sur les aspects internes du droit international.

Aux yeux du Conseil fédéral, les préoccupations exprimées au travers des deux premiers courants décrits ci-dessus doivent cependant être d'emblée relativisées.

Ainsi que le démontrera le ch. 2 de ce rapport, l'influence croissante du droit international sur l'ordre juridique interne ne doit pas être perçue comme un élément négatif, même si elle a pour conséquence une diminution proportionnelle de la marge de manoeuvre du législateur. De nombreuses questions pressantes telles que les atteintes à l'environnement, les armes de destruction massive, le terrorisme, le 2075

crime organisé, mais aussi la mise en place de règles en matière de recherche scientifique, ne peuvent plus être abordées efficacement que sous un angle transfrontalier.

L'interdépendance des Etats les a poussés à intensifier et à codifier leurs relations; or la Suisse a tout intérêt à ce que les relations internationales soient régies par le droit, et non par les rapports de force. Il faut également souligner qu'un Etat n'est en principe lié que par les normes internationales qu'il a acceptées. Cet engagement reçoit en Suisse une légitimation démocratique au travers des procédures prévues par la Constitution (Cst.; RS 101).

La Suisse peut par ailleurs être considérée comme un Etat très respectueux de ses engagements internationaux. Les autorités, dans leur pratique, respectent le droit international, comme le leur prescrit l'art. 5, al. 4, de la Constitution. Par exemple, avant de contracter un engagement international, elles s'assurent qu'il n'y a pas de contradiction avec le droit interne; le cas échéant, celui-ci est modifié préalablement ou simultanément. La Suisse est ainsi rarement condamnée par des instances internationales pour la violation de ses obligations internationales. Il est vrai, cependant, que l'adoption par le peuple et les cantons d'initiatives populaires contraires au droit international pose un problème à cet égard. La question sera traitée à la fin de ce rapport (voir ch. 9.6). Il faut cependant souligner que le nombre d'initiatives concernées, même s'il paraît être actuellement en augmentation, reste faible dans l'absolu.

Le texte constitutionnel actuel ne fournit pas de réponses claires à toutes les questions qui se posent en lien avec la relation entre le droit international et le droit interne. C'est donc ce constat qui servira de base au présent rapport.

Celui-ci a pour objectifs d'analyser les problèmes soulevés par les postulats précités, puis de déterminer si une action est requise et, le cas échéant, de proposer des mesures propres à pallier les défauts éventuellement constatés. Pour ce faire, il convient dans un premier temps de situer le débat dans son contexte général. La première partie du rapport est ainsi consacrée à l'étude des normes internationales en général, de leur importance pour la Suisse et de leur légitimation démocratique (ch. 2 à 6).

Une brève
étude de droit comparé vise ensuite à montrer comment d'autres Etats règlent les relations entre leur droit national et le droit international (ch. 7). La seconde partie (ch. 8) expose les relations entre le droit interne et le droit international telles qu'elles sont réglées en Suisse, en mettant un accent particulier sur les conflits entre le droit international et une disposition constitutionnelle ou légale, et sur la problématique des initiatives populaires contraires au droit international.

Enfin, le rapport traite des questions à résoudre et des solutions possibles (ch. 9) avant de répondre plus particulièrement aux interrogations soulevées par les postulats (ch. 10).

2

Portée du droit international

Le droit international classique comprend l'ensemble des règles ayant force obligatoire entre Etats. Il vise à ce que ceux-ci coexistent pacifiquement et aient entre eux des interactions fiables et prévisibles. Une de ses missions centrales est de créer les bases de la paix et de la stabilité dans le monde.

Depuis la fin du 19e s., un nombre croissant d'organisations internationales sont venues grossir les rangs des sujets de droit international, à côté des Etats. Elles sont créées par ces derniers dans un but bien défini et dotées de tâches et de compétences 2076

idoines. Objet des règles du droit international, elles sont aussi un lieu de création de ces règles. Aujourd'hui, les instruments de droit multilatéraux sont presque exclusivement développés et négociés dans ces enceintes.

Les organisations qui ne regroupent pas des Etats ­ organisations non gouvernementales, multinationales, institutions académiques, etc. ­ ne sont en règle générale pas des sujets de droit international, non plus que les particuliers. Cependant, depuis le milieu du 20e s., le droit international s'intéresse de plus en plus à la protection et à la responsabilité de ces derniers, comme le montre notamment l'évolution dans les domaines des droits de l'homme, du droit humanitaire et du droit pénal international.

Dans ces domaines, les normes s'adressent aux individus et leur confèrent des droits et obligations, qui pourront parfois être invoqués devant des tribunaux internationaux ou d'autres institutions de surveillance similaires.

Le droit international n'a donc pas pour seul objectif d'assurer la stabilité dans les relations entre Etats. De plus en plus, il place au premier plan la protection et le bien-être individuels, ce qui change notre perception de la souveraineté des Etats.

Celle-ci n'est plus définie, par la négative, comme une non-immixtion de la part des Etats étrangers. Elle s'enrichit d'un contenu positif: la souveraineté d'un Etat comprend sa responsabilité primaire de veiller à la sécurité et au bien de sa population.

La mondialisation accentue non seulement l'importance, mais aussi la complexité des relations internationales. Le droit international couvre des domaines très divers, dont voici quelques exemples: ­

l'interdiction du recours à la force: les Etats doivent résoudre leurs différends par des moyens pacifiques (cf. art. 2, ch. 4, de la Charte de l'ONU);

­

les droits de l'homme: chacun peut invoquer des droits fondamentaux (droit à la vie, à l'intégrité physique, liberté personnelle, liberté d'opinion et de croyance, etc.). Le droit suisse s'appuie notamment sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH; RS 0.101);

­

la protection de l'individu en cas de conflit armé: le droit international humanitaire fixe les règles à appliquer en cas de guerre, principalement pour protéger les civils, les blessés et les prisonniers de guerre. Riche de sa tradition humanitaire, Etat dépositaire des Conventions de Genève, la Suisse entretient un lien particulier avec le droit humanitaire;

­

la lutte contre le terrorisme et autres crimes graves: la coopération au niveau international est ici indispensable. Citons pour exemple la convention internationale du 9 décembre 1999 pour la répression du financement du terrorisme (RS 0.353.22);

­

l'environnement: les mesures de protection du climat et des ressources naturelles sont d'autant plus efficaces qu'elles sont universelles. Citons l'adhésion de la Suisse au Protocole de Kyoto et sa participation à l'Agence européenne pour l'environnement au titre des Bilatérales II;

­

les échanges internationaux: l'économie suisse tire la moitié de son revenu de l'étranger. Elle est à cet égard tributaire d'un régime juridique international stable et opérationnel. Sur le plan multilatéral, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et, à une échelle plus réduite, l'AELE remplissent ces conditions. La Suisse a par ailleurs conclu de très nombreux accords bilaté-

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raux dans les domaines de la libre circulation des marchandises, de la protection des investissements et de la double imposition; ­

transports et circulation des personnes: des accords internationaux sont nécessaires pour régler l'arrivée des voyageurs, leur séjour et éventuellement leur prise d'emploi dans un autre pays. La Suisse a par exemple conclu avec l'UE des accords sur les transports terrestres et aériens et sur la libre circulation des personnes lors des Bilatérales I.

La Suisse s'engage en faveur de relations internationales régies par le droit et non par les rapports de force. Elle participe activement à l'élaboration, au développement et à l'application effective du droit international. Un des buts de la Confédération suisse est de s'engager en faveur d'un ordre international juste et pacifique (cf.

art. 2, al. 4, Cst.). Il est complété par les objectifs plus particuliers de la politique extérieure, énumérés à l'art. 54 Cst.: préserver l'indépendance et la prospérité de la Suisse; contribuer notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté; promouvoir le respect des droits de l'homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles. Le droit international contribue pour une part essentielle tant à remplir ces objectifs qu'à satisfaire les besoins de notre économie largement exportatrice. Il est important, de ce point de vue, que les relations juridiques avec les autres Etats et les organisations internationales fonctionnent.

Il ne faut pas non plus oublier les opportunités que recèle le droit international. Il permet régulièrement aux Etats d'exercer une influence au-delà des limites de leur régime juridique national, de faire valoir leurs propres intérêts au niveau international et de défendre leurs idéaux sur la scène mondiale. C'est ainsi que la Suisse a pu apporter un progrès durable dans la perspective d'un monde meilleur en soutenant la cause du droit international humanitaire.

La Suisse a donc tout intérêt à respecter ses engagements internationaux, de manière à pouvoir attendre la réciproque de ses partenaires. Cela implique certes une certaine limitation de sa souveraineté. C'est pourquoi il importe que les engagements qu'elle contracte soient légitimés démocratiquement.

3

Légitimation interne du droit international

Le droit international fonde juridiquement les relations entre Etats, qui sont de nature fort diverse. L'intensification de ces relations a entraîné une multiplication des normes internationales; celles-ci ont gagné en importance pour le régime juridique suisse, où leur influence est souvent aussi grande que celle du droit national. Il est d'autant plus nécessaire qu'elles aient une légitimité démocratique.

La Constitution du 18 avril 1999 a renforcé le rôle du Parlement dans la politique extérieure. Son art. 166 a porté au rang de norme constitutionnelle les compétences de l'Assemblée fédérale en la matière. Il énonce, à l'al. 1, que celle-ci participe à la définition de la politique extérieure. L'Assemblée fédérale suit l'évolution de la situation internationale et participe au processus de décision relatif aux questions importantes en matière de politique extérieure (art. 24, al. 1, de la loi sur le Parlement, LParl; RS 171.10). Ces dispositions mettent en évidence la responsabilité accrue que le Parlement assume dans la conduite de la politique extérieure en raison

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du fait que le poids des décisions se déplace de la politique intérieure vers la politique extérieure.

La politique extérieure incombe cependant principalement au Conseil fédéral (art. 184 Cst.). Au regard de la thématique étudiée dans le présent rapport, il s'agit surtout des traités internationaux. Les autres sources du droit (droit coutumier, principes généraux) ont ici un rôle secondaire.

Le Conseil fédéral négocie, signe et ratifie les traités internationaux (art. 184 Cst.). Il consulte cependant les commissions compétentes en matière de politique extérieure sur les directives ou lignes directrices concernant les mandats pour des négociations internationales importantes, et les informe sur l'état d'avancement des travaux (art. 152 LParl), de même que sur les traités conclus par lui-même, par les départements, par les groupements ou par les offices (art. 48a, al. 2, de la loi du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration, LOGA; RS 172.010). L'Assemblée fédérale a le dernier mot puisqu'elle doit approuver les traités internationaux, à l'exception de ceux dont la conclusion relève de la seule compétence du Conseil fédéral en vertu d'une loi ou d'un traité international (art. 166, al. 2, Cst.; art. 7a LOGA). Son pouvoir se limite à dire «oui» ou «non»; elle ne peut pas modifier le texte du traité. Cependant le mécanisme de consultation prévu à l'art. 152 LParl lui offre une occasion de faire valoir ses vues. En outre, la participation du Parlement à l'application à titre provisoire d'un traité international a été accrue en 2005, lorsque les art. 7b LOGA et 152, al. 3bis et 2, LParl ont été adoptés. Notamment, le Conseil fédéral ne peut désormais décider seul de l'application à titre provisoire d'un traité que si la sauvegarde d'intérêts essentiels de la Suisse et une urgence particulière l'exigent (art. 7b, al. 1, LOGA); auparavant, une seule de ces conditions suffisait. Il doit de plus consulter au préalable les commissions compétentes. De cette manière, l'Assemblée fédérale est assurée d'avoir une influence sur la politique extérieure en général et sur l'élaboration de nouveaux traités internationaux en particulier.

Il en va de même du peuple et des cantons. Alors qu'en politique intérieure, la Confédération ne dispose que des compétences qui lui sont déléguées
(art. 3 et 42 Cst.), les affaires étrangères sont de son ressort de manière générale (art. 54, al. 1, Cst.). Cette délégation au pouvoir central, connue par presque tous les Etats fédéraux, résulte de la nécessité de parler d'une seule voix vis-à-vis de l'extérieur.

Cependant, étant donné l'imbrication des politiques intérieure et extérieure, la retenue est de mise lorsque le domaine considéré touche aux compétences cantonales.

La Constitution de 1999 et la loi fédérale du 22 décembre 1999 sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération (LFPC; RS 138.1) ont codifié cette évolution. La Confédération doit tenir compte des compétences des cantons et sauvegarder leurs intérêts (art. 54, al. 3, Cst.)1. Les cantons sont associés à la préparation des décisions de politique extérieure affectant leurs compétences ou leurs intérêts essentiels (art. 55, al. 1, Cst.; art. 1 LFPC).

Ces structures de participation se sont avérées satisfaisantes2. La participation des cantons à la formation de l'opinion en matière de politique extérieure et en particulier à la négociation des traités leur permet de faire valoir leurs intérêts mais aussi, 1 2

Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 233.

Voir, pour les relations avec l'UE, le rapport du Conseil fédéral du 15 juin 2007 sur les effets de divers instruments de politique européenne sur le fédéralisme de la Suisse, FF 2007 5605.

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par un apport de savoir, de renforcer la position de la Suisse dans les négociations.

Un des buts de cette participation est d'ailleurs de soutenir la politique extérieure de la Confédération sur le plan interne (art. 2, let. c, LFPC). Quant à l'exécution du droit international, elle obéit en principe au partage des compétences prévu par le système fédéral3. Les traités internationaux qui règlent une matière ressortissant aux cantons sont mis en oeuvre par les cantons.

La participation du peuple au travers des instruments de la démocratie directe donne une légitimité particulière à la politique extérieure. Cet enracinement au niveau national est devenu essentiel car les décisions de politique extérieure et les traités internationaux se répercutent toujours plus sur le quotidien des citoyens. La réforme des droits populaires de 2003 a créé des procédures largement parallèles entre le référendum législatif et le référendum sur les traités internationaux (art. 141, al. 1, let. d, ch. 3, Cst.)4. Tous les traités internationaux dont le contenu s'apparente à celui d'une loi formelle ou qui doivent être concrétisés par une loi formelle sont sujets, comme elle, au référendum.

Il arrive aussi que le peuple intervienne dans la politique extérieure par la voie d'une initiative populaire. La Suisse est le seul Etat dont l'adhésion à l'ONU ait été exigée par ses citoyens et légitimée par une décision populaire (voir l'art. 197, ch. 1, Cst.).

Les traités internationaux, l'adhésion à des organisations internationales et, en fin de compte, les décisions des organes de ces dernières ont de ce fait une légitimité démocratique et respectent les principes du fédéralisme.

Un obstacle non négligeable s'oppose cependant à une participation plus intense du Parlement et des cantons à la politique extérieure: les décisions sont prises à un rythme soutenu alors qu'il faut traiter une grande masse d'informations pour les préparer. Le Conseil fédéral, qui a les plus grandes capacités pour ce faire, continuera donc de jouer le premier rôle et d'assumer la responsabilité principale sur le plan opérationnel.

4

Les règles de droit international

4.1

Vue d'ensemble

Contrairement au droit national, le droit international naît de l'accord entre plusieurs parties (traités internationaux), mais aussi de la pratique concordante des Etats (droit coutumier) ou des principes essentiels des droits nationaux (principes généraux de droit). Ses sources essentielles sont citées à l'art. 38 du Statut de la Cour internationale de justice du 26 juin 1945 (Statut de la CIJ; RS 0.193.501): «1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis, applique: a. les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige,

3 4

Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 231 à 233.

Voir la motion 04.3203 de la Commission des institutions politiques du Conseil national adoptée le 6 octobre 2005 «Référendum facultatif s'appliquant aux traités internationaux.

Parallélisme des règles de droit internationales et nationales».

2080

b.

c.

d.

la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit; les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées; sous réserve de la disposition de l'art. 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit.

2. La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d'accord, de statuer ex aequo et bono.» Nous examinerons ci-après chacune de ces sources du droit ainsi que la déclaration unilatérale, qui n'est pas mentionnée dans cet article.

Récemment, un droit international dit «secondaire» s'est développé à côté des sources de droit primaires. Les traités fondateurs des organisations internationales habilitent parfois les organes de ces dernières à prendre des décisions qui lient les Etats membres. Les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU, qui se basent sur les art. 41 et 42 du chap. 7 de la Charte de l'ONU, en sont un exemple connu.

Il existe une troisième catégorie de dispositions internationales ­ notamment les résolutions émises par l'Assemblée générale de l'ONU ­ que l'on qualifie de «soft law»: dépourvues d'effet contraignant sur le plan juridique, mais non d'une certaine portée, elles ne font pas partie des sources du droit, mais la jurisprudence s'y réfère souvent car ce type de droit peut fortement influencer la naissance de nouvelles règles internationales impératives5.

4.2

Les traités internationaux

Les traités internationaux sont la source la plus importante du droit international. Un traité est un accord des volontés, soumis au droit international, entre des Etats ou d'autres sujets de droit international (notamment les organisations interétatiques) qui s'engagent à adopter un certain comportement (obligation de faire, de s'abstenir ou de tolérer). Cet accord se fait habituellement par écrit, les traités oraux étant excessivement rares. Les Etats sont pleinement habilités à conclure des traités, les organisations internationales ne le peuvent que dans leur domaine spécifique de compétence.

Les particuliers n'en ont pas la capacité.

La Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (RS 0.111) comprend les règles générales applicables à la conclusion, l'application, l'interprétation et la dénonciation des traités internationaux. La plupart de ces règles appartiennent en même temps au droit international coutumier (voir ch. 4.3). La Convention de Vienne s'applique notamment lorsque les Etats parties n'ont pas conclu entre eux des accords qui s'écartent de ses règles.

5

Voir Anne Peters, Völkerrecht ­ Allgemeiner Teil, 2e éd., Bâle 2008, p. 130 ss; Walter Kälin, Völkerrecht ­ eine Einführung, 2e éd., Berne 2006, p. 215 ss; Knut Ipsen, Völkerrecht, 5e éd., Munich 2004, p. 250 s. La Cour internationale de justice estime implicitement, et sans utiliser le terme de soft law, que les résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU ne sont pas de nature purement politique mais qu'elles peuvent avoir une portée juridique; ICJ Reports 1971, p. 4 et ICJ Reports 1996, p. 245.

2081

La plupart des traités bilatéraux règlent la coopération entre Etats dans des domaines tels que les échanges commerciaux, l'entrée et le séjour dans l'autre Etat ou les transports. Les traités multilatéraux portent plutôt sur des thèmes et des problèmes à caractère régional ou mondial (droits de l'homme, protection de l'environnement, désarmement, etc.). Ils sont souvent adoptés dans l'enceinte d'une organisation internationale. La Suisse a conclu environ trois mille accords bilatéraux, dont la plupart avec les Etats voisins et l'Union européenne. Elle a conclu près de mille traités multilatéraux. Les traités portent diverses dénominations: accord, convention, protocole, déclaration, charte, pacte, échange de notes, échange de lettres, memorandum of understanding. Ces multiples qualifications ne changent rien à leur nature; le critère décisif est la volonté des Etats parties, exprimée dans le texte, de se lier sur le plan juridique.

Pour qu'un traité international soit conclu, il faut que les partenaires se mettent d'accord sur un contenu par lequel ils se reconnaîtront liés. Le traité ne peut donc fonder que des obligations auxquelles les Etats parties ont consenti. Ce consentement s'exprime le plus souvent par la signature, qui peut soit directement déployer des effets juridiques, soit être le prélude à une ratification ultérieure. Dans ce dernier cas, l'Etat concerné se réserve de confirmer définitivement son engagement lorsque la procédure d'approbation par l'autorité nationale compétente sera achevée (voir ch. 3). Dans l'intervalle qui sépare la signature et la ratification (par exemple par l'échange ou le dépôt des documents de ratification, d'acceptation ou d'approbation), il n'a cependant pas le droit de se comporter de manière contraire à l'objet et au but du traité. Un Etat peut également exprimer son consentement en adhérant à une convention existante, dans le cas d'un traité multilatéral.

L'adage pacta sunt servanda est au coeur du droit des traités. Il est explicité à l'art. 26 de la Convention de Vienne en ces termes: «Tout traité en vigueur lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi»6 . Les Etats parties ne peuvent en principe se dégager de ce lien qu'en modifiant le traité, en le suspendant ou en le dénonçant, ou encore en invoquant des motifs justificatifs
admissibles pour ne pas remplir leurs obligations, par exemple l'état d'urgence ou la force majeure. Outre les motifs admissibles pour se libérer des obligations de droit international, les Etats parties invoquent souvent, en pratique, des motifs contestés pour justifier la nonexécution d'un traité, en particulier des dispositions de droit interne ou leur structure institutionnelle, par exemple le fédéralisme. L'art. 27 de la Convention de Vienne l'interdit pourtant7. S'ils le font, ils commettent une violation du droit international qui fonde une responsabilité au regard de ce droit (voir ch. 6.2). Afin de parer à toute non-exécution ultérieure du traité, les Etats parties ont la possibilité de déposer par avance des réserves pour autant que le texte du traité le permette expressément ou que ces réserves ne soient pas incompatibles avec son objet et son but (voir art. 19 à 23 de la Convention de Vienne). Ils ne peuvent plus le faire à partir du moment où ils ont ratifié le traité ou adhéré à l'organisation internationale. La Suisse, qui mène

6

7

Les traités dont la violation lèse nécessairement tous les Etats parties à la fois s'appliquent simultanément et de manière indissociable à l'ensemble d'entre eux. Ils déploient leurs effets erga omnes partes et créent souvent des obligations de s'abstenir.

Tel est le cas du Traité du 5 août 1963 interdisant les essais d'armes nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace cosmique et sous l'eau (RS 0.515.01).

Voir l'exposé de la pratique jurisprudentielle internationale au ch. 4 de la publication commune de l'Office fédéral de la justice et de la Direction du droit international public du 26 avril 1989, JAAC 53.54.

2082

une politique plutôt restrictive en matière de réserves, tente dans la mesure du possible de reprendre l'ensemble des textes des traités.

Comme pour toute convention, l'interprétation des traités internationaux est importante. Elle présente des particularités par rapport à celle du droit national (voir art. 31 à 33 de la Convention de Vienne), particularités qui s'expliquent pour l'essentiel par le fait qu'il s'agit d'engagements mutuels librement consentis par des partenaires de même rang8. Au moment de la conclusion du traité ­ ou avant celle-ci ­ un Etat partie peut en outre déposer une «déclaration interprétative»; il s'agit d'un texte exposant comment il comprend une disposition précise. Les critères d'interprétation sont régis par le droit international et non par le droit national. L'interprétation se fonde en premier lieu sur l'énoncé du traité, essentiel pour l'établissement de la volonté commune effective des parties. Elle peut aussi s'appuyer sur le principe général de la bonne foi (voir ch. 3.3), l'objet et le but du traité (son «effet utile»), sa systématique et la jurisprudence subséquente des Etats parties. La méthode dite historique, qui se base sur les documents accessibles relatifs à l'élaboration du traité, est d'importance secondaire. Ces documents sont ceux qui ont été échangés entre les parties, à l'exclusion des textes internes aux Etats tels que le message du Conseil fédéral en vue de l'approbation d'un traité. En règle générale, les Etats parties interprètent eux-mêmes les traités. Une instance judiciaire ou un organe de médiation n'intervient qu'en cas de différend et si les parties se sont entendues à cet effet.

4.3

Droit international coutumier

La coutume internationale est également une source importante de droits et obligations pour les Etats. On parle de droit international coutumier lorsque les Etats adoptent certaines façons de faire tout en étant convaincus de remplir une obligation juridique. Deux conditions président à la naissance d'une règle coutumière, que la CIJ évalue séparément dans une jurisprudence constante9: la «pratique constante» de la part des Etats (élément objectif) et leur «conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l'existence d'une règle de droit» (ou opinio juris, élément subjectif).

On peut citer comme exemples les immunités des chefs d'Etat, la responsabilité des Etats (voir ch. 6.2), la délimitation du plateau continental ou le principe de noningérence. Il existe également des règles coutumières dans le domaine des échanges commerciaux, par exemple en relation avec le blocus économique, les échanges de marchandises et la protection des investissements face aux expropriations, sous forme de standards minimaux10.

Pour établir s'il y a pratique constante, il est nécessaire d'examiner et de confronter les comportements des Etats ou de mener d'autres études empiriques, par exemple dans le cadre d'organisations internationales. Pour l'opinio juris, la preuve en est 8 9

10

Voir le message du Conseil fédéral du 23 octobre 1974 concernant de nouvelles dispositions sur le référendum en matière de traités internationaux, FF 1974 II 1133, p. 1149.

Voir en particulier les arrêts suivants de la CIJ; North Sea Continental Shelf Cases (République fédérale d'Allemagne c. Danemark/République fédérale d'Allemagne c.

Pays-Bas), ICJ Reports 1969, p. 3, para. 77; Case Concerning Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicaragua c. Etats-Unis), ICJ Reports 1986, p. 14, para. 207.

Voir Knut Ipsen, Völkerrecht, 5e éd., Munich 2004, p. 685 s.

2083

plus difficile. En pratique, on conclut souvent de la pratique constante elle-même l'existence de la conviction d'obéir à une obligation juridique11. En d'autres termes, l'examen de la pratique constante des Etats et de ses caractéristiques (durée, uniformité, étendue géographique) permet de tirer des conclusions quant à cette conviction. Cette pratique constante doit conforter l'observateur objectif, en toute bonne foi (voir ch. 3.3), dans l'opinion qu'elle se poursuivra, identique, à l'avenir12. Le comportement des Etats doit revêtir une certaine régularité ­ au sens de l'obéissance à certaines règles. On trouvera d'autres indices de l'opinio juris dans le fait que les Etats reconnaissent une règle de manière très généralisée, par exemple lors d'une conférence internationale ou par l'adoption d'une résolution de l'Assemblée générale de l'ONU concernant une matière régie par le droit coutumier.

Toute règle du droit international coutumier déploie en principe ses effets juridiques à l'égard de tout sujet du droit international touché par son objet13. C'est seulement si un Etat se refuse constamment à reconnaître l'apparition d'une règle coutumière en déclarant à de multiples reprises qu'il n'en accepte par le caractère impératif («objecteur persistant») que cette règle ne le lie pas. Un Etat ou quelques Etats dans ce cas peuvent donc se soustraire à une règle du droit coutumier, même s'ils ne peuvent en empêcher l'apparition. Par contre, il est pratiquement impossible de se libérer d'une obligation de droit coutumier après qu'elle est apparue («objecteur subséquent»).

4.4

Principes généraux de droit

Troisième source du droit international mentionnée à l'art. 38, ch. 1, let. c, du Statut de la CIJ, les «principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées» recouvrent des principes communs aux grands systèmes juridiques et qui acquièrent une valeur universelle. Souvent issus des droits nationaux, ils s'appliquent en règle générale lorsque ni le droit conventionnel, ni le droit coutumier ne sont d'aucun secours dans le règlement d'un différend14. Il s'agit donc d'une source subsidiaire du droit international. Citons le principe de la bonne foi, l'interdiction des abus de droit, le principe de la force majeure, l'interdiction de l'enrichissement illégitime et le principe de proportionnalité.

L'équité (ex aequo et bono) est un principe général de droit d'une nature singulière, comme le souligne le ch. 2 de l'art. 38 du Statut de la CIJ. Alors qu'elle est tenue d'appliquer les principes cités au paragraphe précédent, la CIJ, lorsqu'elle statue ex aequo et bono, peut s'écarter librement des sources du droit international. L'application de ce principe requiert toutefois le consentement des parties. L'équité, qui s'applique au cas d'espèce, est elle aussi issue des droits internes d'Etats du monde entier; elle sert à compléter le droit dans des situations exceptionnelles, tant en droit international qu'en droit national.

11

12 13 14

Voir Peter Haggenmacher, La doctrine des deux éléments du droit coutumier dans la pratique de la Cour internationale, Revue générale de droit international public 1986, vol. 90, p. 105 à 108.

Voir Jörg Paul Müller, Vertrauensschutz im Völkerrecht, Cologne 1971, p. 84 s.

Le droit international coutumier n'a pas forcément une portée universelle; il peut avoir des effets régionaux ou naître entre deux Etats.

Voir Anne Peters, Völkerrecht ­ Allgemeiner Teil, 2e éd., Bâle 2008, p. 121 s.

2084

4.5

Actes juridiques unilatéraux

Les actes juridiques unilatéraux sont des déclarations par lesquelles un Etat manifeste sa volonté et qui déploient des effets juridiques au plan international. Bien que nul ne conteste leur caractère créateur de droit international, ils ne sont pas mentionnés par l'art. 38, ch. 1, du Statut de la CIJ. La doctrine n'a pas non plus donné de définition englobant tous les types de déclarations unilatérales.

Les actes juridiques unilatéraux ont en général un caractère contractuel (souvent en relation avec un échange de prestations) et ne déploient pas d'effets juridiques généraux et abstraits. Leur nature contraignante découle du principe de la bonne foi15. Les exemples typiques d'actes juridiques unilatéraux qui ont qualité de source de droit sont la reconnaissance, la protestation, le renoncement et la promesse (par exemple les garanties liées à une extradition en matière d'entraide pénale internationale).

4.6

La jurisprudence et la doctrine: deux moyens auxiliaires

La CIJ, aux termes de l'art. 38, al. 1, let. d, de son statut, applique les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit. La jurisprudence et la doctrine ne sont donc pas des sources du droit international à proprement parler, mais elles peuvent contribuer à sa définition.

Pour ce qui est des décisions judiciaires, les jugements de la CIJ font tout particulièrement autorité. Ils apportent une contribution essentielle à la compréhension et au développement du droit international. Lorsque la CIJ a statué, les jurisprudences nationales peuvent difficilement s'écarter de sa décision dans un cas similaire, bien que celle-ci n'ait en principe d'effets juridiques que pour les parties au différend (inter partes). Les Etats eux-mêmes se fondent, dans leurs relations, sur ses arrêts de principe et ses avis de droit, ou sur ceux de certains organes internationaux (par exemple panel de l'OMC). Les décisions judiciaires englobent également celles des tribunaux arbitraux internationaux tels que la Cour permanente d'arbitrage de La Haye.

Si la jurisprudence a gagné en importance, la doctrine en matière de droit international n'a cessé de perdre de son influence sur la compréhension des normes de droit international depuis le 19e s. Elle garde toutefois une certaine portée pratique quand il s'agit, notamment, de prouver une conviction juridique à l'échelle mondiale ou de développer le droit international.

15

Voir notamment l'arrêt de la CIJ Nuclear Test Case (Australie c. France), ICJ Reports 1974, p. 253.

2085

4.7

La hiérarchie des règles de droit international

Le droit international ne connaît pas de hiérarchie à proprement parler, contrairement au droit interne où la Constitution, les lois et les ordonnances forment un édifice cohérent. Cependant, il existe certains principes pour résoudre d'éventuels conflits entre deux normes16. L'un d'eux, essentiel, s'applique aux normes du jus cogens ­ ou normes impératives du droit international: toute norme non impérative incompatible avec une norme impérative du droit international est automatiquement nulle, comme le prévoit expressément l'art. 53 de la Convention de Vienne. Le jus cogens est pour les traités une limite matérielle.

L'art. 53 de la Convention de Vienne définit la norme impérative du droit international comme une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. Il s'agit donc d'une disposition si fondamentale pour la communauté internationale qu'aucune violation ne saurait être admise. On peut citer comme exemples reconnus l'interdiction de la torture, l'interdiction du génocide, l'interdiction du recours à la force telle qu'elle est réglée par la Charte de l'ONU, l'égalité des Etats et certaines règles fondamentales du droit international humanitaire.

Hormis le cas d'un conflit entre une norme non impérative et le jus cogens, les principes suivants s'appliquent:

16

­

Conflit entre le droit conventionnel et le droit coutumier: il est possible de déroger, dans un traité international, aux règles du droit coutumier qui ne sont pas du jus cogens. En d'autres termes, le droit conventionnel prime les règles non impératives du droit coutumier. D'ailleurs, ce principe est souvent un corollaire de celui de la primauté de la norme spéciale (ici les traités) sur la norme générale (ici le droit coutumier), connu sous la forme de l'adage lex specialis derogat generali. Cette hiérarchisation n'interdit pas que les deux sources du droit puissent être appliquées en parallèle (cas dans lequel il ne devrait pas y avoir de conflit), ni que le droit coutumier puisse prendre le pas sur des dispositions conventionnelles (voir art. 38 de la Convention de Vienne).

­

Relation des principes généraux de droit avec les traités et le droit coutumier: les principes généraux de droit s'appliquent de manière subsidiaire ou complémentaire, lorsque les traités internationaux et le droit coutumier ne suffisent pas pour résoudre un différend (voir ch. 4.3). Il est donc très rare qu'ils entrent en conflit avec ces deux autres sources de droit.

­

Conflit entre traités: les Etats parties prévoient souvent des clauses de résolution des conflits entre les traités. La plus prééminente de ces clauses est l'art. 103 de la Charte de l'ONU: «En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévau-

Voir Walter Kälin, Völkerrecht ­ eine Einführung, 2e éd., Berne 2006, p. 14; Knut Ipsen, Völkerrecht, 5e éd., Munich 2004, p. 251 ss.

2086

dront»17. Faute d'une telle clause, ce sont les règles générales de résolution des conflits du droit international qui s'appliquent (voir art. 30 et 59 de la Convention de Vienne). Outre le principe lex specialis derogat generali, on reconnaît que les normes postérieures priment les normes plus anciennes (lex posterior derogat priori).

­

Conflit entre deux règles de droit coutumier: vu la manière particulière dont naît le droit coutumier (voir ch. 4.3), un conflit n'est pas imaginable. S'il apparaît une nouvelle règle coutumière, contraire à une norme précédente, la plus ancienne disparaît.

Ces principes de résolution des conflits, plutôt techniques, ne permettent guère de tirer des conclusions quant à la portée de l'un ou l'autre type de dispositions de droit international, à l'exception du jus cogens. Ces dispositions peuvent être d'importance diverse, ce qui influe sur leur portée matérielle et donc sur leur rang au sein du droit international. Il est donc tout à fait possible qu'une règle de droit coutumier (exceptionnellement un principe général de droit) l'emporte sur une disposition contraire convenue entre deux parties, si elle est de plus grande portée ou qu'elle soit mieux respectée dans une situation concrète18.

5

La relation entre droit national et droit international en général

5.1

Introduction

Dans tous les Etats, la relation entre droit national et droit international dépend de trois éléments. Le premier est la validité du droit international: acquiert-il force de loi immédiate à l'intérieur de l'Etat, ou bien doit-il être repris par un acte de droit national pour être valable? Le deuxième élément est son applicabilité: peut-il être appliqué directement par les autorités et les tribunaux ou bien doit-il faire l'objet d'un acte d'exécution? Le troisième et dernier élément est le rang qui lui est accordé: en cas de conflit de normes, le droit national prime-t-il, ou bien s'efface-t-il devant le droit international?

Notons au passage que le droit international lui-même ne donne pas d'indication générale quant à la façon dont il doit être mis en oeuvre au plan interne. Chaque Etat est libre de choisir la manière dont il remplira ses engagements, bien qu'il doive assumer une responsabilité internationale s'il les viole (voir ch. 6.2).

17

18

Voir ATF 133 II 450 Nada, p. 457. La primauté fondamentale de la Charte de l'ONU a néanmoins été relativisée dans un arrêt de la CJCE du 3 septembre 2008, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU fondée sur le chapitre VII de la Charte face au droit communautaire: cf. affaire C-402/05 P.

Kadi/Conseil et Commission, n. 280 ss.

Voir ATF 126 II 324, p. 427 s. Primauté des conventions sur les droits de l'homme par rapport à des traités au contenu plus spécial, par ex. primauté de la CEDH sur un traité bilatéral portant atteinte aux droits de l'homme; RSJB, vol. 138, octobre 2002, p. 691 s.

2087

5.2

Validité

Il relève du choix politique de chaque Etat de décider si le droit international a force de loi immédiate à l'intérieur de ses frontières ou s'il doit être repris dans un acte normatif du droit interne. La théorie juridique oppose deux grands systèmes, le monisme et le dualisme.

Le monisme repose sur l'idée, relevant de la philosophie du droit naturel, d'un ordre juridique unique et cohérent19. Selon cette conception d'un droit uniforme, les règles du droit international deviennent automatiquement partie intégrante du droit national («adoption»).

Le dualisme trouve ses racines dans les nationalismes du 19e s.: à cette époque où plusieurs pays réalisèrent leur unification, l'Etat national semblait la puissance suprême qui n'avait aucun compte à rendre à l'extérieur. Dans la théorie dualiste, le droit international et le droit interne naissent de sources différentes, le premier d'un processus international, le second de l'action du pouvoir législatif de chaque Etat. Il s'agit de deux ordres juridiques distincts qui peuvent se toucher mais ne se recoupent pas20.

Les Etats qui ont opté pour une approche dualiste n'appliquent pas aujourd'hui le système dans toute sa rigueur. Les normes internationales doivent être reprises dans le droit national par un acte interne constitutif pour acquérir force de loi («transformation» ou «réception»). Pour les traités, il s'agit en général d'une loi, soumise à l'aval du parlement, déclarant le traité valable dans l'Etat considéré. Cette loi peut être un simple ordre d'exécution, auquel cas la norme reprise conserve son caractère de droit international et ses modifications acquièrent aussitôt force de loi dans le pays considéré. L'Etat peut cependant aussi édicter un acte spécial ­ en règle générale une loi ­ reprenant les normes d'un traité et les transformant en règles du droit national («transformation ou réception spéciale»). Les modifications décidées au niveau international ne deviennent pas automatiquement partie intégrante du droit interne. Ce système convient donc mal au droit coutumier, en constante évolution.

Dans les Etats dualistes, celui-ci est souvent repris dans le droit national par une disposition constitutionnelle qui reconnaît de manière générale sa validité en droit interne («transformation ou réception générale»). L'Allemagne, le Royaume-Uni
et la Suède pratiquent une forme modérée de dualisme (voir ch. 7).

En résumé, le monisme est une conception plus ouverte au droit international, puisque celui-ci est aussitôt intégré dans l'ordre juridique national. Le dualisme insiste sur la souveraineté de l'Etat; le droit international ne pénètre le droit interne que si l'Etat édicte un acte normatif à cet effet.

La différence entre monisme et dualisme n'a cependant qu'une portée pratique limitée. Les Etats dualistes sont eux aussi liés par le droit international, qu'ils doivent respecter sous peine de voir leur responsabilité engagée au niveau international.

Notons encore que le droit international coutumier y a souvent en fin de compte une validité immédiate, tandis que les traités ne fondent pas non plus d'obligations pour les particuliers dans les Etats monistes à moins d'y être publiés selon les dispositions du droit national.

19 20

Hans Kelsen, Reine Rechtslehre, 2e éd. 1960 (réimpression Vienne 1992), p. 329.

Heinrich Triepel, Völkerrecht und Landesrecht, Leipzig 1899, p. 111.

2088

Outre sa validité (immédiate ou non), le statut accordé au droit international sur le plan interne dépend aussi de la façon dont les autorités l'appliquent et du rang qui lui est conféré au sein du système juridique interne. Qu'un Etat pratique un système moniste ou dualiste n'a rien à voir avec le fait qu'il soit généreux ou réservé dans l'application du droit international, ni avec le fait que ce dernier prime le droit national obligatoirement ou seulement à certaines conditions. Passer du monisme au dualisme n'aurait donc guère d'impact sur l'importance du droit international au plan national. C'est tout particulièrement dans le contexte du droit communautaire que l'importance de la distinction entre monisme et dualisme reste toute relative.

5.3

Application

La question qui se pose est de savoir si une norme de droit international s'adresse uniquement à l'Etat ou si elle fonde directement des droits et obligations pour les personnes physiques et morales.

Sont directement applicables (ou justiciables ou self-executing) les normes qui sont suffisamment concrètes et précises pour que des personnes physiques ou morales en retirent des droits et des obligations sur lesquels ils pourront fonder une action devant les autorités judiciaires et administratives. Inversement, les autorités d'application du droit et les tribunaux pourront appliquer directement ces normes internationales.

Ne sont pas directement applicables (c'est-à-dire sont non justiciables ou non-selfexecuting ou executory) les normes de nature programmatoire et les dispositions qui s'adressent aux Etats. Elles doivent être concrétisées par le législateur national (en général le parlement) avant de fonder des droits et obligations pour les particuliers.

Les normes directement applicables s'adressent donc par essence aux pouvoirs exécutif et judiciaire, les normes non justiciables au pouvoir législatif. Dans un Etat qui n'accepte qu'avec réserve l'application directe des règles de droit international, le législateur a une grande influence sur ces dernières. Il peut préciser dans quelle mesure elles sont applicables; il peut même empêcher leur application en s'abstenant d'adopter un acte de mise en oeuvre, comme le montre en particulier l'exemple des Etats-Unis (voir ch. 7.5.2). Mais plus le législateur se donne de latitude, plus le risque de violer les règles du droit international est grand. Lorsque l'application directe est libéralement consentie, les autorités judiciaires et administratives appliquent directement le droit international, ce qui donne en même temps plus de poids à ces deux pouvoirs.

5.4

Rang

Le rang accordé au droit international par rapport au droit national est un élément décisif pour son application effective. Pour qu'il puisse s'imposer par rapport au droit national, il faut que les organes de l'Etat lui donnent la primauté en cas de conflit de normes, car il existe rarement des instances ou des procédures internationales destinées à garantir que les règles internationales soient respectées à l'intérieur des Etats. Les procédures prévues pour assurer l'application de la CEDH et du droit communautaire sont des exceptions.

2089

Les théories moniste et dualiste ne confèrent pas le même rang au droit international.

Dans un système moniste avec primauté du droit national, l'Etat n'est lié que par les règles internationales dont il reconnaît la force obligatoire à son égard. A l'opposé, dans un système moniste avec primauté du droit international, celui-ci est un des fondements de la validité du droit national. Un conflit entre droit international et droit national est exclu, les normes internes étant nulles dès lors qu'elles sont contraires à une règle du droit international. Dans la pratique des Etats, un monisme modéré s'est imposé, qui postule la prééminence du droit international mais admet la possibilité de conflits entre les règles internes et internationales; tel est le cas en Suisse (voir ch. 8.5). Un Etat peut donc édicter des lois contraires au droit international qui priment celui-ci à l'intérieur du pays. Mais ce faisant, il viole le droit international; il engage donc sa responsabilité internationale, de sorte qu'il est tenu de rétablir une situation conforme au droit international.

Dans les Etats marqués par une approche dualiste, c'est l'acte de transformation qui détermine le rang accordé au droit international. Ainsi, en Allemagne, au RoyaumeUni, en Suède et en Inde, un traité intégré dans le droit interne par une loi d'approbation a rang de loi.

Si l'on observe la pratique des Etats, le rang du droit international est parfois déterminé par la constitution. Ainsi, l'art. 25 de la loi fondamentale allemande énonce que les règles générales du droit international priment les lois; selon l'art. 55 de la constitution française, les traités ou accords ont une autorité supérieure à celle des lois. D'autres constitutions laissent la question ouverte, si bien que la décision revient en fin de compte aux tribunaux. On trouvera un exposé de la pratique de la Suisse au ch. 8.4.

Certes, un Etat peut, si son droit le lui permet, édicter des lois applicables sur son territoire, contraires au droit international et l'emportant sur celui-ci. Cette violation met cependant en jeu sa responsabilité internationale. En aucun cas les dispositions de la constitution ou de la loi, ni les arrêts du tribunal suprême de cet Etat ne peuvent justifier une violation du droit international (art. 27 de la Convention de Vienne). Au niveau international, si un différend éclate sur la supériorité d'une règle internationale, c'est cette dernière qui prévaut.

6

Les conséquences d'une violation du droit international

6.1

Examen de la conformité au droit international

La violation d'une convention ou d'une norme ne se définit pas autrement en droit international qu'en droit national: une partie ne respecte pas une obligation qui lui incombe. La procédure suivie pour constater la violation et donc la responsabilité de l'Etat et pour en arrêter les conséquences éventuelles est cependant très différente.

Les Etats et les organisations internationales entretiennent des contacts réguliers afin de vérifier que les normes de droit international sont correctement appliquées et de prévenir toute violation. Ces contacts prennent la forme de rencontres multilatérales ou bilatérales ou s'inscrivent dans des structures communes telles que les comités mixtes chargés de suivre les accords entre la Suisse et l'UE. Certaines obligations, surtout dans le cadre des traités multilatéraux, sont périodiquement évaluées et 2090

examinées selon un mécanisme formel, par exemple des rapports réguliers à des organes internationaux, en particulier dans les domaines des droits de l'homme (ONU) et de la coopération économique (OCDE). En règle générale, ces mécanismes permettent d'éviter toute violation des règles internationales ou de trouver des solutions consensuelles, mais ils débouchent parfois sur la constatation d'une infraction à une règle internationale.

La pratique internationale a développé plusieurs instruments pour résoudre les divergences de vue quant à l'application d'une norme internationale. Il faut citer tout d'abord les moyens diplomatiques, qui requièrent un consensus, et dont le résultat n'est pas prévisible (tels que la consultation, la négociation, les inspections, les bons offices, la conciliation et la médiation). Ils présentent la particularité de laisser les parties gérer le conflit et accepter ou rejeter les solutions proposées. Il en va tout autrement des procédures de décision (juridiques) en cas de différend (arbitrage, jugement d'un tribunal international). Les parties doivent accepter d'emblée d'être liées par la décision de l'instance qui tranche le conflit. Il n'existe pas de liste exhaustive des instruments de résolution des différends. Les parties peuvent en choisir d'autres que ceux que nous avons cités, ou bien les combiner ou les modifier.

Le droit international ne donne la prééminence à aucun d'entre eux.

6.2

La responsabilité internationale et ses suites concrètes

Si un Etat ou un autre sujet de droit international (par exemple une organisation interétatique) viole le droit international, sa responsabilité est en jeu. Ce principe est unanimement reconnu dans la pratique des Etats, la jurisprudence internationale et la doctrine21.

Aucun traité international faisant le tour de cette question n'a été conclu, mais il existe des règles de droit coutumier, qui ont été intégrées dans un projet d'articles sur la responsabilité de l'Etat pour fait internationalement illicite élaboré par la Commission du droit international de l'ONU (International Law Commission, ILC).

Ce projet a été adopté en juillet 2001 à l'intention de l'Assemblée générale de l'ONU (cf. résolution 56/83). L'ILC a non seulement tenté de codifier les règles de droit coutumier mais aussi de résoudre les questions laissées ouvertes dans le domaine de la responsabilité des Etats22. Bien que ces articles aient déjà acquis une grande importance dans la pratique des Etats et des tribunaux, il leur reste encore à être adoptés sous forme d'un accord obligatoire entre les Etats membres de l'ONU.

La responsabilité internationale présuppose deux éléments: 1) un comportement attribuable à l'Etat ou à un autre sujet de droit international 2) qui constitue une violation du droit international.

21

22

La violation du jus cogens n'entraîne en principe aucune suite spécifique, sinon, dans le cas d'un conflit de norme, la nullité d'une autre norme, comme on l'a exposé au ch. 3.6.

La responsabilité internationale et ses conséquences sont les mêmes que dans le cadre du droit coutumier.

Cf. le commentaire officiel dans le Yearbook of the International Law Commission, 2001, vol. II, p. 20 ss.

2091

Si ces deux éléments sont réunis et que la responsabilité de l'Etat est engagée, le droit international prévoit les obligations suivantes: ­

en premier lieu, l'Etat responsable doit rétablir une situation conforme au droit international ou cesser son comportement contraire au droit international. Cette obligation découle déjà de la norme violée, qui, en règle générale, subsiste. Il est cependant imaginable qu'une partie à un traité agissant de manière contraire à celui-ci (par exemple sur la base de sa législation interne ou d'autres obligations internationales) suspende le traité ou le dénonce afin de se libérer de ces engagements. Elle ne peut cependant pas se soustraire à sa responsabilité pour la violation commise durant la période où elle était soumise au traité;

­

si le rétablissement de la situation conforme au droit international n'est pas possible, ou ne l'est qu'en partie, l'Etat doit concéder des dommagesintérêts;

­

si la violation ne peut se traduire en un dommage chiffrable, l'Etat fournit une réparation. Celle-ci peut aussi s'ajouter aux dommages-intérêts.

Si l'Etat responsable ne remplit pas ces obligations, l'Etat lésé dispose de plusieurs moyens pour réagir: ­

il peut intervenir sur le plan diplomatique, au niveau bilatéral ou multilatéral, pour exercer une pression sur l'Etat responsable et l'inciter à remplir ses devoirs de réparation;

­

le traité peut être suspendu, conformément à ses dispositions ou par consentement de toutes les parties (voir art. 57 et 58 de la Convention de Vienne).

Une partie peut également le suspendre unilatéralement, en totalité ou en partie, en cas de violation substantielle (voir art. 60 de la Convention de Vienne);

­

il peut y avoir extinction du traité par consentement des parties ou dénonciation unilatérale (voir art. 54 et 56 de la Convention de Vienne). Une partie peut même mettre fin immédiatement au traité, en cas de violation substantielle de celui-ci (voir art. 60 de la Convention de Vienne).

Si ces réactions n'entraînent pas le retour à une situation conforme au droit international, il ne reste plus que la contrainte pour pousser la partie contrevenante à remplir ses obligations. Il s'agit pour une part de mesures de rétorsion, c'est-à-dire de mesures hostiles prises par les autres parties pour nuire au contrevenant sans cependant violer ses droits: par exemple la rupture des relations diplomatiques, le refus d'une aide au développement ou d'un crédit, des restrictions du commerce et des investissements dans les limites des règles internationales applicables aux échanges commerciaux. Mais les Etats peuvent aussi avoir recours à des mesures de représailles, c'est-à-dire des mesures qui violent le droit international mais qui sont admissibles exceptionnellement en réaction à une violation antérieure commise par l'autre partie. Ces mesures doivent être dirigées exclusivement contre l'Etat contrevenant, être proportionnées et respecter l'interdiction du recours à la force consacrée par la Charte de l'ONU ainsi que les règles impératives du droit international. Elles englobent des sanctions notamment politiques et économiques.

Le recours à la contrainte est extrêmement rare par rapport à la résolution amiable des différends; il n'est utilisé qu'en réponse à des violations très graves des obligations de droit international.

2092

La CEDH contient une clause particulière: les Etats membres sont tenus de se conformer aux arrêts de la Cour (art. 46, al. 1, CEDH), dans lesquels celle-ci peut constater une violation de la Convention. Le Comité des Ministres surveille l'exécution des arrêts (art. 46, al. 2, CEDH), en l'occurrence en ce qui concerne les mesures de nature concrète ou générale que les Etats doivent prendre.

7

La relation entre droit national et droit international à l'étranger

7.1

Introduction

La manière dont s'articulent le droit national et le droit international est devenue une question centrale dans tous les Etats.

On trouvera ci-après, sous une forme condensée, les résultats d'une étude dont l'Office fédéral de la justice a chargé le professeur Daniel Thürer (Institut de droit international public et de droit constitutionnel étranger de l'Université de Zurich).

Ce travail présente la pratique de plusieurs Etats, fédéralistes et centralistes, monistes et dualistes: deux voisins de la Suisse (Allemagne et France), trois relevant du système juridique anglo-saxon (Royaume-Uni, Etats-Unis, Inde) et un pays scandinave (Suède).

Seuls quelques-uns d'entre eux appliquent un pur monisme ou un pur dualisme. Il existe dans les faits de nombreuses formes intermédiaires. Il arrive par exemple qu'un Etat moniste réserve à son parlement le pouvoir de déclarer certains traités ou certaines dispositions non justiciables.

7.2

République fédérale d'Allemagne

L'Allemagne peut être qualifiée d'«ouverte au droit international», tant dans l'orientation générale de sa politique extérieure que dans son approche de l'intégration. Cette tendance se reflète au niveau constitutionnel, dans plusieurs dispositions de sa loi fondamentale23.

7.2.1

Validité

Le pouvoir législatif approuve les traités internationaux qui règlent les relations politiques de l'Etat fédéral ou portent sur des objets de la législation fédérale et, dans certains cas, participe à leur conclusion (art. 59, al. 2, GG). En revanche, la conclusion et l'exécution des accords administratifs relèvent du seul exécutif. L'approbation et la mise en oeuvre des traités revêtent la forme d'une loi (Vertragsgesetz) régie par les dispositions sur la procédure législative (art. 76 ss GG). Cette loi est parfois un acte de transformation, qui transpose les règles internationales dans le droit interne, parfois un simple ordre d'application (adressé à la cour constitutionnelle 23

Grundgesetz (GG): en partic. art. 25 GG (validité du droit international général sur le plan interne) et art. 24, al. 2, GG (intégration dans un système de sécurité collective). Voir aussi les art. 26, al. 1, 1, al. 2, 9, al. 2, (paix mondiale, droits de l'homme et entente internationale) et les art. 23 et 24, al. 1, GG (appartenance à l'UE).

2093

fédérale). Même la CEDH et le traité instituant la Communauté européenne ont acquis force de loi en Allemagne au travers d'une Vertragsgesetz.

L'art. 25 GG (règles générales du droit international) confère aux principes généraux de droit et au droit international coutumier reconnu par la grande majorité des Etats une validité directe, les reconnaissant comme partie intégrante du droit fédéral.

7.2.2

Application

La justiciabilité d'une règle internationale (norme d'un traité, droit coutumier ou principe général de droit) est déterminée exclusivement par la façon dont l'interprètent les organes étatiques chargés d'appliquer le droit. Ils déterminent si, au vu du contenu, du but et de la formulation de la règle, celle-ci nécessite une concrétisation par d'autres actes de droit international ou de droit interne, ou bien si elle est suffisamment précise. Il en va de même pour le droit coutumier et les principes généraux de droit.

7.2.3

Rang

Un traité mis en oeuvre sur le plan interne selon les modalités exposées plus haut a le même rang que l'acte de transformation ou d'exécution, c'est-à-dire celui d'une loi fédérale simple. Le rapport avec les actes de même rang est régi par les règles générales d'interprétation et, en particulier, par le principe de l'interprétation conforme au droit international. Ainsi, par principe, la CEDH ne prime pas les lois fédérales, mais la cour constitutionnelle fédérale s'efforce d'obtenir la plus grande concordance possible entre elles.

Le droit communautaire prévaut, de l'avis général, sur le droit interne. La cour constitutionnelle n'a prévu de restriction de ce principe que dans le cas où une règle communautaire annihilerait les valeurs fondamentales de la constitution allemande («abrogerait son identité») en altérant ses fondements24.

L'art. 25 GG précise explicitement que les règles générales du droit international (principes généraux de droit et droit international coutumier) priment les lois allemandes. Dans leur interprétation de cette disposition, la jurisprudence et la doctrine considèrent généralement que ces règles ont un rang intermédiaire entre l'échelon légal et l'échelon constitutionnel. Cette manière de voir est même acceptée par certains pour le jus cogens.

7.2.4

Contrôle judiciaire

Tous les tribunaux allemands sont tenus d'appliquer le droit international valable au plan interne et directement applicable. Pour ce qui est des traités, l'Allemagne connaît un système diffus: tous les tribunaux spécialisés peuvent expliciter euxmêmes leur contenu. Pour les règles générales du droit international, s'ils ont des doutes quant à leur validité ou leur applicabilité, ils doivent soumettre la question à 24

BVerfGE 37, 271, 277, arrêt «Solange I»; 73, 375, arrêt «Solange II».

2094

la cour constitutionnelle fédérale (art. 100, al. 2, GG). Le respect de ces règles sur le plan interne est en outre assuré par le recours à la cour constitutionnelle (voir art. 93, al. 1, GG). Tout un chacun peut en effet attaquer par cette voie une décision qui viole ses droits fondamentaux et qui se fonde sur une norme contraire à une règle générale de droit international.

7.3

France

La doctrine juridique française repose dans l'ensemble sur le monisme avec primauté du droit international, mais l'interprétation des normes de la constitution française relatives au droit international n'est pas sans soulever des questions.

7.3.1

Validité

Selon la théorie moniste de l'adoption, les traités internationaux font immédiatement partie intégrante de l'ordre juridique interne, comme il ressort clairement de l'art. 55 de la constitution française.

On considère généralement que le droit coutumier et les principes généraux de droit ont immédiatement force de loi sur le plan interne.

7.3.2

Application

Il n'est possible d'invoquer directement un traité international devant un tribunal ou une autorité administrative que s'il fonde des droits et des obligations pour les particuliers et qu'il est assez précis, c'est-à-dire qu'il n'est pas besoin de le préciser davantage par un acte de droit interne. Pour des raisons de sécurité du droit, ce type de traité doit être publié de la même manière qu'un acte de droit interne. Si ces conditions sont remplies, il est directement applicable.

Pour le droit coutumier et les principes généraux de droit, il ressort de l'art. 14 du préambule de la constitution de 1946 qu'ils sont directement applicables du moment qu'ils sont suffisamment précis.

7.3.3

Rang

La constitution française ne contient pas de disposition précisant quel est son rapport avec les traités internationaux et si ces derniers lui sont supérieurs ou inférieurs. Si le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat défendent la conception selon laquelle la constitution prime les traités internationaux, les avis sont partagés parmi les auteurs de doctrine. De tous les tribunaux, seul le Conseil constitutionnel a le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des traités, ce qui, dans la pratique, donne la prééminence à ces derniers. Par ailleurs, l'art. 55 de la constitution reconnaît aux traités internationaux une autorité supérieure à celle des lois nationales. Il incombe entièrement aux tribunaux civils, pénaux et administratifs de réaliser cette primauté des traités sur les lois.

2095

Le rang du droit coutumier et des principes généraux de droit dans le régime juridique français est contesté. La tendance de la doctrine est aujourd'hui de leur reconnaître un rang supérieur à celui des lois, mais non à celui de la constitution. Il est cependant frappant de voir combien les avis sont variés parmi les auteurs de doctrine. La jurisprudence n'apporte pas non plus de réponse nette à cette question.

7.3.4

Contrôle judiciaire

Le Conseil constitutionnel exerce un contrôle constitutionnel préventif des traités. Il incombe entièrement aux tribunaux civils, pénaux et administratif de réaliser la primauté des traités internationaux sur les lois, consacrée à l'art. 55 de la constitution française.

Selon la doctrine, le Conseil constitutionnel peut déclarer inconstitutionnelle une loi qui viole les règles générales du droit international; le cas ne s'est pourtant jamais produit. Les autres tribunaux ne disposent pas de cette possibilité: ils doivent appliquer la loi, bien qu'il leur soit permis de l'interpréter en fonction du droit international coutumier et des principes généraux de droit.

7.4

Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, le droit constitutionnel n'a jamais été codifié dans un document unique. Il est éparpillé dans un certain nombre de documents historiques, de conventions et de lois parlementaires. Les sources principales du droit constitutionnel britannique sont la législation écrite (statute law, principalement les lois édictées par le parlement) et la jurisprudence des tribunaux supérieurs (case law). La case law repose sur la common law (les lois et coutumes reconnus traditionnellement par les tribunaux) ou sur l'interprétation de la législation ou statute law. Les règles de la common law peuvent être modifiées par le parlement. Le principe constitutionnel suprême est la doctrine de la souveraineté du parlement, notion clef qui se répercute sur tous les aspects de la relation entre le droit national et le droit international. La seule restriction à ce principe dérive de l'adhésion à l'Union européenne.

7.4.1

Validité

Les traités internationaux doivent en règle générale être transformés par un acte de droit interne. Cette pratique vise à éviter que la Couronne (l'exécutif) n'empiète sur les compétences du législatif. Elle découle directement de la doctrine de la souveraineté du parlement.

Le droit international coutumier qui a une portée universelle ou qui correspond à la conviction juridique interne devient immédiatement partie intégrante du droit national (la law of the land), et plus précisément de la common law. Il en va de même pour les principes généraux de droit. La jurisprudence des tribunaux est aujourd'hui considérée comme l'expression d'une reconnaissance de la théorie moniste de l'adoption.

2096

7.4.2

Application

L'application des traités internationaux par les tribunaux requiert un acte de transformation. Seul fait exception le droit communautaire, déclaré immédiatement valable ­ et directement applicable ­ par un acte du parlement. Les tribunaux britanniques peuvent donc l'appliquer et l'interpréter directement. On ne peut cependant nier l'influence indirecte qu'exercent les traités non transformés, comme c'était notamment le cas de la CEDH avant l'adoption du Human Rights Act en 1998. Ils peuvent avoir un impact considérable sur la jurisprudence en tant qu'instruments de l'interprétation. La grande influence qu'a eu la CEDH sur la jurisprudence britannique montre que le choix de la théorie suivie, moniste ou dualiste, n'a pas de grandes conséquences pour la faculté du droit international à s'imposer sur le plan interne.

Pour ce qui est du droit coutumier et des principes généraux de droit, le RoyaumeUni distingue entre la validité et l'application. Si des règles coutumières correspondent à la conviction juridique anglaise, elles acquièrent force de loi sur le plan interne et sont appliquées à titre de law of the land ou droit interne.

7.4.3

Rang

Tout traité international doit, nous l'avons dit, être repris par un acte parlementaire.

Comme celui-ci relève de la statute law, tel sera le rang du traité. Le droit communautaire fait exception en ceci qu'il est immédiatement intégré au droit national.

Considéré comme de la statute law, il prime les actes législatifs contraires, actuels ou futurs. Le droit international coutumier qui a une portée universelle ou qui correspond à la conviction juridique interne est automatiquement intégré à la law of the land en tant que common law; il est de ce fait de rang inférieur à la statute law. Il en va de même pour les principes généraux de droit.

7.4.4

Contrôle judiciaire

Les tribunaux britanniques, quel que soit leur rang, ne peuvent pas contrôler la conformité de la statute law au droit international. Le droit communautaire fait exception: ils peuvent accorder aux dispositions communautaires directement applicables la primauté sur le droit national. Ils appliquent également le droit international coutumier et interprètent la statute law conformément au droit international, contribuant ainsi au respect et au développement de ce dernier.

7.5

Etats-Unis d'Amérique

Très ouverts à l'origine au droit international, les Etats-Unis sont devenus excessivement réticents au cours de leur histoire. Ni les tribunaux, ni les autorités administratives de l'Etat fédéral et de ses membres ne s'efforcent de le mettre en oeuvre le plus efficacement possible. A l'application des règles internationales, ils opposent régulièrement le droit national, voire celui de l'Etat fédéré. La Cour suprême a statué qu'un jugement de la CIJ ne déployait pas d'effets juridiques directs et ne liait donc pas les autorités judiciaires.

2097

7.5.1

Validité

A première vue, les Etats-Unis appliquent un système traditionnellement qualifié de monisme. Les traités internationaux sont en principe, sans transformation, partie intégrante du droit national (art. VI(2) de la constitution américaine).

Ni le droit coutumier, ni les principes généraux de droit ne sont mentionnés dans la constitution américaine. Conformément à la tradition anglo-saxonne, la Cour suprême a qualifié le droit coutumier de law of the land, c'est-à-dire qu'il est directement intégré au droit national, bien que les Etats-Unis ne reconnaissent souvent la naissance de droit coutumier qu'à des conditions très strictes.

7.5.2

Application

La manière dont les Etats-Unis déterminent le caractère directement applicable des traités internationaux a un impact décisif sur leur mise en oeuvre qui s'en trouve sensiblement restreinte. Ils se fondent en premier lieu non pas sur des motifs juridiques et matériels tels que la précision de l'énoncé des traités, mais sur des motifs politiques. Dans les cas des traités relatifs aux droits de l'homme, les Etats-Unis déclarent depuis longtemps, au moment de la ratification, qu'ils considèrent l'ensemble des dispositions matérielles comme non justiciables et nécessitant une transposition en droit interne.

La transposition que requiert cette interprétation restrictive de la justiciabilité constitue une étape supplémentaire qui peut considérablement retarder la pénétration du droit national par le droit international. Au bout du compte, cela signifie que les traités doivent de facto être transformés par un acte interne pour que les tribunaux américains puissent les appliquer, en dépit du système moniste qui est nominalement celui des Etats-Unis.

La coutume internationale est directement applicable si elle est self-executing, soit suffisamment précise pour être appliquée par les tribunaux. Comme les Etats-Unis ne reconnaissent un caractère coutumier à une norme que s'il existe une pratique constante (voir ch. 4.2) et que cette pratique détermine un comportement défini et précis, les règles coutumières devraient sans doute toujours y être directement applicables.

7.5.3

Rang

Dans ce système juridique très centré sur lui-même, la constitution, texte suprême, ne peut en rien être complétée, modifiée ou limitée par le droit international. Aucune hiérarchie n'est prescrite entre les lois fédérales et les traités internationaux. Une jurisprudence constante donne la primauté à ces derniers, mais il est aussi possible d'édicter et d'appliquer valablement une loi contraire au droit international. Les traités ont la prééminence sur le common law et le droit des Etats fédérés.

Le droit international coutumier, mis sur le même pied que le common law, est de rang inférieur aux lois fédérales, mais il l'emporte sur le droit des Etats fédérés.

2098

7.5.4

Contrôle judiciaire

L'examen des questions de droit international incombe fondamentalement aux tribunaux fédéraux. La Cour suprême est l'instance supérieure, mais lorsqu'elle est saisie d'un appel, elle n'est pas tenue de l'examiner. Elle statue aussi en dernière instance sur les litiges touchant au droit international portés devant le tribunal d'un Etat fédéré.

7.6

Suède

On ne peut guère qualifier le système juridique suédois de favorable au droit international, du fait de son système de transformation. De plus, pour des raisons tenant au principe clef de la souveraineté du parlement, il y règne un scepticisme fondamental envers le droit international. La Suède a cependant tendance aujourd'hui à s'écarter de la stricte théorie de la transformation, ses tribunaux prenant parfois en compte le droit international comme source du droit indépendante.

7.6.1

Validité

Le droit international doit être transformé par un acte de droit national pour acquérir une validité interne. Cette transposition peut prendre plusieurs formes ­ ordre d'exécution, loi de transformation ou référence ­ ces méthodes étant parfois combinées. Le choix de la méthode se fonde sur des considérations pratiques. Tous les traités internationaux doivent être transposés en droit interne, y compris la CEDH.

La situation est plus complexe pour le droit communautaire. Alors que le droit communautaire primaire est transposé, le droit dérivé a directement force de loi à l'intérieur du pays.

La validité immédiate du droit international coutumier et des principes généraux de droit est une question controversée. Certains ouvrages de doctrine soutiennent l'opinion qu'ils doivent d'abord être repris en droit national, d'autres arguent que tout du moins les règles les plus fondamentales relatives aux droits de l'homme sont directement valables.

7.6.2

Application

En principe, le droit international (justiciable ou non) doit être transposé en droit interne, il ne peut donc pas être directement appliqué. Les tribunaux suédois appliquent autant que possible les actes de transformation en conformité avec ce dernier.

Le système de transformation n'empêche donc pas les traités d'être, au moins indirectement, une source du droit.

Il existe des exceptions à ce système, notamment le droit communautaire dérivé.

Font aussi exception les principes généraux de droit et le droit coutumier, que les tribunaux appliquent aussi directement en pratique, même lorsqu'aucune loi ne les y habilite.

2099

7.6.3

Rang

La constitution suédoise détermine quelles règles doivent être édictées sous la forme d'une loi formelle et lesquelles sous la forme, par exemple, d'une ordonnance.

L'acte de transformation d'un traité international a le rang que lui accorde la constitution. En cas de conflit avec le droit suédois, celui-ci prime les principes généraux de droit, le droit international coutumier et la plupart des traités. Contrairement à ce qui se passe en Suisse, la CEDH ne prévaut sur les lois et les ordonnances qu'en cas de contradiction manifeste. La relation entre le droit communautaire et la constitution suédoise est une question disputée. Le gouvernement est d'avis que la constitution a la primauté dans tous les cas.

7.6.4

Contrôle judiciaire

Pas plus que la Suisse, la Suède n'a de cour constitutionnelle. Chaque tribunal, chaque autorité administrative peut refuser l'application d'une norme si elle est manifestement contraire au droit supérieur. Seul l'acte d'application est formellement abrogé, mais non la norme elle-même. Il n'existe pas de contrôle des normes abstrait, mais il est difficile de savoir si l'examen est censé avoir lieu d'office ou seulement sur plainte. En pratique, seuls les tribunaux supérieurs décident parfois de ne pas appliquer une règle de droit positif. Les autres ne s'opposent pas à la volonté du législateur. Toutefois, un comité juridique, fondé en 1909 et composé de juges de la cour suprême et du tribunal administratif suprême, intervient durant la procédure législative. Il émet des avis relatifs aux conflits de normes potentiels, quoique ses recommandations ne soient pas contraignantes.

7.7

Inde

L'Inde était colonie anglaise jusqu'au 15 août 1947. Après la décolonisation et en vertu de la constitution indienne du 26 janvier 1950, les tribunaux indiens ont repris en majeure partie la jurisprudence britannique et celle du Commonwealth, dont les tribunaux et la doctrine indiennes s'inspirent très fortement.

7.7.1

Validité

Concernant la validité interne du droit international, l'Inde suit la théorie dualiste.

Les traités doivent en principe être repris par un acte de droit interne. Par le passé, l'Inde a conclu de nombreux traités sans forcément les transposer dans son droit interne. Les tribunaux interprètent toutefois les lois nationales à la lumière des principes inscrits dans ces traités, afin d'éviter des lacunes dans la mise en oeuvre des engagements internationaux de l'Inde.

La nécessité d'un acte législatif reprenant le droit international coutumier est controversée. La cour suprême a certes confirmé dans un obiter dictum la théorie de l'adoption (monisme) en relation avec le droit coutumier. Mais la doctrine indienne réfute cette conclusion et défend, en se référant à la constitution, l'application de la théorie dualiste à l'ensemble du droit international. Quant aux principes généraux de 2100

droit, l'ordre juridique indien est muet à ce sujet. Généralement, il est traité comme le droit coutumier.

7.7.2

Application

Les traités internationaux doivent être repris en droit interne pour être appliqués par les tribunaux. Certaines normes conventionnelles qui ne peuvent être appliquées directement faute d'acte de transformation exercent cependant une influence indirecte, du fait que les tribunaux indiens s'y réfèrent pour interpréter les lois nationales (par exemple les deux pactes de l'ONU relatifs aux droits de l'homme).

L'Inde ne distingue pas entre la validité et l'applicabilité du droit coutumier international. Si des règles coutumières correspondent à la conviction juridique indienne, elles peuvent être directement appliquées par les tribunaux. Elles acquièrent leur validité au travers de l'application, ce qui signifie aussi que cette dernière est une condition de leur validité.

7.7.3

Rang

Les traités ont le rang de l'acte normatif qui leur confère une validité interne. Les règles de droit coutumier contraires aux actes du parlement n'ont pas force de loi sur le plan national: la statute law, même si elle est plus récente, prime le droit coutumier, lequel fait partie de la common law. La jurisprudence tente toutefois de les concilier en présumant de la conformité de la statute law avec le droit international.

7.7.4

Contrôle judiciaire

Les tribunaux jouent un rôle crucial pour la validité du droit international en Inde. Ils donnent une validité indirecte aux traités qui n'ont pas été transposés en droit national en les utilisant comme instruments de l'interprétation. Ils reconnaissent et appliquent le droit coutumier, ce qui en fait une partie intégrante de la common law.

7.8

Synthèse

Plusieurs constatations se dégagent de ce tour d'horizon.

­

Même les Etats dualistes ne transforment pas le droit coutumier et les principes généraux de droit par un acte législatif interne, mais leur accordent une validité immédiate. Le système de la transformation ne s'applique de fait qu'aux traités.

­

Bien que le monisme semble faciliter la mise en oeuvre rapide et efficace du droit international par les Etats, un coup d'oeil sur la pratique montre que le dualisme peut déboucher sur un système favorable au droit international. En interprétant le droit national conformément au droit international, on évite souvent les heurts entre ces deux systèmes, pour trouver des solutions har-

2101

monieuses. L'état d'esprit des autorités nationales, leur discipline vis-à-vis du respect du droit international, ont également une grande importance.

­

A mesure que les mécanismes internationaux visant à faire respecter le droit international se développent (tribunaux et instances similaires, systèmes de contrôle et de surveillance), le besoin semble toujours plus grand de favoriser la validité immédiate et l'application directe du droit international sur le plan interne, de mettre en place un contrôle judiciaire (constitutionnel) pour assurer la bonne interprétation et l'application des règles internationales dans le pays et de créer les instances et les procédures nécessaires pour éviter les conflits entre ces règles et le droit national.

­

Aucun des régimes juridiques étudiés n'accorde automatiquement au droit international la primauté sur le droit national. Sous une forme ou sous une autre, tous réservent une place centrale à des mécanismes de mise en concordance. Les tribunaux recherchent des solutions pragmatiques, adaptées à chaque situation. Ils doivent mettre dans la balance les valeurs et principes centraux de l'ordre constitutionnel national (par exemple dans le domaine des droits de l'homme).

­

Aucun des Etats étudiés (en réalité aucun Etat) n'a jamais formellement changé de système. Dans la pratique, une telle transformation serait excessivement lourde et complexe.

­

Aucun des Etats étudiés ne mentionne spécialement le jus cogens dans une référence au droit international applicable ou en tant que notion constitutionnelle.

­

Il semble préférable de mettre en place des mécanismes visant à prévenir les conflits entre le droit national et le droit international. On en trouve un exemple intéressant dans le comité juridique suédois qui peut émettre des avis non contraignants sur les conflits de normes potentiels au cours du processus législatif, exerçant une sorte de contrôle constitutionnel préventif.

8

Relation entre le droit national et le droit international en Suisse

8.1

Introduction

Le présent chapitre traite de la manière dont le droit interne règle ses propres relations avec le droit international. C'est à ce propos que se posent la plupart des questions controversées évoquées dans l'introduction du présent rapport, telles que la solution à adopter lorsqu'une initiative populaire est contraire au droit international non impératif, ou plus généralement lorsqu'une règle internationale entre en conflit avec le droit interne. Une autre question est celle des conséquences, dans l'ordre juridique interne, de l'interprétation évolutive que certains organes de contrôle internationaux, notamment la Cour européenne des droits de l'homme, font des conventions dont ils assurent le respect. Ce chapitre vise à déterminer si le droit suisse actuel permet de répondre de manière satisfaisante à ces questions ou s'il existe des lacunes.

2102

A l'instar des relations entre le droit international et le droit interne en général, la relation entre le droit international et le droit suisse est déterminée par les trois éléments classiques que sont la validité, l'applicabilité et le rang. Du point de vue de la validité du droit international, la Suisse se rattache traditionnellement au système moniste. Selon ce système, qui est celui appliqué à l'heure actuelle, le droit international fait partie de l'ordre juridique interne dès son entrée en vigueur. Cet aspect sera exposé dans la première section du présent chapitre (ch. 8.2). S'agissant de l'applicabilité, le droit international est directement applicable lorsqu'il est suffisamment précis pour servir de base à une décision. Cet élément ne pose guère de problèmes, et ne sera donc que brièvement évoqué dans la suite de ce chapitre (ch. 8.3). Le troisième élément, celui du rang, est en revanche plus problématique.

Un certain nombre de questions ne sont pas réglées à ce propos, ou du moins pas réglées de manière claire par notre ordre juridique. Tel est par exemple le cas de la solution à adopter en cas de conflit entre une disposition constitutionnelle et une norme de droit international, ou entre une disposition légale et une norme internationale.

La question du rang du droit international doit être considérée à la fois abstraitement et du point de vue de ses implications pratiques. D'un point de vue abstrait, se poser la question du rang revient à se demander quelle est la place du droit international dans la hiérarchie des normes du droit interne. Du point de vue des conséquences pratiques, s'interroger sur le rang du droit international signifie se demander quelle norme prendra le pas sur l'autre en cas de conflit avec le droit interne. C'est la réponse à cette question qui revêt, en pratique, le plus d'importance. La thématique du rang est donc intimement liée à celle du conflit de normes. C'est pourquoi la section du présent chapitre qui y est dédiée (ch. 8.4) sera complétée par une section consacrée aux conflits de normes: entre le droit international et la Constitution, d'une part, et entre le droit international et les lois fédérales, d'autre part (ch. 8.6). Il est toutefois à noter qu'un conflit de normes ne peut apparaître que lorsqu'une interprétation conforme au droit international
est impossible. Nous traiterons donc au préalable cette forme d'interprétation (ch. 8.5). Nous consacrerons ensuite une section distincte à la problématique particulièrement sensible des relations entre le droit international et les initiatives populaires (ch. 8.7). La dernière section traitera enfin du contrôle judiciaire (ch. 8.8).

8.2

Validité

La Suisse est d'obédience moniste25. Cela découlait déjà implicitement de la constitution fédérale de 1874 (aCst.), qui ne prévoyait pas de procédure permettant de transformer le droit international en droit interne comme cela se fait typiquement dans un régime dualiste. En particulier, l'arrêté d'approbation d'un traité international par l'Assemblée fédérale (art. 85, ch. 5, aCst.; art. 166, al. 2, Cst.) ne constitue 25

Voir en dernier lieu ATF 127 II 177, p. 181; pour la doctrine, voir le résumé de Robert Baumann, Der Einfluss des Völkerrechts auf die Gewaltenteilung, Zurich 2002, Nr. 342; message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 136; voir aussi le message du 15 novembre 2006 relatif à la loi fédérale sur les titres intermédiés et à la Convention de La Haye sur les titres intermédiés, FF 2006 8898; publication commune de l'Office fédéral de la justice et de la Direction du droit international public du 26 avril 1989, JAAC 53.54, p. 446; avis de droit de la Direction du droit international public du 18 mars 1999, JAAC 64.21, p 276.

2103

pas un acte de transformation. En effet, l'approbation n'est pas soumise à la procédure législative ni au référendum législatif. Par ailleurs, le Tribunal fédéral connaît des contestations pour violation du droit international (art. 113, al. 1, ch. 3, aCst; art. 189, al. 1, let. b, Cst.). La Constitution permet donc au particulier d'invoquer directement des normes du droit international, ce qui correspond clairement à un système moniste. Selon l'art. 2 des dispositions transitoires de la constitution de 1874, les dispositions du droit interne contraires à la constitution cessaient d'être en vigueur par le fait de l'adoption de celle-ci, mais non les dispositions du droit international; il était évident que ce dernier conservait sa validité, autre trait d'un système moniste. La Constitution fédérale de 1999 prévoit de plus expressément que la Confédération et les cantons respectent le droit international (art. 5, al. 4, Cst.), que toutes les autorités d'application du droit sont tenues de l'appliquer (art. 190 Cst.) et que la Constitution ne peut pas être révisée en violation des règles impératives du droit international (art. 193, al. 4, et 194, al. 2, Cst.). Par conséquent, si la nouvelle Constitution ne déclare pas expressément le caractère moniste du régime juridique suisse, celui-ci ressort plus nettement encore.

La mise en oeuvre des obligations de droit international est donc simple. Aucune procédure particulière n'est nécessaire pour qu'il acquière force de loi sur le plan interne. La Suisse pratique un monisme modéré (voir ch. 5.4).

Le Tribunal fédéral a reconnu le principe de l'application directe du droit international dans ses avis les plus anciens26. Dans deux arrêts seulement, en 1923 et 1933, il a défendu l'opinion que l'approbation d'un traité par l'Assemblée fédérale avait pour effet de donner force de loi au contenu du traité et de le déclarer obligatoire pour les autorités et les citoyens27. Le Tribunal fédéral y examinait uniquement la validité des traités internationaux. Il n'a jamais remis en question l'application directe du droit coutumier international ou des principes généraux de droit. Ces deux arrêts sont restés isolés. Le Tribunal fédéral a depuis lors confirmé à maintes reprises le principe de la validité immédiate du droit international28.

La doctrine approuve dans
sa majorité le monisme. Seuls quelques auteurs ont envisagé un passage au dualisme, encore moins l'ont préconisé29. Ce système ne correspond pas à la tradition juridique de la Suisse, pragmatique et antidogmatique30.

26 27 28 29

30

ATF 3 270, p. 285 à 286; ATF 7 774, p. 781 et 782; ATF 27 I 192, p. 194; ATF 35 I 411, p. 415 consid. 3; ATF 44 I 49, p. 53 et 54.

ATF 49 I 188, p. 195 et 196; ATF 59 II 331, p. 337 et 338; voir à ce sujet Robert Baumann, Der Einfluss des Völkerrechts auf die Gewaltenteilung, Zurich 2002, no 386.

Voir en dernier lieu ATF 127 II 177, p. 181.

Ainsi, Thomas Fleiner-Gerster (Völkerrecht ­ Landesrecht. Rechtsvergleichende Überlegungen zum Verhältnis des Landesrechts zum internationalen Recht, in: Walter Haller et al. (éd.), Festschrift für Dietrich Schindler, Bâle/Francfort 1989, p. 697 à 699) conclut que le dualisme du droit international et du droit interne, s'il est en contradiction avec certains idéaux, est peut-être plus réaliste et permettrait donc, précisément, une meilleure intégration internationale.

Comme l'écrit Yvo Hangartner (Das Verhältnis von Völkerrecht und Landesrecht.

Auslegeordnung eines Kernproblems von Verfassungspraxis und Verfassungsreform, RSJ 1998, p. 206), nos ancêtres auraient été incrédules si on leur avait dit qu'une convention entre, par exemple, Schwyz et Uri devait, pour être valable dans ce dernier canton, être «transformée» en droit d'Uri.

2104

8.3

Application

Selon l'art. 5, al. 4, Cst., la Confédération et les cantons ­ en d'autres termes, tous les organes de l'Etat ­ doivent respecter le droit international. «Respecter» signifie non seulement ne pas violer, mais aussi appliquer sur le plan interne, objectif qu'une pratique favorable à l'application directe ne peut que servir. Une telle pratique contribue à renforcer l'importance concrète du droit international dans la conscience des citoyens et à promouvoir ainsi sa réalisation. Le fait que des individus veillent à ce que leurs droits soient sauvegardés est un excellent moyen d'assurer que le droit international déploie pleinement ses effets31. C'est pourquoi les règles internationales sont en principe directement applicables en Suisse. Ce principe découle notamment de l'art. 189, al. 1, let. b, Cst., selon lequel le Tribunal fédéral connaît des contestations pour violation du droit international, et de l'art. 190 Cst., selon lequel le Tribunal fédéral et les autres autorités d'application du droit sont tenus d'appliquer le droit international.

Le Tribunal fédéral (et avec lui le Conseil fédéral) estime que l'invocabilité en justice d'une disposition du droit international implique que celle-ci soit, considérée dans son contexte et à la lumière tant de l'objet que du but du traité, inconditionnelle et suffisamment précise pour produire un effet direct et s'appliquer comme telle à un cas d'espèce ou constituer le fondement d'une décision concrète32. La réponse à apporter à cette question dans le cas d'espèce est en fin de compte affaire d'interprétation. L'existence, pour le justiciable, d'une obligation directe découlant d'un traité ou d'une décision internationale requiert en outre sa publication au Recueil officiel des lois fédérales (art. 8, al. 1, en relation avec l'art. 3, al. 1, LPubl). Les autres normes du droit international ne sont pas soumises à cette exigence; elles fondent des obligations même sans être publiées. Si une règle internationale n'est pas directement applicable, faute de précision ou bien parce que le traité auquel elle appartient l'exclut, il est nécessaire que les autorités compétentes la concrétisent33. Il faut d'ailleurs noter que les dispositions directement applicables peuvent aussi être concrétisées.

Aux termes de l'art. 141a Cst., l'Assemblée fédérale peut intégrer
à l'arrêté portant approbation d'un traité international les dispositions constitutionnelles ou légales nécessaires à la mise en oeuvre de ce traité. Cette méthode permet d'éviter des décisions populaires contradictoires qui nuiraient à la crédibilité de la Suisse face aux autres nations. En outre, elle met mieux en évidence la portée du traité, dans le sens d'une plus grande transparence vis-à-vis du Parlement et du peuple. Enfin, elle allège la procédure législative.

Il n'est pas toujours simple, en pratique, de distinguer entre les règles internationales d'application directe ou indirecte. Longtemps, le Tribunal fédéral a appliqué tout simplement les dispositions du droit international sans examiner plus avant leur justiciabilité, qu'il présumait pour ainsi dire. Ce n'est qu'en 1962 qu'il s'est saisi de 31 32

33

Voir le rapport du Conseil fédéral du 24 août 1988 sur la position de la Suisse dans le processus d'intégration européenne, FF 1988 III 233, p. 332.

ATF 129 II 249, p. 257, consid. 3.3; ATF 124 III 90, p. 91, consid. 3a; publication commune de l'Office fédéral de la justice et de la Direction du droit international public du 26 avril 1989, JAAC 53.54, p. 446; avis de droit de la Direction du droit international public du 4 mars 1999, JAAC 64.20, p. 273 s.

Publication commune de l'Office fédéral de la justice et de la Direction du droit international public du 26 avril 1989, JAAC 53.54, p. 446.

2105

cette question34. Il a par la suite produit une abondante jurisprudence sur la façon de déterminer l'application directe. Il emploie pour ce faire des critères très proches de ceux qu'il utilise dans le cadre du principe de légalité. Un fort besoin de protection de l'individu justifie plutôt l'application directe de la norme. Il en va inversement lorsque les répercussions sur l'Etat dans son ensemble sont importantes, que les circonstances sont complexes et difficiles à apprécier dans l'examen judiciaire du cas d'espèce ou que les conséquences financières sont lourdes. Le Tribunal fédéral est également réservé lorsque l'application directe requiert une appréciation politique ou l'examen de questions de principe35.

En d'autres termes, il évite de concrétiser des dispositions du droit international lorsque cette tâche relève manifestement de l'Assemblée fédérale, en vertu du principe de légalité. Le Parlement (ou, pour les traités de son ressort, le Conseil fédéral) a en outre toute latitude pour déposer une réserve s'il veut qu'une norme d'un traité, formulée de manière suffisamment précise, ne soit néanmoins pas directement applicable.

8.4

Rang

Cette section traite de la question du rang du droit international considérée abstraitement. Il s'agit en d'autres termes de déterminer quelle est la place du droit international dans la hiérarchie des normes du droit interne.

L'ordre juridique interne est libre de déterminer quel sera le rang occupé en son sein par le droit international. Cette question n'est pas réglée par le droit international, celui-ci se contentant d'exiger que les traités et autres règles internationales soient respectés par les Etats (pacta sunt servanda). Il ne se prononce pas sur la manière dont les Etats doivent assurer ce résultat.

Il existe au sein de la législation suisse une hiérarchie des normes avec, au sommet, la Constitution fédérale, à l'étage inférieur les lois fédérales, puis enfin les ordonnances. Le droit cantonal est subordonné à l'ensemble du droit fédéral. Les règles de rang inférieur doivent se conformer aux règles de rang supérieur et ne peuvent en principe pas y déroger ou les modifier36.

Où se place le droit international dans cette hiérarchie? Alors qu'elle définit clairement la relation entre le droit fédéral et le droit cantonal en statuant la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal contraire (art. 49 Cst.), la Constitution ne règle pas explicitement cette question. L'art. 5, al. 4, Cst. retient simplement que la Confédération et les cantons doivent respecter le droit international. La formulation de cette disposition n'a pas été choisie au hasard, mais est le fruit d'une réflexion approfon-

34 35 36

ATF 88 I 86; voir Olivier Jacot-Guillarmod, L'application directe des traités internationaux en Suisse: histoire d'un détour inutile, ASDI 1989, p. 135 ss.

Daniel Wüger, Anwendbarkeit und Justiziabilität völkerrechtlicher Normen im schweizerischen Recht: Grundlagen, Methoden und Kriterien, Berne 2005, p. 14.

Voir notamment Pierre Moor, Droit administratif, vol. 1: les fondements généraux, 2e éd., Berne 1994, p. 80 ss.

2106

die menée lors de la mise à jour de la Constitution37. Elle représente une solution de compromis entre une consécration explicite de la primauté du droit international, qui avait été proposée dans un premier temps par le Conseil fédéral dans l'avant-projet de constitution du 26 juin 1995, et des formulations moins contraignantes telles que «tient compte de ...» ou «prend en considération ...» que l'on trouve ailleurs dans la Constitution (cf. par exemple les art. 46, al. 3, et 88, al. 3, Cst.). L'art. 5, al. 4, «impose à la Confédération et aux cantons l'obligation de respecter le droit international. Ce devoir s'adresse à tous les organes de l'Etat et découle du principe qui veut que les normes de droit international l'emportent par principe sur celles de droit interne.»38 On ne peut cependant pas en déduire sans réserves une reconnaissance de la suprématie du droit international à l'instar de la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal (art. 49 Cst.). On ne peut pas davantage en tirer une règle générale destinée à résoudre les conflits entre droit international et droit interne.

Quant à l'art. 190 Cst., il ne concerne pas la question du rang du droit international et ne constitue pas une règle de conflit. Sa portée est toute autre, puisqu'il concerne uniquement l'application du droit par les tribunaux et les autres autorités et vise à empêcher que ceux-ci n'exercent un contrôle de constitutionnalité sur les lois fédérales ou le droit international (nous y reviendrons plus bas, ch. 8.6). Les art. 193, al. 4, et 194, al. 2, se réfèrent quant à eux uniquement aux révisions constitutionnelles et statuent l'obligation, pour le constituant, de respecter les règles impératives du droit international. En corollaire, l'art. 139, al. 2, Cst. enjoint à l'Assemblée fédérale à déclarer nulle toute initiative populaire qui ne respecte pas les règles impératives du droit international. On peut en déduire, à la rigueur, que ces règles impératives du droit international se situent au sommet de la hiérarchie des normes. On ne peut cependant en tirer aucune conclusion en ce qui concerne le droit international non impératif, qui représente la vaste majorité des règles internationales.

La jurisprudence du Tribunal fédéral postule en principe la primauté du droit international mais reconnaît des exceptions. Quant
à la doctrine, la majeure partie des auteurs accorde une place prépondérante au droit international mais accepte, comme le Tribunal fédéral, des exceptions en faveur du droit national. Ils ne donnent souvent pas de réponse conclusive.

Il n'existe donc pas à l'heure actuelle de réponse globale et en tout point claire à la question de la place du droit international en général au sein de la hiérarchie des normes du droit interne. Des éléments de réponse peuvent néanmoins être mis en évidence. Ainsi, la primauté du droit international est généralement admise. Le fait que ses règles impératives prévalent sur l'ensemble du droit interne n'est pas contesté, non plus que le fait que le droit international est de rang supérieur au droit cantonal et aux ordonnances fédérales.

Le fait que ni la jurisprudence ni la doctrine ne permettent d'appréhender avec netteté l'ensemble du problème s'explique par le fait que la réponse à cette question n'a de portée pratique que dans la mesure où elle permet de résoudre les conflits de normes. En cas de conflit entre deux normes de rang différent, l'existence d'une 37

38

Voir le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 136 s.; voir aussi, entre autres, Commission de la révision constitutionnelle du Conseil national, séance du 26.05.1997 (point 2 de l'ordre du jour) et Commission de la révision constitutionnelle du Conseil des Etats, sous-commission 3, séance du 17.02.1997 (point 3 de l'ordre du jour).

Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 136.

2107

hiérarchie permet en effet de faire primer la règle de rang supérieur. Les conflits entre deux normes de rang égal se résolvent en principe à l'aide des règles de conflit traditionnelles que sont les maximes lex specialis derogat generali et lex posterior derogat priori. Par ailleurs, déjà en droit interne, tous les conflits entre des normes de rang différent ne se résolvent pas à l'aide de la hiérarchie. Des règles spéciales existent parfois. Ainsi, les lois fédérales doivent être conformes à la Constitution, qui est de rang supérieur. Cependant, si le législateur adopte une loi fédérale contraire à la Constitution, le Tribunal fédéral n'a pas la compétence de refuser d'appliquer cette loi fédérale (art. 190 Cst.).

Nous allons donc nous pencher, dans les sections qui suivent, sur les conflits de normes. Avant cela, il convient cependant de dire quelques mots de l'interprétation conforme en tant que moyen de concilier le droit international et le droit interne.

8.5

Interprétation conforme au droit international

L'interprétation conforme au droit international constitue une obligation visant à concilier entre le droit international et le droit interne. A l'instar de l'interprétation conforme à la Constitution en ce qui concerne le droit interne, elle a pour fonction d'harmoniser les normes juridiques internes et internationales39. Il ne s'agit donc pas d'une règle destinée à résoudre les conflits entre de telles normes, mais au contraire d'une règle destinée à prévenir ceux-ci. En effet, tant qu'une norme de droit interne peut être interprétée de manière conforme au droit international, aucun conflit ne prend naissance. L'obligation d'interpréter le droit interne de manière conforme au droit international peut être déduite de l'art. 5, al. 3 et 4, de la Constitution40. Il s'agit du pendant, en droit interne, des obligations internationales consacrées aux art. 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités selon lesquelles tout traité doit être exécuté de bonne foi nonobstant le droit interne41. Concrètement, cela veut dire que les autorités compétentes doivent, dès le processus législatif, veiller à dépister les incompatibilités potentielles du droit national avec le droit international et formuler les dispositions internes de mise en oeuvre de manière à éviter, dans toute la mesure du possible, des complications supplémentaires au niveau international.

S'agissant du champ d'application matériel de cette obligation, il s'étend non seulement au droit fédéral, mais également au droit cantonal et communal. Par droit fédéral, il faut entendre non seulement les dispositions figurant dans des lois ou des ordonnances, mais aussi les normes constitutionnelles42. Quant au champ d'application personnel de l'obligation de faire une interprétation conforme au droit international, il s'étend non seulement au législateur fédéral, cantonal et communal, mais à toutes les autorités étatiques43 qui doivent, dans les limites de leurs compétences respectives, veiller à éviter que la Confédération ne doive engager sa responsabilité internationale en raison de la violation de ses engagements internationaux. Sous 39

40 41 42 43

Ulrich Häfelin/Walter Haller/Helen Keller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 7e éd., Zurich/Bâle/Genève 2008, no 163, p. 48; Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2e éd. , Berne, 2007, no 36, p. 174; ATF 117 Ib 367, p. 373.

Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2e éd., Berne 2007, no 38, p. 175.

Pour un commentaire de ces dispositions, voir ci-dessus, ch. 4.2.

Cf. JAAC 59.25, 1995, p. 226 s.

Cf. ATF 125 II 417, p. 425.

2108

l'angle des conséquences pratiques, le respect de nos obligations internationales implique «la mise en oeuvre, sur le plan interne, des moyens propres à donner à ces engagements un effet optimal, tous les organes de l'Etat pouvant et devant concourir utilement à la réalisation des objectifs fixés dans ces traités»44.

Même si elle permet souvent d'éviter des conflits entre le droit international et le droit interne, l'interprétation conforme au droit international ne constitue pas la panacée et a ses limites lorsque la contradiction ne peut être levée par voie d'interprétation45.

8.6

Conflits de normes

La problématique des conflits entre le droit international et le droit interne, en particulier la Constitution et les lois fédérales, soulève quelques questions délicates.

Celles-ci sont principalement de deux ordres. Premièrement, à quel point le législateur ou le constituant d'aujourd'hui sont-ils liés par des accords internationaux approuvés par le législateur ou le constituant d'hier? Deuxièmement, qui doit être l'interprète final de la portée des obligations internationales liant la Suisse: les tribunaux, internes ou internationaux, ou le législateur? Cette question se pose en particulier pour les traités dotés d'organes propres de contrôle, compétents pour prendre des décisions liant les Etats parties, puisqu'alors la jurisprudence de ces organes de contrôle est susceptible de préciser et dans une certaine mesure de faire évoluer le sens d'une obligation internationale en l'interprétant différemment au fil du temps, d'une manière qui n'était pas toujours prévisible au moment de l'approbation du traité. Tel est par exemple le cas de certaines décisions de la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans la suite de ce chapitre, nous allons étudier tour à tour les deux constellations sur lesquelles se cristallisent les questions évoquées ci-dessus, à savoir les conflits entre le droit international et la Constitution fédérale, d'une part, et les conflits entre le droit international et les lois fédérales, d'autre part.

8.6.1

Conflit entre droit international et Constitution fédérale

La Constitution fédérale ne contient pas de normes explicites prescrivant quelle solution adopter lorsque l'une de ses dispositions entre en conflit avec une règle internationale. En particulier, elle ne contient pas de règle absolue prescrivant que, dans l'hypothèse d'un tel conflit, le droit international prime dans tous les cas ou que, au contraire, la norme constitutionnelle prime dans tous les cas. Elle n'est toutefois pas entièrement muette sur la question. En vertu des art. 193, al. 4, et 194, al. 2, Cst., les révisions constitutionnelles doivent en effet respecter les «règles impératives du droit international», et ce qu'il s'agisse d'une révision partielle ou

44

45

Cf. publication commune de l'Office fédéral de la justice et de la Direction du droit international public du DFAE du 26 avril 1989, in JAAC 53.54, 1989, p. 463; FF 1984 I 798-799.

Pour un tel cas jugé par le Tribunal fédéral, cf. ATF 125 II 417, p. 424 s.

2109

totale, et que le projet émane des autorités ou des citoyens par le biais d'une initiative populaire.

La Constitution frappe de nullité totale ou partielle toute initiative populaire qui ne respecterait pas les règles impératives du droit international, et qui ne sera pas alors soumise au vote du peuple et des cantons (art. 139, al. 2, Cst.), mais elle ne sanctionne pas les actes émanant de l'Assemblée fédérale dont ce serait le cas. Le Parlement est cependant d'emblée dans l'impossibilité de proposer un tel acte car il est tenu par la Constitution (art. 5, al. 1, Cst.).

Celle-ci ne donne pas de solution globale claire pour résoudre un conflit entre une disposition interne et une règle non impérative du droit international. Comme nous l'avons déjà souligné à propos du rang du droit international (voir ch. 8.4), l'art. 5, al. 4, Cst. n'a pas la portée d'une telle règle de conflit. Il contient un mandat à l'adresse des autorités de respecter le droit international. On ne peut pas en déduire que le droit international doit primer dans tous les cas46.

L'art. 190 Cst. n'apporte pas non plus beaucoup d'éclaircissements à ce propos.

Cette disposition oblige les autorités d'application du droit, notamment le Tribunal fédéral, à appliquer les lois et le droit international, quand bien même ceux-ci seraient contraires à la Constitution. Le but principal de cette disposition est, depuis son origine, d'empêcher les tribunaux d'exercer la juridiction constitutionnelle sur des actes adoptés ou approuvés (au moins indirectement) par le législateur. En ce qui concerne les lois fédérales, l'immunité prévue par l'art. 190 n'est pas complète; la doctrine et la jurisprudence admettent des exceptions. En particulier, lorsqu'une loi fédérale entre en conflit avec une disposition constitutionnelle adoptée postérieurement, on admet que les tribunaux doivent appliquer la disposition constitutionnelle47. Le but de l'art. 190 Cst. est en effet d'empêcher les tribunaux de substituer leur pesée des intérêts à celle opérée par le législateur, et non de protéger la décision du législateur contre le constituant lui-même.

La portée de l'art. 190 Cst. en ce qui concerne la résolution des conflits entre le droit international et les nouvelles dispositions constitutionnelles a été peu débattue dans la doctrine48. Il faut dire
aussi que la jurisprudence n'a jamais eu à traiter un tel conflit puisque les dispositions constitutionnelles sont en général concrétisées par une loi d'exécution. Certains auteurs voient dans cette disposition ­ en conjonction 46 47 48

Voir le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 136.

Voir le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 437.

Pour une prééminence du droit constitutionnel postérieur directement applicable: Yvo Hangartner, Commentaire st-gallois, Zurich [etc.], 2e éd. (2008) ad art. 190, no 33; Robert Baumann, Der Einfluss des Völkerrechts auf die Gewaltenteilung, Zurich 2002, no 362 et 403 ss et les références citées; plus nuancés, Häfelin/Haller/Keller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 7e éd., Zurich/Bâle/Genève 2008, no 1921 ss, qui se prononcent en faveur d'une solution au cas par cas; selon Giovanni Biaggini, Bundesverfassung der Schweizerischen Eidgenossenschaft, Zurich 2007, ad art. 190 no 4, la règle de l'art. 190 Cst. traite de l'application de la hiérarchie des normes mais non de cette hiérarchie elle-même.

L'interprétation selon laquelle l'art. 190 Cst. oblige en principe les autorités d'application à faire primer le droit international sur le droit constitutionnel contraire a toutefois été confirmée par le Tribunal fédéral dans un arrêt récent (ATF 133 II 450, p. 460, Nada): «Innerstaatlich ist der Konflikt zwischen Völkerrecht und Verfassungsrecht, einschliesslich den Grundrechten, in Art. 190 BV ausdrücklich geregelt: Danach sind Bundesgesetze und Völkerrecht für das Bundesgericht und die anderen rechtsanwendenden Behörden massgebend.»

2110

avec l'art. 5, al. 4, Cst. ­ la marque d'une primauté du droit international sur la Constitution, et en déduisent que les tribunaux doivent dans tous les cas appliquer le droit international. D'autres considèrent que la portée de l'art. 190 Cst. est limitée à l'application. Ils sont d'avis qu'on ne peut en déduire que le droit international doit primer dans tous les cas et admettent que, dans certaines circonstances, la disposition constitutionnelle doit prévaloir sur le droit international.

Dans la doctrine, les exceptions le plus souvent évoquées à l'obligation imposée par l'art. 190 Cst. d'appliquer le droit international, énumérées ci-après, se recoupent en partie: ­

application de la nouvelle disposition constitutionnelle lorsque celle-ci est postérieure à la règle internationale concernée et à l'art. 190 Cst. (application des principes lex posterior et lex specialis; analogie avec l'exception admise en cas de conflit entre une loi fédérale et une disposition constitutionnelle postérieure)49;

­

application de la disposition constitutionnelle lorsque la règle internationale concernée porte atteinte à des principes fondamentaux de l'ordre juridique suisse ou à l'essence des droits fondamentaux50;

­

application de la disposition constitutionnelle lorsque celle-ci est postérieure à la règle internationale concernée et que le constituant a sciemment dérogé au droit international (par analogie avec la «jurisprudence Schubert; voir ch. 8.6.2»)51.

Les autorités n'ont guère eu l'occasion de consolider leur pratique au sujet de ces exceptions. Il faut toutefois mentionner que le Conseil fédéral a défendu la possibilité d'une dérogation à la primauté du droit international «lorsque des principes fondamentaux ou l'essence même des droits fondamentaux sont affectés» dans son message relatif à l'EEE52. Il soutient en outre l'opinion que les dispositions constitutionnelles doivent être mises en oeuvre même si elles dérogent au droit international53.

49

50

51

52 53

Voir les références citées par Jörg Künzli, Demokratische Partizipationsrechte bei neuen Formen der Begründung und bei der Auflösung völkerrechtlicher Verpflichtungen, RDS 2009 I, p. 47 ss, p. 70, note 109.

Daniel Thürer, Verfassungsrecht und Völkerrecht, in: Daniel Thürer/Jean-François Aubert/Jörg Paul Müller (éd.), Verfassungsrecht der Schweiz, Zurich 2001, p. 190 s. et Thomas Cottier/Maya Hertig, Das Völkerrecht in der neuen Bundesverfassung, in: BTJP 1999, Berne 2000, p. 23.

Voir les références citées par Jörg Künzli, Demokratische Partizipationsrechte bei neuen Formen der Begründung und bei der Auflösung völkerrechtlicher Verpflichtungen, RDS 2009 I, p. 47 ss, p. 70, note 108.

Message du 18 mai 1992 relatif à l'EEE, FF 1992 IV 87.

Voir le message du 6 juillet 2004 concernant l'initiative populaire «Pour une conception moderne de la protection des animaux», FF 2004 3103: «Le législateur est tenu de mettre en oeuvre les dispositions constitutionnelles entièrement et fidèlement». Voir aussi le message du 22 juin 1994 concernant les initiatives populaires «pour une politique d'asile raisonnable» et «contre l'immigration clandestine», FF 1994 III 1481, le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 453 et le message relatif à l'initiative populaire «contre la construction des minarets», FF 2008 6968 s., où le Conseil fédéral relève qu'une acceptation de l'initiative contraindrait la Suisse à violer des instruments de droit international public d'une portée fondamentale.

2111

Cet avis des autorités fédérales est corroboré par les enseignements de l'étude de droit comparé (voir ch. 7). En effet, les Etats étudiés hésitent en général à donner au droit international la primauté sur leur constitution, du moins de manière absolue.

8.6.2

Relation entre droit international et lois fédérales

L'art. 190 Cst. ne donne pas non plus de solution au conflit entre une loi fédérale et une norme de droit international puisqu'il ne prescrit pas qui, de la loi ou de la disposition internationale, doit être appliquée lorsqu'il y a contradiction entre les deux. Cette disposition a en effet été adoptée dans le but de protéger les actes adoptés par le législateur contre l'exercice de la juridiction constitutionnelle par les tribunaux, et non dans le but de résoudre le conflit entre lois fédérales et droit international. Il appartient en fin de compte aux autorités d'application de décider si elles entendent accorder la primauté au droit international ou si elles entendent faire prévaloir la loi dans certaines circonstances.

La jurisprudence du Tribunal fédéral dans ce domaine ne paraît pas encore bien fixée à l'heure actuelle, si bien qu'il est difficile d'en tirer des enseignements définitifs. On peut néanmoins résumer comme suit la ligne jurisprudentielle principale du Tribunal fédéral. Celui-ci admet que le droit international prévaut en principe, mais qu'il doit s'effacer lorsque le législateur a sciemment pris le risque de s'en écarter (jurisprudence Schubert)54. Cette jurisprudence, inaugurée en 1973, a par la suite été rappelée et confirmée à plusieurs reprises, sans toutefois être décisive pour l'issue des affaires concernées; le Tribunal fédéral a aussi parfois fait fi de cette jurisprudence ou de l'argument tiré de la lex posterior, et fait prévaloir le droit international même sur des lois fédérales postérieures (sans examiner, toutefois, si le législateur avait sciemment dérogé au traité)55.

Du point de vue du droit international, l'application de la jurisprudence Schubert, sans mesure d'accompagnement destinée à renégocier ou dénoncer le traité concerné, aboutit à la violation de l'obligation incombant aux Etats d'exécuter de bonne foi les traités qui les lient (pacta sunt servanda) et de l'interdiction de se prévaloir de leurs dispositions de droit interne pour justifier le non-respect de leurs obligations internationales56. En cas d'application de la jurisprudence Schubert dans un cas particulier, la responsabilité internationale de la Suisse sera donc engagée, à moins que l'adoption par le législateur d'une loi dérogeant sciemment à un traité international ne soit interprétée comme un mandat de renégocier ou dénoncer le traité concerné, ou que l'Assemblée fédérale n'en charge en même temps le Conseil fédéral.

54

55

56

ATF 99 Ib 39, cons. 3. «Esso riconosce, in linea di massima ed ove sussista un autentico conflitto, la prevalenza del diritto internazionale, sia esso anteriore o posteriore alla norma del diritto interno. La possibilità d'una eventuale e consapevole deroga da parte del legislatore, fonte suprema del diritto interno, consente di mitigare certi rigori e di salvaguardare in pratica determinati imperiosi interessi».

Voir par exemple ATF 122 II 485, p. 487. L'affirmation contenue dans cet arrêt selon laquelle le droit international serait hiérarchiquement supérieur à toute règle interne et donc primerait en toutes circonstances doit cependant être considérée comme un obiter dictum.

Voir art. 26 et 27 de la Convention de Vienne.

2112

La jurisprudence Schubert correspond plus ou moins, dans les faits, à la solution prévalant aux Etats-Unis, autre pays de tradition moniste. Elle se rapproche également, dans son résultat, de la situation prévalant dans les pays de tradition dualiste en matière de traités internationaux, puisque l'acte de transformation aura généralement le rang d'une loi, à laquelle une loi postérieure pourra déroger (voir ch. 7).

Depuis quelques années, le Tribunal fédéral, dans une autre série d'arrêts, a par ailleurs apporté une exception à la jurisprudence Schubert, en affirmant qu'en cas de conflit entre une norme de droit interne et une norme internationale ayant pour objet la protection des droits de l'homme, celle-ci prévaut en principe que la disposition de droit interne soit antérieure ou postérieure au traité (jurisprudence «PKK»)57.

Cette jurisprudence n'a cependant que rarement abouti à une application du traité au détriment de la loi fédérale contraire58. Le Tribunal fédéral n'a pas exclu que la jurisprudence Schubert continue à s'appliquer en cas de conflit avec des normes internationales n'ayant pas pour objet la protection des droits de l'homme.

Ainsi, lorsqu'une loi fédérale entre en conflit avec la CEDH, par exemple, le Tribunal fédéral appliquera la CEDH dans tous les cas, même si, par hypothèse, le législateur a pris le risque d'y déroger au moment de l'adoption de la loi. L'idée derrière cette exception en faveur des droits de l'homme est notamment la suivante. La Cour européenne des droits de l'homme a la compétence d'examiner si une loi fédérale est conforme ou non à la CEDH et de constater, le cas échéant, sa non-conformité. La Suisse est ensuite tenue de mettre en oeuvre cet arrêt. La loi fédérale jugée contraire ne sera donc en principe pas appliquée au recourant et ne sera pas appliquée non plus aux personnes se trouvant dans des situations semblables. Dans cette mesure, la Cour européenne des droits de l'homme joue donc le rôle de cour constitutionnelle pour la Suisse et peut exercer la juridiction constitutionnelle sur les lois fédérales, rôle que la Constitution refuse au Tribunal fédéral par le biais de l'art. 190 Cst. Il ne s'agit évidemment pas d'un contrôle abstrait des lois fédérales, mais d'un contrôle concret, dont le résultat peut être la non-application de la loi en
question dans des cas particuliers.

Le système de contrôle instauré par la CEDH est sous-tendu par le principe de subsidiarité, en vertu duquel la Cour européenne des droits de l'homme ne doit juger qu'en dernier recours, lorsque toutes les voies de droit existant au niveau national ont été utilisées en vain. Afin de mettre en oeuvre de façon effective ce principe de subsidiarité, le Tribunal fédéral effectue lui-même un contrôle de «conventionnalité» des lois fédérales. Ce contrôle répond également à un souci d'économie de procédure et contribue à éviter, dans la mesure du possible, l'intervention des juges internationaux. Le Tribunal fédéral peut ainsi décider, le cas échéant, de ne pas appliquer 57

58

ATF 125 II 417, PKK, p. 424, cons. 4d: «Daraus ergibt sich, dass im Konfliktfall das Völkerrecht dem Landesrecht prinzipiell vorgeht. Dies hat zur Folge, dass eine völkerrechtswidrige Norm des Landesrechts im Einzelfall nicht angewendet werden kann. Diese Konfliktregelung drängt sich umso mehr auf, wenn sich der Vorrang aus einer völkerrechtlichen Norm ableitet, die dem Schutz des Menschenrechts dient. Ob in anderen Fällen davon abweichende Konfliktlösungen in Betracht zu ziehen sind, ist vorliegend nicht zu prüfen». Ce raisonnement a été confirmé notamment dans ATF 131 II 352, p. 355, cons. 1.3.1, et dans ATF 133 V 367, p. 388, cons. 11.2: «Ciò porta ad assimilare l'art. 9 cpv. 2 allegato I ALC alle norme di diritto internazionale che hanno per scopo la tutela dei diritti dell'uomo, e induce di conseguenza ad esprimersi in favore di una sua prevalenza sulle disposizioni di legge federali».

Voir par ex. ATF 133 II 450 Nada, p. 455, cons. 2.2, 133 V 367, p. 389 ou 2A.784/2006, cons. 1.1.

2113

la loi fédérale contraire à la Convention, sans nécessairement attendre pour cela un arrêt de Strasbourg. On observe cependant que le Tribunal fédéral fait généralement preuve d'une grande retenue dans ce genre de cas.

La CEDH, de même que les autres traités dotés d'un organe de contrôle administratif ou judiciaire, soulève le problème de la prise en compte des décisions de ces organes. Ces décisions ont parfois pour effet de modifier la portée initiale du traité d'une manière qui n'était pas prévisible en précisant ou en faisant évoluer dans une certaine mesure les obligations des Etats parties. Ainsi, par son interprétation dynamique, qui se fonde sur la portée actuelle du texte et non sur son interprétation historique, la Cour européenne des droits de l'homme a parfois interprété de manière extensive le champ d'application de certaines garanties de la CEDH59. Il se peut donc que le législateur suisse adopte une loi fédérale en pensant respecter la CEDH ­ ou, en tout cas, en ne pensant pas la violer ­ et que, quelques années plus tard, suite à une évolution de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, l'application de cette loi devienne contraire à la Convention dans un cas concret. Selon la pratique actuelle du Tribunal fédéral, une telle loi fédérale ne doit plus être appliquée dans des cas de figure analogues. Cette situation est parfois considérée comme peu satisfaisante du fait que ces décisions jurisprudentielles sont l'oeuvre de juges qui ne sont pas élus par l'Assemblée fédérale. On rencontre des problèmes similaires dans le cadre de la mise en oeuvre de résolutions du Conseil de sécurité fondées sur le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la Suisse est en effet tenue de mettre en oeuvre ces résolutions, quand bien même celles-ci violeraient certains droits fondamentaux garantis par la Constitution60.

En matière de conflits entre droit international et lois fédérales, la situation peut donc se résumer comme suit.

59 60

­

L'art. 5, al. 4, Cst. enjoint aux autorités de respecter le droit international, mais on peut déduire de l'art. 5, al. 3 et 4, Cst. une obligation de pratiquer l'interprétation conforme au droit international (voir ch. 8.4). Il n'y a conflit que dans les cas où une telle interprétation est impossible, mais la Constitution ne détermine pas clairement dans tous les cas s'il faut alors appliquer le droit international ou les lois fédérales.

­

Selon la pratique actuelle du Tribunal fédéral, le droit international prime, à moins que le législateur n'ait sciemment pris le risque d'y déroger.

­

Une disposition internationale de protection des droits de l'homme, notamment de la CEDH, est appliquée dans tous les cas, même lorsque le législateur a souhaité y déroger.

Voir, pour une illustration, les arrêts de la CEDH du 30 avril 2009, Glor c. Suisse, §§ 52 ss, et du 13 décembre 2007, Emonet c. Suisse, § 83.

Voir ATF 133 II 450, Nada, à propos de sanctions internationales portant atteinte à la garantie du droit au juge ou à la garantie de la propriété.

2114

8.7

Relation entre droit international et initiatives populaires

Pendant longtemps, la Constitution fédérale n'a pas apporté de réponse explicite à la question du sort à réserver aux initiatives populaires contraires au droit international.

Le 14 mars 1996, l'Assemblée fédérale a invalidé l'initiative populaire «pour une politique d'asile raisonnable» notamment en raison de la violation du principe du non-refoulement, considéré comme faisant partie du droit international impératif61.

Cette pratique a été codifiée lors de la mise à jour de la Constitution. Depuis lors, l'art. 139, al. 2, Cst. prévoit explicitement qu'une initiative populaire contraire aux règles impératives du droit international doit être invalidée, totalement ou partiellement. A contrario, les initiatives populaires contraires au droit international non impératif sont valables. Cette solution ne va pas sans susciter un certain nombre de questions, notamment quant à la définition du droit international impératif et aux conséquences de l'adoption d'une initiative populaire contraire aux règles internationales non impératives.

La problématique des initiatives populaires contraires au droit international a été examinée à plusieurs reprises par le Conseil fédéral et l'administration fédérale, notamment dans le cadre de la mise à jour de la Constitution, puis dans celui de la réforme des droits populaires62. Cette question a enfin été reprise en détail dans le rapport de l'Office fédéral de la justice du 20 décembre 2006 rédigé à la demande de la Commission des affaires juridiques du Conseil national63. Elle a gagné en importance et en actualité après l'acception de l'initiative «contre la construction de minarets».

8.7.1

Initiatives populaires contraires aux règles impératives du droit international

8.7.1.1

Règles impératives du droit international

En droit constitutionnel actuel, seules les initiatives populaires contraires aux règles impératives du droit international peuvent être invalidées (art. 139, al. 2, Cst.).

L'interprétation à donner à la notion de «règles impératives du droit international» revêt donc une importance cruciale.

Selon la pratique des autorités fédérales, cette notion se réfère notamment à la notion internationale de jus cogens, telle que définie à l'art. 53 de la Convention de Vienne (voir ci-dessus, ch. 4.7).

Dans son message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, le Conseil fédéral s'est exprimé sur les normes qu'il considérait comme des règles impératives du droit international. Selon lui, y appartiennent sans conteste notamment la prohibition du recours à la force entre Etats, les interdictions en matière de torture, de génocide et d'esclavage, ainsi que le noyau du droit international humani61 62 63

FF 1996 I 1305. Il s'agit du seul cas où une initiative populaire a été déclarée nulle pour ce motif.

Voir également la publication commune de l' l'Office fédéral de la justice et de la Direction du droit international public du 26 avril 1989 (JAAC 53.54).

Rapport du 20 décembre 2006 sur les conditions de validité des initiatives populaires et les limites matérielles à la révision de la Constitution fédérale, non publié.

2115

taire (il s'agit notamment des interdictions des atteintes à la vie et à l'intégrité corporelle, des prises d'otages, des atteintes à la dignité des personnes et des condamnations prononcées et des exécutions effectuées sans un jugement préalable rendu par un tribunal régulièrement constitué. Voir art. 3 des Conventions de Genève de 1949 sur la protection des victimes de guerre; RS 0.518.12, 0.518.23, 0.518.42 et 0.518.51) et les garanties intangibles de la CEDH64. Ces dernières sont des dispositions de la CEDH consacrant des droits qui ne souffrent, selon l'art. 15 de la Convention, aucune dérogation: l'interdiction de l'infliction arbitraire de la mort (art. 2, par. 1), l'interdiction de la torture (art. 3), de l'esclavage, de la servitude et du travail forcé (art. 4, par. 1) et le principe nulla poena sine lege (pas de peine sans loi, art. 7). Le Conseil fédéral a régulièrement confirmé cette conviction par la suite en précisant que les garanties du Pacte II de l'ONU qui ne souffrent aucune dérogation même en état de nécessité font également partie des règles impératives du droit international65.

Comme l'art. 15 CEDH, l'art. 4, par. 2, du Pacte II de l'ONU contient une liste de droits intangibles, qui ne recouvrent cependant pas parfaitement ceux de la CEDH.

Le Conseil fédéral s'est prononcé à plusieurs reprises sur le caractère généralement impératif des droits intangibles de l'art. 4, par. 2, du Pacte II de l'ONU. La réponse n'est pas forcément positive. En d'autres termes, les art. 6, 7, 8, par.1 et 2, 11, 15, 16 et 18 du Pacte II ne font pas tous partie des règles impératives du droit international.

Par exemple, la liberté de religion, mentionnée à l'art. 4, par. 2, du Pacte II de l'ONU, est relativisée par l'art. 18 du Pacte. Le par. 3 de cette disposition précise que la liberté de manifester sa religion peut faire l'objet de restrictions. Tel peut être le cas d'autres garanties fondamentales du Pacte II de l'ONU. L'intangibilité de ces droits fondamentaux doit être chaque fois examinée à la lumière de l'interprétation du Pacte66.

Ainsi, selon la pratique des autorités fédérales, la notion de règles impératives du droit international comprend actuellement notamment la prohibition du recours à la force entre Etats, la prohibition de la torture (art. 3 CEDH et art. 7 du Pacte II), du
génocide, de l'esclavage, de la servitude et du travail forcé (art. 4, par. 1, CEDH et art. 8, par. 1 et 2, du Pacte II), la privation arbitraire de la vie (art. 2, par. 1, CEDH et art. 6, par. 1, du Pacte II), les principes nulla poena sine lege et ne bis in idem (art. 7 CEDH et art. 15 du Pacte II), la dimension intérieure de la liberté religieuse (droit de développer sa propre pensée religieuse et de changer de conviction: «forum internum», art. 18, par. 3, a contrario, du Pacte II) et le noyau du droit international humanitaire (art. 3 des Conventions de Genève de 1949). Force est donc de constater que la notion de règles impératives du droit international est plus large que celle de

64 65

66

Voir le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 369, pp. 441 et 454.

Voir le message concernant l'initiative populaire «Internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» (FF 2001 3270), le message relatif à l'initiative populaire «pour des naturalisations démocratiques» (FF 2006 8489­8490), le message relatif à l'initiative populaire «contre la construction de minarets» (FF 2008 6929 ss) et la réponse au postulat Heim 09.3118.

L'assertion du message sur l'initiative populaire concernant l'internement à vie, selon laquelle il n'est pas possible de déroger, même en cas de nécessité, aux garanties du Pacte II de l'ONU (FF 2001 3270), est donc trop absolue et doit être relativisée comme on vient de l'exposer.

2116

jus cogens consacrée par la Convention de Vienne puisqu'elle couvre aussi en particulier les garanties intangibles de la CEDH67.

Comme les règles impératives du droit international sont une notion de notre droit interne (voir art. 139, al. 2, 193, al. 4, et 194, al. 2, Cst.), une interprétation plus large pourrait toutefois également être envisagée. Dans le message relatif à une nouvelle constitution fédérale, le Conseil fédéral a exposé qu'il incombait à la jurisprudence de clarifier au maximum la portée de cette notion en tenant compte de la doctrine68.

Selon le raisonnement mis en avant par les autorités fédérales, le respect des règles impératives du droit international s'impose notamment aux initiatives populaires, puisque les normes visées sont des normes auxquelles aucun Etat de droit ne peut se soustraire, si bien que le peuple et les cantons ne jouiraient pas d'une véritable liberté de vote s'ils devaient se prononcer sur une initiative violant ces principes. Il s'agirait au contraire d'un «simulacre de démocratie»69.

8.7.1.2

Interprétation conforme

Avant d'invalider une initiative populaire contraire aux règles impératives du droit international, la pratique des autorités fédérales est d'éviter le conflit autant que possible par la voie de l'interprétation, en s'inspirant des principes en la matière développés par le Tribunal fédéral dans le contexte d'initiatives populaires cantonales (voir ch. 8.5)70. Il s'agit, en particulier, du principe de l'interprétation conforme au droit supérieur et du principe in dubio pro populo.

Le principe de l'interprétation conforme au droit supérieur exige que, lorsque l'acte en question se prête à une interprétation le faisant apparaître comme conforme au droit supérieur ­ en l'occurrence au droit international ­, il doit être déclaré valable et, s'il s'agit d'une initiative, soumis à votation. Le principe in dubio pro populo signifie pour sa part que les initiatives populaires doivent toujours être interprétées de manière à éviter qu'elles ne soient déclarées nulles.

Pour déterminer le sens d'une initiative et apprécier sa validité, on applique les méthodes usuelles d'interprétation (littérale, systématique, historique, téléologique), qui se fondent en premier lieu sur le texte de l'initiative ­ la volonté des auteurs de l'initiative ne joue qu'un rôle secondaire, mais doit néanmoins être prise en considération, par exemple dans le cadre de l'interprétation historique. Lorsque l'application de ces méthodes usuelles fait apparaître plusieurs interprétations possibles, le principe d'interprétation conforme au droit supérieur et le principe in dubio pro populo imposent de choisir celle qui permet de déclarer l'initiative valide, autrement dit

67

68 69 70

Cf. Luzius Mader, Religionsfreiheit, Völkerrecht und Volksinitiativen: aktuelle Problemfelder, in: Astrid Epiney/René Pahud de Mortanges/Khalil Bedoun (éd.), Religionen und Migration im Europarecht und Implikationen für die Schweiz, Zurich/Bâle/Genève 2009, p. 101.

Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 453 s.

Message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 442.

Sur l'interprétation conforme des initiatives populaires, voir Roger Nobs, Volksinitiative und Völkerrecht, Zurich/St-Gall 2006, p. 279 ss, 298 s. et 311. Voir également ATF 124 I 107, p. 118, cons. 5b, et ATF 129 I 392, p. 394, cons. 2.2.

2117

celle qui fait apparaître l'initiative comme conforme au droit international, tout en respectant son sens et son but71.

8.7.1.3

Invalidité partielle et élaboration d'un contre-projet

Depuis la mise à jour de 1999, la Constitution fédérale offre la possibilité de n'invalider une initiative populaire qu'en partie (art. 139, al. 2, Cst.). Au plan fédéral, aucune initiative populaire n'a jusqu'à présent fait l'objet d'une telle invalidation partielle. Au plan cantonal en revanche, plusieurs cas se sont déjà présentés. Le Tribunal fédéral a développé, en lien avec les initiatives populaires cantonales, une série de critères auxquels est subordonnée la possibilité d'une invalidation partielle.

Il faut, d'une part, que la partie invalidée ne concerne pas un aspect central de l'initiative et, d'autre part, que la partie restante respecte les conditions de validité, qu'elle conserve un sens et corresponde encore à la volonté des auteurs de l'initiative et des signataires72. Suivant la teneur de l'initiative, l'invalidation partielle permet à la fois de respecter le droit international impératif et de sauvegarder dans la mesure du possible les droits populaires.

En outre, l'Assemblée fédérale peut faire usage de la possibilité dont elle dispose d'élaborer un contre-projet direct pour «corriger», dans une certaine mesure, le texte de l'initiative et proposer ainsi aux citoyens, à titre d'alternative, une version conforme au droit international (art. 139, al. 3, Cst.).

8.7.2

Initiatives populaires contraires au droit international non impératif

Si une initiative populaire n'est contraire qu'au droit international non impératif, elle doit être déclarée valable et soumise au vote du peuple et des cantons. Jusqu'à l'heure actuelle, une douzaine d'initiatives populaires ont été soumises au vote alors qu'elles posaient des problèmes de compatibilité avec des dispositions internationa-

71

72

Voir notamment le message relatif à l'initiative pour l'internement à vie, FF 2001 3269, et le message concernant l'initiative populaire «pour une réglementation de l'immigration», FF 1997 IV 449.

Sur l'applicabilité de ces critères à l'invalidation partielle d'initiatives populaires fédérales, voir Yvo Hangartner, Commentaire st-gallois, Zurich [etc.], 2e éd. (2008) ad art. 139, al. 2, no 40.

2118

les non impératives73. Parmi ces initiatives, trois seulement ­ l'initiative «pour la protection des régions alpines contre le trafic de transit», l'initiative «internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents très dangereux et non amendables» et l'initiative «contre la construction de minarets» ­ ont été acceptées par le peuple et les cantons. Dans les deux premiers cas, les autorités fédérales se sont efforcées de mettre en oeuvre la nouvelle disposition constitutionnelle de manière conforme au droit international pertinent même si, ce faisant, les intentions de leurs auteurs n'étaient pas entièrement respectées. Cela pourrait bien être impossible en ce qui concerne la troisième initiative, qui est directement applicable.

En cas d'adoption, par le peuple et les cantons, d'une initiative contraire au droit international non impératif, les problèmes se posent donc au stade de la mise en oeuvre par le législateur. Si la mise en oeuvre conforme au droit international est impossible, il faut envisager, en dernier recours, la dénonciation du traité international74.

S'il est manifeste que l'initiative a pour objectif même de déroger au droit international non impératif, ou si la nouvelle disposition constitutionnelle ne se prête pas à une mise en oeuvre conforme, le Conseil fédéral considère traditionnellement que son acceptation par le peuple et les cantons doit être comprise comme une obligation de dénoncer les engagements internationaux faisant obstacle à sa réalisation75. Tous les traités ne peuvent cependant pas être dénoncés, soit parce qu'il existe un empêchement juridique76, soit parce que la dénonciation paraît difficilement envisageable politiquement77. On examinera au ch. 9 comment procéder dans un tel cas.

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74

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Initiative «contre la construction de minarets» (acceptée en 2009); initiative «pour des naturalisations démocratiques» (rejetée en 2006), initiative «internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés dangereux et non amendables» (acceptée en 2004), initiative «des dimanches» (rejetée en 2003), initiatives «pour une Suisse sans armée» (rejetées en 2001 et 1989), initiative «pour la réduction du trafic» (rejetée en 2000), initiative «pour la protection des régions alpines contre le trafic de transit» (acceptée en 1994), initiative «contre la limitation du droit de vote lors de la conclusion de traités avec l'étranger» (rejetée en 1977), initiatives «contre l'emprise étrangère» (rejetées en 1977 et 1974), et initiative dite de Rheinau (rejetée en 1954); au sujet de ces initiatives, voir Robert Baumann, Völkerrechtliche Schranken der Verfassungsrevision, ZBl 4/2007, p. 191 ss.; Luzius Mader, Religionsfreiheit, Völkerrecht und Volksinitiativen: aktuelle Problemfelder, in: Astrid Epiney/René Pahud de Mortanges/Khalil Bedoun (éd.), Religionen und Migration im Europarecht und Implikationen für die Schweiz, Zurich/Bâle/Genève 2009, p. 96 ss. Citons encore l'initiative «pour le renvoi des étrangers criminels déposée en 2008, qui n'a pas encore été soumise à la votation populaire au moment de l'approbation du présent message par le Conseil fédéral.

Voir notamment le message du 22 juin 1994 relatif à l'initiative «pour une politique d'asile raisonnable», FF 1994 III 1481, le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle constitution fédérale, FF 1997 I 453, note 17, et les messages du 6 juillet 1996 relatifs à l'initiative «pour une conception moderne de la protection des animaux» FF 2004 3103, et du 27 août 2008 «contre la construction de minarets», FF 2008 6930.

Cf. ch. 8.6.1, dernier paragraphe.

Voir notamment les messages relatifs à l'initiative «pour une politique d'asile raisonnable», FF 1994 III 1481, et à l'initiative «contre la construction de minarets», FF 2008 6930.

Voir par exemple FF 1991 I 1147. La réalité de tels empêchements juridiques est cependant controversée en doctrine; à ce sujet, voir Robert Baumann, Völkerrechtliche Schranken der Verfassungsrevision, ZBl 4/2007, p. 209 et Helen Keller et al., Volksinitiativen und Völkerrecht, ZBl 3/2008, p. 147.

Voir le message
relatif à l'initiative «Oui à la protection des animaux», FF 2004 3086 ss, où le Conseil fédéral affirme clairement que la dénonciation du traité OMC, de la CEDH ou du Pacte II des Nations-Unies n'est pas une option réaliste.

2119

8.8

Contrôle judiciaire

Les décisions du Tribunal administratif fédéral, du Tribunal pénal fédéral, de l'Autorité indépendante d'examen des plaintes en matière de radio-télévision et des autorités cantonales de dernière instance (en général des tribunaux cantonaux) peuvent en principe faire l'objet d'un recours unifié devant le Tribunal fédéral78. Il est possible, par cette voie, d'invoquer non seulement une violation du droit fédéral mais aussi une violation du droit international79. Le grief peut aussi porter sur le fait que l'instance inférieure a mal apprécié la relation entre le droit international et le droit interne. Les règles internationales invoquées doivent cependant être directement applicables (voir ch. 8.3). Le recourant peut également contester le fait que l'instance inférieure a à tort interprété le droit national de manière non conforme au droit international, ou d'avoir interprété le droit international de manière non conforme à la Constitution, à condition, naturellement, qu'il existe une marge d'interprétation.

L'accès au Tribunal fédéral ­ indépendamment du grief avancé ­ est exclu lorsque la contestation ne porte pas sur une question juridique de principe et que la valeur litigieuse n'excède pas un certain seuil ou bien lorsque la LTF prévoit que le domaine considéré n'est pas soumis à l'examen du tribunal suprême80. Le recours constitutionnel subsidiaire contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance est cependant réservé81.

Selon le droit actuel, plusieurs types de décisions des instances inférieures portant sur la relation entre droit national et droit international ne peuvent pas faire l'objet d'un recours unifié devant le Tribunal fédéral. Ce sont notamment:

78 79 80 81 82



les décisions concernant la sûreté intérieure ou extérieure du pays, la neutralité, la protection diplomatique et les autres affaires intéressant les relations extérieures, à moins que le droit international ne confère un droit à ce que la cause soit jugée par un tribunal. L'autorité de recours est là le Conseil fédéral, à moins qu'il n'ait émis la décision contestée82;

­

les décisions du Tribunal administratif fédéral énumérées dans la liste d'exceptions de l'art. 83 LTF (par exemple asile, entraide administrative, certaines décisions relevant de la législation sur les étrangers ou du droit des marchés publics); les décisions en matière patrimoniale du Tribunal administratif fédéral lorsque la valeur litigieuse déterminante n'est pas atteinte et qu'elles ne portent pas sur une question juridique de principe (par exemple des décisions dans le domaine de la responsabilité de l'Etat ou du droit du personnel);

­

les décisions du Tribunal pénal fédéral dans le domaine de l'entraide judiciaire internationale en matière pénale qui ne portent pas sur des cas particulièrement importants (art. 84 LTF); les décisions de la cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral à l'exception de celles qui portent sur des mesures de contrainte (art. 79 LTF); Cf. art. 72, 75, 78, 80, 82 et 86 de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF; RS 173.110).

Art. 189, al. 1, let. a et b, Cst.; art. 95, let. a et b, LTF.

Voir art. 191 Cst.

Art. 113 ss. LTF.

Art. 72, let. a, de la loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021).

2120

­

les décisions des autorités cantonales de dernière instance énumérées dans la liste d'exceptions de l'art. 83 LTF et certaines de leurs décisions en matière patrimoniale, lorsque la valeur litigieuse déterminante n'est pas atteinte et qu'elles ne portent pas sur une question juridique de principe.

Lorsque le recours unifié contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance est exclu, il reste encore, comme on l'a dit, la possibilité du recours constitutionnel subsidiaire, lequel ne peut toutefois être interjeté que pour violation des droits constitutionnels. Cette notion s'étend aux droits garantis par la CEDH, le Pacte II de l'ONU et, éventuellement, d'autres traités relatifs aux droits de l'homme83, mais non à l'ensemble du droit international. Ce sont donc en premier lieu les décisions relatives à la relation entre le droit interne et la CEDH ou d'autres traités relatifs aux droits de l'homme qui font l'objet du recours constitutionnel subsidiaire. Celui-ci ne peut pas être interjeté contre des décisions du Tribunal administratif fédéral ou du Tribunal pénal fédéral non sujettes au recours unifié.

Citons encore, par souci d'exhaustivité, l'art. 189, al. 4, Cst.: les actes de l'Assemblée fédérale (par exemple le fait de constater la validité ou l'invalidité d'une initiative populaire) et du Conseil fédéral ne peuvent pas être attaqués devant le Tribunal fédéral. C'est pourquoi ni l'une ni l'autre ne sont mentionnées comme instances inférieures dans la LTF.

9

Actions envisageables

9.1

Introduction

Nous avons mis en lumière, dans le présent rapport, le fait que l'ordre juridique actuel laisse ouvertes plusieurs questions concernant la relation entre le droit national et le droit international. Plusieurs voies sont également possibles. On a vu plus haut (ch. 8.6.1) diverses opinions défendues par la doctrine. Faut-il instaurer de nouvelles règles pour déterminer le rang du droit international, fondées par exemple sur l'importance matérielle ou la légitimité démocratique? Le postulat 07.3764 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats s'interroge sur l'opportunité d'inscrire dans la loi la jurisprudence Schubert. Par ailleurs, faut-il compléter la Constitution pour y préciser des exceptions à la maxime d'application du droit international de l'art. 190? La commission pose aussi la question d'une jurisprudence uniforme, qui passerait par la compétence du Tribunal fédéral de connaître de tous les jugements portant sur la relation entre droit national et droit international.

Le traitement des initiatives populaires contraires au droit international pose un problème particulier qu'il revient d'examiner avec attention. Mais il faut d'abord répondre à une question de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats concernant les conséquences d'un passage du monisme au dualisme.

83

Voir Giovanni Biaggini, Basler Kommentar Bundesgerichtsgesetz (2008), no 17 ss. ad art. 116.

2121

9.2

Passer au dualisme

Plusieurs interventions parlementaires, et notamment le postulat de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats qui est à l'origine de ce rapport, ont remis en question la théorie moniste à laquelle la Suisse adhère depuis fort longtemps (voir ch. 8.2), demandant au Conseil fédéral d'examiner les avantages d'un passage au dualisme84.

La pratique moniste de la Suisse fait l'objet de remises en cause régulières. Le postulat ne soulève pas une question nouvelle en invitant le Conseil fédéral à s'exprimer sur l'opportunité de remplacer le système moniste par un système dualiste et à présenter les avantages et les inconvénients d'un tel changement. Ce n'est pas non plus la première fois que le Conseil fédéral se prononce sur ce point.

Depuis 1996, plusieurs interventions parlementaires demandant l'instauration du dualisme ou du moins d'éléments dualistes ont été déposées, essentiellement motivées par le souci que les compétences de l'Assemblée fédérale ne soient sapées par la mondialisation85.

Le Conseil fédéral s'est toujours opposé à un passage au dualisme. Dans ses réponses à ces interventions, il a exposé que notre régime juridique était moniste depuis la création de l'Etat fédéral suisse et que le monisme était une partie intégrante du droit constitutionnel matériel. Adopter le dualisme signifierait que les traités internationaux comportant des règles de droit devraient être transposés selon la procédure législative ordinaire, qui s'en trouverait engorgée. De plus, il y aurait toujours un risque de créer involontairement des contradictions entre le traité et la loi de transformation, ce qui pourrait entraîner la responsabilité internationale de la Suisse.

Dans ses réponses, le Conseil fédéral a précisé encore que le passage du monisme au dualisme pouvait éveiller l'impression que la Suisse se réservait, à l'avenir, de ne pas respecter sur le plan interne les engagements pris, d'autant plus que la tendance générale est plutôt à s'éloigner du dualisme pour se rapprocher du monisme.

Il ressort des analyses qui précèdent qu'abandonner le monisme pour adopter le dualisme ne changerait pas grand-chose à la place du droit international dans le droit interne, car celle-ci dépend aussi de l'applicabilité et du rang (voir ch. 5.2).

On le voit, le dualisme s'inscrirait difficilement dans
le régime juridique suisse tel qu'il s'est développé. Il faudrait compléter la Constitution par des dispositions sur la reprise du droit international (cf. les explications relatives à l'Allemagne, ch. 7.2).

De plus, des milliers de pages de droit international devraient être transformées en actes législatifs. Faute de tradition dualiste, les autorités et les tribunaux devraient développer une pratique de ce système, phase de transition qui créerait une insécurité juridique défavorable aux sujets de droit.

84 85

Voir aussi le postulat 09.3676 du groupe UDC du 12 juin 2009.

Voir initiative parlementaire 96.444 Inderkum Hansheiri du 4 octobre 1996 «Rapport Droit international/Droit national» (retirée le 7 octobre 1999); motion 96.3482 Baumann Alexander J. du 3 octobre 1996 «Droit international. Changement de système» (classée le 9 octobre 1998); 96.3479 Interpellation Schmid Samuel «Droit international. Changement de système» (classée le 9 octobre 1998); 2007 Pétition Emil Rahm, «Auslegung von Art. 5 Abs. 4 der neuen Bundesverfassung» (aucune suite ne lui a été donnée). Voir aussi diverses interventions de M. Carlo Schmid, député au Conseil des Etats, BO 1996 E, p. 63; voir aussi p. 346 et BO 2004 E, p. 629.

2122

Il est plus sage de ne supprimer un système qui fonctionne que si le nouveau système apporte de nets avantages. Or le Conseil fédéral ne voit pas que le passage au dualisme en procure. Au contraire, il estime qu'il n'en découlerait que des inconvénients. En tant que petit Etat, la Suisse a particulièrement intérêt à ce qu'aucun doute n'entache sa réputation de partenaire fiable. En outre, le dualisme surchargerait la procédure législative et risquerait de susciter des contradictions involontaires entre les lois de transformation et les traités internationaux, ce qui nuirait à la sécurité du droit. Certes, il serait possible d'éviter cet écueil en édictant simplement un ordre d'application, comme cela se fait en Allemagne (voir ch. 7.2); mais la différence avec le monisme s'estomperait alors largement.

La multiplication des normes internationales, liée aux interdépendances croissantes au niveau mondial, pousse les pays de tradition dualiste tels que le Royaume Uni (voir ch. 7.4) ou la Suède (voir ch. 7.6) à s'éloigner toujours plus du strict principe de transformation, comme le Conseil fédéral l'a déjà souligné dans ses réponses aux interventions mentionnées plus haut. Dans l'UE notamment, même les Etats de tradition dualiste doivent appliquer directement le droit communautaire, sans acte de transformation. Autrement dit, le monisme s'applique dans l'espace communautaire.

Le système moniste que nous appliquons actuellement est simple, efficace et flexible. Il garantit la sécurité du droit sans alourdir par des travaux législatifs supplémentaires la charge du Parlement, du Conseil fédéral et de l'administration. A l'importance croissante des engagements internationaux a répondu une extension progressive des compétences du peuple, des cantons et du Parlement. Aujourd'hui, la procédure référendaire législative et celle applicable aux traités sont largement parallèles (voir ch. 3). Il n'est donc pas indiqué d'instaurer un régime dualiste.

9.3

Régler la primauté dans la Constitution

Comme on l'a vu plus haut, la Constitution ne donne pas de réponse globale et en tous points claire à la question du rapport entre droit national et droit international, car elle ne précise pas comment résoudre les conflits entre ce dernier et le droit constitutionnel (voir ch. 8.4). Faut-il alors inscrire une règle de conflit dans la Constitution? Il n'est guère envisageable de régler cette question de la même manière que celle de la relation entre le droit fédéral et le droit cantonal (art. 49 Cst.). La réponse à apporter devrait être plus nuancée.

9.3.1

En fonction de l'importance matérielle

On a exposé plus haut les prémisses d'une hiérarchie possible au sein du droit international (voir ch. 4.7, dernier paragraphe). Au moment où l'on s'interroge sur le rang du droit international au sein du droit interne, on peut imaginer de donner la primauté aux normes importantes du droit international, telles que les droits de l'homme, mais d'attribuer aux accords plus techniques un rang inférieur à la Constitution et aux lois fédérales86. Le Conseil fédéral est toutefois d'avis qu'une hiérarchisation du droit international instituée en droit interne est une tendance encore 86

Voir Anne Benoît, Vers une hiérarchie des normes internationales en droit interne suisse?, RDS 2009 I, p. 453 ss.

2123

embryonnaire, qui devrait relever des tribunaux. Il est d'ailleurs difficile de concevoir que le droit interne prévoie une telle hiérarchie quand le droit international luimême n'en instaure pas (voir ch. 4.7). De plus, l'importance d'une norme internationale se mesure avant tout à l'aune de la politique, critère qui ne garantirait guère la prévisibilité nécessaire et serait source d'insécurité juridique.

Le Conseil fédéral pense par ailleurs que lorsqu'un conflit avec le droit international touche les principes fondamentaux de la Constitution ou l'essence des droits fondamentaux, ceux-ci doivent primer (voir ch. 8.6.1)87.

9.3.2

En fonction de la légitimité démocratique

Une seconde solution serait de donner la prééminence à la règle (de droit interne ou de droit international) qui a la plus forte légitimité démocratique. Notons que cette option non plus ne délie pas la Suisse de ses obligations internationales. En outre, plusieurs traités anciens, comme la CEDH, n'ont jamais été soumis au référendum.

Il serait incohérent que des traités aussi importants, précisément, ne soient pas de rang supérieur aux lois fédérales, sans compter que la Suisse aurait alors des difficultés sur la scène internationale. Ce critère serait de moindre importance pour les traités les plus récents puisque les droits populaires sont désormais aménagés de manière relativement parallèle pour le droit international et pour le droit interne (voir ch. 3)88.

Fonder la hiérarchie des normes sur leur légitimité démocratique reviendrait à donner en général la primauté à la Constitution, car les traités internationaux ne sont que rarement soumis au référendum89. En outre, les traités que le Conseil fédéral conclut de son propre chef n'ont pas une légitimité moindre, car le gouvernement agit en vertu d'une compétence qui lui est déléguée par une loi fédérale. Enfin, ce critère n'est pas applicable à l'ensemble du droit international puisque le droit coutumier et les principes généraux de droit ne peuvent être approuvés formellement par les autorités fédérales. On relèvera d'ailleurs que la primauté du droit fédéral sur le droit cantonal n'a rien à voir avec la légitimité de l'un ou de l'autre, si bien que même les ordonnances fédérales ont un rang supérieur aux lois cantonales.

9.3.3

En donnant la primauté au droit constitutionnel postérieur

De l'avis du Conseil fédéral, les autorités sont en principe tenues d'appliquer une disposition constitutionnelle contraire au droit international lorsqu'elle est plus récente que la règle internationale et que l'art. 190 Cst. et directement applicable.

Le nouvel art. 72, al. 3, Cst. (initiative «contre la construction de minarets») en est un exemple particulièrement actuel. Si la disposition constitutionnelle n'est pas directement applicable, l'Assemblée fédérale doit la concrétiser en édictant les

87 88 89

Message du 18 mai 1992 relatif à l'EEE, FF 1992 IV 87.

A titre d'exemple, voir ATF 133 V 367, p. 389, consid. 11.4.

Voir l'initiative populaire «Pour le renforcement des droits populaires dans la politique étrangère (accords internationaux: la parole au peuple!)», FF 2009 5451.

2124

dispositions légales nécessaires90. Les raisons en sont les mêmes que celles qui justifient la suprématie d'une disposition constitutionnelle sur une loi fédérale plus ancienne (voir ch. 8.6.1). Le but principal de l'art. 190 Cst. est d'empêcher les tribunaux de substituer leur pesée des intérêts à celle opérée par le législateur. Ils sont en effet tenus par les décisions de ce dernier, et d'autant plus par les décisions les plus récentes du constituant. Si la primauté est accordée à la disposition constitutionnelle, la responsabilité de la Suisse en droit international peut se trouver engagée. Il n'est possible de l'éviter qu'en renégociant ou en dénonçant le traité concerné, ce qui n'est cependant pas toujours possible ni souhaitable sur le plan politipolitique ou juridique. Aucune modification de la Constitution ne serait nécessaire si l'on adoptait cette solution.

9.3.4

En codifiant la jurisprudence Schubert

La let. c du postulat de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats demande au Conseil fédéral de s'exprimer «sur la poursuite de la et son éventuel ancrage dans la loi».

La jurisprudence Schubert a été établie par le Tribunal fédéral, qui peut donc seul décider de l'abandonner ou de la poursuivre. L'Assemblée fédérale ne peut agir qu'en l'inscrivant ou en l'excluant dans un acte normatif.

Avant de l'inscrire dans la loi, il faudrait déterminer le contenu que devrait revêtir la norme en question. Les autorités d'application du droit doivent-elles avoir seulement la possibilité de donner à des lois fédérales la primauté sur des règles de droit international antérieures, lorsque le législateur a consciemment dérogé à celles-ci? Une disposition potestative de ce type préserverait à peu près la situation juridique actuelle. Ou bien formulera-t-on une obligation à l'égard des autorités? Dans ce cas, il faudrait décider si la nouvelle norme doit aussi comporter l'exception faite par le Tribunal fédéral en faveur des dispositions internationales de protection des droits de l'homme. Inscrire cette exception dans la loi empêcherait éventuellement le Tribunal fédéral de développer d'autres exceptions à la jurisprudence Schubert, aussi indiquées soient-elles. Il faudrait en outre déterminer si les lois fédérales doivent primer uniquement les traités ou bien aussi le droit coutumier et les principes généraux de droit. Naturellement, il serait exclu qu'elles priment les règles impératives du droit international.

Le Conseil fédéral a pris position sur la question de l'inscription de la jurisprudence Schubert dans la Constitution très récemment, dans un avis du 27 août 2008 sur la motion Reimann Lukas 08.3249 «Base constitutionnelle pour la pratique Schubert».

Il y a exposé qu'en édictant les art. 5, al. 4, et 190 Cst., le constituant de 1999 avait opté pour une solution pragmatique en laissant aux autorités d'application du droit et notamment au Tribunal fédéral le soin de procéder, dans le cas concret, à une pesée des intérêts en jeu et de trouver une réponse au conflit. Considérant que la pratique a fait ses preuves, il a conclu dans son avis que des mesures immédiates visant à inscrire la jurisprudence Schubert dans la Constitution n'étaient pas nécessaires. Non

90

Message du 6 juillet 2004 concernant l'initiative populaire «Pour une conception moderne de la protection des animaux», FF 2004 3103; Yvo Hangartner, St. Galler Kommentar, 2e éd., Zurich etc. 2008, ad art. 139, no 42.

2125

seulement ces conclusions peuvent être réaffirmées, mais d'autres arguments s'y ajoutent.

Premièrement, la Constitution actuelle est suffisante puisque l'art. 5, al. 4, est formulé d'une manière qui autorise la jurisprudence Schubert. Deuxièmement, les conflits directs entre une loi fédérale et une norme internationale plus ancienne sont rares, si bien qu'il serait superflu d'édicter de nouvelles dispositions, d'autant que l'Assemblée fédérale est en général associée à la conclusion des traités internationaux. L'étude de droit comparée présentée au ch. 7 montre en outre qu'il vaut mieux procéder avec souplesse que d'appliquer mécaniquement l'une ou l'autre solution. Enfin, la codification de la jurisprudence Schubert n'aurait guère d'effet dans le cas des traités internationaux qui prévoient un mécanisme de contrôle amenant des décisions par lesquelles la Suisse est liée. En effet, les organes internationaux donnent toujours la prééminence au droit international. En cas de conflit manifeste, c'est-à-dire lorsque l'Assemblée fédérale a eu clairement l'intention d'aller à l'encontre d'une obligation de droit international de la Suisse, la solution la plus cohérente serait d'entreprendre de renégocier le traité concerné ou, si ce n'est pas possible, de le dénoncer. Par voie de conséquence, si le Parlement édicte une disposition légale volontairement contraire au droit international, il faut le comprendre comme un mandat au Conseil fédéral de renégocier ou de dénoncer le traité, ou bien le Parlement doit approuver une motion en ce sens. Pour que la responsabilité internationale de la Suisse ne se trouve pas engagée, il faut que la nouvelle disposition légale n'entre en vigueur que lorsque la dénonciation ou le traité renégocié a pris effet. Cette solution permet que les engagements internationaux de la Suisse soient pleinement pris en compte tandis que le législateur met clairement en relief les conséquences de l'acceptation de la disposition qui enfreint des obligations antérieures relevant du droit international.

Sur la base de ces arguments, le Conseil fédéral ne juge ni utile, ni opportun d'inscrire la jurisprudence Schubert dans la Constitution ou dans la loi.

9.4

Compléter l'art. 190 Cst.

Une autre solution serait de compléter l'art. 190 Cst. d'un deuxième alinéa prévoyant que le Tribunal fédéral et les autres autorités ne sont pas tenues d'appliquer les dispositions de la Constitution et des lois fédérales lorsqu'elles violent (a.) le droit international impératif ou (b.) des règles de droit international acceptées par le peuple et les cantons ou encore (c.) lorsqu'un tribunal international a constaté une violation du droit international. On s'assurerait ainsi très simplement qu'une norme constitutionnelle ou une loi fédérale n'est pas mise en oeuvre lorsqu'elle est contraire aux règles du droit international ayant une importance fondamentale (condition a) ou ayant une légitimité similaire ou supérieure à la sienne (condition b), ou bien encore lorsqu'elle viole clairement le droit international selon la constatation d'une instance internationale compétente (condition c). Notons à propos de ce dernier point qu'il faudrait par exemple un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme pour qu'une initiative ne soit pas appliquée pour non-conformité à la CEDH. L'appréciation d'une autorité suisse ne suffirait pas.

Cette solution serait cependant inefficace car il n'y a pas de hiérarchie entre les dispositions constitutionnelles. Si elles entrent en conflit, les principes de la lex specialis et de la lex posterior s'appliquent. Dans l'hypothèse que nous développons ici, si, sur la base de son interprétation, une disposition constitutionnelle s'avérait 2126

contraire au droit international au sens du nouvel al. 2 de l'art. 190 Cst., elle n'en prévaudrait pas moins sur cette dernière en tant que disposition spéciale et en tant que disposition postérieure. Il serait difficile de soutenir que la volonté du constituant était, au travers du vaste mécanisme de la votation, d'adopter une disposition qui ne déploierait aucun effet. D'ailleurs, le comité d'initiative pourrait prendre la précaution d'intégrer dans l'article constitutionnel qu'il propose une disposition prévoyant la primauté sur l'art. 190, al. 2. Ce dernier ne s'appliquerait donc que lorsqu'une interprétation conforme au droit international est possible, donc lorsqu'il n'existe pas de conflit entre le droit constitutionnel et le droit international. Or l'art. 190 Cst. actuel est parfaitement suffisant dans ce cas.

Au-delà de cette objection fondamentale, il serait très difficile de définir quelles règles du droit international devraient primer le droit interne. Il serait inutile de citer une nouvelle fois les règles impératives du droit international (condition a), qui limitent déjà la validité des initiatives, sans compter qu'on ne saurait envisager que les autorités d'application du droit réexaminent la conformité au jus cogens d'une disposition jugée valable par le Parlement et s'écartent de l'appréciation de ce dernier. Tracer la limite aux dispositions du droit international acceptées par le peuple et les cantons (condition b), ce serait laisser de côté nombre de traités importants et en particulier deux d'entre eux ­ la CEDH et le Pacte II de l'ONU ­ qui ont souvent été égratignés, ces dernières années, par des initiatives populaires. On se reportera par ailleurs aux arguments du ch. 9.3.2. En outre, la Suisse n'en devrait pas moins supporter, sur le plan international, les conséquences de tout manquement à ses obligations (cf. le ch. 6).

On pourrait aussi choisir comme critère de primauté l'importance des règles du droit international ou leur intérêt vital pour la Suisse, mais des conditions aussi générales posent des problèmes majeurs. Et si l'on prévoyait que la Constitution et les lois fédérales ne priment pas lorsqu'un tribunal international a constaté une violation du droit international (condition c), il ne serait plus possible au Tribunal fédéral, contrairement à ce qui se passe
aujourd'hui, de ne pas appliquer par anticipation une norme fédérale contraire, par exemple, à la CEDH (voir ch. 8.6.2). L'Assemblée fédérale, elle, pourrait toujours concrétiser une initiative populaire de manière conforme au droit international.

En conclusion, l'adoption d'un art. 190, al. 2, Cst. serait sans effet car le droit constitutionnel postérieur l'emporterait, comme on l'a vu plus haut. Elle saperait la crédibilité de l'engagement de la Suisse, face à la communauté des nations, en faveur des Droits de l'Homme et de la prééminence du droit international91. Elle irait à l'encontre des efforts engagés pour étendre la juridiction constitutionnelle (modification de l'art. 190 Cst.) et de la tendance de la communauté internationale à reconnaître la primauté du droit international. Enfin, elle n'apporterait pas de solution à la question des initiatives populaires contraires au droit international.

91

La Suisse s'est engagée au Conseil de l'Europe pour que seuls soient acceptés comme nouveaux membres les Etats ayant inscrit la primauté du droit international dans leur constitution.

2127

9.5

Ouvrir l'accès au Tribunal fédéral sur les questions de relation entre droit national et droit international

Le postulat 07.3764 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats pose (let. d) la question suivante: les décisions d'instances inférieures sur le rapport entre le droit international et le droit national devraient-elles pouvoir être soumises dans tous les cas au Tribunal fédéral afin de garantir une jurisprudence uniforme?

On interprétera ici le terme d'«instances inférieures» comme les instances judiciaires inférieures au Tribunal fédéral, en excluant les organes suprêmes de la Confédération ­ Parlement et Conseil fédéral. On n'examinera donc pas la question du contrôle de la constitutionnalité, qui fait l'objet de deux initiatives parlementaires: 05.455 Studer Heiner «Juridiction constitutionnelle»; 07.476 Müller-Hemmi «Faire en sorte que la Constitution soit applicable pour les autorités chargées de mettre en oeuvre le droit».

Le Tribunal fédéral est l'autorité judiciaire suprême de la Confédération (art. 188 Cst.). Toutes les autorités d'application du droit sont liées par ses décisions relatives à la relation entre le droit national et le droit international. Elles doivent suivre la jurisprudence du Tribunal fédéral, faute de quoi leurs décisions sont en règle générale attaquables devant ce dernier, ce qui permet d'assurer l'uniformité de la jurisprudence. Il existe cependant certains cas où le Tribunal fédéral n'a pas de compétence (voir ch. 8.8).

Pour que toutes les décisions des instances inférieures sur la relation entre le droit national et le droit international puissent être attaquées devant le Tribunal fédéral, il faudrait ouvrir l'accès à ce dernier dans ces quelques cas où aujourd'hui la dernière instance est le Tribunal administratif fédéral, le Tribunal pénal fédéral ou, lorsque les droits constitutionnels ne sont pas touchés, les autorités cantonales de dernière instance. D'emblée, il faut rejeter l'idée de supprimer de manière générale les limites d'accès au Tribunal fédéral (les valeurs litigieuses minimales, la liste d'exceptions), idée qui irait diamétralement à l'encontre de l'objectif de la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale, lequel était de décharger le Tribunal fédéral.

L'instrument à choisir serait une nouvelle voie de recours spécifique.

Le Conseil fédéral est plutôt sceptique quant à l'opportunité de créer cet instrument, pour plusieurs raisons.

­

92

L'extension des voies de recours risquerait de représenter une lourde charge supplémentaire pour le Tribunal fédéral. Les personnes recourant contre une décision en matière d'asile, notamment, pourraient être tentées de déposer un recours concernant la relation entre le droit national et le droit international, même s'il est voué à l'échec (sur ce grief), après avoir épuisé toutes les autres possibilités, dans le seul but de gagner du temps. Le Tribunal fédéral a enregistré 7147 affaires entrantes au total en 2008. Les Cours IV et V du Tribunal administratif fédéral qui traitent exclusivement des cas relevant de l'asile ont été saisies 4247 fois durant la même année92. Même si seule une fraction des arrêts du Tribunal administratif fédéral dans ce domaine était attaquée devant le Tribunal fédéral, ce dernier devrait être étoffé et réorganisé pour faire face à cette masse d'affaires supplémentaire. De plus, son rôle Voir le rapport de gestion 2008 du Tribunal fédéral, p. 25, et celui du Tribunal administratif fédéral, p. 73.

2128

phare dans ce domaine est garanti du fait qu'il examine la validité et la portée du principe du non-refoulement dans d'autres domaines juridiques (extradition, renvoi).

­

Il serait difficile de comprendre, pour le justiciable, pourquoi le Tribunal fédéral peut examiner la relation entre le droit national et le droit international, dans le domaine délimité par la LTF, mais non d'autres questions tout aussi fondamentales, par exemple la question de la violation des droits fondamentaux par le Tribunal administratif fédéral et le Tribunal pénal fédéral.

­

Il n'est souvent possible de discerner dans quelle mesure une question touchant la relation entre droit national et droit international est décisive dans une contestation et non de nature purement théorique, qu'après un examen minutieux du cas dans son ensemble.

­

On peut se demander si l'ouverture de l'accès au Tribunal fédéral est le bon moyen pour assurer l'uniformité de la jurisprudence concernant la relation entre le droit national et le droit international. C'est pour des motifs très divers qu'une personne peut décider de faire recours ou y renoncer.

­

La relation entre le droit national et le droit international n'est pas déterminée uniquement par les instances inférieures et par le Tribunal fédéral dans des cas concrets, mais aussi par la pratique du Parlement et du Conseil fédéral. Pour garantir une jurisprudence tout à fait uniforme, il faudrait en fin de compte ouvrir la voie du recours au Tribunal fédéral contre tous les actes individuels et concrets, tous les actes généraux et abstraits, de ces deux organes.

Certes, le Tribunal fédéral joue depuis longtemps un rôle central dans l'examen de la relation entre le droit national et le droit international, puisque la Constitution ne règle expressément cette relation que de manière partielle93. Toutefois les raisons invoquées ci-dessus s'opposent à la création d'une voie de recours spécifique.

Aucun problème ne se posant dans la pratique, il n'est pas étonnant que la toute récente loi sur le Tribunal fédéral (entrée en vigueur en 2007) n'en prévoie pas.

Dans le cas où l'Assemblée fédérale ferait une autre appréciation de la situation, on pourrait, sur le plan légistique, autoriser de manière générale le recours unifié «si la contestation soulève une question fondamentale concernant la relation entre le droit national et le droit international», comme il l'est «si la contestation soulève une question juridique de principe» (art. 74, al. 2, let. a, et 85, al. 2, LTF) ou, dans le domaine de l'entraide pénale internationale, «s'il concerne un cas particulièrement important» (art. 84 LTF). Une autre solution serait que le Tribunal administratif fédéral, le Tribunal pénal fédéral et les tribunaux cantonaux suprêmes suspendent leurs procédures et demandent une décision du Tribunal fédéral lorsqu'ils statuent définitivement (sous réserve du recours constitutionnel subsidiaire) sur un cas soulevant une question fondamentale concernant la relation entre le droit national et le droit international («renvoi préjudiciel»).

93

Voir Kerstin Odendahl, St. Galler Kommentar zur Bundesverfassung, Bundesverfassung und Völkerrecht in Wechselbeziehung, 2e éd., Zurich (etc.), 2008, no 43.

2129

9.6

Clarifier la relation entre le droit international et les initiatives populaires

Les questions les plus épineuses concernent la relation entre le droit international et les initiatives populaires. Selon l'art. 195 Cst., une initiative populaire entre en vigueur dès que le peuple et les cantons l'ont acceptée. Elle devient donc, dès ce moment, du droit constitutionnel valable, que les autorités doivent mettre en oeuvre en en respectant l'esprit. Seules les initiatives contraires aux règles impératives du droit international ne sont pas valables, donc ne sont pas soumises à la votation populaire. Celles qui violent d'autres règles du droit international sont valables et doivent être appliquées du moment qu'elles ont été acceptées par le peuple et les cantons (art. 139, al. 2, 193, al. 4, et 194, al. 2, Cst.; voir ch. 8.6.1 et 8.7.2).

D'un autre côté, les normes constitutionnelles contraires au droit international devraient représenter une exception de durée limitée, au nom de la Constitution ellemême (art. 5, al. 4), des intérêts de politique extérieure de la Suisse et de l'importance du droit international pour la coexistence pacifique des Etats (voir ch. 2). Cela signifie que si une initiative populaire contraire au droit international vient à être acceptée, il faudrait renégocier, lorsque c'est possible, ou éventuellement dénoncer les engagements internationaux concernés. Qu'en est-il alors des traités non dénonçables ou des engagements auxquels la Suisse ne veut pas renoncer pour des raisons politiques ou économiques? Il peut dans ce cas s'ensuivre une violation du droit international dont la Suisse aurait à répondre des conséquences, que nous avons exposées plus haut (voir ch. 6.2). Si le traité concerné dispose d'un mécanisme de contrôle, elle s'expose à une condamnation par un organe international. Dans le cas de la CEDH, un arrêt de la Cour constatant une violation de la CEDH doit être mis en oeuvre; l'exécution de l'arrêt par l'Etat concerné est surveillée par le Comité des ministres du Conseil de l'Europe. D'après la pratique constante du Comité des Ministres, les mesures à prendre ne se limitent pas à celles visant à résoudre le cas d'espèce. L'Etat doit également prendre des mesures à caractère général afin d'éviter que le même type de violation de la Convention ne se répète.

La situation juridique actuelle présente quelques points faibles. Tout d'abord, seules les
initiatives populaires contraires aux règles impératives du droit international peuvent être invalidées. Le filtre est donc, à dessein, très large, afin de préserver le plus possible le droit d'initiative94. Le revers de la médaille est que le risque subsiste de voir le peuple et les cantons adopter des dispositions constitutionnelles contraires au droit international ordinaire. Plus la notion de règles impératives du droit international est interprétée de manière étroite, ce qui est favorable aux droits populaires, plus ce risque est important.

Par ailleurs, au stade de l'examen de validité, les autorités fédérales appliquent le principe de l'interprétation conforme. Etant donné que le but de l'interprétation conforme est d'éviter autant que possible les déclarations d'invalidité, il résulte de la pratique du Conseil fédéral et de l'Assemblée fédérale que seules les initiatives violant manifestement le droit international impératif peuvent être invalidées. Cette solution, très favorable aux droits populaires, a pour défaut de reporter les difficultés au stade de la mise en oeuvre en cas d'acceptation de l'initiative. Le risque est également que l'interprétation conforme de l'initiative ne soit possible qu'au prix d'une 94

Voir notamment le message du 20 novembre 1996 relatif à la réforme des droits populaires, FF 1997 I 453.

2130

interprétation large du texte, ne traduisant pas complètement les intentions de ses auteurs.

Si une initiative contraire au droit international non impératif est acceptée, les autorités s'efforceront de la mettre en oeuvre conformément au droit international. Cette fois, il ne s'agit plus de la sauver de l'invalidation, mais de choisir entre mise en oeuvre conforme, dénonciation du traité ou engagement de la responsabilité internationale de la Suisse. Dans ce contexte, il n'est pas toujours facile de décider à partir de quel point une mise en oeuvre conforme n'est plus justifiable, si bien qu'il faut envisager la renégociation ou la dénonciation du traité, ou encore la violation des obligations internationales de la Suisse. Si les autorités choisissent la voie de la mise en oeuvre conforme au droit international, elles ne pourront peut-être pas concrétiser l'ensemble des objectifs poursuivis par l'initiative et risquent de décevoir les attentes de citoyens ayant voté en faveur de cette dernière.

Plusieurs auteurs95 défendent le point de vue que la solution au problème des initiatives populaires contraires au droit international passe par l'instauration d'une juridiction constitutionnelle complète au niveau fédéral, autrement dit par la compétence, conférée au Tribunal fédéral, de juger de la conformité des lois fédérales avec la Constitution lors d'un cas d'application avec, en parallèle, la compétence de juger de la conformité des initiatives populaires avec le droit international impératif. Nous ne traiterons pas cette option plus avant. Elle sera examinée dans le cadre de l'initiative parlementaire Studer Heiner 05.445 «juridiction constitutionnelle» et de l'initiative parlementaire Müller-Hemmi 07.476 «Faire en sorte que la Constitution soit applicable pour les autorités chargées de mettre en oeuvre le droit». Nous n'étudierons donc dans les sections qui suivent que les options applicables au stade de l'invalidation de l'initiative et de son examen préliminaire.

9.6.1

Extension des motifs d'invalidité

9.6.1.1

Introduction

Une façon d'éviter les problèmes que pose la mise en oeuvre d'une initiative populaire contraire au droit international serait d'élargir la notion de «règles impératives du droit international» telle qu'elle est comprise dans la pratique actuelle. En doctrine, plusieurs auteurs défendent une interprétation plus large de cette notion. Selon eux, son contenu n'est pas subordonné à celui du jus cogens au sens du droit international, mais revêt une portée constitutionnelle autonome, avec pour conséquence qu'il peut être étendu, par voie d'interprétation, à d'autres obligations internationales, telles que les normes internationales impératives de facto, autrement dit celles qui résultent de traités ne pouvant pas être dénoncés pour des raisons de droit ou de fait (par exemple le traité sur l'OMC ou les Pactes de l'ONU) ou celles appartenant à un

95

Notamment Andreas Auer, Statt Abbau der Volksrechte ­ Ausbau des Rechtsstaates, NZZ 10.09.2008, p. 15.

2131

jus cogens régional (par exemple la CEDH)96. La majorité de la doctrine se prononce cependant contre toute extension par voie d'interprétation de la notion de «règles impératives du droit international», principalement parce que l'on ne saurait restreindre les droits populaires par un simple changement de pratique sur lequel les citoyens n'auraient aucun moyen de se prononcer97.

Les autorités fédérales ont, à plusieurs reprises, exprimé leur refus d'élargir l'interprétation de la notion de «règles impératives du droit international», pour la raison que le droit d'initiative ne doit être limité qu'en cas d'absolue nécessité98. Dans son rapport de 2006, l'Office fédéral de la justice a également conclu que la portée de cette notion ne pouvait être étendue par voie d'interprétation99. Cette position a été confirmée implicitement par le récent message relatif à l'initiative sur les minarets, dans lequel le Conseil fédéral n'a pas considéré la liberté religieuse garantie par la CEDH et le Pacte II des Nations-Unies comme faisant partie des normes impératives du droit international. Il maintient cette position.

Si le conflit entre la nouvelle disposition constitutionnelle et le droit international ne peut pas être évité, comme dans le cas de l'initiative «contre la construction de minarets» (art. 72, al. 3, Cst.), le droit constitutionnel nouveau l'emporte de l'avis du Conseil fédéral; si une initiative populaire contraire au droit international est adoptée, le traité concerné devrait éventuellement être renégocié ou, si ce n'est pas possible, dénoncé, afin d'éviter que la responsabilité internationale de la Suisse ne se trouve engagée (voir ch. 9.3.3).

Contrairement à ce que suggère le postulat 08.3765 de la Commission des institutions politiques du Conseil national, une initiative populaire qui viole des droits constitutionnels fondamentaux ou du droit international doit être mise en oeuvre. Il serait abusif, et même néfaste pour le processus politique, de soumettre une initiative à une votation mais de ne pas l'appliquer, ou de ne l'appliquer qu'en partie, après que le peuple et les cantons l'aient acceptée100.

96

Voir notamment Yvo Hangartner, Commentaire st-gallois, Zurich [etc.], 2e éd. (2008), ad art. 139, al. 2, no 29 et 30; également Luzius Wildhaber, Neues zu Gültigkeit von Initiativen in: Mélanges Aubert, 1996, p. 299; René Rhinow/Markus Schefer, Schweizerisches Verfassungsrecht, 2e éd., Bâle 2009, no 3602, ss; Grundzüge des Schweizerischen Verfassungsrechts, Bâle/Genève/Munich 2003, no 3191; Giusep Nay, Sollen Volksinitiativen ungültig sein, wenn sie nur gegen nichtzwingendes Völkerrecht verstossen?, Plädoyer 3/2007, p. 29, et Giovanni Biaggini, Das Verhältnis der Schweiz zur internationalen Gemeinschaft, PJA 6/99, p. 728.

97 Voir notamment les interventions des prof. Andreas Kley et Andreas Auer, auditionnés par la CIP-N le 21 août 2008, ainsi que Helen Keller et al., Volksinitiativen und Völkerrecht, ZBl 3/2008, p. 138; Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2e éd., Berne 2007, no 25 p. 543-544; Bernhard Ehrenzeller/Roger Nobs, Vorbemerkungen zu Art. 136­142, Commentaire st-gallois, Zurich [etc.], 2e éd. (2008), no 34; Robert Baumann, Der Einfluss des Völkerrechts auf die Gewaltenteilung, Zurich 2002, no 364.

98 Voir en particulier le message concernant l'initiative «oui à la protection des animaux», FF 2004 3087 s., où le Conseil fédéral rejette la proposition de la doctrine d'étendre la notion de règles impératives du droit international aux «normes internationales impératives de facto», ainsi que le message relatif à l'initiative «pour des naturalisations démocratiques», FF 2006 8489 s.

99 Rapport du 20 décembre 2006 sur les conditions de validité des initiatives populaires et les limites matérielles à la révision de la Constitution fédérale, non publié.

100 Yvo Hangartner, in: Bernhard Ehrenzeller/Philippe Mastronardi/Rainer J. Schweizer/ Klaus A. Vallender (éd.), Die schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, 2e éd., Zurich/Bâle/Genève 2008, ad art. 139 (nouveau) no 35.

2132

Une partie de la doctrine considère qu'il importe dans ces cas de communiquer le plus clairement possible, dès le stade du message, qu'en cas d'acceptation, l'initiative ne pourra pas être mise en oeuvre totalement, et qu'elle devra être interprétée de manière à ne pas violer les obligations internationales de la Suisse101.

Il faut en outre garder à l'esprit, de l'avis du Conseil fédéral, que l'interprétation conforme au droit international n'est qu'un élément de l'interprétation du droit constitutionnel102. La mise en oeuvre d'une initiative populaire doit se faire dans le véritable sens de celle-ci, même s'il doit en résulter une violation des obligations internationales de la Suisse. Il est important que la brochure des explications du Conseil fédéral indique ce dernier point, mais le peuple et les cantons doivent apprécier eux-mêmes s'ils entendent accepter ou non un tel texte. Comme on l'a vu, les autorités sont tenues de mettre en oeuvre l'initiative en en respectant l'esprit si elle est acceptée. Si elles parviennent à la conclusion qu'une mise en oeuvre conforme n'est pas possible, et que la dénonciation du traité ne peut pas être envisagée, quelle qu'en soit la raison, elles resteront alors face à un conflit direct entre une disposition constitutionnelle et une règle internationale. Or on a vu qu'un tel conflit devrait être évité. Une voie possible est l'extension des motifs d'invalidité des initiatives populaires, laquelle est susceptible de prendre plusieurs formes.

9.6.1.2

Violation de dispositions du droit international qui sont d'une importance vitale pour la Suisse

Une première solution consisterait à déterminer un autre ensemble de normes du droit international, à la place ou en sus des règles impératives du droit international, constituant une limite matérielle aux initiatives populaires. La proposition de ce type la plus récente émane du prof. Keller. Cet auteur propose de remplacer le critère du respect des règles impératives du droit international par celui du respect des dispositions du droit international public «qui sont d'une importance vitale (vitaler Bedeutung) pour la Suisse»103. Cette solution présenterait l'avantage de prendre en compte l'existence de règles internationales, juridiquement dénonçables ou non, auxquelles la Suisse ne peut pas, politiquement, envisager de se soustraire. Elle permettrait en particulier de tenir compte de l'existence, reconnue par une partie de la doctrine, d'un jus cogens régional ou de normes internationales impératives de facto (voir ch. 8.7.1.1). Une telle disposition constitutionnelle serait donc susceptible d'empêcher qu'une initiative soit acceptée par le peuple et les cantons alors qu'elle ne pourra pas, ou que très partiellement, être mise en oeuvre, ou alors au prix de la dénonciation de traités. Toutefois, comme l'admet du reste l'auteur lui-même, le concept d'«importance vitale» est un concept ouvert, qui confère une très large marge d'interprétation à l'autorité chargée de l'appliquer. Pour cette raison, Keller n'envisage l'introduction de cette nouvelle limite matérielle qu'en lien avec un transfert de la compétence de se prononcer sur la validité des initiatives populaires de l'Assemblée fédérale vers un organe de type juridictionnel comme le Tribunal 101

Andreas Auer/Bénédicte Tornay, Aux limites de la souveraineté du constituant: l'initiative «Pour des naturalisations démocratiques», PJA 6/2007, p. 746.

102 Ulrich Häfelin/Walter Haller/Helen Keller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 7e éd., Zurich 2008, no 90 ss.; selon ces auteurs, l'interprétation conforme au droit international est un cas spécial de l'interprétation systématique.

103 Helen Keller et al., Volksinitiativen und Völkerrecht: die Zeit ist reif für eine Verfassungsänderung, ZBl 3/2008, p. 149.

2133

fédéral ou une commission d'experts spécialisée (à créer). Cependant, même avec un pareil transfert de compétence, une telle condition de validité demeurerait largement impraticable, car difficilement justiciable par essence. On voit mal en effet sur quels critères juridiques pourrait se fonder un organe juridictionnel pour déterminer quelles dispositions de droit international public sont d'une importance vitale pour la Suisse. Une telle solution présenterait en outre l'inconvénient d'introduire une limitation supplémentaire des droits populaires, par rapport auxquels elle privilégierait au final le droit international.

9.6.1.3

Violation des dispositions internationales de protection des droits de l'homme (initiative parlementaire 07.477)

Une seconde solution pourrait être de compléter ou de remplacer le critère du respect des règles impératives du droit international par celui du respect des dispositions internationales de protection des droits de l'homme. Une solution de ce type est actuellement proposée par l'initiative parlementaire Vischer 07.477 «Validité des initiatives populaires», pendante devant les Chambres, laquelle demande de modifier la Constitution de manière à ce qu'une initiative populaire soit déclarée nulle lorsqu'elle contrevient aux dispositions du droit international public régissant les droits fondamentaux et les garanties de procédure.

Dans la mesure où elles concernent les dispositions internationales de protection des droits de l'homme, les propositions de ce type présenteraient l'avantage d'instaurer un certain parallélisme entre les limites imposées au constituant et celles imposées au législateur. En effet, en dépit de la clause d'immunité des lois fédérales, le Tribunal fédéral admet qu'il peut contrôler et, le cas échéant, ne pas appliquer une loi fédérale qui serait contraire aux dispositions internationales de protection des droits de l'homme, en particulier la CEDH. Si les dispositions internationales de protection des droits de l'homme, ou la CEDH elle-même, étaient mentionnées à l'art. 139, al. 2, Cst., le non-respect de ces normes par une initiative populaire serait lui aussi assorti d'une sanction. On éviterait en particulier le risque qu'une norme constitutionnelle soit adoptée alors qu'elle est en contradiction avec de telles dispositions.

Cependant, une telle solution n'est pas sans soulever plusieurs questions. Tout d'abord, il serait indispensable de définir les dispositions internationales visées d'une manière suffisamment précise, qui ne soit pas susceptible de créer des difficultés majeures d'interprétation. Ainsi, si l'on choisit de mentionner les dispositions internationales de protection des droits de l'homme, celles-ci incluront-elles les droits fondamentaux de nature socio-économiques, comme le droit au logement ou à l'instruction? Par ailleurs, si l'on se cantonne aux droits de l'homme, le problème posé par le caractère difficilement dénonçable, en tout cas politiquement, de certains traités de caractère économique tels que le traité OMC ne serait pas résolu. Enfin, plusieurs
conventions de protection des droits de l'homme disposent d'organes propres, dont la jurisprudence fait évoluer le contenu des droits garantis. Instaurer les dispositions de protection des droits de l'homme en tant que limite à la validité d'initiatives populaires reviendrait à se référer à ces droits tels qu'interprétés par les organes internationaux, ce qui ne facilitera pas la détermination, dans des cas concrets, de l'étendue de la protection conférée par tel ou tel droit.

2134

9.6.1.4

Enumération des règles internationales (importantes) ou des traités (importants) visés (postulat 08.3765)

Une variante de la solution précédente consisterait à remplacer ou compléter la condition du respect des règles impératives du droit international par une énumération des dispositions internationales auxquelles ne pourraient pas déroger les initiatives populaires ou les révisions constitutionnelles en général. Cette énumération pourrait prendre soit la forme d'une liste des traités internationaux que l'on entend ainsi immuniser (par exemple la CEDH, le Pacte II de l'ONU ou le traité OMC), soit celle d'une mention spécifique des dispositions internationales concernées. Une solution de ce type est envisagée par le postulat 08.3765 de la Commission des institutions politiques du Conseil national, lequel demande au Conseil fédéral d'étudier les conséquences pour la validité des initiatives populaires d'un élargissement de la notion constitutionnelle de «règles impératives du droit international» à celle de «règles importantes de la CEDH». Il serait possible d'invalider ainsi des initiatives populaires dont la mise en oeuvre est susceptible de poser de grandes difficultés mais cette variante, comme la précédente, ne pourrait être mise en oeuvre sans autres considérations.

Tout d'abord, il serait assez délicat de faire la liste des dispositions ou des conventions internationales concernées. Le choix des traités à intégrer dans cette liste serait politiquement délicat et ne manquerait pas de susciter la controverse. Par exemple, choisira-t-on uniquement des traités de protection des droits de l'homme, ou également des traités de nature économique (par exemple le traité OMC)? Si l'on adjoint à l'énumération des traités un critère matériel, comme le fait le postulat 08.3765, la difficulté consiste alors à énoncer un critère praticable. Se référer, comme le fait le postulat, aux «règles importantes de la CEDH» soulèverait des problèmes d'interprétation: que peut-on qualifier d'«important»? L'autorité chargée de trancher cette question devrait trouver des critères objectifs, faciles à appliquer, afin d'écarter tout risque d'arbitraire et d'éviter des décisions purement politiques.

Une telle solution aurait en outre comme conséquence d'instaurer une hiérarchie entre la CEDH et les autres traités multilatéraux de protection des droits de l'homme (par exemple les Pactes de l'ONU, la convention sur l'élimination
des discriminations raciales, la convention contre la torture, etc.), alors qu'au regard du droit international, tous les traités sont de même rang. Il faut cependant relever que la CEDH et son émanation ­ la Cour européenne des droits de l'homme ­ ont érigé un système fermé à l'échelon européen, qui diffère dans sa conception des traités universels sur les droits de l'homme. Cependant l'existence même d'un organe attaché à cette convention soulève de nouvelles questions: les droits garantis par la CEDH doiventils être pris en compte tels que la jurisprudence de la Cour de Strasbourg les a fait évoluer? Et si oui, dans quelle mesure? Ce bref exposé des problèmes le montre bien, un simple renvoi à cette convention ne permettrait pas de saisir avec une précision suffisante la portée des obligations liant la Suisse.

2135

9.6.1.5

Inapplicabilité de l'initiative populaire sur le plan juridique ou politique

Les autorités ont toujours suivi une pratique constante et claire concernant l'inapplicabilité des initiatives104. Une initiative est inapplicable, ou inexécutable, uniquement s'il n'est de facto pas possible de l'exécuter, c'est-à-dire quand il n'est matériellement pas possible de la mettre en oeuvre. Cette pratique a suscité des doutes, parfois fondés de manière convaincante, parmi les auteurs de doctrine105.

Quant à l'inapplicabilité juridique, les autorités ne la reconnaissent pas comme motif d'invalidation106. Aujourd'hui, la doctrine dominante se rallie à cette opinion107. En droit constitutionnel actuel, l'inapplicabilité politique n'est pas non plus reconnue.

Une modification de la Constitution serait nécessaire si l'on voulait pouvoir invoquer ces deux derniers motifs.

Or il serait difficilement envisageable d'introduire dans la Constitution des motifs d'invalidité aussi vagues. Comment définir l'«inapplicabilité juridique»? Aujourd'hui, ce critère n'est rempli que si l'initiative populaire viole les règles impératives du droit international. Faudrait-il y comprendre les traités non dénonçables? Qu'on les mentionne alors explicitement. Néanmoins, tous n'admettent pas que les traités conclus par une génération lient la génération suivante. La jurisprudence en la matière est trop peu consolidée pour que l'on puisse en tirer un critère applicable à l'invalidation des initiatives. Inclura-t-on alors les traités d'une importance particulière, comme le traité OMC, la CEDH, les accords bilatéraux avec l'UE? Nous entrons dans le domaine de l'appréciation politique. Très certainement, une initiative entraînant des coûts que la société ne pourrait supporter serait «politiquement inapplicable», mais il s'agit toujours de motifs politiques et non juridiques, c'est-à-dire de motifs de rejet plutôt que d'invalidation de l'initiative populaire108. Il est contraire à nos traditions démocratiques de dénier au peuple et aux cantons la possibilité de prendre des décisions politiques. Ce sont eux, et non le Parlement, qui devraient continuer de juger de la valeur politique d'une initiative populaire.

104

105 106

107

108

Rapport du 20 décembre 2006 sur les conditions de validité des initiatives populaires et les limites matérielles à la révision de la Constitution fédérale établi par l' l'Office fédéral de la justice à l'intention de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, non publié, p. 18.

Jean-François Aubert, Bundesstaatsrecht der Schweiz, Bâle/Francfort 1991, no 339 ss.

Rapport du 20 décembre 2006 sur les conditions de validité des initiatives populaires et les limites matérielles à la révision de la Constitution fédérale établi par l' l'Office fédéral de la justice à l'intention de la Commission des affaires juridiques du Conseil national, non publié, p. 18.

Voir par ex. Yvo Hangartner, St. Galler Kommentar, 2e éd, Zurich etc. 2008, ad art. 139 (nouveau) no 34; voir aussi les références dans Robert Baumann, Der Einfluss des Völkerrechts auf die Gewaltenteilung, Zurich 2002, no 373.

Voir Jean-François Aubert, Bundesstaatsrecht der Schweiz, Bâle/Francfort, 1991, no 341.

2136

9.6.2

Examen préliminaire de la validité des initiatives populaires

Une autre catégorie de solutions consisterait à modifier les règles régissant la procédure d'examen de la validité des initiatives populaires, sans forcément toucher aux règles matérielles de validité109.

9.6.2.1

Examen de la conformité au droit international avant la récolte des signatures (postulat 09.3118)

Dans cette optique, une première solution serait de prévoir, par le biais d'une révision de la loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (LDP; RS 161.1), un contrôle préalable de la conformité au droit international, qui se déroulerait au stade de l'examen préliminaire, autrement dit avant la récolte des signatures110. Ce contrôle matériel serait effectué parallèlement au contrôle formel qu'opère actuellement la Chancellerie fédérale. Cette dernière demanderait, dans le cadre de son examen formel de l'initiative, un avis sur la conformité matérielle avec le droit international.

L'Office fédéral de la justice, en collaboration avec la Direction du droit international public, serait chargé de l'établissement de l'avis, qui serait ensuite transmis par la Chancellerie fédérale aux auteurs de l'initiative111. Ceux-ci ne seraient cependant pas liés par cet avis et resteraient libres, s'il s'avérait que leur initiative est contraire à une norme de droit international, d'en modifier la teneur ou, au contraire, de ne rien y changer. Dans ce dernier cas, ils devraient mentionner la conclusion de cet examen préalable sur les listes de signatures.

Cette réforme permettrait d'atteindre trois objectifs: 1.

les auteurs de l'initiative populaire et les votants doivent être renseignés de manière compétente et crédible sur le fait que l'initiative enfreint ou non le droit international; la probabilité de voir présenter, aboutir et accepter des initiatives populaires contraires au droit international sera ainsi moindre;

2.

les règles proposées éviteront les frustrations qui peuvent naître lorsque les auteurs d'une initiative ont récolté des signatures de bonne foi et que, les Chambres fédérales ayant invalidé le texte, les signataires voient leurs espoirs déçus;

3.

en mettant les auteurs d'initiatives face à leurs responsabilités, on réduira les réticences que les Chambres fédérales pourraient avoir à prononcer une déclaration de nullité pourtant justifiée.

Le Conseil fédéral et le Parlement ne seraient pas liés par le résultat de l'examen matériel. S'ils le contestaient, ils devraient mesurer leurs arguments à ceux avancés dans l'avis, mais le débat politique durant la récolte des signatures pourrait aussi 109

Signalons que la Principauté de Liechtenstein, par exemple, connaît depuis 1992 un contrôle préalable de la conformité au droit international des initiatives populaires.

110 Art. 69 LDP.

111 Dans le cadre de la mise à jour de la Constitution, le Conseil fédéral avait examiné la possibilité d'instaurer un contrôle préalable par le Tribunal fédéral, mais avait rejeté cette solution pour des raisons de surcharge du Tribunal fédéral et de praticabilité. Voir FF 1997 I 491.

2137

enrichir la discussion. En effet, si les auteurs de l'initiative parent aux conclusions de l'avis par des arguments dignes de considération, le Conseil fédéral et le Parlement pourront en tenir compte. Si, au contraire, ils laissent paraître que la violation de règles impératives du droit international leur est indifférente, voire agréable, il sera plus facile de fonder la proposition d'invalider leur texte. Il sera probablement rare que le Conseil fédéral et le Parlement considèrent comme contraire au droit international une initiative qui avait été jugée conforme à celui-ci durant l'examen préliminaire, mais cette hypothèse n'est pas tout à fait à exclure. Ce pourrait être le cas si de nouveaux faits ou de nouvelles constatations se sont fait jour entretemps.

Pour concrétiser cette solution, il faudrait compléter l'art. 68, al. 1, LDP, qui énumère les indications que doivent contenir les listes de signatures, par une let. f formulée ainsi: «la conclusion de l'examen visé à l'art. 69, al. 3bis». L'art. 69 LDP, consacré à l'examen préliminaire, serait complété par un al. 3bis: «Elle (la Chancellerie fédérale) soumet le texte de l'initiative à l'Office fédéral de la justice pour examen de sa conformité avec le droit international. L'Office fédéral de la justice procède à cet examen en collaboration avec la Direction du droit international public. La conclusion de l'examen est mentionnée sur les listes de signatures.» Force est, cependant de constater que cette solution n'aurait qu'un impact limité, puisque l'avis sur la conformité de l'initiative populaire avec le droit international ne lierait pas ses auteurs. Fondamentalement, elle n'empêcherait donc pas le dépôt d'initiatives dérogeant intentionnellement au droit international.

9.6.2.2

Avis consultatif après l'aboutissement de l'initiative

Une seconde solution de nature procédurale serait de donner à l'Assemblée fédérale la possibilité de consulter le Tribunal fédéral au stade de l'examen de l'initiative populaire par le Parlement, avant de décider de sa validité ou de son invalidité. Il s'agirait donc d'un contrôle a priori, autrement dit avant la votation du peuple et des cantons. En ce qui concerne l'hypothèse d'un contrôle a posteriori, celle-ci sera examinée dans le cadre des initiatives parlementaires Studer Heiner 05.445 et Müller-Hemmi 07.476. Une variante possible serait de prévoir l'obligation pour l'Assemblée fédérale de consulter le Tribunal fédéral avant d'invalider une initiative populaire.

Bien que l'on puisse imaginer que l'avis du Tribunal fédéral lie l'Assemblée fédérale, tel ne serait pas le cas pas dans le système actuel de séparation des pouvoirs. De cette manière, le Parlement conserverait la compétence de prendre la décision finale quant à la validité d'une initiative tout en ayant la possibilité ­ ou l'obligation ­ de consulter une instance juridictionnelle capable de fournir un avis fondé et objectif sur les questions juridiques qui se posent dans ce contexte, notamment quant au contenu des règles impératives du droit international, à la compatibilité d'une initiative avec le droit international et à la possibilité d'une interprétation conforme. De plus, le Tribunal fédéral remplit déjà à satisfaction le rôle d'instance décisionnelle pour l'appréciation de la validité et, en particulier, de la conformité au droit fédéral, des initiatives populaires cantonales.

L'implication du Tribunal fédéral dans l'appréciation de la validité des initiatives populaires fédérales n'est pas une idée entièrement nouvelle, puisque le Conseil fédéral avait déjà proposé, dans le cadre de la réforme des droits populaires, d'intro2138

duire l'obligation pour l'Assemblée fédérale de le saisir en cas de doute sur la validité d'une initiative populaire, la décision du Tribunal fédéral liant alors le Parlement112. Cette proposition avait été rejetée par les commissions parlementaires compétentes, principalement pour cette raison que la décision sur la validité comporte toujours une composante politique, même si elle doit se fonder sur des critères juridiques, et que l'autorité la mieux à même de juger était donc l'Assemblée fédérale113. Cet argument garde sa validité aujourd'hui et le Conseil fédéral s'y est rallié.

On peut y ajouter le fait que conférer au Tribunal fédéral la compétence d'invalider des initiatives populaires reviendrait à instaurer un fragment de juridiction constitutionnelle, alors que, faut-il le rappeler, cette juridiction constitutionnelle n'existe pas en ce qui concerne les lois fédérales. Or on discerne mal pour quels motifs la souveraineté du Parlement et du peuple serait protégée dans un cas, et pas dans l'autre. De ce point de vue, il se justifierait de limiter l'intervention du Tribunal fédéral à un avis consultatif. Une proposition dans ce sens a déjà été examinée, puis rejetée il y a quelques années par la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats, pour des motifs relevant de la séparation des pouvoirs114.

9.6.2.3

Contre-projet obligatoire en cas d'initiative populaire nulle ou contraire au droit international

L'Assemblée fédérale peut élaborer un contre-projet direct pour «corriger», dans une certaine mesure, le texte de l'initiative et proposer ainsi aux citoyens, à titre d'alternative, une version conforme au droit international (art. 139, al. 3, Cst.; voir ch. 8.7.1.3). On pourrait faire de ce contre-projet une étape obligatoire lorsque l'initiative est contraire au droit international. Puisque les initiatives contraires aux règles impératives du droit international sont déclarées nulles et ne sont pas soumises au vote du peuple et des cantons, il suffirait de prévoir ce mécanisme pour les initiatives qui violent le droit international non impératif.

Cette solution offrirait aux citoyens la possibilité de voter sur un texte qui serait conforme au droit international tout en étant proche des intentions des auteurs de l'initiative. A seconde vue, cependant, elle présenterait de notables inconvénients.

L'Assemblée fédérale serait obligée d'élaborer un contre-projet même si elle désapprouvait totalement les buts visés et non plus uniquement lorsqu'elle le jugerait nécessaire politiquement. Elle serait en outre aux prises avec la nécessité de rédiger un texte qui, toutes autres considérations mises à part, serait susceptible de convaincre le plus grand nombre. Par ailleurs, certaines initiatives pourraient bien ne pas se prêter à l'élaboration d'un contre-projet conforme au droit international. Quant à l'initiative populaire elle-même, elle n'en serait pas moins soumise au vote, si bien qu'il n'y aurait aucune garantie que la Suisse n'adopte pas de droit constitutionnel contraire au droit international.

112 113

FF 1997 I 490 s.

Voir notamment Commission de la révision constitutionnelle du Conseil national, séance du 2.2.1998, et Commission de la révision constitutionnelle du Conseil des Etats, séance du 9.11.1998 (2).

114 FF 2001 4618

2139

9.6.3

Résumé

En conclusion, la réglementation actuelle en matière d'initiatives contraires au droit international laisse largement ouverte la question de la hiérarchie entre Constitution et droit international. Elle ne résout pas, en particulier, les difficultés causées par l'adoption d'initiatives populaires contraires au droit international non impératif.

Les solutions qui visent à résoudre ces difficultés en modifiant la réglementation actuelle sur la validité des initiatives populaires du point de vue matériel ­ en étendant ou en modifiant la limite matérielle que constituent les règles impératives du droit international ­ sont séduisantes à première vue. A y regarder de plus près, elles soulèvent nombre de questions juridiques et politiques. Elles ne conviennent en tout cas pas pour résoudre le problème simplement et à court terme. Le Conseil fédéral n'entend pas pour autant les exclure du débat. Il juge toutefois souhaitable d'étudier plus en détail leurs conséquences et d'évaluer leur faisabilité. Il chargera donc l'Office fédéral de la justice,la Direction du droit international public et la Chancellerie fédérale d'examiner cette option.

10

Conclusion

«La force d'un petit Etat, c'est avant tout son bon droit» ­ cette phrase énoncée par le Conseil fédéral en 1919 n'a rien perdu de sa pertinence 90 ans plus tard115. Le bon fonctionnement du système juridique international, le recours au droit plutôt qu'à la force, continuent de présenter un grand intérêt pour la Suisse. Il n'est pas niable que le droit international ait crû en importance du fait de la mondialisation, ni que le Conseil fédéral doive jouer un rôle directeur en matière d'affaires étrangères pour que la Suisse demeure capable d'agir sur le plan international. Les appréhensions de ceux qui craignent l'érosion des droits populaires, des prérogatives de l'Assemblée fédérale et des compétences cantonales se sont avérées sans fondement. Le Conseil fédéral et le Parlement, très tôt conscients des enjeux, ont renforcé la participation du peuple, des cantons et du Parlement aux processus de la politique extérieure de manière à trouver un équilibre aujourd'hui optimal entre la nécessité de présenter à l'extérieur un front uni et celle d'assurer la légitimation de cette politique au sein du pays.

Réponse au postulat 07.3764 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats du 16 octobre 2007 Ad question a La valeur du droit international pour la Suisse et au sein de notre ordre juridique: Les autorités fédérales lui accordent dans leur pratique une très grande valeur. Il est essentiel pour la Suisse, sur les plans économique, politique et militaire, que le droit international soit respecté (voir ch. 2). C'est pourquoi celui-ci occupe une place importante au sein de notre ordre juridique.

115

Rapport du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale du 11 décembre 1919 concernant les traités internationaux d'arbitrage, FF 1919 V 814.

2140

Ad question b Le remplacement du système moniste par un système dualiste: ce changement de système n'est ni opportun ni nécessaire, et ce pour plusieurs raisons (voir ch. 9.2).

­

Depuis ses débuts, la Suisse applique un système moniste, dont elle a tout lieu de se déclarer satisfaite. Adopter le dualisme reviendrait à surcharger la procédure législative car tous les traités devraient être transformés en normes nationales par la voie législative ordinaire.

­

La transposition du droit international recèlerait un risque de voir apparaître des contradictions entre les traités et les lois de transformation. La Suisse pourrait involontairement violer le droit international et voir sa responsabilité engagée. Ces contradictions seraient également source d'insécurité juridique. C'est pourquoi le Conseil fédéral s'est constamment opposé à l'instauration du dualisme.

­

Le passage du monisme au dualisme pourrait éveiller l'impression que la Suisse se réserve, à l'avenir, de ne pas respecter sur le plan interne les engagements pris au niveau international.

­

Comme nous l'avons exposé au début du présent rapport et dans la partie consacrée au droit comparé, les Etats dualistes ne sont pas moins tenus que les autres de respecter le droit international. Leur système ne les met pas à l'abri des tensions entre leur droit interne et le droit international. Comme le montre la confrontation entre les cas de l'Allemagne et des Etats-Unis, un Etat dualiste peut être plus ouvert au droit international qu'un Etat moniste (voir ch. 7.2 et 7.5). La portée pratique d'un abandon du monisme pour le dualisme ne serait pas très grande. En fin de compte, l'opposition monismedualisme ne porte que sur la validité interne du droit international.

­

Même dans les Etats dualistes, une partie assez conséquente du droit international, notamment le droit coutumier et, dans les Etats de l'UE, le droit communautaire, a une validité immédiate.

­

Le Conseil fédéral est d'avis que la théorie dualiste, qui exige une loi de transformation ou un ordre d'application, présente une certaine artificialité qui ne correspond pas à la vision pragmatique que la Suisse a du droit. Au contraire, on constate parmi les Etats une tendance à simplifier l'intégration du droit international dans le droit interne et à éviter les divergences, étant son importance croissante.

Ad question c Le rapport entre le droit international et le droit national: est décisif, outre la validité du droit international, le fait que les autorités nationales puissent appliquer une règle internationale directement sur le plan interne ou qu'il faille d'abord la préciser dans une loi (voir ch. 5.2). En Suisse, le droit international est directement applicable dès qu'il est suffisamment précis. L'Assemblée fédérale (ou, pour les traités qui relèvent de sa compétence, le Conseil fédéral) a néanmoins la possibilité de déposer une réserve indiquant que tel traité ou telle norme de ce traité ne sera pas directement applicable. Il n'est pas nécessaire d'adopter le système dualiste pour cela. En outre, le Tribunal fédéral applique le droit international avec une certaine réserve: le principe de légalité, à la lumière duquel il apprécie l'applicabilité directe, garantit que les compétences du Parlement et du peuple sont préservées (voir ch. 8.3).

2141

Le droit international prime en principe le droit national. Font exception le droit constitutionnel ultérieur directement applicable, les principes fondamentaux, le noyau central des droits fondamentaux et les lois fédérales par lesquelles l'Assemblée fédérale entend déroger intentionnellement au droit international (voir ch. 8.6).

Ce dernier cas, la jurisprudence Schubert, a fait l'objet de nombreuses études. Le Tribunal fédéral a fait évoluer la jurisprudence Schubert ces dernières années, notamment en ce qui concerne les droits de l'homme garantis au niveau international, qui prime toujours le droit national selon la jurisprudence récente.

La pratique de la Suisse reflète celle des Etats étudiés au ch. 7. Aucun n'accorde automatiquement la primauté au droit international. Il existe toujours, à juste titre, des mécanismes d'appréciation dans les cas d'espèce. Les tribunaux étant le mieux à même de chercher des solutions appropriées et pragmatiques aux problèmes qui se posent, cette tâche leur est confiée dans tous les Etats que nous avons étudiés ­ y compris la Suisse. Le Conseil fédéral est opposé à la codification de la jurisprudence Schubert, que ce soit au niveau légal ou constitutionnel (voir ch. 9.3.4). Cette mesure serait peu appropriée pour empêcher que des traités internationaux ne soient appliqués en Suisse, car la Suisse est tenue par ses engagements au niveau international, qu'elle suive ou non la jurisprudence Schubert. Le seul moyen d'échapper à ces engagements est de renégocier ou dénoncer les dispositions internationales concernées.

Ad question d Les décisions d'instances inférieures sur le rapport entre le droit international et le droit national doivent-elles pouvoir être soumises dans tous les cas au Tribunal fédéral afin de garantir une jurisprudence uniforme? Actuellement, il n'est pas possible, dans certains domaines, d'attaquer une décision d'une instance inférieure devant le Tribunal fédéral, et notamment dans le domaine de l'asile. Cette restriction est réglée dans la toute récente loi sur le Tribunal fédéral (voir ch. 8.8). Un des buts de cette révision totale était de décharger l'autorité judiciaire suprême de la Confédération. Elargir l'accès au Tribunal fédéral réduirait ces efforts à néant. Du point de vue du Conseil fédéral, il n'y a en outre aucune raison évidente
pour prendre une telle mesure. Il serait difficile pour les justiciables de comprendre pourquoi le Tribunal fédéral peut être saisi d'un recours pour examiner le rapport entre le droit international et le droit interne mais non pas pour examiner une violation des droits fondamentaux par le Tribunal administratif fédéral ou le Tribunal pénal fédéral dans les domaines où ces derniers statuent définitivement (voir ch. 9.5). Nous n'avons pas abordé, dans le présent rapport, la question d'une éventuelle extension de la juridiction constitutionnelle; elle sera examinée dans le cadre des initiatives parlementaires Studer Heiner 05.445 et Müller-Hemmi 07.476.

Réponse au postulat 08.3765 de la Commission des institutions politiques du Conseil national du 20 novembre 2008 En ce qui concerne la relation entre droit international et initiatives populaires, les règles impératives du droit international priment de manière absolue sur le droit interne, y compris le droit constitutionnel, peu importe qu'il soit antérieur ou postérieur. Même si l'étude de droit comparé (voir ch. 7) a montré que, parmi les pays étudiés, la Suisse était le seul à reconnaître explicitement une telle place aux règles impératives du droit international, le Conseil fédéral est d'avis qu'au vu de l'importance fondamentale des normes concernées, il importe de leur reconnaître une protection absolue. Pour cette raison, les initiatives populaires doivent également se 2142

conformer aux règles impératives du droit international. C'est ce qu'exprime l'exigence consacrée à l'art. 139, al. 2, Cst.

Dans beaucoup de cas d'initiatives populaires contraires au droit international non impératif, un tel conflit pourra être évité par le moyen de l'interprétation conforme.

Si une telle interprétation n'est pas possible, le constituant doit néanmoins conserver la possibilité d'adopter une disposition constitutionnelle contraire au droit international non impératif, laquelle doit, contrairement à ce que laisse entendre le postulat, être mise en oeuvre par les autorités. Le cas échéant, le traité concerné devra être renégocié ou dénoncé; en dernier recours, si de telles mesures devaient s'avérer trop difficiles à réaliser, la Suisse devra assumer les conséquences de la violation de ses obligations internationales.

Toute tentative d'introduire des limites plus strictes à la validité ou à la mise en oeuvre des initiatives populaires générerait des problèmes tant juridiques que politiques. Tel serait également le cas pour la solution préconisée par le postulat d'introduire les «règles importantes de la CEDH» comme condition de validité des initiatives populaires. Il n'en demeure pas moins que le Conseil fédéral ne souhaite pas exclure d'emblée un éventuel élargissement des limites matérielles à la révision de la constitution. C'est pourquoi il a décidé de confier au DFJP (OFJ), au DFAE (DDIP) et à la ChF le mandat d'examiner les différentes possibilités permettant d'éviter les contradictions entre les initiatives populaires et les engagements internationaux de la Suisse.

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