10.039 Message relatif à la loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées (Loi sur la restitution des avoirs illicites, LRAI) du 28 avril 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, Par le présent message, nous vous soumettons, en vous proposant de l'adopter, un projet de loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées.

En outre, nous vous proposons de classer l'intervention parlementaire suivante: 2007 P 07. 3459

Entraide judiciaire avec les «Etats défaillants» (N 05.10.2007)

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

28 avril 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2010-0417

2995

Condensé Les avoirs d'origine illicite de «personnes politiquement exposées» (PPE), posent à la fois un problème national pour la place financière suisse et un problème international en matière développement. Cette problématique concerne notre pays en particulier lorsque de tels fonds quittent les pays où ils ont été détournés et arrivent sur les places financières internationales, dont la Suisse.

La Suisse a réagi à cette situation dès la fin des années 1980, suite à plusieurs cas retentissants (Marcos, Abacha, Montesinos). Par sa politique proactive de restitution des avoirs, la Suisse s'est positionnée comme leader dans ce domaine. Concrètement, la Suisse a développé un système reposant sur deux piliers: celui de la prévention et celui de l'entraide. La prévention a été renforcée en liaison avec le secteur bancaire. La loi sur le blanchiment d'argent est l'un des principaux instruments du premier pilier. Le second pilier repose sur la loi sur l'entraide pénale internationale, qui autorise la collaboration avec d'autres Etats en vue de la saisie et de la restitution des avoirs d'origine illicite. Globalement, ce système donne de bons résultats. Au cours des quinze dernières années, il a permis à la Suisse de restituer près de 1,7 milliard de francs, soit bien davantage que n'importe quelle autre place financière.

Cela étant, le phénomène croissant des Etats dits «défaillants» a montré les limites du système, au travers des cas Mobutu et Duvalier. Le présent projet de loi est ainsi né des difficultés rencontrées par les autorités suisses pour restituer à de tels Etats les fonds bloqués en Suisse après le non aboutissement de la procédure d'entraide pénale internationale. Il vise à éviter que de telles situations ne se reproduisent et a également vocation à donner une issue aux cas de blocage décidés par le Conseil fédéral fondés sur l'art. 184, al. 3, de la Constitution qui, par hypothèse, seraient encore pendants au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce qui sera vraisemblablement le cas des avoirs Duvalier.

Concrètement, le présent projet de loi constitue une solution subsidiaire à la loi sur l'entraide judiciaire en matière pénale. A la différence du droit pénal, la loi proposée distingue la conduite d'une PPE et l'origine illicite de ses avoirs. Elle prévoit en effet une voie
différente de celle de la poursuite pénale de la PPE concernée, en ce sens qu'elle rend possible la confiscation d'avoirs d'origine manifestement illicite sans condamnation de la PPE. Le projet de loi comporte les trois instruments du blocage, de la confiscation et de la restitution pour résoudre les cas d'avoirs d'origine illicite de PPE déposés en Suisse, lorsque les Etats d'origine de ces avoirs sont dans l'incapacité de mener une procédure pénale qui réponde aux exigences de notre loi sur l'entraide pénale internationale. Pour ce faire, il prévoit une procédure devant le Tribunal administratif fédéral garantissant les droits des PPE concernées par un cas d'application de la loi. Le jugement issu de cette procédure, susceptible d'un recours auprès du Tribunal fédéral, permettra le cas échéant, après le contrôle d'un juge, la confiscation des avoirs d'origine illicite bloqués en vue de leur restitution transparente à leur Etat d'origine.

2996

Table des matières Condensé

2996

1 Présentation de l'objet 1.1 Introduction 1.2 Développements sur le plan international et positionnement de la Suisse 1.3 Cadre juridique actuel 1.4 Limites du cadre juridique actuel 1.5 Opportunité de modifier le cadre juridique actuel 1.6 Droit comparé 1.7 Projet de loi soumis à la consultation 1.7.1 But et Objet 1.7.2 Champ d'application 1.7.3 Présomption d'illicéité et confiscation 1.7.4 Prescription 1.8 Interventions parlementaires 1.9 Résultat de la consultation

2998 2998 2999 3001 3002 3003 3005 3006 3007 3008 3009 3010 3011 3011

2 Commentaire 2.1 Structure de la loi 2.2 Commentaire détaillé des dispositions de la loi

3012 3012 3013

3 Conséquences 3.1 Pour la Confédération 3.2 Pour les cantons

3028 3028 3028

4 Liens avec le programme de la législature

3028

5 Aspects juridiques 5.1 Constitutionnalité 5.2 Compatibilité et cohérence de la loi avec les obligations internationales de la Suisse 5.2.1 Convention européenne des droits de l'homme 5.2.2 Convention des Nations Unies contre la corruption 5.3 Relation avec le droit européen 5.4 Forme de l'acte à adopter

3028 3028 3030 3030 3031 3032 3032

Annexes 1 Résumé des cas les plus récents de restitution de valeurs patrimoniales d'origine illicite 2 Chronologie du blocage des avoirs Mobutu en Suisse (1997­2009) 3 Chronologie du blocage des avoirs Duvalier en Suisse (1997­2009)

3033 3036 3038

Loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées (Loi sur la restitution des avoirs illicites, LRAI) (Projet)

3041

2997

Message 1

Présentation de l'objet

1.1

Introduction

Lors de la chute de Ferdinand Marcos en 1986, le Conseil fédéral a démontré l'importance politique de premier plan qu'il attache à la lutte contre les abus qui menacent la place financière suisse. L'affaire Marcos a ainsi ouvert la voie à des blocages ordonnés dans les cas Duvalier en 2002 et Mobutu en 2003. De plus, le cas Marcos a été un des déclencheurs de la révision de la loi du 20 mars 1981 sur l'entraide pénale internationale (EIMP)1 afin de faciliter et de raccourcir les procédures d'entraide et de préserver la réputation de la place financière suisse.

Les efforts de la Suisse dans ce sens ne sont pas limités à l'entraide judiciaire. En coopération avec le secteur bancaire et la Commission fédérale des banques, aujourd'hui FINMA, un système a été mis en place qui renforce la prévention, l'identification, le blocage et la restitution des fonds illicites. Un pilier important de ce système est la loi contre le blanchiment d'argent. Cette loi permet de protéger la place financière suisse en prévenant l'entrée de fonds d'origine illicite. Elle prévoit de plus qu'une responsabilité accrue repose sur les banques quand elles sont confrontées à la problématique des personnes politiquement exposées (PPE) En cas de violation, elle permet enfin d'ouvrir les procédures pénales nécessaires. Si, en dépit de toutes ces mesures, des valeurs patrimoniales d'origine illicite de PPE trouvent leur chemin en Suisse, ces fonds peuvent être bloqués sur la base d'une demande d'entraide judiciaire ou bien conformément à un ordre d'un procureur ou d'un juge d'instruction en vertu des normes applicables en matière pénale.

Cependant, la confiscation, après le blocage d'avoirs illicites, qui ouvre la voie à la restitution, nécessite une décision judiciaire en Suisse ainsi que, en règle générale, dans le pays victime du délit, ce qui s'avère problématique avec les «Etats fragiles», dont le nombre est en augmentation2. Selon la banque mondiale, on entend par «États fragiles» les pays qui doivent relever des défis particulièrement importants en termes de développement, tels une faible capacité institutionnelle, une mauvaise gouvernance, une instabilité politique, et la violence fréquente ou les héritages d'un grave conflit passé3. Face à de tels défis, ces Etats sont fréquemment «défaillants» dans la bonne exécution de
procédures d'entraide judiciaire, soit par manque de capacité, mais aussi parfois de volonté politique. Dans de tels cas, il est en outre choquant que l'état de délabrement de l'appareil judiciaire d'un Etat bénéficie aux PPE qui ont contribué à cette déliquescence, voire qui l'ont initiée.

1 2

3

RS 351.1 En 2001, la Banque mondiale avait classé 17 Etats comme «fragiles». En 2007, leur nombre est passé à 33. Avec un taux de malnutrition de 50 % supérieur à la moyenne, une mortalité infantile de 20 % supérieure et une proportion d'enfants ayant terminé leur scolarité primaire inférieure de 18 %, les États fragiles sont les pays les moins susceptibles d'atteindre les objectifs de développement pour le Millénaire. Les pays sortant d'un conflit ont d'autant plus de mal à vaincre la pauvreté que le risque de reprise des hostilités est élevé. Selon les estimations de la Banque mondiale, 40 % d'entre eux risquent de retomber dans un conflit dans les dix années suivantes.

http://go.worldbank.org/D9DZGGZL60 http://go.worldbank.org/VP1X5HK6I0

2998

Dans de telles situations et lorsqu'une procédure d'entraide judiciaire ne peut aboutir, la Suisse doit alors débloquer des avoirs malgré le caractère notoire de leur origine délictueuse, comme dans le cas des avoirs Mobutu. Une telle issue comporte un important potentiel de dommage pour la place financière suisse et l'image de notre pays, ainsi que le démontrent les échos réguliers des médias internationaux: la Suisse est perçue comme favorisant les dictateurs ou leurs héritiers, au détriment de la lutte contre la corruption et l'impunité. En acceptant de donner suite au postulat Gutzwiller, le Conseil fédéral a exprimé sa volonté de parfaire le système développé depuis 1986 pour parachever sa volonté et rendre possible, sous de strictes conditions, la confiscation des avoirs de PPE d'origine illicite, en vue de leur restitution à l'Etat d'origine, par le biais de processus transparents.

1.2

Développements sur le plan international et positionnement de la Suisse

La Banque mondiale estime que ce sont chaque année entre 20 et 40 milliards de dollars qui sont détournés par le biais de la corruption d'agents publics, ce qui représente de 20 à 40 % du montant total de l'aide annuelle mondiale au développement4.

Sur la base de ce constat, on assiste depuis quelques années à une multiplication des initiatives en matière de recouvrement d'avoirs et de lutte contre l'impunité et la corruption.

L'Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) considère ainsi que «la corruption empêche directement les organismes donneurs et les pays bénéficiaires de l'aide d'atteindre leurs objectifs communs, notamment les Objectifs du Millénaire pour le développement»5. Le Groupe d'Etats contre la Corruption (GRECO) est une commission du Conseil de l'Europe créée le 1er mai 1999.

Elle a pour objectif d'améliorer la capacité de ses membres à lutter contre la corruption en évaluant dans quelle mesure ceux-ci respectent les normes du Conseil de l'Europe, grâce à un processus d'évaluation mutuelle et de pression par les pairs.

Pour sa part, le Bureau des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC) s'assure du suivi et de la mise en oeuvre de la Convention des Nations Unies contre la corruption (CNUCC)6 qui est entrée en vigueur en 2005. L'International association of anti-corruption authorities (IAACA) sert pour sa part de plateforme aux praticiens pour échanger leurs expériences en matière de lutte contre la corruption, pour expliquer ses pratiques et expériences en matière de recouvrement des avoirs.

A la fin 2007, la Banque mondiale et l'UNODC ont lancé conjointement la Stolen Asset Recovery Initiative (StAR)7, afin d'apporter un soutien technique et juridique facilitant le recouvrement d'avoirs d'origine illicite aux pays en développement. La question du recouvrement d'avoirs prend ainsi une importance grandissante sur la scène internationale, tant sous l'angle des politiques financières que des politiques de développement.

4

5 6 7

Stolen Asset Recovery (StAR) Initiative: Challenges, Opportunities, and Action Plan, The International Bank for Reconstruction and Development/The World Bank, Washington, 2007; http://siteresources.worldbank.org/NEWS/Resources/Star-rep-full.pdf L'OCDE lutte contre la corruption, OCDE Publications, Paris, août 2006, http://www.oecd.org/dataoecd/36/50/37418926.pdf La Suisse a ratifié ce texte le 24 septembre 2009; voir ch. 5.5.2.

http://www.unodc.org/unodc/en/press/releases/2007-09-17.html

2999

Pour sa part, la Suisse comptabilise déjà près de vingt ans d'expérience pratique en matière de recouvrement d'avoirs illicites. Au cours de cette période, elle a déjà restitué plus de 1,7 milliard de francs suisses d'avoirs d'origine illicite. Au niveau des experts, la Suisse occupe ainsi une place de premier plan en matière de recouvrement des avoirs. Pour continuer à se profiler comme leader dans ce domaine, il lui incombe toutefois de continuer à parfaire son dispositif légal. De cette manière, la Suisse s'engage en faveur d'une application universelle des règles et principes inhérents à l'entraide judiciaire, tout en s'engageant pour que les avoirs publics spoliés soient restituées au bénéfice de la population des pays d'origine de ceux-ci, même si leur Etat se trouve en situation de défaillance.

Consciente de ce besoin la Suisse a d'ores et déjà pris plusieurs mesures sur le plan international. La Suisse a ainsi joué un rôle moteur dans le processus d'élaboration de la CNUCC, notamment en présidant le comité de rédaction de l'art. 57 consacré au recouvrement d'avoirs. Aujourd'hui, cet engagement se poursuit afin que la Convention se développe comme un instrument efficace de la lutte contre la corruption. La Suisse intervient également dans d'autres enceintes multilatérales, comme par exemple l'IAACA. Elle apporte également son soutien financier et collabore avec l'initiative StAR. De même, elle soutient l'International Center for Assets Recovery (ICAR) de l'université de Bâle, lancé en 2006. Ce centre est dédié au renforcement de capacités du secteur de la justice, dans les pays en développement, dans le but de former des magistrats et des enquêteurs sur les procédures en matière de rapatriement de capitaux. Ces initiatives et forums internationaux ­ à l'instar d'évènements spécifiques comme le processus de Lausanne8 ­ sont autant de vitrines permettant à la Suisse de présenter et convaincre de la pertinence de son engagement.

La politique suisse en matière de lutte contre la criminalité économique des PPE a ainsi été développée et améliorée au cours des vingt dernières années. Elle forme aujourd'hui un système cohérent qui repose sur les cinq piliers suivants: I. Prévention de la corruption La lutte contre la corruption dans les Etats avec lesquels la Suisse coopère occupe une place
importante dans la politique extérieure et la politique de développement de la Suisse. Des mesures concrètes sont mises en place, p. ex. dans le cadre de programmes de bonne gouvernance9. Tous les traités de coopération contiennent une clause de lutte contre la corruption.

II. Identification des clients et de l'origine des fonds Les règles strictes de la législation contre le blanchiment d'argent obligent les banques suisses et tous les autres prestataires de services financiers non seulement à identifier les parties au contrat, mais aussi à déterminer qui sont les ayants droit économiques («Know Your Customer»). La législation suisse contre le blanchiment impose des obligations supplémentaires dans ce domaine en ce qui concerne les 8 9

Depuis 2001, le DFAE organise régulièrement à Lausanne des rencontres d'experts internationaux en matière de recouvrement d'avoirs d'origine illicite de PPE.

A titre d'exemple, la DDC fournit au Mozambique un appui à la décentralisation et à la démocratisation, un soutien aux ONG et à la promotion de structures de gouvernement décentralisées et d'instruments de planification participative. Pour d'autres activités, voir par ex.

http://www.deza.admin.ch/fr/Accueil/Pays/Afrique_orientale_et_centrale/Madagascar

3000

PPE. Les banques suisses sont considérées comme étant très impliquées dans la lutte contre les fonds illicites. Dans ce sens, elles se sont imposé, dès 1977, des obligations de diligence très strictes.

III. Communication et blocage Les banques et les autres intermédiaires financiers sont tenus de signaler toute transaction suspecte au MROS. Dans un tel cas, les comptes sur lesquels pèsent des soupçons fondés sont immédiatement gelés durant cinq jours pour que le cas puisse être examiné et éviter que les fonds ne disparaissent. Le secret bancaire suisse ne protège pas contre la poursuite des infractions, que ce soit en droit national ou au titre de l'entraide judiciaire. Des mesures complémentaires permettent d'éviter que les valeurs patrimoniales puissent être soustraites avant le dépôt d'une demande formelle d'entraide judiciaire par les autorités étrangères.

IV. Entraide judiciaire Lorsqu'un Etat fait une demande d'entraide qui répond aux exigences de la loi sur l'entraide pénale internationale, la Suisse lui fournit des informations sur les comptes suspects pour servir de moyens de preuve dans les procédures judiciaires.

V. Restitution de fonds La Suisse recherche, avec les Etats concernés, les moyens de restituer les valeurs patrimoniales à leurs propriétaires légitimes. Le but est que ces fonds ne repartent pas dans le circuit des flux financiers criminels après leur restitution. Si l'origine illégitime des fonds est manifeste, la Suisse a même la possibilité de les restituer sans décision de confiscation entrée en force et exécutable de la part de l'Etat concerné, comme dans le cas des avoirs Abacha10.

Grâce à ce dispositif, la Suisse, au cours des vingt dernières années, a pu restituer aux pays d'origine des fonds environ CHF 1,7 milliard, soit bien plus que d'autres places financières. La résolution, par des solutions innovantes et pragmatiques, des cas Marcos, Abacha, Montesinos, ainsi que ceux de l'Angola, du Kazakhstan et du Mexique, démontre que le cadre légal actuel permet de saisir et restituer la quasi totalité des avoirs d'origine criminelle de PPE11 bloqués dans le cadre de l'entraide judiciaire. Les cas Mobutu et Duvalier démontrent toutefois les limites de l'arsenal légal actuellement à disposition.

1.3

Cadre juridique actuel

Sur le plan national, la Suisse veille à faire évoluer son cadre légal afin notamment de trouver des solutions adéquates aux cas de recouvrement d'avoirs. Les principaux instruments légaux à disposition pour résoudre ces cas sont au nombre de quatre: L'EIMP, entrée en vigueur le 1er janvier 1983, a été révisée pour tenir compte de la durée jugée excessive de procédures d'entraide liées à certains cas retentissants, comme le cas Marcos. Cette révision, entrée en vigueur au 1er février 1997, tend avant tout à réduire la durée des procédures d'entraide judiciaire mais également à

10 11

Voir ATF 131 II 169 Pour un survol des cas les plus emblématiques de restitution, voir annexe 1.

3001

réglementer de manière claire la remise de valeurs et permettre la transmission spontanée d'informations.

La loi du 10 octobre 1997 sur le blanchiment d'argent (LBA)12, entrée en vigueur le 1er avril 1998, oblige les intermédiaires financiers à identifier d'éventuels fonds illégaux et à les communiquer au MROS (Money Laundering Reporting Office of Switzerland), le Bureau de communication en matière de blanchiment d'argent auprès de l'Office fédéral de la police (fedpol). Le but de la LBA est notamment de protéger la place financière suisse en prévenant l'entrée de fonds d'origine criminelle.

La Constitution (Cst.)13, entrée en vigueur le 1er janvier 2000, n'a pas pour vocation première de permettre de résoudre des cas liés au recouvrement des avoirs. Son art. 184, al. 3, Cst. (art. 102, ch. 8, de l'ancienne Cst.) prévoit cependant que «lorsque la sauvegarde des intérêts du pays l'exige, le Conseil fédéral peut adopter les ordonnances et prendre les décisions nécessaires. Les ordonnances doivent être limitées dans le temps». Le Conseil fédéral a à diverses reprises fait usage de cette prérogative pour bloquer des avoirs de PPE. Il a notamment décidé le gel des avoirs de l'ancien Président des Philippines, Marcos, en 1986, de l'ancien Président du Zaïre, Mobutu, en 1997 et de l'ancien Président haïtien, Duvalier, en 2002.

Le code pénal (CP)14 contient des règles générales concernant la confiscation de valeurs patrimoniales résultant d'une infraction (art. 70ss CP), lesquelles sont applicables en cas de procédure nationale ouverte par exemple pour blanchiment d'argent ou participation à une organisation criminelle (art. 305bis et 260ter CP). Ainsi, les fonds de PPE qui sont d'origine illicite pourraient être confisqués pour autant que dans le premier cas, l'origine délictueuse des fonds soit avérée et que, dans le second cas, la preuve de l'appartenance ou du soutien à une organisation criminelle soit apportée, malgré le renversement partiel du fardeau de la preuve prévu à l'art. 72 CP. Il convient néanmoins de préciser que dans un cas comme dans l'autre, la procédure nationale est tributaire de l'entraide judiciaire que l'Etat étranger est en mesure de lui fournir pour l'obtention de preuves suffisantes. Or, les Etats «défaillants» ne sont justement pas en mesure d'apporter une telle assistance.

1.4

Limites du cadre juridique actuel

Le cadre légal suisse a permis de résoudre de nombreux cas de blocage et de restitution d'avoirs d'origine illicite de PPE. Les cas Marcos, Abacha, Montesinos, ainsi que ceux de l'Angola et du Kazakhstan sont là pour le démontrer. L'ensemble de ces cas a en effet pu être résolu grâce à des solutions innovantes et pragmatiques. Toutefois, d'autres cas ont fait ressortir que les dispositions légales actuelles en matière d'entraide judiciaire ne permettent pas de faire face à tous les cas de figure. Certains « Etats défaillants » ne sont en effet pas toujours en mesure de mener les procédures judiciaires contre les PPE concernés. Cette situation peut souvent s'expliquer à la fois par l'état de délabrement de leur appareil judiciaire après des années d'instabilité politique ou de dictature et par l'influence que peuvent conserver dans le pays l'ancien chef de l'Etat et son entourage. Concrètement cela signifie que dans 12 13 14

RS 955.0 RS 101 RS 311.0

3002

de telles situations, la Suisse devrait débloquer des avoirs malgré le caractère notoire de leur origine délictueuse, celle-ci n'ayant pas été formellement constatée par jugement. Or, il va sans dire qu'une telle issue ne peut que nuire à l'image de la Suisse et de sa place financière.

Les cas Duvalier et Mobutu sont l'exemple de ces limites (cf. annexes 2 et 3). En outre, même dans les cas résolus avec succès, il convient de relever que la mise en place d'un monitoring a eu lieu sans que celui-ci repose sur une base légale claire.

Or, ce contrôle de la mise en oeuvre des restitutions est fondamental pour trois raisons au moins : d'abord, parce qu'il assure que les fonds ne retourneront pas dans le circuit des avoirs illicites ; ensuite parce qu'il contribue à renforcer et à crédibiliser la place financière suisse et, enfin, parce qu'il tend à assurer que les populations locales puissent finalement bénéficier des fonds restitués, par le biais de programmes d'aide au développement, dans le domaine de la santé et de l'éducation notamment.

Ainsi, la législation en vigueur ne permet pas de pallier les carences des «Etats défaillants». Il paraît donc adéquat de réglementer par une loi administrative les cas de fonds bloqués en Suisse qui sont notoirement d'origine illicite mais ne peuvent être restitués au travers de l'entraide pénale internationale parce qu'il est manifeste que le dysfonctionnement du système judiciaire d'un pays donné est la cause de l'impossibilité à mener une procédure d'entraide judiciaire satisfaisant aux standards et conditions de l'EIMP.

1.5

Opportunité de modifier le cadre juridique actuel

Avant d'envisager la rédaction d'une nouvelle réglementation spécifique, l'opportunité et les possibilités de modifier l'une ou l'autre des dispositions légales existantes en droit suisse ont été examinées.

La cause principale des problèmes rencontrés dans la remise d'avoirs saisis suite à une demande d'entraide judiciaire dirigée contre une PPE et son entourage est l'incapacité de l'Etat requérant et de ses autorités de poursuite pénale de fournir à la Suisse les éléments de preuve ou les décisions judiciaires nécessaires. Or, l'entraide judiciaire repose sur le préalable qu'un partenariat est possible entre l'Etat requis et l'Etat requérant. Si cette prémisse fait défaut, comme dans le cas des «Etats défaillants», cette loi ne peut fonctionner. Il en résulte qu'une modification de l'EIMP ne résoudrait pas ce problème.

Pour ce qui est de la LBA, la question de la restitution des avoirs ne peut ni ne doit être résolue dans le cadre de la LBA qui vise principalement la prévention et la protection de la place financière suisse, tout en étant également dépendante des aléas de l'entraide judiciaire avec les «Etats défaillants». Pour ces raisons, il ne convient pas de modifier cette loi qui n'est pas l'instrument légal idoine pour y introduire une disposition concernant la confiscation et la restitution des avoirs et, moins encore, leur monitoring.

S'agissant du CP, deux dispositions ont été examinées en particulier: celle sur le blanchiment d'argent (art. 305bis CP) et celle sur l'organisation criminelle (art. 260ter CP). Cette première infraction, présuppose notamment qu'un lien de connexité soit établi entre les fonds bloqués en Suisse et l'infraction préalable commise à l'étranger (Vortat). Or, l'établissement par l'autorité de poursuite pénale suisse d'un tel lien 3003

dépend des moyens de preuve que l'Etat étranger est en mesure de lui transmettre et, par conséquent, du bon fonctionnement de ses institutions nationales. Par conséquent, cette disposition ne permet pas de résoudre les cas complexes d'entraide judiciaire avec des «Etats défaillants», dont les institutions judiciaires ne fonctionnent plus. L'art. 260ter CP relatif aux organisations criminelles permet en conjonction avec l'art. 72 CP un renversement partiel du fardeau de la preuve. Aux termes de cette disposition, les valeurs appartenant à une personne qui a participé ou apporté son soutien à une organisation criminelle sont présumées soumises, jusqu'à preuve du contraire, au pouvoir de disposition de l'organisation et partant, sont susceptibles d'être confisquées. Toutefois, il n'en demeure pas moins que l'autorité de poursuite pénale doit prouver que la personne en cause a eu un comportement antérieur punissable (appartenance ou soutien à l'organisation criminelle), ainsi que l'a précisé le Tribunal fédéral dans son arrêt relatif aux avoirs Abacha15. Compte tenu du fait qu'il ne peut être complètement renoncé à la collaboration de l'Etat victime pour l'obtention de preuves suffisantes, ce qui soulève des difficultés avec les «Etats défaillants», il ne paraît pas adéquat de systématiser la pratique consistant à étendre l'art. 260ter CP à des régimes étrangers corrompus, dans le seul but de confisquer plus facilement des valeurs patrimoniales se trouvant en Suisse. En outre, d'un point de vue politique et diplomatique toutes les PPE dont les avoirs sont bloqués en Suisse ne sauraient être considérés uniformément comme membres d'une organisation criminelle.

Par ailleurs, l'introduction d'une nouvelle infraction incriminant la seule augmentation de patrimoine (enrichissement illicite) telle que la connaissent certains codes pénaux latino-américains16 ainsi que la CNUCC17 irait à l'encontre des principes fondamentaux du droit suisse, notamment celui selon lequel les organes de poursuite pénale doivent prouver tous les faits entraînant une sanction (à raison de la présomption d'innocence et de la maxime inquisitoire notamment). Une telle norme devrait en outre être applicable à tous les agents publics et autorités (suisses et internationaux) et supposerait des obligations étendues de déclarer leur
situation financière.

Une telle infraction implique ainsi un soupçon général à l'égard de toute PPE. De plus, une modification du CP concernant uniquement une catégorie de personnes étrangères (les PPE et leur entourage) et se trouvant normalement en dehors du territoire suisse, représenterait une mesure difficilement envisageable du point de vue du champ d'application ratione personae du CP. Pour ces motifs, une modification du CP n'est pas adéquate.

La Constitution n'a pas pour vocation première de permettre de résoudre des cas liés à l'entraide judiciaire internationale en matière pénale. Son art. 184, al. 3, permet au Conseil fédéral de prendre les mesures qui s'imposent pour sauvegarder les intérêts du pays. Vu toutefois son caractère exceptionnel, il ne saurait constituer une solution à long terme pour résoudre les cas infructueux d'entraide judiciaire. Il ne paraît en outre pas adéquat de le modifier ou d'introduire dans la Constitution une disposition

15 16 17

Cf. note 8, notamment cons. 9.1 Voir l'art. IX de la Convention interaméricaine contre la corruption.

Voir l'art. 20 de la CNUCC. L'infraction visée est toute augmentation substantielle du patrimoine d'un agent public que celui-ci ne peut raisonnablement justifier par rapport à ses revenus légitimes. L'art. 20 prévoit un renversement du fardeau de la preuve, l'agent public devant apporter la preuve que toute augmentation substantielle de son patrimoine provient d'une activité licite.

3004

supplémentaire qui autoriserait la confiscation d'avoirs bloqués dans le cas spécifique du non aboutissement de la procédure d'entraide judiciaire.

1.6

Droit comparé

La Suisse n'est pas le seul Etat à faire face à des problèmes similaires en matière de PPE. Parmi les Etats limitrophes de la Suisse, seuls l'Autriche et le Liechtenstein connaissent dans leur code pénal des mécanismes qui rendent possible la confiscation de biens provenant de crimes commis à l'étranger et pour lesquels il n'existe pas de juridiction autrichienne, respectivement liechtensteinoise, compétente. Les dispositions topiques du droit liechtensteinois sont identiques aux dispositions autrichiennes topiques (hormis la référence aux délits fiscaux)18. L'art. 20b, al. 2, (Verfall) du Code pénal liechtensteinois (CPL) prévoit ainsi que les valeurs patrimoniales qui résultent d'un acte punissable doivent être déclarées déchues lorsque l'acte en question est punissable en vertu des lois du lieu du délit, même si l'acte ne tombe pas sous le coup des lois pénales liechtensteinoises en vertu des §§ 62 à 65 CPL et qu'il ne constitue pas un délit fiscal («Vermögenswerte, die aus einer mit Strafe bedrohten Handlung stammen, sind für verfallen zu erklären, wenn die Tat, aus der sie herrühren, auch durch die Gesetze des Tatorts mit Strafe bedroht ist, aber nach den para 62 bis 65 nicht den liechtensteinischen Strafgesetzen unterliegt, und kein Fiskaldelikt darstellt»).

Ainsi, selon le CPL, les avoirs provenant d'un comportement pénalement répréhensible en droit liechtensteinois et en droit étranger, doivent être confisqués même lorsque la compétence de poursuivre de l'Etat liechtensteinois n'est pas donnée et ce, quelle que soit l'infraction commise. Cet article exige en outre que les faits justifiant la mesure de confiscation, plus précisément l'origine criminelle des fonds (au sens de son al. 2), soient prouvés par l'autorité de poursuite pénale. Or, pour ce faire, les moyens de preuve doivent être apportés par l'Etat où l'infraction à l'origine des fonds à confisquer a eu lieu. En d'autres termes, l'obtention de moyens de preuve dépend, là aussi, de la coopération de l'Etat requérant ou lésé. Par conséquent, le non-rattachement territorial ou personnel prévu par le droit liechtensteinois ne permet pas de passer outre les conditions de preuve précitées mais permet uniquement de procéder à une confiscation sans ouvrir de procédure nationale contre une personne déterminée alors que l'Etat étranger
n'est pas à même de rendre un jugement.

Or, l'autorité suisse ne peut procéder à une confiscation autonome que lorsqu'elle est compétente en vertu des art. 3 à 7 CP ou en vertu d'une norme spéciale19, et non uniquement en raison du seul lieu de situation des valeurs20. Le droit suisse ne permet ainsi pas une confiscation indépendante au sens du droit liechtensteinois. Il serait en soi possible de l'instaurer mais cela ne résoudrait pas le problème essentiel auquel tant les droits liechtensteinois que suisse sont confrontés, soit la preuve suffisante de l'origine criminelle des fonds en question. En outre, contrairement au 18

19 20

L'art. 20 du Code pénal autrichien renferme des principes généraux concernant la confiscation des gains illicites. Son par. 4 prévoit en particulier la possibilité de confisquer à toute personne ­ y compris à une personne morale ­ qui profite illégalement d'une infraction criminelle commise par une autre personne la valeur des gains ainsi obtenus.

Loi du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants, RS 812.121 ATF 128 IV 145, cons. 2c

3005

droit liechtensteinois (ou autrichien), le droit suisse prévoit déjà un plus grand nombre de possibilités d'effectuer une remise des biens provenant d'actes qui ne sont pas soumis à la juridiction suisse. Tel est notamment le cas des valeurs mises sous séquestre, qui peuvent être remises à l'Etat requérant en vue de leur confiscation ou de leur restitution à l'ayant droit dans ce même Etat (art. 74a EIMP). La remise a lieu en principe sur la base d'une décision de confiscation exécutoire prononcée dans l'Etat requérant. Par exception, elle peut avoir lieu si la provenance illicite des fonds saisis est hautement vraisemblable.

C'est dire en d'autres termes que si la Suisse adoptait une disposition analogue à l'art. 20b, al. 2, CPL, ce type de confiscation primerait sur la règle de la restitution précitée (remise des biens à l'Etat), ce qui ne serait ni dans l'intérêt de l'image de la Suisse, ni dans celui de l'Etat lésé. En outre, une confiscation autonome de nature pénale ne permettrait pas de résoudre les problèmes pratiques qui se posent en matière de preuves dans des causes impliquant des «Etats défaillants». En conclusion, il ne paraît pas opportun de compléter le droit pénal avec une disposition qui s'inspirerait du modèle austro liechtensteinois.

La solution de la non conviction based forfeiture a également été examinée. Celle-ci est également appelée civil forfeiture dans les pays de Common Law. Comme son nom l'indique, cette procédure in rem permet de confisquer des avoirs en l'absence d'un jugement définitif et exécutoire de condamnation (in personam). Une telle procédure prévoit en règle générale un abaissement, voire un renversement, du fardeau de la preuve à charge des autorités de poursuite. Bien que peu de juridictions prévoient actuellement de telles confiscations civiles, on constate une tendance à l'augmentation de l'introduction de législations autonomes permettant le recouvrement d'avoirs d'origine illicite21. Cela étant, cette pratique ne résout pas le problème de l'entraide judiciaire avec les «Etats défaillants». Ce mode de procéder implique en effet le plus souvent la collaboration de l'Etat d'origine des avoirs, alors qu'il n'est pas en mesure d'apporter son appui. Par ailleurs, ces procédures civiles sont exclusivement de la compétence des tribunaux ce qui exclut le
recours aux prérogatives constitutionnelles de politique extérieure du Conseil fédéral. En outre, une telle législation autorisant en Suisse ce type de confiscation ne prendrait pas le relais des mesures de blocage décidées dans le cadre de l'entraide judiciaire et risquant d'être levées à raison de la fin de la procédure fondée sur l'EIMP. Elle n'aurait pas non plus vocation à prévoir des dispositions concernant les modalités de restitution des avoirs.

1.7

Projet de loi soumis à la consultation

Malgré ses améliorations constantes, le système légal en vigueur ne permet pas de pallier les carences des «Etats défaillants» dans les procédures d'entraide judiciaire internationale en matière pénale. Ce système est en effet basé sur un partenariat avec l'Etat requérant. Les lois actuelles ne se prêtent en outre pas à une modification permettant de parer à cette situation, pas plus que le droit comparé n'offre de solution adéquate. Il est par conséquent nécessaire de prévoir une nouvelle régle21

A titre d'exemple, on peut citer l'Afrique du Sud, Antigua et Barbuda, l'Australie, certaines provinces du Canada, les Etats-Unis, l'Irlande, l'Italie, le Royaume-Uni et la Slovénie.

3006

mentation spécifique qui règlera tous les aspects du problème par une base légale formelle, à savoir; le blocage, la confiscation et la restitution des avoirs. Compte tenu de la performance du système en place, il est du reste à prévoir que l'application future de cette loi sera extrêmement limitée. Il n'en reste pas moins qu'elle répond à un besoin avéré de compléter le système en place, dans le cas spécifique de l'entraide judiciaire avec les «Etats défaillants».

1.7.1

But et Objet

Le projet de loi a pour but de combler une lacune dans le dispositif légal existant pour combattre les fonds illicites des PPE. Il vise à assister les Etats les plus faibles dans leurs efforts de récupérer les fonds leur appartenant dans des situations où, sans cette loi, leurs efforts n'aboutiraient pas. Une telle approche permet également de préserver l'intégrité de la place financière suisse et de la protéger contre l'afflux de fonds d'origine illicites.

Ainsi, le projet de loi a pour objet le blocage, la confiscation et la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de PPE, lorsqu'une procédure fondée sur l'entraide judiciaire ne peut aboutir, à raison du caractère défaillant de l'Etat requérant. La loi proposée constitue une solution subsidiaire à l'EIMP et n'est pas destinée à ouvrir une voie parallèle à cette dernière. A la différence du droit pénal, elle distingue la conduite d'une PPE et l'origine illicite de ses avoirs. Elle prévoit en effet une voie différente de celle de la poursuite pénale de la PPE concernée, en ce sens qu'elle rend possible la confiscation d'avoirs d'origine manifestement illicite sans condamnation de la PPE. En fait, il appartient en premier lieu aux autorités judiciaires de l'Etat d'origine de poursuivre pénalement la PPE et, le cas échéant, de la condamner. C'est la raison pour laquelle la loi proposée distingue entre la PPE et ses avoirs.

Le projet de loi vise à: ­

donner une base légale au sens formel à la pratique du Conseil fédéral en matière de blocage d'avoirs, afin que ce dernier ne doive plus se fonder sur l'art. 184, al. 3, Cst.;

­

éviter la restitution aux ayants droit des comptes de valeurs patrimoniales d'origine illicite de PPE bloquées dans des procédures d'entraide judiciaire, à raison du caractère «défaillant» de l'Etat requérant, en prévoyant la confiscation des avoirs en question;

­

donner une base légale au sens formel et des lignes directrices concernant la restitution des valeurs patrimoniales confisquées au profit de l'Etat d'origine; le droit suisse ne connaît en effet aucune disposition réglementant ce point; tous les cas résolus par le passé ont fait l'objet de solutions de restitution ad hoc.

3007

Chronologiquement, ces trois éléments se déroulent comme suit, à partir du nonaboutissement d'une procédure d'entraide judiciaire: Conseil fédéral

Décision

Recours BLOCAGE

DFF

Action

Conseil fédéral

Négociations

1.7.2

Tribunal Recours administratif fédéral

Tribunal Jugement CONFISadministratif CATION fédéral

Recours

Etat d'origine Jugement RESTITUTION

Tribunal fédéral

Tribunal fédéral

Suivi par la Suisse

Champ d'application

Fondamentalement, le projet ne comporte pas de nouvelles activités ou compétences pour les autorités suisses, qui ont déjà par le passé, bloqué, saisi et restitué plusieurs centaines de millions de francs au profit de leur Etat d'origine, par le biais de procédure d'entraide judicaire. En revanche, le projet redéfinit le champ d'application de ces mesures pour l'étendre aux cas dans lesquels les procédures d'entraide judiciaire ne peuvent aboutir, à raison du caractère défaillant de l'Etat requérant.

Dans le cadre de l'entraide judiciaire, le caractère défaillant d'un Etat pose certes également problème lorsque la Suisse est elle-même l'Etat requérant. Tel est notamment le cas en matière de blanchiment ou de corruption commis en Suisse. La loi proposée ne couvre à dessein pas ce cas de figure. Fondamentalement, il convient d'éviter que la Suisse se substitue totalement aux autorités de poursuites des Etats tiers qui sont et doivent rester compétentes en matière de lutte contre la corruption et l'impunité. Une demande d'entraide judiciaire adressée à la Suisse est en effet le gage de la volonté politique d'agir de l'Etat requérant et de sa détermination à coopérer. Dans le cas où la Suisse serait non plus l'Etat requis mais requérant, une telle demande et par conséquent, une telle volonté ferait défaut.

La compétence de bloquer reste dévolue au Conseil fédéral, sans que ce dernier ait toutefois encore besoin de se fonder sur l'art. 184, al. 3, Cst. Comme avec cet article, le Conseil fédéral reste libre d'apprécier l'opportunité politique de déclencher la procédure en confiscation dont l'objectif est la préservation de la place financière suisse. Pour se faire, il se livrera comme actuellement à une pesée d'intérêts dans laquelle sont pris en considération les relations bilatérales, les chances de rétablissement de l'Etat de droit dans le pays requérant, des considérations d'ordre économique et sécuritaire.

Cela étant, la compétence prévue par l'art. 184, al. 3, Cst. reste intacte pour les cas qui n'entreraient pas dans le cadre de la nouvelle loi. Dans certaines situations d'urgence, l'expérience a en effet montré que le Conseil fédéral devait pouvoir 3008

bloquer provisoirement des avoirs, avant qu'une demande formelle d'entraide judiciaire ne soit déposée, dans le but d'éviter une délocalisation inopinée de ceux-ci, hors de Suisse et sauvegarder ainsi l'intégrité de la procédure22.

1.7.3

Présomption d'illicéité et confiscation

La loi permet à l'Etat de bloquer puis confisquer des valeurs patrimoniales déterminées appartenant à des PPE ou à leur entourage. La saisie d'avoirs appartenant à une PPE ou à son entourage constitue une forme de confiscation relativement nouvelle.

Cela étant, il convient de replacer cette question dans le contexte de la protection de la place financière suisse et des intérêts des pays spoliés par des PPE.

L'objectif de la loi est de permettre de confisquer de tels avoirs d'origine illicite plutôt que de devoir laisser leur ayant droits en disposer, suite au non-aboutissement de la procédure d'entraide judiciaire. Pour confisquer, par exemple, un million de francs déposé en Suisse par un ancien Chef d'Etat notoirement corrompu il faut qu'une procédure d'entraide ait lieu et conduise à un jugement qui confirme l'origine illicite de ces avoirs. Or, l'entraide judiciaire avec les «Etats défaillants» n'aboutit le plus souvent pas à un tel jugement, mais au contraire à une décision négative. Celle-ci implique le déblocage des avoirs au profit de leur ayant droit, soit dans cet exemple un ancien Chef d'Etat notoirement corrompu. Une telle issue n'est satisfaisante sur aucun plan. Elle nuit en outre lourdement à l'image de la place financière suisse.

C'est sur la base de ces éléments que la solution proposée consiste ainsi à rendre possible la confiscation de valeurs patrimoniales sans qu'il soit nécessaire à la Suisse d'obtenir la preuve de leur origine illicite. Le fait que les ayant droits de ces valeurs ne soient pas en mesure de démontrer avec une vraisemblance prépondérante leur origine licite justifie leur confiscation. Cette conception repose sur l'idée que des valeurs patrimoniales qui sont soumises au pouvoir de disposition d'une PPE notoirement corrompue ou de son entourage sont, selon toute probabilité, d'origine illicite, à l'instar des fonds appartenant à un membre d'une organisation criminelle23.

Sous l'angle de la technique juridique, il s'agit là d'une présomption d'illicéité soumise à certaines conditions. Cette exception n'est en outre pas la première que connaît le droit suisse, ainsi que le démontre les art. 72 CP et 87, al. 2, de la loi du 26 juin 1998 sur l'asile (LAsi)24. Par ailleurs, en matière de diffamation (art. 173 CP), il n'est pas non plus nécessaire de prouver que
les allégations de l'inculpé sont mensongères; il incombe au contraire à celui-ci de se disculper en prouvant l'exactitude de ses propos. Plus spécifiquement, la réglementation proposée s'apparente surtout à la présomption de propriété fondée sur la possession, qui est réglée à l'art. 930 du code civil (CC)25: conformément à cette disposition, elle-même basée sur le principe de la bonne foi énoncé à l'art. 2 CC, le possesseur d'une chose mobilière en est présumé propriétaire. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il est toutefois exclu d'invoquer cette présomption lorsqu'il s'agit d'une possession 22

23 24 25

Dans les affaires Marcos en 1986 et Mobutu en 1997, un blocage d'urgence des valeurs qui se trouvaient en Suisse avait été nécessaire, en attendant que la Suisse reçoive une demande d'entraide judiciaire et pour éviter la disparition ces biens.

Voir à ce sujet l'ATF 131 II 169 rendu dans le cas Abacha.

RS. 142.31 RS 210

3009

dite «équivoque»26. Cette forme de possession existe lorsque les circonstances entourant l'acquisition de la possession ou l'exercice de la maîtrise sont peu claires et que des doutes subsistent quant à la validité juridique du titre d'acquisition. Dans ce cas il incombe au possesseur de prouver le caractère légitime de l'acquisition.

Le projet de loi préconise une solution analogue: lorsqu'il est établi par le biais d'une demande d'entraide judiciaire préalable qu'une PPE serait corrompue et aurait bénéficié d'un accroissement exorbitant de son patrimoine, il convient pour le moins de la suspecter d'avoir illicitement acquis les valeurs patrimoniales bloquées. En un certain sens, il s'agit d'une contamination des valeurs patrimoniales par la PPE concernée, contamination découlant de son comportement suspect antérieur. Dans ces conditions, il paraît raisonnable d'imposer à la personne concernée l'obligation de démontrer que ce soupçon est infondé.

La personne concernée peut éviter la confiscation en renversant la présomption, c'est-à-dire en démontrant l'origine licite des valeurs patrimoniales. Si la personne concernée parvient à établir comment elle s'est enrichie de manière légale, la présomption tombe. L'art. 2 vise non seulement les valeurs dont la PPE touchée est propriétaire (al. 1), mais également celles que détiennent des proches (al. 2), soit des personnes morales ou physiques avec lesquelles la personne en question est en relation.

1.7.4

Prescription

Les cas d'avoirs de PPE posent fréquemment des problèmes liés à la prescription, compte tenu de la longueur des «règnes politiques» des personnes concernées (cf.

annexes 2 et 3). Dans l'affaire des fonds Duvalier, le Tribunal fédéral a déclaré que les conditions posées par l'EIMP en matière de prescription apparaissent trop strictes pour les affaires en matière de récupération d'avoirs de dictateurs déchus: «La longueur des procédures, les difficultés de preuve peuvent constituer des obstacles insurmontables. C'est dès lors au législateur qu'il appartient d'apporter les corrections et allègements nécessaires pour tenir compte des particularités de ces procédures»27.

La confiscation prévue par la présente loi repose sur l'illicéité au moment de l'acquisition des valeurs patrimoniales concernées (cf. art. 6, al. 1, let. b: «d'origine illicite»). Cette illicéité perdure indépendamment de la question de savoir si la personne qui s'est enrichie illégalement a été punie pour ses actes ou non. Le problème dans les Etats défaillants réside souvent dans le fait que c'est précisément la PPE qui détruit le système judiciaire de son propre pays ce qui empêche celle-ci de mener une procédure pénale. Si une telle PPE ne peut pas être pénalement sanctionnée à cause des défaillances judiciaires qu'elle a souvent elle-même provoquées, 26

27

Arrêt non publié du 16 septembre 2008, 5A_279/2008/ frs: «Une possession est équivoque, par exemple, lorsque les circonstances entourant l'acquisition de la possession ou l'exercice de la maîtrise sont peu claires ou susceptibles de plusieurs explications (ATF 71 II 255), ou lorsque les circonstances dans lesquelles le possesseur est entré en possession sont restées obscures et font plutôt douter de la légitimité du titre en vertu duquel la possession a été acquise (ATF 76 II 344). Il incombe au possesseur qui invoque la présomption de propriété d'apporter des explications suffisantes sur l'origine de sa possession (arrêt 5P.391/2006 du 18 décembre 2006 consid. 6).» Arrêt 1C_374/2009 du 12 janvier 2010, consid. 7.

3010

il faut au moins éviter qu'elle puisse garder le bénéfice de son enrichissement illégal. Comme la mesure de confiscation prévue par le projet de loi n'est pas une sanction pénale, il n'importe pas que l'acte illicite commis lors de l'acquisition soit encore punissable au moment de la confiscation. La prescription de l'action pénale n'a donc aucun effet sur l'origine illicite des valeurs patrimoniales (cf. art. 5, al. 3).

Celles-ci peuvent être confisquées malgré la prescription.

1.8

Interventions parlementaires

Dans le courant de l'été 2007, alors que la prolongation de la mesure de blocage des avoirs de Jean-Claude Duvalier et de son entourage faisait l'objet de nombreux articles de presse, trois interpellations28 et un postulat29, substantiellement très proches, ont été déposés. Ces interventions parlementaires ont toutes été acceptées par le Conseil fédéral.

Le postulat Gutzwiller demandait en particulier au Conseil fédéral de présenter un rapport qui expose la procédure à suivre lors de la restitution de fonds bloqués lorsque l'Etat auquel l'entraide judiciaire a été accordée n'est pas en mesure d'observer des procédures légales et respectueuses des principes élémentaires régissant les droits de l'homme. Le 12 septembre 2007, le Conseil fédéral a proposé d'accepter ce postulat et d'élaborer les bases légales nécessaires pour compléter, cas échéant, la législation actuelle.

Compte tenu de l'élaboration de la loi sur la restitution des avoirs d'origine illicite, le Conseil fédéral propose de classer le postulat.

1.9

Résultat de la consultation

Le 24 février 2010, le Conseil fédéral a décidé d'envoyer en consultation l'avantprojet de loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées (LRAI).

L'avant-projet a suscité un grand intérêt et 54 organisations intéressées ont pris part à la consultation. La très grande majorité d'entre elles a salué le but poursuivi et la ligne choisie par l'avant-projet. La nécessité et l'urgence d'une telle loi ont été soulignées dans plusieurs prises de position et de nombreux participants à la consultation ont expressément salué son application au cas Duvalier. Un parti et une organisation (UDC, Centre patronal) refusent par contre une telle loi par principe.

S'agissant de la concrétisation de la loi, des opinions divergentes se sont exprimées.

Les points particulièrement controversés ont été les suivants: Alors que divers participants à la consultation se sont exprimés en faveur de la subsidiarité de la procédure prévue par rapport à la procédure d'entraide judiciaire, d'autres ont estimé que l'avant-projet était trop étroit dans son champ d'application et se sont exprimés en faveur de son élargissement aux cas dans lesquels l'Etat d'origine ne peut ou ne veut effectuer une demande d'entraide judiciaire. Plusieurs 28

29

07.3336, Berberat Didier, Fonds Duvalier: combler les lacunes du droit suisse; 07.3324, Gysin Remo: Blocage des fonds Duvalier en Suisse; 07.3499, Marty Dick: Confiscation des biens de potentats; l'affaire Duvalier.

07.3459, Gutzwiller Felix: Entraide judiciaire avec les «Etats défaillants».

3011

participants ont souhaité une plus grande implication de la société civile, des victimes tout comme des ONG dans la procédure proposée. Certains participants ont critiqué la condition de l'avant-projet prévoyant que le Conseil fédéral ne peut décider du blocage que si la défense des intérêts de la Suisse l'exige. En effet, ils ont estimé qu'en l'occurrence il en allait principalement des intérêts de la population de l'Etat d'origine des avoirs. D'autres participants à la consultation ont, en revanche, salué cette condition.

S'agissant de la durée maximale de blocage, les opinions étaient divergentes. Alors qu'une part des participants à la consultation l'a considérée trop courte et a exigé une durée allant jusqu'à 10 ans, une autre partie a estimé que les 5 ans prévus sont trop longs et que 3 ans étaient suffisants. La proposition d'un possible arrangement à l'amiable a été rejetée par plusieurs participants à la consultation. Cette possibilité conduirait à ce qu'une partie des fonds bloqués ne soit pas restituée à la population.

Toutefois, d'autres voix ont, pour des raisons d'efficacité, salué cette possibilité.

S'agissant de la présomption de l'illicéité, une grande partie des participants l'a explicitement approuvée, alors qu'un nombre restreint s'est exprimé de manière sceptique voire contraire à son égard.

A propos de la disposition de l'avant-projet concernant les droits des tiers, plusieurs participants, provenant notamment des milieux économiques, l'ont considérée trop restrictive. En particulier, la limitation aux droits réels tout comme l'exigence d'une décision d'un tribunal suisse ont été critiquées. Avec cet avant-projet, la protection des tiers serait insuffisante. A l'inverse, certains participants à la consultation ont demandé une limitation des droits des tiers à un maximum de 20 % des avoirs concernés. De nombreux participants à la consultation ont souligné l'importance d'une restitution transparente et publique des valeurs concernées de même qu'un contrôle et un suivi de leur utilisation. A plusieurs reprises, il a été proposé que l'obligation de tels contrôles soit expressément stipulée dans la loi. Enfin, certains participants ont proposé que les frais de procédure ne soient pas déduits des avoirs confisqués, mais qu'ils soient mis à la charge des intermédiaires financiers.
Au vu de la procédure proposée, le Tribunal pénal fédéral a estimé qu'il devrait être déclaré compétent au vu du lien étroit existant avec les procédures d'entraide judiciaire précédentes. De son côté, le Tribunal fédéral a indiqué ne pas avoirs d'objections à faire valoir concernant le dispositif procédural de l'avant-projet. Sur le fond, le Tribunal administratif fédéral, quant à lui, ne s'est pas exprimé sur l'avant-projet.

2

Commentaire

2.1

Structure de la loi

La loi sur la restitution des avoirs illicites comporte 6 sections. La section 1 contient la disposition générale (objet). La section 2 définit les conditions du blocage des valeurs patrimoniales, sa durée, ainsi que la possibilité de conclure une transaction.

La section 3 définit la procédure et les conditions de la confiscation des valeurs patrimoniales, tout en réservant les droits des tiers. La section 4 est consacrée à la restitution des valeurs patrimoniales confisquées dont elle prévoit le principe et les modalités. La section 5 définit les voies de droit prévues et pose le cadre de la collaboration entre autorités. Enfin, la section 6 contient les dispositions finales (modi3012

fications nécessaires du droit en vigueur, dispositions transitoires et entrée en vigueur de la loi).

2.2

Commentaire détaillé des dispositions de la loi

Art. 1

Objet

Cette disposition définit dans ses grandes lignes l'objet de la loi. Elle pose le principe de la subsidiarité de la loi par rapport à l'entraide judiciaire. La loi ne peut s'appliquer que lorsqu'une demande d'entraide ne peut aboutir, comme dans les cas Duvalier et Mobutu, à raison de la situation de défaillance de l'Etat requérant et du fait que des valeurs patrimoniales de PPE sont bloquées en Suisse dans le cadre de cette procédure.

Art. 2

Conditions

D'un point de vue systématique, cette disposition codifie la pratique actuelle du Conseil fédéral en matière de blocage, fondée jusqu'alors sur l'art. 184, al. 3, Cst.

Même si la pratique du Conseil fédéral n'a pas été remise en cause par les tribunaux fédéraux30, l'application régulière de l'art. 184, al. 3, Cst. au cours des dernières années justifie l'édiction d'une base légale formelle pour codifier la pratique de bloquer à titre provisoire les valeurs patrimoniales.

Le blocage est la première des mesures prévues par la loi. Son but est d'éviter le départ des fonds en se substituant à la mesure de blocage prononcée dans le cadre de l'entraide judiciaire sur le point d'être clôturée à raison de la situation de défaillance de l'Etat requérant.

La définition de «situation de défaillance» retenue dans cet article reprend les termes de l'art. 17, al. 3, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale31. Cette définition est strictement limitée à la situation d'un Etat dans le cadre d'une procédure d'entraide judiciaire déterminée avec la Suisse. Il ne s'agit pas d'une évaluation politique ou économique générale, mais d'une qualification établie au cas par cas en fonction de la procédure en cause. En d'autres termes, c'est la capacité, respectivement l'incapacité32, de l'Etat requérant à mener une procédure pénale qui réponde aux critères de la loi sur l'entraide pénale internationale qui est examinée.

Même dans les situations les plus délicates, comme les cas Mobutu et Duvalier, la République démocratique du Congo et la République d'Haïti ont été en mesure de présenter à la Suisse une demande d'entraide suffisante pour bloquer les avoirs placés en Suisse. Ce n'est qu'au fil des années suivant le dépôt de la demande initiale que la situation de défaillance est devenue patente, notamment à raison de l'incapacité de l'Etat concerné à rendre un jugement définitif et exécutoire contre la 30 31 32

ATF 131 III 652; 132 I 229 (affaire Mobutu); arrêt du 14 mars 2008 du Tribunal administratif fédéral (affaire Duvalier).

RS 0.312.1 Le Message sur le Statut de Rome précise que «le Statut est conçu de telle sorte que la Cour n'intervient que lorsque les Etats ­ par volonté ou incapacité ­ ne remplissent pas le devoir consistant à entreprendre des poursuites pénales, à prononcer des condamnations et à fournir une assistance judiciaire». Message du CF du 15.11.2000 (FF 2001 359), p. 417; souligné par l'auteur.

3013

PPE concernée. L'exigence du dépôt préalable d'une demande d'entraide judiciaire ne paraît dès lors pas disproportionnée ou contradictoire avec la situation de défaillance de l'Etat requérant (cf. annexes 2 et 3). En outre, un tel acte est important car il permet de s'assurer que les autorités de l'Etat en question ont réellement la volonté politique de demander la restitution des biens.

Face à une situation de défaillance d'un Etat requérant, l'autorité compétente informera le DFAE de la clôture de toutes les procédures qui tombent sous la définition de cette loi (cf. art. 12). Une fois le blocage du Conseil fédéral décidé, les deux mesures de blocage se superposeront alors durant une brève période, jusqu'à ce que la décision mettant fin à la procédure d'entraide judiciaire soit devenue définitive et exécutoire. Un tel chevauchement est nécessaire en pratique pour éviter que les avoirs se retrouvent, même brièvement, à la disposition de leurs ayants droit. Des transferts de fonds sont en effet possibles aujourd'hui dans des laps de temps très courts qui rendent le maintien continu du blocage indispensable.

La notion de «valeurs patrimoniales» recouvre tous les biens de la PPE situés en Suisse, soit tant les objets matériels que les biens immatériels tels qu'un compte en banque. Il s'agit avant tout de l'argent liquide ou des produits financiers facilement négociables déposés en Suisse33, auxquels doivent s'ajouter les intérêts et autres produits rapportés par ces derniers, depuis la décision initiale de blocage. Comme les cas Duvalier et Mobutu l'ont démontré, il arrive également que la PPE possède en Suisse des immeubles ou des biens mobiliers déposés auprès d'une banque. La définition doit donc également couvrir ces cas en s'étendant biens mobiliers et immobiliers. En pratique, toutefois, les biens susceptibles d'être bloqués et confisqués en vertu de la LCAI seront ceux qui ont fait l'objet d'une mesure provisoire de saisie dans le cadre de la procédure d'entraide pénale internationale qui précède (cf.

art. 2, let. a).

La notion de «pouvoir de disposition» est analogue à celle figurant dans les dispositions du Code pénal sur la confiscation de valeur patrimoniales d'une organisation criminelle. Le pouvoir de disposition s'apparente à la notion de «maîtrise effective», soit la volonté de
posséder une chose en fonction des possibilités effectives données34. Ainsi en va-t-il par exemple d'un ayant droit économique au sens de la LBA qui, sous une forme ou une autre (par le biais d'une procuration, d'un trust ou d'un homme de paille, par exemple), a accès aux valeurs d'un compte bancaire dont il n'est pas le titulaire, et ce même s'il n'exerce son pouvoir de disposition que de manière médiate (par exemple au travers d'une société qui semble détenir seule le pouvoir de signature, mais qui est contractuellement tenue d'exécuter les instructions de son client). Toutes les relations possibles d'une personne avec ces valeurs sont ici visées. A titre exemplatif, on peut citer le détenteur de compte (Kontoinhaber), l'ayant droit économique (wirtschaftlich Berechtigter), comme le fondé de pouvoir (Bevollmächtigter) ou le fondé de procuration (Zeichnungsberechtigter).

33

34

Délimitations dans le domaine de la gestion de valeurs patrimoniales; http://www.finma.ch/archiv/gwg/f/dokumentationen/publikationen/gwg_auslegung/ pdf/48797.pdf Art. 72 CP et message y relatif, FF 1993 III 269 309.

3014

Les termes «personnes politiquement exposées» et «entourage» de PPE ne font pas l'objet d'une définition unique au plan international35. Le GAFI a par exemple posé une définition des PPE qui a significativement été reprise par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et d'autres autorités internationales de surveillance36.

L'Union européenne a également établi une telle définition des PPE37. Compte tenu des diverses définitions existantes, celles contenues dans la loi ont été reprises du droit suisse en vigueur par souci de cohérence, sans volonté toutefois d'exclure les définitions précitées des PPE. On retrouve ainsi dans le projet de loi une définition des PPE et de leur entourage reprise de celle retenue dans les ordonnances 1, 2 et 3 de la FINMA sur le blanchiment d'argent38. La notion d'entourage, déjà prévue par le droit suisse, est ici nécessaire puisque le but de la loi est de couvrir aussi les cas de transfert de patrimoines au sein de la famille, élargie ou non, de la PPE qui s'est enrichie au cours de son mandat politique. Au demeurant, et conformément aux principes du Groupe de Wolfsberg39, la loi ne vise pas l'ensemble des personnes exerçant ou ayant exercé une fonction publique, mais seulement des senior public functions, d'où l'expression «fonction publique importante» qui recouvre notamment le chef d'État ou de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats ou militaires de haut rang, ainsi que les dirigeants d'une entreprise publique ou les responsables de parti politique. Bref, il s'agit d'individus évoluant dans un environnement où le pouvoir, la politique et l'argent sont mêlés. D'un point de vue temporel, la loi vise aussi bien les PPE en exercice que celles qui ne sont plus en fonction, ainsi que cela ressort de la formulation «... occupent ou ont occupé ...». Cette durabilité de la qualité de PPE 35 36

37

38

39

Politically exposed persons, Refining the PEP definition, White paper produced by World-Check, 2e edition, 2008; http://www.world-check.com/whitepapers/2008/?page=1 La Recommandation 6 du GAFI prévoit ainsi qu' «une personne politiquement exposée (PPE) est une personne qui exerce ou a exercé d'importantes fonctions publiques dans un pays étranger; par exemple, de chef d'État ou de gouvernement, de politiciens de haut rang, de hauts responsables au sein des pouvoirs publics, de magistrats ou militaires de haut rang, de dirigeants d'une entreprise publique ou de responsables de parti politique.

Les relations d'affaires avec les membres de la famille d'une PPE ou les personnes qui lui sont étroitement associées présentent, sur le plan de la réputation, des risques similaires à ceux liés aux PPE elles-mêmes. Cette expression ne couvre pas les personnes de rang moyen ou inférieur relevant des catégories mentionnées ci-dessus».

L'art. 8, par. 3, de la Directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 octobre 2005 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme prévoit qu'on entend par «personnes politiquement exposées: les personnes physiques qui occupent ou se sont vu confier une fonction publique importante ainsi que les membres directs de leur famille ou des personnes connues pour leur être étroitement associées».

RS 955.022 (art. 1, al. 1, let. a); 955.032 (art. 3) et 955.033.0 (art. 2, let. d). Ces ordonnances instituent une obligation de diligence pour les intermédiaires financiers en matière de lutte contre le blanchiment d'argent vis-à-vis des entreprises et les personnes physiques lorsqu'elles sont «de manière reconnaissable» proches d'une PPE. Le projet de loi n'instituant pas une telle obligation de diligence, ce caractère «reconnaissable» des proches serait sans objet. C'est la raison pour laquelle elle n'a pas été reprise dans ce projet de loi.

Le Groupe de Wolfsberg regroupe les banques internationales suivantes: ANB Amro N. V., Banco Santander Central Hispano SA, Bank of Tokyo-Mitsubishi Ltd., Barclays Bank, Citigroup, Crédit Suisse Group, Deutsche Bank AG, Goldman Sachs, HSBC, J.P. Morgan Chase, Société Générale et UBS SA. Wolfsberg est le nom de la localité suisse où s'est tenue une
importante séance de travail visant à définir ces directives; voir aussi: Wolfsberg frequently asked questions («FAQs») on Politically Exposed Persons («PEPs»), the Wolfsberg Group, 2008; http://www.wolfsberg-principles.com/pdf/PEP-FAQ-052008.pdf

3015

après la fin de la fonction publique, sans limite de temps, est conforme aux recommandations de la Banque mondiale à ce sujet40.

Lorsqu'elles occupent toujours une fonction, ces personnes jouissent souvent d'une immunité fonctionnelle liée à celle-ci. Toutefois, le dépôt d'une demande d'entraide judiciaire implique de facto que l'Etat requérant a renoncé à l'immunité de la PPE concernée du fait de la procédure nationale menée à son encontre. Le droit international public qui règle les questions relatives aux immunités prévoit en effet qu'il appartient à l'Etat accréditant, soit plus généralement l'Etat qui a octroyé une immunité à une PPE, de décider si celle-ci doit être maintenue ou non41. Compte tenu du caractère subsidiaire de la loi par rapport à l'entraide judiciaire qui présuppose ellemême une procédure nationale, la question des immunités des PPE concernées n'a pas à être réglée dans la loi. Elle ne l'est du reste pas davantage dans le cadre de l'EIMP.

Quatre conditions cumulatives sont nécessaires pour que puisse se poursuivre le blocage de valeurs patrimoniales, jusqu'alors bloquées dans le cadre de l'entraide judiciaire:

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41

42

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La première de ces conditions est celle de l'existence préalable d'une procédure d'entraide judiciaire concernant une PPE ou un membre de son entourage et bloquant des valeurs patrimoniales. Cette procédure d'entraide est la preuve de la volonté de coopérer de l'Etat requérant. On peut également déduire de cette condition la subsidiarité du projet de loi par rapport à l'entraide pénale internationale.

­

La deuxième condition est celle de l'appartenance du pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales à une PPE ou un membre de son entourage.

Cette condition restreint le champ d'application de la loi aux cas problématiques des PPE impunies dans des «Etats défaillants».

­

La troisième est celle de l'incapacité de l'Etat d'origine à répondre aux exigences de la procédure d'entraide judiciaire à raison de sa situation de défaillance, de sorte que la demande d'entraide ne peut aboutir. Les situations visées ici sont de deux natures: d'une part, celles dans lesquelles l'Etat requérant n'est pas en mesure de fournir ­ par incapacité ou par volonté ­ la collaboration nécessaire comme, respectivement, dans les cas Duvalier et Mobutu, et, d'autre part, celles dans lesquelles la demande est irrecevable au sens de l'art. 2 EIMP42. Cette «situation de défaillance» calquée sur le Statut de Rome peut être retenue au cas par cas en fonction de la procédure en cause. En d'autres termes, c'est la capacité de l'Etat à mener une procédure pénale qui réponde aux critères de la loi sur l'entraide pénale internationale dans une affaire déterminée qui est examinée. Cette évaluation s'appuiera Politically Exposed Persons, A Policy Paper on Strengthening Preventive Meassures, Th. S. Greenberg, L. Gray, D. Schantz, M. Latham, C. Gardner, The World Bank, StAR, UNODC, 2009, pp. 31-32.

Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, art. 32 (RS 0.191.01); Cour internationale de Justice, arrêt du 14 février 2002, Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo c. Belgique), p. 26.

L'art. 2, let. a, EIMP prévoit que «la demande de coopération en matière pénale est irrecevable s'il y a lieu d'admettre que la procédure à l'étranger n'est pas conforme aux principes de procédure fixés par la convention européenne du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ou par le Pacte international du 16 décembre 1966 relatif aux droits civils et politiques».

3016

d'une part, sur le dossier de la procédure d'entraide et, d'autre part, sur des documents établis par des organisations internationales, telles que l'ONU ou la Banque mondiale.

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Art. 3

La quatrième condition est celle de la nécessité de sauvegarder les intérêts de la Suisse qui permet ainsi au Conseil fédéral d'exercer ses prérogatives de politique étrangère. Cette condition permettra à la Suisse d'éviter le risque d'être manipulée par des procédures d'entraide judiciaire qui ne seraient par hypothèse ouvertes dans des Etats requérants que pour des questions d'opportunisme politique. Elle permet également au Conseil fédéral de tenir compte des intérêts de politique étrangère au sens de l'art. 184 Cst., comme il l'a déjà fait dans les cas Mobutu et Duvalier.

Durée

En droit en vigueur, le Conseil fédéral prononce le blocage pour une période limitée dans le temps et renouvelle, le cas échéant, ce blocage avant son échéance. L'art. 3 prévoit en revanche que le Conseil fédéral ne se prononce qu'une fois sur le blocage et que celui-ci dure en principe jusqu'à ce qu'une décision quant à leur confiscation soit entrée en force. La disposition vise ainsi à donner un cadre temporel à la mesure qui est ainsi limitée quant à sa durée. Dans le même temps, elle pose implicitement comme finalité de la mesure de blocage, la confiscation des avoirs sur la base d'une décision judiciaire.

Le second alinéa prévoit un délai de cinq ans pour qu'une action en confiscation soit ouverte. Durant cette période, le DFAE peut ainsi réunir les éléments de preuve nécessaire au dépôt d'une action en confiscation tout en menant, cas échéant, en parallèle des négociations directes avec les ayants droit des valeurs bloquées, en vue d'une solution transactionnelle (art. 4). Le délai de cinq ans court à compter de l'entrée en force de la décision de blocage, soit, après épuisement de toutes les voies de recours ouvertes (voir art. 11). Cette durée de cinq ans est un compromis entre la durée de l'atteinte à la garantie de la propriété et le temps nécessaire à l'évolution de certaines situations politiques, comme l'a démontré le cas Duvalier.

Si les conditions matérielles du blocage (art. 2) ne sont plus remplies avant l'ouverture d'une action en confiscation ou le prononcé du jugement sur cette action (art. 5), le Conseil fédéral est compétent pour révoquer la mesure. Un tel cas de figure pourrait se produire par exemple en cas de reprise de l'entraide judiciaire. Si les conditions de l'art. 2 sont à nouveau remplies, le Conseil fédéral peut alors réordonner une mesure de blocage.

Art. 4

Solution transactionnelle

Lorsque le Conseil fédéral prend des mesures de blocage fondées sur l'art. 184, al. 3, Cst., il est fréquent que celles-ci soient accompagnées d'un mandat de négociations dévolu au DFAE.

D'un point de vue pragmatique, une solution négociée doit rester possible. Celle-ci permet en effet, en cas de succès, de raccourcir la procédure de blocage et de hâter la restitution des valeurs bloquées. Un tel mécanisme de négociation est mis en place par le DFAE en fonction des spécificités du cas et si les ayant droits des avoirs bloqués entendent s'impliquer dans ce processus. La clé de répartition des valeurs entre leur Etat d'origine et les ayants droit de celles-ci est négociée de cas en cas. La 3017

conclusion d'une solution transactionnelle validée par le Conseil fédéral permet de lever la mesure de blocage des valeurs patrimoniales. De la sorte, celles-ci peuvent être restituées selon les modalités convenues dans la solution transactionnelle, en appliquant par analogie les art. 8 à 10.

Art. 5

Procédure [de la confiscation]

Les cas d'entraide judiciaire avec les «Etats défaillants» posent de grandes difficultés en matière d'administration des preuves et d'établissement des faits. Le plus souvent, ces procédures ne débouchent ainsi sur aucun jugement ce qui rend la confiscation des valeurs patrimoniales impossible sur le plan juridique.

Pour pallier ce manquement, la loi proposée crée dans le premier alinéa une action procédurale nouvelle que le Département fédéral des finances (DFF) peut ouvrir auprès du Tribunal administratif fédéral, lorsque le Conseil fédéral lui en donne mandat, en principe sur proposition du DFAE, dans le but de pouvoir faire confisquer, par une autorité judiciaire les valeurs bloquées. La compétence formelle de représenter la Confédération dans la procédure est dévolue au DFF compte tenu de son expérience et de ses ressources humaines pour mener des procédures judiciaires. Le DFAE collaborera activement à celles menées dans le cadre de la présente loi.

Ainsi qu'on l'a vu ci-dessus, l'ouverture d'une action en confiscation sera en principe la règle, après qu'une mesure de blocage a été décidée par le Conseil fédéral. Il ne s'agit toutefois pas d'un automatisme. La procédure par voie d'action devant le Tribunal administratif fédéral se justifie pour garantir un déroulement correct de l'administration des preuves, notamment en ce qui concerne la preuve de la licéité de l'acquisition des valeurs patrimoniales (cf. art. 6, al. 2).

Le deuxième alinéa de cette disposition donne au Tribunal administratif fédéral la compétence pour confisquer, comme autorité de première instance43, les valeurs patrimoniales qui n'étaient jusqu'alors que bloquées. C'est cette décision de justice qui, une fois devenue définitive et exécutoire, opérera juridiquement le transfert de la propriété des valeurs patrimoniales en cause de son ou ses ayants droit à la Confédération, en vue de leur restitution. Pour ce faire, trois conditions cumulatives doivent être remplies:

43

­

La première condition implique que les valeurs patrimoniales en cause appartiennent à une PPE ou à son entourage. Il s'agit là d'un renvoi aux notions développées à l'art. 2, en ce sens que l'ayant droits économique de ces valeurs ou la personne qui en a le pouvoir de disposition est une PPE ou un proche de celle-ci. La notion retenue est volontairement ouverte car la loi vise toute forme de pouvoir de disposition, même indirecte.

­

La deuxième condition est celle de l'origine illicite des valeurs patrimoniales. L'«origine illicite» de valeurs patrimoniales découle du contexte dans lequel celles-ci ont été acquises. En ce sens, le fait que ces valeurs aient déjà fait l'objet d'une mesure de blocage dans le cadre de l'entraide judiciaire indique que les autorités chargées de l'entraide ont disposé de suffisamment d'éléments pour soupçonner ces avoirs de présenter des liens avec les infrac-

Cf. art. 44 de la loi sur le Tribunal administratif fédéral, RS 173.32.

3018

tions investiguées à l'étranger44, soupçons qui se seront confirmés par l'examen des moyens de preuves récoltés lors de l'exécution de la demande d'entraide étrangère ou lors d'une procédure pénale nationale menée pour les mêmes faits. L'autorité suisse saisie d'une demande d'entraide judiciaire ne peut que déterminer si, tel qu'ils sont présentés, les faits présentés dans la demande constituent une infraction45. Les valeurs patrimoniales en cause ne peuvent ainsi retrouver une origine licite de par le simple écoulement du temps, après le dépôt de la demande d'entraide ayant entraîné des mesures de contrainte.

­

La troisième condition est purement formelle. Seules les valeurs patrimoniales qui ont été bloqués par le Conseil fédéral en application de la loi ou antérieurement sur la base de l'art. 184, al. 3, Cst. (cf. art. 14) peuvent être confisquées.

Le troisième alinéa rappelle le principe selon lequel la prescription pénale n'empêche pas le prononcé de mesures administratives. Dans ce sens, il serait donc également possible que la loi trouve à s'appliquer, en conjonction avec l'art. 14, à un état de faits ayant débuté avant l'entrée en vigueur de celle-ci.

Le quatrième alinéa règle la procédure en confiscation en la suspendant pour le cas où l'entraide judiciaire reprendrait au sens de l'art. 3. Dans l'hypothèse où cette nouvelle procédure d'entraide judiciaire aboutirait, l'action en confiscation deviendrait sans objet et devrait être rayée du rôle.

Art. 6

Présomption d'illicéité

Cet article concerne les valeurs patrimoniales bloquées dans le cadre de la loi et sur lesquelles une PPE exerce un pouvoir de disposition au sens de l'art. 2 de celle-ci. Il pose les conditions auxquelles l'origine de ces valeurs est présumée illicite, dans le cadre de la procédure en confiscation. Les cas d'entraide judiciaire avec des «Etats défaillants» comportent de grandes difficultés en matière d'établissement des faits, d'obtention de moyens de preuve et d'un jugement définitif et exécutoire. A cela s'ajoute la complexité croissante des structures financières utilisées par les PPE pour rendre plus difficile à déterminer l'origine de leurs avoirs ainsi que pour brouiller les liens qui les unissent à ceux-ci.

Pour répondre à cette situation, la loi prévoit, à certaines conditions, de faire peser sur les ayant droits des valeurs patrimoniales bloquées l'obligation de démontrer avec une vraisemblance prépondérante la licéité de leur acquisition. C'est ainsi à ses derniers qu'incombe la tâche de démontrer l'origine licite des valeurs patrimoniales bloquées. Il s'agit là d'une solution pragmatique qui repose notamment sur le postulat que si les banques doivent connaître leur client («Know Your Customer»), les détenteurs de fonds doivent connaître l'origine des avoirs qu'ils possèdent («Know Your Assets») et par conséquent, pouvoir en établir l'origine. On relèvera qu'une telle inversion du fardeau de la preuve n'est pas étrangère au droit suisse, car un tel

44 45

Infractions qui, selon l'art 64, al. 1, EIMP, devraient également être punissables en Suisse si elles s'y étaient produites.

Arrêt du Tribunal fédéral du 12 janvier 2010 (1C_374/2009).

3019

mécanisme est déjà prévu pour la saisie de valeurs patrimoniales de requérants d'asile (art. 87, al. 2, LAsi)46.

A l'instar du droit de la propriété, des restrictions à l'égard des droits fondamentaux sont admissibles pour autant qu'elles reposent sur une base légale, qu'elles se justifient par des motifs d'intérêt public et qu'elles respectent le principe de la proportionnalité47.

La présomption d'illicéité de l'origine des valeurs patrimoniales est acquise, lorsque deux conditions cumulatives sont remplies:

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47

48

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Il s'agit en premier lieu de l'accroissement exorbitant durant l'exercice de la fonction publique de la PPE, du patrimoine de la personne qui a le pouvoir de disposition sur ces valeurs, au sens de l'art. 2. Deux cas de figure sont visés: celui où la PPE et la personne qui a le pouvoir de disposition sont un seul et même individu et celui où la personne qui a le pouvoir de disposition n'est pas la personne ayant exercé une fonction publique mais fait partie de l'entourage de celle-ci. Par «accroissement exorbitant», on entend une disproportion entre le revenu généré par la fonction publique et le patrimoine en cause telle qu'elle ne s'explique pas selon l'expérience normale et le contexte du pays. Une disposition similaire existe également dans la CNUCC qui retient la notion d'augmentation substantielle du patrimoine ne pouvant se justifier par des revenus légitimes48. Avec la notion d'«accroissement exorbitant» la loi proposée pose le degré d'enrichissement à un niveau plus élevé que la CNUCC. Elle étend en revanche le champ d'application de cette notion aux proches. Il s'agit d'une notion variable de cas en cas, dont l'appréciation sera soumise au contrôle d'un juge. Des éléments de preuve concrets doivent permettre de démontrer l'accroissement exorbitant de la fortune des personnes visées à l'art. 2 durant la période en cause. Tel serait ainsi le cas par exemple d'un ministre devenu millionnaire au cours de son mandat, alors qu'il ne l'était pas avant. Le cas d'un proche de PPE dont la société de construction d'infrastructures ou de livraison de services réaliserait de façon connexe au mandat en cause des bénéfices très élevés dans le cadre de marchés publics pourrait constituer un autre exemple possible. La notion d'accroissement ne vise pas en revanche l'augmentation de valeurs patrimoniales réalisée par exemple grâce à leur gestion adéquate par la banque où elles sont déposées.

­

La seconde condition est celle du degré notoirement élevé de corruption de l'Etat ou de la PPE en cause, durant la période d'exercice de son mandat publique. Par «degré notoirement élevé de corruption», on entend une évaluation de la situation fondée sur les éléments contenus dans les rapports Cet article prévoit que: «Les autorités compétentes peuvent saisir ces valeurs (...) si les requérants ou les personnes à protéger qui ne sont pas titulaires d'une autorisation de séjour: a. ne parviennent pas à prouver que les valeurs patrimoniales proviennent d'une activité lucrative, d'un revenu de substitution ou de prestations de l'aide sociale; b. ne parviennent pas à prouver l'origine des valeurs, ou c. parviennent à prouver l'origine des valeurs patrimoniales mais que la valeur de celles-ci dépasse le montant fixé par le Conseil fédéral».

Cf. Die Schweizerische Bundesverfassung, Kommentar, B. Ehrenzeller; P. Mastronardi, R. J. Schweizer, K. A. Vallender, Schultess, Zurich, Bâle, Genève, & Dike Verlag, Lachen, 2002, ad art. 36 Cst., p. 490 et ss.

Cf. art 20 CNUCC.

3020

d'organisations comme la Banque Mondiale ou Transparency International qui mènent des travaux de recherches et d'analyse en matière de corruption.

Des affaires comme celles des avoirs Duvalier ou Mobutu démontrent que la corruption est souvent l'une des conséquences de la situation de défaillance de l'Etat d'origine des avoirs. Dans le cadre de la présente loi, il peut être considéré que la corruption était notoirement répandue dans l'Etat d'origine de la PPE lorsqu'un certain nombre d'indicateurs le confirment. Pour ce faire, des faisceaux d'indices constitués de diverses sources crédibles permettront de considérer si cette condition est remplie ou non. Il s'agit en particulier de rapports d'organisations internationales et nationales, d'ONG locales ou internationales ou d'autres sources publiques comme la presse et les média, actives en matière de lutte contre la corruption ou dans la bonne gestion des affaires publiques (gouvernance). Ces faisceaux d'indices constitués de diverses sources crédibles permettront de considérer si cette condition est remplie ou non. A titre d'exemple, on peu citer des cas emblématiques comme Suharto, Mobutu ou Duvalier dans lesquels la corruption de ces personnes étaient notoirement élevées de même, au demeurant, que le niveau de corruption sous leur mandat de l'Indonésie, la RDC et Haïti49. Les agissements de nature criminelle qui ne tombent pas forcément sous la définition de l'infraction de corruption du droit suisse, mais qui constituent à un autre titre des actes de gestion déloyale des intérêts publics (par exemple soustraction, détournement ou autre usage illicite de biens par un agent public) doivent également pris en compte dans l'établissement de ce critère.

Le second alinéa de cette disposition prévoit le renversement de la présomption lorsque la licéité de l'acquisition des valeurs patrimoniales a été apportée «notamment en présentant les pièces utiles et en expliquant les transactions douteuses»50.

C'est précisément ce qu'il est attendu en l'espèce lorsqu'un ayant droit entend prouver l'origine licite des valeurs patrimoniales bloquées.

Art. 7

Droit des tiers

Cette disposition vise à garantir les droits des autorités suisses (let. a) et ceux des tiers de bonne foi (let. b) qui ont été acquis sur les valeurs patrimoniales confisquées. Elle est directement inspirée de l'art. 74a EIMP, dont elle reprend le principe.

Le but de cette disposition est de permettre aux autorités suisses ou aux créanciers de bonne foi d'obtenir le paiement de leurs créances avant que les biens ne soient restitués. Seuls peuvent s'en prévaloir les tiers à la procédure à la confiscation au bénéfice de droits réels et non les personnes ayant pouvoir de disposition sur les valeurs patrimoniales concernées, qui sont parties à la procédure.

La réserve des droits des autorités suisses est justifiée par le souci de ne pas léser les intérêts publics dont l'Etat pourrait se prévaloir sur les valeurs patrimoniales concernées. Ne pourraient ainsi faire l'objet d'une confiscation en vertu de la présente loi les biens par ailleurs objet de mesures de saisie dans le cadre d'une procédure pénale suisse. S'opposeraient également à une remise les droits acquis par une collectivité publique sur un immeuble pour les différentes taxes afférentes à celui-ci.

49 50

Voir l'arrêt du Tribunal pénal fédéral du 12 août 2009, RR.2009.94, cons. 3.2.3.

Arrêt de la Cour des Plaintes du Tribunal pénal fédéral du 26 septembre 2005, consid. 4 et les références citées.

3021

Les personnes privées ne peuvent s'opposer à la remise que moyennant la réalisation de différentes conditions cumulatives. Premièrement, la personne concernée ne doit pas faire partie de l'entourage de la PPE, le but de la loi étant précisément de couvrir les cas de transfert de patrimoines au sein de la famille, élargie ou non, de la PPE qui s'est enrichie au cours de son mandat politique. Deuxièmement, la personne doit avoir acquis son droit de bonne foi. Ce concept renvoie à la bonne foi de nature pénale, à savoir que la personne a acquis le bien dans l'ignorance des faits qui justifieraient sa confiscation51.Troisièmement, la personne doit avoir un lien particulier avec la Suisse, en y résidant ou en y ayant acquis le droit invoqué. Cette condition est également reprise de l'art. 74a EIMP. Finalement, le bien-fondé de sa prétention doit avoir été reconnu par une autorité judiciaire suisse.

Seuls les droits de nature réelle peuvent faire obstacle à la confiscation52. Ainsi, la banque pourrait-elle opposer à la confiscation les droits découlant d'un contrat de prêt garanti par les biens qu'elle a en dépôt et qui font l'objet de la procédure de confiscation, de même que le garagiste pourra obtenir préalablement le paiement des frais qu'il a encouru pour l'entreposage d'une voiture soumise à confiscation. Les droits de nature personnels, même doublés d'une mesure de séquestre civil, ne peuvent pas faire obstacle à la remise53.

Les conditions posées sont volontairement restrictives. La protection de la bonne foi des tiers est certes plus restreinte par rapport à ce que prévoit la lettre des art. 70 CP ou 74a, al. 4, let. c, EIMP. L'art. 7 est toutefois conforme à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral et du Tribunal pénal fédéral. Selon celle-ci, seul est en effet protégé le tiers qui jouit sur les valeurs à confisquer d'un droit de propriété ou d'un droit réel limité (notamment un droit de gage). En revanche, tel n'est pas le cas du tiers ne bénéficiant sur l'objet confisqué que de droits personnels de nature obligationnelle (bail, prêt, mandat, créance, fiducie, etc.) ou du détenteur économique qui n'est qu'indirectement touché par la mesure de confiscation. Cette limitation trouve à s'appliquer tant dans les procédures de confiscation nationales54 que dans les procédures d'entraide
internationale55.

Par ailleurs, une pesée des intérêts entre les créances des tiers de bonne foi et la finalité de la restitution des valeurs a été effectuée. L'expérience a en effet démontré que des tiers font parfois valoir sur le capital bloqué des titres juridiques dont la légitimité est discutable, par exemple sur la base de jugements étrangers ou de reconnaissances de dettes de complaisance difficilement vérifiables. Il convient donc d'éviter ici que le montant des valeurs ne soit atteint par des prétentions de tiers avec le résultat que le montant à restituer à la population de l'Etat d'origine ne soit substantiellement réduit et qu'une partie des fonds échappe en outre à tout suivi.

Les personnes qui remplissent les conditions précitées doivent être considérées comme des parties à la procédure de confiscation, et être appelées à y participer (art. 57 PA56).

51 52 53 54

55 56

Arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2007.26 du 9 juillet 2007, consid. 5.3.

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_166/2009 du 3 juillet 2009, consid. 2.3.4.

Ibid.

Arrêt du Tribunal fédéral 6S.298/2005 du 24 février 2006, consid. 4.1; Arrêts du Tribunal pénal fédéral BB.2008.58 du 06 octobre 2008, consid. 2.2 et BB.2008.6 du 14 avril 2008, consid. 2.1.

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_166/2009 du 3 juillet 2009, consid. 2.3.4; Arrêt du Tribunal pénal fédéral RR.2009.91-92 / RP.2009.7-8 du 7 avril 2009, consid. 2.2.2 d.

RS 172.021

3022

La confiscation poursuit un double but. D'une part, elle vise à permettre la restitution des valeurs patrimoniales acquises illicitement par des PPE ou leur entourage dans les cas où la procédure d'entraide pénale internationale n'a pas pu aboutir à une remise en vue de confiscation (art. 74a EIMP) en raison de la situation de défaillance de l'Etat d'origine. D'autre part, la confiscation a aussi pour fonction de sanctionner l'acquisition illicite de ces valeurs patrimoniales. La procédure de confiscation se distingue ainsi du cas tranché dans l'ATF 132 I 229 où le Tribunal fédéral estima que le blocage fondé sur l'art. 184, al. 3, Cst. poursuivait uniquement le but de sauvegarder l'image de la Suisse dans le monde. Dans la mesure où les valeurs patrimoniales ont été acquises illicitement, l'intérêt public à la restitution prime l'intérêt des créanciers à obtenir l'exécution de leur créance sur ces valeurs s'ils ne disposent pas d'un droit réel.

Art. 8

Principe

Depuis l'affaire des avoirs Marcos en 1986, la Suisse a restitué à plusieurs reprises des avoirs bloqués à leur Etat d'origine. On peut citer en exemple les cas Abacha (Nigeria), Montesinos (Pérou) et celui de certains avoirs de PPE angolais (Angola) et kazakhs (Kazakhstan)57. Comme le processus judiciaire lié à chaque cas, la restitution a pris des formes diverses, en fonction des spécificités de chaque situation ainsi que des attentes et possibilités des parties concernées. Dans certains cas, la Suisse n'était du reste concernée que du fait des avoirs placés dans les banques suisses, soit parce que l'entraide judiciaire lui a été demandée par un Etat tiers qui menait une enquête sur ces fonds (Kazakhstan), soit parce qu'un juge suisse menait lui-même une enquête dans notre pays, sans avoir recours à l'entraide judiciaire (Angola). La Suisse a cherché à ce que les valeurs restituées soient utilisées au profit des victimes de la corruption ou du détournement de fonds publics, à savoir, la population de l'Etat d'origine de ceux-ci. Des programmes d'intérêt public dans les domaines de la santé, de l'éducation, et de la bonne gouvernance ont de la sorte pu être financés. A titre d'exemple de cette pratique, on peut citer le cas des avoirs Abacha qui ont été restitués avec l'appui de la Banque mondiale ou celui de l'Angola dans lequel la Suisse s'est chargée seul du suivi de la restitution par le biais de la Direction du développement et de la coopération (DDC).

La confiscation est prononcée au profit de la Confédération. Il lui incombe ensuite de restituer les valeurs confisquées au profit de la population de l'Etat d'origine par le biais de programme d'aide au développement. Ceux-ci viseront à améliorer les conditions de vie des populations privées de ces ressources. Dans le cas des Etats défaillants, il s'agit d'une nécessité puisqu'ils s'agit le plus souvent des Etats les plus pauvres de la planète. Dans ce sens, l'Etat récipiendaire des avoirs est un partenaire pour la Suisse. En revanche, il n'est pas partie à la procédure de confiscation et n'a pas de droit sur les valeurs à restituer.

La Confédération ne saurait s'enrichir sur la base des montants confisqués dans le cadre de la LCAI, compte tenu de leur origine illicite. Par ailleurs, en admettant que cette possibilité eût été retenue, il
aurait fallu admettre que la Confédération devrait également supporter d'éventuelles dépréciations des valeurs patrimoniales en cause.

Or, la Confédération ne saurait être tenue pour responsable des variations des valeurs patrimoniales entre le moment de leur confiscation, soit le moment ou la 57

Cf. annexe 1.

3023

décision confiscatoire devient définitive, et celui de leur restitution, soit la date convenue en principe dans l'accord passé avec l'Etat d'origine (art. 9). Par conséquent, le montant des valeurs patrimoniales à restituer sera celui disponible au jour de la restitution, indépendamment des possibles variations des cours ou des marchés.

Art. 9

Procédure [de la restitution]

Chaque cas est unique et les besoins de l'Etat d'origine varient de cas en cas. Cela étant, la restitution des valeurs patrimoniales confisquées s'effectue par le biais de programmes d'intérêt public (al. 1). L'identification de ces programmes se fait en principe d'entente avec le gouvernement de l'Etat d'origine des valeurs. Compte tenu du caractère symbolique de ces cas, les programmes sélectionnés et mis en place viseront par exemple à réduire la pauvreté et combattre l'impunité.

En cas de restitution de valeurs, la Suisse a le plus souvent mis en place et assuré le suivi de ce processus. Cela a été fait parfois par l'entremise d'une organisation internationale, comme la Banque mondiale, avec la collaboration d'un Etat tiers impliqué dans la procédure d'entraide judiciaire ou encore par le biais de la DDC, voire d'ONG locales. Dans tous ces cas, le Conseil fédéral a assuré le suivi de ses décisions de restitution en chargeant le DFAE de les exécuter, à raison notamment du caractère politique des avoirs de PPE. Les compétences du Conseil fédéral et les modalités de restitution ne découlent toutefois pas du droit en vigueur. Cette disposition vise ainsi également à codifier la pratique du Conseil fédéral et à garantir dans les futurs cas d'application de la loi, une restitution transparente des avoirs.

S'agissant des modalités elles-mêmes, le choix de programmes d'intérêt public, au sens de l'al. 1, répond à l'exigence de principe posée par l'art. 8. Pour ce qui est de la forme des modalités, celles-ci peuvent être contenues dans un accord qui n'est toutefois pas per se une condition à la restitution (al. 2). Si l'Etat d'origine des avoirs consent à un tel accord, celui-ci mentionnera les éléments nécessaires à la réalisation des programmes d'intérêt public retenus à la satisfaction mutuelle de la Suisse et de l'Etat d'origine. La liste des éléments mentionnés sous les let. a. à d. de l'al. 3 est énumérative. En cas d'accord sur les modalités, il appartient au Conseil fédéral de conclure celui-ci (al. 4).

L'existence d'un gouvernement démocratique élu dans l'Etat d'origine n'est pas une précondition per se à la restitution des valeurs confisquées. Cela étant, il convient de trouver dans chaque cas une voie permettant d'assurer que les valeurs restituées profiteront bien à la population de l'Etat
d'origine, conformément à l'art. 8. Ainsi, selon les cas, la restitution peut se faire directement à l'Etat d'origine des fonds en fonction des garanties qu'il peut donner. A défaut d'accord et lorsque l'Etat d'origine ne peut apporter certaines garanties minimales, la restitution peut également prendre la forme d'une remise par la Confédération, au travers de la DDC ou d'organismes internationaux ou nationaux (al. 5). En dernier ressort ou en cas de conflit grave, la restitution peut viser à réduire la dette internationale de l'Etat d'origine vis-à-vis d'autres sujets de droit international ou être utilisée au bénéfice de l'aide humanitaire. La loi vise ici aussi bien les organisations internationales comme la Banque mondiale ou les Banques régionales que des organisations non gouvernementales locales. C'est tout le spectre des partenaires potentiels pour assurer une restitution transparente et efficace des fonds qui est ici visé. Sur délégation du Conseil fédéral, le DFAE ou un autre département peut se voir confier la tâche de

3024

superviser la procédure de restitution dans de tels cas, conformément à la pratique existante.

La loi fédérale du 19 mars 2004 sur le partage des valeurs patrimoniales confisquées58 ne s'applique pas. Son champ d'application (art. 2) ne correspond au contexte présent.

Art. 10

Frais de procédure

Cet article s'inspire de l'art. 57, al. 4, CNUCC qui prévoit la possibilité de retenir des «dépenses raisonnables» pour l'Etat requis, en dédommagement de son rôle dans la procédure de recouvrement. Le message relatif à cette Convention prévoit que «par il faut entendre les coûts et les dépenses encourues et non les honoraires d'intermédiaires ou d'autres dépenses sans affectation précise»59.

Les coûts pris en considération correspondent au surcroît d'activité de l'administration fédérale dans de tels cas. Le montant retenu vise à dédommager la Confédération ou les cantons pour ceux-ci et, cas échéant, à couvrir d'éventuelles dépenses extraordinaires. L'expérience a montré que le traitement de ces dossiers implique en effet un déploiement inhabituel de ressources au sein de l'administration.

A titre exemplatif, on rappellera que le cas Duvalier est traité par l'administration fédérale depuis 1986 et que le cas Mobutu l'a été pendant douze ans, soit de 1997 à 2009. C'est en se fondant sur cette expérience et l'article précité de la CNUCC qu'une valeur de 2,5 % au maximum des valeurs patrimoniales confisquées a été retenue. Le calcul du montant à retenir se fera individuellement pour chaque cas et si possible d'entente avec l'Etat concerné, en fonction du travail déployé et du montant des valeurs confisquées. Une telle retenue n'est pas automatique. Si elle a lieu, la somme retenue est créditée au profit de la Confédération (Caisse fédérale) ou des cantons.

Le Conseil fédéral est compétent pour décider s'il est opportun et adéquat retenir un pourcentage de 2,5 % au plus des valeurs patrimoniales confisquées (al. 2). Cette évaluation se fera notamment en fonction là encore de la quotité des sommes en cause et de considérations politiques à l'appréciation du Conseil fédéral.

Art. 11

Recours

Afin d'assurer le respect de la garantie constitutionnelle de l'accès à un juge (art. 29a Cst.), l'art. 11 du projet ouvre, conjointement à la modification de l'art. 33, let. b, de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal administratif fédéral (LTAF)60, le recours au Tribunal administratif fédéral contre la décision de blocage du Conseil fédéral. Il s'agit d'une exception au principe prévu à l'art. 189, al. 4, 1re phrase, de la Constitution selon lequel les actes du Conseil fédéral ne sont pas sujets à recours.

Cette exception est justifiée par la portée du blocage sur des prétentions protégées par la garantie de la propriété (art. 26 Cst.). La jurisprudence avait d'ailleurs déjà admis que des mesures de blocage du Conseil fédéral fondées sur l'art. 184, al. 3, Cst. puissent faire l'objet d'un recours61.

58 59 60 61

RS 312.4 Message du Conseil fédéral du 21.09.07 (FF 2007 6931), p. 6989.

RS 173.32 ATF 132 I 229; arrêt du Tribunal administratif fédéral du 14 mars 2008 dans la cause C- 7589/2007.

3025

Le recours au Tribunal administratif fédéral a ordinairement effet suspensif (art. 55, al. 1, de la loi sur la procédure administrative fédérale). S'agissant d'une mesure de blocage, l'octroi de l'effet suspensif réduirait à néant le but de la procédure puisque les biens concernés quitteraient la Suisse pendant la procédure de recours. C'est pourquoi l'art. 11, al. 2, retire tout effet suspensif au recours contre la décision de blocage du Conseil fédéral.

En excluant le grief de l'inopportunité, l'art. 11, al. 3, déroge à l'art. 49, let. c, PA.

L'art. 2, let. d, du projet confère en effet au Conseil fédéral un très large pouvoir d'appréciation. L'excès ou l'abus du pouvoir d'appréciation pourraient néanmoins être sanctionnés au titre de violation du droit fédéral (art. 49, let. a, PA).

Contre la décision sur recours du Tribunal administratif fédéral, le recours au Tribunal fédéral sera ouvert conformément aux règles de la loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (LTF)62. Il est en effet usuel dans l'ordre juridique suisse de prévoir pour le justiciable un double niveau de recours. Le recours au Tribunal fédéral n'a pas non plus effet suspensif (art. 103, al. 1, LTF).

S'agissant de la décision du Tribunal administratif fédéral sur la demande de confiscation (cf. art. 5 du projet), le recours en matière de droit public sera ouvert devant le Tribunal fédéral (art. 82, let. a, LTF).

Art. 12

Collaboration entre autorités

Cette disposition vise à assurer que l'OFJ, en sa qualité d'office compétent pour l'entraide judicaire annonce avec anticipation au DFAE (DDIP) les cas d'entraide visant des PPE qui pourraient aboutir à une décision négative, à raison du manque de collaboration de l'Etat requérant. Les autorités fédérales ou cantonales chargées de l'exécution de la demande d'entraide judiciaire transmettront leur dossier au DFAE ou au DFF à la demande de celui-ci dans le cadre de l'application de la présente loi.

De la sorte, le DFAE disposera notamment du temps nécessaire pour saisir le Conseil fédéral du cas et lui proposer de bloquer les avoirs en cause sur la base de la loi, avant que la mesure de blocage prise dans le cadre de la procédure ne soit levée du fait de la fin de la procédure d'entraide.

Art. 13

Modification du droit en vigueur

D'un point de vue systématique, la loi implique de modifier deux bases légales dans le droit en vigueur.

­

62 63

L'art. 33, let. b, LTAF63 (Autorités précédentes) est complété par un ch. 3 (nouveau) qui prévoit que le recours est recevable contre les décisions de blocage du Conseil fédéral prise sur la base de la présente loi. Il faut par ailleurs prévoir à l'art. 35 LTAF la nouvelle compétence du Tribunal administratif fédéral de statuer sur action sur les demandes de confiscation fondées sur la LRAI. Enfin, il convient encore de prévoir un nouvel al. 3 à l'art. 44. Il s'agit d'une disposition comblant une lacune du droit actuel qui ne règle pas la question des frais de procédure devant le tribunal administratif fédéral dans la voie de l'action.

RS 173.110 RS 173.32

3026

­

L'art. 44 de la loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP)64 (Réalisation d'objets confisqués) est modifié de sorte que la réalisation d'objets confisqués en vertu de la LRAI s'opère en conformité des dispositions de la LRAI. Cette modification législative crée un droit de préférence en faveur de l'Etat lors de l'exécution de la décision de confiscation et permet d'écarter d'éventuelles prétentions fondées sur la LP qui affecteraient les biens confisqués. Cette solution s'inspire du régime applicable en droit suisse pour les décisions de confiscation basées sur les art. 70 et 72 CP, qui vaut également pour les procédures d'entraide basées sur l'art. 74a EIMP65. Elle permet d'éviter que d'éventuels créanciers, qui n'ont pas pu participer à la procédure de confiscation en vertu de l'art. 7, let. b, de la loi, ne puissent ensuite faire obstacle à l'exécution du jugement de confiscation en s'appuyant sur les dispositions de la LP.

Art. 14

Dispositions transitoires

Le projet de loi est né des difficultés rencontrées par le Conseil fédéral pour clore les cas d'entraide judiciaire avec des «Etats défaillants»66. L'art. 2 formalise dans une loi fédérale la pratique du Conseil fédéral fondée sur l'art. 184, al. 3, Cst. en matière de blocage. Par conséquent, cette loi a vocation à donner une issue aux cas de blocage par le Conseil fédéral fondés sur l'art. 184, al. 3, Cst. qui, par hypothèse, seraient encore pendants au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. C'est pourquoi l'art. 14 prévoit l'application de la nouvelle loi aux valeurs patrimoniales déjà bloquées par le Conseil fédéral au moment de l'entrée en vigueur de la loi.

Dans un tel cas, la condition de l'art. 2, let. a, ne s'appliquerait pas, puisque les valeurs patrimoniales en cause ne feraient justement pas l'objet d'une mesure provisoire de saisie dans le cadre d'une procédure d'entraide judiciaire internationale en matière pénale.

Le second alinéa de cet article prévoit un délai d'un an pour l'ouverture de l'action en confiscation au sens des art. 5 et ss. suite à l'entrée en vigueur de la présente loi.

Faute d'une telle action dans ce délai, le blocage fondé sur l'art. 14, al. 1, Cst.

devient caduc.

Art. 15

Référendum et entrée en vigueur

Cette disposition est obligatoire de par l'art. 141, al. 1, let. a, de la Constitution fédérale (référendum facultatif).

64 65 66

RS 281.1 ATF 133 IV 215 consid. 2.

Voir note 15.

3027

3

Conséquences

3.1

Pour la Confédération

La loi n'entraîne aucune dépense supplémentaire pour la Confédération. Le déclanchement d'une procédure en confiscation constituera toutefois une tâche supplémentaire pour le DFAE. Conformément à l'article 10 de la loi, des frais de procédure peuvent être déduits des valeurs patrimoniales confisquées avant qu'elles ne soient restituées, au bénéfice de la Caisse fédérale. Ces frais constituent des recettes pour la Confédération.

3.2

Pour les cantons

La loi n'entraîne aucune dépense supplémentaire pour les cantons. Ces derniers ne sont touchés par le projet de loi que sous l'angle de deux articles. D'abord, l'art. 10 qui prévoit que des compensations financières peuvent leur être accordées. Ensuite, 12, al. 2, qui prévoit qu'ils communiqueront au DFAE ou au DFF toutes les données nécessaires à l'exécution de la présente loi.

4

Liens avec le programme de la législature

La loi sur la restitution des avoirs illicites fait suite à une intervention parlementaire.

Elle n'est dès lors pas mentionnée dans le programme de la législature 2008­2011.

5

Aspects juridiques

5.1

Constitutionnalité

Les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération (art. 54, al. 1, Cst.). La présente loi sur la restitution des avoirs illicites a pour but de permettre la restitution de valeurs patrimoniales au travers du financement de programmes d'intérêt public dans l'Etat où la PPE avait exercé sa fonction publique et d'éviter que nos relations avec le pays d'origine des PPE ne soient affectés par la libération des biens saisis dans le cadre d'une procédure d'entraide judiciaire qui n'a pas pu aboutir en raison de la situation de défaillance de cet Etat. Elle poursuit ainsi un but de politique étrangère. La Confédération peut donc se fonder sur sa compétence en matière de relations extérieures pour légiférer en la matière.

La Constitution fédérale prévoit en son art. 26 la garantie de la propriété. Cette disposition garantit des situations juridiques individuelles et protège les droits patrimoniaux concrets contre les atteintes de la puissance étatique.

La présente loi permet à l'Etat de bloquer puis confisquer des valeurs patrimoniales déterminées appartenant à des PPE ou à leur entourage. La confiscation limite la garantie de la propriété et doit en conséquence reposer sur un intérêt public prépondérant et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst.). Conformément à ce principe, la mesure restrictive doit non seulement être apte à produire le résultat

3028

escompté, mais encore faut-il qu'elle soit seule à même de le faire, c'est-à-dire qu'il n'y en ait pas d'autres, plus respectueuses des libertés, qui soient efficaces.

En vertu du droit en vigueur ­ tant au plan national qu'en matière d'entraide judiciaire ­ une valeur patrimoniale peut ainsi être confisquée s'il est possible d'établir de quelle infraction elle provient, sous réserve de l'art. 72 CP qui concerne les organisations criminelles. De même, le droit administratif connaît aussi des cas de confiscations de biens susceptibles d'un usage illégal67.

L'intérêt public poursuivi est celui de sanctionner l'acquisition illicite de biens par des PPE et leur entourage. Accessoirement les mesures de blocage et de confiscation ont aussi pour but de préserver l'image de la Suisse et de sa place financière. En tant qu'elle porte sur des biens d'origine illicite la confiscation prévue par la présente loi est une mesure proportionnelle, car aucune autre mesure ne permet de corriger l'illicéité de l'acquisition. La confiscation est par ailleurs limitée à des cas où la procédure d'entraide pénale internationale n'a pu être conduite à son terme en raison de la défaillance de l'Etat demandeur.

La présente loi prévoit en outre, à certaines conditions, la présomption de l'illicéité de l'origine des biens (art. 6). En tant que telle, cette présomption ne constitue pas une atteinte autonome à la garantie de la propriété, car la personne concernée conserve la possibilité de démontrer l'origine licite des biens en cause. Elle rend néanmoins plus intense l'atteinte portée par la confiscation, car elle facilite notablement le prononcé d'une telle confiscation: lorsque l'illicéité de l'origine est présumée, les biens dont l'acquisition licite n'a pas été démontrée avec une vraisemblance prépondérante peuvent en effet être confisqués. Elle doit dès lors respecter, elle aussi, le principe de proportionnalité.

Les conditions posées par l'art. 6, al. 1, pour présumer l'illicéité de l'origine des valeurs limitent la portée de cette clause à des cas où l'acquisition illicite est très vraisemblable, puisqu'il faut d'une part un accroissement exorbitant du patrimoine de la personne concernée pendant l'exercice de la fonction publique et d'autre part une corruption notoire. De l'autre côté, la personne qui a le pouvoir de
disposition sur les valeurs patrimoniales peut faire valoir devant le Tribunal administratif fédéral tous les moyens de preuve pertinents pour renverser la présomption. La notion de moyens de preuve doit être entendue au sens procédural68, soit indépendamment du degré de preuve requis. Comme en outre le Tribunal administratif fédéral est aussi tenu en procédure par voie d'action d'établir les faits d'office69, l'atteinte à la garantie de la propriété reste proportionnelle.

67

68 69

Par ex. les art. 2, al. 4, de la loi fédérale du 21 mars 1997 instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (RS 120) et 31, al. 3, de la loi du 20 juin 1997 sur les armes (RS 514.54).

Cf. art. 36 ss de la loi fédérale de procédure civile fédérale du 4 décembre 1947 (RS 273).

Art. 44, al. 2, LTAF

3029

5.2

Compatibilité et cohérence de la loi avec les obligations internationales de la Suisse

5.2.1

Convention européenne des droits de l'homme

La présomption d'illicéité prévue par la loi n'a pas pour objet la question de la culpabilité ou de l'innocence au sens du droit pénal. La loi proposée porte exclusivement sur la question de savoir à qui appartient le pouvoir de disposition sur des valeurs patrimoniales déterminées et si celles-ci ont été acquises licitement. Autrement dit, la confiscation n'est pas de nature pénale selon le droit interne suisse.

Selon la Cour européenne des droits de l'homme, la qualification d'une sanction comme étant de nature pénale au sens de l'art. 6 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH)70 doit être faite en fonction des critères suivants: qualification en droit interne, nature de l'infraction, le type et la gravité de la sanction ainsi que le but de celle-ci71. Ces critères sont appliqués de manière alternative, c'est à dire qu'il suffit qu'un critère soit rempli pour fonder le caractère pénal de la sanction. Dans plusieurs arrêts, la Cour a considéré que l'art. 6, § 2, CEDH n'était pas applicable à des mesures de confiscation lorsque celles-ci n'emportaient pas formulation d'une accusation au sens de l'art. 6, § 2, CEDH, soit parce que la confiscation constituait une mesure de prévention72, parce qu'elle était liée à d'une procédure pénale antérieure73 ou menée contre des tiers74 ou parce qu'elle constituait une action in rem contre un véhicule utilisé pour la contrebande, indépendante d'une accusation pénale ou de la menace d'une procédure pénale si la requérante n'obtempérait pas75. Dans une autre affaire, récente, la Cour a toutefois considéré que l'art. 6, § 2, CEDH était applicable à une confiscation intervenue, comme dans l'arrêt Phillips, suite à une condamnation pénale et concernant en partie le bénéfice retiré d'autres infractions que celles pour lequel le requérant avait été condamné. A la différence de l'arrêt Phillips76, les infractions en question avaient toutefois fait l'objet de la procédure pénale et le requérant en avait été acquitté77.

Au vu de cette jurisprudence, pas toujours explicite en ce qui concerne l'application des critères énoncés, on ne peut entièrement exclure que la confiscation prévue par le projet de loi doive être rattachée au volet pénal de l'art. 6 CEDH, de sorte que l'art. 6, § 2, CEDH serait
applicable. Même si tel était le cas, la présomption d'illicéité serait compatible avec les exigences de l'art. 6 CEDH. Une décision fondamentale de la Cour européenne des droits de l'homme a en effet établi ce qui suit: «Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit; la Convention n'y met évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale, elle oblige les Etats contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil. (...) L'art. 6, par. 2, 70 71 72

73 74 75 76 77

RS 0.101 Arrêt Engel c. Pays-Bas du 8 juin 1976, Série A n° 22, § 80 ss.

Décisions Arcuri et autres c. Italie du 5 juillet 2001, no 52024/99, CEDH 2001-VII, p. 515; Butler c. Royaume-Uni du 27 juin 2002, no 41661/98, CEDH 2002-VI, p. 383; Riela et autres c. Italie du 4 septembre 2001, no 52439/99, p. 8 ss.

Arrêt Phillips c. Royaume-Uni du 5 juillet 2001, CEDH 2001-VII, § 28 ss.

Arrêt AGOSI c. Royaume-Uni du 24 octobre 1986, Série A, vol. 108, § 65.

Arrêt Air Canada c. Royaume-Uni du 5 mai 1995, Série A vol. 316-A, § 52 ss.

Voir note 64.

Arrêt Geerings c. Pays-Bas du 1er mars 2007, req. 30810/03.

3030

ne se désintéresse donc pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois répressives. Il commande aux Etats de les enserrer dans les limites raisonnables prenant en compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense»78.

Cela étant, la réglementation proposée satisfait aux exigences formulées par la Cour européenne: son champ d'application est étroitement circonscrit aux valeurs patrimoniales de PPE et de leur entourage; elle donne à la personne concernée la possibilité de renverser la présomption et confère aux tribunaux une pleine liberté d'appréciation des preuves. Elle se limite en outre à la mesure strictement nécessaire à une lutte efficace contre l'impunité engendrée par une situation défaillante dont il serait inique que les personnes responsables ou leur entourage puissent bénéficier.

5.2.2

Convention des Nations Unies contre la corruption

La CNUCC comporte des normes de portée mondiale en matière de prévention et de répression de la corruption. La Suisse l'a signée le 10 décembre 2003. Elle n'a émis aucune réserve sur ce texte qu'elle a ratifié le 24 septembre 2009.

La CNUCC consacre tout un chapitre (V) au recouvrement de valeurs patrimoniales acquises illicitement. L'art. 51 CNUCC énonce que la restitution d'avoirs est un principe fondamental de la convention et que les Etats Parties s'accorderont mutuellement la coopération et l'assistance la plus étendue à cet égard. Cet article manifeste la volonté des Etats Parties de tout mettre en oeuvre pour que la Convention induise, par rapport aux textes antérieurs, une amélioration déterminante79. L'art. 57, par. 2, oblige pour sa part chaque Etat partie à adopter les mesures législatives nécessaires permettant aux autorités compétentes de restituer les biens confisqués.

Le par. 5 de cet article rappelle que l'Etat requis et l'Etat requérant disposent d'une alternative pour tenter de résoudre une situation dont l'issue paraît douteuse, notamment lorsque l'Etat requérant n'est pas à même de coopérer sur le plan judiciaire.

Le droit suisse est en l'état déjà compatible avec les dispositions impératives de la CNUCC, tant d'un point de vue général qu'en ce qui concerne en particulier la restitution de valeurs patrimoniales au sens de l'art. 57 CNUCC80. La loi s'inscrit en parfaite cohérence avec la direction donnée par la CNUCC, sous l'angle de la restitution des valeurs patrimoniales. Elle tend en effet à parfaire le cadre juridique suisse pour permettre la restitution d'avoirs d'origine, même dans les rares cas dans lesquels l'entraide judiciaire n'aboutit à raison du caractère défaillant de l'Etat requérant. De la sorte elle respecte pleinement le principe fondamental posé par la Convention. En outre, pour que le rapatriement des fonds confisqués à l'étranger puisse intervenir plus rapidement, la loi prévoit, conformément à la CNUCC, que les Etats peuvent convenir d'une solution ad hoc, ce qui évite d'avoir à attendre la fin de procédures judiciaires longues et complexes. Cette solution devra toutefois prendre la forme d'un accord bilatéral, car on se trouve alors hors du mécanisme de la resti78

79 80

Arrêt Salabiaku c. France du 7 octobre 1988, série A, vol. 141. Dans le même sens cf.

arrêt Pham Hoang c. France du 25 septembre 1992, série A, vol. 243 no 32 et arrêt Janosevic c. Suède du 23 juillet 2002.

Message du Conseil fédéral du 21.09.07 (FF 2007 6931), p. 6987.

Ibidem, p. 6933 et 6989.

3031

tution automatique et obligatoire. L'Etat requis aura ainsi son mot à dire, notamment sur le sort des fonds rapatriés, qui devront être utilisés, dans toute la mesure du possible, au bénéfice de la population et des victimes de la corruption81. Là encore, il s'agit précisément des principes retenus par la loi pour ce qui est de la restitution des valeurs patrimoniales confisquées.

5.3

Relation avec le droit européen

La loi sur la restitution des avoirs d'origine illicite ne touche pas le droit européen et, dans la mesure où elle aurait un lien indirect avec certaines dispositions du droit européen, notamment dans le domaine de l'entraide judiciaire, elle est conforme à ces dispositions.

5.4

Forme de l'acte à adopter

Le projet contient des dispositions importantes fixant des règles de droit qui doivent être édictées sous la forme d'une loi fédérale, conformément à l'art. 164, al. 1, Cst.

81

Ibidem, p. 6989.

3032

Annexe 1

Résumé des cas les plus récents de restitution de valeurs patrimoniales d'origine illicite De même que le processus judiciaire lié à chaque cas, la restitution prend des formes diverses, en fonction des spécificités de chaque situation ainsi que des attentes et possibilités des parties concernées. Dans certains cas, la Suisse n'était du reste concernée que du fait des avoirs placés dans nos banques, soit parce que l'entraide judiciaire lui a été demandée par un Etat tiers qui menait une enquête sur ces fonds (Kazakhstan), soit parce qu'un juge suisse menait lui-même une enquête dans notre pays, sans avoir recours à l'entraide judiciaire (Angola). Voici quelques exemples récents et emblématiques de cas de restitution et de monitoring: Versement anticipé sur des comptes bloqués (escrow accounts): le cas des Philippines Dans ses décisions de décembre 1997 et de janvier 1998, le Tribunal fédéral a retenu que les valeurs patrimoniales des fondations Marcos étaient de toute évidence d'origine délictueuse et a autorisé leur transfert préalable sur des comptes bloqués (escrow accounts) aux Philippines. Le Tribunal fédéral avait autorisé ce transfert préalable à deux conditions.

En l'espèce, les Philippines ont rempli ces deux conditions posées par le Tribunal fédéral. Un jugement exécutoire d'un tribunal philippin a permis de clore la procédure d'entraide judiciaire dans le cadre de l'affaire Marcos en tant que telle. Les autorités suisses ont été régulièrement informées sur les mesures et les procédures de compensation mises en place en faveur des victimes des violations des droits de l'homme sous le régime Marcos.

Les 683 millions de dollars américains qui avaient été bloqués en Suisse ont ainsi pu être restitués à l'Etat Philippin, au travers de comptes bloqués, ce qui n'avait jamais été fait jusqu'alors.

Monitoring national: le cas du Pérou Au cours des cinq années suivant 2001, le Pérou s'est vu restitué environ 180 millions de dollars américains, dont approximativement 93 millions de la Suisse.

Du côté helvétique, les fonds ont pu être principalement restitués sur la base du jugement rendu au terme de la procédure pour blanchiment contre Montesinos, menée par le Ministère public du Canton de Zurich. En 2002, le Ministère public a ainsi ordonné, dans le cadre de sa procédure, la remise au Pérou
d'environ 77,5 millions de dollars américains provenant d'actes de corruption, tandis que d'autres fonds ont été restitués la même année avec l'accord des personnes concernées. En octobre 2006, le Ministère public a de plus restitué au Pérou environ 11,5 millions de dollars américains provenant des comptes d'un comparse de Vladimiro Montesinos.

Du côté péruvien, un fonds spécial a été créé en octobre 2001 et mis en place au niveau national pour l'administration des avoirs illicitement obtenus au détriment de l'Etat (FEDADOI). Le but de ce fonds était d'apporter un cadre permettant une gestion transparente et adéquate des sommes récupérées par l'Etat. L'allocation des 3033

avoirs était décidée par les membres du board du FEDADOI. Le résultat de ce processus ne fut pas satisfaisant car des allocations d'argent ont notamment permis de payer des activités récréatives de la police qui n'auraient pas du être couvertes par de tels budgets.

Monitoring de la Suisse (DDC): le cas de l'Angola Une procédure pénale initiée à Genève en avril 2002 a permis de saisir des fonds détournés destinés au remboursement de la dette de l'Angola à la Russie. L'enquête, bouclée en 2004, n'a pas permis d'établir que des irrégularités avaient été commises.

Toutefois le blocage des fonds se trouvant sur des comptes ouverts au nom de quatre hauts fonctionnaires angolais a été maintenu car ces derniers n'ont pas contesté que les fonds appartiennent à l'Etat angolais.

Dans le courant de l'année 2002, des discussions ont été engagées entre les autorités fédérales et angolaises, à la demande de ces dernières. Ces discussions avaient pour but de déterminer si l'argent bloqué en Suisses au titre de la procédure pénale ouverte par les autorités judiciaires genevoises pourrait être affecté à des fins sociales et humanitaires, compte tenu de la grave crise que connaît l'Angola. Le 1er novembre 2005, les délégations suisse et angolaise ont signé un accord.

Cet accord a pour but d'affecter à des fins sociales et humanitaires les fonds en provenance de l'Angola bloqués en Suisse. Concrètement, deux programmes de développement sont prévus par cet accord: l'un concerne le déminage et l'autre, l'agriculture. En ce qui concerne le dossier «déminage», la proposition de l'Angola est d'utiliser les fonds pour payer un contrat existant entre l'Angola et l'entreprise suisse RUAG pour mener à bien l'enlèvement de mines. Comme ce contrat avait été signé avant l'accord, la Suisse et l'Angola, en consultation avec RUAG, ont décidé de faire vérifier le contrat par la Société Générale de Surveillance. Quant au dossier «agricole», il est prévu de construire et gérer deux centres de formation professionnelle agricole dans deux provinces d'Angola.

LA DDC est chargée de l'administration des fonds et du suivi du programme. Les fonds sont déposés sur un compte ouvert au nom de la DDC auprès de la Banque nationale suisse, indiquant la République d'Angola en qualité d'ayant droit économique, la DDC étant seule autorisée à
effectuer des prélèvements sur ce compte.

Monitoring bipartite avec la Banque mondiale: le cas du Nigeria Le 7 février 2005, le Tribunal fédéral a décidé que la majeure partie des fonds Abacha bloqués en Suisse, soit quelque 460 millions de dollars américains, était manifestement d'origine criminelle et qu'elle pouvait par conséquent être restituée au Nigeria sans qu'aucune décision de confiscation de l'Etat requérant ne soit nécessaire. Le Conseil fédéral a ensuite défini les modalités de restitution desdits fonds.

Dans ce cas, la Suisse a pu établir, d'entente avec le Nigeria et grâce à l'assistance de la Banque mondiale, un monitoring pour déterminer comment les fonds retournés ont été utilisés au Nigeria. Au total, l'accord pour le principe du monitoring a porté sur les 700 millions restitués, soit 460 et 40 millions de dollars américains suite à des décisions judiciaires en Suisse et 200 millions de dollars américains restitués sur la base du consentement donné par les ayant droits.

Ce monitoring s'est heurté à la difficulté que le gouvernement avait déjà budgété ces montants pour l'année 2004 alors que la restitution a effectivement eu lieu en 2005.

La Suisse a donc seulement pu procéder à une vérification a posteriori par un moni3034

toring de la Banque mondiale. Cela étant, même les ONG les plus critiques ont admis que cette opération constituait une percée parce que c'est la première fois qu'un tel monitoring a eu lieu.

Monitoring tripartite avec la Banque mondiale et les USA: le cas du Kazakhstan Des contacts ont eu lieu depuis 2003 entre les Etats-Unis et la Suisse pour examiner les modalités de restitution des avoirs du Kazakhstan déposés à Genève sur des comptes bancaires gelés dans le cadre d'une procédure d'entraide judiciaire internationale avec les Etats-Unis (env. USD 84 millions) et dans le cadre d'une procédure genevoise (env. USD 60 millions). Les parties ont recherché une solution assurant que les avoirs restitués au peuple kazakh soient utilisés à bon escient sans risque d'être détournés. La restitution, sous la supervision d'une institution financière internationale, notamment la Banque mondiale, est apparue comme la modalité la plus fiable.

Concrètement, la solution envisagée par les Etats-Unis, le Kazakhstan, la Suisse et la Banque mondiale porte sur l'établissement d'une nouvelle fondation kazakh nommée «BOTA Kazakh Child and Youth Development Foundation». Cette fondation se compose de cinq Founders kazakhs nommés par le gouvernement et devant être approuvés par les parties. La fondation est gérée par une ONG internationale choisie d'un commun accord par les parties et complètement indépendante des autorités kazakhes. Les fonds bloqués seront transférés successivement à cette fondation et utilisés par celle-ci sous les auspices de la Banque mondiale. Un Conseil de gestion (Supervisory Board) composé par les parties signataires de l'accord supervisera l'utilisation effective des fonds. Le versement des fonds peut à tout moment être interrompu à la demande d'une seule partie signataire.

Le Conseil fédéral a approuvé, le 2 mai 2007, un accord avec les Etats-Unis et le Kazakhstan, ainsi qu'un Service agreement avec les Etats-Unis, le Kazakhstan et la Banque mondiale qui visent la restitution, au Kazakhstan, des fonds bloqués en Suisse. Il est attendu que les fonds seront utilisés dans une période de cinq ans.

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Annexe 2

Chronologie du blocage des avoirs Mobutu en Suisse (1997­2009) Le 16 mai 1997, suite à une demande d'entraide judiciaire de la République démocratique du Congo (RDC), la Suisse a ordonné le blocage partiel des avoirs Mobutu en Suisse, à titre de mesures provisionnelles. En l'absence d'éléments suffisants, les autorités suisses étaient dans l'impossibilité d'ordonner le blocage complet de ces biens.

Le 17 mai 1997, pour pallier cet état de fait, le Gouvernement suisse a adopté une ordonnance bloquant à titre conservatoire les avoirs détenus par Mobutu et sa famille en Suisse. La demande d'entraide ayant été ensuite partiellement complétée par la RDC, le blocage des avoirs s'est poursuivi dans le cadre de l'entraide judiciaire.

Entre mai 1997 et novembre 2003, les autorités suisses ont demandé plusieurs fois et à différents niveaux aux autorités congolaises de préciser leur demande d'entraide judiciaire. La RDC n'a cependant pas donné suite à ces demandes, entraînant ainsi la fin de la procédure d'entraide.

Le 15 décembre 2003, pour éviter de devoir rendre les avoirs aux héritiers Mobutu, le Gouvernement suisse a décidé de les bloquer pour une période initiale de trois ans sur la base de la Constitution. Il a chargé le DFAE d'assister les parties en vue de rechercher une issue aussi satisfaisante que possible.

Le 15 décembre 2006, le Gouvernement suisse a décidé d'une première prolongation du blocage pour une période de deux ans, nonobstant les faibles avancées du dossier.

En juillet 2007, la Présidente de la Confédération s'est rendue en RDC pour inviter l'Etat congolais à désigner un interlocuteur pour le représenter dans ce dossier.

En août 2007, le Secrétaire d'Etat suppléant a reçu la Vice-ministre des Congolais de l'étranger pour lui renouveler la demande du DFAE de désigner un interlocuteur.

En novembre 2007, l'Ambassadeur de Suisse à Kinshasa a remis un Aide-mémoire au Ministère des affaires étrangères de la RDC pour rappeler la préoccupation de la Suisse dans cette affaire et son souhait de trouver une solution au bénéfice de la population congolaise.

En juillet 2008, le DFAE a adressé une lettre au Ministre des affaires étrangères de la RDC. Le DFAE y exprimait les regrets de la Suisse de constater qu'à cinq mois de l'échéance du 15 décembre 2008 et malgré ses diverses démarches,
les discussions en vue de trouver une solution permettant le retour des fonds à la RDC n'avaient pas pu avoir lieu. La Suisse a alors proposé une aide technique pour la reprise de la procédure pénale initiée en 1997 et pour le dépôt d'une nouvelle demande d'entraide judiciaire.

Le 23 octobre 2008, par note diplomatique du Ministère congolais des affaires étrangères, la Suisse a appris que le Gouvernement congolais renonçait à une procédure pénale à l'encontre de l'entourage de feu le Président Mobutu et optait pour une négociation avec l'hoirie Mobutu.

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Par une lettre du 13 novembre 2008, la Ministre des affaires étrangères a offert au Président Kabila de financer les services d'un avocat spécialisé en matière de recouvrement d'avoirs, dont le mandat consisterait à tenter d'obtenir au nom de la RDC une mesure de blocage judiciaire des fonds Mobutu.

Suite à la réponse favorable de dernière minute de la RDC, le Gouvernement suisse a prolongé une deuxième fois le blocage des avoirs jusqu'au 28 février 2009. Cette prolongation avait pour but, d'une part, de permettre à l'avocat de la RDC d'initier une procédure en Suisse visant à obtenir le blocage judiciaire des avoirs et, d'autre part, de permettre au Ministère public de la Confédération (MPC) de se prononcer sur la suite à donner à cette procédure.

Le 23 janvier 2009, une plainte pénale ayant été déposée en Suisse par l'avocat de la RDC, le Gouvernement suisse a décidé d'une troisième prolongation du blocage jusqu'au 30 avril 2009, partant du principe que l'étude du dossier par le MPC impliquait un travail important.

Le 21 avril 2009, après examen de la plainte pénale, le MPC a été contraint de la rejeter, les faits dénoncés étant prescrits.

Contre toute attente, la RDC a donné pour instruction à son avocat de ne pas recourir contre la décision du MPC. Par cette attitude, la RDC a réduit à néant tout espoir de voir les fonds bloqués restitués au peuple congolais.

Le 27 avril 2009, le Conseil fédéral a été informé du dépôt d'une dénonciation auprès du Tribunal pénal fédéral (TPF) par un citoyen suisse. Cette procédure inattendue a été ouverte par un particulier pour tenter une ultime fois d'éviter le déblocage des avoirs au bénéfice des héritiers Mobutu. Afin de permettre au TPF de se prononcer, le Gouvernement suisse a décidé d'une quatrième prolongation des avoirs.

Le 14 juillet 2009, le TPF a finalement décidé de ne pas donner suite à cette dénonciation, déclarant que le citoyen suisse ne pouvait agir, faute d'être victime dans cette affaire. Dans ces circonstances et conformément à la décision du 30 avril 2009 du Gouvernement, la Suisse n'avait plus d'autre option que de lever la mesure de blocage des avoirs de feu Mobutu après douze ans d'efforts.

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Annexe 3

Chronologie du blocage des avoirs Duvalier en Suisse (1997­2009) Le 14 mars 1986, les autorités d'Haïti ont transmis à la Suisse une demande d'entraide judiciaire, dans laquelle étaient requis le blocage et la saisie des fonds bloqués en Suisse par M. Duvalier et son entourage, la communication de tous renseignements relatifs à ces avoirs et, en définitive, la remise de ceux-ci à l'Etat requérant. Cette demande a été transmise par l'OFP (aujourd'hui OFJ) pour exécution par les cantons dans lesquels les avoirs Duvalier ont été saisis à titre provisoire.

Le 14 juin 2002, après seize ans de procédure d'entraide judiciaire en matière pénale infructueuse, le Conseil fédéral a décidé de bloquer en Suisse les fonds Duvalier et ceux de son entourage, pour une durée de trois ans, soit jusqu'au 14 juin 2005. Dans le même temps, le Conseil fédéral a mandaté le DFAE d'assister les parties en vue de rechercher une issue aussi satisfaisante que possible.

Le 3 juin 2005, compte tenu d'un possible accord, le Conseil fédéral a décidé de prolonger le blocage de deux ans, soit jusqu'au 3 juin 2007, afin que la solution trouvée puisse être finalisée et mise en oeuvre. Cette solution transactionnelle n'a finalement pu aboutir.

Le 1er juin 2007, le CF a décidé de prolonger le blocage pour trois mois, soit jusqu'au 31 août 2007. Il subsistait encore des possibilités de trouver une solution à la restitution au moins partielle des fonds.

Le 13 août 2007, le Président haïtien a adressé à la Présidente de la Confédération une lettre l'informant de «la ferme volonté du Gouvernement haïtien de rechercher des voies et moyens permettant leur rapatriement en Haïti et du lancement prochain, par les autorités judiciaires compétentes de Port-au-Prince, de procédures adéquates contre Jean-Claude Duvalier».

Le 22 août 2007, le Conseil fédéral a décidé de prolonger le blocage des fonds Duvalier pour une durée de douze mois, soit jusqu'au 31 août 2008, sur la base des informations contenues dans la lettre du Président Préval.

Le 23 mai 2008, la République d'Haïti a présenté une nouvelle demande d'entraide judiciaire à la Suisse, par le biais de l'OFJ.

Le 11 février 2009, l'OFJ a ordonné la remise des avoirs Duvalier à la République d'Haïti.

Par jugement sur recours des 7 avril 2009 et 12 août 2009, le Tribunal pénal fédéral
(TPF) a confirmé la décision de remise de l'OFJ.

Par jugement du 12 janvier 2010 rendu public le 3 février 2010, le Tribunal fédéral a infirmé la décision de l'OFJ, sous l'angle de la prescription, et mis un terme à la procédure d'entraide. Le Tribunal fédéral a estimé en outre que les conditions posées par l'entraide pénale «apparaissent trop strictes pour ce genre d'affaires» et a invité le législateur à apporter les corrections et allègements nécessaires.

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Le 3 février 2010, le Conseil fédéral a décidé de bloquer à nouveau les avoirs Duvalier sur la base de la Constitution. Le blocage durera au maximum jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi fédérale sur la restitution des valeurs patrimoniales d'origine illicite de personnes politiquement exposées et à la décision de confiscation prise sur la base de celle-ci ou jusqu'au rejet par le Parlement de ce projet de loi. Cette décision a fait l'objet d'un recours auprès du Tribunal administratif fédéral.

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