Renforcement du contrôle préventif de la conformité au droit Rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010

Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, En réponse au postulat Pfisterer 07.3360 «Renforcement du contrôle préventif de la constitutionnalité», nous vous soumettons le présent rapport et vous demandons d'en prendre acte.

Nous vous prions d'agréer, Mesdames les Présidentes, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

5 mars 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

2009-1210

1989

Condensé Le contrôle préventif de la conformité au droit (ci-après, contrôle juridique préventif) de projets d'actes normatifs a pour but de veiller, lors de l'élaboration de règles de droit, que celles-ci s'accordent avec le droit fédéral supérieur et le droit international et s'insèrent harmonieusement dans l'ordre juridique existant. Le contrôle juridique préventif va de pair avec le processus politique de la législation. Il signale à l'Assemblée fédérale, au Conseil fédéral et à l'administration, quand ceux-ci travaillent à la préparation et à l'adoption de dispositions constitutionnelles, de lois ou d'ordonnances ainsi qu'à la conclusion de traités internationaux, les limites juridiques qu'ils doivent observer. Il s'agit notamment d'assurer que les compétences des cantons, celles de l'Assemblée fédérale et celles du Conseil fédéral de même que les droits de participation du peuple (référendum) ne soient pas amputés et que des réglementations nouvelles respectent bien les données matérielles du droit supérieur, en particulier les droits fondamentaux.

Au niveau fédéral, le contrôle juridique préventif est principalement l'affaire des services administratifs dotés de compétences à caractère transversal. C'est ainsi que l'Office fédéral de la justice et, pour certains aspects particuliers, la Chancellerie fédérale, l'Administration fédérale des finances, la Direction du droit international public et le Bureau de l'intégration doivent, à l'occasion d'une procédure de consultation interne (consultation des offices), examiner, systématiquement et d'office, la conformité au droit supérieur de tous les projets d'actes normatifs. Quand vient la délibération parlementaire, ce sont ces mêmes services qui, à la demande des départements compétents ou d'organes du Parlement, donnent leur avis sur la constitutionnalité et la conformité au droit international de toutes les modifications du projet qui sont proposées ou adoptées.

Cette sorte de contrôle a plusieurs avantages: l'accompagnement concerté des départements et offices responsables à raison de la matière, le soutien spécialisé apporté aux commissions parlementaires, la proximité de la pratique, la souplesse, le souci de trouver des solutions. Le contrôle préventif ne s'exerce pas de manière ponctuelle ni à un seul moment, mais à divers stades du
processus législatif. On doit toutefois aussi lui reconnaître quelques défauts. Ils concernent, d'une part, le respect de certaines règles applicables à la procédure administrative interne (en particulier les règles sur les délais). Et, d'autre part, il arrive que des propositions qui sont faites et acceptées au cours des délibérations du Conseil fédéral ou de l'Assemblée fédérale échappent à l'examen. Le système actuel peut ainsi avoir pour conséquence que, selon les circonstances, la question de la conformité au droit d'un projet ne soit pas suffisamment éclaircie. C'est pourquoi le Conseil fédéral considère que l'étude d'un renforcement du contrôle juridique préventif est justifiée.

Après analyse de certains modèles étrangers, le Conseil fédéral examine diverses amorces de solutions propres à renforcer le contrôle préventif. Parmi celles-ci, il y a, en restant dans le système actuel, toute une palette de possibilités de l'améliorer.

Comme autres mesures, on pourrait penser à concentrer dans un office fédéral de la législation la formulation des actes normatifs, ou à en concentrer le contrôle juri-

1990

dique dans un office ou un service administratif indépendant, ou à créer une délégation parlementaire ou un organe mixte, auxiliaire du Parlement pour les questions de constitutionnalité, ou même à charger un tribunal de faire l'expertise des projets normatifs. En partant de ces hypothèses, le Conseil fédéral estime qu'on peut distinguer avant tout trois types d'action possible: ­

L'optimisation du statu quo. Pour améliorer un système de contrôle qui a déjà fait ses preuves, on peut tenir pour raisonnables notamment les mesures suivantes. S'il y a controverse sur la conformité de projets normatifs au droit supérieur, le point doit toujours être clairement exposé et apprécié dans les propositions que les départements adressent au Conseil fédéral, dans les messages du Conseil fédéral ou les rapports qu'il présente sur des projets de commissions. Quant aux notes de discussion qui tranchent des questions de principe qui sont importantes, d'un point de vue juridique, pour les travaux législatifs ultérieurs, elles doivent, dans la mesure du possible, faire l'objet d'une consultation des offices. De leur côté, la Chancellerie fédérale et les Départements font en sorte que les règles applicables à la procédure interne de l'administration, en particulier les règles sur les délais, soient effectivement respectées. Enfin, les départements et les offices responsables à raison de la matière sont instamment invités à se faire assister, au cours de la procédure parlementaire, par les services administratifs spécialisés dans le contrôle juridique, lorsqu'en commission ou au plenum des propositions sont faites qui posent d'importantes questions de droit.

­

La centralisation du contrôle juridique. Les unités responsables de l'accompagnement législatif au sein de l'Office fédéral de la justice, le service juridique et les services linguistiques de la Chancellerie fédérale, éventuellement d'autres services administratifs sont réunis en un nouvel office fédéral ou en un service administratif indépendant. De cette manière, les départements ou les services responsables d'un projet n'ont plus qu'un interlocuteur. Cette solution a pour inconvénient que les divers besoins légistiques n'auront plus un appui aussi large et que les projets ne seront plus expertisés sous autant de points de vue juridiques. En outre, une telle centralisation nécessite une restructuration administrative importante et une nouvelle délimitation des compétences.

­

Le recours à une autorité judiciaire. Le contrôle juridique préventif, exercé aujourd'hui par des services administratifs, est partiellement transféré à un tribunal existant ou à créer. L'avantage d'une telle solution est que l'examen de la conformité des projets au droit supérieur est confié à un organe indépendant de l'Assemblée fédérale, du Conseil fédéral et de l'administration et qu'il intervient à l'écart du débat politique. Les inconvénients n'en sont pas moins patents. La tâche principale d'un tribunal est en effet de trancher des contestations juridiques. Lui attribuer de surcroît une fonction consultative ne manquera pas de le surcharger et même d'affaiblir son autorité judiciaire dans les cas où le Parlement ne suit pas son avis.

D'ailleurs on ne peut pas faire l'économie d'un accompagnement permanent assuré par les départements responsables en la matière, pas plus qu'on ne

1991

saurait priver les services administratifs de la faculté qu'ils ont aujourd'hui d'informer à court terme le Conseil fédéral ou les organes du Parlement.

Le Conseil fédéral en arrive à la conclusion que l'optimisation du statu quo est l'option la plus appropriée. Il prendra dans son domaine de compétence les mesures nécessaires à sa réalisation et, au besoin, soumettra à l'Assemblée fédérale les modifications législatives qui s'imposent.

1992

Table des matières Condensé

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Liste des abréviations

1995

1 Introduction 1.1 Origine et structure du rapport 1.2 Le fond du problème 1.3 But du contrôle juridique préventif

1998 1998 1999 2004

2 Le contrôle juridique préventif au niveau fédéral 2.1 Remarques préliminaires 2.2 Procédure législative préliminaire 2.2.1 Procédure administrative interne 2.2.1.1 Responsabilité primaire des unités administratives compétentes à raison de la matière 2.2.1.2 Le contrôle juridique interne comme tâche des offices dotés de compétences à caractère transversal 2.2.1.3 Avantages et défauts du contrôle juridique interne 2.2.2 Procédure au niveau gouvernemental 2.2.2.1 Compétence législative du Conseil fédéral 2.2.2.2 Déroulement de la procédure 2.2.2.3 Avantages et défauts du contrôle juridique 2.3 Procédure propre aux initiatives parlementaires 2.3.1 Déroulement de la procédure 2.3.2 Avantages et défauts du contrôle juridique 2.4 Procédure parlementaire 2.4.1 Compétences législatives de l'Assemblée fédérale 2.4.2 Délibérations en commissions 2.4.3 Délibérations dans les deux conseils 2.4.4 Avantages et défauts du contrôle juridique 2.5 Phase référendaire 2.6 Effet préventif de la jurisprudence des tribunaux

2004 2004 2005 2005

2009 2013 2017 2017 2017 2018 2020 2020 2021 2022 2022 2022 2024 2025 2027 2027

3 Le contrôle juridique préventif en droit comparé 3.1 Belgique (Conseil d'Etat) 3.2 Allemagne (Ministère fédéral de la justice) 3.3 Finlande (Commission parlementaire de la Constitution) 3.4 France (Conseil d'Etat, Conseil Constitutionnel) 3.5 Pays-Bas (Conseil d'Etat) 3.6 Suède (Conseil de législation) 3.7 Slovaquie (Tribunal constitutionnel) 3.8 Hongrie (Cour constitutionnelle) 3.9 Résumé et synthèse

2028 2029 2029 2031 2032 2033 2034 2035 2036 2037

4 Mesures envisageables pour renforcer le contrôle juridique préventif 4.1 Maintien du statu quo

2038 2039

2005

1993

4.2 Optimisation du statu quo 4.2.1 Procédure préparlementaire 4.2.2 Procédure parlementaire 4.3 Office fédéral de législation 4.4 Centralisation du contrôle juridique préventif 4.5 Nouveaux organes parlementaires 4.6 Autorité judiciaire 4.7 Elargissement de la juridiction constitutionnelle

2039 2039 2043 2045 2047 2049 2051 2056

5 Appréciation 5.1 Appréciation du statu quo 5.2 Options envisageables 5.2.1 Option 1: optimisation du statu quo 5.2.2 Option 2: centralisation du contrôle juridique 5.2.3 Option 3: recours à une autorité judiciaire

2058 2058 2059 2060 2062 2064

6 Conclusion

2065

1994

Liste des abréviations aCst.

AELE AFF AFF al.

ALCP

art.

ATF BI BO CAJ-CE CAJ-CN CC CDF CE CE CEDH CER-CE CER-CN cf.

ChF ch.

CIP-CE CIP-CN CN cons.

Cour EDH CPO Cst.

DDIP DFJP éd.

fedpol

ancienne Constitution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874, abrogée par la Cst. du 18 avril 1999 (RS 1 3) Association européenne de libre échange Administration fédérale des finances Administration fédérale des finances alinéa Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d'une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d'autre part, sur la libre circulation de personnes (RS 0.142.112.681) article Recueil officiel des arrêts du Tribunal fédéral Bureau de l'intégration Bulletin officiel ­ Les procès-verbaux du Conseil national et du Conseil des Etats Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats Commission des affaires juridiques du Conseil national Code civil (RS 210) Contrôle fédéral des finances Communauté européenne Conseil des Etats Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (RS 0.101) Commission de l'économie et des redevances du Conseil des Etats Commission de l'économie et des redevances du Conseil national confer, voir Chancellerie fédérale chiffre Commission des institutions politiques du Conseil des Etats Commission des institutions politiques du Conseil national Conseil national considérant Cour européenne des droits de l'homme Centre des publications officielles Constitution (RS 101) Direction du droit international public Département fédéral de justice et police édition/éditeurs Office fédéral de la police 1995

FF JAAC

LCF LCo LDP LeGes let.

LEtr LFC LFPC LHID LOGA LParl LPD LSEE LTF LTrans n.

no, nos NZZ OCo ODM OFJ OFPER OFSP OLOGA OLPA ONU 1996

Feuille fédérale Jurisprudence des autorités administratives de la Confédération, publiée sous forme de revue jusqu'en 2006 et exclusivement sous forme électronique à partir de 2007, www.vpb.admin.ch Loi du 28 juin 2967 sur le Contrôle des finances (RS 614.0) Loi du 18 mars 2005 sur la consultation (RS 172.061) Loi fédérale du 17 décembre 1976 sur les droits politiques (RS 161.1) Bulletin de la Société de législation et de la Société suisse d'évaluation lettre Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers (RS 142.20) Loi du 7 octobre 2005 sur les finances de la Confédération (RS 611.0) Loi fédérale du 22 décembre 1999 sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération (RS 138.1) Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (RS 642.14) Loi fédérale du 21 mars 1997 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (RS 172.010) Loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (RS 171.10) Loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (RS 235.1) Loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l'établissement des étrangers (RO 1933 279 ss, RS 1 121), abrogée par la LEtr, entrée en vigueur le 1er janvier 2008 Loi du 17 juin 2005 sur le Tribunal fédéral (RS 173.110) Loi 17 décembre 2004 sur la transparence (RS 152.3) note de bas de page Numéro, numéros Neue Zürcher Zeitung Ordonnance du 17 août 2005 sur la consultation (RS 172.061.1) Office fédéral des migrations Office fédéral de la justice Office fédéral du personnel Office fédéral de la santé publique Ordonnance du 25 novembre 1998 sur l'organisation du gouvernement et de l'administration (RS 172.010.1) Ordonnance du 3 octobre 2003 sur l'administration du Parlement (RS 171.115) Organisation des Nations Unies

Ordonnance de l'AF sur la commission de rédaction Org ChF Org DFAE Org DFF Org DFJP p.

p. ex.

PFPDT PJA RCE RCN RO RS RSDIE s., ss TF ZBl

Ordonnance de l'Assemblée fédérale du 3 octobre 2003 sur la Commission de rédaction (RS 171.105) Ordonnance du 29 octobre 2008 sur l'organisation de la Chancellerie fédérale (RS 172.210.10) Ordonnance du 29 mars 2000 sur l'organisation du Département fédéral des affaires étrangères (RS 172.211.1) Ordonnance du 17 février 2010 sur l'organisation du Département fédéral des finances (RS 172.215.1) Ordonnance du 17 novembre 1999 sur l'organisation du Département fédéral de justice et police (RS 172.213.1) page par exemple Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence Pratique juridique actuelle Règlement du Conseil des Etats du 20 juin 2003 (RS 171.14) Règlement du Conseil national du 3 octobre 2003 (RS 171.13) Recueil officiel du droit fédéral Recueil systématique du droit fédéral Revue suisse de droit international et européen suivant, suivants Tribunal fédéral Schweizerisches Zentralblatt für Staats- und Verwaltungsrecht

1997

Rapport 1

Introduction

1.1

Origine et structure du rapport

Le présent rapport fait suite au postulat Pfisterer 07.3360 du 20 juin 2007 intitulé «Renforcement du contrôle préventif de la constitutionnalité». Ce postulat a été adopté le 26 septembre 2007. En voici le libellé: «Le Conseil fédéral est chargé d'examiner de quelle manière le contrôle préventif de la constitutionnalité par l'Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et l'administration pourrait être renforcé lors de l'élaboration notamment de lois, d'ordonnances et d'actes relevant du droit international dérivé. Il présentera au Parlement un rapport sur la question.

Il examinera en particulier les points ci-après, en tenant compte des considérations émises dans le développement: a. Quels sont les domaines où le risque de créer des dispositions anticonstitutionnelles est le plus élevé? Quelle est l'évolution prévisible?

b. Quels doivent être les buts du contrôle préventif de la constitutionnalité? Quelles sont les mesures possibles? Quels sont leurs avantages et leurs inconvénients? De quelle façon peuvent-elles être appliquées (procédure, calendrier, ressources nécessaires)?

c. De quelle manière pourrait-on, en premier lieu, renforcer le rôle de l'Office fédéral de la justice et accroître son importance dans l'ensemble de la procédure, c'est-à-dire jusqu'au vote du Conseil fédéral ou du Parlement? Pourrait-on lui conférer un statut comparable à celui du Contrôle fédéral des finances (avec l'obligation de présenter chaque année un rapport public au Parlement)? Serait-il judicieux de créer parallèlement un service parlementaire de contrôle de la constitutionnalité? Serait-il opportun, en second lieu, d'instituer un organe de contrôle interne ou externe au Parlement (tel qu'une délégation parlementaire de contrôle de la constitutionnalité ou un )?» Le présent rapport a été préparé par un groupe de travail composé de représentants de l'Office fédéral de la justice, de la Chancellerie fédérale, de la Direction du droit international public, du Tribunal fédéral et du Tribunal administratif fédéral1.

Le rapport remplace l'expression «contrôle préventif de la constitutionnalité» par la notion de «contrôle juridique préventif» ou «contrôle de la conformité au droit». Ce qui doit montrer qu'il ne s'agit pas seulement de l'examen de la constitutionnalité de projets normatifs, mais plus généralement de leur conformité au droit fédéral supé1

Le groupe de travail était constitué de la manière suivante: Président: ­ Luzian Odermatt, chef de l'unité Législation II, Office fédéral de la justice Membres: ­ Dieter Cavalleri, chef de la section Droit international, Direction du droit international public ­ Mathias Kuhn, secrétariat du Président, Tribunal administratif fédéral ­ Patrick Mägli, section Droit, Chancellerie fédérale ­ Gerold Steinmann, greffier (conseiller scientifique), Tribunal fédéral ­ Esther Tophinke, unité Législation II, Office fédéral de la justice.

1998

rieur (y compris l'examen de la conformité au droit des ordonnances) et au droit international liant la Suisse.

La structure du rapport correspond aux questions posées dans le postulat.

L'introduction esquisse le fond du problème et précise le but du contrôle juridique préventif. La deuxième partie examine comment le contrôle juridique préventif des actes normatifs est pratiqué aujourd'hui par l'administration fédérale, le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale (analyse de la situation actuelle). On y montre notamment les forces et les faiblesses du système existant. Pour trouver des amorces de solutions, la troisième partie jette un regard sur des modèles étrangers de contrôle juridique ou de constitutionnalité préventif. La quatrième partie expose certaines mesures qu'on peut concevoir pour renforcer le contrôle juridique préventif et elle en signale les avantages et les défauts. Après une appréciation du résultat de l'étude, la cinquième partie formule trois types d'action possible.

1.2

Le fond du problème

Construction de l'ordre juridique par degrés La Constitution fédérale forme la base juridique de la Confédération suisse. Elle définit les buts et les tâches de l'Etat, elle consacre les droits fondamentaux, elle établit les organes de l'Etat, leurs compétences et leurs rapports réciproques, elle répartit les compétences entre la Confédération et les cantons et règle les relations avec la communauté internationale. La démocratie, le respect du droit et le fédéralisme sont parmi les caractères les plus marquants de notre structure constitutionnelle2: ces trois principes sont d'égale valeur; ils se conditionnent et se complètent mutuellement.

Mais la Constitution ne fixe que les traits essentiels de l'ordre juridique, elle doit être concrétisée par les organes qui en ont la compétence. Au niveau fédéral, le législateur fédéral, c'est-à-dire l'Assemblée fédérale et le peuple, ainsi que le Conseil fédéral et l'administration fédérale qui leur sont subordonnés, occupent, à cet égard, une position centrale. C'est à eux, principalement, qu'il incombe de mettre en oeuvre, par l'édiction de lois et d'ordonnances et, au besoin, par la conclusion de traités internationaux, les mandats qui sont donnés par la Constitution.

En sa qualité de charte suprême qui définit les valeurs et les mécanismes fondamentaux de la communauté et qui a été acceptée par le peuple et les cantons, la Constitution fédérale a la primauté sur les lois et les ordonnances fédérales ainsi que sur l'ensemble du droit des cantons. L'ordre juridique interne de la Confédération et des cantons se conçoit donc comme une «construction par degrés» (Constitution ­ loi ­ ordonnance). Le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire (art. 49, al. 1, Cst.). Quant à la question du rang qu'occupe, dans la hiérarchie juridique interne de la Suisse, le droit international impératif (notamment les traités qui la lient et la coutume), nous renvoyons au rapport que le Conseil fédéral a consacré à la

2

Message du Conseil fédéral relatif à une nouvelle constitution fédérale, du 20 novembre 1996, FF 1997 I 14 ss; René Rhinow/Markus Schefer, Schweizerisches Verfassungsrecht, 2e éd., Bâle 2009, p. 34 ss.

1999

relation entre le droit international et le droit interne, où le problème est traité de manière différenciée3.

C'est une question politique centrale, pour un Etat, que de déterminer lequel de ses organes doit contrôler que les dispositions constitutionnelles, les lois et les ordonnances sont conformes au droit supérieur. Au niveau fédéral, il n'y a pas d'autorité qui soit seule responsable de ce contrôle, il y a bien plutôt plusieurs «gardiens du droit supérieur» qui, chacun dans le cadre de ses compétences, veillent, à titre préventif ou répressif, à la conformité du droit inférieur à la Constitution, aux lois et au droit international: l'Assemblée fédérale, le Conseil fédéral, l'administration fédérale dans la mesure où elle est chargée d'assurer la qualité juridique de la législation, ainsi que le Tribunal fédéral et les autres organes d'application du droit4.

Le contrôle juridique préventif Le contrôle juridique est préventif quand la conformité des règles juridiques au droit supérieur est examinée avant leur adoption5, mais au plus tard avant leur publication ou leur entrée en vigueur. Le contrôle préventif est toujours un contrôle abstrait; comme les règles en question ne sont pas encore en vigueur, elles ne peuvent pas fournir la base d'un acte d'application concret. Au niveau fédéral, c'est en particulier l'Office fédéral de la justice qui contrôle la conformité de tous les projets d'actes normatifs au droit supérieur, notamment au droit constitutionnel et aux lois, et leur compatibilité avec le droit international impératif. D'autres unités administratives assument aussi un contrôle sous des angles bien déterminés, notamment la Chancellerie fédérale, l'Administration fédérale des finances, la Direction du droit international public et le Bureau de l'intégration. L'Assemblée fédérale exerce un contrôle préventif d'un type spécial quand elle examine la validité d'une initiative populaire.

Elle vérifie en particulier si le texte constitutionnel rédigé par le comité d'initiative est bien compatible avec les dispositions impératives du droit international.

Le présent rapport a pour objet de montrer comment fonctionne, en détail, le contrôle juridique préventif au niveau fédéral, quels sont ses points forts et ses points faibles et comment il pourrait éventuellement être amélioré. On rangera
sous contrôle juridique préventif tous les mécanismes d'examen, y compris les mesures qui n'ont pas d'effet obligatoire (comme les avis de droit adressés à l'Assemblée fédérale au sujet de la constitutionnalité d'un projet de loi)6.

Le rapport traite essentiellement du contrôle préventif de normes étatiques (règles générales et abstraites, règles de droit); il ne s'occupe pas, en principe, du contrôle 3 4

5

6

Rapport du Conseil fédéral, du 5 mars 2010, sur la relation entre droit international et droit interne, FF 2010 2067.

Une certaine fonction de gardien incombe aussi, de fait, à la science juridique, même si cela n'est dit ni dans la Constitution ni dans une loi (avis de droit, publications scientifiques, prises de position dans les médias).

Pour les projets constitutionnels, les projets de lois, les ordonnances du Parlement ainsi que les décisions d'approbation de traités internationaux sujets au référendum, l'adoption a lieu avec les votes finals dans les conseils; pour les ordonnances du Conseil fédéral, avec la décision du Conseil fédéral qui en porte approbation.

Notre terminologie s'écarte du sens habituel de la notion de contrôle juridique préventif en ce qu'en général on ne parle de «contrôle» préventif que si cet examen est obligatoire et si sa conclusion peut empêcher l'entrée en vigueur de la règle qui en est l'objet. Voir le message du 20 novembre 1996 relatif à une nouvelle Constitution fédérale, FF 1997 I 518; Andreas Auer, Die schweizerische Verfassungsgerichtbarkeit, Bâle/Francfort, 1984, p. 14.

2000

d'actes individuels et concrets; par exemple, il ne porte pas sur la conformité au droit d'une décision du Conseil fédéral ni sur la compatibilité d'un arrêté budgétaire du Parlement avec les règles du frein à l'endettement qui figurent aux art. 126, al. 2 et 3, et 159, al. 3, let. c, Cst. Ajoutons encore que le rapport porte sur la conformité au droit des actes normatifs fédéraux et non, en principe, sur celle des actes cantonaux7.

Le contrôle juridique subséquent Le contrôle juridique est répressif ou subséquent quand les règles juridiques ne sont examinées qu'après leur publication ou leur entrée en vigueur, soit abstraitement, soit à l'occasion d'un acte concret d'application, et qu'en cas de violation du droit supérieur elles sont annulées ou ne sont plus appliquées. En Suisse, ce type de contrôle est, avant tout, l'affaire des tribunaux.

Alors que les actes normatifs cantonaux sont soumis aussi bien à un contrôle abstrait qu'à un contrôle concret8, les actes normatifs fédéraux ne sont exposés qu'à un contrôle concret. En principe toutes les autorités d'application du droit, et en dernière instance le Tribunal fédéral, peuvent contrôler, dans un cas d'espèce et à titre accessoire, les règles fédérales qui ont déterminé la décision et refuser de les appliquer quand elles ne sont pas conformes au droit supérieur. C'est ce qu'on appelle le système «diffus»9. Cela vaut sans réserve pour les ordonnances de l'Assemblée fédérale, celles du Conseil fédéral10 et celles des départements. En revanche, l'art. 190 Cst. contient une restriction considérable: le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d'appliquer les lois fédérales et le droit international. D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, cette disposition n'interdit pas de contrôler, mais elle ordonne d'appliquer11. Les tribunaux peuvent très bien examiner la conformité des lois fédérales à la Constitution fédérale, mais ils sont liés par les décisions, même inconstitutionnelles, du législateur fédéral. Quant aux conséquences de l'art. 190 Cst. sur les lois fédérales contraires au droit international, diverses questions sont encore ouvertes12. Mais beaucoup de conflits entre lois fédérales et Cons-

7

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9 10 11 12

Aux termes de l'art. 61b LOGA, les cantons soumettent leurs lois et leurs ordonnances à l'approbation de la Confédération si une loi fédérale le prévoit. L'approbation est une condition de validité. En l'absence de litige, l'approbation est conférée par le département compétent; en cas de litige, la décision ressortit au Conseil fédéral.

Pour les constitutions cantonales, le régime est particulier. D'après la jurisprudence, les révisions constitutionnelles ne peuvent pas être attaquées en contrôle abstrait devant le Tribunal fédéral (ATF 118 Ia 124); elles sont soumises à une procédure de garantie par l'Assemblée fédérale (art. 51 et 172, al. 2, Cst.). Mais les dispositions d'une constitution cantonale peuvent toujours être contrôlées accessoirement quand le droit supérieur n'a été modifié qu'après l'octroi de la garantie par l'Assemblée fédérale. Voir ATF 111 Ia 239 et ss; 116 Ia 359, cons. 4b, p. 366; 121 I 138, cons. 5c/aa, p. 147; Heinz Aemisegger/Karin Scherrer, in: Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2008, ad art. 82 LTF, no 40; Ulrich Häfelin/Walter Haller/Helen Keller, Schweizerisches Bundesstaatsrecht, 7e éd., Zurich/Bâle/Genève 2008, no 1033.

Häfelin/Haller/Keller (n. 8), nos 2070 ss.

ATF 128 II 249, cons. 5.4, p. 263; 119 IV 260; 114 Ib 17 ATF 128 II 249, cons. 5.4, p. 263; 123 V 310, cons. 6b/bb, p. 322; 123 II 11, cons. 2; 117 Ib 367, cons. 2f, p. 373.

Voir, à ce sujet, le rapport du Conseil fédéral du 5 mars 2010 sur la relation entre droit international et droit interne (FF 2010 2067); Yvo Hangartner, in: Die schweizerische Bundesverfassung ­ Kommentar, Ehrenzeller et al. (éd.), 2e éd. 2008, ad art. 190, nos 29 ss.

2001

titution fédérale ou entre lois fédérales et droit international peuvent être résolus par la méthode dite de l'interprétation des lois «conforme» au droit supérieur13.

Rapport entre le contrôle juridique préventif et le contrôle juridique subséquent Dans les domaines où le contrôle juridique subséquent est limité ­ notamment s'agissant de la conformité des lois fédérales à la Constitution ­, le contrôle juridique préventif prend une importance accrue. Le contrôle préventif ne peut toutefois pas remplacer le contrôle subséquent. Les deux instruments se complètent l'un l'autre et servent de manières différentes le même but, qui est d'assurer la conformité du droit inférieur à la Constitution et aux lois ainsi que la compatibilité du droit interne avec le droit international. Le contrôle subséquent resterait indispensable même si le contrôle préventif fonctionnait sans lacunes. Il arrive, en effet, que des dispositions législatives ne se révèlent inconstitutionnelles ou douteuses qu'à l'usage. D'ailleurs il peut se faire aussi que le droit constitutionnel évolue et que ces mêmes lois deviennent inconstitutionnelles14. Inversement, même un contrôle subséquent développé ne dispenserait pas d'un contrôle préventif. Le respect du droit commande, d'éviter autant que possible les violations du droit plutôt que de les corriger ultérieurement.

Essais de réforme Au cours de ces dernières années, les projets de réformes et les interventions parlementaires n'ont pas manqué qui avaient pour but de développer le contrôle juridique subséquent, notamment la juridiction constitutionnelle. On rappellera la «Réforme de la justice», qui voulait donner au Tribunal fédéral le pouvoir d'examiner, à l'occasion d'un acte d'application, si une loi fédérale viole des droits constitutionnels, le droit international ou les compétences que la Constitution fédérale garantit aux cantons15. Dans son message sur la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons (RPT), le Conseil fédéral, à la demande des cantons, avait proposé de confier au Tribunal fédéral le soin de décider, sur la réclamation d'un canton, si une loi fédérale viole une compétence que la Constitution fédérale attribue aux cantons16. Plus récemment, diverses initiatives parlementaires, notamment l'initiative
Studer Heiner sur la juridiction constitutionnelle (05.445)17 et l'initiative Müller-Hemmi sur la primauté de la Constitution fédérale (07.476)18, ont repris le sujet. Le thème est réapparu avec l'initiative parle-

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18

ATF 134 I 105, cons. 6, p. 110; 134 II 249, cons. 2.3; 128 IV 201, cons. 1.2; 125 III 209, cons. 4c, p. 216. Sur les limites de l'interprétation conforme à la Constitution: 134 II 249, cons. 2.3.

Cf. ATF 116 Ia 359, cons. 5c, p. 368; arrêt TF 5F 6/2008, du 18 juillet 2008, cons. 3.1.

Projet C de la réforme constitutionnelle, FF 1997 I 652 (art. 178 Cst.).

FF 2002 2155 2326 ss 2202 2419. Le Parlement n'a pas repris cette proposition.

La CAJ-CN a proposé de donner suite à l'initiative (12 octobre 2007). La CAJ-CE a statué en sens contraire (13 mai 2008). La CAJ-CN a maintenu sa décision (16 octobre 2008). Le Conseil national l'a suivie, par 80 voix contre 67, le 28 avril 2009. Le 15 juin 2009, la CIP-CE a également décidé de donner suite à l'initiative.

La CAJ-CN (16 octobre 2008) de même que la CAJ-CE (15 juin 2009) ont proposé de donner suite à l'initiative.

2002

mentaire Vischer sur la validité des initiatives populaires (07.477)19. Enfin, le groupe parlementaire UDC a proposé, également par voie d'initiative parlementaire (08.401), un modèle de contrôle subséquent des ordonnances du Conseil fédéral par le Parlement (modèle des ordonnances sujettes à veto)20. Mais le but de cette proposition est moins de vérifier la conformité au droit supérieur de certaines dispositions d'ordonnances que de s'assurer que, dans ses ordonnances, le Conseil fédéral met correctement en oeuvre la volonté du législateur.

Moins nombreuses et, en général, plus anciennes sont les propositions qui tendent à renforcer le contrôle préventif. On peut citer, par exemple, un postulat Stüssi, adopté le 10 juin 1954 par le Conseil des Etats, qui demandait si le Département fédéral de justice et police ne devrait pas être associé à la préparation de tous les actes normatifs21. Ensuite, le Conseil fédéral a proposé, à l'occasion de la refonte de la loi sur les rapports entre les conseils, d'instituer une délégation parlementaire pour renforcer le contrôle de la constitutionnalité des projets dans la phase des délibérations parlementaires22. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle (Réforme des droits populaires), le Conseil fédéral avait encore proposé que l'Assemblée fédérale, quand il y avait doute quant à savoir si une initiative populaire respectait l'unité de la forme et l'unité de la matière ainsi que les dispositions impératives du droit international, saisisse le Tribunal fédéral qui statuerait définitivement23. Après l'échec de la réforme des droits populaires, le Parlement en a repris les éléments qui pouvaient réunir une majorité, parmi lesquels l'initiative dite générale. Le peuple et les cantons ont accepté notamment, le 9 février 2003, un nouvel art. 189, al. 1bis, Cst.24, aux termes duquel le Tribunal fédéral connaîtrait des recours pour non respect du contenu et des objectifs de l'initiative. D'après le projet législatif qui devait le concrétiser, un comité d'initiative aurait pu, dans les trente jours à dater de la publication des décisions des conseils par la Chancellerie fédérale, attaquer devant le Tribunal fédéral l'acte normatif par lequel l'Assemblée fédérale entendait mettre en oeuvre l'initiative populaire générale25. Le Parlement n'est toutefois pas entré en matière 19

20

21 22 23 24 25

La CIP-CN a proposé de donner suite à l'initiative (22 août 2008). La commission CIPCE a statué en sens contraire (14 octobre 2008). Le 11 mars 2009, le CN a décidé d'y donner suite. Voir, à ce sujet, une série d'articles d'Andreas Auer dans la NZZ: Statt Abbau der Volksrechte ­ Ausbau des Rechtsstaates, Völkerrechtswidrige Volksinitiativen als Anstoss zum Ausbau der Verfassungsgerichtsbarkeit, NZZ du 10 septembre 2008, p. 15; Volk und Richter ­ wenn keiner das letzte Wort hat, NZZ des 13 et 14 septembre 2008, p. 13; Das Bundesgericht soll es richten, NZZ des 23 et 24 août 2008, p. 16.

D'après cette proposition, les deux conseils devraient pouvoir opposer aux ordonnances du Conseil fédéral un veto simple, c'est-à-dire sans possibilité de modification, lorsqu'un tiers des membres de l'un ou l'autre conseil le demande (67 membres du Conseil national ou 16 membres du Conseil des Etats). Le Conseil national a décidé, à une forte majorité, de donner suite à cette initiative (17 décembre 2008). Le Conseil des Etats, également à une forte majorité, a décidé en sens contraire (12 mars 2009). Sur le veto opposé à des ordonnances, voir aussi Georg Müller, Veto gegen Verordnungen fragwürdig: Eingriff ins Zweikammersystem und Überforderung des Parlaments, NZZ du 17 février 2009, p. 15.

Voir l'allusion qu'y fait le Conseil fédéral dans son message du 25 avril 1960 concernant une nouvelle loi sur les rapports entre les conseils, FF 1960 I 1507 1543.

FF 1960 I 1507 1552 ss. A ce sujet, voir plus loin ch. 4.5.

Projet B de la réforme constitutionnelle, FF 1997 I 650 (art. 177a Cst.).

Voir l'arrêté fédéral du 4 octobre 2002 relatif à la révision des droits populaires, RO 2003 1949.

Projet de loi fédérale sur l'introduction de l'initiative populaire générale, ch. I/3, art. 89, al. 4 (nouveau), et 101a (nouveau) LTF, FF 2006 5073 5081 Voir aussi Gerold Steinmann, in: Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 2008, ad art. 82 let. c, LTF, nos 101 ss.

2003

sur ce projet législatif et a, tout au contraire, décidé de modifier à nouveau la Constitution pour en éliminer l'instrument de l'initiative populaire générale26. Lors de la votation du 27 septembre 2009, le peuple et les cantons ont accepté cette modification.

1.3

But du contrôle juridique préventif

Le contrôle juridique préventif va de pair avec le processus politique de la législation. Il a pour but d'assister l'organe législatif compétent, en particulier l'Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et l'administration fédérale, quand il lui incombe de mettre en oeuvre la Constitution par des lois et des ordonnances ou par la conclusion de traités internationaux. Des mécanismes efficaces doivent contribuer à faire que la procédure de législation et celle de la conclusion des traités internationaux se déroulent en harmonie avec le droit supérieur. Il s'agit notamment d'assurer que les compétences des cantons, de même que les droits de participation du peuple (et des cantons), ne soient pas amputés et que des réglementations nouvelles respectent les données matérielles du droit fédéral supérieur, qu'elles soient compatibles avec le droit international et qu'elles s'insèrent harmonieusement dans l'ordre juridique existant. Le contrôle juridique préventif ne répond pas aux seules préoccupations de l'Etat de droit (telles que le souci de la hiérarchie des normes ou celui de la cohérence du système juridique); il est aussi au service de la démocratie et du fédéralisme. Le contrôle de la qualité juridique de la législation est une condition cadre déterminante pour l'économie. Il est un des éléments constitutifs de la sécurité juridique que l'Etat se doit d'assurer.

2

Le contrôle juridique préventif au niveau fédéral

2.1

Remarques préliminaires

L'analyse de la situation actuelle à laquelle nous allons procéder s'attache à décrire, sur la base du droit en vigueur et à partir de circonstances caractéristiques, la manière dont le contrôle juridique préventif pratiqué au niveau fédéral fonctionne à chacune des étapes de la procédure législative ­ procédure législative préliminaire et procédure parlementaire. Quoique intéressante en soi, une enquête empirique complète, qui aurait recensé le nombre de violations constitutionnelles affectant la législation, n'aurait pas pu être réalisée avec des moyens raisonnables, elle aurait dépassé le cadre du présent rapport et ne serait pas déterminante pour nos conclusions. De surcroît, les avis divergent souvent quand il s'agit de juger du caractère conforme ou non conforme d'une certaine règle au droit fédéral supérieur ou au droit international. Certes les expertises et les avis de l'Office fédéral de la justice et d'autres unités administratives, les points de vue d'experts de la science juridique, et les appréciations faites par le Parlement, peuvent livrer des indices importants sur la question de la non-conformité à la Constitution ou au droit international d'une règle déterminée. Toutefois une réponse contraignante n'est donnée que dans le cas où une autorité d'application, en particulier un tribunal, est amenée à trancher la ques26

Arrêté fédéral du 19 décembre 2008 portant suppression de l'initiative populaire générale (FF 2009 13). L'arrêté est soumis au vote du peuple et des cantons.

2004

tion dans un cas concret. De tels cas ne sont pas fréquents: on mentionnera ici surtout les jugements du Tribunal fédéral et de la Cour européenne des droits de l'homme relatifs au nom et au droit de cité des époux27, à l'inégalité de traitement entre ressortissants suisses et ressortissants d'Etats de la CE ou de l'AELE en matière de regroupement familial28, à l'égalité de traitement entre les familles monoparentales et les familles avec deux parents en matière tarifaire29 ou encore à l'inégalité de traitement entre les couples mariés et les couples concubins en matière d'adoption30.

2.2

Procédure législative préliminaire

2.2.1

Procédure administrative interne

2.2.1.1

Responsabilité primaire des unités administratives compétentes à raison de la matière

Réglementations du niveau de la Constitution, de la loi et de l'ordonnance S'agissant de légiférer au niveau de la Constitution, de la loi ou de l'ordonnance et sous réserve de la procédure applicable au traitement des initiatives parlementaires ou cantonales, c'est le Conseil fédéral qui dirige la phase préliminaire de la procédure (art. 7 LOGA). Il incombe à chacune des unités administratives dotées de compétence dans un domaine déterminé (office compétent à raison de la matière)31 d'entreprendre les premières investigations, de développer un concept de réglementation et d'établir les projets d'actes normatifs et leurs commentaires. Les offices compétents disposent d'une grande marge de manoeuvre quant à la manière de procéder32. Ils peuvent préparer eux-mêmes les avant-projets ou en charger un groupe de travail interne, un expert externe, une commission d'étude ou d'experts.

Quand un projet législatif est complexe, il peut être utile de soumettre au Conseil fédéral une note de discussion sur les questions importantes afin d'y susciter une 27

28 29 30

31 32

Incompatibilité entre les dispositions du CC (art. 30, al. 2, 160, al. 1, 161 et 271) et respectivement l'art. 8, al. 3, Cst. (égalité des sexes) et l'art. 8, lu en relation avec l'art. 14, CEDH. Voir l'arrêt de la Cour EDH du 22.02.1994 (Burghartz contre Suisse), JAAC 1994 n. 121, p. 768; ATF 132 I 68, cons. 4.3.1, p. 78; arrêt du TF 5A.4/2005 du 24.05.2005; ATF 126 I 1, cons. 2e, p. 4; 125 III 209, cons. 5, p. 216. Depuis lors un projet de révision des dispositions concernées du CC a été déposé (FF 2009 423). Voir, à ce sujet, le rapport de la commission des affaires juridiques du Conseil national, du 22.08.2008, relatif à l'initiative parlementaire 03.428n, «Nom et droit de cité des époux.

Egalité» (FF 2009 365), ainsi que l'avis du Conseil fédéral, du 12.12.2008 (FF 2009 389).

Le Conseil national a décidé, le 11 mars 2009, de renvoyer le projet à sa commission avec le mandat de se limiter aux seules modifications rendues absolument nécessaires par l'arrêt précité de la Cour EDH du 22 février 1994 dans la cause Burghartz contre Suisse.

Au sujet du nouveau projet : FF 2009 6843 6849 6851; BO 2009 N 2283.

Différence de réglementation entre l'art. 17, al. 2, LSEE et l'art. 3, al. 1 et 2, Annexe I ALCP. ATF 129 II 249. Cependant, voir maintenant l'art. 42 LEtr.

Incompatibilité entre l'art. 11, al. 1, LHID et l'art. 127, al. 2, Cst. (imposition selon le principe de la capacité économique). ATF 131 II 697 et 131 II 710.

Incompatibilité partielle entre les art. 264a, al. 3, et 267, al. 2, CC et l'art. 8 CEDH (droit au respect de la vie familiale). Arrêt de la Cour EDH du 13.12.07 (Emonet et consorts contre Suisse); arrêt du TF 5F_6/2008 du 18.07.2008 (jugement en révision).

Ce sont les ordonnances d'organisation des différents départements qui attribuent aux divers services la compétence de préparer la législation dans un domaine déterminé.

Cf. Giovanni Biaggini, in: Die schweizerische Bundesverfassung Kommentar, Ehrenzeller et al. (éd.), 2e éd. 2008, ad art. 181 Cst., no 12.

2005

discussion spéciale33. Se fondant sur les résultats des procédures de consultation interne et externe, les offices compétents retravaillent le texte normatif et préparent, à l'intention de leur département respectif, le message et le projet législatif (Constitution, loi ou ordonnance gouvernementale) à soumettre au Conseil fédéral. Comme on le voit, le processus législatif est, au niveau fédéral, organisé de manière décentralisée34.

C'est déjà dans la phase préliminaire de la procédure législative que se prennent plusieurs orientations majeures d'un projet législatif. Les unités administratives responsables doivent, dès la préparation du concept législatif et de l'établissement des premiers textes normatifs, tenir compte du droit déterminant en la matière, en particulier du partage constitutionnel des compétences entre la Confédération et les cantons, des droits fondamentaux et du droit international qui lie la Suisse. Elles doivent aussi veiller à légiférer à un niveau approprié à l'importance de la matière à régler (Constitution, loi, ordonnance du Conseil fédéral ou d'une unité administrative d'un rang inférieur) et examiner la licéité d'éventuelles délégations législatives.

Aussi l'art. 141, al. 2, let. a, LParl dispose-t-il que le Conseil fédéral doit présenter dans son message les bases légales du projet législatif, ses effets sur les droits fondamentaux, sa compatibilité avec le droit de rang supérieur et ses relations avec le droit européen. La jurisprudence des tribunaux fédéraux, la doctrine, le Guide de législation de l'OFJ35 et l'aide-mémoire sur les messages de la ChF36 sont d'importants moyens auxiliaires pour la préparation de la législation. Les offices compétents devraient s'organiser de manière à pouvoir assumer la responsabilité qui leur incombe dans le processus législatif. L'idéal serait qu'ils disposent de mécanismes d'autocontrôle en la forme d'un service juridique, voire d'un système d'assurance qualité (tels qu'en connaissent l'Office fédéral de la santé37 ou l'Office fédéral de l'environnement).

Initiatives populaires Pour les initiatives populaires tendant à la révision partielle de la Constitution et revêtant la forme d'un projet rédigé (art. 139, al. 2, Cst.38), le comité d'initiative concerné formule lui-même le projet de texte constitutionnel. Dans le cadre de
l'examen préliminaire, la ChF contrôle que la liste de signatures satisfasse les exigences formelles de la loi et que le titre de l'initiative n'induise pas en erreur, qu'il 33

34

35 36 37 38

Aux termes de l'art. 17 LOGA, le Conseil fédéral s'entretient des affaires d'importance primordiale lors de réunions et de séances spéciales. Ces discussions approfondies lui permettent de prendre des décisions préliminaires, de déterminer les éléments principaux d'une réglementation et de donner des instructions en vue du traitement de l'affaire au département responsable ou à la Chancellerie fédérale. C'est ainsi que les décisions importantes sont prises au niveau du gouvernement et non de l'administration. Voir, à ce propos, Thomas Sägesser, Handkommentar zum Regierungs- und Verwaltungsorganisationsgesetz (RVOG), Berne 2007, ad art. 17, nos 3 ss.

Il en va, en principe, de même au niveau cantonal. Par exemple pour le canton de Genève, voir Raphaël Martin, L'élaboration décentralisée de la législation: la situation et les perspectives dans le canton de Genève, LeGes 2002/3, p. 67 ss.

Office fédéral de la justice, Guide de législation, guide pour l'élaboration de la législation fédérale, 3e éd., Berne 2007.

Chancellerie fédérale, Aide-mémoire relatif aux messages du Conseil fédéral, (www.bk.admin.ch > Thèmes > Langues > Aides à la traduction et à la rédaction).

Voir, à ce sujet, Markus Schlatter, «Qualitätsmanagement Rechtsetzung» im Bundesamt für Gesundheit (BAG), LeGes 2008/2, p. 315 ss.

Texte selon l'arrêté fédéral du 19 décembre 2008 portant suppression de l'initiative populaire générale (FF 2009 13).

2006

ne contienne aucun élément de publicité commerciale ou personnelle et qu'il ne prête pas à confusion39. La ChF examine aussi la concordance des textes des trois langues officielles. Elle publie, dans la Feuille fédérale, le titre et le texte de l'initiative ainsi que le nom de ses auteurs (art. 69 LDP). A ce stade n'intervient aucun contrôle de la compatibilité du texte constitutionnel proposé avec d'autres dispositions de la Constitution ou avec le droit international40. Selon l'art. 72 LDP, la Chancellerie fédérale constate, à l'expiration du délai constitutionnel de 18 mois imparti pour la récolte des signatures, si l'initiative populaire a recueilli ou non le nombre de signatures valables requis par la Constitution (100 000).

Si l'initiative a abouti, le département et l'office compétents à raison de la matière doivent préparer, à l'intention du Conseil fédéral, le message et un projet d'arrêté fédéral incluant aussi une proposition de recommandation de vote de l'Assemblée fédérale. S'il y a lieu, un contre-projet ou un projet d'acte normatif en rapport étroit avec l'initiative populaire peut être élaboré (art. 139, al. 5, Cst.41; art. 97, al. 2, 101 et 105 LParl). Dans son message, le Conseil fédéral doit en particulier examiner si l'initiative populaire peut être tenue pour valable au regard des critères énoncés à l'art. 139, al. 3, Cst. (unité de la forme, unité de la matière, respect des règles impératives du droit international).

Conclusion de traités internationaux A côté des lois internes, les traités à caractère normatif prennent de plus en plus d'importance comme source du droit en Suisse42. Ce qui distingue principalement la procédure de conclusion des traités de celle de l'adoption des lois, c'est que le contenu même des normes est ­ dans les limites des mandats de négociation des gouvernements ­ fixé dans des négociations internationales43. Pour rendre plus transparentes les tâches qui, en matière de traités internationaux, incombent aux offices compétents, nous allons brièvement esquisser la procédure suivie pour la conclusion de traités.

La compétence de conclure les traités internationaux est une compétence partagée entre l'Assemblée fédérale et le Conseil fédéral. Le Conseil fédéral est compétent pour entamer des négociations, nommer la délégation, définir le mandat de
négociation et signer le texte des accords, sous réserve de l'approbation du Parlement, d'un éventuel référendum facultatif ou obligatoire et la ratification ultérieure44. Il consulte les commissions compétentes en matière de politique extérieure sur les orientations 39 40

41 42

43 44

Cf. arrêt du TF 1A.314/1997 du 30.3.1998, ZBl 1999 527.

Cependant, depuis plusieurs décennies, la Chancellerie fédérale prend soin de signaler aux auteurs d'une initiative populaire d'éventuels problèmes susceptibles d'affecter la validité de l'initiative et leur recommande, dans ce cas, de consulter un expert en droit constitutionnel suisse. Dans sa décision relative à l'examen préliminaire, la Chancellerie fédérale rappelle, par une formule standardisée et expresse, que la question de la validité de l'initiative ne sera tranchée qu'après que celle-ci aura abouti (pour l'initiative populaire «contre la construction des minarets», voir FF 2007 3045, ch. 1, dernière phrase).

Texte selon l'arrêté fédéral du 19 décembre 2008 portant suppression de l'initiative populaire générale (FF 2009 13).

A propos de cette évolution, voir, parmi d'autres, Thomas Cottier, Einleitung und Synthesen, in: Der Staatsvertrag im schweizerischen Verfassungsrecht, Beiträge zu Verhältnis und methodischer Angleichung von Völkerrecht und Bundesrecht, Berne 2001, p. 1 ss.

Voir à ce sujet Silvio Arioli, Besonderheiten der Rechtsetzung durch Staatsverträge, LeGes 2004/2, p. 9 ss.

Daniel Thürer/Binh Truong/Felix Schwendimann, in: Die schweizerische Bundesverfassung Kommentar, Ehrenzeller et al. (éd.), 2e éd. 2008, ad art. 184, nos 11 ss.

2007

principales et sur les directives ou lignes directrices concernant un mandat pour les négociations internationales importantes avant d'adopter ou de modifier ce mandat.

Il informe aussi ces commissions de l'état d'avancement des travaux dans la perspective des orientations prises et de l'avancement des négociations (art. 152, al. 3, LParl). Par ailleurs, les cantons sont aussi associés à la procédure de conclusion des traités internationaux dans la mesure où la loi fédérale sur la participation des cantons à la politique extérieure de la Confédération le prévoit (LFPC). En principe, il appartient à l'Assemblée fédérale d'approuver les traités que le Conseil fédéral a signés (procédure dite ordinaire). Echappent toutefois à l'obligation de l'approbation parlementaire les traités dont la conclusion relève de la seule compétence du Conseil fédéral en vertu d'une loi ou d'un autre traité international approuvé par l'Assemblée fédérale (art. 166, al. 2, Cst.; procédure dite simplifiée). En outre, l'art. 7a LOGA habilite le Conseil fédéral à conclure seul des traités d'importance mineure.

Aux termes de l'art. 48a, al. 1, LOGA, le Conseil fédéral peut déléguer à un département, voire à un groupement ou à un office, la compétence de conclure un tel traité. Pour permettre à l'Assemblée fédérale de contrôler la pratique du Conseil fédéral en matière de conclusion de traités internationaux, celui-ci lui rend compte chaque année des traités que lui-même ou une de ses unités subordonnées a conclus (art. 48a, al. 2, LOGA)45. Par voie de motion, l'Assemblée fédérale peut exiger du Conseil fédéral qu'il soumette à son approbation (subséquente) un traité international.

Le département responsable, plus précisément l'office compétent, doit, sous l'angle juridique, vérifier en particulier si le traité international doit être approuvé par l'Assemblée fédérale (art. 166, al. 2, Cst.) et s'il relève du référendum obligatoire (art. 140, al. 1, let. b, Cst.) ou du référendum facultatif (art. 141, al. 1, let. d, Cst.).

Le cas échéant, l'office compétent doit préparer le projet d'arrêté fédéral d'approbation et le message du Conseil fédéral. Si la mise en oeuvre du traité implique une adaptation du droit national, il appartient également à cet office de préparer les modifications législatives nécessaires. Lorsqu'il est
soumis au référendum obligatoire ou sujet au référendum, l'arrêté d'approbation peut intégrer directement les modifications constitutionnelles et légales qui sont liées à la mise en oeuvre du traité (art. 141a Cst.).

Droit international secondaire On désigne des termes «droit international secondaire» ou «droit international dérivé» les décisions prises par des organisations internationales. Certains traités internationaux, en effet, peuvent habiliter des organisations à prendre des décisions contraignantes (telles certaines décisions du Conseil de sécurité de l'ONU relatives, par exemple, à des sanctions non militaires) ou à adopter des recommandations ou déclarations (par exemple, des résolutions de l'Assemblée générale de l'ONU)46.

45 46

Voir, par exemple, le rapport du Conseil fédéral, du 14 mai 2008, sur les traités internationaux conclus en 2007, FF 2008 4151.

Voir, à ce propos, Daniel Thürer/Franziska Isliker, in: Die schweizerische Bundesverfassung Kommentar, Ehrenzeller et al. (éd.), 2e éd. 2008, ad art. 166 Cst., nos 51 ss.

2008

2.2.1.2

Le contrôle juridique interne comme tâche des offices dotés de compétences à caractère transversal

Organes et tâches Pour le contrôle juridique préventif interne, l'Office fédéral de la justice joue un rôle essentiel. Aux termes de l'art. 7, al. 3, Org DFJP, il examine la constitutionnalité et la légalité de l'ensemble des projets d'actes législatifs, leur conformité et leur compatibilité avec le droit national et international en vigueur et leur exactitude quant au fond. Ce contrôle s'exerce, en premier lieu, sur les projets de révisions constitutionnelles, de lois et d'ordonnances ainsi que sur les projets d'arrêtés fédéraux relatifs à des traités internationaux ou des initiatives populaires. Le contrôle s'étend aussi au projet de message du Conseil fédéral ou aux explications sur les projets d'ordonnance. Quant aux actes dépourvus de caractère normatif telles que les ordonnances administratives (directives internes, instructions de service, etc.), l'OFJ exerce au moins une fonction de conseil. De ce fait, l'office compétent peut examiner avec l'OFJ si la réglementation envisagée ne relève pas, en raison d'éventuelles effets externes, du niveau de l'ordonnance, voire de la loi formelle.

Le contrôle des projets s'opère au regard de l'ensemble des normes déterminantes du droit fédéral supérieur et du droit international. Les questions typiques qui se posent à ce stade portent sur le respect du partage des compétences entre la Confédération et les cantons, sur la compétence de conclure, s'agissant de traités internationaux, sur la conformité des règles de droit aux droits fondamentaux, sur le choix du niveau de réglementation, sur la légalité des dispositions des ordonnances, sur la licéité d'une délégation législative (absence de norme de délégation dans la loi formelle ou précision insuffisante de celle-ci) ainsi que sur le droit transitoire. En outre, le contrôle juridique sert aussi à détecter les contradictions, les inconséquences et les lacunes législatives et à assurer ainsi la cohérence de l'ordre juridique dans son ensemble.

Au sein de l'OFJ, ce sont principalement trois unités rattachées au Domaine de direction Droit public qui assurent ce contrôle dit d'accompagnement législatif: les deux unités Accompagnement législatif et l'unité Droit européen et protection internationale des droits de l'homme. Selon les domaines en cause, elles travaillent aussi de manière étroite avec les autres
unités de l'OFJ.

En collaboration avec la Chancellerie fédérale, l'OFJ examine également la pertinence des actes législatifs dans la perspective de la technique législative et de la rédaction (art. 7, al. 3, Org DFJP, art. 4, al. 1, let. b, Org ChF); règlement du 1er novembre 2007 sur la commission interne de rédaction, CIR, www.bk.admin.ch > Thèmes > Langues > Assurance de la qualité). C'est principalement le Service juridique de la ChF qui est responsable du contrôle sous l'angle de la technique législative. La commission interne de rédaction, réunissant des linguistes des Services linguistiques centraux de la ChF et des juristes de l'OFJ, examine les projets au regard de la langue (logique du plan, intelligibilité, exactitude de la langue, cohérence matérielle et terminologique)47. Certes le contrôle des actes législatifs au regard de la technique législative et de la langue ne porte pas prioritairement sur la conformité des normes au droit. Néanmoins, en révélant les incohérences internes et 47

Voir, sur l'ensemble, Thomas Sägesser, Gesetzgebung und begleitende Rechtsetzung: Zuständigkeitsabgrenzung zwischen Bundeskanzlei und Bundesamt für Justiz, PJA 2008, p. 901 ss.

2009

les imprécisions d'un projet d'acte législatif ou des collisions de normes, il contribue très souvent à mettre en évidence des problèmes juridiques matériels. Dans ce contexte, le plurilinguisme du droit fédéral se révèle être aussi une grande chance, car la collation des différentes versions linguistiques des textes juridiques soulève souvent des questions matérielles et peut susciter un processus de réexamen du fond48.

Le Service juridique de la ChF vérifie, en outre, la conformité des projets législatifs au droit relatif à l'organisation de l'administration fédérale, aux procédures de consultation externe, aux publications officielles et aux droits politiques (art. 4, al. 2, Org ChF).

Dans son domaine de compétence, l'Administration fédérale des finances (AFF) assume aussi une part du contrôle juridique. Elle vérifie, en particulier, la compatibilité des actes normatifs avec le droit budgétaire et le droit des subventions. Elle examine, de surcroît, quelles sont les répercussions financières d'un projet (voir l'art. 58, al. 3, LFC et l'art. 8, al. 1, let. c, Org DFF)49.

La Direction du droit international public veille, elle, à ce que les autorités suisses interprètent et appliquent correctement toutes les règles du droit international public (art. 9, al. 2, let. a, Org DFAE). Dans le cadre du contrôle préventif, elle examine notamment la compatibilité des projets législatifs du droit interne avec les obligations internationales de la Suisse, telles qu'elles résultent du droit international conventionnel et coutumier. Quant à l'élaboration du droit au niveau international, la DDIP participe aux négociations (art. 9, al. 3, let. b, Org DFAE) et signale les conflits potentiels avec le droit international et le droit interne. Elle examine également la nature de la réglementation interétatique convenue, c'est-à-dire si l'on est en présence d'un traité international ou d'un instrument juridiquement non contraignant; en fonction du résultat de cet examen, elle vérifie, en collaboration avec l'OFJ, si le partage interne des compétences en matière de conclusion des traités internationaux est respecté (art. 9, al. 3, let. d, Org DFAE). Enfin et toujours en collaboration avec l'OFJ, la DDIP est compétente pour interpréter les notions tirées du droit international public auxquelles le droit interne
renvoie et, à travers le contrôle préventif, pour qu'il en soit tenu compte.

En matière de droit européen, les offices compétents peuvent également devoir collaborer avec le Bureau de l'intégration, qui dispose aussi d'un service juridique.

Le BI coordonne, en particulier, l'exécution et le développement des accords passés avec la CE et conseille l'ensemble de l'administration fédérale pour toutes les questions juridiques relevant du droit de l'intégration (art. 8, al. 3, let. b et d, Org DFAE).

A ces titres, il assiste en particulier les autres offices fédéraux lors de négociations avec l'UE, en leur prodiguant des conseils d'ordre juridique. En outre, il veille à la cohérence de celles des dispositions des accords conclus entre la Suisse et l'UE, qui ont trait aux institutions (par exemple, celles qui définissent les compétences des Comités mixtes. Enfin, en collaboration avec l'OFJ il examine si les normes adop-

48

49

Il en va de même des travaux de révision précédant la publication au Recueil officiel et de ceux liés à l'insertion des textes dans le Recueil systématique, travaux conduits par le Centre des publications officielles de la Confédération (CPO), qui relève de la Chancellerie fédérale.

L'AFF et le Secrétariat général du DFF disposaient d'un service juridique commun.

Ce service est depuis le 1er mars 2010 divisé et réparti entre ces deux unités et le nouveau Secrétariat d'Etat aux affaires financières internationales.

2010

tées par la Suisse sont compatibles avec les engagements qu'elle prend dans le cadre des accords conclus avec l'UE.

Enfin plusieurs offices et organes dotés de compétences à caractère transversal assument certaines responsabilités en matière de contrôle juridique préventif. Ainsi, l'Office fédéral du personnel examine si les projets d'actes normatifs sont conformes à la législation en matière de personnel. Lorsque des projets touchent l'égalité entre femmes et hommes, l'égalité des personnes handicapées ou la protection des données, ils sont examinés sous ces angles par les organes fédéraux compétents, à savoir, dans l'ordre, le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes, le Bureau fédéral de l'égalité des personnes handicapées et le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence.

Procédure Les contrôles juridiques qu'exercent, lors de la préparation des actes normatifs, l'OFJ, la ChF, l'AFF et, s'il y a lieu, la DDIP et le BI interviennent au plus tard au moment de la procédure de consultation que prévoit l'art. 4 OLOGA. Cette procédure de consultation, qui est interne à l'administration, doit servir à coordonner les différentes connaissances matérielles qui s'y sont développées et à éliminer, à ce niveau déjà, les éventuelles divergences50. Lors de la préparation de propositions au Conseil fédéral, l'office responsable invite les unités administratives concernées à donner leur avis. Conformément aux Directives sur les affaires du Conseil fédéral51, doivent toujours être consultés l'OFJ, la ChF, l'AFF et les secrétariats généraux de tous les départements. Le délai de consultation doit être approprié (art. 4, al. 1, OLOGA). Il est, en principe, de trois semaines; pour des affaires de moindre importance, réputées non problématiques, ou pour des affaires de nature routinière le délai peut être plus court mais ne saurait être inférieur à une semaine (Directives sur les affaires du Conseil fédéral). Les avis de l'OFJ et des autres unités ne sont juridiquement pas contraignants. L'office compétent à raison de la matière n'est pas tenu d'en reprendre les conclusions, mais il doit alors s'en expliquer52. Si les divergences ne peuvent être éliminées, le département responsable à raison de la matière doit les exposer dans sa proposition au Conseil fédéral (art. 4, al. 2,
OLOGA). Seules font exception à cette règle les divergences qui subsistent à l'intérieur du département responsable. Les offices d'un même département sont tenus de s'entendre. Si nécessaire, il appartient à la direction du département de trancher. Les avis rendus lors de la consultation des offices ne sont, en principe, pas publiés. En revanche l'art. 8, al. 2 et 3, LTrans garantit, en principe, un droit d'accès à ces documents, une fois prise la décision du Conseil fédéral et pour autant qu'aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s'y oppose (art. 7 LTrans)53.

Notamment si les sujets sont techniquement difficiles ou les objets législatifs politiquement délicats, l'OFJ, la ChF et l'AFF, de même que la DDIP et le BI en cas de 50 51

52 53

Sägesser, Handkommentar (n. 33), ad art. 15 LOGA, no 27.

Directives relatives à la préparation et au traitement des affaires du Conseil fédéral, approuvées, le 21 juin 1996, par la Conférence des secrétaires généraux des départements, et entrées en vigueur, le 1er janvier 1997. Depuis le 1er novembre 2000, fait foi la version électronique, actualisée en continu.

Sägesser, Handkommentar (n. 33), ad art. 15 LOGA, no 36.

Voir, à ce sujet, Laurenz Rotach, Zugang zu den Materialien des Gesetzgebungsverfahrens, LeGes 2008/2, p. 261; Pascal Mahon/Olivier Gonin, in: Stephan C. Brunner/ Luzius Mader (Hrsg.), Handkommentar zum Öffentlichkeitsgesetz, Berne 2008, ad art. 8 LTrans, nos 34 ss.

2011

traités internationaux ou de questions de droit européen, sont souvent associés à la préparation de la législation avant même la phase de la consultation des offices.

C'est ainsi que des collaborateurs de ces différentes unités sont appelés à participer aux travaux, par exemple dans des groupes de travail internes ou des commissions d'experts, qu'ils examinent les problèmes et recherchent des solutions avec les offices compétents, qu'ils fournissent des renseignements écrits ou oraux, qu'ils proposent eux-mêmes des formulations de texte ou qu'ils prennent position dans le cadre d'une pré-consultation54.

En règle générale, l'OFJ peut encore, à l'occasion de la procédure dite de co-rapport qui précède immédiatement la prise de décision par le Conseil fédéral (cf.

ch. 2.2.2.2), prendre position ­ à l'adresse du DFJP ­ sur les projets législatifs des autres départements. Il en va de même du Service juridique de la ChF et ­ à l'intention de leur département respectif ­ de l'AFF, de la DDIP et du BI.

Ainsi les projets du niveau de la Constitution, de la loi, parfois de l'ordonnance, de même que les projets d'arrêtés fédéraux portant approbation de traités internationaux soumis ou sujets à référendum sont présentés, pas moins de quatre fois, aux offices spécialisés qui sont compétents pour procéder au contrôle juridique: lors de l'élaboration de l'avant-projet qui sera envoyé en consultation externe55 (consultation des offices et procédure de co-rapport) et lors de la préparation du projet du Conseil fédéral (également consultation des offices et procédure de co-rapport).

Quant aux projets d'ordonnance du Conseil fédéral pour lesquels l'avis de milieux concernés externes à l'administration a été sollicité (art. 10 LCo), ils sont soumis, à trois reprises au moins, à un contrôle juridique préventif: lors de l'élaboration des documents de l'audition (consultation des offices)56 et lors de la préparation du projet qui sera soumis au Conseil fédéral (consultation des offices et procédure de co-rapport). Les projets d'actes législatifs pour lesquels aucune consultation externe n'est prévue et qui ne font pas l'objet d'une audition, tels que les ordonnances du Conseil fédéral, les projets de message relatifs à des initiatives populaires revêtant la forme d'un projet rédigé et tendant à la révision partielle de la Constitution57 ou les projets d'arrêtés fédéraux relatifs à des traités internationaux, subissent, pour le 54

55

56

57

Voir, à ce sujet, Markus Spinatsch, Kompetent, hartnäckig, konstruktiv, Die Hauptabteilung Staats- und Verwaltungsrecht des Bundesamtes für Justiz im Urteil ihrer Partner in der Bundesverwaltung, Bericht zuhanden des Leiters der Hauptabteilung Staats- und Verwaltungsrecht des Bundesamtes für Justiz, Berne 2006, p. 6 s.

Lors de la procédure de consultation, les cantons, les partis politiques et les milieux intéressés sont invités à se prononcer sur les actes législatifs importants et sur les autres projets de grande portée lors des travaux préparatoires, ainsi que sur les traités internationaux importants (art. 147 Cst., art. 3 LCo). Aux termes de l'art. 2 LCo, cette procédure publique et externe à l'administration vise à associer les principaux groupes d'intérêts et les collectivités de l'Etat à la définition de la position de la Confédération et à l'élaboration de ses décisions. Elle doit permettre de déterminer si un projet de la Confédération est matériellement correct, exécutable et susceptible d'être bien accepté. Même si certains participants à la consultation peuvent exprimer des doutes de nature juridique, cette procédure ne constitue pas prioritairement un contrôle juridique.

Quoique l'art. 4 OLOGA ne prévoie pas une consultation des offices formelle avant l'ouverture d'une procédure d'audition, la consultation de toutes les unités administratives concernées par un projet est obligatoire au regard de l'art. 15 OLOGA. Il n'y a guère de différence pratique entre ce type de consultation et la consultation entendue au sens formel.

Les initiatives populaires revêtant la forme d'un projet rédigé ne font pas l'objet d'une consultation externe. Cf. Thomas Sägesser, Handkommentar zum Vernehmlassungsgesetz, Berne 2006, art. 3 LCo, no 26.

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moins, deux contrôles: lors de la consultation des offices et lors de la procédure de co-rapport. En revanche, les projets d'ordonnance du niveau d'un département ou d'un office, voire de directives, ne sont contrôlés qu'une seule fois, au moment de la consultation des offices.

On constate donc que l'OFJ, la ChF, l'AFF et, selon les cas, la DDIP et le BI ont, en principe, suffisamment d'occasions de vérifier si un projet normatif est conforme à l'ensemble du droit qui le régit, cela dans la mesure où ils ont suffisamment de personnel disponible. Dans la plupart des cas, la majeure partie du contrôle juridique préventif intervient dans la phase initiale du processus législatif, c'est-à-dire au moment de la consultation des offices qui précède l'ouverture de la consultation externe58.

Parallèlement à l'accompagnement législatif, les expertises portant sur des questions juridiques majeures liées à des travaux législatifs servent également le contrôle juridique préventif. Aux termes de l'art. 7, al. 2, Org DFJP, l'OFJ donne des renseignements juridiques et établit des expertises, notamment dans le domaine du droit constitutionnel et de la protection internationale des droits de l'homme, à l'intention de l'Assemblée fédérale, du Conseil fédéral et de l'administration fédérale. Dans leur domaine de compétence respectif, le Service juridique de la ChF et la DDIP établissent également des expertises. Souvent on les trouve publiées dans la JAAC ou la RSDIE. L'OFJ rend ses expertises le plus souvent à la demande d'autres unités administratives ou organes de la Confédération (autres offices fédéraux, unités de l'administration fédérale décentralisée, autres départements, Conseil fédéral, commissions parlementaires, etc.), quelquefois sur mandat du DFJP lui-même, voire, mais c'est rare, de sa propre initiative59. A la différence de ce qui se passe dans le cadre d'une consultation des offices, les unités administratives ne sont, en principe, pas tenues de consulter l'OFJ lorsqu'elles procèdent d'elles-mêmes à une analyse approfondie de problèmes juridiques. Dans les questions juridiques où l'OFJ ou le DFJP semblent avoir un avis préconçu ou s'il s'agit d'une affaire politiquement délicate, il arrive que les offices demandent une expertise à un spécialiste externe60.

Si tel est le cas, l'OFJ est parfois invité à donner un second avis.

2.2.1.3

Avantages et défauts du contrôle juridique interne

Le contrôle juridique préventif pratiqué par l'administration dans sa procédure interne est conçu comme un contrôle qualitatif de la législation. Il ne constitue qu'une partie d'un examen plus large auquel sont soumis les projets législatifs, examen qui porte sur leur conformité au droit, leur caractère matériellement correct, leur pertinence et leur exactitude linguistique. Il appartient déjà aux offices compétents à raison de la matière d'appliquer, eux-mêmes, les principes de bonne législation définis dans le Guide de législation, ainsi que les Directives de la Confédération

58

59 60

Voir, pour l'ensemble de la question, Luzius Mader, Das Bundesamt für Justiz: eine Dienerin vieler Herren?, in: Die Mitarbeiterinnen und Mitarbeiter des Bundesamtes für Justiz (éd.), Aus der Werkstatt des Rechts, Festschrift zum 65. Geburtstag von Heinrich Koller, Bâle 2006, p. 3 ss.

Mader, Bundesamt (n. 58), p. 4.

Voir aussi, à ce sujet, Luzius Mader, Le rôle du ministère suisse de la Justice, Les Cahiers de Droit, vol. 42, no 3, septembre 2001, p. 511, 513 s.

2013

sur la technique législative. Les services administratifs spécialisés dans le contrôle juridique interne assistent ces offices dans ce travail et les contrôlent.

Avantages

61

62 63

­

La responsabilité de préparer une législation conforme au droit fédéral supérieur et au droit international incombe aux offices mêmes qui sont compétents à raison de la matière. Ceux-ci ne peuvent déléguer cette responsabilité à une lointaine instance de contrôle.

­

Tous les projets d'actes normatifs font, systématiquement et d'office, l'objet d'un contrôle de l'OFJ, de la ChF, de l'AFF et, dans certains cas, de la DDIP et du BI, au regard de leur conformité au droit fédéral supérieur et au droit international. Même si ce contrôle abstrait ne peut aller au fond des choses sur tous les points notamment en raison de l'étendue de certains projets et de la difficulté de recenser tous les cas d'application possibles61, il permet néanmoins d'éviter des violations manifestes du droit déterminant en un domaine donné.

­

Le contrôle juridique préventif vise, de surcroît, à coordonner le processus législatif, à prévenir les contradictions entre différents actes normatifs et à garantir des pratiques uniformes, par exemple pour la formulation de clauses d'évaluation. Il contribue ainsi à la cohérence de l'ensemble de l'ordre juridique. De plus, sont contrôlés non seulement les projets d'actes normatifs eux-mêmes mais aussi les explications, les messages et les propositions au Conseil fédéral qui les accompagnent. Les messages jouent ultérieurement un rôle important dans l'interprétation des normes par les autorités d'application.

­

Un des avantages majeurs du modèle actuel de contrôle juridique préventif est la collaboration concertée et le dialogue qu'il implique entre l'OFJ, la ChF, l'AFF, voire la DDIP et le BI, d'une part, et les offices compétents à raison de la matière, de l'autre. L'accompagnement législatif se distingue par son souci de trouver des solutions et de rester proche de la pratique. Le fait que ses avis ne sont pas contraignants pour les autres offices a pour conséquence que l'OFJ, pour s'imposer, ne peut compter que sur la qualité de son argumentation et de son travail. Raison pour laquelle on constate que les avis de l'OFJ sont, en règle générale, bien accueillis62. Dans les quelques cas où des divergences subsistent à l'issue de la consultation des offices63, il reste encore la possibilité d'intervenir au moment de la procédure de co-rapport. Il en va de même pour la ChF, l'AFF, la DDIP et le BI, chacun dans son domaine respectif.

­

La collaboration des différents offices et services administratifs dotés de compétence à caractère transversal (OFJ, ChF, AFF, DDIP, BI) qui est pratiA la différence d'un contrôle des normes pratiqué par un tribunal, il n'y a pas de plaintes concrètes quant à une prétendue violation de dispositions du droit supérieur ni de motivation correspondante. Le travail de contrôle suppose donc une bonne connaissance du droit supérieur et une grande sensibilité aux questions constitutionnelles et à la procédure législative.

Rapport Spinatsch (n. 54), p. 25 s.

La consultation des offices suppose non seulement de demander aux offices leur avis et de les prendre en considération, mais aussi, à l'occasion de discussions ultérieures, d'éliminer les éventuelles divergences qui subsisteraient.

2014

quée lors du contrôle juridique assure un contrôle du projet sous autant de points de vue juridiques.

­

Un autre avantage tient au fait que le contrôle ne survient pas de manière ponctuelle ni à un seul moment, mais qu'il accompagne le projet à différents stades du processus législatif (pour les projets de loi ou de dispositions constitutionnelles par exemple, lors de l'élaboration de l'avant-projet destiné à la consultation externe et lors de l'élaboration du projet du Conseil fédéral et, dans l'un et l'autre cas, d'abord en consultation des offices, puis en procédure de co-rapport).

­

Le système actuel du contrôle juridique d'accompagnement est financièrement avantageux, flexible et efficient. Moyennant des ressources en personnel relativement modestes, le contrôle juridique préventif est assuré de manière complète.

­

En outre, ce système permet de réagir rapidement à des interventions politiquement urgentes où il s'agit de défendre, là aussi, la primauté du droit supérieur64.

Défauts

64

65

­

Le contrôle juridique préventif fonctionne le mieux lorsque les offices compétents à raison de la matière signalent de leur propre chef d'éventuels problèmes. On doit constater, sur ce point, une certaine absence de perspicacité de leur part, due vraisemblablement à une trop grande identification avec leurs tâches et leurs objectifs. En d'autres termes, ils manquent de sensibilité et de transparence. Ces offices, en effet, ont une vue professionnelle orientée et subissent souvent d'importantes pressions politiques ou contraintes temporelles. Dans ces conditions le respect du droit peut apparaître comme secondaire. Parfois, dans les messages ou les explications accompagnant les ordonnances, les développements relatifs aux aspects juridiques et à la conformité au droit constitutionnel et au droit international restent sommaires, alors même qu'il subsiste certains problèmes65. Il arrive aussi que les propres services juridiques de ces offices ne soient pas consultés, voire que leur avis ne soit pas pris en considération.

­

Pour pouvoir exercer un contrôle juridique optimal, il est important que le délai de trois semaines, prévu tant pour la consultation des offices que pour la procédure de co-rapport, soit respecté. Or on constate que ces délais sont très souvent abrégés, ce qui rend le contrôle juridique plus difficile. Il A titre d'exemple, l'OFJ a pu, avant que le Conseil fédéral prenne sa décision, donner son avis sur la question de savoir s'il était possible de fonder l'ordonnance du 15 octobre 2008 relative à la recapitalisation de l'UBS SA (RS 611.055) sur les art. 184, al. 3, et 185, al. 3, Cst. A la fin janvier 2009, l'OFJ a rendu, à la demande de la CER-CN, une expertise sur les bases juridiques de ces mesures de soutien, qu'il a pu aussi expliquer à la CIP-CN.

Voir une critique de la constitutionnalité de l'ordonnance précitée par Andreas Lienhard und Agata Zielniewicz, Finanzhilfen wie im Fall UBS bedürfen einer neuen gesetzlichen Ausgestaltung, Der Bundesrat mit dem Erlass der Notverordnung für den Milliardenkredit verfassungsrechtlich auf dünnem Eis, NZZ du 16 février 2009, p. 8.

Un contre-exemple est la loi «antihooligan» (paquet LMSI I), où l'on a clairement exposé que la question de la compétence constitutionnelle était controversée. Voir, à ce sujet, le message, du 17 août 2005, relatif à la modification de la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (mesures contre la propagande incitant à la violence et contre la violence lors de manifestations sportives), FF 2005 5285 5310 ss.

2015

n'existe, actuellement, aucun mécanisme efficace pour faire respecter ces délais.

66 67

­

Certaines lacunes que présente le contrôle juridique préventif proviennent aussi du fait que l'effectif affecté à cette tâche est extrêmement limité (en comparaison des ressources humaines disponibles dans les Etats étrangers), ce qui oblige à fixer des priorités. Cela explique l'impossibilité de procéder à un examen approfondi dans tous les cas.

­

Concernant notamment les notes de discussions à caractère législatif, c'està-dire les documents sur lesquels le Conseil fédéral se fonde pour prendre des décisions de procédure ou fixer les grandes orientations d'un projet législatif, on constate qu'elles ne sont pas toujours envoyées en consultation des offices.

­

Une autre difficulté résulte du fait que les offices compétents reprennent parfois des propositions que leur ont faites les autres offices dans le cadre de la consultation des offices sans qu'ils les soumettent, dans un second tour (donc avant l'ouverture de la procédure de co-rapport), à l'examen de l'OFJ et des autres unités administratives à compétence transversale et quand bien même ces modifications seraient juridiquement problématiques.

­

Quant à l'OFJ, qui est chargé à titre principal du contrôle juridique, il n'est pas une unité administrative indépendante mais un office fédéral, subordonné hiérarchiquement au DFJP et, en principe, soumis à ses instructions66.

C'est une caractéristique inhérente au système du contrôle administratif interne. Le DFJP laisse à l'OFJ, en matière d'accompagnement législatif, la plus grande liberté possible. S'il subsiste des divergences entre l'OFJ et les autres offices du DFJP (ODM, Fedpol, etc.) ­ par exemple dans le domaine du droit des étrangers et du droit d'asile ­ ces divergences ne peuvent plus être éliminées dans le cadre de la procédure de co-rapport. En effet, l'OFJ ne reçoit pas les documents que son département envoie en procédure de co-rapport. Toutefois, en présence de telles divergences, le DFJP donne, en règle générale, à l'OFJ l'occasion de se prononcer avant que soit signée la proposition au Conseil fédéral. Les autres offices ou unités assumant des tâches dans le contrôle juridique rencontrent des problèmes partiellement semblables.

­

L'OFJ n'a pas seulement des compétences en matière d'accompagnement législatif, c'est aussi une unité compétente pour la préparation d'actes normatifs et de traités internationaux dans des domaines déterminés (par exemple, le domaine du droit constitutionnel et certaines parties du droit public tels que le droit de l'aide aux victimes et le droit de la protection des données, le droit civil, la procédure civile, le droit pénal et la procédure pénale). Dans ces domaines, l'OFJ est à la fois office compétent à raison de la matière et instance de contrôle67.

­

Peut aussi constituer un certain désavantage le fait, caractéristique du travail des unités d'accompagnement législatif de l'OFJ, que celles-ci exercent une double fonction: d'une part, celle d'accompagnement continu et de conseil dispensé aux offices lors de la rédaction de leur projet et, d'autre part, celle Cf. Mader, Le rôle (n. 60) p. 520 ss.

Cf. Mader, Le rôle (n. 60), p. 522.

2016

du contrôle juridique dans le cadre de la consultation des offices et de la procédure de co-rapport. Lorsque la collaboration a été très intense et que les contacts ont été bons, ce qui, par exemple, peut être le cas lorsqu'un collaborateur de l'OFJ participe à un groupe de travail ou qu'il rédige lui-même les textes normatifs, il arrive que se perde la distance critique nécessaire à tout examen juridique.

2.2.2

Procédure au niveau gouvernemental

2.2.2.1

Compétence législative du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral délibère des projets de modifications constitutionnelles, de lois, d'ordonnances parlementaires et d'arrêtés fédéraux relatifs aux initiatives populaires et aux traités internationaux préparés par l'administration fédérale et les adopte en vue de leur envoi à l'Assemblée fédérale (art. 181 Cst., art. 7 LOGA). Dans son message, il doit, comme on l'a déjà rappelé, se prononcer notamment sur les bases légales ou constitutionnelles du projet législatif, ses effets sur les droits fondamentaux, sa compatibilité avec le droit de rang supérieur et ses relations avec le droit européen (art. 141, al. 2, let. a, LParl).

Le Conseil fédéral adopte, en outre, les ordonnances gouvernementales préparées par l'administration, approuve les traités internationaux négociés par les délégations suisses ou les décisions relevant des Comités mixtes, dans la mesure où la Constitution, la loi ou un traité international approuvé par l'Assemblée fédérale l'y autorise (art. 166, al. 2, et 182, al. 1, Cst.; art. 7 et 7a LOGA).

2.2.2.2

Déroulement de la procédure

Le Conseil fédéral, en général, prend ses décisions en se fondant sur des propositions écrites du département compétent ou de la Chancellerie fédérale et après la conclusion de la procédure de co-rapport (art. 3, al. 1, OLOGA).

Préparées par le département compétent à raison de la matière, les affaires que le Conseil fédéral doit trancher sont soumises aux autres départements pour co-rapport (art. 15, al. 1, LOGA). La procédure de co-rapport sert à préparer la décision du Conseil fédéral. Elle doit lui permettre de concentrer ses délibérations sur les aspects essentiels de l'affaire (art. 5, al. 1, OLOGA). Cette procédure écrite de consultation et de conciliation entre les départements a pour but d'éliminer un maximum de divergences avant la séance du Conseil fédéral68. La procédure de co-rapport commence le jour où le département compétent ou la ChF signe sa proposition (art. 5, al. 1bis, OLOGA). La ChF est responsable de son déroulement. Le département compétent lui remet en temps utile la proposition signée (art. 5, al. 2, OLOGA).

Selon les Directives sur les affaires du Conseil fédéral, la procédure de co-rapport devrait, en règle générale, durer trois semaines, à compter du jour où le département compétent a livré les documents à la ChF et jusqu'au jour de la séance du Conseil fédéral, et ceci afin de rendre possible une élimination des divergences. Si un département s'oppose totalement ou partiellement à la proposition d'un autre département, 68

Sägesser, Handkommentar (n. 33), nos 7 ss ad art. 15 LOGA.

2017

il peut déposer auprès de la ChF un co-rapport écrit dans lequel il présente sa propre proposition et motive son opposition.

A ce stade, l'OFJ a, dans les rares cas quasi «pathologiques»69 où il n'a pas réussi à s'imposer au cours de la consultation des offices, une fois encore l'occasion de travailler au respect du droit supérieur en demandant au DFJP de signer un co-rapport en ce sens (cf. ci-dessus, ch. 2.2.1.2). Les autres unités chargées d'un contrôle juridique peuvent en faire autant auprès de leur propre département.

En règle générale, la ChF (Service juridique et Services linguistiques) vérifie encore, avant voire pendant la procédure de co-rapport, le texte normatif avant de le soumettre pour décision au Conseil fédéral. Mais cet examen, qui porte sur la rédaction et la technique législative ainsi que sur la concordance entre les versions linguistiques officielles, n'implique pas de contrôle de la conformité du projet au droit fédéral supérieur ni au droit international.

Lors de sa séance, le Conseil fédéral ne discute, en principe, que des divergences qui n'ont pas pu être éliminées en procédure de co-rapport. Toutefois, les membres du Conseil fédéral et, dans son domaine de compétence, le chancelier de la Confédération peuvent, en tout temps, faire de nouvelles propositions. Selon l'art. 18, al. 4, LOGA, le Conseil fédéral pourrait, en cas de décisions controversées, inviter des cadres et des experts de l'administration fédérale ou de l'extérieur à donner leur avis. Toutefois, il n'a fait qu'un usage très limité et très ponctuel de cette possibilité de recourir directement à un spécialiste70.

2.2.2.3

Avantages et défauts du contrôle juridique

Le contrôle des projets normatifs au regard de leur compatibilité avec l'ordre juridique déterminant intervient principalement pendant la phase administrative interne, tout particulièrement pendant la consultation des offices. Les possibilités d'agir au niveau de la procédure de co-rapport ou lors des séances du Conseil fédéral sont plus restreintes.

Avantages

69 70

­

Le système actuel aide le Conseil fédéral à assumer sa responsabilité qui est, en l'occurrence, de légiférer de manière conforme au droit supérieur. Il ne peut déléguer cette responsabilité à une autre instance.

­

Tous les problèmes essentiels sont mentionnés clairement dans la phase préliminaire qui précède la prise de décision gouvernementale. Le contrôle juridique préventif tel qu'il est actuellement pratiqué permet, en principe, au Conseil fédéral de prendre ses décisions en connaissance de tous les aspects juridiques.

­

Ce modèle de contrôle juridique a fait ses preuves et est financièrement avantageux. L'OFJ connaît les affaires législatives dès la phase de la consultation des offices et, en règle générale, peut encore, au moment de la procédure de co-rapport, prendre position à l'intention du DFJP sur les problèmes

Mader, Bundesamt (n. 58), p. 5.

Sägesser, Handkommentar (n. 33), no 42 ad art. 18 LOGA.

2018

juridiques délicats. Il en va de même des autres unités assumant des tâches de contrôle juridique préventif.

Défauts

71

­

Dans les décisions de principe ou les décisions provisoires fondées sur des notes de discussion, les aspects juridiques sont parfois insuffisamment traités, ce qui rend plus difficile, ultérieurement, leur prise en considération.

­

Il arrive quelquefois que des propositions nouvelles ne soient introduites qu'au moment de la procédure de co-rapport ou des délibérations du Conseil fédéral (et qu'elles y soient acceptées), quand bien même leur licéité n'a pas été examinée au préalable.

­

Souvent les délais applicables à la procédure de co-rapport ne sont pas observés en dépit de la règle claire des Directives sur les affaires du Conseil fédéral. Le contrôle de la conformité au droit des projets normatifs et des propositions doit alors se faire dans la précipitation. Parfois même des co-rapports ne sont déposés que la veille de la séance du Conseil fédéral. Le contrôle juridique équivaut alors à une opération de sauvetage de dernière minute.

­

Comme la procédure de co-rapport se déroule au niveau des départements, la tâche de contrôle de l'OFJ dépend, à ce stade, d'une bonne collaboration avec le secrétariat général du DFJP. De manière générale, cette collaboration fonctionne sans difficulté. En principe, le secrétariat général est compétent pour les conseils de nature politique tandis que l'OFJ l'est pour les questions juridiques. Il peut arriver toutefois que des co-rapports, signés principalement pour des motifs politiques, aient aussi des implications juridiques sur lesquelles l'OFJ n'a pas pu se prononcer. Quant aux projets législatifs préparés par l'OFJ même ou par un autre office du DFJP, le recours à un co-rapport n'est pas possible. Tel est aussi le cas des autres unités chargées de tâches en matière de contrôle juridique préventif.

­

S'agissant de ses propres affaires, le DFJP assume, lui aussi, une double fonction: d'une part, il est responsable dans les différents domaines de sa compétence (compétence à raison de la matière) et, de l'autre, il est responsable du contrôle juridique préventif. Cela peut conduire à des conflits d'intérêts.

­

Le Conseil fédéral est une autorité politique. Quelquefois il tient le respect du droit supérieur pour un aspect à prendre en considération parmi d'autres et non pas pour une condition-cadre qu'il doit, en toutes circonstances, respecter dans ses décisions71. Ce risque existe notamment en cas d'affaires urgentes et confidentielles.

­

Les messages du Conseil fédéral n'exposent pas toujours clairement les problèmes juridiques. Tel est tout particulièrement le cas lorsque le projet est modifié au dernier moment, soit lors de la procédure de co-rapport soit au cours des délibérations du Conseil fédéral.

Cf. Mader, Le rôle (n. 60), p. 518 s.

2019

2.3

Procédure propre aux initiatives parlementaires

2.3.1

Déroulement de la procédure

En cas d'initiative parlementaire (art. 160, al. 1, Cst.), la responsabilité de préparer le projet législatif échoit à l'Assemblée fédérale même et non au Conseil fédéral.

Tout membre de l'Assemblée fédérale, tout groupe parlementaire, toute commission parlementaire peut déposer un projet d'acte de l'Assemblée fédérale ou les grandes lignes d'un tel acte (art. 107, LParl). Si, à l'issue de la procédure d'examen préalable, il est décidé de donner suite à l'initiative, la commission compétente du conseil où elle a été déposée élabore un projet dans un délai de deux ans (art. 111, al. 1, LParl). Comme l'administration du Parlement n'est, en Suisse, pas aussi développée que l'administration fédérale («administration étatique simplifiée»), l'Assemblée fédérale ayant renoncé à instituer ses propres services législatifs complets72, la commission parlementaire peut demander aux départements et à la ChF de désigner un ou plusieurs de leurs collaborateurs afin de recevoir les renseignements juridiques ou matériels dont elle a besoin (art. 112, al. 1, LParl)73. L'avant-projet de la commission est, en général, envoyé en consultation externe (art. 112, al. 1, LParl; art. 5, al. 2, et 6, al. 2, LCo). Lorsqu'elle soumet au conseil dont elle dépend le projet d'acte qu'elle a élaboré et le rapport qui l'accompagne, elle les transmet simultanément au Conseil fédéral pour avis en lui fixant un délai raisonnable (art. 112, al. 3, LParl). Le rapport de la commission, qui doit répondre aux mêmes exigences qu'un message du Conseil fédéral (art. 111, al. 3, LParl), doit exposer notamment les bases juridiques du projet législatif, ses effets sur les droits fondamentaux, sa compatibilité avec le droit de rang supérieur et ses relations avec le droit européen (art. 141, al. 2, let. a, LParl).

Le contrôle de la conformité au droit supérieur des projets et des rapports de la commission se fait tout au long des travaux, mais au plus tard à l'occasion de la consultation des offices et de la procédure de co-rapport qui précèdent l'adoption de l'avis du Conseil fédéral. Ces avis sont de nature plutôt politique que juridique ou de technique législative74. Il est fréquent que des collaborateurs de l'administration fédérale participent aux travaux de la commission parlementaire et lors de l'examen préliminaire et lors de l'élaboration
du projet. La commission doit poser les principes politiques. Les représentants de l'administration fédérale doivent, quant à eux, se concentrer sur les aspects juridiques (existence ou défaut de compétence de la Confédération ou des cantons, niveau législatif approprié, protection des droits fondamentaux, droit international, etc.) et signaler les convergences ou les divergences avec de précédentes décisions ou avec des travaux législatifs en cours au niveau fédéral ou cantonal. En outre, les représentants de l'administration fédérale sont, avant l'envoi de l'avant-projet en consultation externe, responsables de la mise en forme juridique correcte de la réglementation envisagée, du contenu matériel du commentaire des dispositions législatives et de la collaboration avec les autres

72 73 74

Cf. Martin Graf, in: Die schweizerische Bundesverfassung Kommentar, Ehrenzeller et al. (éd.), 2e éd. 2008, no 7 ad art. 155 Cst.

Sur la question du recours à l'administration, voir Graf (n.72), nos 77 ss. ad art. 155 Cst.

Voir toutefois l'avis du Conseil fédéral, du 20 mai 2009, concernant le rapport de la CER-CN, du 20 avril 2009, sur l'initiative parlementaire 04.430n, «Réglementation du prix du livre». Le Conseil fédéral y a estimé que le projet de la commission était inconstitutionnel (absence de compétence fédérale et violation de la liberté économique).

FF 2009 3697 3703 ss.

2020

offices concernés par le projet75. L'OFJ est aussi souvent associé, dans le cadre de ses compétences, à la préparation des projets ou invité à donner son avis ou à rendre une expertise. Cette procédure permet donc aussi de veiller au respect de la primauté du droit supérieur en vigueur.

Tout canton dispose du droit d'initiative et peut soumettre un projet d'acte à l'Assemblée fédérale ou proposer l'élaboration d'un tel acte (art. 160 Cst.; art. 115 LParl). La procédure législative préliminaire est la même que celle prévue pour les initiatives parlementaires (art. 116 et 117 LParl). Il en va de même du contrôle juridique préventif.

2.3.2

Avantages et défauts du contrôle juridique

Avantages ­

Le système actuel s'est avéré adéquat, il est aussi financièrement avantageux. Les commissions parlementaires peuvent recourir au savoir-faire d'une administration fédérale qui fonctionne bien, ce qui rend superflu le développement d'une administration parlementaire parallèle, impliquant des ressources et des moyens importants.

­

Le recours à l'administration fédérale facilite l'établissement d'une pratique uniforme en matière de contrôle juridique et améliore la coordination entre les différents projets législatifs en cours. Comme ce sont, en général, les mêmes services (OFJ, ChF, AFF et les offices compétents à raison de la matière) qui s'occupent des projets du Conseil fédéral et des projets des commissions, cela peut favoriser l'établissement de standards uniformes.

Défauts

75

­

Au niveau de l'administration gouvernementale, les procédures internes de consultation (consultation des offices et procédure de co-rapport) n'interviennent qu'en relation avec l'adoption de l'avis du Conseil fédéral, c'est-àdire à un stade où la commission parlementaire a terminé son projet et qu'elle l'a déjà transmis au conseil dont elle relève. Le soin de consulter en temps utile les unités spécialisées dans le contrôle juridique avant l'envoi en consultation externe de l'avant-projet et de leur soumettre, ultérieurement, les modifications importantes qui y sont apportées est laissé au jugement des offices compétents associés aux travaux de la commission parlementaire ou à celui de la commission elle-même et de son secrétariat.

­

Pour les collaborateurs de l'administration qui sont associés aux travaux d'une commission parlementaire, le travail lié à l'élaboration d'une législation dans une matière complexe peut représenter une charge de travail consiPour les détails, voir le module «initiative parlementaire» du Guide de la législation, édité par l'OFJ, ainsi que la notice des services du Parlement relative aux initiatives parlementaires, incluse dans Commguide. Selon Commguide, l'OFJ et la ChF doivent, en cours de travaux, être invités à examiner les projets de la commission parlementaire au regard du droit matériel, du droit formel et de la rédaction. Cette pratique est bien entrée dans les moeurs au cours de ces dernières années. En outre, une pratique comparable s'est développée, s'agissant d'actes législatifs fédéraux préparés par d'autres autorités que l'administration fédérale (par exemple, les tribunaux fédéraux).

2021

dérable. Il arrive qu'avant de pouvoir procéder à la rédaction législative proprement dite, il faille d'abord clarifier les objectifs poursuivis, préciser les mesures souhaitées et identifier leurs effets possibles. Souvent ces collaborateurs ont besoin du soutien prolongé des offices compétents à raison de la matière (notamment pour les traductions). Pour ces offices, cela peut poser des problèmes au niveau des ressources.

­

On constate que la question de la primauté du droit supérieur est, en général, traitée de manière encore plus sommaire dans les commentaires accompagnant le projet d'une commission parlementaire que dans les messages du Conseil fédéral.

2.4

Procédure parlementaire

2.4.1

Compétences législatives de l'Assemblée fédérale

L'Assemblée fédérale édicte les dispositions contenant des règles de droit du niveau de la Constitution, de la loi ou de l'ordonnance (art. 163, al. 1, et 192, al. 2, Cst.).

Elle approuve les traités internationaux dont la conclusion ne relève pas de la compétence du Conseil fédéral (art. 166, al. 2, Cst.).

Quant aux initiatives populaires, c'est l'Assemblée fédérale qui décide de leur validité, ce qui implique le contrôle de leur compatibilité avec les règles impératives du droit international (art. 139, al. 3, Cst.). Si elle ne peut pas modifier le texte des initiatives populaires présentées en la forme d'un projet rédigé (art. 99 LParl), elle peut, en revanche, prendre position et adopter une recommandation de vote (art. 100 LParl).

Selon l'art. 151, al. 1, LParl, la commission parlementaire compétente peut demander au Conseil fédéral qu'il la consulte lors de la préparation d'un projet d'ordonnance gouvernementale importante. Cet instrument de contrôle préventif, qui est relativement souvent utilisé, permet aussi d'examiner des questions juridiques, notamment celle de savoir si l'ordonnance gouvernementale ne dépasse pas l'étendue des diverses délégations législatives.

2.4.2

Délibérations en commissions

Le Conseil national et le Conseil des Etats délibèrent et statuent séparément sur les objets législatifs, y compris l'approbation des traités internationaux et le traitement des initiatives populaires (art. 156, al. 1, Cst.). L'un et l'autre conseil instituent leurs propres commissions, qui, chacune dans son domaine respectif, procèdent à l'examen préalable des objets et font une proposition (art. 153 Cst.; art. 44, al. 1, let. a, et al. 2, LParl; art. 21, al. 1, RCN; art. 17, al. 1, RCE). Cela favorise un meilleur débat en plenum et augmente les chances d'acceptation des projets76. Une part importante du travail législatif du Parlement se fait ainsi en commissions.

76

Cf. Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2e éd., Berne 2007, § 34, no 24.

2022

Les travaux des commissions débutent, en général, avec le message du Conseil fédéral et son projet normatif. Dans l'hypothèse où subsisteraient des problèmes juridiques en dépit de la procédure législative préliminaire, cela devrait apparaître clairement dans le message du Conseil fédéral77. S'agissant de projets issus du Parlement lui-même suite à une initiative parlementaire ou cantonale, l'élaboration d'un projet législatif par la commission du conseil prioritaire et sa délibération coïncident. Dans un tel cas, seul l'avis du Conseil fédéral y est encore examiné, s'il propose des modifications (art. 112, al. 4, LParl).

La procédure des commissions est, en principe, régie par les règles de procédure qui s'appliquent à leur conseil respectif (art. 46, al. 1, LParl). Chaque membre d'une commission peut donc déposer des propositions relatives à l'objet législatif pendant (art. 160, al. 2, Cst.; art. 6, al. 2, et 76 LParl). En règle générale, le chef du département concerné ou son représentant, parfois assisté d'experts, participe aux travaux de la commission lorsque celle-ci examine un projet du Conseil fédéral ou un projet de la commission sur lequel le gouvernement a donné son avis (art. 160 LParl)78. La commission peut aussi faire appel à des experts externes (art. 45, al. 1, let. b, LParl).

Les députés et les collèges présidentiels des commissions sont assistés, dans leur travail, par les Services du Parlement. Ceux-ci ont, en particulier, la tâche de les conseiller tant sur le fond qu'en ce qui concerne la procédure (cf. art. 64 LParl; art. 17 OLPA). Comme on l'a déjà souligné en relation avec les initiatives parlementaires (ch. 2.2.3.1), l'administration propre au Parlement est moins développée que l'administration fédérale. Aussi les commissions et les Services du Parlement peuvent-ils faire appel, pour l'exercice de leurs attributions, à l'administration fédérale, notamment pour lui demander des renseignements sur des questions de fait ou de droit (art. 155 Cst.; art. 68 LParl; art. 18 OLPA).

Les propositions d'amendement d'un projet de dispositions constitutionnelles, légales ou d'ordonnance ne sont plus systématiquement examinées au regard de leur conformité au droit fédéral supérieur ou au droit international. La commission doit procéder elle-même à ce contrôle. A-t-elle un doute sur
la compatibilité d'une nouvelle réglementation proposée ou d'un projet du Conseil fédéral, elle peut demander sur ce point une expertise à l'OFJ, à d'autres unités administratives ou à un expert externe. En général le chef du département responsable à raison de la matière se fait accompagner ou représenter en séance de commission par les experts de l'office compétent. Ceux-ci doivent attirer l'attention de la commission sur les normes juridiquement problématiques ou inconséquentes. Si la commission ou le département responsable le demande, des collaborateurs de l'OFJ peuvent également collaborer aux travaux législatifs de la commission. La commission peut encore proposer à son conseil de renvoyer un projet au Conseil fédéral en le chargeant de procéder à un examen plus approfondi de la conformité dudit projet au droit fédéral supérieur ou au droit international. Si ce conseil décide le renvoi, le projet est, avec l'accord

77

78

Tel fut le cas, par exemple, pour la loi «antihooligan» (paquet LMSI I), où la question de la compétence constitutionnelle était controversée. Voir le message, du 17 août 2005, relatif à la modification de la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (mesures contre la propagande incitant à la violence et contre la violence lors de manifestations sportives), FF 2005 5285 5310 ss.

Le membre présent du Conseil fédéral ou son représentant peut également, au nom du Conseil fédéral, faire des propositions (art. 160, al. 2, Cst.). Voir, à ce sujet, Graf (n. 72), no 10 ad art. 160 Cst.

2023

de l'autre conseil, renvoyé au Conseil fédéral79. Par exemple, c'est la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats qui avait proposé le renvoi au Conseil fédéral de son projet relatif à la modification de la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (moyens spéciaux de recherche d'information), en le chargeant notamment de procéder à un examen plus approfondi de sa constitutionnalité80.

2.4.3

Délibérations dans les deux conseils

Les décisions de l'Assemblée fédérale requièrent l'approbation des deux conseils (art. 156, al. 2, Cst.; art. 81 LParl). Les projets de loi, d'ordonnance et d'arrêté fédéral relatif à une révision constitutionnelle, à une initiative populaire ou à l'approbation d'un traité international sont soumis, en une version unique définitive, aux deux conseils qui doivent les approuver en un vote séparé. Les deux conseils ont les mêmes droits.

Pour ses délibérations, le conseil prioritaire se fonde sur le projet tel qu'il résulte des délibérations de sa commission (document appelé «dépliant», qui contient les propositions de la majorité et celles de la minorité de la commission). Dans le second conseil, le texte déterminant est le projet tel qu'adopté par le premier conseil et complété par les propositions de sa propre commission. Quand bien même elles sont très importantes dans les faits, les propositions des commissions ne lient pas leur conseil. Comme en commission, les députés, de même que le Conseil fédéral, peuvent déposer des propositions d'amendement du projet pendant (art. 160, al. 2, Cst., art. 6, al. 2, et 76 LParl).

Si des divergences subsistent entre les conseils à l'issue de l'examen d'un projet d'acte (délibérations de détail et vote sur l'ensemble dans l'un et l'autre conseils) les décisions divergentes de l'un des conseils sont transmises à l'autre pour délibération (art. 89, al. 1, LParl). A ce stade, les délibérations ne portent, en principe, plus que sur les divergences (art. 89, al. 2, LParl). Un conseil ne peut revenir sur une autre question que si des décisions prises entre-temps rendent ce réexamen nécessaire ou si les commissions des deux conseils proposent conjointement un réexamen (art. 89, al. 3, LParl). Si des divergences subsistent après qu'un conseil a procédé par trois fois à une discussion par article, une conférence de conciliation est réunie. Elle se compose de membres de chacune des deux commissions chargées de l'examen préalable du projet et est présidée par le président de la commission du conseil prioritaire (art. 91 LParl). La conférence de conciliation est chargée de rechercher une solution de compromis et de présenter une proposition de conciliation qui élimine toutes les divergences (art. 91, al. 1, et 92, al. 3, LParl). Si la proposition de conciliation est
rejetée par l'un des conseils, le projet d'acte est classé (art. 93, al. 2, LParl). Des règles spéciales s'appliquent à la procédure relative à l'approbation de traités internationaux (art. 95, let. c, LParl) et à la validation ou l'invalidation d'une initiative populaire (art. 98, al. 2, LParl). Dans ces deux cas, il n'y a, en effet, pas de matière à compromis.

79 80

Si le conseil qui a décidé le renvoi confirme sa décision, le projet est aussi renvoyé au Conseil fédéral, quand bien même l'autre conseil s'y serait opposé (art. 87, al. 2, LParl).

BO 2009 CE 19, CN 672

2024

Avant le vote final, une commission de rédaction ­ une commission commune des deux conseils ­ vérifie les actes normatifs. Elle en vérifie le texte et arrête la version définitive en vue du vote final (art. 57, al. 1, LParl). La commission de rédaction ne peut procéder à des modifications que rédactionnelles et non de fond. Si elle constate des lacunes, des imprécisions ou des contradictions de fond, elle peut transmettre ses propositions aux commissions chargées de l'examen préalable ou ­ si la procédure d'élimination des divergences est terminée ­ à chacun des conseils avant qu'il ne procède au vote final (art. 57, al. 3, LParl et art. 5 de l'ordonnance de l'Assemblée fédérale sur la commission de rédaction). Les sous-commissions de la commission de rédaction s'assurent la collaboration de représentants de l'administration fédérale, en particulier de la ChF (Services linguistiques centraux, Service juridique), de l'office compétent à raison de la matière et de l'OFJ. Elles peuvent, si nécessaire, faire appel aux rapporteurs des commissions qui ont examiné le projet (art. 4 de l'ordonnance précitée).

Pas plus que les commissions, les plenums ne procèdent à un véritable contrôle de la conformité au droit. Si les propositions d'amendement sont contrôlées sous l'angle formel, elles ne le sont pas, en revanche, au regard de leur conformité au droit fédéral supérieur et au droit international. Le Conseil fédéral et l'administration fédérale n'exercent qu'une influence limitée dans les débats parlementaires. A ce stade, c'est la discussion politique du projet qui l'emporte. Le débat peut certes porter sur des questions juridiques, mais toujours dans une perspective politique. Le conseil peut renvoyer un projet à sa commission ou au Conseil fédéral s'il doute de sa conformité au droit. Mais il n'y a pas d'automatisme ici. Comme les décisions divergentes des conseils sont toujours réexaminées en commission, il existe, à ce stade, une possibilité de contrôler plus précisément les amendements juridiquement problématiques.

De manière générale, la responsabilité de l'Assemblée fédérale quant au respect de la Constitution et du droit international est laissée, dans une large mesure, à son propre contrôle.

2.4.4

Avantages et défauts du contrôle juridique

Avantages ­

81

L'Assemblée fédérale exerce, en premier lieu, le contrôle politique sur les projets qu'a préparés le Conseil fédéral et qu'il a marqués de son empreinte politique. Constitue cependant un avantage du système actuel le fait qu'à côté des aspects politiques, des questions juridiques puissent être débattues aussi en procédure parlementaire. Notamment en entendant des experts d'opinions différentes, le Parlement prouve qu'il assume pleinement sa responsabilité de législateur et qu'il tient à examiner de manière approfondie les problèmes constitutionnels81.

Par exemple, lors de l'examen de la Réforme de l'imposition des entreprises II, la CER-CE a, d'entente avec des membres de la CER-CN, entendu non seulement un expert de l'OFJ mais aussi un expert externe. Cf., à ce sujet, l'expertise du Professeur Etienne Grisel, du 29 novembre 2006, De la constitutionnalité d'une réduction de l'imposition des dividendes et participations relevant de la fortune commerciale ou privée, sans l'introduction d'un impôt sur les gains en capital, JAAC 2008.3, p. 30 à 67, ainsi que l'avis de droit de l'OFJ, du 29 novembre 2006, relatif à la constitutionnalité d'une imposition partielle des dividendes de la fortune privée, JAAC 2008.4, p. 68 à 119.

2025

­

Le droit des députés de déposer, non seulement en commission, mais aussi en plenum des propositions d'amendement, peut contribuer à l'amélioration du projet.

Défauts

82

­

Le travail en commission obéit à des contraintes de fait, de politique et de droit. L'affrontement entre ces différentes contraintes peut conduire à une instrumentalisation du droit ainsi qu'à des conflits et à des tensions entre les intérêts divergents des députés, des membres du Conseil fédéral, des collaborateurs des services compétents et des représentants de l'OFJ. Ce qui fait qu'il arrive parfois que la question de la conformité au droit d'un projet normatif ne soit perçue que comme une donnée parmi d'autres dont il convient de tenir compte.

­

Les propositions d'amendement qui n'ont pas été examinées préalablement quant à leur conformité au droit supérieur présentent un certain danger potentiel de violer de la Constitution ou le droit international (art. 50, al. 3, RCN; art. 38, al. 2, RCE). Certes la recevabilité formelle des propositions d'amendement est vérifiée par la présidence de la commissions, mais cette vérification n'implique pas un contrôle de la conformité au droit.

­

Dans la procédure d'élimination des divergences et, en particulier, en conférence de conciliation, la pression pour s'entendre et parvenir à un compromis peut être importante, reléguant parfois de ce fait la question du respect du droit supérieur à l'arrière-plan.

­

L'office compétent, l'OFJ ou une autre unité spécialisée ne peuvent vérifier la conformité au droit des amendements proposés par la commission ou adoptés par son conseil que s'ils en ont reçu le mandat exprès.

­

En général, l'OFJ ou toute autre unité administrative consultée ne dispose, pour la rédaction de leur avis ou de leur expertise, que d'un délai très bref.

Ce qui nuit à un traitement approfondi des questions posées82.

­

Les commissions ne sont pas tenues de débattre d'éventuels expertises ou avis de l'OFJ, d'une autre unité administrative ou d'un spécialiste externe qui porteraient sur la constitutionnalité ou la conformité au droit international d'un projet normatif.

­

Il arrive que des députés se prévalent de l'art. 190 Cst. pour souligner et justifier la liberté du Parlement dans son rôle de législateur. Selon cette disposition, le Tribunal fédéral et les autres autorités d'application du droit sont tenus d'appliquer les lois fédérales, même si celles-ci sont inconstitutionnelles.

­

La commission de rédaction vérifie, avant le vote final, l'acte normatif au regard de la langue, de la technique législative et de sa conformité aux décisions des conseils. Sa conformité au droit supérieur est vérifiée sommairement lorsqu'une contradiction de fond est apparue.

Mader, Le rôle (n. 60), p. 524.

2026

2.5

Phase référendaire

Les révisions de la Constitution (qu'il s'agisse d'une initiative populaire ou d'un projet des autorités), les traités internationaux portant adhésion à des organisations de sécurité collective ou à des communautés supranationales et les lois fédérales déclarées urgentes qui sont dépourvues de base constitutionnelle et dont la durée de validité dépasse une année sont soumises au référendum obligatoire (art. 140 Cst.).

Les lois fédérales et les traités internationaux qui sont d'une durée indéterminée et ne sont pas dénonçables, qui prévoient l'adhésion à une organisation internationale ou qui contiennent des dispositions importantes fixant des règles de droit ou dont la mise en oeuvre exige l'adoption de lois fédérales sont sujets au référendum facultatif (art. 141 Cst.). Ainsi, dans ces différentes matières, le dernier mot appartient soit au peuple et aux cantons (référendum obligatoire), soit au peuple seul, si la demande de référendum facultatif aboutit.

Dans la campagne référendaire, les arguments tirés de la Constitution ou du droit international peuvent, il est vrai, jouer un certain rôle (voir, par exemple, les votes relatifs aux initiatives populaires sur l'internement à vie et sur la naturalisation, à la réforme de l'imposition des entreprises II, à la révision de la loi sur l'asile). Toutefois, l'acceptation d'un projet par le peuple (et les cantons) reste une décision politique, qui ne saurait être assimilée à un véritable contrôle de la conformité d'un acte législatif à la Constitution et au droit international83. Une discussion approfondie des questions de droit constitutionnel et de droit international ne survient, en général, que si ces questions étaient déjà très controversées au Parlement ou si des partis politiques ou des groupes d'intérêts s'engagent et se prononcent publiquement à cet égard avant la votation.

2.6

Effet préventif de la jurisprudence des tribunaux

Comme nous l'avons rappelé au début de notre analyse, la juridiction constitutionnelle est, à l'égard des lois fédérales, incomplète. Ce qui est avant tout déterminant ici, c'est qu'il n'existe pas de contrôle abstrait des normes. En effet, les tribunaux ne peuvent contrôler la conformité des actes normatifs fédéraux (à l'exception de celle des lois fédérales) au droit supérieur qu'à titre préjudiciel dans un cas d'application concret et ils ne peuvent refuser d'appliquer certaines normes que dans le cas d'un différend juridique concret. Ainsi la correction des normes n'a souvent qu'un caractère ponctuel; elle n'a aucune influence rétroactive sur une procédure législative achevée et n'exerce qu'une influence limitée sur les procédures législatives à venir.

Néanmoins la jurisprudence du Tribunal fédéral et des autres tribunaux joue un rôle important pour la législation. En ce qui concerne les lois fédérales, le Tribunal fédéral se considère compétent pour vérifier, dans un cas concret, la compatibilité d'une règle légale avec le droit international, notamment avec le droit international impératif et avec la CEDH, et pour refuser, eu égard à la norme de droit supérieur, d'appliquer une disposition de la loi fédérale à un cas d'espèce84. Si aucune règle de 83

84

Cf., à ce sujet, le débat du Conseil des Etats, du 5 mars 1998, sur l'art. 178 du projet d'arrêté fédéral relatif à la réforme de la justice (juridiction constitutionnelle), en particulier les interventions des députés au Conseil des Etats, MM. Carlo Schmid et Fritz Schiesser, BO 1998 p. 261 ss.

ATF 125 II 417, 117 Ib 367 cons. 2e, p. 373, 124 II 480, cons. 3a, p. 487.

2027

droit international n'est en cause, il peut, nonobstant l'obligation d'appliquer les lois fédérales qui résulte de l'art. 190 Cst., vérifier la conformité à la Constitution d'une disposition d'une loi fédérale et, dans la mesure où il n'est pas possible de l'interpréter de manière conforme à la Constitution, constater son caractère inconstitutionnel. En revanche, il ne peut refuser de l'appliquer85. De tels constats d'inconstitutionnalité peuvent conduire, plus ou moins rapidement, à une révision de la loi qui soit conforme à la Constitution86. De manière comparable, les arrêts de la Cour européenne constatant une violation de la CEDH peuvent aboutir à une révision de la législation fédérale87.

En outre, le contrôle de constitutionnalité qu'exerce, à titre abstrait ou préjudiciel, le Tribunal fédéral sur les lois cantonales a aussi des effets sur la législation fédérale.

En effet, l'interprétation qu'il donne de la Constitution fédérale lors de l'examen de lois cantonales doit aussi être prise en considération dans l'élaboration de la législation fédérale. En ce sens, les arrêts du Tribunal fédéral peuvent exercer une influence directe sur l'élaboration de la législation fédérale88 ou induire une révision de celle-ci89.

3

Le contrôle juridique préventif en droit comparé

L'Office fédéral de la justice a chargé l'Institut suisse de droit comparé de montrer, dans un court exposé, comment le contrôle juridique préventif, notamment le contrôle préventif de la constitutionnalité, s'exerce dans divers Etats européens. Le choix s'est porté sur des pays qui pratiquent des systèmes de contrôle différents (mécanisme de contrôle interne à l'administration, organe consultatif indépendant du type Conseil d'Etat, commission parlementaire de la Constitution, tribunal constitutionnel). L'exposé devait aussi préciser si ces Etats connaissent également un contrôle subséquent de la constitutionnalité. Les pages suivantes résument les principaux résultats de cette recherche. Pour une étude plus approfondie qui inclue, pour chacun de ces Etats, son système politique et sa procédure législative, on renvoie ici à l'exposé lui-même90. A noter que, dans tous ces Etats, il existe, à côté des modèles décrits de contrôle juridique préventif, des contrôles internes à l'administration.

85 86

87

88

89

90

ATF 125 III 209, 131 II 679 et 131 II 710 Cf. l'initiative parlementaire Leutenegger Oberholzer, 03.428n, en relation avec l'ATF 125 III 209 concernant le nom et le droit de cité des époux; la critique du Tribunal fédéral portant sur une disposition de l'ancienne loi sur l'organisation judiciaire (cf. ATF 103 Ia 53) a été prise en considération dans une révision législative ultérieure.

Voir l'arrêt de la Cour EDH du 25.03.1998 (Kopp contre Suisse), Recueil des arrêts et décisions de la Cour EDH 1998-II, no 67, p. 524 ss et la résolution intérimaire du Comité des Ministres du 08.10 1999, DH (99) 677.

Voir, d'une part, ATF 115 Ia 234 et 119 Ia 460, et, d'autre part, l'art. 119 Cst.

[art. 24novies aCst.] et la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée [RS 810.11]; cf. Gerold Steinmann, Der Beitrag des Schweizerischen Bundesgerichts zur Regelung der medizinisch unterstützten Fortpflanzung, in: Bioéthique: de l'éthique au droit, du droit à l'éthique, Zurich 1997, p. 169 ss.

Cf. ATF 109 Ia 273 relatif à la surveillance téléphonique qui relevait encore de la législation cantonale et qui est à l'origine d'une révision de la loi fédérale sur la procédure pénale (RS 312.0).

Exposé de l'Institut suisse de droit comparé du 15 septembre 2008, «Gutachten über die präventive Verfassungskontrolle in Belgien, Deutschland, Finnland, Frankreich, Niederlaenden, Schweden, Slovakei und Ungarn» (ci-après, exposé).

2028

3.1

Belgique (Conseil d'Etat)

En Belgique, le contrôle juridique préventif de la constitutionnalité est exercé par le Conseil d'Etat, qui est le plus haut tribunal administratif du pays. Le Conseil d'Etat est indépendant de l'exécutif et du législatif. Depuis la révision constitutionnelle de 1993, il est, lui-même, organe de la Constitution. Le Conseil d'Etat a deux sections: la section du contentieux administratif juge les contestations de droit administratif, la section de législation donne au Gouvernement des avis sur tous les actes normatifs de l'Etat fédéral, des communautés et des régions (y compris les actes de mise en oeuvre des traités internationaux et des directives de l'Union européenne, les décrets et les ordonnances91, ainsi que les règlements) à l'exception des projets constitutionnels. Le critère de contrôle est, pour tous les avis, le droit supérieur, pour les lois la Constitution et les traités internationaux impératifs, pour les règlements, de surcroît, les lois correspondantes. La section de législation se compose de douze membres du Conseil d'Etat, qui sont nommés à vie par le roi, et de dix assesseurs au plus, recrutés principalement parmi les professeurs d'Université.

Dans la procédure préparlementaire, le Gouvernement compétent doit obligatoirement demander un avis. Lorsqu'il s'agit d'un projet de loi, l'avis doit être fourni avant l'envoi du projet au Parlement compétent. Pour les projets de règlements, il doit l'être avant que le Gouvernement les ait adoptés. Dans la procédure parlementaire, la demande d'avis est facultative. L'avis peut être demandé par le Président du Sénat, le Président de la Chambre des députés ou le Président du Parlement d'une communauté ou d'une région. Les avis ne lient juridiquement ni les Gouvernements ni les organes parlementaires, mais leur qualité intrinsèque leur confère une grande autorité.

A côté du Conseil d'Etat, la Belgique connaît un organe politique, le Comité de concertation, qui est composé de représentants des différents Gouvernements de la Fédération et qui exerce également un contrôle préventif. Le Comité examine un projet de loi lorsque le Conseil d'Etat a constaté une violation du partage de compétences entre l'Etat fédéral et les unités fédérées. Si le Comité est unanime à partager cette opinion, le projet est renvoyé à son auteur pour correction. L'examen
a donc un effet juridique obligatoire.

La Cour constitutionnelle belge (anciennement Cour d'arbitrage) examine en contrôle subséquent les lois et les actes normatifs du degré correspondant (décrets et ordonnances, accords de coopération) quant à leur compatibilité avec certaines dispositions de la Constitution (notamment celles qui garantissent des droits fondamentaux). Depuis 1989, les particuliers peuvent la saisir d'un recours constitutionnel.

3.2

Allemagne (Ministère fédéral de la justice)

En Allemagne, le contrôle juridique préventif relève essentiellement ­ comme en Suisse ­ de services spécialisés de l'administration dotés de compétences à caractère transversal. En ce qui concerne les projets de loi du Gouvernement et les ordonnances du Gouvernement et des Ministères, le Ministère fédéral de la justice (Bun91

Les décrets et les ordonnances pour la région de Bruxelles-Capitale ont la valeur de lois.

2029

desministerium der Justiz) les soumet d'office à un examen juridique matériel relativement large. Cet examen porte notamment sur la conformité au droit constitutionnel, au droit communautaire (là où il y a un rapport manifeste avec l'Union européenne) et au droit international92. A l'intérieur, le contrôle juridique se fait, sur chaque objet, par un rapport spécial du Ministère (rapport de coexamen, Mitprüfungsreferat). Pour le contrôle de la constitutionnalité, il y a aussi des rapports spéciaux (en particulier un rapport de conformité aux droits fondamentaux). Le Ministère prend une part active dès la rédaction du projet ou alors il y est associé en qualité d'organe de contrôle93 avant la décision du Gouvernement. Les ministères responsables à raison de la matière peuvent d'ailleurs faire appel à lui dès le stade de la préparation de leur projet et lui demander d'éclaircir certaines questions de droit.

S'il résulte de cet examen juridique qu'il n'y a pas d'objection de droit, ce point est attesté par l'Office de coexamen (Mitprüfungsamt) du Ministère de la justice. Le ministère responsable joint l'attestation au projet, dont la conformité au droit est ainsi confirmée. Si le résultat de l'examen est négatif, le projet n'est pas transmis pour décision.

Avant qu'un projet de loi examiné par le Bundestag (qui est l'organe législatif suprême), il est présenté, s'il s'agit d'un projet du Gouvernement fédéral, au Bundesrat (qui est la chambre des Länder) pour que celui-ci prenne position, ou inversement au Gouvernement fédéral s'il s'agit d'un projet du Bundesrat. Il n'y a pas d'obligation de présentation ni au Bundesrat ni au Gouvernement fédéral pour les projets issus du Bundestag lui-même. Mais, même dans ce cas, le ministère fédéral responsable doit produire une prise de position du Gouvernement fédéral qu'il devra défendre devant le Bundestag. Cette prise de position gouvernementale peut aussi porter sur la constitutionnalité du projet. Les prises de position ne peuvent toutefois pas empêcher le Parlement de traiter le projet.

Quand le projet de loi a été traité au Bundestag (il y faut trois lectures), il est transmis au Bundesrat. Selon son titre de compétence, celui-ci peut lui refuser son approbation (Zustimmung) ou ­ ce qui est la règle ­ lui opposer un veto (Einspruch). Dans les deux cas
une conférence de conciliation peut être convoquée pour travailler à une proposition de compromis. Le veto du Bundesrat peut être surmonté par le Bundestag. S'il ne l'est pas ou, lorsqu'il s'agit d'une loi pour laquelle l'approbation est nécessaire, si le Bundesrat la lui refuse, la loi a définitivement échoué. Dans sa décision, le Bundesrat n'est pas lié par un critère juridique concret. En cas de veto, il n'a pas à le motiver. Il n'est pas non plus lié par des prises de position antérieures.

Quand une loi a été adoptée par le Bundestag et que le Bundesrat l'a approuvée également ou n'a pas opposé de veto, le Gouvernement fédéral la transmet au Président fédéral pour signature. Avant de signer, le Président doit contrôler si les règles constitutionnelles sur la procédure législative, y compris les règles de compétence, ont bien été respectées (contrôle formel). Ce qui est controversé, c'est s'il n'a pas, éventuellement et de surcroît, la faculté ou même l'obligation, en cas de violation grave et manifeste de la Constitution, de refuser sa signature pour des raisons matérielles (tirées des droits fondamentaux ou du reste du droit constitutionnel).

92

93

Le Conseil national indépendant de contrôle des normes (unabhängiger Nationaler Normenkontrollrat) n'examine en revanche pas la constitutionnalité des lois, mais les coûts de bureaucratie qu'elles entraînent.

Ce qu'on appelle l'opposition à un projet de loi (Widerspruch gegen Gesetzesentwurf) relève du Ministre fédéral de la justice. Mais elle peut aussi être formée par le Ministre fédéral de l'intérieur.

2030

Le Tribunal constitutionnel fédéral (Bundesverfassungsgericht) aussi a diverses compétences de contrôle, mais qu'il n'exerce qu'après que la loi a été promulguée (contrôle juridique subséquent); un contrôle préventif ne lui est en principe pas permis. A la demande du Gouvernement fédéral, d'un Gouvernement de Land ou d'un tiers des membres du Bundestag, le Tribunal constitutionnel fédéral vérifie en contrôle abstrait la conformité d'une loi fédérale ou d'une loi de Land à la Constitution fédérale (Grundgesetz) ainsi que la conformité d'une loi de Land au droit fédéral (contrôle abstrait des normes). Le recours constitutionnel permet à toute personne de se plaindre auprès du Tribunal d'avoir été lésée par la puissance publique dans l'un de ses droits fondamentaux ou dans d'autres droits constitutionnels. En outre, dans les cas d'espèce, tous les tribunaux fédéraux et tous les tribunaux de Länder sont obligés de soumettre audit Tribunal les règles de droit qui sont déterminantes pour la décision qu'ils vont prendre lorsqu'ils les considèrent comme inconstitutionnelles (contrôle concret des normes). Ce contrôle subséquent se limite à l'examen de la constitutionnalité au sens de la Grundgesetz (mais alors sous tous les points de vue constitutionnels). En revanche, la conformité au droit européen n'est pas revue94. Le Tribunal constitutionnel fédéral statue aussi sur l'interprétation de la Grundgesetz quand il tranche les contestations entre organes fédéraux, c'est-à-dire les contestations sur la portée des droits et des devoirs des organes suprêmes de la Fédération.

3.3

Finlande (Commission parlementaire de la Constitution)

En Finlande, le contrôle préventif de la constitutionnalité est exercé par le Parlement, en particulier par la Commission parlementaire de la Constitution (grundlagsutskott). Cette commission, qui comprend au moins 17députés, est renouvelée à chaque législature. La compétence de la commission parlementaire est définie dans la Constitution. La commission donne, à la demande d'une autre commission parlementaire ou d'une commission gouvernementale, des avis sur la compatibilité de projets de loi ou de décision avec la Constitution et les traités internationaux qui garantissent des droits fondamentaux. S'il y a doute sur la constitutionnalité ou sur la compatibilité d'un projet avec les droits fondamentaux, la commission compétente à raison de la matière est tenue de demander l'avis de la Commission de la Constitution. Les avis ne sont toutefois pas juridiquement obligatoires.

La Finlande n'a pas de Cour constitutionnelle qui puisse soumettre les lois à un contrôle abstrait subséquent de leur constitutionnalité. En revanche, la Constitution règle la hiérarchie des normes et prescrit notamment la primauté de la Constitution dans les cas d'application. Les tribunaux sont donc tenus de donner la priorité à la Constitution, lorsque l'application d'une disposition législative à un cas d'espèce lui

94

La question de la conformité aux exigences du droit européen peut, il est vrai, être soulevée devant les tribunaux nationaux qui peuvent les soumettre à la Cour de justice de l'Union européenne.

2031

est manifestement contraire95. Toutefois, les conflits de normes seront, autant que possible, évités par le recours à une interprétation des normes inférieures conforme à la Constitution et à la garantie des droits fondamentaux.

3.4

France (Conseil d'Etat, Conseil Constitutionnel)

Le Conseil d'Etat français, qui a servi de modèle aux Pays-Bas et à la Belgique, fonctionne à la fois comme tribunal administratif suprême et organe indépendant chargé de conseiller le Gouvernement. Dans ce dernier rôle, il examine d'office les projets de loi et d'ordonnance, de même que, depuis 1992, les projets d'actes de mise en oeuvre du droit européen, avant que ceux-ci soient présentés au Gouvernement. Le Conseil d'Etat donne son avis sur la forme du projet, sur sa conformité au droit supérieur ainsi que sur son opportunité. Le Gouvernement peut aussi lui demander son avis sur des questions particulières. Les prises de position du Conseil d'Etat ne sont en principe pas publiques et ne lient pas le Gouvernement96.

De son côté, le Conseil constitutionnel exerce un contrôle judiciaire préventif et abstrait de la constitutionnalité des lois et des engagements internationaux. Le Conseil constitutionnel est un organe de la Constitution et se compose de neuf membres. La durée de la charge est de neuf ans et ne peut être prolongée. Le Conseil constitutionnel est renouvelé par tiers tous les trois ans. Trois membres sont nommés par le Président de la République, trois par le Président de l'Assemblée nationale et trois par le Président du Sénat. Les anciens Présidents de la République en font partie d'office et à titre viager.

Sont soumis de plein droit à l'examen préalable du Conseil constitutionnel les lois organiques ou lois de complément de la Constitution avant leur promulgation, les lois présentées au référendum avant le vote populaire et les règlements intérieurs des assemblées avant leur entrée en vigueur. Les autres lois, avant leur promulgation, et les engagements internationaux, avant que l'autorité soit habilitée à les ratifier ou à les approuver, sont soumis à l'examen préalable de constitutionnalité à la demande du Président de la République, du Premier ministre, du Président de l'Assemblée nationale, du Président du Sénat, de 60 députés ou de soixante sénateurs. Le critère du contrôle est ce qu'on appelle le «bloc de constitutionnalité», qui inclut la Constitution de 1958, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946, les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et d'autres principes auxquels le Conseil constitutionnel a

95

96

L'art. 106 de la Constitution finlandaise a la teneur suivante: «Toute juridiction est tenue d'accorder la primauté à la Constitution, si l'application d'une disposition d'une loi au cas soumis à son examen est en évidente contradiction avec la Constitution». L'art. 107 règle la relation entre une norme inférieure au niveau de la loi, d'une part, et la Constitution ou la loi, d'autre part: «Aucune disposition d'un décret ou d'une norme de niveau inférieur à la loi qui est en contradiction avec la Constitution ou quelque autre loi ne peut être appliquée par un tribunal ou une autre autorité». Traduction du ministère de la justice finlandais, citée dans l'exposé (n. 90), p. 28 s.

Cf. Arnd Vollmer, Die Prüfung von Gesetzesentwürfen durch den französischen Conseil d'Etat: Gibt es in Deutschland funktional vergleichbare Prüfverfahren?, Spire 2005. On ajoutera que le Ministère de la Justice français veille à divers stades de la législation à la cohérence de l'ordre juridique. Cf. sur ce point Mireille Imbert-Quaretta, L'évolution du rôle du ministère de la Justice français, Les Cahiers de Droit, vol. 42, no 3, septembre 2001, p. 499, 503.

2032

reconnu une valeur constitutionnelle97. En revanche, il s'est déclaré incompétent pour contrôler la conformité des lois aux traités internationaux98. Les décisions du Conseil constitutionnel lient tous les organes et toutes les autorités de l'Etat. Une disposition déclarée non constitutionnelle ne peut être ni promulguée ni appliquée.

Lorsqu'un engagement international contient une clause contraire à la Constitution, son approbation ou l'autorisation de le ratifier ne peut être donnée qu'après que la Constitution a été révisée99.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a chargé le Conseil constitutionnel d'un contrôle de constitutionnalité subséquent. Si, dans une procédure judiciaire pendante, il est allégué qu'une règle de droit viole les droits fondamentaux garantis par la Constitution, le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation peut transmettre la question au Conseil constitutionnel. Si celui-ci déclare que la règle est contraire à la Constitution, cette règle est abrogée par la publication de la décision ou à une date fixée dans la décision.

3.5

Pays-Bas (Conseil d'Etat)

Aux Pays-Bas ­ comme en France et en Belgique ­, c'est le Conseil d'Etat (Raad van State) qui exerce le contrôle préventif de constitutionnalité. Le Conseil d'Etat est un organe constitutionnel indépendant de l'exécutif, présidé par la reine et composé de 28 membres, nommés à vie par la reine sur proposition du ministre de l'intérieur et de la justice. La composition du Conseil d'Etat doit refléter les différents courants sociaux et politiques de la société. Le Conseil d'Etat conseille, d'une part, le Gouvernement et le Parlement dans leur activité législative et exerce, d'autre part, la juridiction administrative suprême. Cette dichotomie a pour conséquence que le Conseil d'Etat dispose de deux sections: une section de législation et une section du contentieux. La section de législation est divisée en cinq chambres, dont chacune est compétente pour certains ministères, et qui préparent les projets d'avis qui seront ensuite examinés par l'assemblée générale du Conseil sous la présidence du VicePrésident. Les 28 conseillers d'Etat (pour les deux sections) sont assistés dans leurs tâches par environ 600 agents, dont 300 juristes.

Avant que le Gouvernement n'adresse au Parlement ses projets de loi ou de décret d'approbation de traités internationaux, il doit obligatoirement les soumettre au Conseil d'Etat pour que celui-ci préavise leur constitutionnalité. Il en va de même des ordonnances avant que le Gouvernement les adopte. Des avis peuvent également être demandés sur les initiatives parlementaires, avant ou pendant les délibérations qui y sont consacrées. Mais ici la consultation est facultative. Le Conseil d'Etat examine les dispositions qui lui sont soumises dans leur conformité au droit supérieur (lois, Constitution, traités internationaux, traités de l'Union européenne). Les avis ne sont pas obligatoires juridiquement, mais ils ont un poids politique incontestable. Depuis 1980, les avis relatifs aux ordonnances du Gouvernement sont publiés et constituent ainsi un instrument de contrôle de l'action gouvernementale. Les avis relatifs aux projets de loi sont distribués aux députés et fournissent d'importants matériaux pour les délibérations du Parlement.

97 98 99

Voir l'exposé (n. 90), p. 35.

Voir l'exposé (n. 90), p. 35, dernier paragraphe.

Art. 54 de la Constitution française.

2033

Les Pays-Bas ne connaissent pas de contrôle abstrait subséquent de la constitutionnalité des lois. Il n'y a d'ailleurs pas de tribunal constitutionnel. Mais tous les tribunaux, jusqu'à la Cour suprême (Hoge Raad der Nederlanden), peuvent, dans le cas d'application d'une loi, vérifier à titre préjudiciel si elle est conforme au droit international et aux décisions d'organisations internationales et ne pas l'appliquer si la réponse est négative100.

3.6

Suède (Conseil de législation)

En Suède, une importante fonction de contrôle préventif de la constitutionnalité des projets de loi incombe au Conseil de législation (lagradet). Le Conseil de législation est prévu au niveau constitutionnel. Il se compose de membres des deux tribunaux suprêmes, celui des affaires civiles et pénales (Högsta domstolen) et celui des affaires administratives (Regeringsrätten). Il exerce son activité selon les besoins. Il se réunit et se met à la tâche quand le Gouvernement ou le Parlement lui demande un avis. Le Conseil de législation se divise en sections (jusqu'à quatre). Le Gouvernement détermine le nombre des sections selon la charge de travail. Une section comprend en règle générale trois juges délégués. Six membres au plus des tribunaux suprêmes, hormis les Présidents, peuvent être délégués au Conseil de législation. Si le volume de travail s'accroît, on fait appel à d'autres juristes, notamment aux membres des tribunaux suprêmes qui sont à la retraite. Le fait que le Conseil de législation se compose en principe uniquement de juges des tribunaux suprêmes garantit sa compétence et son indépendance.

Le Conseil de législation donne, sur demande du Gouvernement ou d'une commission parlementaire, un avis juridique en particulier sur la conformité des projets de loi du Gouvernement ou du Parlement aux lois constitutionnelles (dites aussi lois fondamentales) et à l'ensemble de l'ordre juridique. Pour certains domaines énumérés dans la Constitution101, l'avis doit toujours être demandé si le projet de loi revêt une grande importance pour les particuliers ou d'un point de vue général et qu'il n'y ait pas d'urgence. Cela vaut, par exemple, dans les domaines de la liberté des médias, des impôts communaux, de la nationalité ou du droit de procédure. Si le Gouvernement renonce à demander un avis parce qu'il tient le projet pour peu important ou pour urgent, la commission parlementaire compétente, éventuellement après renvoi du projet par le Parlement, peut exiger l'avis. Les avis n'ont juridiquement pas d'effet contraignant. La chancellerie du Gouvernement ou la commission parlementaire décide si elle remaniera le projet de loi conformément à l'avis ou si elle le transmettra au Parlement sans le modifier. Mais, le plus souvent, les avis sont pris en considération.

La révision des lois constitutionnelles
obéit à une procédure spéciale. Elle doit être adoptée deux fois par le Parlement (Riksdag), une première fois par le Parlement dans sa composition actuelle et une seconde fois, après les élections, par le Parlement renouvelé.

100

Voir l'art. 94 de la Constitution néerlandaise: Les dispositions légales en vigueur dans le royaume ne sont pas appliquées si leur application est incompatible avec les dispositions des traités ou décisions des organisations de droit international public. La traduction est tirée de l'exposé (n. 90), p. 39.

101 Exposé (n. 90), p. 47.

2034

La Suède n'a pas de Cour constitutionnelle, mais elle pratique un contrôle de normes subséquent et concret qu'elle a confié à tous les tribunaux et à toutes les autorités d'application du droit (système diffus). Ce contrôle ne se borne pas à vérifier si la règle litigieuse est matériellement conforme au droit supérieur, mais il examine également si elle a été édictée par l'autorité compétente. La violation du droit supérieur a pour conséquence que la règle viciée n'est pas appliquée. Il est vrai que le refus d'application ne frappe que les règles qui sont manifestement contraires aux lois constitutionnelles ou à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui a été intégrée dans la plus importante des lois constitutionnelles, de même qu'à toute autre loi d'un degré supérieur (principe de la «violation manifeste», «clear mistake rule»).

3.7

Slovaquie (Tribunal constitutionnel)

En Slovaquie, le contrôle préventif de constitutionnalité est confié à divers organes.

Pendant la procédure législative, les projets de loi peuvent être en tout temps soumis au contrôle de corps internes (le Conseil législatif pour la rédaction des projets gouvernementaux ou le service du Parlement pendant la procédure devant le Conseil national). Mais les avis n'ont pas force obligatoire et il arrive même qu'ils ne soient pas pris en considération dans la suite de la procédure de législation102.

En deuxième lecture au Parlement, les projets de loi sont examinés par les commissions compétentes à raison de la matière. Mais chaque projet doit être en outre soumis à la commission constitutionnelle, qui doit contrôler avant tout sa compatibilité avec la Constitution, les traités internationaux impératifs et le droit de l'Union européenne103.

Le Tribunal constitutionnel a pour compétence principale le contrôle subséquent de constitutionnalité, mais il remplit aussi des tâches de contrôle préventif. Il compte treize juges, qui sont nommés, sur proposition du Conseil national, par le Président de la République pour une durée unique de douze ans. Selon l'art. 125, al. 4, de la Constitution, le Tribunal constitutionnel ne se prononce pas sur la compatibilité des projets de loi et des autres projets d'actes normatifs de caractère obligatoire général avec la Constitution et les autres lois du niveau constitutionnel. En revanche, il est compétent pour contrôler, à la demande du Président de la République ou du Gouvernement, mais à titre préventif, c'est-à-dire avant la présentation au Conseil national, la constitutionnalité d'un traité international soumis à l'approbation du Parlement. Si le tribunal tient le traité pour contraire à la Constitution, celui-ci ne peut pas être ratifié104. Le Président de la République peut aussi demander au tribunal de contrôler si l'objet d'un référendum (déclenché par l'initiative de citoyens ou par une décision du Conseil national) est conforme à la Constitution et aux autres lois du même niveau. Si tel n'est pas le cas, le référendum ne peut pas être organisé.

Comme le Président de la République, qui est élu directement par le peuple pour cinq ans, dispose d'un droit de veto dans le cadre de la signature des lois, il peut aussi s'en servir pour exercer un contrôle.

102 103 104

Exposé (n. 90), p. 55.

Exposé (n. 90), p. 55.

Exposé (n. 90), p. 56.

2035

Le Tribunal constitutionnel statue, à la demande d'un cinquième des membres du Parlement, du Président de la République, du Gouvernement, d'un tribunal à l'occasion d'un cas d'application ou du Procureur général, sur la compatibilité des lois ou d'autres dispositions normatives avec la Constitution, les autres lois du niveau constitutionnel et les traités et actes normatifs internationaux ratifiés. S'il juge qu'une disposition normative est incompatible avec le droit supérieur, cette disposition perd sa validité avec la publication de la décision du tribunal et cesse d'être en vigueur six mois plus tard.

3.8

Hongrie (Cour constitutionnelle)

La Hongrie a créé, en 1989, une Cour constitutionnelle composée de onze membres élus par le Parlement et dotée de la compétence d'exercer un contrôle préventif aussi bien que subséquent de la constitutionnalité de textes normatifs. Le Président du Gouvernement peut la saisir, avant de signer et de promulguer une loi votée par le Parlement, s'il a des doutes sur la constitutionnalité d'une disposition de cette loi (on parle ici de «veto constitutionnel»). Si la cour ­ dans une procédure d'urgence ­ constate que cette disposition est inconstitutionnelle, le Président de la République renvoie la loi au Parlement pour qu'il la corrige. Jusqu'à présent, il n'a été fait usage de ce veto constitutionnel que dans des cas importants. A la demande du Parlement, du Président de la République ou du Gouvernement, la cour contrôle également, avant la ratification, les dispositions de traités internationaux. Si elle constate une inconstitutionnalité, le traité ne peut pas être ratifié tant que le défaut n'a pas été réparé. Mais, jusqu'à maintenant, aucune demande de ce type n'a été faite. Enfin, le Parlement peut, avant de l'adopter, soumettre au contrôle de constitutionnalité son propre règlement intérieur. Le critère du contrôle de la Cour constitutionnelle est la Constitution de la République de Hongrie. D'après l'art. 7 de cette Constitution, le système juridique hongrois inclut aussi les règles généralement reconnues du droit international et il assure la concordance du droit interne avec les engagements juridiques internationaux. Les décisions de la Cour constitutionnelle ont force obligatoire.

La Hongrie connaissait aussi naguère une forme supplémentaire de contrôle préventif de constitutionnalité, que le législateur a supprimée en 1998. D'après cet ancien système, 50 députés pouvaient exiger qu'un projet de loi soit présenté à la cour avant le vote final. La suppression s'explique apparemment parce qu'on ne voulait plus que la Cour constitutionnelle exerce une telle fonction quasi-législative.

La cour s'occupe d'ailleurs principalement de contrôle subséquent, qu'elle pratique sur des textes normatifs de tous les niveaux, à l'exception de la Constitution ellemême. Si elle constate une inconstitutionnalité, elle abroge la disposition viciée. Si la disposition est déjà promulguée, elle ne pourra pas entrer
en vigueur. La faculté de saisir la Cour constitutionnelle appartient à toute personne, sans qu'il soit nécessaire que cette personne y ait un intérêt propre (c'est donc une action populaire). Si un tribunal, dans un cas concret, doute de la constitutionnalité de la règle applicable, il doit suspendre la procédure et soumettre la question à la Cour constitutionnelle.

2036

3.9

Résumé et synthèse105

Six des huit Etats européens examinés106 confient au premier chef à des organes indépendants, le plus souvent organes de la Constitution ­ Conseil d'Etat, Conseil de législation, Tribunal constitutionnel ­, le contrôle préventif des normes juridiques et, dans certains d'entre eux, celui des traités internationaux, ce qui n'exclut d'ailleurs pas les «autocontrôles» internes à l'administration. Dans trois Etats107, le Chef de l'Etat, qui doit signer les lois, peut refuser sa signature s'il les tient pour contraires à la Constitution. L'Allemagne, pour l'essentiel, compte sur l'examen juridique systématique et bien développé que pratiquent, comme en Suisse, les services spécialisés de l'administration. La Finlande a confié le contrôle préventif principalement à la commission parlementaire de la Constitution. Sauf les Pays-Bas, tous les Etats examinés, y compris la France depuis une révision constitutionnelle de 2008, disposent d'une juridiction constitutionnelle subséquente, fût-ce sous la seule forme d'un contrôle concret. En se fondant sur les rapports nationaux réunis dans l'exposé, on peut esquisser, grosso modo, quatre «modèles» de contrôle juridique préventif: Une Cour constitutionnelle Ce qui caractérise ce modèle, c'est qu'un tribunal suprême spécialisé dans les questions constitutionnelles contrôle abstraitement, soit d'office (par exemple pour les lois présentées au vote populaire ou pour le règlement intérieur du Parlement), soit à la demande des principaux organes de l'Etat, les lois quant à leur conformité au droit supérieur. Ce contrôle a lieu après le vote final du Parlement, mais avant la promulgation de la loi ou avant le vote populaire. Sont également sujets au contrôle préventif de constitutionnalité les traités internationaux, avant ou après leur approbation par le Parlement, mais toujours avant leur ratification. Les décisions de la Cour sont obligatoires, c'est-à-dire que les lois ou les traités jugés contraires à la Constitution ne peuvent pas être mis en vigueur ou ne peuvent pas être ratifiés sans modification préalable de la Constitution. On rencontre ce modèle en France (Conseil constitutionnel), en Hongrie et en Slovaquie.

Un organe de consultation indépendant Dans ce modèle, une autorité indépendante, de type judiciaire, conseille le Gouvernement et le Parlement dans les
affaires législatives (consultation obligatoire sur la conformité au droit supérieur de tous les projets du Gouvernement, consultation sur demande au cours de la procédure parlementaire). Les avis n'ont pas d'effet juridique obligatoire, mais, eu égard à la compétence et à l'indépendance des experts (souvent des juges), ils jouissent d'une grande autorité. Ils sont d'ailleurs publiés ou joints au projet de loi en vue des délibérations parlementaires. C'est ainsi qu'en France, aux Pays-Bas et en Belgique, le Conseil d'Etat exerce une telle fonction en même temps qu'il est le tribunal administratif suprême. Le Conseil de législation de la Suède, qui est composé de membres des deux tribunaux suprêmes, à une mission similaire. En Belgique, c'est le Comité de concertation, lui-même composé de représentants des Gouvernements de l'Etat fédéral et des entités fédérées, qui statue,

105 106 107

Voir aussi l'introduction à l'exposé (n. 90).

La Belgique, la France, les Pays-Bas, la Suède, la Slovaquie et la Hongrie.

L'Allemagne, la Slovaquie et la Hongrie. En Allemagne, le Président de la Fédération doit vérifier en particulier que la procédure législative a été respectée. En Hongrie, le Président dispose du «veto constitutionnel».

2037

mais ici avec effet obligatoire, sur la conformité des projets de loi aux règles de partage des compétences entre l'Etat fédéral et les entités fédérées.

Une commission parlementaire de la Constitution Les projets de loi sont examinés par le Parlement en plusieurs lectures. Les délibérations sont préparées par diverses commissions parlementaires. Le modèle distingue l'une d'elles, la commission de la Constitution, donc un organe purement parlementaire, qui est chargé de préaviser la conformité de projets de loi et de décision à la Constitution et au droit international. Le préavis peut être obligatoire (pour tous les projets de loi108 ou en cas de doute sur la constitutionnalité d'un projet109) ou facultatif (par exemple, à la demande d'une commission parlementaire). Les avis n'ont pas juridiquement d'effet obligatoire. Tel est le modèle suivi principalement par la Finlande. La Hongrie et la Slovaquie ont aussi des commissions de la Constitution.

Quant à l'Allemagne, son système bicaméral particulier (voir les avis du Bundesrat) a permis d'instituer une sorte de contrôle préventif. Il est vrai qu'il s'agit là d'un contrôle plutôt politique.

Des services spécialisés internes à l'administration et à compétences transversales C'est le modèle où un ou plusieurs services spécialisés de l'administration générale examinent la conformité au droit supérieur des projets d'actes normatifs conçus par les services responsables à raison de la matière. Ce contrôle juridique est en général obligatoire pour les projets du Gouvernement et s'exerce avant que celui-ci n'ait pris sa décision. En principe, les avis ne lient ni le Gouvernement ni le Parlement. En Allemagne, les projets ministériels tenus pour contraires au droit ne sont pas même soumis pour décision au Gouvernement. Ce qui est typique, ici, c'est que la tâche des services spécialisés ne se limite pas à un seul contrôle. Au contraire, si les auteurs des projets le souhaitent, les services spécialisés accompagnent aussi les travaux préparatoires et répondent aux questions juridiques qui s'y rapportent. C'est surtout en Allemagne que ce modèle est bien développé (voir ce qui est dit du Ministère fédéral de la justice). En Slovaquie, la fonction est exercée par le Conseil législatif. D'ailleurs, pratiquement tous les Etats connaissent, sous une forme ou sous une autre, des contrôles internes à l'administration qui doivent contribuer à assurer la qualité juridique de la législation.

4

Mesures envisageables pour renforcer le contrôle juridique préventif

Pour définir les mesures envisageables, il convient de prendre en compte les points forts et les points faibles du système actuel de contrôle juridique préventif, tels qu'ils ressortent de l'analyse de l'existant (ch. 2.2.1.3, 2.2.2.3, 2.3.2 et 2.4.4). Le droit comparé peut également fournir à cet égard de précieux éléments de réflexion (v.

ch. 3). Nous avons ci-après fait le tour de diverses approches possibles, esquissé pour chacune d'elle un mode de procéder et mis en lumière leurs avantages et leurs inconvénients respectifs. Les mesures envisageables vont du maintien du statu quo

108 109

Par exemple en Slovaquie.

Par exemple en Finlande.

2038

jusqu'au recours à une autorité judiciaire chargée d'assurer le contrôle juridique préventif et à l'élargissement de la juridiction constitutionnelle.

4.1

Maintien du statu quo

Dans l'ensemble, le système actuel de contrôle juridique préventif a donné satisfaction. Il serait donc possible d'opter pour le maintien du statu quo (option zéro).

Cette solution présenterait l'avantage d'épargner les frais qu'il faudrait engager pour améliorer le système; elle a aussi un inconvénient puisqu'elle rendrait impossible toute élimination des lacunes manifestes et incontestées qui affectent ce système.

4.2

Optimisation du statu quo

Il existe plusieurs mesures qui permettraient d'optimiser le système actuel de contrôle juridique préventif. Il convient d'opérer une distinction entre celles qui peuvent être prises au stade de la procédure préparlementaire et celles qui peuvent être appliquées durant la procédure parlementaire.

4.2.1

Procédure préparlementaire

Parmi les mesures proposées ci-après au stade de la procédure préparlementaire, nombreuses sont celles qui ressortissent au Conseil fédéral, aux départements, à la ChF ou aux offices. Lorsque tel est le cas, il incombe à ces autorités d'agir et non au Parlement.

Renforcer la compétence matérielle des offices Si l'on veut garantir le respect du droit supérieur dès le stade de l'élaboration (décentralisée) des actes normatifs, il importe de favoriser chez les agents des offices, qui sont chargés de tâches de légistique le développement des compétences en la matière et de la sensibilité pour le caractère particulier de ces tâches. Ces compétences s'étendent également à la compréhension des procédures de décision et de recours de droit public. Il s'agit donc d'assurer la formation et le perfectionnement desdits agents soit à l'intérieur des offices soit en leur permettant de participer à des cours organisés à l'extérieur (Murtener Gesetzgebungsseminar, Séminaire de légistique de Montreux, Forum de législation, autres colloques spécialisés, etc.). Il serait très utile que tous les offices chargés de tâches de législation disposent de leur propre service juridique qui élaborerait lui même les projets d'actes normatifs ou, du moins, contrôlerait ceux qui sont préparés par d'autres unités au sein de l'office. Il incombe, au premier chef, aux Départements et aux offices de procéder aux aménagements nécessaires. Au besoin, des modifications pourraient être apportées aux ordonnances réglant l'organisation des départements ou l'art. 7 LOGA (législation, phase préliminaire de la procédure législative) pourrait être complété en consé-

2039

quence110. Il incombe à l'OFJ, à la ChF et aux autres unités administratives concernées d'informer l'ensemble de l'administration des prestations offertes et des cours de perfectionnement existant en matière de légistique.

Renforcer la transparence des avis recueillis lors de la consultation des offices Il serait possible d'améliorer le système actuel de contrôle préventif des actes normatifs en accroissant la transparence des avis juridiques émis sur les projets par les unités assumant des fonctions transversales, qui sont compétentes pour ce contrôle.

A cet égard, on pourrait préciser dans les Directives sur les affaires du Conseil fédéral que, dans les propositions que les départements adressent au Conseil fédéral, on expose plus systématiquement que ce n'est le cas actuellement les divergences d'ordre juridique qui n'ont pu être aplanies dans le cadre de la consultation des offices (y compris, à l'issue des éventuelles discussions faisant suite à cette procédure). Lorsque la proposition d'un département ou de la Chancellerie fédérale présente des divergences par rapport à l'avis juridique émis par une unité assumant des fonctions transversales d'un autre département, qui est chargée du contrôle préventif des actes normatifs, ces divergences doivent, selon la réglementation actuelle, être signalées dans la proposition destinée au Conseil fédéral. Tel n'est pas le cas des divergences qui se font jour entre des offices d'un même département ou des unités de la Chancellerie fédérale. Cette lacune engendre un déséquilibre structurel aboutissant, parfois, à ce que le Conseil fédéral ignore l'existence de ces divergences. Il serait possible de la pallier en prévoyant que le département concerné ou la Chancellerie fédérale relate de manière concise dans sa proposition au Conseil fédéral les divergences apparues en leur sein qui concernent purement des points de droit (et non celles qui procèdent de simples différences d'appréciation) et qui ­ exceptionnellement ­ n'ont pas pu être aplanies avant l'envoi de ladite proposition. Il pourrait en profiter pour exposer les raisons pour lesquelles il ne partage pas un point de vue juridique ou s'en est écarté. Cette mesure permettrait au Conseil fédéral d'assumer de manière optimale la responsabilité d'ensemble qui est la sienne de garantir la légalité des
actes normatifs, puisqu'elle favoriserait en son sein un débat plus approfondi parce que nourri d'une argumentation plus riche, ce qui en définitive ne peut que contribuer à assurer la qualité de ses décisions sur le plan juridique.

Il serait en outre concevable que le chapitre des messages du Conseil fédéral relatif à la constitutionnalité et à la conformité aux lois ne se limite plus à contenir quelques affirmations sommaires, lorsque la compatibilité du projet avec le droit supérieur a donné lieu à des divergences de vues dans le cadre de la procédure préparlementaire ou prête à controverse dans la doctrine et la jurisprudence. Dans ce chapitre, le Conseil fédéral devrait bien plutôt exposer brièvement ces divergences et en donner une appréciation concise ­ dans la mesure où elles ne sont pas que de simples affirmations ou ne sont pas fondées sur des arguments «hors sujet». Il n'aurait pas besoin de préciser de quel office ou de quel auteur de doctrine émane tel ou tel avis. Les exigences y relatives auxquelles doivent satisfaire les messages du Conseil fédéral et, par voie de conséquence, les rapports sur les projets de commissions pourraient être précisées dans l'aide-mémoire relatif aux messages du Conseil fédéral qui est

110

L'art. 7 LOGA pourrait, par exemple, être complété par un al. 2 libellé comme suit: «Il (le Conseil fédéral) veille à ce que les unités de l'administration fédérale respectent le droit supérieur lorsqu'elles élaborent des actes normatifs».

2040

publié par la Chf111 et, éventuellement, énoncées dans une norme du degré législatif, par exemple à l'art. 141 LParl. Compléter l'aide-mémoire susmentionné n'occasionnerait qu'un léger surcroît de travail à la ChF. En revanche, la modification de la loi sur le Parlement exigerait davantage d'efforts. Ces mesures sont propres à accroître la transparence tout en permettant au Parlement d'examiner les projets en question en pleine connaissance des arguments pour et contre qui ont été invoqués sur le plan constitutionnel et sous l'angle du droit international.

Il serait, en outre, envisageable de publier touts les avis importants établis par l'OFJ et les autres unités compétentes en matière de contrôle juridique préventif, cela, à l'issue de la procédure préparlementaire et après concertation avec les destinataires.

L'organe qui se prêterait le mieux à une telle publication est la JAAC où figurent déjà les principaux avis de droit. A titre complémentaire, l'on pourrait publier les avis de manière décentralisée, sur Internet. Ils seraient téléchargeables à partir de la page d'accueil de l'unité administrative concernée. Autre mesure pouvant entrer en ligne de compte: rédiger un rapport annuel inter-offices sur les activités dans le domaine de l'accompagnement législatif. Toutes ces mesures sont propres à créer plus de transparence, à renforcer l'importance du contrôle juridique préventif et à contribuer à garantir la qualité de ce contrôle. Elles présentent aussi l'inconvénient d'obliger l'administration à dégager des ressources pour la mise en forme des avis et avis de droit en vue de leur publication et pour la rédaction d'un rapport annuel. En l'occurrence, l'initiative appartient, au premier chef, aux unités administratives concernées. Il ne s'impose donc pas de légiférer.

Renforcer l'autonomie des organes chargés du contrôle juridique préventif dans l'exécution de leurs tâches Il existe une autre possibilité d'optimiser la situation actuelle: consacrer dans une disposition législative l'indépendance dont jouit de fait l'Office fédéral de la justice par rapport au DFJP, dans le domaine de l'accompagnement législatif. A cette fin, l'on pourrait compléter l'art. 7, al. 3, Org DFJP qui définit en quoi consiste le contrôle préventif des actes normatifs par une phrase ayant la teneur suivante: «dans
l'exercice de ce contrôle. l'OFJ n'est pas lié par les instructions du département». Il serait également envisageable d'intégrer dans la LOGA ou dans l'OLOGA une règle similaire qui vaudrait pour l'ensemble des unités administratives chargées du contrôle juridique préventif. Cette mesure ne s'impose toutefois pas puisque, selon la pratique en vigueur, les offices ayant des fonctions transversales exercent en toute autonomie ou presque et sans instructions des autorités supérieures leurs activités en matière de contrôle juridique préventif.

Renforcer le rôle joué par les organes chargés du contrôle préventif des actes normatifs dans le cadre de la procédure de co-rapport Le contrôle de l'ensemble des projets d'actes normatifs quant à leur compatibilité avec les textes fédéraux de rang supérieur et avec le droit international n'est obligatoire que dans le cadre de la consultation des offices. Au stade de la procédure de co-rapport, le DFJP permet généralement à l'OFJ de se prononcer une seconde fois sur les projets d'actes législatifs et les propositions de modification formulées dans les co-rapports émanant d'autres départements. D'ailleurs, d'autres départements, en 111

Des précisions analogues pourraient également être intégrées dans Commeguide (lignes directrices applicables au traitement des objets parlementaires) s'agissant des rapports des commissions sur les initiatives parlementaires et les initiatives des cantons.

2041

particulier le DFF, associent à la procédure de co-rapport ceux de leurs offices qui sont dotés de compétences transversales. Cette «bonne pratique» pourrait être pérennisée par une disposition de l'Org DFJP, statuant que le DFJP associe toujours l'OFJ aux procédures de co-rapport, dès lors que des aspects juridiques sont en cause. Une réglementation analogue pourrait aussi être intégrée dans l'Org DFF s'agissant de l'AFF et de l'OFPER et dans l'Org DFAE en ce qui concerne la DDIP et le BI. En l'occurrence, il apparaît primordial que les unités administratives compétentes puissent également se prononcer sur les notes de discussion portant sur des aspects normatifs. La mesure proposée permettrait de consacrer légalement la pratique en vigueur. Il convient toutefois de laisser aux départements le soin de déterminer s'ils entendent consacrer dans l'ordonnance réglant leur organisation l'obligation d'associer les offices concernés à la procédure de co-rapport.

Mettre en place des mécanismes visant à garantir le respect des délais L'une des difficultés majeures auxquelles se heurtent les organes de l'administration chargés du contrôle préventif des actes normatifs est la tendance de plus en plus répandue à raccourcir les délais prévus pour la consultation des offices et la procédure de co-rapport, ce qui oblige lesdits organes à s'acquitter souvent de leur mission dans l'urgence. La norme essentielle dans ce domaine est l'art. 4, al. 1, OLOGA qui statue que, dans le cadre de la consultation des offices, l'office responsable invite les unités administratives concernées (en l'occurrence l'OFJ, la ChF et l'AFF) à donner leur avis dans un délai approprié. Selon les directives sur les affaires du Conseil fédéral, ce délai est, en principe, de 3 semaines. Aucune norme ne règle ce qu'il advient lorsque ce délai n'est pas respecté. Certes, les organes chargés du contrôle préventif des actes normatifs s'efforcent d'examiner les projets dans des délais plus brefs quitte à ce que leur examen ne soit pas aussi approfondi qu'il le devrait. Afin de mieux garantir la fixation de délais suffisamment longs, il serait envisageable de statuer explicitement un délai de trois semaines à l'art. 4 OLOGA, sous réserve d'exceptions (cas simple, affaire de routine, urgence de légiférer). On pourrait également prévoir que le
délai est automatiquement porté à trois semaines (éventuellement à deux semaines) chaque fois que l'office responsable fixe un délai plus court. Cette solution présenterait toutefois l'inconvénient de manquer de souplesse. Dans ces conditions on risquerait de voir rapidement l'exception devenir la règle.

Souvent les délais fixés dans le cadre de la procédure de co-rapport sont encore plus brefs. Certes, l'art. 5, al. 2, OLOGA prévoit bien que le département responsable remet en temps utile ­ c'est-à-dire, en principe trois semaines avant la séance du Conseil fédéral selon les directives sur les affaires du Conseil fédéral ­ à la Chancellerie fédérale la proposition définitive en vue de l'ouverture d'une procédure de co-rapport. Or il n'est pas rare que la Chancellerie fédérale reçoive les co-rapports à la dernière minute, le soir qui précède la séance du Conseil fédéral. Pour remédier à cette fâcheuse situation, on pourrait instaurer une règle voulant que l'examen d'un projet d'acte normatif soit automatiquement renvoyé à la séance suivante du Conseil fédéral si les co-rapports ne sont pas remis au plus tard une semaine avant la séance à l'ordre du jour de laquelle le projet était inscrit. Cependant, cette solution présenterait, elle aussi, un défaut: celui de ne pas tenir suffisamment compte des réalités politiques.

2042

Régler le contrôle juridique préventif dans un seul et même texte L'organisation du contrôle juridique préventif, les compétences des différents organes impliqués et la procédure sont réglés par des normes disséminées à l'extrême entre des lois, des ordonnances du Conseil fédéral (notamment celles qui régissent l'organisation des départements) et des directives, textes qu'il y aurait lieu de modifier en fonction des conclusions qui seront tirées du présent rapport. Plutôt que de modifier ces normes, il serait toutefois envisageable de régler expressément le contrôle préventif dans une seule et même ordonnance du Conseil fédéral ou loi fédérale. L'accomplissement de cette tâche importante sous l'angle de la politique générale de l'Etat ne pourrait qu'y gagner en transparence. A la différence du contrôle préventif, le contrôle subséquent de la conformité au droit auquel procèdent les tribunaux est réglé aux degrés constitutionnel et législatif. Force est toutefois de se demander s'il vaut la peine de s'engager dans de tels travaux s'ils ne s'accompagnent pas de réformes substantielles (par exemple, création d'un organe indépendant de l'administration qui serait chargé du contrôle préventif des actes normatifs).

4.2.2

Procédure parlementaire

La procédure parlementaire consiste à apprécier un projet de différents points de vue dans le but de parvenir à une décision. Il ne fait pas de doute que le Parlement lui même est au fait des questions d'ordre constitutionnel. En sa qualité de Législatif ne lui incombe-t-il pas, au premier chef, d'édicter des lois afin de concrétiser les principes énoncés par la Constitution? A cette fin, il peut, en tout temps, demander des avis de droit à l'Office fédéral de la justice, à d'autres unités administratives ou à des experts externes. A ce stade également, le contrôle préventif doit se faire dans des délais relativement courts. Les amendements apportés aux projets par les commissions ou par le plénum ne font pas l'objet d'un contrôle systématique quant à leur compatibilité avec la Constitution et le droit international, pas plus en amont des décisions (examen des propositions d'amendement) qu'à posteriori (une fois les amendements adoptés). Cette remarque s'applique tout particulièrement à la procédure d'élimination des divergences durant laquelle s'exerce une forte pression politique dans le but de parvenir rapidement à un compromis. Les propositions que nous vous soumettons ci-après devraient être reprises dans la législation sur le Parlement.

Associer davantage aux travaux législatifs les unités compétentes de l'administration fédérale Le système suisse part du principe que l'administration de l'Etat doit être simple.

L'administration met son expertise au service de l'ensemble de l'Etat112. Elle soutient l'Assemblée fédérale et ses organes sous l'angle du droit matériel et dans l'accomplissement de ses tâches. A ce titre, un accent plus marqué pourrait être mis sur le contrôle préventif des actes normatifs. Il est concevable d'enjoindre les départements et les offices responsables de consulter toujours l'OFJ et, au besoin, la ChF, l'AFF et la DDIP lorsque, dans le cadre des délibérations en commissions ou au plénum, des propositions d'amendement qui soulèvent d'importantes questions de 112

V. Moritz von Wyss, Gesetzesformulierung oder Gesetzesabsegnung durch das Parlament, LeGes 2002/3, p. 63.

2043

droit (s'agissant notamment de la compatibilité avec le droit constitutionnel et le droit international) ont été déposées. Dans ce cadre, il incombe aux offices responsables quant au fond de procéder, au besoin, à un tri des propositions d'amendement et à un examen préalable de celles-ci quant à leur conformité avec la Constitution et le droit international. Cette tâche n'étant pas nouvelle pour les offices concernés, il suffirait donc de veiller à ce qu'ils l'assument systématiquement.

Il serait également envisageable d'établir une norme astreignant les commissions parlementaires compétentes à soumettre les modifications importantes des projets législatifs qu'elles arrêtent à un contrôle quant à leur constitutionnalité et à leur conformité avec le droit international (ce contrôle pourrait être effectué par des experts externes ou par le département responsable du dossier, avec le concours de l'OFJ). Une autre solution serait que les Services du Parlement diffusent à l'OFJ les dépliants relatifs aux projets d'actes législatifs, à mesure qu'ils sont actualisés.

L'OFJ pourrait ainsi examiner en continu les propositions d'amendement et disposer d'une marge plus grande pour intervenir.

L'avantage de ces différentes variantes est d'assurer un certain automatisme des contrôles par l'organe chargé du contrôle préventif des actes normatifs et par l'autorité en charge des projets. Il en résulterait cependant un surcroît de travail non négligeable.

Etoffement des Services du Parlement (création d'un service chargé d'examiner la constitutionnalité des projets) En lieu et place d'un recours accru à l'expertise de l'administration fédérale, il serait envisageable d'étoffer les Services du Parlement, en créant, par exemple, une unité chargée d'examiner la constitutionnalité des projets. Une telle unité, à la différence d'un organe parlementaire, jouirait de plus de souplesse dans l'examen des questions de constitutionnalité et pourrait se consacrer en permanence à cette tâche sans devoir se soucier d'une planification de séances. L'instauration d'une telle unité au sein des Services du Parlement présenterait toutefois l'inconvénient de faire double emploi avec les différents services de l'administration fédérale (OFJ, Chf., AFF et DDIP) spécialisés en matière de contrôle des actes normatifs. En outre,
implantée au sein des services du Parlement, cette unité serait privée d'importantes informations issues de la procédure pré-parlementaire, informations dont dispose aujourd'hui l'administration fédérale.

Extension des attributions de la Commission parlementaire de rédaction Il serait également concevable que la Commission parlementaire de rédaction, à l'instar des commissions de rédaction existant dans plusieurs cantons113, soit chargée d'assurer la qualité des projets d'actes législatifs non seulement sous l'angle linguistique et du point de vue de la technique législative mais encore sous l'angle juridique (compatibilité des projets avec la Constitution et le droit international).

Pour pouvoir s'acquitter de ce contrôle, la commission devrait pouvoir intervenir à un stade précoce de la procédure parlementaire, par exemple après l'examen du projet par la commission du premier conseil, après les délibérations du premier 113

Notamment dans les cantons suivants: BE, BL, JU, NW, SG ou UR. V. le tableau synoptique élaboré par Christian Schuhmacher/Gérard Caussignac, dans le cadre de leur contribution intitulée «Sicherstellung der legistischen Qualität von Gesetzen in den kantonalen Parlamenten», LeGes 2006/2, p. 58.

2044

conseil, après l'examen du projet par la commission du second conseil et après les délibérations du second conseil. Au sein des cantons, il existe des formes multiples d'intervention des commissions de rédaction114. Une autre solution serait que la Commission parlementaire de rédaction procède au contrôle de l'ensemble des propositions d'amendement sous l'angle linguistique et sur les plans de la légistique et du droit. Cette solution exigerait toutefois qu'elle siège en permanence ou presque et que les propositions lui soient soumises par écrit quelques jours à l'avance, ce qui semble peu réaliste. En outre, la loi sur le Parlement part du principe qu'il n'existe pas de hiérarchie entre les commissions. Or ce principe serait battu en brèche si l'on étendait les attributions de la Commission de rédaction dans le sens proposé.

Tirer parti du système bicaméral Le contrôle de la légalité des actes normatifs dans le cadre de la procédure parlementaire pourrait également être renforcé si l'on mettait à profit le système bicaméral en prévoyant que le second conseil examine systématiquement si les projets adoptés par le premier conseil sont conformes au droit et, en cas de doute, en fait vérifier la constitutionnalité et la conformité au droit international par le département compétent en liaison avec l'OFJ ou d'autres organes chargés du contrôle de la légalité, par les services du Parlement ou encore par des experts extérieurs. A titre de variante, il serait concevable de donner à l'OFJ le mandat de procéder d'office à cet examen.

On peut toutefois se demander dans quelle mesure un tel mode de procéder est compatible avec le respect d'une stricte égalité entre les conseils législatifs puisque la tâche qu'assumerait le second conseil lui conférerait un certain avantage dans le cadre de la procédure d'élimination des divergences. En outre, la procédure parlementaire en serait complexifiée. Enfin, il faudrait conférer par une norme spécifique aux commissions chargées de l'examen préalable du second conseil une tâche qui incombe aujourd'hui aux commissions des deux conseils en vertu de leurs attributions législatives.

4.3

Office fédéral de législation

Une autre solution propre à optimiser le statu quo au stade la procédure préparlementaire serait de centraliser la rédaction des actes normatifs pour l'ensemble des secteurs au sein d'un service administratif ad hoc. Ce service pourrait être rattaché au DFJP115 ou éventuellement à la ChF. Il serait également envisageable de créer un Office fédéral de législation directement subordonné au Conseil fédéral, ainsi que l'a proposé, notamment, Eichenberger, dès 1954116. Selon cette proposition, l'office de législation ferait appel à des experts et à des spécialistes des départements concernés pour élaborer des avant-projets, conduirait la procédure de consultation et en évaluerait les résultats, puis établirait des projets de loi, d'ordonnance du Parlement et 114

V. le tableau synoptique élaboré par Christian Schuhmacher/Gérard Caussignac (n. 113), p. 48. Si les cantons ne connaissent pas le système bicaméral, en revanche les projets législatifs font l'objet de plusieurs lectures.

115 Le Canada connaît un tel système (Direction des services législatifs du Ministère de la Justice). V. Robert C. Bergeron, La centralisation des fonctions rédactionnelles dans la filière législative fédérale au Canada, LeGes 2002/3, p. 85 ss.

116 Kurt Eichenberger, Rechtsetzungsverfahren und Rechtssetzungsformen in der Schweiz, Revue de droit suisse 1954, p. 68a ss, 109a ss.

2045

d'ordonnance du Conseil fédéral à l'intention de ce dernier. Il aurait simultanément pour mission de contrôler minutieusement la légalité des projets d'acte législatifs et de tenir compte de cet aspect dans le cadre de la procédure législative proprement dite117.

Cette solution présenterait l'avantage de permettre que les projets d'actes normatifs soient toujours élaborés par des spécialistes des questions législatives mieux à mêmes que d'autres de tenir compte de l'ordre juridique dans sa globalité et moins accaparés par les problèmes politiques au quotidien. Elle permettrait d'accroître dès le départ la qualité des projets législatifs, tant sous l'angle de leur exactitude matérielle que du point de vue de leur constitutionnalité et de leur harmonisation avec la législation existante, voire même sur le plan rédactionnel. C'est dire que l'on s'épargnerait ainsi la nécessité de remanier profondément les projets à un stade ultérieur ­ par exemple, lors de la consultation des offices ­ parce que leur qualité laisse à désirer. Un Office fédéral de la législation devrait occuper un rang suffisamment élevé dans la hiérarchie administrative pour pouvoir jouer pleinement le rôle qui serait le sein. S'agissant d'initiatives parlementaires, il serait également concevable qu'une commission parlementaire charge l'Office fédéral de législation de mettre au point les documents qui serviront de base à ses délibérations. Ainsi, les projets émanent du gouvernement, d'une part et de la commission, d'autre part, obéiraient aux mêmes normes de qualité, y compris en ce qui concerne la légalité.

Une telle solution présente cependant un inconvénient: sa mise en oeuvre exigerait une restructuration d'envergure ­ ce qui n'est pas sans entraîner des coûts importants ­ des offices spécialisés, de l'OFJ, de la Chf, de l'AFF et de la DDIP, sans parler de l'adoption d'un nouveau régime des attributions. En outre, le fait de concentrer les attributions en matière législative entre les mains d'un seul office pourrait bien se traduire par un transfert à cet office de la responsabilité d'établir les projets d'actes législatifs, les offices matériellement compétents se déchargeant de cette responsabilité. Cela aurait, en outre, pour effet, que les spécialistes de la rédaction législative seraient coupés des réalités propres à
chaque domaine technique. Au sein d'un même office il y aurait déconnection entre établissement des normes et application du droit. Il faut en effet rappeler que pour établir des normes dans le cadre d'un office l'on prend souvent comme point de départ les impératifs propres à l'application du droit, autrement dit l'on légifère en fonction de ces impératifs. Il serait donc indispensable que l'Office de législation fasse appel aux connaissances des départements et des unités qui les composent en s'assurant le concours d'experts internes.

Globalement parlant, le Conseil fédéral considère que cette solution présente des inconvénients trop importants pour que l'on puisse envisager sérieusement de la mettre en oeuvre.

117

Dans le rapport de la commission d'experts chargée de préparer la révision totale de la loi fédérale sur l'organisation de l'administration fédérale, daté de 1971 (rapport Huber), p. 48 ss, figure une proposition un peu plus incisive: l'Office fédéral de la législation dirigerait l'élaboration des dispositions constitutionnelles et pourrait faire appel aux conseils des départements concernés. La responsabilité de l'élaboration des autres normes serait en revanche assumée par les départements compétents, ceux-ci devant appeler assez tôt des représentants de l'Office fédéral de la législation à participer aux travaux. En outre, cet office contrôlerait la constitutionnalité des projets d'actes législatifs.

2046

4.4

Centralisation du contrôle juridique préventif

Dans le système actuel, les offices responsables des dossiers ont affaire à plusieurs interlocuteurs (OFJ, ChF, AFF et, parfois, DDIP). C'est là un inconvénient. Par ailleurs, les unités chargées du contrôle de la légalité des projets, notamment l'OFJ, sont intégrés dans l'organigramme de l'administration et soumis aux instructions du département dont elles relèvent et du Conseil fédéral. Quand bien même, matériellement parlant, l'OFJ jouit d'une large autonomie en matière de contrôle préventif des actes normatifs, le fait qu'il est intégré dans la hiérarchie administrative présente certains inconvénients. Ainsi, son service chargé de l'accompagnement législatif ne peut-il exercer qu'une influence plus restreinte s'agissant de projets d'actes législatifs émanant de son propre office ou d'autres offices du DFJP. En l'occurrence, il incombe à la direction de l'OFJ ou, selon les cas, à celle du département de statuer sur les divergences. L'OFJ n'a pas le droit d'intervenir dans le cadre de la procédure de co-rapport. Quant aux divergences, elles ne sont exposées ni au Conseil fédéral ni au Parlement.

Une solution permettrait peut être de surmonter ces difficultés: regrouper au sein d'un nouvel office fédéral ou auprès d'une autorité administrative indépendante, les unités de l'OFJ, de la ChF et d'autres offices exerçant des fonctions transversales.

Dans le cadre de la Réforme de l'administration fédérale 2005 à 2007, on a également examiné les options consistant à regrouper les unités de l'OFJ et de la ChF chargées du contrôle juridique préventif et à les rattacher à l'OFJ ou à la ChF118. Ces options ont cependant été écartées parce que l'on a considéré que les synergies supplémentaires que l'on pouvait en tirer seraient trop restreintes puisque tant l'OFJ que la ChF devaient se concentrer sur leurs tâches primaires. Le postulat Pfisterer suggère notamment de rapprocher le statut de l'OFJ de celui du Contrôle fédéral des finances (CDF). Outre le CDF, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) jouit d'un statut d'indépendance. Il convient donc de rappeler succinctement en quoi consistent les statuts de ces deux autorités.

Modèle CDF La loi sur le Contrôle des finances (LCF) règle la position, l'organisation et les tâches de cet organe. Aux termes de l'art. 1 LCF,
le CDF est l'organe suprême de la Confédération en matière de surveillance financière. Dans l'exercice de ses fonctions de contrôle, il est soumis uniquement à la Constitution et à la loi. Il assiste l'Assemblée fédérale et le Conseil fédéral dans l'exercice de leurs attributions financières et de la surveillance de l'administration fédérale. Il exerce la surveillance financière selon les critères de la régularité, de la légalité et de la rentabilité (art. 5 LCF). Il est rattaché administrativement au Département fédéral des finances (art.

25s Org DFF) mais n'est pas soumis aux instructions de celui-ci. L'indépendance dont jouit le CDF s'exprime notamment aux travers des faits suivants: il fixe chaque année son programme de révision et peut refuser des mandats spéciaux (art. 1, al. 2, LCF); il publie son rapport annuel d'activité dans la Feuille fédérale (art. 14, al. 3, LCF; v., par exemple, FF 2008 2749 ss.); enfin il correspond directement avec les Commissions des finances et la Délégation des finances des Chambres fédérales, le Conseil fédéral, les unités administratives de la Confédération et les tribunaux fédéraux (art. 15, al. 1, LCF) Le directeur du CDF est nommé par le Conseil fédéral pour une durée de six ans (le nombre des mandats n'est pas limité). La nomination 118

V. Sägesser, Gesetzgebung und begleitende Rechtsetzung (n. 47), p. 901 ss.

2047

doit être approuvée par l'Assemblée fédérale. Le Conseil fédéral peut révoquer le directeur avant l'expiration de son mandat en cas de violation grave du devoir de fonction. Le budget annuel du CDF et l'effectif de son personnel sont fixés directement par l'Assemblée fédérale (art. 2 LCF). Sur le plan institutionnel le CDF jouit d'une indépendance similaire à celle des tribunaux fédéraux, quand bien même sa mission est différente.

Modèle PFPDT Le statut, l'organisation et les tâches du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence sont réglés par la loi sur la protection des données (LPD) et par la loi sur la transparence (LTrans) Dans les domaines couverts par ces deux lois, le PFPDT se voit conférer diverses fonctions de surveillance, de conseils et de médiation. Dans le contexte qui nous occupe, on relèvera avec intérêt que le PFPDT prend lui aussi position sur les projets d'actes législatifs fédéraux qui touchent de manière importante à la protection des données (art. 31, al. 1, let. b, LPD) ou fondamentalement au principe de la transparence (art. 18, let. c, LTrans). Ainsi donc, dans son domaine de compétence, le PFPDT représente lui même une autorité chargée du contrôle préventif des actes normatifs. L'art. 26 LPD dispose que le PFPDT est nommé par le Conseil fédéral, s'acquitte de ses tâches de manière autonome et dispose d'un secrétariat permanent. Le PFPDT est rattaché administrativement à la Chancellerie fédérale. Il n'est pas lié quand au fond par d'éventuelles instructions du Conseil fédéral. Il détermine en toute autonomie les priorités de son action et l'usage qui sera fait des ressources à sa disposition119. Certains auteurs de doctrine émettent des doutes quant à l'autonomie institutionnelle du PFPDT, nommé non point par le Parlement mais par le Conseil fédéral et, qui plus est, pour une période qui n'est pas fixe120. Dans le cadre de la procédure de co-rapport, le PFPDT communique ses prises de position et ses propositions par le canal de la ChF. Celle-ci est tenue de les porter à la connaissance de Conseil fédéral, ce qui ne signifie pas qu'elle doive nécessairement les signer.

«Contrôle fédéral des projets d'actes législatifs» Par analogie avec le modèle CDF ou le modèle PFPDT, il serait concevable d'instaurer une autorité indépendante sur le plan technique qui serait chargée de l'accompagnement législatif et du contrôle des projets d'actes normatifs. A la différence de «l'Office fédéral de législation» dont nous avons esquissé les contours, le Contrôle fédéral des projets d'actes législatifs121 assumerait les fonctions dévolues actuellement à l'OFJ, au service juridique de la ChF et à d'autres unités en matière d'accompagnement législatif. Comme il existe souvent un lien étroit entre aspects juridiques et aspects rédactionnels, il serait envisageable, à titre de variante, de s'assurer le concours des services linguistiques de la ChF. L'élaboration des projets 119

Monique Cossali Sauvain, in: Stephan C. Brunner/Luzius Mader (éd.), Handkommentar zum Öffentlichkeitsgesetz, Berne 2008, no 11 ad art. 18 LTrans.

120 René Huber, in: Urs Maurer-Lambrou/Nedim Peter Vogt (éd.), Basler Kommentar, Datenschutzgesetz, 2e éd., Bâle 2006, n0 24 ss relatif à la remarque préliminaire concernant la section 5, no 18 ss ad art. 26 LPD.

121 Selon les éléments sur lesquels l'accent serait mis, il pourrait également porter le nom d'«Organe fédéral d'accompagnement législatif» ou de «Centre de compétence en matière de législation».

2048

d'actes législatifs continuerait de ressortir aux offices. Il n'y aurait donc pas de centralisation de l'activité législative. Le «Contrôle fédéral des projets d'actes législatifs» aurait pour missions d'accompagner les unités administratives chargées de tâches normatives, d'assurer systématiquement le contrôle de la légalité des normes au stade de la procédure préparlementaire et d'examiner les principales propositions d'amendement déposées durant la procédure parlementaire.

Cette solution présenterait un double avantage: d'abord, elle renforcerait la position de l'autorité chargée du contrôle préventif des actes normatifs par rapport aux départements responsables des projets, au Conseil fédéral et au Parlement. Ensuite, elle permettrait aux offices compétents pour l'élaboration des projets de n'avoir plus qu'un seul interlocuteur en matière de contrôle de la légalité des normes.

Elle aurait aussi plusieurs inconvénients: la centralisation du contrôle préventif ne permettrait plus de donner aux projets une assise légistique suffisamment large ni d'examiner les projets sous différents angles juridiques, d'où une perte de savoirfaire. Il peut arriver, en effet, que des questions d'ordre juridique donnent lieu à des points de vue différents qui sont tous défendables. Autre désavantage: il se pourrait que les offices responsables des projets considèrent la nouvelle autorité moins comme une partenaire en matière d'accompagnement législatif que comme un organe de contrôle éloigné de leurs préoccupations. Enfin, l'instauration d'une telle autorité exigerait une restructuration d'envergure sans parler de la définition de nouvelles interfaces.

4.5

Nouveaux organes parlementaires

En lieu et place des mesures qui permettraient d'optimiser le système actuel de contrôle juridique préventif au stade de la procédure parlementaire (institutionnaliser le concours de l'administration fédérale, étoffer les Services du Parlement, étendre les attributions de la Commission parlementaire de rédaction, tirer parti du système bicaméral), il serait concevable d'instituer au sein du Parlement un organe ou un organe auxiliaire spécialisé dans les questions de compatibilité avec le droit de rang supérieur.

Délégation parlementaire pour les questions constitutionnelles Lors de l'adoption de la loi sur les rapports entre les conseils, voici bientôt 50 ans, loi qui a été remplacée par la loi actuelle sur le Parlement, il fut question d'instaurer une délégation parlementaire permanente pour les questions constitutionnelles (appelée «délégation constitutionnelle»)122. Par souci de mieux garantir que la constitutionnalité des projets et des propositions d'amendements soit examinée minutieusement et objectivement, le Conseil fédéral a proposé de créer une délégation constitutionnelle commune aux deux conseils et composée uniquement de parlementaires (par exemple, de quatre membres du Conseil des Etats et de quatre du Conseil national). Cette délégation aurait eu pour mission de donner son avis sur des questions de droit constitutionnel qui lui seraient soumises dans le cadre de l'examen d'objets par le Parlement (notamment, projets de loi et d'arrêté fédéral et messages du Conseil fédéral sur les initiatives populaires). Les avis de la délégation 122

Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale du 25 avril 1960 concernant une nouvelle loi sur les rapports entre les conseils; FF 1960 I 1507 1552 ss.

2049

n'étaient censés lier les conseils législatifs en aucune façon. Ils auraient simplement visé à convaincre ceux-ci de la pertinence des arguments avancés. Cette délégation constitutionnelle aurait eu une fonction purement consultative. Elle n'aurait eu aucune compétence décisionnelle pas plus que le droit de faire des propositions au Parlement (d'où le nom de délégation et non celui de commission). Les conseils étaient toutefois censés statuer en connaissance de l'avis de la délégation. Il était sous-entendu que l'avis serait demandé pendant que le projet pouvait être encore modifié. Le Conseil fédéral avait proposé que l'avis de la délégation puisse être sollicité par chaque conseil législatif, chaque commission chargée de l'examen préliminaire d'un projet, 60 membres du Conseil national et quatorze du Conseil des Etats, enfin par le Conseil fédéral in corpore.

On pourrait également envisager une variante dans laquelle les deux conseils constituent chacun en leur sein une commission constitutionnelle qui examine la conformité au droit supérieur, sinon de l'ensemble, du moins des plus importants projets d'actes législatifs et propositions d'amendement les concernant. Cet examen porterait également sur les projets d'arrêtés fédéraux relatifs aux traités internationaux et aux initiatives populaires. Suite à cet examen, chaque commission constitutionnelle formulerait des propositions à l'intention de la commission chargée de l'examen préliminaire des objets ou directement à l'intention des conseils législatifs, à l'issue de la procédure d'élimination des divergences.

Cette solution présenterait l'avantage de mettre en place au sein de l'Assemblée fédérale un organe qui garantisse la compatibilité des projets avec les normes de droit supérieur, ce qui contribuerait à rehausser le prestige de cette autorité et à renforcer ainsi sa position. Ses attributions resteraient intactes et ses tâches et compétences demeureraient inchangées. A signaler cependant un inconvénient: le défaut d'un regard extérieur impartial. Dans ce contexte se pose par principe la question de la légitimation politique d'un tel organe. Si sa fonction est purement consultative, il sera, à l'instar des commissions chargées de l'examen préliminaire des projets, exposé aux controverses politico-tactiques. Ses propositions pourraient
être reprises comme arguments dans le cadre d'une votation populaire ou, ultérieurement, lorsqu'il s'agira d'appliquer le droit, être utilisées par les opposants aux décisions du Parlement pour justifier leur position. Ses propositions auraient donc un effet préjudiciel. Enfin, pour pouvoir être légitimée, la délégation constitutionnelle devrait avoir la taille d'une petite chambre du Parlement. Or on peut se demander dans quelle mesure il est souhaitable d'instituer une troisième chambre (même si elle est fictive) dans un système bicaméral.

Organe auxiliaire mixte de l'Assemblée fédérale Il serait également concevable d'instituer un organe mixte de l'Assemblée fédérale à l'image du Conseil de la magistrature123 dont il a été question dans le cadre des débats sur la révision totale de l'organisation judiciaire fédérale. Cet organe pourrait, par exemple, se composer d'un membre du Conseil des Etats et d'un du Conseil national, d'un juge du Tribunal fédéral, d'un représentant de la doctrine et d'un des 123

Cet organe aurait collaboré à la préparation de l'élection et de la réelection des juges fédéraux et assisté l'Assemblée fédérale dans l'exercice de la haute surveillance sur les tribunaux fédéraux de première instance. V. le projet de loi fédérale sur le Conseil de la magistrature (LCM), FF 2002 1146 et le Rapport additionnel de la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats du 16 novembre 2001 relatif au projet de loi fédérale sur le Conseil de la magistrature (LCM), FF 2002 1128.

2050

cantons. Pourraient être associés aux délibérations le chef du DFJP et des représentants de l'OFJ ou d'autres offices. L'organe en question aurait pour tâche d'examiner, sur demande, si des projets d'actes législatifs, les propositions d'amendement qui les concernent ou les autres modifications déjà arrêtées sont compatibles avec la Constitution et le droit international. Les avis qu'il rendrait n'auraient pas de portée impérative. Quant au droit de requérir un avis de cet organe, il pourrait être réglé de manière identique à celle que nous avons définie dans le cadre de la délégation constitutionnelle. Cet organe auxiliaire pourrait être rattaché administrativement aux Services du Parlement.

Un tel organe présenterait l'avantage de permettre l'examen des problèmes de droit constitutionnel et de droit international sous différents angles. Son instauration et ses tâches pourraient être réglées dans la loi sur le Parlement ou dans un acte législatif ad hoc. En l'occurrence se pose également la question de la légitimation politique de cet organe. Il s'agirait également de déterminer comment l'intégrer rationnellement dans la procédure parlementaire.

4.6

Autorité judiciaire

Il existe une autre solution propre à renforcer le contrôle juridique préventif: instituer une autorité judiciaire ou, du moins, similaire à une autorité judiciaire. Il s'agirait, pour l'essentiel, d'un organe indépendant du Parlement, du Conseil fédéral et de l'administration qui examinerait, hors des débats politiques, la légalité des projets. L'intervention de cet organe extérieur serait limitée aux projets d'arrêtés fédéraux relatifs à des modifications constitutionnelles ou concernant la validité d'initiatives populaires, aux projets de loi fédérale et d'arrêté fédéral portant approbation de traités internationaux (non encore ratifiés) et aux projets d'ordonnance de l'Assemblée fédérale. Il est concevable que cette autorité procède à l'examen des textes une fois les messages approuvés par le Conseil fédéral et au cours de la procédure parlementaire. Par ailleurs, on peut se demander s'il ne serait pas nécessaire que cette autorité judiciaire se prononce sur les projets après le vote final mais avant la publication. Il conviendrait de définir dans les détails ­ au moyen de différentes variantes ­ les attributions de cette autorité et la procédure régissant son activité. A l'étranger, on trouve un modèle viable, celui du Conseil d'Etat (il a été adopté notamment par la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg). De même, à l'étranger et au niveau international, il est courant que l'on demande un avis consultatif à une autorité judiciaire124.

Modèles discutés par le passé En relation avec l'examen de la validité des initiatives populaires, plusieurs variantes ont été examinées dans le but de faire participer le Tribunal fédéral au processus de décision du Parlement. Dans le cadre du train de réformes des droits populaires (Projet B de la réforme de la Constitution fédérale), le Conseil fédéral avait proposé la solution suivante: si l'Assemblée fédérale a des doutes quant à la conformité d'une initiative populaire au principe de l'unité de la forme, à celui de l'unité de la matière ou aux règles impératives du droit international, elle saisit le

124

Hangartner (n. 12), no 6 ad art. 190 Cst.

2051

Tribunal fédéral. L'arrêt du Tribunal fédéral lie l'Assemblée fédérale125. Dans cette configuration, l'Assemblée fédérale aurait continué à assumer la responsabilité principale de l'examen des initatives populaires et de la décision quant à leur validité. De son côté, le Tribunal fédéral aurait statué de manière impérative sur la nullité d'initiatives populaires s'il avait été saisi par la majorité des votants des deux conseils législatifs126.

A l'occasion de la Journée des juristes suisse de 1934 et suite à un sondage organisé en 1949 dans le cadre duquel le comité de la Société suisse des juristes a prié ses membres de proposer des mesures propres à sauvegarder la constitutionnalité des actes législatifs, plusieurs variantes concernant le contrôle des projets d'actes législatifs par le Tribunal fédéral ont été proposées. Ainsi, Fritz Fleiner a notamment préconisé que les deux Chambres de l'Assemblée fédérale et le Conseil fédéral soient habilités à demander au Tribunal fédéral de rendre un avis ayant force obligatoire lorsqu'au cours des délibérations sur un projet de loi des doutes ou des divergences d'opinions se font jour quant à la constitutionnalité127. Hans Huber, pour sa part, a recommandé qu'en cas de doute sur la constitutionnalité d'un projet, un conseil législatif, même s'il s'agit d'une minorité de celui-ci, puisse requérir du Tribunal fédéral un avis qui sans avoir force obligatoire n'en ferait pas moins autorité. Il appartiendrait ensuite aux conseils législatifs de se prononcer sur cet avis. En cas de divergence de vues, il serait judicieux qu'ils statuent à la majorité qualifiée128 Enfin Imhof a proposé l'institution d'une cour de justice ad hoc (comprenant neuf membres, dont trois juges fédéraux) qui aurait statué sur la constitutionnalité de projets durant la procédure législative, cela à la demande d'une minorité précise de l'un des deux conseils, d'un canton ou, éventuellement, d'un nombre déterminé d'électeurs. Au cas où la cour aurait constaté que la loi était contraire à la Constitution, elle ne pourrait entrer en vigueur sous sa forme initiale qu'avec l'assentiment du peuple et des cantons129.

Tribunal fédéral Etant donné les structures étatiques actuelles, on pense en premier lieu que c'est le Tribunal fédéral qui devrait examiner en toute indépendance la constitutionnalité
des projets. Cet examen pourrait porter sur les projets constitutionnels (qu'ils soient proposés par les autorités ou dans le cadre d'initiatives populaires), sur les projets de loi et d'ordonnances du Parlement ou encore sur les arrêtés portant approbation de traités internationaux. Eventuellement, il pourrait aussi être étendu aux ordonnances importantes du Conseil fédéral sur lesquelles le Parlement peut demander à être consulté, conformément à l'art. 151 LParl.

En l'occurrence, une question revêt une importance éminente: quelle portée juridique faut-il conférer aux arrêts et avis rendus par le Tribunal fédéral? La réponse à cette question dépend du stade auquel le Tribunal fédéral serait saisi et de ce que celui-ci s'exprime sur les questions qui lui ont été soumises. D'une part, il est conce125 126 127

FF 1997 650 FF 1997 490 ss.

Die Prüfung der Verfassungsmässigkeit der Bundesgesetze durch den Richter, RDS NF 55 1934, p. 1a, thèse 6, p. 35a.

128 Tiré du message du Conseil fédéral concernant une nouvelle loi fédérale sur les rapports entre les conseils, FF 1960 I 1551.

129 Tiré du message du Conseil fédéral concernant une nouvelle loi fédérale sur les rapports entre les conseils, FF 1960 I 1551 s.

2052

vable que postérieurement à la votation finale au Parlement le Tribunal fédéral examine une décision sur demande et rende un arrêt ayant force obligatoire pour l'Assemblée fédérale. Tel serait notamment le cas lors de l'examen d'initiatives populaires ­ et, dans la même mesure, d'autres projets ­ dont l'Assemblée fédérale n'a pas le droit de modifier la teneur et pour lesquels il s'agit d'opter entre validité et nullité à la lumière du jus cogens. La force obligatoire d'un arrêt du Tribunal fédéral aurait pour corollaire que le projet tel qu'il a été adopté lors du votefinal devrait être annulé dans la mesure requise par l'arrêt. Un tel système restreindrait par trop fortement la compétence de l'Assemblée fédérale, ce qui, d'un point de vue politique, le rendrait difficilement praticable.

Mais le contrôle exercé par une autorité judiciaire peut aussi avoir lieu plus tôt et plus précisément lorsqu'après l'approbation du message du Conseil fédéral ou du rapport d'une commission parlementaire sur une initiative parlementaire ou encore durant les délibérations parlementaires, de sérieux doutes sont émis quant à la constitutionnalité d'un projet et à sa conformité au droit international, donc à un stade de la procédure auquel le projet n'a pas encore été adopté définitivement, ce qui laisse encore aux conseils législatifs une certaine latitude pour le modifier. En pareille occurrence, on pourrait requérir un avis du Tribunal fédéral. Celui-ci rendrait un avis non contraignant sur la constitutionnalité du projet et sa conformité au droit international, ce qui ne restreindrait en aucune façon la marge de manoeuvre de l'Assemblée fédérale. Pour pouvoir examiner le projet, le Tribunal fédéral devrait être saisi d'une demande en bonne et due forme, émanant ­ comme dans le cas de la Délégation constitutionnelle du Parlement ­ de chacun des conseils, de toute commission chargée de l'examen préalable du projet, de 60 conseillers nationaux, de quatorze députés au Conseil des Etats, enfin du Conseil fédéral. Le droit de présenter une telle demande pourrait, en outre, être concédé à un nombre déterminé de cantons lorsqu'ils ont des doutes quant à la compétence de la Confédération de régler la matière en question ou encore lorsque le projet porte atteinte à la répartition des tâches entre la Confédération et
les cantons.

Les avantages de cette solution sont évidents. Elle permettrait à la plus haute autorité judiciaire du pays d'élucider la situation juridique et, au besoin, d'utiliser les conclusions de cet examen lors d'un litige porté devant elle et ayant trait au même sujet. Le Tribunal fédéral a l'habitude d'examiner les questions de constitutionnalité et de conformité au droit international et, au besoin, de déterminer si un projet d'acte législatif peut être interprété dans un sens qui soit conforme au droit constitutionnel ou aux normes des instruments internationaux. Dans le mesure où sa compétence se limite à établir un avis dont les conclusions n'ont pas force obligatoire pour le Parlement, l'autorité judiciaire suprême ne se substitue pas au Parlement et laisse à celui-ci la latitude nécessaire pour légiférer.

On pourrait cependant objecter qu'une telle intervention du Tribunal fédéral dans la procédure législative constitue une atteinte encore par trop incisive au principe de la séparation des pouvoirs puisque la tâche de légiférer est de nature politique et ressor-

2053

tit, au premier chef, au Parlement130. En outre, l'établissement d'avis constitue pour le Tribunal fédéral un surcroît de travail dont il se passerait. Par ailleurs, il convient de ne pas perdre de vue que l'Assemblée fédérale, elle-même, est tenue de respecter la Constitution. Interpréter la Constitution implique toujours que l'on porte une appréciation sur les normes en cause. Toutefois, lorsqu'elle est amenée à interpréter des normes constitutionnelles et à examiner des textes touchant les droits populaires, l'Assemblée fédérale s'inspire fortement de la jurisprudence du Tribunal fédéral et de celle des tribunaux internationaux. Force est de relever, en outre, que, depuis longtemps, le Conseil fédéral et l'Assemblée fédérale exercent des fonctions essentielles en matière de législation, sans que cela ait jamais été ressenti comme une violation du principe de la séparation des pouvoirs. Enfin, il convient de souligner que le Tribunal fédéral n'aurait à se prononcer que ponctuellement et sur demande sur la constitutionnalité des projets et leur conformité au droit international. Dans la mesure où la Constitution ménage une latitude suffisante pour établir plusieurs variantes de réglementation légale, il incombe, en outre, aux organes compétents sur le plan politique de débattre de ces variantes et de les apprécier selon des critères politiques.

La solution décrite ci-dessus ne dispenserait pas de tenir compte des spécificités de la procédure suivie par le Tribunal fédéral. Il est douteux qu'en sa qualité d'autorité judiciaire suprême, celui-ci se prononce à titre purement consultatif sur la constitutionnalité d'un projet et sa conformité au droit international. Si ­ sauf dans le cas de figure évoqué plus haut ­ les avis qu'il rend n'ont pas force obligatoire pour le Parlement, encore faut-il exiger que ces avis soient traités par le Parlement et prévoir qu'en cas de divergences de vues au sein d'un conseil, celui-ci ne puisse adopter qu'à la majorité qualifiée un projet que le Tribunal fédéral a considéré comme anticonstitutionnel ou contraire au droit international et que ledit conseil a refusé de corriger en conséquence. En outre, il conviendrait de ne pas perdre de vue que la formulation de demandes et de questions claires concernant des dispositions précisément déterminées permet de formaliser
la procédure, à l'image de celle qui est appliquée, par exemple, pour l'examen de la validité d'une initiative populaire. En revanche, il ne saurait incomber au Tribunal fédéral de contrôler si l'ensemble d'un projet législatif est conforme au droit de rang supérieur.

Aux termes de l'art. 188, al. 1, Cst., le Tribunal fédéral est l'autorité judiciaire suprême de la Confédération. Il connaît notamment des contestations pour violation du droit fédéral et du droit international (art. 189, al. 1, let. a et b, Cst.). En vertu de l'art. 189, al. 3, Cst., la loi peut conférer d'autres compétences au Tribunal fédéral.

Ainsi donc, la loi sur le Tribunal fédéral pourrait, en principe, prévoir que celui-ci examine la constitutionnalité des projets et leur conformité au droit international, dans le cadre de la procédure législative. Compte tenu de la portée politique de cette

130

C'est pour des raisons analogues que la CIP-CE avait écarté la proposition selon laquelle l'Assemblée fédérale devrait saisir le Tribunal fédéral si elle a des doutes sur la validité d'une initiative populaire. Rapport de la CIP-CE concernant l'initiative parlementaire (Commission 96.091 CE) Suppression de carences dans les droits populaires, FF 2001 4590 4618. V. l'avis critique émis par Walter Haller à ce sujet in Die schweizerische Bundesverfassung Kommentar, Ehrenzeller und andere (éd.), 2e édition 2008, no 60 ad art. 189 Cst.; Hangartner (n. 12), no 80 ad art. 173 Cst.

2054

nouvelle compétence et de la teneur de l'art. 190 Cst.131, le Conseil fédéral estime que cette compétence devrait plutôt être consacrée dans la Constitution.

Organe constitutionnel indépendant Il serait concevable d'instituer, sur le modèle du Conseil constitutionnel français, un organe constitutionnel indépendant qui aurait pour mission de procéder à un contrôle judiciaire préventif et abstrait de projets législatifs. Sa composition pourrait soit être définie de manière détaillée, soit s'inspirer de celle du Conseil constitutionnel français soit encore de celle du Conseil législatif suédois et comprendre outre des juges du Tribunal fédéral, du Tribunal administratif fédéral et du Tribunal pénal fédéral, des personnalités des milieux de la doctrine et de la science juridique. Indépendant du Parlement, du Conseil fédéral et du Tribunal fédéral, cet organe ne porterait pas atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. Ainsi que nous l'avons déjà relevé à propos du Tribunal fédéral, il s'agirait de définir la compétence du nouvel organe et la portée de ses décisions et avis. En tout état de cause, un Conseil constitutionnel à la française devrait tout d'abord être formellement créé. A cet effet, il faudrait compléter la Constitution par une disposition qui définisse notamment le rôle, la composition et le mode d'élection du nouvel organe. L'instauration d'un Conseil constitutionnel remettrait notablement en cause les structures politico-étatiques traditionnelles. Aussi est-il peu réaliste de l'envisager. Elle aurait en outre pour incidence de répartir entre deux organes ­ à savoir le Conseil constitutionnel et le Tribunal fédéral ­ la tâche d'examiner la constitutionnalité et la conformité au droit international des projets d'actes législatifs, ce qui recèle le risque que ces deux organes rendent des avis divergents.

Création au Tribunal administratif fédéral d'une Cour chargée des questions législatives En lieu et place du Tribunal fédéral, un des deux tribunaux fédéraux de première instance pourrait être chargé du contrôle préventif des actes législatifs. Par analogie avec le modèle «Conseil d'Etat»132 adopté par plusieurs Etats, il serait concevable de créer au sein du Tribunal administratif fédéral une véritable Cour chargée des questions législatives. A l'instar du Tribunal fédéral,
l'indépendance à l'égard du Parlement, du Conseil fédéral et de l'administration lui serait garantie. De par son activité, le Tribunal administratif fédéral est en mesure d'apprécier les problèmes de constitutionnalité et de conformité au droit international.

131

Hangartner (n. 12), no 6 ad art. 190 Cst. pose la question suivante: convient-il de prévoir dans une loi fédérale, que le Tribunal fédéral examine les projets de loi fédérale et les projets d'arrêtés fédéraux portant approbation de traités internationaux (non encore ratifiés)?

Le fait qu'à ce stade il n'existe pas encore de loi fédérale ni d'instrument international ayant force obligatoire pour la Suisse plaide en faveur de cette solution. S'y oppose, en revanche, le fait qu'une telle procédure réduirait à néant la latitude que l'art. 190 Cst.

visait précisément à ménager à l'Assemblée fédérale, ce quand bien même celle-ci ne serait juridiquement pas liée par l'avis du Tribunal fédéral.

132 Dans les autres Etats, le Conseil d'Etat représente la plus haute juridiction administrative.

Tel n'est pas le cas en Suisse où le Tribunal administratif fédéral connaît en première instance d'affaires relevant de domaines du droit administratif fédéral dont l'exécution ressortit aux autorités fédérales. Il n'y a que dans certains domaines (par exemple, dans celui de l'asile) que le Tribunal administratif fédéral statue en qualité d'autorité de dernière instance. Dans la plupart des cas, le Tribunal fédéral constitue donc le tribunal administratif suprême.

2055

Il est concevable que la Cour chargée des questions législatives, à l'instar des organes homologues existant en Belgique ou aux Pays-Bas, examine systématiquement tous les projets du degré constitutionnel et législatif (y compris ceux qui portent sur les initiatives populaires) émanant du Conseil fédéral et les projets d'arrêtés portant approbation des traités internationaux, avant qu'ils ne soient transmis au Parlement. De même, il est imaginable qu'au cours des délibérations parlementaires sur des projets, la cour procède sur demande à un examen supplémentaire des textes lorsque les propositions d'amendement prêtent à doutes quant à leur constitutionnalité et à leur conformité avec le droit international. A titre de solution de rechange, on pourrait concevoir que la Cour chargée des questions législatives examine les projets uniquement à la demande d'un conseil législatif, d'une commission chargée de l'examen préalable d'un projet ou d'un nombre déterminé de membres du Conseil national ou du Conseil des Etats, du Conseil fédéral ou encore d'un nombre déterminé de cantons, lorsque le texte à traiter éveille de sérieux doutes quant à sa constitutionnalité et à sa conformité au droit international.

Les avantages et les inconvénients de cette solution sont similaires à ceux que nous avons exposés s'agissant du recours au Tribunal fédéral. Ils sont étroitement dépendants de la forme qui sera donnée à la procédure. Une cour chargée des questions législatives présente, à notre sens, l'inconvénient supplémentaire suivant: le dialogue qu'implique l'examen des projets n'aurait pas lieu entre deux autorités de même niveau. En outre, force est de se demander si l'activité d'une telle cour serait en harmonie avec la fonction qu'exerce aujourd'hui le Tribunal administratif fédéral.

Afin de conférer à la Cour chargée des questions législatives la légitimité nécessaire, il serait indiqué de consacrer son existence dans la Constitution, par exemple à l'art. 191a.

4.7

Elargissement de la juridiction constitutionnelle

L'élargissement du contrôle subséquent des normes par les tribunaux permettrait d'accroître l'effet préventif de la pratique des tribunaux (v. ch. 2.6). Le thème de la juridiction constitutionnelle fait l'objet de deux initiatives parlementaires: l'initiative parlementaire Studer Heiner (05.445 Juridiction constitutionnelle) et l'initiative parlementaire Müller-Hemmi (07.476 Faire en sorte que la Constitution soit applicable pour les autorités chargées de mettre en oeuvre le droit). Aussi nous bornerons nous à formuler quelques remarques.

L'élargissement de la juridiction constitutionnelle pourrait, pour l'essentiel, prendre la forme prévue dans le cadre de la réforme de la justice (projet C de la réforme de la Constitution fédérale). En été 1999, le Conseil national et le Conseil des Etats ont adopté la réglementation suivante133:

133

En relation avec la question de savoir s'il fallait subdiviser le projet de réforme de la justice et soumettre au peuple et aux cantons la juridiction constitutionnelle à titre de variante, les conseils législatifs sont revenus, au cours de la session d'automne 1999 sur la question du contrôle des normes et ont refusé de l'étendre aux lois fédérales. Ils ont, en revanche, souscrit à la réglementation énoncée à l'actuel art. 190 Cst. V. BO 1999 N 2048, BO 1999 E 979 et BO 1999 N 2130.

2056

Art. 178

Contrôle des normes législatives

En rapport avec un acte d'application, le Tribunal fédéral examine si une loi fédérale viole des droits fondamentaux ou le droit international directement applicable.

1

A la demande d'un canton, il examine, en rapport avec un acte d'application si une loi fédérale viole des compétences cantonales garanties par la Constitution.

2

3

Il décide dans quelle mesure la loi fédérale peut être appliquée.

Au surplus, ni lui ni aucune autre autorité ne peuvent refuser d'appliquer une loi fédérale ni le droit international134.

4

Ainsi donc, s'agissant du contrôle juridique des lois fédérales, la réglementation proposée dans le cadre de la réforme de la justice prévoyait de concentrer ce contrôle entre les mains du Tribunal fédéral, en assortissant cette compétence de motifs limités de recours. Les particuliers auraient du se prévaloir d'une violation des droits fondamentaux alors que les cantons auraient invoqué une violation du régime de partage des compétences instauré par la Constitution fédérale. En outre, selon la proposition formulée à l'époque, il eût fallu ne pas faire usage de la compétence du Tribunal fédéral ­ établie à la faveur de la pratique135 ­ de rendre un avis préjudiciel en cas de doute sur la conformité de lois fédérales avec le droit international (directement applicable) et de refuser l'application de dispositions législatives contraires au droit international, sous réserve de la «pratique Schubert»136. Le droit international devait toutefois continuer de primer. Il fallait que dans un cas d'application, le Tribunal fédéral ne puisse pas contrôler à titre subséquent la constitutionnalité d'instruments internationaux ratifiés137. Le législateur a donc renoncé à instaurer un régime maximum de juridiction constitutionnelle sous l'empire duquel un tribunal constitutionnel ad hoc aurait eu la compétence de se livrer à un contrôle abstrait (en se référant aux lois cantonales) voire préventif de lois fédérales et d'annuler celles-ci ou de les renvoyer au Parlement pour qu'il les amende. En outre, lorsqu'il aurait constaté qu'une loi viole la Constitution ou le droit international, il n'aurait pas été tenu d'intervenir. Il lui aurait plutôt été loisible d'appliquer les dispositions législatives contestées tout en invitant le législateur à pallier les carences constatées. La réglementation proposée laissait donc au Tribunal fédéral une marge de manoeuvre suffisante pour adopter une solution appropriée dans chaque cas d'espèce138.

Un élargissement aussi modéré du contrôle subséquent de la constitutionnalité des lois fédérales par le Tribunal fédéral aurait indubitablement des incidences sur les étapes précédentes du processus législatif de décision et contribuerait en particulier à ce que l'on accorde une plus grande attention aux impératifs constitutionnels dans le cadre des travaux préparatoires au sein de l'administration, au stade de la procédure de décision du Conseil fédéral et durant la phase parlementaire.

134

135 136 137 138

V. le projet de la Commission de la révision constitutionnelle du Conseil des Etats du 27 novembre 1997, FF 1998 425, la décision du Conseil national du 9 juin 1999, BO 1999 N 1011 et la décision du Conseil des Etats du 30 août 1999, BO 1999 E 606.

Le projet du Conseil fédéral du 20 novembre 1996 est publié dans la FF 1997 652.

ATF 117 Ib 367, cons. 2e, p. 373 FF 1997 521 s.

FF 1997 521. V. art. 26 s. de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (RS 0.111).

FF 1997 543.

2057

Il serait également concevable d'intégrer le contrôle de la constitutionnalité dans le système des voies de recours ordinaires et de renoncer à concentrer cette fonction entre les mains du Tribunal fédéral (système diffus). Une telle solution si elle était adoptée entraînerait l'abrogation de l'art. 190 Cst.

En relation avec le débat autour des initiatives populaires contraires au droit international139, d'aucuns suggèrent également que l'on supprime l'exception en faveur des lois fédérales et que l'on consacre expressément dans la Constitution le droit général accessoire de contrôle de l'ensemble des normes du droit suisse, y compris des normes constitutionnelles. «Le Tribunal fédéral serait ainsi en mesure de contrôler la compatibilité des normes constitutionnelles acceptées par le peuple et des dispositions législatives d'exécution de ces normes, qu'elles résultent d'initiatives populaires ou aient été proposées par les autorités, avec la garantie des droits de l'Homme statuée par les instruments internationaux. En cas d'incompatibilité, il serait tenu de ne pas appliquer ces normes et dispositions dans le cas d'espèce»140.

Une autre mesure un peu moins incisive pourrait consister à maintenir l'obligation d'applique le droit fédéral et international énoncée à l'art. 190 Cst. tout en la complétant expressément par l'obligation de contrôler la légalité des normes141. Cette mesure également exercerait des effets aux stades précédant la procédure législative proprement dite.

5

Appréciation

5.1

Appréciation du statu quo

Le Conseil fédéral estime que, dans l'ensemble, le système actuel de contrôle juridique préventif mis en place à l'échelon fédéral a donné satisfaction. Lorsqu'il soumet un projet d'acte législatif à l'Assemblée fédérale, le Conseil fédéral y joint un message dans lequel il fait notamment le point sur les bases légales sur lesquelles le projet se fonde, ses effets sur les droits fondamentaux, sa compatibilité avec le droit supérieur (Constitution et droit international), enfin ses relations avec le droit européen (art. 141, al. 2, let. a, LParl). Aux termes de l'art. 111, al. 2, let. a, LParl, les mêmes obligations incombent aux commissions parlementaires qui ont décidé de donner suite à une initiative parlementaire: elles doivent élaborer un projet d'acte normatif accompagné d'un rapport qui doit répondre aux mêmes exigences qu'un message du Conseil fédéral. Dans leurs activités législatives, l'Assemblée fédérale, le Conseil fédéral et l'administration fédérale bénéficient du soutien de plusieurs unités administratives assumant des fonctions transversales. Ainsi, l'OFJ, la ChF, l'AFF et, éventuellement, la DDIP et le BI examinent systématiquement et d'office 139

Ce débat a été repris, en particulier, à la suite de l'initiative parlementaire Vischer (07.477) intitulée «Validité des initiatives populaires». V. remarques à la note 19.

140 Andreas Auer, Statt Abbau der Volksrechte Ausbau des Rechtsstaates, Völkerrechtswidrige Volksinitiativen als Anstoss zum Ausbau der Verfassungsgerichtsbarkeit, NZZ du 10. September 2008, p. 15 (traduction).

141 V. aussi Jörg Paul Müller, Verfassung und Gesetz: zur Aktualität von Art. 1 Abs. 2 ZGB, recht 2000, S. 128 et Hangartner (n. 12), no 8 ad art. 190 Cst. Ces auteurs sont favorables à ce que les tribunaux et, plus précisément, le Tribunal fédéral, lorsqu'ils sont saisis de conflits de normes qui ne peuvent être aplanis par une interprétation des lois conformes à la Constitution et au droit international, soient tenus de constater formellement que ces normes sont inconstitutionnelles et violent le droit international et d'en faire part au législateur.

2058

tous les projets d'actes normatifs et les messages ou rapports qui les accompagnent, quant à leur compatibilité avec le droit fédéral de rang supérieur et le droit international. Ce contrôle a lieu principalement dans le cadre de la procédure de consultation des offices et de la procédure de co-rapport. Les atouts de ce type de contrôle (proximité des praticiens, souplesse, orientation vers la recherche de solutions) reposent sur l'accompagnement permanent du processus par les départements et offices responsables des projets, cela dans un esprit de partenariat. Le système actuel s'applique de manière idoine aux différents cas pouvant se présenter (objets simples et brefs ou projets volumineux et complexes). Dans le cadre de la procédure parlementaire, les unités administratives compétentes pour le contrôle juridique préventif, lorsqu'elles sont saisies par les départements et offices responsables du projet, les commissions parlementaires ou les Services du Parlement, se prononcent, souvent en parallèle avec des experts externes, sur les propositions d'amendements ou les principales modifications apportées aux projets. Ainsi donc le contrôle juridique préventif a lieu non pas ponctuellement et une seule fois mais aux différents stades du processus législatif.

Le Conseil fédéral n'ignore pas que le système en vigueur présente des points faibles. Tout d'abord, la difficulté à faire respecter les règles existantes, notamment celles qui portent sur les délais applicables aux procédures de consultation et de co-rapport internes à l'administration. Ensuite, les modifications proposées et acceptées au cours des délibérations ne font pas toujours l'objet d'un contrôle de légalité.

A l'échelon du Conseil fédéral, les notes de discussion portant sur des projets normatifs recèlent (notamment, lorsqu'elles revêtent un caractère d'urgence ou sont confidentielles) le risque de ne pas prendre suffisamment en compte les aspects juridiques, d'où des difficultés lorsqu'il s'agit de revenir ultérieurement sur ces aspects. Dans le cadre de la procédure parlementaire, on ne fait pas systématiquement appel aux unités administratives compétentes pour le contrôle juridique préventif lorsque sont déposées des propositions d'amendement ou arrêtées des modifications dont la compatibilité avec la Constitution et le droit
international prête à doute. Ce constat vaut en particulier pour la procédure d'élimination des divergences. Le système actuel peut parfois aboutir à ce que l'on ne se soit pas suffisamment assuré de la légalité d'un projet de réglementation. Un tel résultat est aussi partiellement dû au fait que le personnel chargé du contrôle est extrêmement limité.

A la lumière de l'inventaire qui vient d'être dressé, le Conseil fédéral estime que le système actuel de contrôle juridique préventif s'il ne comporte pas de problèmes capitaux dont la résolution ne souffre pas de retard, recèle néanmoins un potentiel d'améliorations qui peuvent être réalisées avec relativement peu de moyens. A ses yeux, il est judicieux d'utiliser ce potentiel et de procéder aux modifications nécessaires. Le Conseil fédéral juge donc indiqué d'examiner des mesures propres à renforcer le contrôle juridique préventif.

5.2

Options envisageables

Parmi les différentes options qui ont été analysées au ch. 4, le Conseil fédéral retient en premier lieu l'«optimisation du statu quo». A titre d'options de rechange qui, aux yeux du Conseil fédéral, n'occupent pas le premier plan, il y a lieu d'évaluer la «centralisation du contrôle juridique» et l'«examen de la légalité des projets par une

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autorité judiciaire», ne serait-ce que pour permettre aux décideurs d'avoir tous les éléments pour se forger une opinion.

A ce stade, le Conseil fédéral n'entend plus retenir l'élargissement de la juridiction constitutionnelle comme une option possible. Le contrôle juridique préventif dans le cadre de l'élaboration des actes normatifs, d'une part, et le contrôle subséquent des normes quant à leur compatibilité avec le droit de rang supérieur sont deux moyens différents tout en étant complémentaires. L'élargissement de la juridiction constitutionnelle fait l'objet de deux initiatives parlementaires. Le Conseil fédéral n'entend pas prendre de décision qui préjuge du sort qui leur sera réservé.

5.2.1

Option 1: optimisation du statu quo

Réaffirmer et faire mieux respecter les règles en vigueur et compléter ponctuellement les actes législatifs et les directives pertinentes sont des mesures propres à optimiser le statu quo. A titre de variante, on pourrait envisager de régler le contrôle juridique préventif dans un seul et même texte. Au titre de cet ensemble de mesures, il y aurait lieu de mettre l'accent sur les points suivants: ­

Si l'on veut renforcer le contrôle juridique préventif au stade de la procédure préparlementaire, il convient, estime le Conseil fédéral, de prendre notamment des mesures permettant d'accroître la transparence de ce contrôle. Ces mesures visent à permettre au Conseil fédéral et, ultérieurement, au Parlement de statuer toujours en connaissance de l'ensemble des aspects juridiques et, partant, d'assumer de manière optimale la responsabilité d'ensemble qui est la leur de garantir la légalité des actes normatifs.

­

Cela implique que dans les propositions que les départements adressent au Conseil fédéral, ceux-ci signalent plus systématiquement qu'aujourd'hui les divergences sur des points juridiques, qui n'ont pas pu être éliminées dans le cadre de la consultation des offices (y compris les discussions qui y font suite). Lorsque la proposition d'un département ou de la Chancellerie fédérale présente des divergences par rapport à l'avis juridique émis par l'unité assumant des fonctions transversales d'un autre département, qui est chargée du contrôle préventif des actes normatifs, ces divergences doivent, selon la réglementation actuelle, être signalées dans la proposition destinée au Conseil fédéral. Tel n'est pas le cas des divergences qui se font jour entre des offices d'un même département ou entre des unités de la Chancellerie fédérale. Cette lacune engendre un déséquilibre structurel aboutissant, parfois, à ce que le Conseil fédéral ignore l'existence de ces divergences. Il serait possible de la pallier en prévoyant que le département concerné ou la Chancellerie fédérale relate de manière concise dans sa proposition au Conseil fédéral les divergences apparues en son sein qui concernent purement des points de droit (et non celles qui procèdent de simples différences d'appréciation) et qui ­ exceptionnellement ­ n'ont pas pu être aplanies avant l'envoi de ladite proposition. Il pourrait en profiter pour exposer les raisons pour lesquelles il ne partage pas un point de vue juridique ou s'en est écarté. Cette mesure permettrait au Conseil fédéral d'assumer de manière optimale la responsabilité d'ensemble qui est la sienne de garantir la légalité des actes normatifs et contribuerait à assurer la qualité de ses décisions sur le plan juridique. Elle ne porterait pas atteinte à la fonction de direction des départements ou de la

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Chancellerie fédérale puisque ceux-ci resteraient libres de soumettre au Conseil fédéral une proposition ne tenant pas compte des objections juridiques en question. Elle contribuerait cependant à accroître la transparence du processus de décision et favoriserait un débat plus approfondi parce que nourri d'une argumentation plus riche. Cette mesure exigerait que l'on complète les directives sur les affaires du Conseil fédéral.

­

Il conviendrait, en outre, que le chapitre des messages du Conseil fédéral relatif à la compatibilité des projets d'actes législatifs avec le droit fédéral de rang supérieur et le droit international ne se limite pas à contenir quelques affirmations sommaires, lorsque ce point a donné lieu à des divergences de vues dans le cadre de la procédure préparlementaire ou à des avis controversés dans la doctrine et la jurisprudence. Dans ce chapitre, le Conseil fédéral devrait bien plutôt exposer de manière concise ces divergences et en donner son appréciation, dans la mesure où elles ne sont pas que de simples affirmations ou ne reposent pas sur des arguments «hors sujet». Il n'aurait pas besoin de préciser de quel office ou de quel auteur de doctrine émane tel ou tel avis. Les rapports relatifs aux projets de commissions devraient satisfaire aux mêmes exigences. Cette mesure est propre à permettre au Parlement d'examiner les projets en question en pleine connaissance des divergences auxquelles ils donnent lieu quant à leur constitutionnalité et à leur conformité au droit international. La révélation de la teneur des discussions qui ont eu lieu dans le cadre de la procédure préparlementaire vise à accroître la transparence du processus parlementaire de décision et à rendre ce processus plus pragmatique. L'aide-mémoire relatif aux messages du Conseil fédéral qui est publié par la ChF et l'art. 141 LParl doivent être complétés en conséquence.

­

De surcroît, le Conseil fédéral estime qu'il serait judicieux de publier les avis importants rendus par l'OFJ, la ChF, l'AFF, la DDIP et le BI et concernant la compatibilité de normes juridiques avec le droit fédéral de rang supérieur et le droit international, cela après concertation avec les destinataires et à l'issue de la procédure préparlementaire. Ces avis pourraient paraître dans la JAAC ou être téléchargeables à partir de la page d'accueil de l'unité administrative concernée. Cette mesure vise, au premier chef, à garantir ­ également à long terme ­ la qualité du contrôle juridique préventif.

­

Il est raisonnable de poursuivre la pratique actuelle selon laquelle les notes de discussion qui tranchent des questions de principe qui sont importantes, d'un point de vue juridique, pour les travaux législatifs ultérieurs doivent, dans la mesure du possible, faire l'objet d'une consultation des offices. Au moins les offices transversaux chargés du contrôle juridique devraient être consultés.

­

Autre mesure contribuant à renforcer le contrôle juridique préventif: faire en sorte que les offices et les départements responsables des projets respectent les délais internes applicables à la consultation des offices et à la procédure de co-rapport et incluent ces délais dans la planification des projets. Il incombe à la ChF de faire en sorte que les règles fixées en la matière soient rigoureusement appliquées. De même appartient-il aux départements de veiller à ce que les offices et les autres unités qui leur sont rattachés traitent les dossiers en respectant les délais prescrits. Il appartient également à la ChF

2061

d'examiner continuellement comment la procédure interne à l'administration peut être optimisée.

­

Il incombe à l'OFJ, à la ChF et aux autres organes chargés du contrôle juridique de diffuser les informations sur les problèmes essentiels que pose le contrôle juridique (par exemple, le respect des principes constitutionnels relatifs à la nouvelle péréquation financière) et de sensibiliser à ces problèmes les membres de l'administration fédérale et des services du Parlement qui sont chargés de tâches d'ordre législatif. Pour ce faire, ils peuvent profiter des cours de perfectionnement existant (Murtener Gesetzgebungsseminar, Séminaire de légistique de Montreux, Forum de législation, autres colloques spécialisés, etc.) qui ont fait leurs preuves. De leur côté, les départements et les offices sont appelés à assurer la formation et le perfectionnement adéquats de leurs collaborateurs en matière de législation.

­

Le Conseil fédéral estime, par ailleurs, que pour renforcer le contrôle juridique préventif au stade de la procédure parlementaire, il serait judicieux de solliciter systématiquement le concours des unités spécialisées de l'administration fédérale. Il s'agirait d'enjoindre les départements et les offices responsables des projets de consulter toujours l'OFJ et, au besoin, la ChF, l'AFF, la DDIP et le BI lorsque, dans le cadre des délibérations en commission ou au plénum, des propositions d'amendement qui soulèvent d'importantes questions de droit (notamment de compatibilité avec la Constitution et le droit international), ont été déposées. Dans ce contexte, il incomberait aux offices responsables des projets de procéder à un tri des propositions d'amendement et à un examen préliminaire de leur constitutionnalité et de leur conformité au droit international. Ce mécanisme aurait pour avantage d'assurer un certain automatisme des contrôles par les unités administratives qui ont eu connaissance des projets dès le stade de la procédure législative préliminaire et qui sont versées en contrôle juridique.

Un élément plaide en faveur de l'option «optimisation du statu quo»: elle permet de maintenir le système actuel qui est bien rôdé et présente des points forts (v. ch. 5.1), tout en y apportant les améliorations nécessaires. Les unités administratives chargées du contrôle juridique préventif accompagnent et appuient le processus politique d'établissement des normes et mettent en exergue les limites d'ordre procédural ou matériel découlant du droit de rang supérieur. Force est de s'accommoder du fait que les unités internes qui procèdent au contrôle juridique ne peuvent s'imposer que par des arguments objectifs et n'ont pas le pouvoir de statuer avec force obligatoire sur la légalité des projets d'actes législatifs qui leur sont soumis. Autre avantage de cette solution: sa mise en oeuvre n'exige pas de notables changements de l'organisation. A elle seule, elle ne devrait donc pas nécessiter un important accroissement des ressources (moyens financiers, personnel). En revanche, elle aurait pour effet de mettre à contribution des ressources par ailleurs déjà très sollicitées. Il va de soi qu'il y aurait lieu d'exposer dans le détail les incidences financières et les répercussions sur les effectifs que la mise en oeuvre des mesures induirait.

5.2.2

Option 2: centralisation du contrôle juridique

Le contrôle juridique préventif assuré aujourd'hui par différents services de l'administration pourrait être centralisé au sein d'un nouvel office fédéral ou auprès 2062

d'une autorité indépendante. Plus concrètement, ce regroupement concernerait les unités de l'OFJ chargées de l'accompagnement législatif et les secteurs du Service juridique de la ChF assumant la même tâche. Comme il existe souvent un lien étroit entre aspects juridiques et aspects rédactionnels, il serait judicieux d'intégrer également les services linguistiques de la ChF dans la nouvelle structure. Pourraient y être également intégrés les secteurs de l'AFF et de la DDIP qui s'occupent principalement de contrôle juridique.

Les tâches du nouvel organe seraient, pour l'essentiel, les mêmes que celles qu'assument aujourd'hui les unités administratives chargées du contrôle juridique.

En d'autres termes, il aurait, d'une part, à accompagner les offices responsables des projets dans l'élaboration d'actes normatifs et, d'autre part, à examiner systématiquement la légalité de ceux-ci dans le cadre de la consultation des offices et de la procédure de co-rapport. Seraient également soumis à un contrôle juridique obligatoire les rapports et les projets de commissions relatifs aux initiatives parlementaires.

Dans le cadre de la procédure parlementaire, le nouvel organe serait toujours appelé à prêter son concours par les départements responsables des projets ou par les commissions parlementaires lorsque des propositions d'amendement soulevant d'importantes questions de droit sont déposées ou que des modifications essentielles du projet initial sont arrêtées. Comme dans le système actuel, les avis émis par le nouvel organe n'auraient pas force contraignante. Celui-ci ne disposerait pas d'un droit de veto. Il ne remplirait qu'une fonction consultative.

Pour structurer l'autorité indépendante en question on peut s'inspirer de l'institution du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence. La nouvelle autorité serait rattachée administrativement au DFJP ou à la ChF et son statut, son organisation, ses compétences seraient réglés dans une loi fédérale ad hoc qui régirait aussi la procédure appliquée par cette autorité et les relations de celles-ci avec les organes chargés de tâches législatives. A la différence d'un office fédéral, une autorité indépendante ne serait plus intégrée dans la hiérarchie administrative. Il y aurait donc lieu de définir la place qu'elle devrait occuper dans le
cadre de la procédure de co-rapport. Selon le rattachement administratif de cette autorité, il serait concevable que ses avis soient présentés au Conseil fédéral soit par le DFJP, soit par la ChF.

L'option «centralisation du contrôle juridique» présenterait l'avantage de renforcer la position de l'autorité chargée du contrôle préventif des actes normatifs, par rapport aux départements responsables des projets, au Conseil fédéral et au Parlement fédéral, selon la forme concrète qui sera donnée à cette autorité. En outre, elle permettrait aux offices compétents pour l'élaboration des projets de n'avoir plus qu'un seul interlocuteur en matière de contrôle des normes sous l'angle matériel, du point de vue de la légistique et du point de vue rédactionnel.

D'un autre côté, on ne saurait oublier que certaines questions juridiques peuvent parfois donner lieu à des avis divergents qui n'en sont pas moins tous défendables.

La centralisation du contrôle juridique préventif ne permettrait plus d'examiner les projets sous différents angles juridiques ni de donner aux projets une assise légistique suffisamment large, d'où une perte de savoir-faire. Autre désavantage: il se pourrait que les offices responsables des projets considèrent la nouvelle autorité moins comme une partenaire en matière d'accompagnement législatif que comme un organe de contrôle éloigné de ses préoccupations. En outre, la centralisation du contrôle juridique préventif au sein d'une autorité indépendante serait difficilement conciliable avec les principes directeurs exposés dans le rapport sur le gouvernement 2063

d'entreprise142. Enfin l'instauration d'une telle autorité exigerait une restructuration d'envergure sans parler de la définition de nouvelles interfaces. Ainsi, il incombe aujourd'hui au service juridique de la ChF de veiller également au respect des prescriptions formelles auxquelles doivent obéir les affaires du Conseil fédéral (Directives sur les affaires du Conseil fédéral). Aujourd'hui les remarques d'ordre formel et celles qui ont trait à la technique législative sont communiquées dans le cadre de la même procédure. En outre, le contrôle des projets sous l'angle de la technique législative est une opération indispensable à une publication officielle correcte d'un point de vue formel, publication qui relève de la compétence du Centre des publications officielles (CPO) de la ChF. Dans ces domaines, la centralisation du contrôle juridique préventif exigerait une nouvelle répartition des tâches. Une restructuration d'une telle envergure induirait ­ du moins pendant une période transitoire ­ un besoin de ressources supplémentaires, difficilement justifiable.

De l'avis du Conseil fédéral, la création d'un organe chargé du contrôle juridique préventif présente des inconvénients qui l'emportent sur les avantages.

5.2.3

Option 3: recours à une autorité judiciaire

Une autre option est envisageable: confier une part du contrôle juridique préventif qui est aujourd'hui assumée par des autorités administratives à une autorité judiciaire existante ou à créer.

Par analogie avec l'institution du Conseil d'Etat adoptée par d'autres pays, il serait concevable de créer au sein du Tribunal administratif fédéral une Cour chargée des questions législatives. Elle examinerait systématiquement la compatibilité avec le droit de rang supérieur de tous les projets du degré constitutionnel et législatif émanant du Conseil fédéral ou d'une commission parlementaire et de tous les projets d'arrêtés relatifs à des initiatives populaires et à des traités internationaux, avant qu'ils ne soient transmis au Parlement. A titre de variante, il serait concevable que le Tribunal administratif fédéral préavise tous les projets en question, auxquels pourraient s'ajouter les projets d'ordonnances ­ par exemple, durant la procédure de co-rapport ­ avant qu'ils ne soient soumis à l'approbation du Conseil fédéral. En outre, il serait imaginable qu'au cours des délibérations parlementaires sur des projets, le Tribunal administratif fédéral procède, à la demande d'organes parlementaires ou du Conseil fédéral, à un examen des textes qui ont subi d'importantes modifications. Les avis qu'il rendrait dans ce cadre auraient un caractère consultatif.

Une autre solution moins incisive parce qu'elle ne remettrait pas en cause le système actuel de contrôle juridique préventif pourrait entrer en ligne de compte. Il s'agirait juste de compléter ledit système en prévoyant qu'à la demande d'organes parlementaires ou de minorités de ceux-ci, du Conseil fédéral, voire d'un canton, le Tribunal fédéral contrôle la compatibilité de projets ou de certaines dispositions avec le droit fédéral de rang supérieur ou le droit international. Les avis rendus par cette instance judiciaire n'auraient pas force obligatoire pour l'Assemblée fédérale. En revanche, celle-ci serait tenue de les examiner. Il est également concevable que le Tribunal fédéral ou une instance constitutionnelle à créer soit appelé à rendre une décision impérative après le vote final au Parlement mais avant la publication du texte.

142

Rapport du 13 septembre 2006 sur le gouvernement d'entreprise, FF 2006 7799.

2064

Ces différentes variantes exigeraient une modification de la Constitution fédérale et des lois sur le Tribunal fédéral ou le Tribunal administratif fédéral.

L'avantage de cette option ­ quelle que soit la variante choisie ­ est de permettre à un organe indépendant du Parlement, du Conseil fédéral et de l'administration de contrôler, hors des débats politiques, la conformité de projets au droit de rang supérieur. Le Tribunal fédéral et le Tribunal administratif fédéral ont l'habitude d'examiner les questions de constitutionnalité et de conformité au droit international.

Cette option présente aussi de notables inconvénients. En effet, une autorité judiciaire est coupée de la procédure législative et des procédures de consultation internes à l'administration. Elle remplirait donc exclusivement une fonction de contrôle. En outre, il serait nécessaire de formaliser la procédure de consultation en formulant des propositions et des questions précises. De toute façon, l'intervention de l'autorité judiciaire ne rendrait pas superflu l'accompagnement permanent des projets assuré par les départements responsables en partenariat avec les offices spécialisés ni les conseils prodigués à court terme au Conseil fédéral et aux organes parlementaires par les unités administratives compétentes. Il se pourrait toutefois que l'examen ultérieur (facultatif ou obligatoire) des projets par une autorité judiciaire fasse perdre de l'importance à l'accompagnement législatif. On courrait ainsi le risque que la responsabilité de la conformité des projets au droit de rang supérieur soit transférée à l'autorité judiciaire choisie. Même si le Parlement était tenu d'examiner les avis de l'autorité judiciaire qui n'ont pas force obligatoire pour lui, l'autorité des tribunaux pourrait à la longue en être sapée. Rappelons que la mission principale des tribunaux est de trancher les litiges par un prononcé ayant force obligatoire. En outre, lors de l'examen ultérieur de cas d'application concrets par les autorités chargées d'appliquer le droit, les avis rendus par l'autorité judiciaire auraient un effet préjudiciel. Enfin, le recours à une autorité judiciaire exerçant une fonction facultative engendrerait un surcroît de travail pour cette autorité, ce qui irait à l'encontre des objectifs visés par la réforme de l'organisation judiciaire. Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral est opposé à cette option.

6

Conclusion

A la lumière du rapport, le Conseil fédéral arrive à la conclusion que l'optimisation du statu quo est l'option la plus appropriée. Il prendra dans son domaine de compétence les mesures nécessaires à sa réalisation et, au besoin, soumettra à l'Assemblée fédérale les modifications législatives qui s'imposent.

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