ad 05.404 Initiative parlementaire Réprimer explicitement les mutilations sexuelles commises en Suisse et commises à l'étranger par quiconque se trouve en Suisse Rapport du 30 avril 2010 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national Avis du Conseil fédéral du 25 août 2010

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, Nous exprimons ci-après notre avis, conformément à l'art. 112, al. 3, de la loi sur le Parlement (LParl), au sujet du rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 30 avril 2010, relatif à l'initiative parlementaire intitulée «Réprimer explicitement les mutilations sexuelles commises en Suisse et commises à l'étranger par quiconque se trouve en Suisse».

Nous vous prions d'agréer, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

25 août 2010

Au nom du Conseil fédéral suisse: La présidente de la Confédération, Doris Leuthard La chancelière de la Confédération, Corina Casanova

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Avis 1

Contexte

Le 17 mars 2005, la conseillère nationale Maria Roth-Bernasconi a déposé une initiative parlementaire demandant l'introduction dans le code pénal (CP; RS 311.0) «d'une norme réprimant la pratique directe et l'incitation à la commission de mutilations sexuelles féminines en Suisse». Elle y exige que cette norme soit aussi applicable aux personnes qui se trouvent en Suisse même si l'acte a été commis à l'étranger.

Le 30 novembre 2006, la Commission des affaires juridiques du Conseil national (CAJ-N) a procédé à l'examen préalable de l'initiative et a décidé unanimement de lui donner suite aux termes de l'art. 109, al. 2, de la loi du 13 décembre 2002 sur le Parlement (LParl; RS 171.10). La Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats (CAJ-E) s'est ralliée à cette décision le 2 juillet 2007 (art. 109, al. 3, LParl).

Dans son rapport du 30 avril 2010, la CAJ-N a proposé d'apporter au code pénal les modifications suivantes: Intégrer un nouvel art. 124 intitulé «Mutilations génitales féminines», qui punit d'une peine privative de liberté de 10 ans au plus ou d'une peine pécuniaire de 180 jours-amende au moins «quiconque aura mutilé des organes génitaux féminins, aura compromis leur fonction naturelle ou leur aura porté toute autre atteinte». Afin de permettre la poursuite pénale d'actes commis à l'étranger, un al. 2 dispose que «quiconque se trouve en Suisse et n'est pas extradé et commet la mutilation à l'étranger est punissable».

Compléter, en outre, l'art. 97, al. 2, CP (disposition statuant qu'en cas d'infractions dirigées contre un enfant de moins de 16 ans, la prescription de l'action pénale court en tout cas jusqu'au jour où la victime a 25 ans) et l'art. 260bis, al. 1, CP (actes préparatoires délictueux) par un renvoi à la nouvelle norme pénale.

Compléter, enfin, par un renvoi à la nouvelle norme pénale les dispositions du code de procédure pénale du 5 octobre 2007 (CPP; RO 2010 1881) mentionnées ci-après: art. 168, al. 4, let. a (impossibilité d'invoquer le droit de refuser de témoigner pour cause de relations personnelles), art. 251, al. 4 (examen de la personne de la victime même contre sa volonté), art. 269, al. 2, let. a (surveillance de la correspondance par poste et télécommunication) et art. 286, al. 2, let. a (investigation secrète).

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Avis du Conseil fédéral

Introduction Le Conseil fédéral partage l'avis de la CAJ-N selon lequel il importe de mettre en oeuvre tous les moyens appropriés pour lutter efficacement contre la pratique des mutilations génitales féminines et sanctionner pénalement leurs auteurs.

Aussi, souscrit-il aux propositions de la CAJ-N. Il reconnaît, en particulier, que d'un point de vue politique il se justifie d'introduire dans le code pénal une norme réprimant de manière spécifique les mutilations génitales féminines, qu'une telle norme 5152

marque clairement qu'en Suisse de telles atteintes à l'intégrité corporelle sont absolument proscrites, enfin qu'elle est de nature à favoriser la prévention de telles pratiques et à faciliter la lutte contre ces dernières. C'est à la solution de la majorité de la commission que le Conseil fédéral accorde sa préférence.

Le Conseil fédéral sait pertinemment que tous les types de mutilations génitales féminines, tels que définis par l'OMS, sont d'ores et déjà punissables sous l'empire du droit actuel. De tels actes réunissent les éléments constitutifs soit des lésions corporelles graves selon l'art. 122 CP, soit des lésions corporelles simples souvent qualifiées au sens de l'art. 123, ch. 2, CP. Tant les premières que les secondes sont poursuivies d'office, leurs auteurs étant passibles d'une peine privative de liberté de 10 ans au plus et trois ans au plus, respectivement. Si l'acte a été commis à l'étranger, les co-auteurs qui ont agi depuis le territoire suisse sont punissables sans restriction; les complices, en revanche, ne le sont qu'à la condition que l'acte soit également punissable au lieu de sa commission, ce qui est le plus souvent le cas.

D'un point de vue strictement juridique, il ne serait donc pas nécessaire de compléter le code pénal selon la proposition de la commission. Il est également permis de se demander si la nouvelle infraction permettrait effectivement de surmonter les difficultés que causent actuellement l'administration des preuves et la délimitation entre lésions corporelles graves et lésions corporelles simples. Il ne serait pas possible de faire l'économie d'un examen approfondi des faits ni d'une enquête précise sur les dommages subis par la victime, si l'on veut réunir les éléments d'information dont on a absolument besoin pour fixer la peine. Il n'apparaît pas totalement cohérent d'établir une norme réprimant exclusivement les mutilations génitales féminines et non celles des organes génitaux masculins. Cette différence de traitement ne saurait se justifier que dans la mesure où les mutilations génitales féminines représentent des atteintes à l'intégrité corporelle plus graves que la circoncision, la forme de mutilation génitale masculine la plus répandue. Le droit international se borne lui aussi à proscrire les mutilations génitales féminines. En revanche, il fait
silence sur la circoncision.

Le Conseil fédéral n'en considère pas moins que la modification proposée par la commission signale clairement qu'il est nécessaire de combattre de telles pratiques avec tous les moyens disponibles. A ce propos, il y a toutefois lieu de rappeler que le droit pénal ne peut être ni ne doit devenir le seul moyen de prémunir les femmes contre les mutilations génitales. Il convient d'attacher aussi une importance particulière aux mesures préventives, par exemple aux campagnes de sensibilisation et d'informations destinées aux immigrés, campagnes dont l'impact s'accroîtra si l'on complète le code pénal par une disposition réprimant spécifiquement les mutilations génitales féminines.

Par ailleurs, à l'instar de la CAJ-N, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion que les dispositions en vigueur concernant, d'une part, les droits et les obligations d'aviser et, d'autre part, la protection de l'enfant, sont suffisantes.

Nouvelle disposition réprimant les mutilations génitales féminines (art. 124, al. 1, P-CP) Se rend coupable de l'infraction visée à l'art. 124, al. 1, P-CP, celui qui mutile des organes génitaux féminins, compromet leur fonction naturelle ou leur porte toute autre atteinte. La nouvelle disposition pénale regroupe en une seule et même infraction à la fois les éléments constitutifs énoncés à l'art. 122 CP (lésions corporelles 5153

graves) et ceux qui figurent à l'art. 123 CP (lésions corporelles simples). Elle garantit ainsi que tous les types d'atteintes portées aux organes génitaux féminins seront poursuivis d'office.

En revanche, de par son libellé et la place qu'elle occupe dans la systématique, la nouvelle disposition telle que proposée par la minorité II, ne couvre que les actes au sens de l'art. 122 CP. Elle ne permettrait donc pas de garantir qu'à l'avenir tous les types de mutilations génitales féminines définis par l'OMS, seront réprimés à la faveur d'une seule et même norme pénale.

Le Conseil fédéral se félicite tout particulièrement de ce que la CAJ-N a renoncé à régler spécialement la question du consentement. Une telle réglementation apparaîtrait comme un corps étranger dans l'ensemble des normes réprimant les lésions corporelles sans compter que son application se heurterait à des difficultés quasiment insurmontables. En effet, certains actes tombant sous le coup de la nouvelle disposition ­ par exemple, les piercings, les tatouages ou les interventions d'ordre purement esthétique, voire certaines opérations médicales ­ ne doivent pouvoir être pratiqués que moyennant le consentement valable de la femme concernée. Aussi, est-il assurément préférable de ne pas régler explicitement la question du consentement et de s'en remettre sur ce point à la jurisprudence constante établie durant nombre d'années par les tribunaux.

Le Conseil fédéral estime que la quotité des peines (peine pécuniaire de 180 joursamende au moins et peine privative de liberté de 10 ans au plus), proposée par la CAJ-N est adéquate. Il lui déconseille d'augmenter la sanction minimum en la fixant à un an de peine privative de liberté, ainsi que le demande la minorité I. En effet, il ne faut pas perdre de vue qu'à la suite de l'introduction de l'art. 124 P-CP, certaines infractions qui, jusqu'alors, entraient dans la catégorie des lésions corporelles simples (qualifiées), tomberont sous le coup des sanctions prévues pour les lésions corporelles graves. Il ne se justifie donc pas d'accroître encore la peine minimale pour de telles infractions.

Répression des actes commis à l'étranger (art. 124, al. 2, P-CP) La CAJ-N propose d'inscrire le principe de l'universalité illimitée à l'art. 124, al. 2, P-CP. Les lésions des organes génitaux féminins
seraient donc poursuivies selon le droit suisse, quels que soient la nationalité de l'auteur et de la victime, le lieu de commission de l'acte et la législation applicable en ce lieu. On s'écarte ainsi de la règle de la double punissabilité. Comme, contrairement à l'initiative parlementaire, le libellé adopté par la CAJ-N n'exige pas que l'auteur soit établi en Suisse, même les personnes qui y séjournent brièvement, voire y sont en transit, pourront être poursuivies.

En renonçant à exiger que l'infraction soit soumise à la règle de la double punissabilité et que l'auteur ait son domicile en Suisse, le projet soumet la poursuite pénale des lésions infligées aux organes génitaux féminins à l'étranger aux mêmes conditions que celles qui valent pour les infractions commises à l'étranger sur des mineurs, qui sont énumérées à l'art. 5 CP. Les actes visés dans les deux cas présentant une gravité relativement comparable et les victimes de lésions infligées aux organes génitaux féminins étant assez souvent des mineures, le Conseil fédéral souscrit à la réglementation proposée. On peut d'autant plus renoncer à appliquer la maxime de la double punissabilité que les lésions infligées aux organes génitaux féminins sont généralement aussi punissables dans les pays étrangers, sans compter 5154

que ce qui fait le plus souvent obstacle à la poursuite des actes commis à l'étranger n'est pas tant le principe de la double punissabilité que les difficultés auxquelles se heurte l'administration des preuves.

Autres modifications apportées au CP et au CPP Le Conseil fédéral souscrit aux compléments que la commission propose d'apporter aux dispositions suivantes: art. 97, al. 2, et 260bis, al. 1, CP, art. 168, al. 4, let. a, 251, al. 4, 269, al. 2, let. a, et 286, al. 2, let. a, CPP. Il s'agit en effet d'adaptations induites par l'introduction de l'art. 124 P-CP.

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Proposition du Conseil fédéral

Pour les motifs qui viennent d'être évoqués, le Conseil fédéral propose d'approuver le projet présenté par la CAJ-N.

Enfin, il propose le rejet des propositions de minorités.

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