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MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant

la réglementation du séjour et de l'établissement des étrangers en Suisse par le droit fédéral.

(Du 2 juin 1924.)

Dans sa séance du 19 décembre 1923, le Conseil des Etat« a adopté le postulat suivant de M. Wettstein: «Le Conseil fédéral est invité à présenter à l'Assemblée fédérale un rapport et des propositions concernant la réglementation de l'établissement des étrangers en Suisse par une loi fédérale. » L'adoption à l'unanimité de 03 postulat suivit immédiatement la discussion sur les mesures à prendre pour assurer l'assimilation des étrangers en Suisse, en particulier sur la .nouvelle réglementation de la naturalisation. Il en résulte que le Conseil des Etats désire voir traiter ensemble- les deux faces du problème de la. surpopulation étrangère: la question de la naturalisation et celle de la police des étrangers.

La condition indispensable pour que la Confédération puisse réglementer cette matière par une loi, est qu'elle en possède la compétence ou qu'elle se la procure par une modification de la constitution. La décision du Conseil des Etats doit être évidemment comprise en ce sens qu'il y a lieu pour le Conseil fédéral d'examiner aussi cette question de compétence et de présenter des propositions faisant connaître comment une réglementation par une loi fédérale pourrait être édictée.

On ne peut prétendre que d'après les prescriptions constitutionnelles existantes, -la Confédération a le droit de légi-

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férer en matière de police des étrangers. Les art. 45 et 47 de la constitution fédérale se rapportent expressément aux Suisses seuls; l'unique disposition conférant des compétences à la Confédération, dans cette matière, soit l'art. 70 de la constitution, ne traite que de l'expulsion et serait superflue si la réglementation de la police des étrangers appartenait à la Confédération. La pratique a aussi constamment admis que ce n'est pas le cas. Il faut donc modifier la constitution de manière à donner à la Confédération les compétences législatives nécessaires. C'est pourquoi, nous pensons devoir répondre au mandat du Conseil des Etats en élaborant un projet de nouvel article constitutionnel accordant à la Confédération la compétence législative nécessaire et en esquissant ici à grands traits notre conception de la législation fédérale à édicter sur la base de cette compétence. Mais, auparavant, nous devons donner un rapide aperçu du développement de la législation en matière de police des étrangers pendant les dix dernières années.

La police des étrangers avant la guerre mondiale.

Sauf une exception sans importance par rapport à l'ensemble (art. 70, 102, chiffre 8, et 9 de la constitution fédérale), la police des étrangers est affaire des cantons. La Confédération n'est pas compétente pour légiférer en ce qui la concerne. Elle ne peut influer sur la formation de ce droit que par le moyen des traités d'établissement. Cette possibilité a du reste été mise largement à profit au fur et à mesure que le mouvement de la population augmentait d'Etat à Etat; lors du recensement de 1910, il n'y avait plus quel--2% des étrangers établis en Suisse appartenant à des Etats avec lesquels n'existait pas un traité d'établissement. En réalité, par le moyen de traités d'établissement, la Confédération avait réglé la police des étrangers de telle manière qu'il n'y avait plus guère, pour les cantons, d'occasions ni de place pour légiférer utilement à ce sujet. Il y a toutefois lieu aussi d'établir que cette intervention n'a été nullement ressentie par les cantons comme une sérieuse atteinte à leur liberté d'action. Même en l'absence de traités d'établissement, les cantons n'auraient pas songé à limiter la liberté d'établissement; ils n'y ont pas pensé non plus là où la chose leur eût été possible, c'est-à-dire à l'égard des étrangers dont l'Etat d'origine n'a pas avec nous de traité. Ces étrangers étaient bien l'objet d'une plus ou moins grande attention -- comme c'était d'ailleurs le cas de ceux qui étaient au bénéfice d'un traité

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d'établissement; mais l'idée ne surgit même pas que l'on pourrait, par des moyens de police, lutter méthodiquement et efficacement contre un excessif afflux du dehors. A cet égard, le rapport du département politique fédéral du 30 mai 1914 sur les mesures à prendre contre l'envahissement de la Suisse par les étrangers, est caractéristique. Quoiqu'il eût examiné ce problème dans toute sa gravité, le département devait se contenter de remarquer que les cantons pourraient « accorder des permis d'établissement dans une moindre mesure aux étrangers sans papiers », en ajoutant naturellement que cela n'exercerait aucune influence appréciable en ce qui concerne la surpopulation étrangère.

La transformation de la police des étrangers pendant la guerre mondiale intervint relativement tard, principalement vers la fin de 1917, seulement après que se fut produit dans l'état des choses un changement d'une importance capitale: la suppression du droit de la libre circulation. Les Etats belligérants voisins instituèrent à la frontière un contrôle sévère, qui eut parfois pour effet de la fermer complètement. Malgré les traités d'établissement, la liberté des Suisses de se rendre à l'étranger ou d'y circuler, ainsi que la -liberté d'établissement, furent soumises à de graves restrictions, cependant qu'il n'était pas rare que l'établissement leur fût retiré sans motifs suffisants, par voie d'expulsion. La liberté de séjour et d'établissement, telle qu'on la comprenait avant la guerre, fut graduellement supprimée en fait.

Quand la guerre eut atteint son apogée, en 1917, il devint clair que la Suisse ne sortirait pas d'embarras sans une réglementation de la police des étrangers par la Confédération.

A vrai dire, la guerre avait déjà jusqu'alors modifié profondément la composition de l'élément étranger en Suisse; beaucoup d'étrangers avaient répondu à l'appel sous les drapeaux de leur pays et leur place avait été prise en partie par des déserteurs et des internés. Par la suite, des problèmes difficiles à résoudre se présentèrent à la police des étrangers.

Sur le terrain politique, la propagande étrangère, aux fins de gagner à elle l'opinion des neutres, et l'activité des espions rendirent nécessaire un contrôle sévère des étrangers. Les souffrances que la guerre infligeait à ceux qui en étaient atteints et la; lassitude qui en résultait, chassaient tou-

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jours plus d'étrangers vers la Suisse, île de paix; d'autres encore étaient fascinés par l'attrait des spéculations et de gains usuraires que le blocus économique leur faisait entrevoir.

En même temps, la rareté grandissante des denrées et des objets usuels, incitait à réduire le nombre des étrangers. Il n'y avait aucun doute que la Confédération ne fût seule capable de faire le nécessaire, avec l'uniformité et la vigueur ·indispensables. De tous côtés, on comprit qu'il s'agissait d'une défense contre l'extérieur, dans laquelle la Suisse devait se montrer unie. C'est pourquoi le Conseil fédéral, se fondant sur ses pleins pouvoirs, procéda, par son ordonnance concernant la police à la frontière et le contrôle des étrangers, du 21 novembre 1917, à la réglementation fédérale d'une grande partie de la police des étrangers. En l'élaborant, il se laissa diriger par les circonstances urgentes du moment, dont on pensait, en partie seulement avec raison, qu'elles ne seraient que passagères. -- Les étrangers déjà établis en Suisse furent laissés par l'ordonnance sous l'empire du droit cantonal (elle se bornait à faciliter leur expulsion) et elle plaça sur le même pied les nouveaux venus, dès qu'ils possédaient l'établissement régulier. L'ordonnance avait pour but d'établir quels étrangers (non en possession de l'établissement) étaient en Suisse, y venaient, s'en allaient, et de fixer les conditions de l'entrée en Suisse et du séjour. Pour l'entrée en Suisse, furent formulées des exigences détaillées et les consulats devaient examiner si elles étaient remplies avant d''accorder le visa d'entrée. L'ordonnance ne disait pas expressément comment le séjour devait être réglé par la suite et éventuellement se transformer en établissement. La pratique trouva ici son chemin, non sans hésitations, sous la pression des événements., en se rattachant au visa limité. Du fait que les étrangers n'entraient en Suisse qu'aveo une autorisation à termie de la Confédération, qui en accordait également la prolongation, il fut conclu que le séjour durable ou l'établissement ne pouvait être octroyé qu'avec son assentiment (décision de recours du département fédéral de justice et police du 4 juin 1919).

L'ordonnance du 21 novembre 1917 a été en vigueur pendant deux ans. Comme la guerre cessa assez exactement vers le milieu de
cette période, cette ordonnance a donc constitué pendant les jours difficiles de la dernière année des hostilités et la période, également critique pour la police des étrangers, de la démobilisation des armées, le barrage élevé par la Suisse contre l'envahissement par les étrangers qui, sans elle, se serait certainement produit.

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Aveo l'ordonnance du 17 novembre 1919, à commencé la liquidation progressive de la police des étrangers. Sans doute elle ne put d'abord être que lente, les circonstances déterminantes ne s'étant améliorées que peu à peu et s'étant même aggravées momentanément dans le domaine du logement et du travail. Toutefois, les prescriptions relatives au contrôle purent être simplifiées, en même temps que commençait la liquidation de l'organisme fédéral. Le contrôle sévère institué par l'ordonnance de 1917 avait eu pour résultat de déceler, dans la mesure du possible, la présence des étrangers, d'autre part, elle avait habitué les cantons à voir de près les choses et à travailler en collaboration. -- II fallut s'en tenir à l'autorisation de séjour fédérale et le droit d'opposition de l'office central, jusqu'alors simple affaire d'interprétation, fut expressément réglé (art. 19 de l'ordonnance).

Après un nouveau délai de deux ans, l'ordonnance du 29 novembre 1921 consigna les résultats obtenus jusqu'alors.

Bien plus qu'il n'y paraît extérieurement, cette 3e ordonnance apporta des changements profonds. Le séjour sur autorisation fédérale fut abandonné, la décision concernant le séjour temporaire laissée complètement et exclusivement aux cantons. Par suite, le visa a perdu sa signification d'autorisation de séjour; il ne constitue plus que l'autorisation de passer la frontière. Apparemment, il en est résulté une lacune; l'étranger peut recevoir le visa sans avoir encore obtenu le permis de séjour; avec le visa, il peut entrer en Suisse et y séjourner ensuite pendant erun certain temps sans autorisation spéciale (art. 14 et 17, 1 al. de l'ordonnance). Ce séjour, pour lequel manque une autorisation individuelle de présence, n'est naturellement pas irrégulier; c'est un séjour qui, en droit, n'a pas besoin d'autorisation. Comme le canton décide en toute liberté du séjour temporaire, il se prononce également sur l'octroi ou le refus de l'établissement (séjour durable et établissement), sous réserve, dans ce dernier cas, du droit d'opposition de l'office central de la police des étrangers, soit du veto fédéral contre l'autorisation accordée. Tel fut, comme on l'a dénommé souvent, le « retour » des compétences aux cantons. Il ne faut cependant pas oublier qu'aujourd'hui, la signification de ces compétences est tout
autre qu'avant la guerre. Alors que précédemmenti, les cantons n'avaient en réalité la main libre que dans un nombre insignifiant de cas, ils ont actuellement toute liberté de refuser l'établissement, et le contrôle de la Confédération se borne à examiner s'ils font de cette liberté

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un usage suffisant. -- L'ordonnance de 1921 a apporté une liquidation considérable de la police fédérale des étrangers.

En séparant du visa (autorisation d'entrée) l'autorisation de séjour, la liquidation! progressive des prescriptions relatives à l'entrée en Suisse devint possible. Elle pourra se continuer, pour autant que les circonstances le permettront, jusqu'à son point final, sans que d'ailleurs la législation en vigueur doive être modifiée. En outre, les cas dans lesquels les autorités fédérales ont à statuer quant au fond, ont été restreints le plus possible. L'office central est réduit à 30 fonctionnaires.

Les développements dont nous avons parlé jusqu'ici ont complètement déplacé le centre de gravité de la législation en matière de police des étrangers. Au début, quand il paraissait ne s'agir que d'une pression aiguë et irrésistible des étrangers, oe centre de gravité reposait sur les seules prescriptions relatives à l'entrée en Suisse, notamment le visa; il réside aujourd'hui dans le veto fédéral contre l'établissement, tandis que les restrictions à l'entrée en Suisse sont en partie déjà liquidées et que la liquidation de celles qui restent demeure réservée.

Organisation future de la police des étrangers.

Dans ses dispositions principales, la législation en matière de police des étrangers rentre aujourd'hui dans le droit fédéral et elle repose, comme telle, sur les pleins pouvoirs; il est donc nécessaire, ou qu'elle soit abandonnée, ou qu'elle soit reprise sous la forme d'une loi fédérale. Le premier terme de l'alternative nous paraît exclu. En droit, il faut assurément que les prescriptions . engendrées par les pleins pouvoirs restent un épisode législatif et l'oeuvre nouvelle doit par conséquent se rattacher à l'ancienne situation juridique. Mais la marche actuelle des événements et les expériences faites ne peuvent pas être perdues de vue; c'est pourquoi il faut, pour établir les nouvelles dispositions, partir de la situation présente. Alors que du point de vue formel, la nécessité d'une transformation paraît évidente, puisque la législation issue des pleins pouvoirs est appelée à disparaître, la nécessité d'un remaniement, quant au fond, n'est pas encore démontrée; elle doit être, au contraire, examinée point par point. Avant de procéder à cet examen, nous dirons que la réglementation du droit actuel, quant au fond, nous paraît susceptible, il est vrai, d'être amé-

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liorée par endroits, et d'être mise sur pied méthodiquement et complètement, mais ne demande pas une réforme fondamentale. Cette manière de voir va être motivée plus en, détail.

L'unification législative existe aujourd'hui déjà, mais elle n'est fondée que sur les pleins pouvoirs. Tous les points principaux sont réglés par la législation fédérale, plus qu'il n'y paraît d'abord à l'examen de l'ordonnance du 29 novembre 1921 concernant le contrôle des étrangers. Sans doute, la législation fédérale est en grande partie essentiellement formelle, parce qu'elle s'occupe seulement de la compétence des autorités et de la procédure. Mais, comme il y aura lieu de l'examiner encore de plus près, les décisions de la police des étrangers devront, toutes ou du moins pour le plus grand nombre, être laissées à l'appréciation des autorités administratives, dans la limite de leurs obligations, de sorte qu'il restera au législateur peu de chose à faire dans cette direction. -- Une législation uniforme est aujourd'hui tout autant commandée par l'équité due aux étrangers que par notre propre intérêt. Nous devons nous montrer à l'égard des étrangers beaucoup plus sévères et plus réservés qu'avant la guerre, notamment en ce qui concerne l'établissement. Nous devons d'autant moins leur donner l'impression qu'il sont pris dans un réseau de 25 législations cantonales où ils sont naturellement incapables de s'orienter; il convient bien plutôt de leur faciliter la tâche d'observer la loi avec leur bon vouloir. Nos compatriotes à l'étranger auraient à souffrir du préjudice résultant du contraire. -- Les lois cantonales sur la police des étrangers sont issues des circonstances d'avant guerre et ne sont pas conformes le plus souvent aux profonds changements survenus depuis. Ajoutons, comme nous aurons encore à le démontrer, qu'il ne serait plus possible aujourd'hui d'accomplir, ne serait-ce que d'une manière à peu près satisfaisante, les tâches de la police des étrangers sur le terrain exclusivement cantonal. Il ne convient plus que les cantons érigent contre l'étranger, comme s'ils étaienti autant d'Etats indépendants, leurs prescriptions de police, pour cette raison déjà que, suivant les circonstances, un étranger ne pourrait être renvoyé de la Suisse qu'au moyen de 25 arrêtés cantonaux.

Les prescriptions relatives à l'entrée
en Suisse ne sont plus organiquement liées avec, le reste de la législation sur la police des étrangers ; celle-ci peut donc rester sans changement, même si les prescriptions relatives à l'entrée sont adoucies

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ou complètement abrogées. Il nous paraît utile de conserver cet état de choses. Il n'est pas encore possible d'abroger complètement les prescriptions d'entrée; d'autre part, il ne serait pas indiqué non plus de les fixer définitivement dans une loi fédérale; il est au contraire préférable de maintenir ouverte la possibilité de les liquider ultérieurement, le reste de la législation fédérale sur la matière demeurant inchangé, ce qui pourra se faire par une disposition de la loi les réservant à l'ordonnance du Conseil fédéral. Le reste du contenu de la loi fédérale devra alors, il est vrai, avoir une teneur telle que la loi réponde, indépendamment des prescriptions d'entrée, au but qui lui est assigné.

Le droit de présence et ses formes.

La présence de l'étranger, quelle qu'en soit la durée, doit toujours être autorisée par l'Etat de résidence. L'autorisation de présence repose, soit sur une disposition générale de la loi, soit sur un permis individuel. Nous possédons actuellement le droit de présence sous quatre formes: 1. le séjour sans autorisation spéciale, 2. le séjour limité, 3. l'établissement, à. la tolérance. Pour ces trois dernières, une autorisation individuelJLe est nécessaire.

La tolérance est une forme extraordinaire du droit de présence. C'est la seule que, sous réserve du veto fédéral, puissent obtenir les étrangers qui ne possèdent pas de papiers de légitimation suffisants.

Nous avons déjà parlé plus haut d'une des trois formes ordinaires du droit de présence : le séjour sans autorisation spéciale. Il est motivé par le fait que l'on ne peut pas ou que l'on ne peut qu'exceptionnellement exiger de l'étranger qu'il demande l'autorisation de séjour avant de passer la frontière ou au moment de la passer; il lui est donc accordé un délai pour s'annoncer et demander l'autorisation, délai pendant lequel il est censé posséder légalement le droit de présence.

Le point central de cette réglementation gît dans l'obligation de s'annoncer. Le droit de séjour sans autorisation spéciale dure naturellement, après que l'étranger s'est annoncé, jusqu'à ce que lui ait été notifiée une décision des autorités de la police. -- Le droit de séjour sans autorisation spéciale n'est pas une innovation ; il a aussi toujours existé avant la guerre. Il n'y a de nouveau que l'unification de la réglementation concernant l'obligation de s'annoncer et le délai pour le favfte.

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Le séjour limité (passager) et l'établissement (séjour durable et établissement). Nous ne pouvons donner ici un tableau comparatif des législations cantonales, parce qu'il prendrait une place trop grande par rapport avec l'importance de ces dispositions, la plupart surannées. -- La distinction entre le séjour et l'établissement a son histoire à elle. Elle est pratiquement d'autant plus importante et sera par conséquent d'autant plus à considérer en droit, qu'on se montrera plus réservé à l'égard des étrangers; ©Ile s'efface ou perd sa valeur dans la mesure où l'immigration est favorisée. Pour ces deux extrêmes, il y a des exemples, en ce qui concerne tant le traitement des Suisses d'autres cantons que celui des étrangers. Pour les premiers, la constitution fédérale (art. 47) prévoit la promulgation d'une loi fédérale sur la différence entre l'établissement et le séjour; au temps où fut élaborée la constitution fédérale, on n'appuyait pas encore tant sur l'égalité de traitement entre les ressortissants des autres cantons et ceux du canton même, que l'on considérât comme indifférent, pour les premiers, de posséder le séjour seulement ou l'établissement. Par la suite, on accorda toujours moins d'importance à cette différence et c'est la raison essentielle pour laquelle la loi fédérale n'a pas été élaborée. A cette évolution, en correspondit une autre, parallèle, se rapportant aux étrangers. Elle tendait), par le moyen des traités d'établissement, à 09 que l'établissement ne fût refusé à aucun étranger, tant qu'il n'y avait rien de grave à lui reprocher. Il n'y avait donc plus qu'un intérêt statistique à savoir (abstraction faite du droit fiscal, que nous n'avons pas à envisager ici) si l'étranger avait obtenu le séjour ou l'établissement. C'est ce qui ressort d'une façon particulièrement claire d'une disposition de la loi saintgalloise, permettant aux étrangers d'opter entre le séjour et l'établissement, dans certaines circonstances. Parce que la distinction entre le séjour et l'établissement n'offrait plus, même à l'égard des étrangers, qu'une minime importance pratique, les formes très diverses prises par cette distinction dans les législations cantonales ne présentaient pas d'inconvénient sérieux.

A la distinction entre le séjour et l'établissement s'est aussi rattaché le développement de la
législation issue des pleins pouvoirs, survenu depuis. Mais il lui a donné une base essentiellement différente. La législation lie au séjour l'intention et l'obligation, pour l'étranger, de quitter de noutveau la Suisse, tandis qu'elle conçoit l'établissement comme le droit

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de présence de l'étranger à qui cette obligation n'est pas imposée. De cette manière, les étrangers sont classés d'après un nouveau critère distinctif ressortant de la lutte contre la surpopulation étrangère; l'étranger en séjour compte pour peu dans cette surpopulation, précisément parce qu'il quittera de nouveau le pays; mais l'étranger établi, doit compter pleinement. Avant la guerre, il ne pouvait être question d'une distinction établie de ce point de vue, pour cette raison déjà qu'on ne songeait pas, à cette époque-là, à faire servir la police des étrangers à la lutte contre la surpopulation étrangère.

Sans entrer plus avant dans le problème de la surpopulation étrangère, nous devons cependant insister sur le fait qu'il ne s'agit pas ici exclusivement ni même essentiellement d'un problème posé par les circonstances de guerre.

Pour le prouver, il suffit de s'en référer au rapport du département politique de mai 1914, déjà mentionné. La statistique a accusé jusqu'au recensement de 1910 une augmentation incessante de l'a proportion d'étrangers dans la population du pays, et il résulte d'un simple calcul que cette courbe ascendante, qui atteignait le 14,7% en 1910, devait atteindre le 50% dans 77 ans environ (soit vers 1990). Les circonstances de guerre et d'après guerre ont, il' est vrai, ajouté à cette augmentation chronique, un danger très aigu d'envahissement du pays par les étrangers, et elles ont mis en outre vivement en lumière les inconvénients de la surpopulation étrangère déjà existante. Cependant, la guerre donnait en même temps la possibilité de lutter contre cet envahissement par des moyens à la disposition de la police des étrangers, et l'usage qui a été fait de ces moyens contribua à faire descendre à 10 Va °/o environ la cote des étrangers, lors du recensement de 1920. Nous ignorons quand et à quelle limite la courbe des étrangers a atteint son point le plus bas, mais nous savons d'une façon précise qu'elle remonte. Aussi personne ne se fera d'illusions sur le fait notoire que tant l'envahissement chronique que l'envahissement aigu continuent. Même si ce dernier diminuait plus rapidement qu'on est en droit de l'espérer aujourd'hui, même encore si nous le considérions comme inexistant et ne voulions compter qu'avec l'envahissement chronique, il nous resterait pourtant le soin de
veiller à ce que notre pays ne soldât pas le bilan de ce siècle par une cote de 50% d'étrangers. L'ascension de cette cote doit être arrêtée une fois pour toutes, au prix de tout effort raisonnablement pos-

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sible. Les deux moyens que nous avons en particulier à notre disposition, la naturalisation et la police des étrangers, seront à peine suffisants, même s'ils sont appliqués conjointement avec une égale énergie. H paraît exclu que la naturalisation seule puisse suffire -- à moins de se contenter d'un simple démarquage des étrangers, sans se préoccuper de leur assimilation; -- c'est évidemment aussi l'opinion qu'à voulu exprimer le Conseil des Etats en adoptant le postulat de M. Wettstein.

La police des étrangers dans la lutte contre la surpopulation étrangère a dû se donner sa propre forme eit l'approprier à son but et elle doit la conserver, si elle est maintenue au service de cette lutte. A vrai dire, elle a déjà contribué avant la guerre à une autre lutte, celle qui était menée contre la criminalité et le paupérisme. Mais elle laissait passer tout ce qui n'était pas sujet à critique sous ces points de vue, sans égard à la force de l'afflux des étrangers par rapport à la population suisse. La lutte contre l'envahissement par les étrangers exige l'adoption d'une échelle de mesure toute nouvellei, à savoir la capacité de réception du pays. On ne peut plus se contenter seulement de poser certaines exigences et d'accorder l'établissement si elles sont remplies; en un mot, on ne peut plus admettre l'immigration dans la proportion de la pression faite pour entrer en Suisse; il faut, au contraire, régler ce mouvement d'après notre capacité de réception. Mais cela nécessite une conception toute différente des notions de séjour et d'établissement et une autre manière de les traiter. Le sens principal de l'ancienne distinction était que, moyennant certaines conditions, les étrangers avaient un droit au séjour, et moyennant d'autres conditions, à l'établissement. La délimitation des deux notions indiquait quand le séjour et l'établissement doivent être accordés et quand ils peuvent être refusés. Mais, il est évident qu'on ne peut concilier le droit à l'établissement avec la lutte contre l'envahissement des étrangers; en reconnaissant un tel droit, on ne se baserait de nouveau que sur la force de pression de l'immigration, non pas sur la capacité de réception du pays. Un droit à l'établissement ne pourrait plus entrer aujourd'hui en ligne de compte que si, en même temps, l'immigration était contingentée. Mais comme le contingentement des étrangers, tel que les Etats-Unis en offrent un exemple, paraît exclu -- d'abord parce -que le,s motifs à la base du contingentement nord-américain ne sont pas déter-

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minants pour nous, ensuite parcs que la fixation d'une cote d'immigration par la Confédération ne pourrait pas empêcher l'afflux des étrangers de se porter en particulier sur certains centres industriels -- il en résulte forcément qu'un droit à l'établissement en faveur de l'étranger ne peut être institué. -- Pour une législation basée sur la lutte contre la surpopulation étrangère, la question n'est plus de savoir si l'étranger restera en Suisse au bénéfice du séjour ou de l'établissement (dans l'ancien sens du mot), mais bien s'il s'en ira de nouveau.

Les étrangers devront être classés, d'après ce caractère distinctif, en candidats et en non candidats à l'établissement.

Le point principal de la lutte contre la surpopulation étrangère résidant dans l'aggravation des conditions d'établissement, mais influençant plus ou moins, d'un autre côté, toutes les parties de la législation sur la police des étrangers, qu'il nous soit permis de jeter ici un coup d'oeil sur les exigences et les effets de cette lutfe. L'élaboration d'une loi destinée à lutter contre l'envahissement des étrangers, serait très facile, si l'on n'avait à s'y préoccuper que de son caractère défensif. Mais la législation réglant la présence des étrangers doit encore prendre en considération d'autres intérêts, des plus divers, ainsi ceux du commerce et de la circulation, ceux de l'hôtellerie, des institutions d'éducatlion, etc.

Us ont ceci de commun, qu'ils rendent désirable la libre, circulation des étrangers, dans toute la mesure possible.

Mais ces intérêts de la circulation entrent en opposition, jusqu'à un certain point, avec ceux de la lutte contre l'envahissement, et il est nécessaire de les concilier, si l'on ne veut pas qu'une catégorie d'entre eux soit sacrifiée à l'autre. La, conciliation de ces intérêts opposés est, sinon facile à trouver, du moins possible dans une large mesure, si L'on s'y prend bien, attendu que, d'une part), le tourisme a peu d'intérêt à. l'établissement des étrangers, tandis que, d'autrepart, la lutte contre la surpopulation étrangère n'exige pas qu'on tienne à distance les étrangers qui ne bénéficient, que d'un séjour passager. Du point de vue de la lutte, il n'y aura donc rien à objecter à l'afflux des étrangers, mais à la condition seulement que ceux-ci ne songent pas à s'établir et, de cette
réserve, il résulte pour la police des.

étrangers des tâches qui ne peuvent pas ne pas être remplies..

Une des plus importantes de ces tâches consiste à ne> pas laisser naître de fausses espérances, mais plutôt à remontrer toujours clairement aux autres Etats que, malgré la concession de la liberté de circuler sur notre territoire, nous continuons de nous,

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en tenir résolument à notre réserve en matière d'établissement et-que nous ne permettrons pas qu'à cet égard on nous force habilement la main par des moyens détournés. Toute autre attitude, la plus petite équivoque dans cette direction, serait aussi déloyale qu'imprudente. Il est clair qu'il existe à nos portes un très grand désir latent d'immigrer, qui se transformerait aussitôt en un véritable run, s'il n'était contenu par la difficulté, connue partout, d'obtenir l'établissement!.

Toujours encore, dans de nombreux pays, d'urgentes nécessités économiques et politiques poussent à l'émigration, et des foules de la plus hétérogène composition ne sont maintenues sur place que par le peu d'espoir qu'elles ont de se fixer ailleurs. Au besoin grandissant d'émigrer ont répondu, dans le monde entier, des possibilités d'immigration sensiblement diminuées. Dans ces conditions, nous n'avons pas le droit d'éveiller des espoirs et de mettre en mouvement nombre de gens, pour les renvoyer désillusionnés chez eux.

Une telle attitude serait imprudente, parce que, en nous valant un mauvais vouloir justifié, elle occasionnerait par surcroît à nos autorités un travail inutile. --" En dehors des candidats à l'établissement déclarés ou déguisés, une autre catégorie d'étrangers doit être autant que possible contenue: celle des sans-papiers. Il y en a beaucoup en Europe; un grand nombre d'entre eux sont à charge à l'Etat de résidence actuel, qui voudrait bien s'en débarrasser.

Il nous faudrait craindre que notre pays ne devînt le point de rassemblement de tous les déracinés, si nous ne refoulions pas ces gens déjà à la frontière; car une fois qu'ils sont dans le pays, il faut compter avec le fait qu'ils ne pourront plus en être renvoyés. Or, les prescriptions actuelles concernant l'entrée en Suisse et le contrôle à la frontière sont telles qu'elles répondent à cette double tâche, d'une part rendre libre la circulation des étrangers dans la mesure du possible et, d'autre part, décourager les candidats à l'établissement, ou au moins les contraindre à faire connaître leurs intentions (soit les mettre dans leur tort s'ils ne s'y tiennent pas) et d'empêcher l'entrée non autorisée des gens sans papiers.

Une fois l'étranger chez nous, se pose la question de son renvoi, dans le cas où il n'obtient pas l'établissement (à moins
qu'il ne s'en aille sans notre intervention). Nous revenons ainsi à la question du séjour et de l'établissement et répétons que tout étranger entré en Suisse a l'obligation de lai quitter de nouveau, exception faite seulement pour ceux auxquels l'établissement a été accordé. C'est au prix seulement de cette

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obligation que la circulation des étrangers pourra se concilier avec la lutte contre la. surpopulation étrangère. loi se constate une certaine action réciproque évidente: plus nous serons sûrs de pouvoir nous débarrasser de tpus les étrangers entrés en vue de l'établissement, moins la libre circulation nous causera de soucis, et, inversement: la lutte contre l'envahissement doit être menée avec d'autant plus de vigueur ·que les étrangers peuvent entrer et se mouvoir librement en Suisse. Le plus souvent, on considère leur renvoi comme plus simple .qu'il n'est et c'est pourquoi il y a lieu d'entrer un peu plus en détail dans les exigences qui en découlent. La base indispensable du renvoi est constituée par la façon dont les étrangers sont atteints par les autorités de jpolice. Nous ne pouvons les laisser que peu de temps sans les inquiéter, dans l'intérêt du tourisme; plus longtemps ils restent, plus leur départ devient improbable sans l'intervention des autorités. D'où l'obligation de s'annoncer. Mais il ne suffit pas de statuer cette obligation; on doit veiller à ce que ceux qui s'y soustraient soient atteints à plus ou moins brève échéance. Quand l'étranger est atteint par le contrôle, suit la décision concernant le séjour ou l'établissement (le cas échéant, la tolérance). L'obligation de s'annoncer met l'étranger dans le cas de demander une autorisation, même s'il est en Suisse pour cure, mais dans cette dernière hypothèse, seulement à l'échéance d'un délai de 3 mois, compté à partir de son entrée. Les étrangers qui se sont annoncés présentent donc pour l'autorité le tableau suivant (abstraction faite des cas de tolérance): une catégorie d'entre eux recherchent sans détour l'établissement; l'autorité, ou bien accepte leur demande (sous réserve du veto fédéral encore à discuter), ou elle la rejette, et elle doit alors fixer au ro» quérant un délai de départ. -- Pour une autre catégorie, il est clair sans autre, suivant les circonstances, que l'étranger n'a pas en vue le séjour durable. Du point de vue 'de la lutte contre la surpopulation étrangère, le séjour limité peut lui être accordé sans autre, avec d'autant moins d'appréhensions que le délai demandé est plus court. La troisième catégorie, celle qu'on pourrait précisément dénommer la catégorie d'envahissement, contient ceux qui spéculent d'une
façon déguisée sur l'obtention de l'établissement, en ne demandant ouvertement, il est vrai, que le séjour limité. A cette dernière se joignent encore .toujours, ici et là, des représentants de la deuxième catégorie, parce qu'après un séjour assez long ils finissent par se dévoiler comme candidats à l'éta-

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blissement. Or, comparativement à notre capacité de réception, le nombre de ceux qui rentrent dans cette catégorie est très considérable et comporte un grand danger, si leur cas n'est pas convenablement traité. Il arrive ensuite que cette catégorie augmente inévitablement dans une forte proportion si elle n'est pas traitée comme elle doit l'être, car aussitôt qu'apparaît l'espoir d'éluder les prescriptions, il se trouve bientôt quantité de gens pour en tenter l'aventure.

La vraie manière de traiter cette catégorie, consiste à reconnaître et à dépêcher le plus tôt possible ces escamoteurs de prescriptions *). Quels que soient les voies et moyens qu'emploient ces gens, leur but est toujours de créer .un état de contrainte. Le plus souvent, ils cherchent à rester aussi longtemps que possible, sans éveiller l'attention, dans la catégorie des hôtes inoffensifs en séjour limité; ils savent que le temps travaille pour eux, mais il y vont aussi de leurs efforts, se créent des relations, s'attachent à des personnalités influentes, s'efforcent de combiner des intérêts suisses .avec les leurs et préparent toutes choses de telle manière qu'au moment critique où il s'agira sérieusement de s'en aller, leur cas cause à nos autorités le plus grand embarras, et que leur renvoi soit rendu le plus difficile possible. Ils le savent et ils spéculent sur le fait que nous préférons éviter dea| duretés inutiles; ils le savent et ils spéculent sur cet autre fait, que nous devons avoir égard à toute espèce d'intérêts et qu'il nous déplaît de paraître xénophobes et que nous devons nous garder de commettre des bévues à l'égard d'hôtes effectivement inof fensifs ; ils spéculent aussi sur une certaine *) Voir instruction du 23 décembre 1921, p. 4.

« Cela est nécessaire aussi bien dans l'intérêt de l'étranger luimême -- il lui semblera moins dur, en effet, d'être obligé de quitter notre pays et de se chercher un autre champ d'activité après un séjour de courte durée que s'il a déjà pris racine ---que dans notre propre intérêt. L'expérience prouve qu'il est infiniment plus facile de faire partir douze étrangers au bout d'un mois de séjour qu'un seul étranger au bout de douze mois. Il faut y ajouter l'effet fâcheux que pro-duisent dans les autres pays les délais de départ impartis aux personnes qui ont fait un séjour quelque
peu prolongé. On doit comprendre à l'étranger -- et certainement on le comprend -- que la Suisse, vu le grand nombre d'étrangers qui y demeurent déjà, se montre peu disposée à en admettre de nouveaux sur son territoire ; par contre, chaque refus de prolongation prononcé après un certain temps de séjour est considéré comme une expulsion, même si l'autorisation de séjour accordée pour la première fois est périmée et que l'étranger ne possède plus aucun droit de séjour. N'oublions pas qu'une politique maladroite à l'égard des étrangers aurait des conséquences fâcheuses pour les Suisses à l'étranger. » Feuille fédérale. 76" année. Vol. II.

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nonchalance des fonctionnaires, qui préféreront peut-être céder pendant un certain temps et temporiseront, plutôt que d'aller avec grand'peine, au risque de désagréments de toute sorte, jusqu'au fond d'un cas douteux. Lorsque le maintien de la fiction du séjour passager, par malheur souvent très tard, devient impossible pour ces étrangers, ils font intervenir des avocats et des certificats médicaux; des intéressés suisses déclarent qu'ils sont devenus indispensables, le consulat et la légation sont mobilisés; justement dans les cantons frontière les plus surpeuplés d'étrangers, on invoque au surplus les rapports de voisinage frontalier, et enfin, il est spéculé sur la tentation pour le fonctionnaire responsable, de penser qu'il s'expose à moins de désagréments s'il dit une fois de trop oui, plutôt qu'une fois de trop non. Aucun de ceux qui connaissent cette matière ne voudra prétendre qu'il ne s'agit que de manifestations occasionnelles, comme la diversité de l'existence s'applique à en faire naître. Ce qui apparaît dans l'énergie élémentaire avec laquelle on s'efforce d'éluder les prescriptions, c'est tout simplement la poussée d'une immigration qui est contrariée et qui cherche le point 1© plus faible par où elle pourrait passer.

La lettre seule des prescriptions est ici impuissante à nous protéger; à la force vive de la poussée doit être opposée avec énergie une égale résistance de la part des autorités. La lutte ' est inévitable et elle doit se poursuivre essentiellement dans la région où se rejoignent le séjour et l'établissement. Le droit reçoit donc sa forme des circonstances et des nécessités de cette lutte. Il ne peut venir directement en aide, d'une façon appréciable, au fonctionnaire qui a pour tâche d'atteindre, le plus tôt et le plus sûrement' possible, parmi les étrangers en séjour passager, les escamoteurs de prescriptions. Des instructions détaillées indiquant où et quand il faut frapper., ne peuvent être conçues d'avance; car il s'agit d'étrangers qui se cachent, la loi ne saurait apprendre où ni comment; avec un peu de pratique, le fonctionnaire le sait mieux que le législateur. A vrai dire, on reconnaît à de nombreux signes plus ou moins concluants la volonté de séjourner ou de s'établir. Pour ce qui est du séjour: maladies chroniques, fréquentation d'une école ou d'un établissement
supérieur d'instruction, maintien à l'étranger du domicile ordinaire, etc.; pour l'établissement: obtention d'une place fixe, achat d'un immeuble, fondation d'un commerce, manoeuvres de toute sorte pour tourner les prescriptions, exposé de toutes les raisons possibles, afin de différer le

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départ. Toutefois, il est très douteux qu'il y ait avantage .à enumerar ces critères dans la loi; une énumération complète serait tout à fait impossible; au surplus, si elle était érigée en prescription, elle éloignerait plutôt le fonctionnaire de sa tâche principale, consistant à saisir aussi à fond que possible le cas particulier dans ses avatars spéciaux, toujours variables. -- Concernant l'octroi de l'autorisation de séjour et l'autorisation d'établissement, est applicable la règle suivant laquelle le candidat à l'établissement ne doit être traité que sur le terrain de l'établissement. S'il lui est refusé, il ne peut plus lui être accordé que le minimum de séjour indispensable et seulement sous la forme d'un délai de départ. On ne saurait donner une prime aux manoeuvres contre les prescriptions en les laissant aboutir. -- II y a lieu de remarquer en outre que l'ordonnance ne contient pas de disposition, expresse sur la différence entre le séjour et l'établissement, mais seulement des dispositions relatives à la. distinction des compétences (art. 18 et 19). Mais cela ne répond qu'à la situation de fait. On ne peut pas donner dans la loi une image du candidat à l'établissement, permettant de le reconnaître sous ses affublements les plus divers. D'autre part, il est tout aussi impossible, ainsi que nous l'avons dit déjà, de fixer les signes distinctifsdu séjour et de l'établissement, qui, s'ils se présentaient, coniéreraient à l'étranger le droit de réclamer l'un ou l'autre.

La lutte contre l'envahissement ne peut pas être menée avec le pouvoir de dispositions légales, mais au contraire par lea efforts particuliers des autorités. Cette activité (comme c'est déjà le cas depuis qu'est en vigueur l'ordonnance du 29 novembre 1921 sur le contrôle des étrangers), doit être laissée aux cantons. Actuellement déjà, le traitement des cas particuliers appartient aux cantons, alors que la législation, dans ses grandes lignes, est centralisée. A notre avis, la loi fédérale à élaborer devrait tenir ferme à ce principe, toutefois dans la mesure observée jusqu'ici, c'est-à-dire en conservant le veto fédéral (art. 19 de l'ordonnance). En élaborant l'ordonnance du 29 novembre 1921, nous sommes partis de l'idée que la Confédération, dans les cas particuliers, ne doit intervenir que lorsque la lutte contre la
surpopulation étrangère l'exige. Ce n'est pas le cas quand le canton refuse le séjour ou l'établissement; c'est pourquoi les cantons sont libres de prendre dans tous les cas une décision négative; la Confédération ne les oblige jamais à ac-

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cepter un étranger. La faculté leur est aussi laissée d'accorder les permis, cela sans la concomis de la Confédération, en tant que ces permis ne se rapportent pas au séjour durable ou à l'établissement (ou à la tolérance). Aujourd'hui, le canton peut octroyer aux étrangers qui n'exercent pas d'activité professionnelle (et aux domestiques), le séjour limité jusqu'à deux ans, comptés à partir de l'entrée en Suisse, sans que la Confédération s'en occupe; aux saisonniers, le séjour pour une saison. Abstraction faite de cela, l'activité professionnelle devait être traitée comme régulièrement liée à l'intention de s'établir, ce qui est conforme aux faits. Avec cette distinction des compétences, nous avons obtenu que le traitement des étrangers par la police des étrangers pûfc s'individualiser; aussi longtemps que l'étranger ne fait pas de démarches pour s'établir -- en même temps donc dans tout le domaine des intérêts du tourisme -- les cantons ont la main libre. Parce qu'ils sont plus près des circonstances effectives du cas particulier, ils peuvent aussi mieux individualiser qu'une autorité centrale. Mais il y a lieu de remarquer qu'avec le terrain du séjour limité, l'on abandonne aux cantons celui où se meuvent les candidats déguisés à l'établissement; nous devons donc pouvoir compter que, Iss cantons les découvriront et les traiteront conformément aux faits.

Le veto fédéral consiste en ceci, qu'une autorité fédérale peut faire opposition à l'octroi de l'établissement (séjour durable et établissement) par les cantons et de permis de tolérance, et par conséquent annuler ces autorisations. Nous considérons ce droit comm^ ir dispensatale, parce que c'est le seul moyen permettant à la Confédération d'influer sur la lutte contre la surpopulation étrangère, et parce que nous tenons cette possibilité d'influer sur les cantons pour absolument nécessaire. Certes, il serait préférable que cette influence ne pût s'exercer que par le moyen de prescriptions légales, sans que la Confédération eût à s'occuper encore de cas particuliers, mais nous croyons avoir montré que précisément au point déterminant de la lutte contre l'envahissement des étrangers, des prescriptions matérielles liant les cantons ne peuvent pas du tout être édictées. Le droit d'intervention étant maintenant déjà réduit au minimum, nous ne voyons
pour une loi fédérale que la possibilité, ou bien de maintenir le droit d'opposition d'une autorité fédérale, ou bien de créer une situation dans laquelle, malgré l'unification du droit formel, la lutte serait abandonnée coni-

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plètement aux cantons et ne serait plus considérée comme une affaire fédérale. Lorsqu'on examine le veto fédéral, il convient de ne pas oublier que la loi fédérale à élaborer devra être conforme à une situation normale, c'està-dire se rapprochant de celle d'avant-guerre. Sans doute, on penchera vite vers cette conclusion, que le droit d'intervention de la Confédération est un© manifestation du temps de guerre devant disparaître quand les circonstances seront redevenues normales. Il n'y aurait lieu de s'associer à cette manière de voir qu'à la condition de pouvoir dire la même chose de la lutte contre l'envahissement; si l'on veut aussi sacrifier celle-ci à la i situation normale», si l'on veut rentrer dans la courbe formée par l'immigration étrangère, ascendante par la force des choses, et considérer comme normale son ascension à 20 ou 30%, sinon plus haut, la suppression du veto fédéral est, il est vrai, aussi indiquée. Cependant, nous voudrons aussi continuer la lutte dans une situation redevenant normale. Mais alors il nous faudra compter avec les difficultés toujours plus grandes qu'elle rencontrera.

Nous espérons pouvoir liquider les prescriptions relatives à l'entrée et au contrôle à la frontière; mais alors, une poussée grandissante d'immigration se produisant sûrement, le refus de l'établissement sera la seule arme dans la lutte contre le surpeuplement par les étrangers. En outre, la pression de l'étranger, qui cherche à déverser son émigration chez nous, augmentera d'autant plus que les circonstances rétrograderont vers une certaine norme. Dans ces conditions, une politique d'admission uniforme et continue, pourra seule empêcher les graves conséquences secondaires de la lutte contre l'immigration, ou bien alors son fléchissement ou sa suppression. Une politique d'admission variant de canton à canton ne serait pas compris© par l'étranger et les conséquences fâcheuses en rejailliraient sur nos compatriotes au dehors. On aboutirait au même résultat avec une politique d'admission exercée par à-coups, qui laisserait par moments flotter les rênes, puis, quand les conséquences s'en feraient sentir, reviendrait par à-coups en arrière avec d'autant plus d'énergie. Mais l'uniformité et la stabilité de la politique d'admission exigent qu'une certaine direction soit exercée par un© autorité centrale,
cela d'autant plus que les effets de la réforme de notre droit de naturalisation se feront sentir sur cette politique. Mais, comme cette uniformité ne peut êtr© fixée par des prescriptions, une autorité fédérale appelée à dir© son mot dans chaque cas particulier

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d'établissement est indispensable. Celle-ci veillera à ce que le choix des étrangers admis à s'établir repose sur un examen approfondi, uniforme et égal, des circonstances de chaque cas, et se fasse d'après des points de vue identiques.

Elle aura le coup d'oeil d'ensemble permettant de juger si l'étranger est, en effet, indispensable; elle restera en contact avec les institutions (bureaux de placement ou d'apprentissage, transposition de Suisses dans d'autres métiers} qui ont pour but d'affaiblir chez les étrangers le caractère de gens toujours soi-disant indispensables et de diriger les Suisses vers les emplois où l'on serait tenté d'accorder trop facilement la préférence à des étrangers. -·- D'autre part, étant donnés son coup d'oeil d'ensemble sur la politique d'admission et la connaissance des cas, l'autorité fédérale pourra et devra fournir le matériel servant à éclairer et à justifier notre manière de procéder, quand se produiront des interventions étrangères; elle défendra, envers l'étranger, notre politique d'admission, d'une façon générale comme dans les cas particuliers. Enfin, là où d'importantes considérations politiques justifient, à l'occasion, une ouverture de la frontière dépassant la norme, où, par exemple, de grands courants d'idées combattus à l'étranger mais conformes au sentiment de notre peuple, justifient l'entrée en Suisse de forces intellectuelles hautement bienvenues, non point dans le seul cadre juridique de l'asile passager ou de la tolérance, elle devra fixer la mesure en laquelle il pourra être donné suite à cette nécessité exceptionnelle, que nous ne voudrons pas nier par orgueil national.

L'autorité fédérale accordera aux autorités cantonales l'appui indispensable. Avec le temps, celles-ci sont exposées à une pression qui les fait fléchir. Jusqu'ici, le chômage et la crise des logements leur ont encore donné plus de soutien; mais, heureusement, ces manifestations vont diminuant d'intensité et, cependant, la lutte contre l'envahissement des étrangers doit continuer, dans des conditions qui deviendront toujours plus défavorables. Ce n'est naturellement pas l'affaire de chacun de jouer à tout moment le rôle d'homme dur à l'égard des étrangers qui doivent être éloignés, de s'aliéner le bon vouloir de leurs mandataires de tout genrte, de groupes d'intéressés et souvent
aussi de certaines autorités communales, d'être exposé à des désagréments de toute espèce, dans les cas d'une bévue peut-être compréhensible, tout cela avec la perspective constante qu'une conception plus molle de son devoir lui rendrait l'existence d'autant plus facile. C'est pour-

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quoi, même le fonctionnaire fidèle et doué de caractère est heureux de n'avoir pas à supporter seul la défaveur résultant de réponses négatives, ou, du moins, de pouvoir inv-ûfluer la volonté de « Berne », quand il est l'objet d'une pression provoquant d'interminables débats. -- Une influence plus indirecte, mais également indispensable à la longue, est aussi exercée par l'autorité fédérale en vue d'obtenir que les affaires soient traitées en temps utile, fait dont l'importance a déjà été mise en relief. La nécessité de soumettre tôt ou tard les cas à l'autorité fédérale, met les autorités cantonales en garde contre des temporisations excessives.

A l'égard de l'étranger, le veto fédéral est l'expression de la volonté uniforme de défense de la Suisse, et, restreint à l'établissement, il est en même temps l'expression du fait que cette défense se rapporte à l'établissement seulement. Si on le supprime, la défense, malgré l'unification du droit formel, n'apparaît plus que comme une affaire cantonale et les étrangers dans l'idée aisément concevable que les 25 cantons ne peuvent pas être également sévères, s'adonneront à la recherche du point de moindre résistance.

on reproche essentiellement au veto fédéral d'exiger un appareil bureaucratique et de restreindre la souveraineté cantonale. Concernant la première objection, il y a lieu de dire que l'office central de la police des étrangers remplit aujourd'hui sa tâche avec 30 fonctionnaires seulement.

Une liquidation de prescriptions relatives à l'entrée permettrait peut-être d'abaisser ce chiffre à 25. Toutefois, une partie de ces fonctionnaires devraient être maintenus même si on abandonnait le veto fédéral; d'un autre côté, les cantons seraient, selon toutes prévisions, chargés d'un travail beaucoup plus considérable. -- A l'objection fondée sur la souveraineté territoriale des cantons, il y a lieu de répondre que ceux-ci ont vu en fait s'étendre sensiblement leurs compétences, comparativement à la situation d'avant-guerre; aujourd'hui, ils prononcent librement partout où auparavant ils avaient!

les mains liées. En outre, la législation fédérale doit étendre à tout le territoire suisse, les effets de certaines décisions cantonales. Dans la nécessité de le faire, apparaît précisément l'impossibilité d'accomplir sur le terrain de la souveraineté
territoriale des cantons les tâches incombant à la police des étrangers. -- Les cantons verront souvent avec plaisilr dans la pratique que pour leuri défense, ils n'ont pas besoin de s'appuyer sur 24 frères, mais pourront s'adresser uniquement à leur mère.

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II reste à établir que le veto fédéral n'est en tout cas pas un obstacle à la circulation des étrangers. S'il n'exerce pas d'activité professionnelle, l'étranger peut recevoir du canton un séjour limité allant jusqu'à 2 ans, sans que l'autorité fédérale soit consultée.

les droits inhérents au séjour et à l'établissement, c'est-à-dire ceux qui résultent pour l'étranger de l'autorisation qu'il a reçue, rentrent, par leur nature, exclusivement dans le droit de police des étrangers. L'autorisation ne confère encore et toujours qu'un droit de présence. A cet égard, l'établissement diffère du séjour essentiellement par le fait qu'il ne peut être retiré que par le moyen de l'expulsion. Il est vrai que le droit peut aussi donner à la distinction entre le séjour et l'établissement une signification, que pourrait, par exemple, utiliser le fisc ; mais ce n'est pas un effet nécessaire de la distinction et rien n'empêche par conséquent que la loi fédérale ne se borne à la réglementation de la police des étrangers.

-- Il faudra, par contre, discuter la question de savoir quels droits doit posséder l'étranger du fait de l'autorisation, en dehors du canton qui l'a accordée.

Fin du séjour et de l'établissement.

Il y a lieu de distinguer ici entre le renvoi et l'expulsion.

Le renvoi résulte du refus d'accorder un permis de séjour ultérieur et n'est possible qu'à l'égard d'étrangers qui ne possèdent pas l'établissement; il "consiste en ceci, que l'étranger doit quitter le territoire du canton qui a prononcé le renvoi; il n'est valable d'abord que pour ce canton; niais, sur la proposition de ce dernier, il peut être étendu actuellement à tout le territoire suisse, par l'office central. Dans ce dernier cas, la rentrée en Suisse est subordonnée à l'assentiment de cet office. On peut se demander s'il ne serait pas possible de simplifier encore sensiblement cette procédure en étendant à tout le territoire suisse les effets de la décision cantonale, sans une décision spéciale d'extension, et en laissant ouverte une possibilité de recours dans des cas spéciaux et exceptionnels.

L'expulsion de Suisse n'exige guère une transformation profonde de la législation. En revanche, il serait possible, en élaborant la loi fédérale, d'y insérer le contenu de la convention intercantonale du 22 mars 1913 relative à l'expulsion du territoire suisse des étrangers condamnés par un tribunal pour un crime ou un délit. -- Que l'expulsé puisse

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en. appeler à trois instances différentes, c'est-à-dire dans plusieurs cantons à deux instances cantonales, et en outre au département fédéral de justice et police, cela paraît déjà, plus que suffisant. Nous devons tenir ferme au recours à l'autorité fédérale. Les motifs d'expulsion ne se prêtent pas à une détermination précise dans la loi, si vraiment celui ·qui s'est rendu indigne de notre hospitalité doit pouvoir être atteint. Il est d'autant plus nécessaire qu'une autorité fédérale veille à ce que, dans la pratique, règne une certaine uniformité. En outre, l'expulsion produit des effets d'une portée si lointaine pour l'étranger et elle touche de si près nos rapports avec les autres Etats, que, pour ces raisons aussi, le recours à la Confédération doit être maintenu.

Ainsi qu'il ressort des considérations qui précèdent, nous attribuons à la législation fédérale la tâche d'unifier dans ses grands traits le droit matériel relatif à la police dea étrangers (c'est-à-dire de conserver l'uniformité déjà existante) et en outre de continuer à rendre possible une intervention administrative de la Confédération, dans la mesure reconnue indispensable par les expériences faites jusqu'ici, soit en matière d'autorisation d'établissement (permis de séjour duiable, d'établissement et "de tolérance) et en matière d'expulsion. Ce qui -- comparativement à la situation d'avant-guerre -- est nouveau dajis cette réglementation, ne fait que répondre, pour la forme et l'étendue, aux circonstances et aux manières de voir, qui sont changées. L'immigration étrangère s'est beaucoup accrue et il n'y a pas lieu de prévoir qu'elle redeviendra normale dans un avenir plus ou moins rapproché. La voie est devenue libre pour notre défense contre cet afflux, et, si elle a été déblayée, nous le devons pour une bonne part au fait que les autres Etats eux-mêmes ont reconnu que la position de défense que nous avons prise, est pour la Suisse une nécessité vitale; les autres Etats n'envisagent - ils pas avec souci une immigration qui ne comporte pas un dixième de la nôtre?

D'autre part, les expériences faites pendant la guerre et depuis ont créé dans les cercles les plus étendus de la Suisse, la conviction que la lutte contre l'envahissement des étrangers est une tâche de la Confédération, et touche de très près le but de cette dernière
: « assurer l'indépendance de la patrie contre l'étranger, maintenir la tranquillité et l'ordre à l'intérieur» (art. 2 de la constitution fédérale) et qui, en outre, ne saurait être sérieusement remplie sur le

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terrain cantonal seulement. Notre conception de cette tâche et de son importance et nos idées directrices concernant son accomplissement s'accordent avec les résultats auxquels sont parvenues la commission d'experts convoquée à Soleure, en septembre 1920, par le département fédéral de justice et police, et plus récemment l'association des juristes suisses, dans son assemblée générale à Frauenfeld, en septembre 1923.

Alors qu'actuellement la Confédération n'exerce aucune pression sur les cantons pour les obliger à admettre des étrangers, nous pensons cependant qu'une exception devrait être faite pour le cas spécial de ceux qui cherchent asile en Suisse. Un droit d'asile, un droit, pour l'étranger, de se faire accorder l'asile, n'existe pas en Suisse et ne devrait pas non plus être créé. Ce qu'on nomme communément droit d'asile, n'est qu'une coutume de la politique suisse; elle ne déploie ses effets que moyennant certaines conditions et certaines exceptions, et, au sujet de son maintien, il y a aussi lieu, naturellement, d'avoir égard à la situation créée par l'envahissement par les étrangers; la spécialité des cas d'asile ne réside qu'en ceci, qu'à cause de leur nature, précisément parce qu'il s'agit de réfugiés politiques, ils touchent de beaucoup plus près les intérêts de la Confédération et ses rapports avec les autres Etats, que les intérêts du canton de refuge. Notre attitude dans certains cas particuliers, comme les cinq dernières années l'ont montré, peut avoir une portée politique considérable. C'est pourquoi nous pensons que, pour ce qui concerne les cas d'asile, la Confédération ne pourrait pas se contenter d'une simple possibilité de veto, qu'elle doit au contraire prétendre à un droit» d'intervention renforcé; à côté de son droit d'opposition contre l'admission des réfugiés, étant donné qu'elle ne possède, pas de propre territoire, la possibilité devrait lui être réservée de pouvoir aussi, le cas échéant, obliger un canton à accorder l'asile; la décision dernière, affirmative ou négative, dans ces cas, appartiendrait donc à la Confédération.

Le fait que la Confédération ne possède pas actuellement la compétence de légiférer en matière de séjour et d'établissement et qu'elle devrait donc au préalable lui être accordée par le moyen d'une revision constitutionnelle, n'est contesté par personne. Le nouvel article constitutionnel peut, ou bien accorder à la Confédération, d'une façon toute

535 générale, la compétence de légiférer en la matière, ou bien marquer en même temps à cette compétence les limites que fixera probablement le législateur. Dans le premier cas, · on pourrait se borner à dire, par exemple: «La législation en matière de séjour et d'établissement des étrangers appartient à la Confédération». Mais l'on dépasserait ainsi de beaucoup les besoins de celle-ci. Si l'on est avec nous de l'avis que la Confédération ne doit pas tendre à faire de la police des étrangers une affaire exclusivement fédérale, mais s'assurer seulement un droit d'intervention dans certains cas, on sera plutôt porté à ne pas lui accorder d'ans l'article constitutionnel des compétences illimitées. C'est pourquoi nous nous sommes efforcés1 de trouver une formule contenant les directives de la réglementation à édicter et de la délimitation des compétences; de la sorte, la Confédération ne recevrait pas plus de compétences qu'elle n'en a besoin et, d'autre part, les nouveaux droits qui lui seraient accordés ressortiraient déjà, dans leurs grandes lignes, de l'article constitutionnel lui-même. Cet article trouverait d'abord sa place après l'article 47; il y aurait donc lieu d'édicter un art. 47bis. Les autres places qu'on pourrait lui assigner se trouveraient entre les articles 63 et 64 et avant ou après l'art. 68. L'adjonction à l'art. 63 ne nous paraît pas indiquée, avant tout pour la raison que ce dernier, d'une teneur équivoque dans le texte allemand, recevrait ainsi une signification qui ne lui revient nullement. On admettrait plutôt la proposition de remplacer l'art. 63 par le nouvel article. Pour ce qui concerne l'arit. 68, il présente avec le nouveau, un certain rapport matériel, en tant qu'il y est question aussi d'une certaine compétence de la Confédération en matière de droit à l'égard des étranger», L'adjonction à l'art. 47 se recommande, parce que dans cet article et les précédents, est traitée la même matière en ce qui concerne les citoyens suisses (étrangers au canton).

En conséquence, nous avons l'honneur de vous proposer d'adopter le projet d'arrêté fédéral ci-après.

Veuillez agréer, Monsieur le président et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

Berne, le 2 juin 1924.

Au nom du Conseil fédéral suisse : Le président de la Confédération, CHUARD.

Le chancelier de la Confédération, STEIGER.

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(Projet.)

Arrêté fédéral concernant

l'introduction d'un art. 47bis dans la constitution fédérale (Séjour et établissement des étrangers).

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, arrête: I. L'adjonction suivante est introduite dans la Constitution fédérale du 29 mai 1874, art. i7^: «Les conditions relatives à l'entrée, à la sortie, au séjour et à l'établissement des étrangers seront réglées par la législation. ' Les cantons décident en principe, d'après le droit fédéral, du séjour et de l'établissement.

La Confédération décide en dernier lieu en ce qui concerne les permis cantonaux d'établissement et de tolérance, les expulsions cantonales étendant leurs effets au territoire de la Confédération, la violation des traités d'établissement et le refus de l'asile. » II. Cette adjonction sera soumise à la votation du peuple et à celle des cantons.

III. Le Conseil fédéral est chargé de l'exécution du présent arrêté.

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MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant la réglementation du séjour et de l'établissement des étrangers en Suisse par le droit fédéral. (Du 2 juin 1924.)

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