413

N° 23

FEUILLE FÉDÉRALE

76e année.

Berne, le 4 juin 1924.

Volume II.

Paraît une fois par semaine. Prix: 20 franco par an; IO francs pour six mois plus la finance d'abonnement ou de remboursement par la poste.

Insertions: 50 centimes la ligne ou son espace: doivent être adressées franco à l'imprimerie K.-J.Wyss Erben, à Berne.

# S T #

1859

Message du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant

les mesures destinées à assurer l'approvisionnement du pays en blé.

(Du 27 mai 1924.)

Nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation un projet d'article constitutionnel qui énonce les principes fondamentaux à observer par le législateur aux fins d'assurer l'approvisionnement du pays en b!é. A l'appui de ce projet, an.nexé au présent message, nous vous donnerons d'abord de brèves indications sur la culture des céréales en Suisse et notre approvisionnement en grains avant, pendant et après la .guerre, nous vous renseignerons ensuite sur les études auxquelles il a été procédé en vue d'une nouvelle réglementation de la matière, puis nous émettrons des considérations .sur le régime à venir de notre approvisionnement en blé.

A. La culture des céréales et l'approvisionnement du pays en blé avant la guerre.

I.

Les anciens et imposants édifices qui rappellent dans nos villes le souvenir des « greniers publics » et les vieux moulin«, en partie silencieux aujourd'hui, qu'on rencontre un peu partout dans la| campagne, attestent qu'il fut un, temps chez nous où la culture des céréales était très répandue et très ;prospère, de la plaine jusque dans les plus hautes vallées.

En ce temps-là, le cultivateur avait coutume de mettre son .grain en réserve pour subsister d'une récolte à l'autre et de Feuille fédérale. 76e année. Vol. II.

29

414

ne e vendre que son superflu. De l'époque qui va du 16e au 18 siècle, on a conservé des édits qui cherchaient à réglementer la culture et l'emploi des céréales, le commerce, lèsprix, l'entrée et la sortie des grains, ainsi que la meunerie; ces édits avaient pour but d'empêcher la hausse et la spéculation et d'assurer la subsistance des populations. Quand la récolte était abondante et que le grain était à bon marché, l'autorité faisait précautionneusement remplir les greniers publics; elle les ouvrait dans les années de mauvaise récolte et de cherté. Elle agissait ainsi pour le bien du producteur et du consommateur et exerçait en même temps un effet régulateur sur les prix.

Jusque vers la fin du 18e siècle, le pays produisait luimême la plus grande partie des céréales nécessaires à l'ali-9 mentation en pain de sa population. Mais au cours du 19 siècle, les emblavures diminuèrent peu à peu au profit d<> la production du fourrage et de l'élève du bétail, tandis que la population, par suite du développement industriel notamment, s'accroissait dans uns mesure considérable. La quantité de céréales à importer pour subvenir aux besoins- du pays1 devint dès lors toujours plus grande. Jadis la traite des blés se faisait de contrées voisines, avec toutes les lenteurs et difficultés du roulage. Dans la seconde moitié du 19e siècle, grâce au progrès des communications, le marché du blé a embrassé les uns après les autres tous les pays producteurs et est ainsi devenu universel. Bientôt les blés nous arrivèrent du continent et des pays d'outre-mer d'une manière si abondante et si régulière qu'on en vint à penser assez générale-1 ment qu'il n'était plus nécessaire d'en cultiver dans le pays et de constituer des réserves de grain. En définitive, les prix descendirent si bas que les emblavures, auxquelles notre sol et notre climat se prêtent du reste moins bien qu'ailleurs, n'apportèrent plus aucune rémunération à nos agriculteurs et furent de plus en plus délaissées. Et pendant ce temps, où rien ne venait stimuler notre production de céréales et la soutenir contre la concurrence étrangère, la culture fourragère, déjà favorisée de la nature, l'élève du bétail et l'industrie laitière se voyaient encore puissamment secondés par la hausse de leurs produits et par les profits de l'exportation.

On peut dire estimativement
que notre production nationale a suffi pour subvenir à la consommation de pain de la population suisse: vers le milieu du 19e siècle, pendant 290 àe 295 jours de l'année; dans l'avant-dernière décennie du 19

415

siècle, pendant 157 jours de l'année; dans la première décennie du 20e siècle, pendant 60 à 70 jours de l'année.

En admettant que la, consommation annuelle par tête de population était de 170 kg;., le secrétariat de l'Union suisse des paysans a calculé en 1908 ainsi qu'il suit la quotepart de la production nationale à l'alimentation en pain: Années

Consommation annuelle moyenne quintaux

1876--1885 1886--1895 1896--1905 1906--1907

4814000 5 059 000 5 626 000 5 964 000

Importation qmn aux

%

Production du pays

»/o

quintaux

2 684 000 55,75 2 130 000 44,25 3 355 000 63,3 1 704 000 33,7 4 220 000 75,o 1 406 000 25,o 5 000 000 83,a 964 000 16,2

Selon la statistique fédérale des exploitations de 1905, les emblavures, y compris celles d'avoine et d'orge, n'occupaient plus à cette époque qu'une superficie de 134000 hectares. Dans les années qui suivirent, elles ont continué de diminuer et immédiatement avant la guerre elles pouvaient encore atteindre à peu près 100000 hectares, fournissant un rendement annuel d'environ 200 000 tonnes de grain et 500000 tonnes de paille.

Les meuniers et les marchands de grains ont perdu peu à peu tout intérêt pour les blés du pays et les petits moulins à façon se sont vu de plu,s en plus évincer par les moulins de commerce, mieux outillés et plus puissants. Depuis la fin du siècle dernier jusqu'au début de la guerre, en 1914, une partie toujours plus grande du grain produit dans le pays a été employée à la nourriture des bestiaux. Sous l'effet de ces circonstances défavorables, notre culture des céréales a subi un nouveau recul durant les dix dernières années qui ont précédé la guerre, à tel point qu'en définitive la production nationale ne fournissait plus qu'un huitième environ du grain nécessaire à la consommation de pain de la population suisse.

II.

Si notre approvisionnement en grain pouvait être considéré comme assuré en temps normal, le fort recul de la culture des céréales dans le pays n'en était pas moins de nature à

416

faire naître de sérieuses inquiétudes quant aux difficultés d'importation qui viendraient à se produire dans certaines conjonctures. Il fallait se demander en effet ce qui se passerait si tout d'un coup les arrivages de blé étranger devenaient insuffisants ou cessaient même complètement, soit que les pays producteurs eussent prohibé l'exportation, soit que les transports par terre ou par eau fussent coupés. Que pareille situation durât quelque temps, et c'était le pain cher, la disette et le trouble dans le peuple! Dès la fin du siècle dernier, des esprits avisés n'ont cessé d'attirer l'attention publique sur ce danger, et la question a été souvent débattue dans la presse, dans des publications spéciales, dans des assemblées publiques, ainsi qu'aux chambres fédérales. L'opinion générale qui s'est ainsi fait jour, c'est que l'Etat doit prendre les mesures voulues pour épargner à notre pays, notamment en cas de guerre, une disette de pain qui l'acculerait à la misère et peut-être à la famine. Force est toutefois de reconnaître que les avis restaient partagés quant aux moyens à employer pour atteindre ce but.

D'un autre côté, la crise agricole de la fin du siècle dernier fit naître un mouvement qui visait à obtenir des interventions de l'Etat pour encourager la culture des céréales dans le pays; on voyait là un moyen de remédier à la crise.

Le Conseil fédéral et les Chambres fédérales furent appelés à s'occuper de la chose, et leurs délibérations eurent pour résultat que, dès 1896, l'administration militaire fédérale fit des achats de grain du pays; ces achats n'atteignaient cependant que 10 à 30 wagons par année, et ils ne pouvaient dès lors exercer aucun effet quant à l'encouragement de la culture des céréales et à la sauvegarde de notre subsistance. De même, les efforts tentés en vue de faire bénéficier notre production nationale d'une modeste protection douanière par un relèvement des droits d'entrée sur le grain, restèrent vains. Depuis des lustres, la taxe était de 30 centimes les 100 kg; pour des raisons d'ordre purement fiscal, elle a été élevée erà 60 centimes par le tarif d'usage en vigueur depuis le 1 juillet 1921.

Le danger de la dépendance croissante où se trouvait notre pays envers l'étranger quant à sa subsistance en pain est apparu avec une nouvelle évidence chaque fois que l'horizon
politique international s'assombrissait et qu'on pouvait redouter un conflit armé entre les Etats qui nous avoisinent.

Au Conseil national, les motions Scherrer-Füllemann et Bal-

417

mer donnèrent lieu à une discussion approfondie de cette question vitale.

Le 19 juin 1908, la motion Soherrer-Fullemamn fut déclarée prise en considération dans la teneur suivante: «Le Conseil fédéral est invité à faire un rapport et des propositions sur la question de savoir s'il n'y a pas lieu de reviser l'article 31 de la Constitution fédérale à l'effet d'introduire le monopole fédéral du commerce des céréales et de la farine ». -- Dans son exposé, l'auteur de la motion invoqua d'une part la forte diminution de la culture des céréales dans le pays, l'augmentation correspondante et toujours plus grande des importations de blé, 1© renchérissement du pain, causé selon lui par les bénéfices excessifs des marchands de grains et des grands moulins de commerce, et d'autre part la nécessité d'assurer notre subsistance en pain par la constitution de fortes réserves de blé. On se trouvait alors précisément sous le coup du différend douanier avec l'Allemagne connu sous le nom de « conflit des farines », dont la cause résidait en ceci que ce pays, par l'application d'une espèce de prime d'exportation, faisait une concurrence sensible à la meunerie suisse et la menaçait même dans son exis:tence.

La motion Balmer, du 19 juin 1912, fut traitée au Conseil national en décembre de la, même année et prise en considération dans la teneur suivante: «Le Conseil fédéral est invité à présenter à bref délai un rapport et des propositions sur les mesures qu'il y a lieu de prendre pour augmenter l'approvisionnement de la Suisse en blé ». -- Dans ces délibérations également fut proclamée la nécessité de prendre des mesures pour garantir notre subsistance en pain.

On préconisa plus particulièrement l'encouragement de la culture des céréales daas le pays et la constitution de risserves de grain assez forites pour suffire à la consommation pendant au moins deux ou trois mois. D'autres moyens encore fut signalés: réduction des taxes de transport sur nos voies d'amenée méridionales, diminution des taxes d'entrepôt en Suisse, introduction d'un droit d'entrée modéré sur les céréales. Différents systèmes furlent envisagés quant au rôle à jouer par la Confédération: emmagasinage dans des entrepôts fédéraux, monopole direct, concession du commerce des grains et de la meunerie sous obligation pour les concessionnaires de garder
toujours des provisions d'une certaine importance.

Le Cjgnseil fédéral fit un premier pa,s dans le sens des desiderata exprimés, en ordonnant une augmentation des

418

réserves de grain de l'administration militaire fédérale, qui devaient dès lors représenter une quantité de 3000 wagons à 10 tonnes.

A la suite de la motion Scherrer-Füllemann, il avait, en 1908, chargé le Dr E.-W. Milliet, directeur de la régie fédérale des alcools, de l'étude de la question d'un monoyole fédéral des grains. M. Milliet présenta son étude sous la forme d'un projet comprenant un nouvel article consti-' tutionnel et une loi d'exécution. Pour celle-ci, il y avait deux variantes, l'une prévoyant un simple monopole d'achat et de vente, l'autre un monopole de fabrication à côté du premier. Le projet fut soumis à une commission d'experts, qui le discuta dans ses séances des 5 et 12 mars 1909 et le déclara techniquement réalisable. Se fondant sur les délibérations de cette commission et sur la première variante (sans monopole de fabrication), l'auteur établit un nouveau projet portant la date du 26 juin 1909 et accompagné d'un exposé des motifs. Selon ce projet, le monopole se serait appliqué au froment, à l'épeautre et au seigle, ainsi qu'aux produits de la mouture de ces céréales; la Confédération aurait eu à acheter les espèces de grains propres à une alimentation rationnelle en pain et à en constituer des réserves, lesquelles en règle générale auraient dû représenter le tiers au moins de la consommation annuelle moyenne de froment; l'administration du monopole aurait été tenue d'acheter les froments et épeautres du, pays à elle offerta à l'état panifiable par les moulins ou les coopératives d'entrepôt concessionnés, le prix d'achat devant correspondre pour la marchandise de qualité irréprochable à la moyenne des prix de vente appliqués à l'époque par la, régie en ce qui concerne les blés étrangers; la régie aurait eu .le droit d'établir des moulins à elle, en acquérant autant que possible des moulins privés existant au moment de l'introduction du monopole.

Ce projet n'aboutit avant la guerre à aucun résultat pratique.

B. L'approvisionnement du pays en blé pendant et après la guerre.

III.

1. Avant même que les diverses administrations fédérales chargées d'examiner le problème complexe de noS-e approvisionnement en blé eussent terminé leurs travaux, la guerre

419

éclatait à la fin de juillet 1914. Mieux que toutes les considérations théoriques et les propositions émises jusqu'alors, ©Ile vint .nous indiquer impérieusement la voie à suivre.

Il est vrai de dire qu'elle ne nous prit pas tout à fait au dépourvu quant à notre subsistance en pain. La France et l'Allemagne venaient de s'engager envers le Conseil fédéral à laisser passer par leur territoire, même en cas de guerre, les envois de blé destinés à la Suisse. L'armée disposait, dans ses propres magasins, de 2500 wagons de blé *). Nous ne possédons pas de données statistiques sur les autres provisions de grain et de farine que nous avions alors. On peut cependant estimer à 2500 wagons*) les grains qui étaient emmagasinés dans les entrepôts publics pour le compte de particuliers. Il y a lieu d'ajouter à ces quantités les stocks de blé et de farine qui se trouvaient chez les meuniers et les boulangers et pouvaient représenter 4200 wagons*) environ.

Mais ces provisions n'eussent pas tardé à s'épuiser.

En outre, les quantités qui étaient en route à destination de la Suisse, par la voie du Rhin ou par rail, et celles qui se trouvaient encore emmagasinées en Allemagne se chiffraient par 2600 wagons*) environ. Le gouvernement allemand en autorisa l'exportation, à condition que le blé fût acheté par le gouvernement suisse et consommé en Suisse. La France posa la même condition, lorsqu'elle autorisa l'exportation et le transit des céréales destinées à notre pays.

2. Dès le début des hostilités, le trafic international ainsi que le marché universel furent bouleversés à t?l point que le négoce privé ne fut plus en état d'assurer l'approvisionnement du pays en céréales. La Confédération se vit dono forcée d'y pourvoir sans retard, afin de tranquilliser la population.

Aussi le Conseil fédéral créa-t-il, tout au commencement de la guerre,, un service spécial, le bureau fédéral des blés, qui relevait du département militaire. Ce service eut tout d'abord pour tâche de ' faire entrer dans le pays les grains qui se trouvaient encore en Allemagne, puis d'organiser l'approvisionnement du pays en blé. Le bureau s'employa à obtenir du blé des pays d'outre-mer et à en assurer le transport à travers les pays de l'Entente. Le commerce privé s'étant avéré impuissant à faire entrer dans le pays les quantités de blé indispensables, là Confédération exerçait en fait un véritable monopole d'importation. Celui-ci fut consacré par l'arrêté *) wagons à 10 tonnes.

420

du Conseil fédéral du 9 janvier 1915 sur l'importation des.

céréales, farines et matières fourragères.

Pendant toute la durée de la guerre et de l'après-guerre, la régie a assuré avec plein succès l'approvisionnement du pays en grains. Grâce à des achats conclus en temps opportun et grâce à l'utilisation de tous les moyens de transport disponibles, elle put former des réserves qui s'accrurent peu à peu. Ces réserves nous furent d'un grand secours durant la crise.

Le tableau ci-après mentionne les quantités de céréales panifiables et de farines boulangères importées par le bureau fédéral des blés: Année

Froment tonnes

1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923

346809 330547 577998 201219 54934 388331 417096 421602 371 360 455341

Seigle tonnes

Farine tonnes

-- 660 1439 10647 15446 37714 -- -- 1000 164

-- -- -- -- 102333 17090 3061 -- 8 466* 150

Jusqu'au milieu de l'année 1917, la régie put acheter le blé à son gré. Les grains qu'elle importa provenaient à peu près exclusivement du Canada, des Etats-Unis et, plus tard, de la République Argentine. Les bourses américaines des grains ayant été fermées en juillet 1917, le gouvernement des Etats-Unis se chargea lui-même du contingentement et de l'exportation des céréales destinées aux Alliés et aux pays neutres. La répartition du contingent s'opérait par les soins du Wheat Executive Committee à Londres. Depuis lors et jusqu'à la fin de la guerre, la régie fut obligée d'accepter la marchandise que l'étranger voulait bien lui adjuger; il s'agissait non seulement de grain, mais aussi de farine. Dès le début de l'année 1920, la régie put de nouveau acheter en.

toute liberté. Elle cessa alors d'importer de la farine et parvint à se procurer en Europe;certaines quantités de blé; * Farine importée de Roumanie en vertu d'une convention passée entre le Conseil fédéral et le gouvernement roumain.

421 modestes au début, ces quantités allèrent toujours en augmentant.

Le tableau ci-après indique d'une part les quantités de blé que la régie a fournies en vue de ravitailler le paya, d'autre part les stocks de grains dont elle disposait à la fin de chacune des années 1914 à 1923: Année

livraisons annuelles*

1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923

9217 39334 48 516 40176 25 827 46194 41 202 45873 48 086 48 482

wagons à 10 tonnes)

réserves au 31 décembre'"' (wagons à. 10 tonnes)

2496 8660 · 19 781 6 542 6 793 12 404 9 300 18407 13 973 21 216

Pour faire durer les provisions de blé, il a fallu, du 21 janvier au 31 août 1918, additionner la farine boulangère de 20 à 30% de farine de maïs et de farine de riz. A cet effet, le bureau des blés a livré, en l'année 1918, 2088 wagons de maïs, 1438 wagons de riz et 100 wagons de farine de riz (wagons à 10 tonnes).

3. D'importantes quantités de grain ont pu être économisées grâce à diverses mesures, parmi lesquelles nous citerons: l'interdiction d'employer les céréales panifiables et la farine pour l'alimentation du bétail et de la volaille, les prescriptions concernant la mouture, d'après lesquelles le blutage devait atteindre un maximum de 92%, l'interdiction de fabriquer de la farine blanche et du pain blanc, l'obligation temporaire de mélanger la farine de maïs et de riz à la farine de boulange. Comme les belligérants resserraient de plus en plus leur étreinte économique, l'autorité fédérale se vit obligée de prescrire l'intensification de la culture des céréales et des pommes de terre et0 de rationner la consommation du pain. La carte du pain fut introduite dès le 1er octobre 1917; elle fixait la ration normale à 250 grammes par personne et par jour; plus tard, cette ration fut réduite temporairement à 225 grammes. Le coupon * Ces quantités comprennent aussi des blés du pays et de la farine. Les chiffres du.tableau n'expriment que le poids en grains, 100 kg de blé ayant été inscrits pour 70 kg de farine.

422

de farine donnait droit à 500 grammes, puis à 350 grammes par personne et par mois.

4. Lorsque la guerre éclata en juillet 1914, les blés du pays promettaient beaucoup. La 'moisson se fit dans de bonnes conditions. Efficacement secondé par les autorités cantonales et communales, par les associations agricoles, les établissements d'expérimentation et d'enseignement agricole, le département fédéral de l'économie publique fit une propagande en vue d'amener les cultivateurs à intensifier de leur propre chef la culture des céréales, des pommas de terre et des légumes.

Cette propagande fut féconde et eut pour effet d'augmenter dans une notable mesure le rendement des récoltes. Les paysans suisses contribuèrent de bonne grâce au ravitaillement du pays. On vit d'ailleurs une grande partie de la population non agricole travailler le sol pour an tirer les produits les plus divers. L'autorité fédérale prit des mesures pour procurer au pays des semences, des engrais chimiques et des matières fourragères.

Etant ainsi stimulés, les travailleurs du sol déployèrent de grands efforts pour intensifier la culture des céréales et d'autres plantes alimentaires. Des prescriptions ayant été décrétées à cet effet, ils s'y conformèrent. Par arrêté du 3 septembre 1917, le Conseil fédéral ordonna que les emblavures en automne 1917 dépasseraient de 50000 hectares les surfaces ensemencées en automne 1916 et au printemps 1917. H ne fut pas possible d'atteindre ce chiffre; l'effort donné par l'agriculture suisse a été cependant considérable; en effet, les emblavures augmentèrent de 31875 hectares de céréales d'automne et de 7 000 hectares de céréales de printemps.

En 1918, la statistique des surfaces cultivées accusait 56 364 hectares de blé d'automne, 27 004 hectares d'épeautre, 19 500 hectares de seigle d'automne, 6074 hectares de méteil, 255 hectares d'engrain et d'amidonnier, 8 468 hectares de céréales de printemps et de mais, 989 hectares d'orge d'automne, 31611 hectares d'avoine et d'orge de printemps, soit au total 150265 hectares représentant un rendement en grains de 217'898 tonnes, non compris les quantités employées comme semences.

Voici d'ailleurs les quantités de céréales du pays qui furent livrées au bureau des blés en 1917 et 1918.

Récolte

Céréales panifiables tonnes

Avoine, orge et maïs tonnes

Total tonnes

1917 1918

35790 88328

1540 2684

37330 91012

423

A la même époque, de nombreux cultivateurs employèrent pour leur propre alimentation le blé qu'ils avaient cultivé.

Le nombre de ces cultivateurs et des personnes qui faisaient commun ménage avec eux atteignit, en 1917/18, 658 472 et, en 1918/19, 907 813, dont 235 345 en 1917/18 et 400 894 en 1918/19 trouvèrent dans le produit de la récolte les quantités de blé nécessaires à leur alimentation durant toute l'année.

En résumé, notre subsistance en pain a été assurée, pendant la période la plus critique de la guerre, non seulement par les mesures décrétées en vue d'économiser les céréales panifiables, mais par deux autres moyens: la formation de réserves de grain, la Confédération tirant parti de toutes les possibilités d'importer, et l'intensification de la culture des céréales, des pommes de terre et des légumes.

Si l'un ou l'autre de ces moyens avait été négligé, notre pays eût manqué de pain.

IV.

Pendant la guerre, le problème du pain devait évidemment préoccuper les Chambres fédérales. C'est ainsi que les motions présentées en décembre 1914 par MM. Balmer et Moser-Schar donnèrent lieu, en avril 1915, à une nouvelle discussion au Conseil national. La motion Balmer était ainsi conçue: «Le Conseil fédéral est invité à faire rapport sur les mesures à prendre pour encourager la culture indigène des céréales. » Quant à la motion Moser-Schär, elle avait la teneur que voici: «Le Conseil fédéral est invité à présenter un rapport aux conseils législatifs sur les mesures qu'il compte prendre pour encourager la culture indigène des céréales et de la pomme de terre. » Ces deux motions furent discutées simultanément et adoptées, le Conseil fédéral ayant en outre été chargé de rechercher les mesures propres à développer la culture maraîchère.

Le débat au Conseil national ne se limita pas aux questions soulevées par les deux motions, mais il s'étendit au problème général de notre approvisionnement en céréales et en denrées d'alimentation. Les mesures que le Conseil fédéral avait déjà prises et se proposait de prendre encore en vue d'accroître la production des plantes alimentaires furent approuvées.

Divers orateurs constatèrent derechef que la culture des céréales, des pommes de terre et des légumes avait fortement diminué en Suisse et même avait presque entièrement dis-

424

paru dans certaines régions. Ils soulignèrent que les paysans de ces régions avaient ainsi abandonné le moyen le plus efficace de contribuer à l'alimentation du pays. Ils insistèrent sur le fait que cette situation, déjà anormale en temps de paix, aurait pu amener une catastrophe en temps de guerre.

On releva l'importance de la culture des pommes de terre et des légumes et on recommanda de soutenir les moulins agricoles et les syndicats créés en vue de l'emmagasinement et de l'utilisation des céréales du pays. Se fondant sur les expériences faites durant la guerre, la plupart des orateurs déclarèrent que le monopole du blé devait être limité à l'importation, es qui n'exige pas un grand appareil administratif.

Le représentant du Conseil fédéral, acceptant les motions, constata que les intérêts généraux du pays et ceux de l'agriculture sont solidaires et que, par conséquent, la culture des céréales, des pommes de terre et des légumes doit être encouragée. Il reconnut qu'elle peut l'être dans une large mesure par l'enseignement, l'amélioration des procédés techniques, la sélection, la fourniture de bonnes semences, l'organisation de la vente, l'emmagasinement et l'utilisation rationnelle de la récolte. Cependant, il exprima l'avis gué ces moyens, si efficaces fussent-ils, n'amèneraient pas l'agriculteur à modifier son système d'exploitation, le recul dans la culture des céréales tenant surtout au prix insuffisant des grains, qui ne permettait pas au cultivateur, avant la guerre, de faire face à ses frais de production. Le représentant du Conseil fédéral ajouta que l'encouragement de la culture des céréales dans le pays constitue un important élément du programme à réaliser pour assurer notre subsistance et qu'en produisant plus de blé nous atténuerions les difficultés que pourrait rencontrer notre ravitaillement.

V.

Vu l'insécurité de la situation politique et économique après la guerre, on jugea nécessaire de continuer à encourager la culture des céréales dans le pays. D'ailleurs, les autorités devaient tenir compte des grands sacrifices consentis par nos paysans du fait que les prescriptions sur la culture obligatoire des céréales et des pommes de terre les avaient obligés à transformer leur système d'exploitation. La Confédération s'engagea à acquérir à des prix déterminés le

425

grain panifiable produit dans le pays et dont le producteur n'aurait pas besoin pour son ménage. Un régime analogue fut aussi appliqué quelque temps aux pommes de terre. L'arrêté fédéral du 1er juillet 1922 tendant à encourager la culture du blé dans le pays fixa les prix que paierait la Confédération pour les grains provenant des récoltes de 1922, 1923 et 1924.

1. Le régime de notre approvisionnement en grain n'est pas demeuré immuable; il a toujours été adapté aux circonstances nouvelles. C'est ainsi que les interdictions d'employer des céréales panifiables et de la farine pour la nourriture du bétail et de la volaille, les dispositions sur le' contingentement des quantités de grains remises aux moulins et les prescriptions sur la mouture sont abrogées depuis longtemps. Il n'existe plus de restrictions au commerce et à l'utilisation des grains et de la farine à l'intérieur du pays, sauf que les grains livrés par l'administration des blés en vue de la transformation, doivent être moulus ou employés dans l'exploitation elle-même et ne peuvent être revendus tels quels qu'avec l'autorisation de la régie.

L'importation du froment, du seigle, de l'épeautre et des produits de la mouture de ces trois sortes de céréales, est exclusivement réservée à la régie.

En 1918, les affaires concernant l'alimentation du pays en pain passèrent du département militaire à l'office fédéral de l'alimentation, organisme administratif extraordinaire qui venait d'être créé. Cet office ayant été supprimé à la fin de l'année 1922, le Conseil fédéral les confia à une section spéciale dénommée « Administration fédérale des blés », qui relève du département de l'économie publique, division de l'agriculture. La dite section a sa propre comptabilité, distincte de celle du département.

Depuis le retour à la liberté du commerce international!

des céréales, la régie fédérale des blés achète les grains à l'étranger, en s'inspirant de principes commerciaux et en recherchant les sortes et qualités demandées chez nous.

Ces achats sont opérés soit par la régie directement, soit par l'entremise d'agents qui représentent de bonnes maisons.

L'importation des grains s'effectue par diverses voies de communication, suivant le lieu de destination et l'endroit où la marchandise doit être entreposée. A offres égales, la régie achète dans les pays où les marchés qu'elle conclut peuvent servir nos intérêts, par exemple favoriser nos exportations de produits industriels et agricoles.

426

L'approvisionnement du pays étant assuré par des réserves et das marchés déjà conclus, l'administration des blés peut, lorsque les prix sont à la hausse, restreindre ou même arrêter complètement ses achats et attendre qu'une baisse intervienne.

Aussi la régie achète-t-elle à des prix qui, en moyenne, sont inférieurs à la moyenne des prix du jour.

Les provisions de grains sont logées dans les moulins, dans les entrepôts des chemins de fer fédéraux, dans les silos et magasins de l'armée, ainsi que dans les greniers à blé appartenant à la Confédération et construits pendant la guerre. De temps à autre, c'est-à-dire lorsque les gros arrivages se succèdent sans interruption, l'administration des blés utilise aussi des entrepôts privés favorablement situés.

Nos stocks de céréales panifiables entreposés dans le pays représentent en général 10 000 à 15 000 wagons, dont 5000 environ se trouvent dans les moulins. Il y a lieu d'ajouter qu'à l'époque des battages et des livraisons de grain du pays, les stocks de blés étrangers na sont pas au complet et, pendant un certain temps, se chiffrent par 7000) wagons environ. Dans leur ensemble, les installations actuelles pour le logement des grains paraissent devoir suffire encore pendant de nombreuses années. Autant que possible, l'administration des blés loge son grain dans les greniers des moulins, c'est-à-dire à pied d'oeuvre. Seuls les excédents sont entreposés ailleurs efc, généralement, ils y séjournent durant un laps de temps assez long. A cet égard, on cherche à éviter tout transport inutile.

Quant à la liwaison des céréales du pays par les producteurs, elle s'opèreer oonformé-ment aux dispositions de l'arrêté fédéral du 1 juillet 1922. A la fourniture obligatoire par l'entremise des communes, système qui a prévalu jusqu'en 1920, a été substituée la livraison facultative aux syndicats agricoles et à leurs fédérations, qui 'reçoivent le grain pour le compte de la Confédération. En règle générale, chaque syndicat prend livraison du blé 'en deux fois au moins, dans la période d'octobre à fin l mars. Un supplément de prix qui tient compte des frais de magasinage et de l'intérêt du capital immobilisé est alloué pour le blé livré après le 1er janvier de chaque année; par contre, le prix du blé livré avant cette date est légèrement réduit, en raison du degré
d'humidité de la marchandise. Généralement, un délégué compétent de la fédération des syndicats taxe les grains .et en prend livraison; si possible, il est assisté du meunier auquel le

427

lot sera adjugé en tout ou en partie. Si la marchandise accuse des défectuosités, son prix est réduit en proportion. Des cours d'instruction sont donnés aux experts; un délégué compétent de la régie des blés coopère parfois à l'expertise. On cherche ainsi à établir l'uniformité dans l'évaluation du grain. Les divergences d'opinion, très rares d'ailleurs, qui s'élèvent entre l'expert et la fédération des syndicats et le meunier, sont tranchées par l'administration des blés. Dans la mesure du possible, le grain du pays dont la régie prend livraison est transporté directement au moulin appelé à en opérer la mouture. Pour épargner des frais de transport, on adjuge au moulin le plus rapproché de l'endroit où le blé a été récolté des lots qui peuvent atteindre le 40 o/o du total de son contingent. La mouture doit être achevée pour le printemps ou au plus tard pour le mois de juin de l'année qui suit la récolte. Les grains bien récoltés peuvent être conservés jusqu'à cette époque sans difficultés notables et sans grands frais de dessiccation.

Le tableau ci-après indique, pour chaque espèce de céréales du pays, les quantités livrées à la Confédération de l'année 1917 à l'année 1923: 1917 1918 1919 1920 1921 1922 1923 tonnes tonnes tonnes tonnes tonnes tonnes tonnes

Froment . . . . 13830 39502 29230 9593 49660 21200 48860 Seigle 12170 22936 15870 12325 21110 20300 22836 Epeàutre. . . . 8690 19343 9244 3836 14660 5230 10594 Méteil 1130 6374 3910 2065 7830 3430 8056 Engrain et amidonnier . . .

30 172 5 10 -- -- -- Orge, avoine et maïs 1480 2685 91 -- -- -- . -- Total 37330 91012

58350 27829 93260 50160 90346

(Note. Il n'a été offert à la Confédération aucune quantité notable do bl« du pays provenant des récoltes de 1914 à 1910.)

Aux meuniers qui en font la demande, la régie livre du blé du Days et du blé étranger; en règle générale, les moulins doivent le payer d'avance. Le prix varie suivant la qualité du grain; mais il est le même pour tous les moulins. La marchandise est rendue franco gare, du destinataire, ce qui est à l'avantage des moulins situés dans le centre

428

du pays et dans les régions montagneuses. Le blé commandé par un moulin est prélevé sur les stocks que la régie a entreposés dans les greniers de ce moulin. Les stocks sont complétés au far et à mesure des arrivages. Ls meunier et tenu de loger gratuitement une quantité de grain équivalente à trois fois la moyenne hebdomadaire de la quantité qu'il a moulue l'année précédente. La quantité ainsi logée représente actuellement 2600 wagons environ. Pour le surplus, la régie paie une indemnité de magasinage. En entreposant du grain dans les moulins, la régie épargne des frais de transport et de manutention. Le grain commandé par un meunier peut lui être livré rapidement, puisqu'il suffit de le prélever sur les lots emmagasinés chez lui. La régie livre aussi du blé pour l'aviculture. Ce blé se distingue facilement de celui du pays par la qualité et la conformation du grain; le moindre mélange se remarque aisément.

Au printemps de chaque année, la régie fournit aux syndicats agricoles et aux marchands grainiers des semences de blé printanier. Des qualités spéciales sont réservées à cet effet.

En principe, l'administration des blés n'importe pas de farine de boulange; elle, n'importe pas non plus de farine blanche, ni de semoule. La meunerie du pays opère donc la mouture de tout le grain acheté par la régie. Une modification de ce régime ne se justifierait que si nos moulins ne travaillaient pas d'une façon rationnelle et vendaient leurs produits à des prix surfaits. En hiver, l'agriculture suisse consomme une grande quantité d'issues de meunerie (farine fourragère, son); et généralement, nos moulins n'en produisent pas assez pour subvenir aux besoins. En été, au contraire, soit pendant toute la durée de l'affouragement en vert, l'inverse se produit. Aussi la régie délivre-t-elle à la fin de l'automne et en hiver, des autorisations d'importer des farines fourragères et du son. Mais aussi longtemps que les moulins peuvent faire face aux besoins du pays et livrer à des prix raisonnables, l'importation de ces matières est arrêtée.

Actuellement, l'administration des blés occupe à Berne 65 fonctionnaires et employés, à Lucerne, où se trouve le seul entrepôt qui soit desservi par du personnel de la régie, 13 ouvriers et 2 employés. Le service des magasins à grains d'Altdorf et d'Ostermundigen est assuré par le commissariat central des guerres. Le personnel de l'administration des entrepôts de la Suisse centrale pourvoit au service des maga-

429

:sins d'Aarau. Quant aux entrepôts des chemins d© fer fédéraux, on s'en sert d'après les conditions fixées par les règlements de cette entreprise. Lorsque la régie a besoin d'autres magasins pour y entreposer du grain, elle passe à · cet effet des contrats avec les intéressés.

2. En vertu des dispositions actuellement en vigueur, le ·cultivateur qui vend son blé à la Confédération bénéficie d'un prix de faveur, tandis qu'il ne retire aucun avantage de la 'Confédération s'il emploie son grain pour l'approvisionnement de son exploitation agricole, autrement dit s'il donne au blé ·qu'il a produit sa destination la plus naturelle: Pendant la .guerre et pendant les premières années de l'après-guerre, la situation était autre; le paysan avait quelque avantage' ià cultiver du blé pour sa propre subsistance.

Alors que la consommation du pain était rationnée, le producteur de blé avait le choix entre deux systèmes: ou bien il pouvait pourvoir à ses propres besoins et à ceux de son ·ménage en conservant, par année et par personne adulte, la récolte d'une emblavure de 9 ares, ou bien il avait à livrer toute sa récolte, ce qui lui donnait droit à la carte de pain. Si la culture était rationnelle et la récolte normale, le « producteur-consommateur » pouvait, en règle générale, s'assurer une quantité de pain supérieure à la ration fixée par la carte. Aussi, les producteurs ont-ils largement fait usage · du droit qu'ils avaient de pourvoir eux-mêmes à leur consommation.

Depuis le début de la guerre jusqu'en 1920, l'administration des blés payait généralement le grain du pays au même prix que celui auquel elle vendait le blé étranger importé par elle en vue d'assurer notre subsistance en pain. Pour que le pain ne fût pas trop cher, la régie vendait au-dessous de leur prix de revient les grains qu'elle importait. Depuis 1921, c'est l'inverse qui se produit; la régie achète les blés du pays à des prix qui dépassent de 10 à 15 francs la moyenne des prix auxquels elle vend le blé. Dans ces conditions, le producteur a tout avantage à ne pas garder de blé pour sa propre consommation et à vendre son grain à la régie, quitte à acheter lai farine et le pain dont il a besoin. Afin que le cultivateur conservât du grain pour sa consommation domestique, on a inséré dans l'arrêté fédéral du 1er juillet 1922 tendant à encourager
la culture des céréales panifiables une disposition d'après laquelle le producteur n'a le droit de livrer au prix -majoré que le blé produit par lui, déduction faite des Feuille fédérale. 76e année. Vol. IL 30

430

quantités nécessaires pour subvenir normalement aux besoinsde son propre ménage. On avait alors cru pouvoir s'abstenir d'allouer une subvention en faveur des producteurs-consommateurs, attendu que ceux-ci, pendant les années où le pain était fortement rationné, avaient bénéficié d'une situation privilégiée..

Mais il fallut tenir compte des engagements contractés au sujet de l'achat des céréales du pays par la Confédération. Le prix de 57 fr. les 100 kg. de froment, garanti pour la récolte de 1922, a été abaissé à 50 fr.; en revanche, la garantie de prix a été prorogée de 2 ans. Nous rappelons que déjà lors de la discussion du projet de l'arrêté précité, le Conseil national accepta deux «postulats» présentés par MM. les.

conseillera nationaux Gabathuler et Caflisch et demandant que la Confédération subventionnât la culture du blé pour la: consommation domestique, notamment dans les régions montagneuses.

3. Lors de la création du bureau des blés, l'autorité pensait pouvoir assurer l'approvisionnement du pays en grains,, sans gain ni perte pour la Caisse fédérale. Mais les prix des denrées ayant accusé, sur le marché international, une hausse pou r ainsi dire continue, l'application de mesures propres; à réduire le coût de la vie fut réclamée avec une insistance croissante dans le peuple et au sein de l'Assemblée fédérale.

Aussi les prix de vente des grains livrés par la Confédération ne suivirent - ils que lentement le mouvement de hausse des blés sur le marché international. En 1917, alors que le prix de revient des céréales panifiables atteignit un niveau sans précédent, le Conseil fédéral décida, afin de prévenir une nouvelle hausse de la farine et du pain, que le prix du grain vendu par la régie ne serait plus augmenté. Dès le3 juillet 1917, la régie vendit le froment à des prix qui n;e dépassèrent jamais, pendant plusieurs années, 64 fr. les 100 kg., marchandise rendue franco gare suisse de destination. Or, durant une longue période, le froment lui coûtait 80 fr. à 90 fr. les 100 kg. On ne s'était pas dissimulé que' cette mesure, prise dans l'intérêt du pays, allait imposer à la Confédération des sacrifices considérables. Elle absorba en peu de temps les bonis réalisés jusqu'en 1917 par l'administration des blés et se traduisit par de grosses dépenses,, surtout pour les années 1918 à 1920.
C'est uniquement à cette politique des prix, approuvéed'ailleurs par le Conseil fédéral et par l'Assemblèe fédérale, que doit être attribué le déficit de la régie des blés. Les-

431 consommateurs bénéficièrent de ce que celle-ci maintenait les prix du blé très bas et avait .acheté des stocks à des conditions avantageuses, d'autre part, la Confédération prit à sa charge la différence entra le prix du grain vendu par la régie (64 fr. les 100 kg.) et le prix de revient de ce gradii1.

Puis, lorsque les prix baissèrent, la Confédération supporta la moins-vahie que les provisions subirent de c» fait.

Le tableau ci-après indique les excédents de recettes et les excédents de dépenses résultant des mesures prises de 1914 à 1921 par l'administration des blés en vue d'assurer l'alimentation du pays en pain: Exercice Excédents de recettes Excédents de dépenses 1914/16 1917 1918 1919 1920 1921 Total

Fr.

Fr.

5 807 992.95 4887157.07 -- -- -- -- 10 695 150. 02

-- -- 54 869 665.04 55 770172.20 56 704 761.04 38573527.56 205 918 125. 84

L'excédent net de dépenses se chiffre donc par 195 222 975.82 fr.

Cette somme comprend entre autres un montant de 13 805 576.10 fr. affecté à l'abaissement du prix du pain en faveur des familles de condition modeste (oeuvre de secours). Oni a fait aussi entrer dans ce total de 195 222 975.82 fr.

le montant dei la moins-value subie par les stocks en raison de la forte baisse que les prix du blé accusèrent en 1921 sur le marché international.

Depuis le 1er janvier 1922, l'administration des blés fait face elle-même à ses dépenses. C'est ainsi qu'elle supporte, sans recevoir aucune allocation d© la Caisse fédérale, les frais de magasinage, la différence, entre le prix du blé importé et le prix auquel elle paie le blé du pays, les intérêts du fonds de roulement, ainsi que les frais d'administration.

Depuis le 1er janvier 1923, les recettes et dépenses de la régie des blés figurent dans le budget de la Confédération et dans le compte d'Etat. Les opérations accusent, pour l'année 1923, un excédent de recettes qui a été reporté sur l'exercice suivant.

Sont en outre compris dans la somme de 195 222 975.82 fr., tous les frais généraux et toutes les dépenses faites en vue d'en-

432 courager la culture des céréales dans le pays. Jusqu'en 1920, l'administration des blés payait, en règle générale, les céréales du pays au même prix que celui auquel elle livrait le blé étranger destiné à la subsistance du pays en pain. Or, nous avons déjà dit que les prix de vente du grain importé étaient en moyenne bien inférieurs au prix de revient de ce grain. En conséquence, la production de blé dans le pays allégeait alors la charge financière de la Confédération. Cette situation s'est modifiée depuis 1921. EU effet, vu la baisse du blé enregistrée sur le marché international et vu le prix garanti aux cultivateurs pour le grain du pays, celui-ci est payé par la régie à un prix qui dépasse notablement le prix de revient du grain importé. Le tableau ci-après indique les prix de revient des blés du pays achetés par la régie ainsi que les prix de revient des grains importés (les montants indiqués comprennent les frais de transport et les dépenses de tout genre, marchandise livrée franco gare suisse de destination aux acheteurs de la régie fédérale): .

A · d l 6 lu * 1

Blés dn pays Blés étrangers Economies réalisées Dépenses supplémenQuantité Pris de re- Prix de repar l'acquisition taires occasionnées par livrée vient par q. vient par q.

des blés da l'acquisition des q.

Fr.

Fr.

pays blés du pays Fr.

1917 !) 373 300 1918 910 120 583 500 1919 278 290 1920 1921 932 600 1922 501 600 903 461 1923

66.50 66.50 66.50 69.50 62.50 52.50 49.50

67. 52 75.69 73.16 73.92 57.85 35.40 32.27

Fr.

380 766 -- 8 364 003 -- 3 886 110 -- 1 230 042 -- 4 336 590 --· 9 078 9602) 16 766 6332) 13 860 921 30 182 183

La différence entre ces deux sommes, soit 16 321262 francs, représente le total des dépenses faites en faveur de la culture des céréales dans le pays. Ce total se réduirait si les quantités !) Pendant les années 1914 à 1916, la quantité de céréales du pays livrées à l'administration des blés a été très minime.

2 ) Depuis l'année 1922, les prix du blé vendu par la régie sont fixés suivant la qualité du grain. C'est la raison pour laquelle les prix moyens de vente des céréales du pays sont inférieurs, en règle générale, aux prix moyens de vente des blés étrangers.

La vente des blés du pays a accusé de ce fait une moins-.value de 501600 francs en 1922 et de 1200 000 francs en 1923. La première de ces sommes est comprise dans le montant de fr. 9078960, la seconde dans le montant de fr. 16 766 633.

433

de blé que les producteurs ont employées pour leur propre consommation ou ont mises sur le marché pendant les premières années de la guerre étaient portées en compte.

Depuis le 1er octobre 1923, l'administration des blés vend le froment à un prix qui varie, suivant la sorte et la qualité, de 32 francs à 35.60 francs les 100 kg., marchandise rendue franco gare suisse de l'acheteur. On critique parfois ces prix que l'on trouve trop élevés par rapport à ceux du marché international. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'au prix des grains achetés par la régie sur les places étrangères viennent s'ajouter les frais de transport jusqu'à la frontière suisse, le droit d'entrée en Suisse, les frais de transport de la frontière jusqu'à la gare où le meunier prend livraison du grain, les frais de magasinage, les frais d'administration et les suppléments payés pour le blé du pays.

Une partie de ces frais sont sujets à variations et seraient épargnés au commerce privé. Celui-ci ne constitue généralement que les provisions qui lui paraissent nécessaires pour assurer la marche normale de ses affaires, tandis que la régie doit disposer en tout temps de grosses réserves qui lui permettent de faire face pendant plusieurs mois aux besoins du pays. Le commerce privé a coutume de calculer ses prix franco frontière suisse, alors que l'administration des blés livre tous ses grains, franco gare suisse de destination. Les frais de transport à l'intérieur du pays représentent en moyenne 2.50 francs par 100 kg. de blé.

Mais c'est l'achat des céréales du pays qui a causé à la Confédération, ces dernières années, les plus lourdes dépenses.

Le commerce privé n'aurait pas à supporter le supplément de prix payé par la régie.

Les intérêts du fonds de roulement et les frais d'-administration de la régie représentent, en moyenne, par 100 kg. de grains vendus: Année

1917 1918 1919 1920 1921 1923

Intérêts

Frais d'administration

Fr.

Fr.

1.34 2.24 2.06 2.02 0.56V 2 0.46V 2

0.14 0.61 0.37 0.15 0. Il1/* 0.14V2

Total

Fr.

1.48 2.85 2.43 2.17 0.673/4 0.61

Sont comprises dans les frais d'administration pour les années 1918 et 1919, les dépenses occasionnées par le rationne-

434

ment du pain (carte de pain, contrôle). C'est ainsi que les comptes de 1919 sont grevés d'une somme de 576541.55 francs dépensée pour la confection et la délivrance des cartes de pain et de 222 695.85 francs pour le contrôle du rationnement.

D'autre part, le compte « frais d'administration » a été crédité, depuis 1922, du produit de diverses finances perçues par la régie, telles que les émoluments de chancellerie pour autorisations d'importation. Depuis le 1er janvier 1923, ces recettes font l'objet d'une rubrique spéciale. Elles ont atteint, pour l'année 1923, la somme de 106823.20 francs. Ce chiffre est de quelque peu supérieur à l'augmentation des frais d'administration pour l'année 1923. Jusqu'au 30 juin 1921, l'intérêt des avances faites par le Département fédéral des finances à l'administration des blés était fixé au taux d'escompte de la Banque nationale0 0 suisse, plus V2°/o; depuis le 1er juillet 1921, ce surplus de Vs / a été supprimé.

Les dépenses représentées- par les intérêts ont oscillé avec le prix des grains, l'importance des stocks et le taux de l'intérêt.

Du 1er juillet 1921 au 31 décembre 1923, le logement des grains a occasionné, en moyenne, une dépense de 43 centimes par 100 kg. de grain vendu (frais de manutention à l'entrée et à la sortie de l'entrepôt, finance de magasinage et assurance contre l'incendie). La majeure partie de la dette qui pesait sur les magasins de la régie ayant été amortie, les frais de magasinage ont diminué.

Les suppléments de prix payés pour les céréales du pays ont obligé la régie à relever de 2.75 francs en 1922 et de 3.90 francs en 1923 le prix du quintal de blé étranger vendu par elle. En 1922, la régie a acheté 5016 wagons, en 1923, 9035 wagons de blé du pays. A ce propos, nous rappelons que la récolte avait été déficitaire en 1922, tandis qu'elle fut très bonne l'année suivante. Cela explique pourquoi le compte de 1923 accuse une dépense plus considérable que celui de 1922, quand bien même la régie paya le quintal de blé du pays environ 3 francs de moins qu'en 1922. Les prix des céréales du pays provenant de la récolte de 1924 subiront une nouvelle réduction de 5 francs environ; peu à peu, le prix du blé du pays se rapprochera des taux du marché international, de sorte que la régie pourra abaisser ses prix de vente.

Enfin, notons qu'il ne sera vraisemblablement plus nécessaire de réduire dans une forte mesure la valeur d'inventaire

435

··des stocks de grains. En effet, les réserves qui existent aujourd'hui sont inventoriées aux prix actuellement en vigueur sur le marché international et il n'est guèrci probable que «ces prix accusent encore une baisse sensible et durable. Des amortissements n'ayant plus à être opérés, les prix du blé ·vendu par la régie diminueront d'autant. Le 31 décembre 1922, l'administration des blés a réduit la valeur d'inventaire de ses provisions de froment de 4 fr. par 100 kg., en moyenne; «elle a procédé à la même réduction le 31 décembre 1923.

C. Etudes faites jusqu'à présent en vue du nouveau régime à instituer.

VI.

1. En 'date du 26 juin, 1920, le Conseil fédéral chargeait l'office fédéral de l'alimentation, auquel incombait alors l'approvisionnement en céréales, d'étudier la solution à donner à la question de subsistance future du pays en pain ©t de lui présenter un rapport à ce sujet. En novembre 1920, l'office de l'alimentation présentait le rapport demandé*).

Celui-ci arrive à la conclusion que le monopole d'importation paraît être le meilleur moyen d'assurer la subsistance du pays en pain. Ce monopole permettrait de résoudre rationjiellement les problèmes posés, c'est-à-dire: assurer les réserves nécessaires de grain, encourager la culture des céréales dans le pays, sauvegarder l'existence de la meunerie suisse et stabiliser les prix du blé et du pain.

L'examen du rapport de l'office de l'alimentation, auquel nous renvoyons d'ailleurs, fit prévaloir alors au sein du Conseil fédéral un avis qui se résume dans les points .suivants, acceptés à titre de conclusions provisoires: · a. Il paraît indiqué de prendre des mesures législatives pour assurer d'une manière durable la subsistance en pain de la Suisse; b. la constitution de réserves de grain et l'encouragement de la culture des céréales dans le pays constituent des moyens propres à assurer l'alimentation en pain et à exercer, en général, une influence heureuse sur l'approvisionnement du pays en denrées .alimentaires et fourragères ;

*) Mesures à prendre pour assurer la subsistance en pain de la Suisse (rapport présenté par l'office fédéral de l'alimentation), Annuaire agricole de la Suisse, année 1921.

436

e. le maintien du monopole d'importation pour les céréales; panifiables et les produits de la mouture paraît être,, sauf plus ample informé, un moyen approprié pour arriver à résoudre le problème d'une manière rationnelle;: d. la constitution de stocks de matières fourragères complémentaires (provendes) pourra être limitée à l'avoine nécessaire à l'armée, attendu que les provisions de céréales panifiables renferment également des réserves de pareilles matières (issues de meunerie) et qu'en encourageant la culture des céréales, on en crée tout naturellement, par suite des règles de l'assolement, d'autres fort précieuses aussi sous forme de produits du sol de tout genre.

2. L'office de l'alimentation avait été chargé en mêmetemps de nommer, de concert aweö le département de l'économie publique, une commission composée de représentants des divers groupements intéressés (producteurs, consommateurs, meuniers, boulangers, commerce, industrie), à laquelle devait être soumise la question de la subsistance en pain.

Ont été convoquais aux séances de la commission, outre les délégués des groupements susmentionnés, des membres des Chambres fédérales qui s'étaient déjà occupés de la question, des personnes qui avaient fonctionné à l'office fédéral du pain, des représentants du département militaire et du département de l'économie publique, enfin des membresde la commission fédérale de l'alimentation. La commission, qui comptait ainsi 70 membres environ, siégea une première fois du 9 au 11 mai 1921, puis les 10 et 11 avril 1922. Les procès-verbaux des délibérations ont été imprimés et nous y renvoyons.*) En résumé, la commission était unanimement d'avis que des mesures à effet permanent devaient être prises par la Confédération pour assurer la subsistance en pain; l'accord était établi sur les points essentiels suivants: *) Pour assurer la subsistance en pain. Procès-verbal des délibérations de la commission consultative extra-parlamentaire, séances du 9 au 11 mai 1921 tenues dans la salle du Conseil des Etats à Berne. Annuaire agricole de la Suisse, année 1921. -- Procès-verbal des délibérations de la deuxième session de la commission consultative extra-parlamentaire, réunie à Berne les 10 et 11 avril 1922, dans la salle du Conseil des Etats. Annuaire agricole de la Suisse,.

année 1922.

43T

o. Il sera créé dans le pays des réserves de grain dont l'Etat puisse disposer en tout temps; 6. l'encouragement de la culture du blé dans le pays estnécessaire ou tout au moins désirable, comme moyen d'assurer la subsistance en pain et de favoriser la culture des pommes de terre et autres plantes alimentaires; c. une meunerie de pleine capacité doit être maintenuedans .le pays.

Mais les avis différaient quant aux moyens à employer pour résoudre le problème. Tandis que les représentants de certains groupements s'opposaient par principe au monopole d'importation proposé par l'office de l'alimentation, d'autres, préconisaient ce monopole avec non moins de vigueur. Cependant, aucune des nombreuses solutions proposées à la commission par les adversaires du monopole n'a trouvé grâcedevant celle-ci.

Dans sa séance de clôture du 11 avril 1922, la commission,, admettant que les solutions proposées pour régler la question de la subsistance en pain nécessiteraient une addition à la Constitution fédérale, décida de rendre compte de ses délibérations au Conseil fédéral et d'inviter celui-ci à soumettre à l'Assemblée fédérale un -projet destiné à fournir une base constitutionnelle pour les mesures à prendre.

L'accord n'ayant pu se faire quant au reste, la commission n'a pas présenté d'autres propositions.

Dans la même séance, la proposition avait été faited'instituer une sous-commission, qui serait chargée d'étudier à fond les divers projets présentés et, pour le cas où aucun d'eux n'offriraient de solution satisfaisante, d'examiner s'il n'y aurait pas lieu de rechercher la solution voulue dans la.

combinaison de deux ou plusieurs de ces projets. Au vote, il y eut égalité de voix sur cette proposition et le soin de trancher fut dès lors laissé au Conseil fédéral. Par la suita, quinze des membres de la commission s'adressèrent par écrità ce dernier pour lui demander de nommer une commission' d'études restreinte. Le 14 juillet 1922, le Conseil fédéral instituait cette commission, qui comptait neuf membres efe était chargée de trouver une solution sans monopole d'importation, dans le cadre ou à côté des projets existants. Vu la tâche spéciale a elle dévolue, la commission d'études fut composée essentiellement de membres de la grande commission qui avaient proposé des solutions faisant abstraction du monopole d'importation, ou qui s'étaient plus particulière-

438

ment occupés de pareilles solutions. La commission présenta son rapport au Conseil fédéral en mars 1923*).

La commission a repris l'idée des bons d'importation Démise par M. le conseiller national Steiner, de Malters, et proposé de résoudre le problème sur la base suivante: la Confédération est tenue de pourvoir à l'alimentation du pays >en pain, en encourageant la culture des céréales sur notre territoire, en formant des réserves de grain et en faisant ce 'qu'il faut pour maintenir la vitalité de la meunerie suisse.

Pour subvenir aux frais des mesures prises à cet effet, il sera perçu sur le grain un droit d'entrée de 2 francs les 100 kg.

En outre, pour autant que le produit des droits d'entrée serait insuffisant, un crédit annuel sej-a inscrit au budget jusqu'à concurrence de 500000 francs pour encourager la constitution de stocks de céréales du pays.

Quiconque moud pour son propre compte ou pour le compte d'autrui du grain de boulange produit dans le pays, a droit, dans une proportion déterminée, à des bons d'importation pour introduire en franchise de douane du blé étranger. La proportion sera indiquée dans la loi et pourra être fixée pour commencer à 1:3, autrement dit, pour 100 kg.

de grain du pays qu'il aura moulu, l'intéressé pourra importer 300 kg. de blé étranger exempt de droit d'entrée. On créerait ainsi, comme le conçoivent du moins les auteurs du projet, une espèce de prime de mouture en faveur du grain du pays, prime qui représenterait une valeur de 6 ou de 8 francs. La proportion pourra être modifiée plus tard par le Conseil fédéral selon les ressources disponibles. De plus, la Confédération devra encourager la culture des céréales dans le pays, en contribuant à l'amélioration de la technique, notamment par la sélection des semences employées, et en subventionnant la garde de provisions de grain. Elle «onstituera une réserve permanente pour le cas de nécessité; en règle générale, cette réserve devra représenter la consommation moyenne du pays pendant deux ou trois mois et être renouvelée suivant les besoins. Etn ce qui concerne la meunerie, elle prendra les mesures nécessaires pour que ·cette industrie soit conservée au pays dans toute sa vitalité et toute isa capacité de production.

D'après le projet, l'importation des céréales, ainsi que *) Le problème du blé, mesures destinées à assurer le ravitaillement du pays. Rapport de la Commission d'études instituée par le ·Conseil fédéral. Mars 1923.

439

le commerce des grains à l'intérieur du pays, restent absolument libres. Afin de parer aux difficultés que pourrait rencontrer l'identification des grains du pays, avantagés par rapport
Celle-ci, sur le vu du certificat d'origine et de lai déclaration de ·mouture, délivrera les bons d'importation, lesquels seront établis au nom du meunier, mais pourront librement être transférés par endossement. Le meunier les remettra sur demande au producteur ou au fournisseur du grain» Les bons d'importation, valables pendant une année, pourront être présentés à tout bureau de douane suisse pour servir au dédouanement du blé étranger. Ils pourront aussi être présentés dans les trois mois de leur émission à la Caisse fédérale ou à toute autre caisse publique, qui en versera la contre-valeur en espèces.

Pour l'application de la loi, le projet prévoit l'institution d'une régie fédérale des blés rattachée au département de l'économie publique. Cette administration sera chargée, sous la surveillance du Conseil fédéral et conformément à ses instructions, de la gestion des réserves de blé, du contrôle relatif à la délivrance des certificats d'origine par les communes et aux déclarations de mouture faits par les meuniers, enfin, de la délivrance des bons d'importation.

Des neuf membres de la commission, six ont accepté le projet, deux (MM. le prof. Dr Laur et B. Jäggi) votèrent contre, tandis qu'un autre s'abstenait.

VII.

1. Le secrétariat de l'Union suisse des paysans a opposé au projet de la commission d'études un projet de loi qui repose sur les principes suivants: En vue d'assurer notre alimentation en pain, la Confédération favorisera en partâc«.lier le développement de la culture des céréales dans le pays, constituera des réserves de blé, encouragera la garde de pro-

440

visions de grain par les particuliers et pourvoira au maintien d'une meunerie suisse de pleine capacité.

Comme mesures propres à favoriser le développement de la culture des céréales dans le va/y s, le projet prévoit ceci: Inscription au budget de la Confédération d'un crédit annuel de 500000 francs 'au moins, affecté à l'amélioration de la technique culturale, spécialement en ce qui concerne la sélection des semences, et à l'encouragement de l'emmagasinement coopératif. -- Achat par la Confédération du grain de boulange produit dans le pays, à un prix dépassant de 10 franc» par 100 kg. celui auquel revient le 'grain étranger de même qualité pris à l'entrepôt en Suisse, tous frais de transport) et droits de douanes acquittés. -- Allocation au producteur d'une prime de mouture de 10 francs par 100 kg. de grain employé sous forme ide pain ou die farine à la consommation de soi* ménage. La prime de mouture peut être augmentée pour le grain récolté dans les régions montagneuses et servant à la propre consommation du producteur. -- Pour le grain de semences produit dans le pays et provenant de cultures visitées, il est alloué par l'intermédiaire -des associations de sélectionneurs reconnues une prime de 12 à 15 francs par 100 kg.

-- Les glaneurs sont assimilés, en principe, aux cultivateurs produisant pour leur propre alimentation. -- Le contrôle serait simplifié par 1© concours des Fédérations de syndicats agricoles.

D'un autre côté, la Confédération constitue des réserves permanentes de gr-ain ~du pays et de grain étranger suffisantes pour subvenir pendant trois mois au mo\ins à la subsistance, en pain de la population. -- Si l'écoulement des provisions ainsi amassées laissait à désirer, le Conseil fédéral pourrait édicter des restrictions d'importation pour les blés et contingenter les importateurs en proportion des achats qu'ils font dans le pays.

Le projet élaboré par l'Union suisse des paysans établit, en outre, le principe que la Confédération doit prendre les mesures nécessaires « pour maintenir dans le pays une meunerie de toute vitalité et capacité ». A cet effet, l'autorité pourra édicter des restrictions d'importation relativement à la farine boulangère.

On couvrirait les frais au moyen du produit des droits d'entrée sur les céréales et les farines. Le déficit, 8 à 10 millions par année, estime-t-on, serait supporté par la Caisse fédérale.

441

2. M. B. Jaeggi avait soumis à la grande commission d'experts une solution consistant dans une organisation coopérative qui iaurait été constituée selon le code des obligations et qui aurait porté le titre de : « Coopérative suisse poivr l'approvisionnement en blé ». La Confédération aurait participé à cette organisation en souscrivant, au minimum, le 51 »/o du capital social. Auraient pu être admis à côté d'elle <ïomme membres de la coopérative, les cantons, les communes, .les groupements de producteurs et de consommateurs et autres personnes morales, ainsi que les particuliers. La so·ciété aurait fait le commerce des grains sous le régime 'de la libre concurrence; elle aurait acheté d'après les instructions de l'autorité fédérale la récolte du pays à un prix supérieur .au prix normal contre remboursement de la différence, et aurait pourvu à l'existence des réserves nécessaires.

Après la clôture des travaux de la commission restreinte, .·M. Jaeggi modifia sa proposition en lui donnant la teneur suivante:' La Confédération prend les mesures voulues pour assurer l'approvisionnement du pays en céréales, farine et pain, sans avoir toutefois le droit exclusif d'importation du .grain. La culture des céréales dans le pays sera encouragée par le moyen de primes à la culture, calculées suivant la .surface ensemencée et allouées avec la participation des communes et des cantons. La Confédération achète et vend -sous le régimle de la libre concurrence du grain du pays et de l'étranger et entretient des réserves permanentes de blé assez fortes pour subvenir aux besoins moyens du pays pendant deux ou trois mois.

Les dépenses résultant de l'allocation des primes de culture, ainsi que de l'entretien des réserves, seraient supportées par la Confédération.

3. Au mois d'avril 1923, MA le député Balmer déposa au Conseil national une motion invitant le Conseil fédéral à présenter un rapport sur la question de savoir s'il n'y aurait pas lieu de compléter l'article 31 de la Constitution par la disposition suivante: ,,La Confédération a le droit de prendre les meswres nécessaires pour assurer la subsistance du pays en pain et pour encourag^er la cultore des céréales en Suisse».

Le projet de loi que M. Balmer a publié à cette occasion prévoyait que la Confédération garantirait pour le grain panifiable du pays un prix qui, dans les conditions actuelles, .serait de 8 à 10 francs supérieur aux prix du marché inter-

442

national. Une prime du même montant serait allouée au cultivateur pour le grain produit par lui et employé à l'alimentation de son ménage. La majoration de prix et la prime varieraient selon les conditions du moment. Les moulins seraient tenus d'accepter le grain du pays acheté par la Confédération, aux prix payé par celle-ci, plus une majoration de un ou deux francs les 100 kg. représentant les frais, et en proportion de la quantité moulue par eux pendant les deux années précédentes. La Confédération créerait une réserve de grain qui devrait suffire à l'alimentation de la population pendant au moina trois mois. Cette réserve, ainsi que la récolte du pays, seraient logées dans les entrepôts des chemins de fer fédéraux, dans les entrepôts privés ou dans les greniers de la Confédération. L'emmagasinement dans lèsentrepôts des chemins de fer fédéraux serait gratuit. Les moulins seraient tenus de reprendre ;au prix coûtant le blé des réserves, qui de temps en temps devraient être renouvelées.

La meunerie suisse devrait être maintenue dans toute sa, vitalité et être protégée à cet effet contre la concurrence étrangère par des mesures appropriées (droits d'entrée, restrictions à l'importation des produits de la mouture).

M. Balmer est d'avis que les frais des mesures à prendre pourraient être rejetés sur les consommateurs et qu'ainsi on n'aurait pas à mettre spécialement à contribution les finances fédérales.

La mise en pratique du projet nécessiterait une espèce, de contingentement et la concession de la meunerie.

Nous nous abstenons de reproduire ici d'autres jprojets.

qui ont été soumis à la grande commission d'experts ou à la:, commission restreinte, mais qui n'ont pas rencontré d'approbation au sein de celles-ci, et nous nous bornons à renvoyer à cet égard aux procès-verbaux et rapports mentionnés ci-dessus. Nous reviendrons du reste plus loin surune série de voeux et de propositions qui ont été présentés« D. Le régime à venir de notre approvisionnement en Wé.

VIII.

Jusqu'à présent, nous avons fait voir dajis quelle situation la Suisse s'est trouvée au début de la guerre, comment elle a, durant celle-ci, pourvu à sa subsistance en pain et.

443'

quelles solutions ont été proposées pour régler en vue de.

l'avenir ce grave problème de notre existence nationale. Il s'agira maintenant d'examiner si l'on veut simplement retourner à l'état d'avant-guerre, soit, en d'autres termes,, s'il faut, abstraction faite de la constitution de modestes réserves de grain pour l'armée', nous laisser aller au gré: des événements, ou bien s'il n'importe pas au contraire, dans, l'intérêt supérieur du pays, de prendre des mesures pour garantir notre approvisionnement.

La grande commission instituée pai nous pour l'étudede la .question a, comme il est dit plus haut, exprimé unanimement l'avis: 1° que devaient être constituées dans le pays des réserves permanentes de grain dont les pouvoirs publics pus.sent disposer en tout temps; 2° que l'encouragement de la culture des céréales dans; le pays était nécessaire ou tout ou moins désirable comme moyen d'assurer notre subsistance en pain et de favoriserd'un autre côté la culture des pommes de terre et autresi plantes alimentaires; 3° qu'il fallait maintenir une bonne meunerie dans le> pays.

Nous estimons que ces conclusions, étant données les leçons de la guerre, s'imposent à tout esprit avisé. Au début du conflit, la« situation était sérieuse. Cependant, noua disposions, en sus de la modeste récolte du pays, d'environ.

26 000 tonnes de grain qui, propriété suisse, se trouvait à l'étranger et dont nous pûmes obtenir délivrance sans difficulté. Si la déclaration de guerre s'était produite à une autre époque de l'année, par exemple au printemps, notre position eût été encore plus critique, car à pareille époque^ la récolte du pays est pour ainsi dire épuisée. Au. surplus, nul ne peut savoir si, en cas de nouvelle conflagration, il nous serait possible de faire rentrer notre bien comme il en, a été en 1914, après une longue période de paix et de sécurité des échanges. En outre, il se pourrait, suivant leaconjonctures, que pour les transports nous ne rencontrions plus les facilités dont on nous a fort louablement fait bénéficier durant la dernière guerre. Bref, parce que nous avons, été assez heureux pour sauver notre existence cette fois-ci, il ne faudrait pas que nous nous laissions plonger dans une aveugle quiétude quant à l'avenir. L« réveil pourrait êtrecruel. Nous devons être convaincus que la sauvegarde de.

444

notre subsistance est, pour la, déferle nationale, d'une né«essité aussi impérieuse que la préparation militaire proprement dite. Un pays dont l'approvisionnement n'est pas as·sure, ne fût-ce que pendant peu de temps, et dont la population peut se trouver réduite à la famine au bout de quelques semaines ou de quelques mois, ne saurait apporter ·à sa défense l'énergie voulue et tenir têts à la longue : engaigé dans la guerre, il ne peut faire autrement que de capituler; est-il neutre et réussit-il à rester en dehors de la lutte armée, sa situation politique et son indépendance n'en sont pas moins compromises. Les hommes qui ont vécu, avec le souci de leur responsabilité, cette époque critique du début de la dernière guerre, n'accepteront pas de rester les bras croisés ·et de regarder le pays ailler au petit bonheur vers les noitvelles difficultés de l'avenir. Le Conseil fédéral est quant à lui résolu à faire tout ce que sa conviction lui dicte pour tenir ·compte de l'expérience; il est d'avis que des mesures énergiques doivent être prises po.ür que le pays ne manque jamais de pain, et il ne pourrait pas assumer la responsabilité d'une autre attitude.

On objectera peut-être qu'il n'est pa,s possible d'atteindre complètement le but proposé, vu que le développement de la culture des céréales et la constitution de réserves, même si l'on met les choses au mieux, ne sauraient pendant longtemps suffire à faire face aux besoins du pays. A cela nous répondrons que la production nationale .peut, à elle seule, fournir une part très importante da la quantité nécessaire. D'un autre côté, on aurait les ré. serves pour se tirer d'affaire durant un certain temps, les premiers mois d'une conflagration internationale, l'expérience l'apprend, étant ordinairement très difficiles. Si l'on considère enfin que l'importation ne resterait pas. à la longue entièrement arrêtée, on voit que nous aurions les moyens, en restreignant du même coup la consommation au strict nécessaire, de parer à la situation et de mettre pour uni temps assez long le pays à l'abri de la disette. Il faudnait naturellement pour cela que les mesures prises eussent trait ' non seulement à l'armée, mais encore à la, population civile.

On sait que les provisions militaires de blé, d'avoine, de foin et de paille par exemple dont nous disposions au
commencement de la dernière guerre ont dû servir également ·aux besoins civils. Dans cet ordre d'idées, il convient de noter que l'extension de la culture des céréales, pax l'effet
445

mentaires et amène en. particulier un accroissement de la production de pommes de terre, accroissement grâce auquel *elle-ci permettrait de subvenir à la consommation, du pays tout entier. La guerre a montré au surplus que nous pouyons ·nous suffire à nous-mêmes en, fait de denrées de provenance ·animale telles que viande, lait et laitages. Nos provisions de fromage, entre autres, constituent une réserve nationale des plus précieuses. Cela étant, il est permis d'affirmer que -des mesures énergiques en vue de garantir notre approvisionnement en blé ne resteraient pas vaines, mais qu'au contraire, même dans des- circonstances très difficiles, elles nous mettraient en état de subsister pendant assez longtemps.

La grande commission a fait aussi ressortir à bon, droit ·que l'intérêt national exige le maintien d'une meunerie suisse de sérieuse capacité. Mais la condition de ce maintien, ·c'est évidemment qu'il y ait du grain à moudre en suffisance.

.Si la culture des céréales recule dans le pays, nos moulins ·sont appelés à disparaître pour la plupart. Cette disparition n'irait pas sans porter à son tour -un nouveau coup à nôtreproduction nationale de blé, et l'on se trouverait pris ainsi ·dans un cercle vicienix. Que le pays en, vienne à me plus pouivoir compter que eur l'importation et à vivre ainsi au jour le jour, alors nécessairement l'importation, de la farine supplanterait peu à peu l'importation du grain, et cela d'autant 3>lus facilement qu'à l'heure actuelle la meunerie des pays -à monnaie dépréciée travaille dans des conditions, plus avantageuses que la meunerie suisse. Celle-ci perdrait bientôt toute .raison d'être. Si donc or^ laisse les choses aller à leur gré, la culture nationale des céréales périclitera, la meunerie suisse .subira le même sort ©t notre pays se verra en fin, de compfe »complètement livré aux mains de l'étranger pour l'une des parties les plus importantes de son ravitaillement. Non seulement il ne disposera plus d'aucune provision de blé produit dans le pays ou tiré de l'étranger, mais encore il aura perdu même le moyen de transformer le grain en farine en i«as de nécessité.

Les besoins du pays en grain sont actuellement, abstraction faite des quantités que les producteurs consomment eux-mêmes, d'environ 1400 tonnes par jour. Pendant la -guerre, grâce au rationnement,
ils avaient pu être réduits à 785 *) tonnes. Les besoins des producteurs-consommateurs y *) Consommation quotidienne moyenne en l'année 1918 (y compris les succédanés).

Feuille fédérale. 76" année. Vol. II.

31

446

compris, la consommation journalière peut être évaluée aujourd'hui à 1550 tonnes à peu près, ©t il serait possible dela ramener par voie de contrainte à 950 tonnes en cas de nécessité. Nous estimons que pour le moment les provisions, de grain emmagasinées dans le pays par les soins de la régie des blés varient, suivant l'époque et les conjonctures,, de 100000 à 150000 tonnes; les livraisons de la récolte du paya, qui se sont échelonnées d'octobre à fin mars, ont atteint, environ 90000 tonnes; nous pouvons ainsi disposer actuellement de 200000 à 250000 tonnes de.grain en tout, sans que l'Etat ait besoin pour cela de porter ses propres réserves à plus de 150000 tonnes. Pareille quantité nous permettrait de subvenir à la consommation normale pendant six mois et en cas extrême, avec le secours du rationnement et dete restrictions, de subsister tant bilen que mal pendant neuf mois.

D'un autre côté, dès que l'Etat pourvoit d'une façon ou de l'autre à la constitution de réserves, la possibilité s'offre, dans les moments critiques, d'augmenter ces réserves sanséveiller l'attention.

Il convient cependant de noter que la formation de réserves de grain dans le pays ne serait, à elle seule, qu'une mesure insuffisante pour résoudre le problème. Les provisions s'épuisent et ne se renouvellent pas d'elles-mêmes.

Mais la terre nourricière est capable de porter chaque année de nouveaux épis, et il est, cela va de soi, beaucoup plus facile, la nécessité survenant, de développer et d'augmenter rapidement la production des céréales, si cette production tient déjà une place convenable dans l'agriculture du pays..

Il faut au. contraire des années, quand on s'est adonné trop exclusivement à la culture pastorale ou fourragère, pour revenir avec fruit à la culture arable, c'est-à-dire à la culture des céréales et des autres plantes alimentaires; nous en avons fait l'expérience pendant la guerre. Nous avons pa, nous apercevoir que le blé ne sort pas du sol sur un simple coup de baguette magique, mais que ce n'est qu'après une longue réadaptation de la production qu'on pelut atteindre à un rendement appréciable. La prudence la plus élémentaire commande donc de maintenir notre agriculture dans sa direction actuelle et de ne plus négliger désormais la culture des céréales, avec laquelle, nous l'avons dit, va de .pair la.
culture des pommes de terre et des autres légumes*). A sur*) Voir l'étude du D' A. Volkart : « Die Förderung des Getreidebaues in der Schweiz », publiée dans l'Annuaire agricole de la.

Suisse, année 1915.

447

face égale, un© production de céréales ou de légumes représente, pour l'alimentation de l'homme, une valeur nutritive à peu près double de celle qu'une production de fourrage donne sous forme de viande ou de lait après avoir passé par la consommation animale *). La culture arable exige aussi un plus grand train d'animaux de tr'ait (chevaux eis boeufs) et favorise l'élevage des bêtes d'engrais, en particulier des porcs. Le maintien et l'extension de la- cu.lturjß arable signifient dès lors un accroissement de la production, de denrées alimentaires et, par là, une meilleure sauvegarde de notre subsistance. Les produitsi secondaires de la culture des céréales: paille, baie et autres décheiss du battale, issues de meunerie, ne sont pas négligeables non plus; pour mesurer leur importance il suffit de se rappeler les gros&ea difficultés que nous avons eues pendant la dernière guerre pour nous procurer la paille et le fourrage nécessaire aux besoins de l'armée et du pays en général. La paille et la baie servent à des usages divers et sont en particulier employées à titre complémentaire pour la nourritiure des chevaux et des autres bestiaux. Si l'agriculture s'adonnait exclusivement à la culture fourragère, à l'élevage du bétail et à l'industrie laitière, il en résulterait une sérieuse insuffisance dans la production de la paille et des matières alümentaires. Le pays dépendrait donc, dans une plus forte mesure encore que ce n'était le cas jusqu'ici, de l'étranger au double point de vue de la production et de la consommation: d'un côté il devrait importer ce que lui manquerait en fait de produits de la culture arable, de l'autre il devrait exportier ce qu'il aurait de trop comme produits de la culture fourragère et de l'élevage du bétail.

Il convient de signaler encore un autre avantage de l'accroissement des emblavures. Une culture purement fourragère et laitière occupe beaucoup moins de bras qu'une *) Au moyen de déterminations physiologiques, on a établi qu'un arpent de terrain de fertilité moyenne fournit pour l'alimentation de l'homme le degré de force nutritive suivant : 1° comme pré dont le fourrage est employé à l'engraissement de bestiaux, sous forme de viande .

environ 30--50 unités 2° comme pré dont le fourrage est employé à la nourriture de bêtes laitières, sous forme de lait » 280 » 3° comme champ ensemencé de blé . .

» 450 > 4° comme champ planté de pommes de terre » 1500 »

448

culture mixte. Avec la culture des céréales, des pommes de terre et des autres fruits des champs une petite propriété agricole est en état d'occuper et de «nourrir une famille.

A superficie égale, la culture mi/xte entretient dès lors un plus grand nombre d'exploitations et de ménages. Pour les terrains légers on compte comme travail à fournir à l'hectare *) : Journées d'homme

culture des pommes de terre culture des céréales (sans le battage) culture fourragère (trèfle et mélange de trèfle et de graminées) .

Journées de cheval

108 " 52

30 22

30

15

D'après l'étude déjà citée du Dr Volkart, le recensement fédéral des exploitations de 1905 établit que >la population agricole croît avec la superficie consacrée à la culture arable, Si l'on range en effet les différents districts de la Suisse par classes selon la proportion existant entre les* emblavures et l'ensemble du terrain cultivé (sans les forêts) et si l'on; prend dans chaque classe la moyenne de la population agricole par 100 hectares de terrain cultivé, on obtient le tableau suivant : Part des emblavures dans l'ensemble du terrain cultivé (sans les forêts) %

0-- 5,o 5,1--10,0 10,!--15,o 15;1--20,o 20,!--25,o plus de 25,!

Nombre des districts

85 23 26 28 21 33

Population agricole par100hect.de terrain cultivé

42,o 48,i 53,9 59,4 61,4 68,4

Selon le même auteur, on peut établir aussi que les petites exploitations pratiquent en général plus que les grandes la culture arable. En 1905 cette culture représentait en pouroent de 1'en.semble du terrain cultivé les chiffres suivants : *) Dr W. Pauli, Annuaire agricole de la Suisse, année 1922.

449 Exploitation d'une étendue de Suisse

Zurich

Schaffhouse

Argovie

Thurgovie

28,3 27,4 23,8 19,3 18,4

10,9 18,2 19,i 17,0 11*

hect.

0,3-- 3 3,i--10 10,1--15 15,i--30 30,i--70

18,3 17,6 17,6 16,o 9,o

12,4 15,3 13,8 9,9 5,0

37,2 40,4 40,3 35,4 31,8

D'autre part, la culture arable offre à la population agricole un travail régulier et sain, tandis que la culture purement fourragère ne fournit pas une occupation pleine etl entière, particulièrement à certaines époques de l'année. Il est ainsi de l'intérêt de notre pays de favoriser la première, pour conserver une population agricole nombreuse, pour maintenir la solide classe sociale des petits paysans et pour combattre la désertion et le dépeuplement de la campagne.

En résumé nous dirons donc que la constitution de fortes réserves de grain dans le · pays est nécessaire et utile pour notre subsistance, mais que cette mesure doit être complétée par le développement de la culture des céréales. Celle-ci offre une ressource importante pour l'alimentation de notre population, puisque dans les conditions actuelles déjà une récolte à rendements moyens peut être évaluée à 150 000 tonnes, y compris les quantités consommées par les producteurs euxmêmes. Le maintien et l'extension de la culture des céréales favorise la culture arable en général, qui permet de tirer du isol pour la nourriture de l'homme beaucoup plus de matière alimentaire qu'on n© peut le faire avec une culture pure;menti fourragère. Notre approvisionnement se trouve ainsi favorisé non seulement d'une façon directe, mais encore d'une façon indirecte, plus particulièrement en ce qui concerne la production des pommes de terre. Enfin, comme -noua l'avons montré, une agriculture adonnée à la culture arable offre à une population beaucoup plus nombreuse une occupation saine et qui nourrit son, homme.

Que l'on ne vienne pas objecter que ce à quoi on vise en réalité ici, c'est à favoriser l'agriculture aux dépens d'autres intérêts. L'approvisionnement du pays en subsistances est une tâche à l'accomplissement de laquelle la population entière est intéressée économiquement et politiquement, au-jourd'hui surtout que la situation de nos industries exportatrices, vu la diminution de la puissance d'achat de l'étranger et vu la forte concurrence 'que nous font les payß

450

à change bas, est devenue plus difficile. D'un autre côté, dans tout pays l'intérêt national veut qu'il y ait, aussi nombreuse que possible, une population dont l'existence soit indépendante, c'est-à-dire qui puisse gagner librement sa vie, fût-ce dans les conditions les plus modestes. Si la culture des céréales recule, notre agriculture verra, les grandes exploitations gagner du terrain et le sort du paysan, reposerai uniquement sur le prix du bétail et du lait. Alors, une pénurie de fourrage survenant par exemple, le prix du bétail tombera considérablement, des pertes s'ensuivront et le paysan sera ébranlé dans son existence même. Si au contraire!

le paysan pratique la culture mixte, la récolte de céréales et de pommes de terre compensera dans les mauvaises années le déficit qu'il pourra avoir subi du côté de ses, bestiaux par suite de manque de fourrage, de chute des prix,, de maladies et d'épizooties.

1 Nous sommes amené par là à conclure que pour la sauvegarde de notre subsistance et pour le 'bien du pays en général la Confédération doit prendre des mesures afin d'assurer notre approvisionnement en blé et, à cet effet, d'une part, pourvoir à l'existence de réserves de grain dans le pays et, d'autre part, s'employer à maintenir notre culture de céréales, qui a pris ces dernières 'années, grâce à l'action des pouvoirs publics, un si réjouissant développement, .et même à l'étendre encore davantage, là où le climat et la nature du sol le permettent. En ce 'qui concerne les réserves^ il s'agirait -- il convient de le préciser -- de grain et mon, pas de farine, calle-ci ne se conservami pas bienj et pour ce1 qui est de l'encouragement de la culture, nous avons plus particulièrement en vue les céréales panifiables.

IX.

Il ne manque pas de gens pour croire et pour affirmée qu'il n'est pas nécessaire de recourir à des mesures spéciales et à l'intervention des pouvoirs publics pour avoir des réserves de grain suffisantes; à leur avis, le commence privé serait en mesure d'y pourvoir, l'Etat ne devrait pasi s'ingérer dans cette affaire, il ferait mieux de la laisser.

à l'initiative et à l'action des particuliers.

Ce qui s'est passé au début de la dernière guerre montre nettement ce qu'il fau.t penser d'une pareille confiance.

Petit pays intérieur, nous ne possédions alors pas de commerce de grains en gros quelque peu important. Nos nègo-

451


Chacun réglera sa conduite sur celle des autres), car celui qui voudrait donner le bon exemple en amassant des stocks, se mettrait en état d'infériorité envers ses concurrents par la hausse que subirait le prix coûtant de sa marchandise et s'exposerait ainsi à la ruine. Du reste, la constitution de .stocks de blé exige de puissants capitaux, cause de grandis irais et offre par surcroît de sérieux risques; les risques seront même peut-être plus forts désormais qu'auparavant, -vu les fluctuations plus accentuées des prix. Sans l'ijxtervention et l'appui de l'Etat on ne saurai^ dono songer à emmagasiner des quantités importantes de grains dans le .pays.

D'aucuns pensent aussi qu'il serait possible, avec des moyens relativement modestes, d'assurer l'existence dans le pays de quantités, suffisantes de blé; ces moyens consisteraient dans l'amélioration des conditions de transport, dans la réduction des frais d'entrepôt et, éventuellement, dans l'octroi par la Confédération ou les banques suisses de prêts .sur provisions de grain. Voyons ce qu'il en est : 1° Une amélioration des conditions de transport serait, il va de soi, vivement à souhaiter, tant au po.int de vue de la formation de stocks que de l'importation en général.

Avant la guerre la majeure partie du grain nécessaire à notre subsistance en pain nous arrivait par la voie du Rhin.

Des quantités importantes de ce grain étaient mises en entrepôt à Mannheim, à Kehl et à Strasbourg, d'où elles étaient amenées en Suisse au fur et à mesure des livraisons à faire et des besoins de la meunerie. Grâce aux meilleures conditions offertes par la voie du Rhin en ce qui concerne le coût Ue transport, il était avantageux de faire venir le grain par le détour de Rotterdam et d'Anvers plutôt que par d'autres
voies moins éloignées. Que, d'un autre côté, il ait été mis -pour, une part en entrepôt à Strasbourg, Kehl et Mannheim au risque de rester indisponible pour nous dans les moments

452

critiques de notre ravitaillement, cela s'explique notamment par les meilleurs conditions de magasinage et de transbordement, par l'avantage de taxes de transport extrêmement réduites et par les possibilités plus nombreuses d'écoulement..

Différentes mesures ont occasionnellement été proposées pour remédier à la situation : intensification de la navigation s'effectuant jusqu'à Baie; introduction sur cette place de conditions de transport et de magasinage plus favorables,, avec pleine faculté de réexpédition; réduction des taxes de transport sur les voies du sud pour y ramener les arrivages..

On a sans doute déjà tiré de pareils moyens tout ce qu'ils, pouvaient donner.

2° Les chemins de fer fédéraux avaient à un moment donné concédé la gratuité de l'entrepôt pour trois mois; par la suite, cette gratuité fut portée à cinq mois. En outre, lesentrepôts de la douane :près de Baie furent agrandis, et on'1 créa dans le port du Rhin des aménagements en relation avec le développement de la navigation sur le fleuve. Il serait naturellement concevable, quant à la gratuité de l'entrepôt pour le blé, qu'on allât encore plus loin, si cela pouvait produire l'effet voulu. De différents côtés, on a aussi émis, l'idée que la Confédération devrait subventionner la constitution de stocks chez les marchands de grain, les meuniers et les producteurs. Ceux-ci ne pourraient être amenés à assumer pareille charge que si on les dédommageait convenablement. Les frais consistent dans le loyer des magasins,, dans l'intérêt des capitaux immobilisés, dans les primes d'assurance, dans la perte de poids, comme aussi dans les risques de baisse de prix auxquels est exposée la marchandise emmagasinée. Il serait sans doute difficile d'établir des règlessur la détermination de ces facteurs en partie instables afin.'

d'avoir une base sérieuse pour l'octroi des indemnités, et d'établir un système de dédommagement assez large pour, être véritablement efficace.

3° L'obtention de prêts sur provision de grains est une chose qui est déjà possible auprès des banques. Quant à la Confédération, elle ne pourrait évidemment avancer de l'argent que sur les provisions emmagasinées dans des entrepôts publics. Son intervention dans ce domaine serait sans doute de natere à procurer certains allégements en ce quf concerne le taux de l'intérêt, et il est probable qu'on verrait par-ci par-là un meunier ou un marchand de grains se présenter en emprunteur auprès d'elle pour pouvoir faire der

453

forts achats au bon moment. Mais un pareil moyen1, employé seul, en l'absence d'un système général de mesures appro-' priées, ne serait guère capable d'amener le résultat voulu, à savoir l'existence constante de quantités suffisantes de blé dans le pays.

Nous constatons donc que les petits moyens -- s'il est permis de s'exprimer ainsi -- que nous venons de passer en revue et qui sont en partie déjà appliqués aujourd'hui pourraient jouer un certain rôle en combinaison avec d'autres-, mesures obligatoires, mais qu'employés seuls, sur un terrain purement facultatif, ils n'auraient pas la force de contrebalancer convenablement les risques à courir en matière de provisions de grain et de pousser l'initiative privée à faire régulièrement les achats nécessaires au maintien desstocks.

Par conséquent, si elle veut garantir l'existence de certaines quantités de blé dans le pays, la Confédération doit aller plus loin. Deux voies s'offrent à elle : ou bien elle secharge elle-même de la constitution des stocks ou bien, dansl'intérêt du pays, elle impose aux importateurs et aux meuniers l'obligation d'avoir toujours une certaine provision degrain en magasin, en rapport par exemple avec les quantitésimportées ou moulues. Ce n'est pas les mains vides d'expériences que nous nous engagerions dans la première de ces voies. · Nous savons combien de temps le grain peut être conservé en magasin, suivant sa qualité : un à trois, exceptionnellement quatre ans; la Confédération dispose déjà de moyens d'emmagasinage et elle pourrait naturellement, sans trop grands sacrifices, les accroître encore; nous connaissonsles frais et les risques. Bref, nous pourrions mettre à profit l'expérience que la régie des blés a acquise durant près de dix ans. A l'heure 'actuelle déjà, l'emmagasinenient se fait en partie, en vertu d'arrangements avec les meuniers, dans les moulins mêmes, afin de prévenir un double déchargement et rechargement et des frais de transport inutiles.

D'un autre côté, il ne paraît pas impossible soit de laisser au commerce privé et aux meuniers le soin de constituer et d& maintenir les réserves de blé, soit d'introduire un système selon lequel la Confédération, à côté de ses propres stocks,, chargerait les marchands et plus particulièrement les meuniers de garder des provisions de grain. On pourrait pour cela mettre en oeuvre entre autres quelques-uns des moyens que nous avons mentionnés ci-dessus.

454

NOUS ne voudïions pas aujourd'hui déjà nous prononcer ·définitivement sur le système à adopter pour assurer l'existence de réserves; au contraire, nous croyons qu'il faut laisser la porte ouverte à tous les modes et combinaisons propres à amener une solution pratique. Il faut cependant qu'on soit bien fixé sur une chose, c'est que, si l'on s'en rednet aux importateurs et aux meuniers du soin d'assurer l'existence des provisions, il sera indispensable d'établir des prescriptions réglant nettement leurs obligations. A notre .avis, il ne saurait s'agir, si l'on veut arriver au résultat voulu, de se placer sur le terrain purement facultatif.

En ce qui concerne les quantités à emmagasiner, il n'est pas possible non plus dès à présent de fixer des chiffres déünitifs. La réserve peut et doit même varier suivant les conjonctures et l'époque de l'année, en particulier suivant les ·perspectives ou le résultat de la récolte du pays. Nous sommes d'avis qu'elle ne doit pas être exagérée, mais être suffisante toutefois pour subvenir à notre subsistance pendant 'trois mois. On peut évidemment être d'une autre opinion quant à la quantité voulue et estimer qu'elle devrait être fixée ou plus bas ou plus haut encore. Par le chiffre qui vient ·d'être indiqué nous désirons seulement montrer que nous n'avons pas l'intention de demander plus qu'il ne faut.

Les réserves consisteront en règle générale en grain ·étranger, qui est plus sec et se conserve mieux que le grain du pays. Si, par la suite, on arrivait, grâce à des silos aérables, à employer pour la garde le grain de notre production nationale, on ne pourrait que s'en féliciter et on trouverait là, nous le disons d'ores et déjà, un moyen de simplifier le problème.

X.

Assurément, il serait désirable que la culture des céréales dans le pays fût prospère et rémunératrice sans l'aide de l'Etat. Mais tel n'est pas le cas. A cet égard, la Suisse, partage le sort d'autres pays. Les quatre Etats qui nous ·avoisinent et où les conditions naturelles sont presque partout plus favorables qu'en Suisse, étaient obligés, déjà avant la guerre, de protéger la culture du blé. Ils le faisaient par la perception de droits d'entrée sur les grains et sur lest farines.

En France, le droit de douane était en 1913 et est aujourd'hui «ncore de 7 fr. par 100 kg.; en Italie, il était die 7,50 lires

455

avant la guerre. Le droit de douane sur le froment s'élevait, (en 1913, à 5.50 marks en Allemagne et à 6.30 couronnes en Autriche. Quant, aux droits sur les farines, ils sont en moyenne de 4 à 9 unités supérieurs aux droits sur le froment.

Ces chiffres montrent que même de grands pays voisins ·de la Suisse ont dû, avant la guerre, protéger la culture des céréales. Or, nous savons que cette culture s'est fortement .développée dans ces pays, us ont considéré, eux aussi,
Lorsque l'Etat est appelé à venir en aide à une branche de production, le système le plus rationnel, spécialement quand il s'agit de l'agriculture, consiste d'une part à inculquer aux personnes qu'elle occupe les connaissances indispensables, et à donner d'autre part un appui matériel aux producteurs. La Confédération alloue des subventions en faveur de l'enseignement agricole. Chaque année, de jeunes paysans bien préparés au point de vue théorique et pratique sortent par centaines de nos écoles spéciales, où ils ont été instruits de toutes les questions touchant à la culture du blé notamment. Les milliers d'agriculteurs qui exercent leur profession ont l'occasion d'assister à des conférences et de suivre des cours spéciaux, où ils reçoivent de précieux enseignements sur la culture rationnelle des céréales, sur les procédés culturaux en général, sur l'emploi judicieux des engrais, sur les semences, sur l'entretien des cultures et sur la récolte. Grâce à ses établissements
d'essais et d'analyses agricoles, la Confédération recueille d'utiles expériences qu'elle fait connaître aux intéressés, avec le concours des écoles, sociétés et syndicats d'agriculture. Depuis deux décennies environ, les

456

établissements de contrôle des semences et d'expérimentation agricole, à Lausanne et à Oerlikon-Zurich, s'appliquent à améliorer par sélection les variétés de blé adaptées aux conditions spéciales du1 sol et du climat, à augmenter leur résistance aux intempéries et' aux maladies cryptogamiques, à accroître le blutage eti la qualité du grain. Grâce au concours des associations de sélectionneurs constituées dans les diverses régions de notre pays, les résultats de la sélection du blé sont vulgarisé®., C'est ainsi que l'on procure aux cultivateurs des semences appropriées; elles proviennent de champs de blé spécialement désignés par les établissements d'expérimentation et qui demeurent sous contrôle jusqu'au moment où elles sont livrées à l'acheteur. Depuis la guerre surtout, ces établissements ont contribué au développement de la culture des céréales. Leur activité est extrêmement importante et utile et il faut que la Confédération continue à la soutenir. Les associations de sélectionneurs méritent de retenir l'attention des autorités. Ce que notre climat et notre sol nous refusent, il faut chercher à l'obtenir par le choix judicieux et la sélection des sortes et variétés de blé, par des engrais et des soins appropriés, en un mot par une culture adaptée aux.

conditions du pays.

Si importante que soit cette aide technique, elio ne suffit pas. Il est de fait que, d'une manière générale, les conditions naturelles de notre pays ne sont pas particulièrement favorables à la culture du blé. Aussi le prix de revient du blé suisse est-il sensiblement supérieur à celui des blés que les pays favorisés de la nature produisent en grandes quantités et mettent en vente sur le marché international. Les conditions de sol et de climat variant avec les différentes régions de notre pays et nos petites exploitations agricoles -- elles prédominent en Suisse -- n'étant pas toutes aménagées et outillées de la même façon, le coût de la production dest céréales est évidemment sujet à de notables fluctuationsLes choses étant normales, on estime qu'en moyenne le coût de la production du blé en Suisse est supérieur de 5 à 10 francs par 100 kg. au prix de revient du blé importé.

Si, en -dépit de ces difficultés, nous entendons cultiver les céréales sur une assez grande échelle, il faut que noua soyons en état d'en réduire le
coût de revient ou d'assurer aux cultivateurs un prix rémunérateur. Une branche de production qui travaille à perte est appelée à disparaître.

Abstraction faite de l'application judicieuse des moyens

457

-d'ordre technique dont nous venons de parler, nous ne voyons pas comment il serait possible de réduire notablement les frais de production du blé en Suisse. Certes, dans les milieux agricoles, on se rend compte de plus en plus que le prix des bien-fonds est souvent excessif et qu'en général les bâtiments entrent pour une trop forte part dans le «apital représenté par les exploitations rurales. Bien que cet «tat de choses ne passe pas inaperçu, il ne faut pas s'attendre de si tôt à une diminution notable du coût de la pror duction. En outre, le prix des machines, instruments et autres marchandises que le cultivateur doit se procurer, les .salaires de son personnel, les impôts et redevances, représentent une part notable des frais de production. Le producteur de blé est obligé de considérer tous ces facteurs et ·de ne rien négliger pour réduine ses frais en toutes choses, si petites soient-elles. Cependant, il y a certains facteurs sur lesquels il n'a pas d'influence et il ne peut agir sur les autres avec .assez d'efficacité pour mettre le prix de revient de son .blé en harmonie avec le prix du marché.

Dans ces conditions, il faut aider le cultivateur à tirer ·de son grain un parti plus rémunérateur. -- II peut s'en servir pour l'alimentation de sa famille et des personnes qui font commun ménage avec lui. Le superflu est vendu. Le cultivateur qui emploie son grain pour son ménage ·en fait l'usage le plus naturel. En effet, cette utilisation n'occasionne pas de frais de transport inutiles. Il est désirable ·que les agriculteurs reviennent à la coutume de faire moudre leur grain dans les moulins à façon et de faire eux-mêmes leur pain, ou bieiij s'ils l'achètent, que le boulanger se serve de farine extraite de blé suisse et mise directement à sa disposition par le producteur. Lorsque le prix du blé étranger et de la farine importée est si bas que le paysan trouve son «ompte à acheter du pain et à ne pas produire de blé, il -délaisse la culture des céréales et, comme le citadin, con.somme du pain fait au moyen de farine étrangère. Mais c'est >en employant pour sa propre consommation le grain produit par lui que le cultivateur peut en tirer le parti le plus rémunérateur et établir le plus facilement l'équilibre entre le prix du blé suisse et le prix du blé étranger. Aussi l'Etat qui veut soutenir
équitablement la culture des céréales, interviendra-t-il avec le plus d'efficacité en encourageant le producteur à employer le grain pour sa propre consommation.

Ce système offre cet avantage que l'aide profite non seulement .aux grands agriculteurs qui ont du grain en superflu, mais

458

aussi aux petits paysans qui ont ensemencé des surfaces restreintes et désirent employer la récolte pour leur propre ménage.

Cela nous amène à rechercher par quels moyens la culture des céréales pour les besoins du producteur peut être encouragée et comment l'utilisation des quantités excédant ces besoins peut être assurée à des prix équitables. On pourrait envisager à ces deux fins l'allocation d'une prime à la culture, dont il a été souvent question avant la guerre. Tout, cultivateur toucherait chaque année pour ses emblavures de froment, d'épeautre ou de seigle une prime proportionnée à la surface cultivée. Le producteur disposerait librement de son blé; on a parlé d'une prime de 1 à 2 fr. par are de terrain ensemencé de blé. Après étude de la question, les commissioins consultatives déclarèrent ne pas pouvoir préconiser le système des primes à la culture. Si on l'appliquait, il faudrait tous les ans déterminer la superficie des champs de blé cultivés par chaque producteur, ce qui exigerait beaucoup de temps et serait coûteux, étant donnés nos nombreuses petites exploitations agricoles et le morcellement des terres. D'ailleurs, on ne pourrait se fonder sur le cadastre que dans le cas où les champs de blé correspondent aux biens-fonds figurant sur les plans. Or, fréquemment cette correspondance n'existepas.

D'après la statistique officielle des cultures, la Suisse comptait, en l'année 1917, 182291 et, en l'année 1919, 219309 producteurs de blé. Sur 3140 communes politiques, 156 seulement (5 °/o environ) n'avaient pas de producteurs de céréales panifiables. En 1919, la superficie cultivée en céréales représentait en moyenne par producteur de l'espèce considérée 48,2 ares de méteil, 43 'ares de froment d'automne,: 39,6 ares d'épeautre d'automne, 33,2 ares d'avoine» 26,4 ares de seigle d'automne, 13,9 ares d'épeautre de printemps, 9 ares de seigle de printemps. La surface cultivée en céréales représentait en moyenne par producteur dans les cantons de Genève, 130,9 ares, Vaud 127,6 ares, Lucerne 106*7 ares, Fribourg 104,1 ares, Schaffhouse 96,7 ares, Berne 93,7 ares, Neuch'âtel 90,4 ares, Baie-Campagne 67,1 ares, Zurich 66,2 ares, Unterwald-le-bas 63,7 ares, Argovie 56/7 ares, Zoug 55,7 ares, Glaris 24 ares, Rhodes-Extérieures 24 ares, Rhodes-Intérieures 20,2 a-resi, Grisons 19 ares, St-Gall 17,3 ares, Valais 17,1 ares, Unterwaldle-haut 14,8 ares, Schwytz 8j6 ares, Tessin 8,3 ares. Le ter-

459rain cultivé par la plupart des producteurs se compose de plusieurs parcelles.

Nous faisons aussi observer que la valeur économique de la culture du blé réside moins dans l'étendue des surfaces cultivées que dans le rendemen/t d|e la récolte. La prime à la culture imposerait le même sacrifice pour les champs négligés et à faible rendement que pour ceux bien cultivés et à rendement supérieur en quantité et en qualité. En outre, le mode d'utilisation du blé ne jouerait pas de rôle quant au montant de la prime à la culture. Nous devons évidemment chercher à ce que le blé serve le plus possible à l'alimentation humaine. Or, il pourrait se faire que le blé, ayant déjà été contrôlé en vue de l'allocation de la prime, fût récolté avant d'être arrivé à maturité et fût employé comme: fourrage ou à d'autres fins. On peut donc présumer que la prime à la culture ne favoriserait pas suffisamment la réalisation de ce but: améliorer la qualité du blé produit dans le pays et en affecter le plus possible à l'alimentation humaine..

Se fondant sur ces considérations, les commissions1 consultatives, d'accord avec les représentants de l'agriculture,, émirent un avis défavorable à la prime de culture. Le fait que les petites superficies ensemencées en blé destiné à l'alimentation du producteur pourraient aussi être prises en considération et que le taux des primes aurait pu être gradué d'après l'altitude, de manière à favoriser la population déréglons montagneuses, n'amena pas ces commissions à modifier leur opinion.

Quant à la prime qui Serait allouée sur le grain issu du.

battage, elle apparaît encore moins recommandable que la prime à la culture. Avec le système de la prime au battage^ le producteur pourrait aussi disposer librement de son grainv Les constatations à faire lors du battage se heurteraient à des difficultés et occasionneraient des frais. Ces difficultés et ces frais augmenteraient suivant la durée et les interruptions du battage, la qualité et la pureté du grain. Ce système ne favoriserait pas les efforts entrepris pour améliorer la qualité du blé et ouvrirait facilement la porte à des abus. Il pourrait en effet arriver que la prime fût alloués pour du grain présenté frauduleusement. Nous avons déjà dit qu'avec la formation de réserves, l'encouragement de la culture des céréales dans le pays est
le moyen le plus efficace d'assurer notre approvisionnement en grain. Aussi l'Etat aurait-il tort d'allouer desprimes à la culture et au battage, sans tenir compte de la

460

façon dont le blé est utilisé. Le problème national de notre approvisionnement en blé pourra être d'autant mieux résolu que l'on affectera plus de grain à l'alimentation humaine.

C'est à cette fin que vise la prime à la mouture du blé produit dans le pays et transformé en farine boulangère pour servir à la subsistance de la population. M. Steiner, con·seiller national à Malters, fut le premier à recommander cette prime. Sa proposition a été reprise par la commission d'études, qui l'amplifia et la mit à la base du système qu'elle préconise. Nous rappelons que ladite commission propose de percevoir sur les importations de blé un droit d'entrée modique, dont le produit servirait à faire face aux frais qu'occasionneraient les mesures dont elle recommande 4'application. Quiconque moudrait du blé du pays pour ·son compte ou pour le compte d'autrui ssrait en droit d'im.porter, en franchise, une quantité de blé étranger représentant le triple ou. le quadruple de la quantité de blé suisse .moulu. La commission d'études voudrait ainsi privilégier le blé suisse qui sert à l'alimentation du producteur et est généralement moulu dans la région où il a été récolté> -ainsi que le blé du pays qui est vendu par le producteur et dont la farine est mise sur le marché. Commp le blé suisse servirait de plus en plus à la consommation domestique, la mise en pratique de la proposition dont il s'agit aurait pour effet de développer la meunerie à façon, ce qui profiterait aux moulins privés et coopératifs.

Dans son projet, le secrétariat de l'Union suisse des pay.sans recommande aussi la prime à la mouture comme l'un des moyens d'intensifier la culture des céréales devant servir à la consommation domestique du producteur.

Les propositions présentées par la commission d'études ·et par le secrétariat de l'Union suisse des paysans concordent donc sur ce point. Elles répondent à notre opinion. En effet, nous considérons la prime à la mouture comme un moyen particulièrement propre à développer la culture du blé dans le pays et à garantir notre subsistance en pain. Tout en incitant le cultivateur à produire du blé pour sa propre ·consommation et celle de sa famille, cette prime favorisera la meunerie.

Il n'y a pas lieu de rechercher ici sous quelle forme Ja prime à la mouture serait le plus efficace, la solution xle ce problème devant être en harmonie avec les autres mesu-

461

res à prendre. C'est ainsi que l'on peut s'abstenir de ré.soudre dès maintenant la question de savoir si la prime devrait aussi être allouée au cultivateur pour le blé qu'il a en superflu après avoir pourvu à sa propre consommation. Dans cet ordre d'idées, nous rappelons qu'au cours de ces dernières années les syndicats agricoles ont coopéré avec succès .au placement du blé du pays. A notre avis, ils sont à même ·d'augmenter le nombre des producteurs-consommateurs, en fournissant à ceux qui ne produisent pas assez de blé pour .subvenir à leurs propres besoins une partie de celui livréi par les cultivateurs qui ont un superflu. Ils pourront ©n faire moudre une autre partie dans leurs propres moulins et chez les meuniers des alentours. Le blé livré par les, cultivateurs serait mis au bénéfice d'une prime de mouture ou d'une allocation semblable, que l'on pourrait appeler prime .à la production.

Pour stimuler le producteur à consommer lui-même son blé, on pourrait majorer périodiquement la prime à la mouture en proportion des frais occasionnés par le magasinage du blé.

Nous croyons qu'en allouant une prime à la mouture et ·en recourant aux bons offices des associations de producteurs de blé, il sera possible de développer la culture des céréales, .spécialement pour la consommation du cultivateur. D'autre part, il ne faut pas oublier que des débouchés devront -être ouverts aux quantités dont le producteur peut se défaire. Du point de vue de notre ravitaillement, il est particulièrement désirable que les cultivateurs produisent du blé non seulement pour eux-mêmes, mais en récoltent sufisamment pour pouvoir disposer d'excédents en faveur des autres consommateurs. On favorise la production du blé de bonne qualité, à laquelle le pays a grand intérêt, en donnant au cultivateur la possibilité de vendre son grain à erun prix rémunérateur. En vertu de l'arrêté fédéral du 1 juillet 1922, la régie des blés met au bénéfice d'un supplément de prix les cultivateurs qui lui livrent du blé de bonne qualité produit en Suisse et propre à la mouture. Elle remet ce blé aux moulins, en même temps que celui de provenance étrangère. Comment la question doit-elle être désormais réglée?

L'agriculture attache un grand prix à pouvoir vendre ·son blé à un prix déterminé; elle voit là un des moyens les plus efficaces d'encourager la culture des céréales. Pour réaliser cette idée, juste en principe, il y a plusieurs voies.

Feuille fédérale. 76e année. Vol. II.

32

462

Si l'on parvient -- et la chose n'esb pas impossible -- à créer des silos bien aérabLss, le blé suisse de bonne qualité pourra servir à la formation des réserves dont nous avons parlé. Cette solution serait certainement la meilleure et la plus simple. Le fait que le blé suisse n'atteint pas le degré de siocité du blé étranger la rend quelque peu difficile. Nous espérons néanmoins qu'elle sera réalisable. Il y aurait plusieurs autres moyens de faire entrer dans la consommation le grain offert par les cultivateurs du pays. On pourrait envisager l'achat du blé par la Confédération, qui fournirait ;aux moulins le grain qu'elle n'emmagasinerait pas. On pourrait aussi procéder selon les propositions émises par la petite commission d'études ou bien astreindre les meuniers à prendre livraison de blé suisse à des conditions déterminées et en proportion des quantités de blé étranger dont ils opèrent la mouture. Une variante de cette solution consisterait à obliger les importateurs de blé et do farine à prendre livraison de blé suisse au prorata des quantités qu'ils importent. Enfin, des conventions entre les associations de producteurs de blé et les meuniers permettraient peut-être de faire entrer directement dans la consommation le blé suisse que les producteurs ont en superflu. La solution du problème serait sans doute facilitée par le fait qu'une partie de ce grain pourrait être moulue dans les moulins des associations de producteurs de blé. De toutes façons, il faudra veiller à ce que le blé suisse soit, autant que possible, transformé et utilisé dans la région où il est récolté. Si tel n'était pas 1© cas, des frais de transport et autres dépenses inutiles viendraient grever le prix de la farine et, partant, le prix du pain.

La réalisation du système dont nous parlons suppose évidemment que le producteur obtienne un prix qui lui permette de continuer à cultiver des céréales. Il faut donc -- comme nous l'avons déjà dit -- acquérir le blé suisse à un prix plus élevé que celui du marché international. Comment ce prix serait-il acquitté et par qui?

Au cas où l'on imposerait aux importateurs de blé et de farine ou aux meuniers l'obligation de prendre livraison, de blé suisse, le prix de celui-ci serait sans doute fixé par le Conseil fédéral en vertu de dispositions législatives. Nous pensons que la loi
fixerait aussi un supplément minimum et maximum et que le prix supplémentaire à acquitter serait arrêté par le Conseil fédéral. En ce cas, les importateurs de blé et les meuniers porteraient en compte, pour déterminer le

463

coût de revient de la farine, le prix supplémentaire acquitté, ou bien la Confédération leur rembourserait la prime» Un autre système consisterait en ceci: les importateurs et les meuniers prendraient livraison du blé suisse au prix du jour et la Confédération allouerait une prime d© production aux cultivateurs. En tout cas, il serait désirable quo ïe blé passât directement du producteur au moulin, cela permettrait d'épargner des' frais d'expédition notamment. Quel que fût le système auquel on donnerait la préférence, les associations des producteurs de blé auraient à prêter leur concours, comme elles le font aujourd'hui déjà. Elles déchargeraient l'administration d'une notable partie de sa tâche.

Beste à savoir si le concours des cantons et des communes serait nécessaire. Cela dépend, entre autres, du développement du coopératisme. De toutes façons, des mesures seraient prises pour que le supplément de prix fixé pour le blé suisse revînt effectivement au cultivateur et fût touché par lui. Nous n'entrerons pas dans d'autres détails, mais nous sommes prêt à examiner avec attention toutes les propositions qui pourront nous être présentées. Aucune des solutions envisagées ne doit être considérée comme écartée ou définitivement adoptée. Nous tenions simplement à montrer dans ce message que le meilleur moyen d'encourager la culture des céréales est de donner au cultivateur la possibilité de tirer un parti rémunérateur de son blé et que plusieurs voies peuvent conduire à ce résultat.

XI.

La constitution de réserves de grain et le développement de la culture des céréales dans le pays supposent, nous l'avons déjà dit, l'existence d'une meunerie de sérieuse capacité.

Notre pays dispose d'un assez grand nombre de moulins de commerce qui sont état de faire face à tous les besoinls du pays en farine. En revanche, le nombre des moulins agricoles ou à façon a diminué en même temps que la culture des céréales. Dans certaines régions, ils avaient presque complètement disparu. Depuis quelques années seulement ils ont repris leur développement, grâce surtout à l'influence des prescriptions fédérales sur les emblavures obligatoires et sur le rationnement du pain. Nous signalons les moulins d'associations agricoles, spécialement ceux de la Suisse romande. La meunerie est une industrie très importante, à l'existence de laquelle tout le pays a intérêt. On a pu toutefois constater au

464

cours des dernières périodes décennales que si la Confédération; ne prend pas de mesures dans le domaine de notre .approvisionnement en blé, les petits moulins à façon sont condamnés à disparaître et que même les moulins de commerce auront de la peine à vivre. Les mesures et prescriptions que nous envisageons pour former des réserves et encourager la culture des céréales dans le pays auront pour effet de sauvegarder la meunerie en général. Nous devons faire en sorte, que le grain nécessaire à notre subsistance, qu'il provienne de l'étranger ou de Suisse, soit moulu dans notre pays. Les mesures que nous préconisons permettront donc de développer la meunerie et de la préserver des effets ruineux d'un système qui reposerait uniquement sur l'importation de la farine.

XII.

Après avoir défini les objectifs d'une politique suisse du blé et indiqué les moyens de la réaliser, il nous reste à parler de la méthode à appliquer. Le monopole d'importation créé pendant la guerre existe encore aujourd'hui. La régie des blés conclut des achats à l'étranger, entretient des réserves et achète le blé du pays. En revanche, il n'a pas été pris de mesures pour encourager la culture du blé destiné à l'alimentation du producteur et de sa famille. Le problème de l'approvisionnement national en blé doit-il être résolu au moyen du monopole d'importation ou sans ce monopole?

Nous ne sommes pas d'avis quant à nous qu'un monopole doive être institué à tout prix. Nous ne cherchons nullement à étendre sans motif légitime l'action de l'Etat dans le domaine commercial et à ravir à l'initiative privée des tâches qu'elle s'est montrée capable d'accomplir jusqu'ici.

Au contraire, nous envisageons le monopole comme un moyen auquel il y aurait lieu de recourir seulement dans le cas où cela serait absolument indispensable pour atteindre un but à la réalisation duquel sont liés les intérêts vitaux du pays. C'est à ce point de vue que nous nous plaçons pour former notre appréciation.

Un examen impartial des faits nous amène à conclure que le monopole, aussi bien après que pendant la guerre, a fonctionné d'une manière tout à fait satisfaisante. Les achats ont eu lieu à des prix raisonnables, non pas, comme on serait tenté de le croire, au-dessus des taux moyens du marché international, mais au-dessous; les fournitures à la consommation se sont effectuées régulièrement et les frais

465

d'administration ont été modestes. Si la régie des blés n'avait pas à prendre à son compte la récolte du pays eti qu'elle n'ait à assumer que le service d'importation, son per- ' sonnel pourrait être diminué davantage encore. Les frais d'administration s'élèvent à environ 15 centimes par 100 kg., ce qui panait modique quand ou songe à la tâche* compliquée qu'occasionné l'entretien des réserves. Si le prix de livraison est actuellement au-dessus des taux du marché international, la cause ne doit pas en être attribuée à des 'opérations malheureuses, mais aux primes que la régie est obligée d'allouer pour la récolte du pays et dont la charge doit être répartie sur l'ensemble des livraisons.

On ne saurait guère contester non plus que le monopole permette de résoudre très simplement le problème de l'entretien des réserves et notamment de leut renouvellement..

C'est en outre un instrument qui rend aisée et exempte de frottements l'opération de la prise en charge de la récolte du pays et qui simplifie le contrôle en ce qui concerne les primes de mouture à allouer aux cultivateurs produisant le grain pour leur propre consommation. Quant au commerce en gros des grains exercé par les particuliers, il serait injuste de prétendre que le monopole ait eu pour effet de l'evincer d'une façon appréciable et sérieuse; si les mesures dérivant de celui-ci ont atteint certaines personnes dans leurs intérêts, ces personnes ne peuvent être quie fort peu nombreuses, et reste à savoir du reste si le détriment qu'elles ont subi n'est pas imputable plutôt au cours najtured des, choses. Ajoutons ;que la régie dejs blés est en état 'avec le temps d'abaisser ses prix davantage encore et de les faire, approcher de fort près les taux du marché international, si l'on réduit notablement, comme il semble indiqué de le faire, la prime dont bénéficie le grain du pays. La régie livre le grain franco, c'est-à-dire à un prix uniforme, ài toutel station de chemin de fer; cela peut éveiller unie impression' 'de cherté pi l'on juge par rappfort à une partie du paya(, mais si l'on a souci de la situation des régions écartées, on ne peut qu'approuver le système. Or, seul le monopole permet d'obtenir un pareil résultat.

D'un autre côté, il faut reconnaître que l'Etat, en étendant son rôle notamment sur le terrain commercial ou industriel,
étend du même coup ses responsabilités; il empiète sur les intérêts des particuliers, pénètre dans un domaine qui ,n'est pasi le sien et s'attaqua à des problèmes pour la solution desquels il n'est pas fait en vérité. On ne

466

saurait, certes, lui dénier les qualités nécessaires pour mener avec énergie et esprit de suite une tâche entreprise, mais il ne possède pas la souplesse sans laquelle on ne peut réussis .sur le terrain des affaires. Il rencontre du reste -- à tort peut-êtï-e -- U£ certain manque de confiance général à l'égard de ses capacités et, s'est-il fait marchand, il est probable qu'on ne voudra jamais reconnaître qu'il a acheté aux meilleures conditions possibles et revendu à aussi bon marché que faire se pouvait. On est assez communément persuadé dans le peuple que l'initiative privée est en mesure de travailler plus rationnellement et plus économiquement que l'Etat. On craint que celui-ci n'étende sa mainmise sur d'autres domaines encore de l'activité commerciale ou industrielle à seule fin d'accroître toujours plus son pouvoir et son influence ;*on estime qu'il faut empêcher que les particuliers ne 'tombent ainsi dans une trop grande dépendance envers lui. On prétend qu'armé du monopole qui supprimerait toute concurrence, il ne s'efforcerait pas de travailler avec le même savoir-faire et la même ardeur que le commerce privé. Le monopole du blé ouvrirait la voie à la nationalisation de la meunerie; en tout cas, affirme-t-on, celle-ci ne constituerait plus une industrie indépendante comme par le passé, puisque le meunier ne pourrait plus choisir librement son grain, quant à la qualité et à la provenance, mais devrait accepter purement et simplement ce qu'on voudrait bien lui remettre.

Maintes de ces objections sont justifiées, on ne saurait le nier. Il faut en tout cas reconnaître qu'un monopole d'importation limiteriait sérieusement le champ d'activité du commerce privé au profit du rôle de l'Etat, et cependant il est certain que l'initiative privée est dans la vie des peuples un puissant facteur de prospérité et de développement. En outre, il est sage de ne pas oublier que le monopole ne pourrait être introduit que par un vote populaire, que ce vote soulèverait une lutte passionnée dont l'issue reste incertaine >et que l'étatisme n'est pas en faveur auprès des niasses, surtout à l'heure présente, où nous assistons à une1 réaction assez naturelle contre les interventions des pouvoirs publics auxquelles il a fallu avoir recours pendant la guerre et les années qui ont immédiatement suivi.

Mais ce qui
paraît le plus décisif, c'est que le problème à résoudre peut l'être sans qu'il soit nécessaire d'introduire un monopole du commerce du blé. Ce monopole n'est pas indispensable à la Confédération pour entretenir les réserves

467

de grain voulues; d'autres solutions ou combinaisons peuvent être envisagées. En oe qui concerne l'encouragement de la culture des céréales dans le pays et la prime de mouture ou de production que nous prévoyons pour les cultivateurs produisant le grain pour leurs propres besoins, il paraît d'emblée possible d«f faire abstraction du monopole d'importation. Mais on trouvera un système permettant do ss passer de celui-ci, même pour le placement de la récolte du pays. Nous avons déjà indiqué dans un chapitre précédent comment on pourrait .y arriver.

Nous sommes donc d'avis, après avoir soigneusement pesé toutes les données du problème et avoir fait entrer en ligne décompte les conceptions économiques qui prévalent à l'heure actuelle ainsi que les raisons d'opportunité politique intervenant dans l'affaire, que les mesures à prendre pour assurer la subsistance du pays en pain ne doivent point comporter le maintien ou l'institution d'un monopole d'importation. Nous croyons d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire de .justifier longuement notre conclusion, attendu qu'elle repose non seulement sur des considérations pratiques, mais aussi sur des raisons de sentiment qui sont peut-être plus décisives encore que celles-là.

Quant à savoir si, après la suppression du monopole; d'importation, la Confédération continuera de faire un service ·d'achat et de vente, c'est une question au sujet de laquelle nous dirons ce qui suit: Un pareil service se fonde sur le principe du traitement égal pour tous et, pour le moment tout au moins, du prix uniforme pour toutes les contrées du pays, c'est-à-dire que la régie fédérale fait un prix moyen et supporte les frais de transport de la marchandise jusqu'à la gare de destination. Si la régie voulait entrer en concurrence aveu le négoce privé, elle devrait commencer par renoncer au prix uniforme pour tout le pays, sous peine de ne recevoir des commandes que pour les régions à gros frais de transport et de se voir en revanche évincer pour les endroits favorablement situés. Elle devrait aussi, afin de pouvoir soutenir la concurrence, obéir de jour en jour et d'heure en heure aux fluctuations du marche, et il arriverait ainsi qu'ayant vendu à tel ou tel prix à un acheteur elle devrait une heure après faire un prix plus haut ou- plus bas à un autre acheteur. L'Etat, duquel on
réclame l'égalité pour tous les administrés et auquel on fait tout de suite le reproche de favoritisme si des différences quelconques viennent à se manifester, n'est pas fait pour pareilles opérations.

468

Deux points devront cependant être réglés convenablement,, s'il est entendu que la Confédération ne paraîtra plus dûtout comme négociant sur le marché du blé: d'un côté l'écoulement des quantités de grain formant les réserves, cellesci devant être renouvelées périodiquement, de l'autre le placement de la récolte du pays. Pour le premier, la chose, à notre avis, sera relativement facile; on passera un arrangement avecla meunerie. Pour le second, c'est-à-dire pour le placement du grain que les cultivateurs suisses produisent en sus de leurs propres besoins, nous désirons, ainsi que nous l'avons déjà mentionné plus haut, trouver un système qui rende inutile l'interposition de l'Etat et grâce auquel la marchandise s'écoulerait directement auprès des meuniers ou des négociantspar exemple. De cette manière, la Confédération n'aurait pluspour rôle que d'allouer les primes à la mouture ou à la production et 'de s'entremettre entre les groupements de producteurs et les consommateurs en vue de faciliter le placement du grain du pays.

XIII.

L'approvisionnement du pays en blé ne peut évidemment pas être assuré sans quelques sacrifices. La Caisse fédéral© en supportera une partie sous une forme à déterminer, l'autre sera mise, le cas échéant, à la charge des consommateurs. A combien s'élèveront les charges? Nous essayons d'en donner l'évaluation ci-après: 1. L'aide technique à la culture des céréales (acquisition, et amélioration des semences, perfectionnement des méthodes culturales) n'imposera pas une dépense considérable. Les établissements d'expérimentation et les organismes agricoles accompliront une partie des travaux y relatifs, l'autre incombera à la division de l'agriculture. Nous évaluons la dépense de ce chef à une somme qui s'élèverait, au début, à.

100 000 francs par an et augmenterait peu à peu, sans toutefois dépasser 200000 francs. Aujourd'hui déjà, le budget général de la Confédération porte un crédit de 30 000 francs; pour l'encouragement de la culture des céréales. Nous partons de l'idée que la dépense supplémentaire qu'occasionneront les travaux dont il s'agit figurerait dans le budget ordinaire et que la somme nécessaire pour y subvenir serait prélevée sur les ressources générales de la Confédération.

2. Que la Confédération forme elle-même des réserves.

de blé ou en fasse constituer à son compte, il faudra sup-

469

porter la charge des intérêts du capital représenté' par les stocks (environ 10000 wagons à 10 tonnes) et payer les frais de magasinage. En évaluant à 30 francs en moyenne le prix de revient de 100 kg. de blé, l'intérêt) à 5 °/o représentera un sacrifice d'environ IVa millions de francs par an. Les frais de magasinage (entrée et sortie de la marchandise, pertes en poids et en qualité, loyer des magasins et frais d'administration) peuvent être évalués à une moyenne annuelle de 100 francs par wagon, soit à un million de francs. L'entretien de réserves occasionnerait dono chaque année des frais évalués à environ 2 Va millions de francs en tout.

3. Comm,e nous l'avons déjà dit, l'aide à la culture du blé dans le pays revêtirait probablement deux formes. D'une part, on allouerait une prime à la mouture ou à la production. D'autre part, un supplément de prix serait versé au cultivateur qui livrerait du blé suisse de bonne qualité et propre à la mouture.

On a évalué à une moyenne de 13000 wagons enviroïi les quantités de blé suisse qui seraient mises chaque année au bénéfice de l'une ou de l'autre des allocations dont il s'agit.

Dans les années de bonne récolte, le maximum des quantités livrées à la régie fédérale des blés a été, jusiqu'à présent,, de 9000 wagons. La quantité non livrée à la régie est estimée à 5000 wagons. Mais la récolte d'autres années a accusé un rendement bien inférieur. Si une prime est allouée sur les quantités destinées à l'alimentation du producteur, il paraîtrait équitable de la fixer à un montant de 4 à 5 francs par 100 kg. En 1923, l'écart entre les taux du marché international et le prix fixé pour l'achat du blé produit en Suisse était considérable, puisqu'il représentait 15 francs environ. Or, cette année-là, à peu près les deux tiers de notre récolte de blé ont été livrèa à la régie. On peut présumer que par suite de l'allocation; d'une prime à la mouture, le résultat pratique des deux modes d'utilisation du blé: consommation par les producteurs ou vente, ne se traduirait plus que par une différence d'environ 3 francs par 100 kg. (l'écart entre le prix du blé importé et le prix du blé suisse étant estimé à 7 francs environ) et que les quantités de blés mises en vente par les cultivateurs ne représenteraient 2 pas plus d'un tiers de la récolte. Si tel était le cas, les /s de 13000 wagons, soit 8500, bénéficieraient de la prime à la mouture. Celle-ci étant fixée à 5 francs, la dépense annuelle de ce chef serait d© 4250000 francs.

470

Comme nous l'avons déjà dit, la régie des blés a payé aux producteurs de blé suisse, en vertu de l'arrêté du. 1er juillet 1922, un prix dépassant de 15 à 16 francs par 100 kg. le prix du blé importé. Cet écart s'est réduit de 5 francs en 1924.

Nous estimons que pour la solution définitive, il faut tabler sur un écart de 7 francs en moyenne. Mais il est bien entendu que les ressources nécessaires à toute l'opération devraient être créées, pour une bonne part, au moyen de taxes spéciales à l'importation; y compris le modique droit de douane, le montant perçu à la frontière serait d'environ 2 francs par 100 kg.,j ce qui en somme ne favoriserait qu'insuffisamment notre pro duction. L'écart entre le prix du blé étranger dédouané à la frontière suisse et le prix qui serait payé au cultivateur représenterait donc un montant d'environ 9 francs. Si 4500 wagons de blé suisse étaient offerts, le supplément à payer à raison de 7 francs par 100 kg. représentait un total de 3150000 francs.

4. Nous avons déjà dit que les modestes dépenses pour l'aide technique à la culture des céréales seraient inscrites au budget du département de l'économie publique et couvertes au moyen des ressources de la Confédération., comme le sont toutes les autres dépenses faites; en vue d'encourager la production agricole. Voyons ce qu'il en est des autres charges.

Il va sans dire que les 2 Va millions de francs pour frais de magasinage et les 4 250 000 francs pour primes à la mouture seraient à la charge de la Confédération. En ce qui concerne le supplément à payer pour le blé du pays, deux méthodes sont concevables: ou bi>en la Confédération prend aussi cette prime à sa charge et la verse soit au producteur, soit à l'acheteur, ou bien ce dernier, l'importateur de blé ou d© farine ou le meunier, astreint par convention ou par la loi à acquérir un contingent de blé du pays, paie lui-même le supplément et en tient compte dans la détermination du prix de revient de la farine ou du blé. Ein pareil cas, la dépense retomberait sur le consommateur.

Nous ne nous prononcerons définitivement aujourd'hui ni pour l'un ni pour l'autre système. Qu'il nous suffise de constater que le dernier occasionnerait à la Confédération une dépense annuelle d'environ 6750000 francs, le premier de 10 millions de francs en chiffre rond. Les modalités d'application de l'un ou l'autre système pourront être discutées lors de l'élaboration de la loi.

La situation financière de la Confédération n'est pas telle

471

aujourd'hui qu'elle permette d'emblée une dépense, de cette importance. Toutefois, nous n'émettrons pas un avis définitif sur la question de savoir si la loi pourrait mettre à la charge de la Confédération une part des dépenses dont il s'agit, sans que cette part fût couverte par des recettes correspondantes. En tout état de cause, voici comment des recettes pourraient être créées.

Les mesures destinées à assurer la subsistance du pays en pain profitent à toute la population et sont prises danä son intérêt. Aussi apparaît-il naturel que les dépenses qu'elles nécessitent soient couvertes, tout au moins en partie, par de modestes taxes spéciales perçues à l'importation du blé et des produits de la mouture. D'après les calculs que nous avons établis, en nous fondant sur la moyenne des ·chiffres d'importation pour les années 1912, 1913, 1921 et 1922, la perception d'une taxe de 1 franc sur le froment et d'une taxe correspondante sur les autres espèces de grain et la farine produirait annuellement une somme d'environ 6 Va millions de francs. Si la taxe était fixée à 1 franc 50, son rendement dépasserait 10 Va millions de francs. Dans nos calculs, nous faisons aussi entrer la modeste taxe que la farine, le son» les farines fourragères et la paille auraient à acquitter. Les droits de douane sur le blé ont été quelque peu majorés par le tarif d'usage de 1921. Espérons que la situation financière de la Confédération permettra de prélever sur le produit de ces droits une somme qui pourra servir à faire face à une partie des frais occasionnés par les mesures visant à assurer la subsistance du pays en pain. Si tel est le cas, l'importation du froment serait grevée de 1 franc 50 à 1 franc 60 par 100 kg. Au cas contraire, le total du montant perçu à la frontière s'élèverait à 2 francs par 100 kg., mais ce serait là un maximum. Sur cetts somme de 2 francs, un montant de 1 franc à 1 franc 50, suivant le système qui sera appliqué, représenterait la taxe spéciale perçue pour assurer l'approvisionnement du pays en blé ; quant au droit de douane proprement dit, il est fixé, on le sait, à 60 centimes par 100 kg. Si l'on procède comme nous venons de l'exposer, le système qui serait appliqué chez nous différerait de ceux auxquels les quatre Etats qui nous avoisinent ont recouru avant la guerre pour protéger leur production
de céréales. Ces pays introduisirent un droit de douane assez élevé pour assurer une protection efficace.

Le rendement de ces droits tombait dans les caisses de l'Etat.

D'après notre système, nous ne percevrions ,que le quart ou le tiers des droits de douane perçus par l'étranger et

472

nous en affecterions le produit à la formation de réserves et à l'aide à la culture, en un mot, aux mesures destinées à assurer notre subsistance en pain. En conséquence, cette prime d'assurance, s'il nous est permis de nous servir de cette expression, ne représenterait chez nous que le V* ou le Vs de la charge supportée par les consommateurs des pays qui nous avoisinent.

XIV.

On peut se demander si le programme que nous venons de tracer à grands traits ne pourrait pas être réalisé sans qu'il soit nécessaire de reviser notre charte constitutionnelle.

Au cas où l'on tenterait de résoudre le problème sur la base de la constitution actuelle, il se produirait certainement dea divergences d'opinions qui nuiraient à sa solution. Quoi qu'il en soit, nous jugeons préférable de faire de la question de notre approvisionnement en blé, en somme nouvelle et que la constitution se mentionne nulle part, l'objet d'un article spécial de notre charte fondamentale. La disposition dont il s'agit serait intercalée entre l'article 23 et l'article 24: elle porterait le numéro 23bis. En élaborant ce projet d'article constitutionnel, nous avons cherché à définir, positivement et négativement, tout ce qui a une importance de principe. Au surplus, nous avons considéré qu'un article constitutionnel n'est pas uniquement destiné à faire face aux besoins du moment, mais doit laisser une certaine latitude au législateur.

Comme le peuple a le droit de se prononcer sur l'application des principes énoncés dans l'article constitutionnel, une sosolution qui ne répondrait pas à la volonté populaire n'est pas à craindre.

C'est en nous inspirant de ces considérations que nous avons rédigé le projet d'article ci-annexé.

Le premier paragraphe déclare que la Confédération doit prendre des mesures pour assurer au pays son approvisionnement en blé. C'est intentionnellement que nous avons choisi cette rédaction; il ne s'agit pas seulement de donner une attribution à la Confédération, mais de lui conférer un mandat.

En parlant d'« approvisionnement en blé », nous avons en vue, cela résulte du présent message, l'approvisionnement en « grain panifiable ». En ce qui concerne l'importation, il ne s'agira sans doute que de froment. Quant au « blé du pays », il comprendra le froment, l'épeautre et le seigle. Nous ne parlons pas du maïs, attendu que, selon nous, il n'entre pas dans la catégorie des « blés ». Dans le texte français, nous

473

avons donné la préférence au mot «blé», dont l'acception est moins large que l'expression « céréales ».

Le deuxième alinéa énonce les points fondamentaux du programme. Il indique expressément les deux principaux moyens de garantir l'approvisionnement du pays en blé: formation de réserves et encouragement de la culture du blé dans le pays. Seul le froment servira à la formation de réserves, à moins que l'on ne soit obligé, en des temps extraordinaires, de recourir aussi à une autre espèce de céréales, par exemple au seigle. Nous nous sommes demandé si, au lieu de réserves de « blé », il n'eût pas été préférable de dire réserves de «blé panifiable». Nous y avans renoncé, attendu que, dans tout notre projet d'article constitutionnel, nous désirons ne parler que de blé. D'ailleurs, il n'est pas à craindre que l'on forme des réserves autres que celles de grain panifiable, exception faite des modestes provisions d'avoine qui devront continuer d'exister pour l'armée. La question de savoir comment les stocks seront constitués et renouvelés demeure ouverte.

Il appartiendra à la loi de dire si la Confédération formera elle-même ces réserves ou si elles seront constituées par des tiers, sous le contrôle de la Confédération, ou encore si l'un et l'autre système pourront être appliqués. Il ne serait pas sage de lier le législateur à cet égard. De même, l'article constitutionnel ne saurait renfermer aucune prescription sur l'importance des réserves. Nous le répétons, il n'est nullement dans nos intentions d'aller trop loin et c'est à la loi qu'il appartiendra de fixer des règles à ce sujet.

Le deuxième alinéa pose ensuite le principe d'après le-i quel la culture, l'utilisation et la transformation du blé du pays doivent être encouragées. C'est ainsi qu'en vue de soutenir la culture du blé pour l'alimentation du producteur et de son ménage, notre rédaction jpermet par exemple l'allocation de primes à la mouture ou à la production. D'autre part, elle donne la possibilité d'édicter des prescriptions!

et de prendre des mesures pour faciliter le placement du grain.

Il n'est pas nécessaire de parler de la meunerie. On ne peut s'en passer pour transformer le grain. Si la culture des céréales en Suisse s'accroît, il y aura plus de grain à moudre, de sorte que les conditions d'existence de la meunerie s'amélioreront. Mais nos moulins transformeront aussi le blé étranger; s'il n'en était pas ainsi, la formation de réserves n'aurait pas sa raison d'être.

474

Le troisième alinéa déclare que la loi fixera l'application des principes énoncés dans l'article constitutionnel. L© législateur n'est pas lié à
Cela ne finirait pas. La Constitution n'est pas une loi et c'est à cette dernière qu'il appartient de fixer les modalités d'application des principes constitutionnels.

Le point financier n'a pas à être mentionné expressément dans l'article constitutionnel. Il va sans dire que le texte du projet donne au, législateur la possibilité d'édicter dea prescriptions sur la perception à la frontière de taxes destinées à subvenir aux frais des mesures prises pour assurer l'approvisionnement en blé. Cela résulte spécialement du deuxième alinéa, lettre &, mais aussi du pouvoir général conféré au législateur par la première phrase de l'alinéa 3. Enfin, d'autres dispositions constitutionnelles donnent à la Confédération le droit de percevoir des droits de douane.

A cet égard aussi, une certaine latitude est laissée au législateur. Si sa situation financière le lui permet, la Confédération doit avoir la faculté de faire un sacrifice au moyen de ressources autres que celles dont nous venons de parler.

Nous avons tenu à trancher la question du monopole.

On nous objectera peut-être qu'il n'eût pas été nécessaire d'interdire expressément le monopole, puisque les dispositions générales de la constitution ne permettent pas de l'introduire.

Nous sommes toutefois persuadés que si nous ne stipulions pas cette interdiction, on nous objecterait que le monopole pourrait être introduit plus tard en vertu du nouvel article constitutionnel. Il s'agit d'une question de principe; elle suscite un grand intérêt et nous insistons pour qu'elle soit résolue d'une façon claire et précise. Si nous avions proposé le
monopole, nous vous eussions aussi demandé de l'instituer expressément et d'adopter une solution nette. L'article constitutionnel ne permet pas d'introduire le monopole; on ne pourra dono pas combattre notre projet en affirmant qufil

475

n'empêche pas le monopole. Nous voup prions de vous en tenir strictement au texte que nous vous soumettons.

Le dernier alinéa consacre la suppression dui monopole qui existe aujourd'hui. Cette disposition, elle aussi, soulèvera des objections. Les uns diront qu'elle n'est pas nécessaire, les autres que sa place n'est pas dans la constitution. Sur ce point également, nous vous demandons de ne pas modifie» notre projet. Si cette disposition était supprimée, on nous objecterait que des années pourraient encore s'écouler jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi d'application du nouvel article constitutionnel et que le monopole serait maintenu dans l'intervalle. On irait même jusqu'à dire que l'on retarde l'élaboration de la loi pour pouvoir maintenir ce monopole.

Nous entendons prévenir de telles interprétations et déclarer sans ambages que le monopole disparaîtra automatiquement à l'expiration d'un délai déterminé, que l'article 23b'3 de la constitution soit entré en vigueur ou non.

XV.

Arrivé au terme de notre exposé, nous tenons à souligner une fois encore combien il est important pour la défense nationale et l'économie du pays d'assurer notre approvisionnement en blé. Nous vous recommandons de vous garder de toute idée préconçue et de ne pas voir dans notre projet uniquement un moyen de soutenir l'agriculture. Si la culture du blé n'est pas rémunératrice, nos paysans, comme le feraient d'ailleurs tous autres producteurs travaillant dans des conditions défavorables, S3 voueront à une autre activité. Assurément, de nombreux cultivateurs en pâtiraient, mais la première victime serait le pays. En effet, sa capacité de produfction alimentaire se trouverait affaiblie. Toutes les classes de la population ont intérêt à ce que les paysans soient aussi nombreux que possible et s'adonnent à la culture des céréales) et des plantes alimentaires. Assurer notre approvisionnement en blé, c'est servir le pays et contribuer à sa subsistance en temps de guerre comme en temps de paix. D'autre part, des considérations d'ordre national et politique commandent de sauvegarder l'existence des cultivateurs. Comparé à la grandeur du but poursuivi, le sacrifice nécessaire pour l'atteindre est modeste.

Nous n'ignorons pas que de nombreux citoyens -- des agriculteurs notamment -- donneraient la préférence au monopole. Selon nous, il faut tenir compte de l'opinion d'autres!

476

citoyens qui entendent laisser à la libre initiative le soin de résoudre le problème de notre approvisionnement en blé. Nous croyons pouvoir dire que le but poursuivi peut être atteint autrement qu/e par le monopole. L'article constitutionnel que nous vous soumettons s'inspire du désir de concilier les opinions divergentes. Nous vous recommandons vivement de l'adopter tel quel. Sur l'application des principes qu'il énonce, il sera certainement possible de s'entendre.

Nous nous sommes aussi demandé quel devait être le sort des prescriptions extraordinaires actuellement en vigueur.

Vu l'insécurité qui plane encore sur la situation générale, nous n'avons pas pu; nous résoudre à supprimer ces prescriptions dès maintenant et à compromettre la culture des céréales, qui s'est développée d'une façon réjouissante et que nouis ne pourrions rétablir qu'au prix de grosses difficultés et de lourds sacrifices. Nous estimons que des -prescriptions analogues à celles qui régissent aujourd'hui le placement des blés du pays doivent être maintenues en vigueur jusqu'au moment où nous serons fixés sur le sort de notre projet d'article constitutionnel. Aussi vous adressonsnous, en même temps que le présent message, un autre projet visant à proroger d'une année, c'est-à-dire jusqu'à la récolte de 1925, les prescriptions dont il s'agit. Noua avons ajouté à celles-ci des dispositions spéciales par lesguelles nous voudrions faire l'expérience d'un appui à la culture des céréales destinées à l'alimentation du producteur.

Cet appui est commandé par l'équité, à l'égard notamment!

des petites exploitations. Il sera très intéressant d'en constater les effets sur les quantités de blé du pays livrées par les cultivateurs.

En proposant d'établir une base constitutionnelle définitive et de réglementer provisoirement l'aide à la culture du blé, nous avons voulu faire oeuvre de conciliation danßi l'intérêt de chacun et du pays en général. Notre projet vise à rapprocher la campagne et la ville et à représenter aux citoyens la communauté de leurs intérêts.

Il entend prouver que nous n'avons pas oublié les enseignements de la guerre et quie nous sommes prêts à nous prémunir contre les mauvais jours. Les résistances, nous le savons, ne feront pas défaut. Alors que d'aucuns voudraient résoudre le problème par le moyen du monopole, d'autresi proclament que la Confédération doit laisser aller les choses et abandonner l'agriculture à son sort. De telles théories com-

477

promettent la paix économique et politique; ceux qui s'en font les défenseurs travaillent, inconsciemment peut-être, .à rebours des intérêts du pays.

Nous vous recommandons d'approuver le projet d'ariticle constitutionnel ci-annexé.

Berne, le 27 mai 1924.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, CHÜAÜD.

Le chancelier de la Confédération, STEIGER.

.Feuille fédérale. 76e année. Vol. IL

33

478 Projet.

'

Arrêté fédéral concernant

l'insertion dans la constitution fédérale d'un article 23bis; sur les mesures propres à assurer au pays son approvisionnement en blé.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE de la C O N F É D É R A T I O N S U I S S E , vu le message du Conseil fédéral, du 27 mai 1924, arrête: er

Article I . Est inséré dans la constitution fédérale IME article 23bis ainsi conçu: Art. 231}is. La Confédération prend des mesures pouaassurer au pays son approvisionnement en blé.

Elle devra notamment: : a. entretenir elle-même des réserves de blé ou pourvoir à ce qu'il en soit constitué de toute autre façon;1 : 6. faciliter et encourager par des prescriptions efc mesures appropriées la culture ainsi que l'utilisation, et, la transformation du blé du pays.

La loi déterminera l'application de ces principes..

Toutefois, elle ne pourra attribuer ni à la Confédération, ni à. un organisme privé le droit exclusif d'importer du blé, les nécessités du temps de guerre demeurant réservées.

Les prescriptions extraordinaires en vertu desquelles, seule la Confédération a le droit d'importer du blé, cesseront d'être en vigueur au plus tard une année après, l'adoption du présent article.

Article II. Le présent arrêté sera soumis aui vote du?

peuple et des cantons.

Article III. Le Conseil fédéral est chargé de pourvoirà l'exécution du présent arrêté.

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

Message du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant les mesures destinées à assurer l'approvisionnement du pays en blé. (Du 27 mai 1924.)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1924

Année Anno Band

2

Volume Volume Heft

23

Cahier Numero Geschäftsnummer

1859

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

04.06.1924

Date Data Seite

413-478

Page Pagina Ref. No

10 083 984

Das Dokument wurde durch das Schweizerische Bundesarchiv digitalisiert.

Le document a été digitalisé par les. Archives Fédérales Suisses.

Il documento è stato digitalizzato dell'Archivio federale svizzero.