02.303 Initiative du canton du Jura Suppression des normes fiscales fédérales contraires à l'art. 6 CEDH Rapport de la Commission de l'économie et des redevances du Conseil des Etats du 13 février 2006

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Par le présent rapport, nous vous soumettons le projet de loi fédérale sur la modification de la LIFD et de la LHID visant à mettre les dispositions pénales de ces actes en conformité avec la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH), que nous transmettons simultanément au Conseil fédéral pour avis.

La commission propose d'adopter le projet ci-joint.

13 février 2006

Au nom de la commission: Le président, Hannes Germann

2006-0727

3843

Rapport 1

Genèse du projet

Le 19 décembre 2001, le parlement du canton du Jura a décidé par 24 voix contre 22 de soumettre une initiative à l'Assemblée fédérale, conformément à l'art. 160, al. 1, de la Constitution fédérale (Cst.). Déposée le 25 mars 2002, l'initiative vise à abroger ou à modifier l'art. 174 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct (LIFD), ainsi que toute autre disposition qui serait contraire à l'arrêt du 3 mai 2001 de la Cour européenne des droits de l'homme. Comme le prévoit l'art. 21octies de la loi sur les rapports entre les conseils (LREC), l'initiative a été soumise à l'examen préalable de la Commission de l'économie et des redevances (CER) de chacun des conseils.

Toutes deux ont recommandé à leur conseil de donner suite à l'initiative. Le 5 mars 2003, le Conseil des Etats s'est rallié à la proposition de sa commission, suivi le 8 mars 2004 par le Conseil national. La CER du Conseil des Etats (CER-E) a alors été chargée d'élaborer un projet pour mettre en oeuvre l'initiative.

Après avoir entendu M. Franz Marty, ancien conseiller d'Etat du canton de Schwyz et président de la commission d'experts «droit pénal fiscal et entraide administrative internationale», et procédé à un long débat, la CER-E a adopté, à sa séance du 13 février 2006, les présents rapport et projet de loi à l'intention du Conseil des Etats et du Conseil fédéral.

2

Grandes lignes du projet

2.1

Contexte de l'initiative du canton du Jura

L'initiative cantonale du Jura est fondée sur l'arrêt du 3 mai 2001 de la Cour européenne des droits de l'homme.

Dans son jugement en la cause J. B. contre la Suisse, la Cour européenne des droits de l'homme a prononcé un arrêt contre la Suisse1, l'accusant de violer le principe du «droit à un procès équitable», fixé à l'art. 6 § 1 CEDH2, en vertu duquel personne ne peut être obligé à s'autoaccuser.

En Suisse, le cas, brièvement décrit ci-dessous, avait été jugé en se fondant sur l'arrêté du Conseil fédéral concernant la perception d'un impôt fédéral direct (AIFD), qui était en vigueur jusqu'au 31 décembre 1994. Cependant, les considérations juridiques valent également pour la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct (LIFD)3, entrée en vigueur le 1er janvier 1995.

Cet arrêt porte sur des poursuites pour soustraction d'impôt contre un contribuable que l'administration fiscale soupçonnait, preuves à l'appui, d'avoir omis de déclarer des intérêts (sur placements) qu'il a touchés durant certaines périodes fiscales. Bien qu'ayant avoué la soustraction d'impôt, le contribuable incriminé a refusé de remet1 2 3

Arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 3 mai 2001 dans l'affaire J. B.

contre la Suisse, recours no 31827/96. Recueil des arrêts et décisions 2001 III p. 455.

Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, RS 0.101.

RS 642.11

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tre les documents exigés par l'administration fiscale de son canton. Se fondant sur l'art. 131 AIFD, cette administration cantonale lui a donc infligé une amende d'ordre de 1000 francs sous peine de poursuites judiciaires pour violation d'une obligation de procédure. Après plusieurs avertissements infructueux, l'administration cantonale lui a infligé, pour l'impôt fédéral direct, une deuxième amende d'ordre s'élevant à 2000 francs.

La commission cantonale de recours a confirmé cette amende, rejetant le recours du contribuable. Dans son arrêt du 7 juillet 1995, le Tribunal fédéral a donné raison à cette commission en rejetant le recours du contribuable contre sa décision4. Le Tribunal fédéral a justifié son arrêt en statuant que la procédure en soustraction d'impôt constituait une procédure pénale qui doit certes respecter les garanties de la CEDH, c'est-à-dire, en l'occurrence, le droit à un procès équitable au sens de l'art. 6 § 1, mais que le rappel d'impôt ne constitue pas une sanction à caractère pénal, pas même si ce rappel d'impôt est exigé dans le cadre d'une procédure en soustraction d'impôt5.

Le contribuable a fait recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme en avançant l'argument que la procédure engagée contre lui n'était pas équitable et qu'elle violait l'art. 6 § 1 CEDH, car elle l'obligeait à fournir des documents qui pourraient constituer une charge contre lui.

La Cour européenne des droits de l'homme a donné tort à la Suisse. Elle a tout d'abord souligné qu'elle n'avait pas, dans le cadre de cette affaire, à répondre à la question de savoir si un Etat pouvait légitimement exiger des renseignements d'un contribuable dans la seule intention d'effectuer une imposition correcte. Sa tâche est de vérifier si le fait d'infliger une amende contre le plaignant parce qu'il refuse de fournir des renseignements est conforme à la CEDH ou non. Selon la Cour, même si les informations exigées sous peine de conséquences juridiques servaient bien à déterminer le montant de l'impôt, le contribuable ne pouvait pas exclure que d'autres indices concernant des sources non déclarées puissent ressortir de ces informations, indices justifiant la soustraction d'impôt. Au Gouvernement de la Suisse, qui a objecté qu'une séparation des procédures (en l'occurrence entre la procédure de rappel
d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt) entraînerait des difficultés pratiques, la Cour européenne des droits de l'homme a répondu que sa seule mission était de déterminer si les Etats contractants respectaient les prescriptions de la CEDH, et pas de leur indiquer par quels moyens ils devaient répondre aux exigences conventionnelles.

4 5

ATF 121 II 273 ss.

Le Tribunal fédéral a souligné le fait que, dans le cas présent, l'autorité fiscale connaissait déjà les investissements (placements de la fortune) que le contribuable avait effectués.

L'autorité fiscale a donc essayé de savoir si ces placements provenaient d'éléments du revenu ou d'éléments de la fortune qui avaient été déclarés conformément à la loi. C'est la raison pour laquelle elle a demandé au contribuable de fournir des renseignements sur la provenance des revenus découlant de ses investissements. Vu sous cet angle, on ne peut pas affirmer que le contribuable ait été obligé de s'autodénoncer: l'autorité fiscale voulait seulement connaître la provenance des liquidités dont elle connaissait déjà l'existence. Le Tribunal fédéral a souligné par ailleurs que tout le système fiscal de la Suisse serait remis en question si le droit au silence était octroyé au contribuable incriminé. Car la procédure ordinaire devrait alors être effectuée selon les principes de la procédure pénale. En outre, le droit au silence rendrait le contrôle plus difficile voire même impossible, ce qui serait contraire à la visée de l'art. 6 CEDH.

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2.2

Conséquences de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme sur le droit fiscal suisse

2.2.1

Bases légales en matière de procédure de rappel d'impôt et de procédure en soustraction d'impôt (LIFD et LHID)

On fait la différence entre la procédure de rappel d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt aussi bien dans le cadre de l'impôt fédéral direct que dans celui des impôts directs des cantons.

La procédure de rappel d'impôt vise à déterminer puis à percevoir l'impôt qui n'a pas été perçu dans le cadre de la taxation ordinaire entrée en force (cf. art. 151, al. 1, LIFD et art. 53, al. 1, LHID). Les intérêts moratoires viennent s'ajouter au rappel d'impôt. Pour le fisc, la procédure de rappel d'impôt est donc le pendant de la procédure de révision que les contribuables peuvent exiger en leur faveur. Cependant, contrairement à la procédure de révision, la procédure de rappel d'impôt se fait toujours au détriment du contribuable. Cette procédure peut également être lancée si le contribuable n'est pas fautif. En d'autres termes, le fisc peut revenir sur une taxation entrée en force même si le contribuable n'a commis aucune faute. La procédure de rappel d'impôt est exclue si l'autorité fiscale connaissait les faits qui ont mené à une absence de taxation injustifiée ou à une taxation incomplète. Le rappel d'impôt est également exclu lorsque le contribuable a déposé une déclaration complète et précise concernant son revenu, sa fortune et son bénéfice net et que l'autorité fiscale en a admis l'évaluation (art. 151, al. 2, LIFD et art. 53, al. 1, LHID).

Le but de la procédure en soustraction d'impôt (cf. art. 175 ss. LIFD et art. 56 ss.

LHID) est de fixer le montant de l'amende infligée au contribuable fautif. On distingue entre trois cas de soustraction (art. 175, al. 1, LIFD et art. 56, al. 1, LHID). On parle de soustraction au sens strict lorsqu'une taxation n'est pas effectuée alors qu'elle devrait l'être ou lorsqu'une taxation entrée en force est incomplète. Ensuite, on parle de soustraction dans le domaine de l'impôt à la source lorsque celui qui, tenu de percevoir un impôt à la source, ne le retient pas ou ne retient qu'un montant insuffisant. Enfin, on parle de soustraction lors de la procédure de perception lorsqu'un contribuable obtient une restitution d'impôt illégale ou une remise d'impôt injustifiée.

Selon les prescriptions en vigueur de la LIFD et de la LHID, l'amende en cas de soustraction est fixée en fonction du montant de l'impôt soustrait. Suivant la gravité de la faute commise
par le contribuable, le montant de l'amende peut être un multiple du montant de l'impôt soustrait. Le droit fiscal fédéral fixe le montant minimal de l'amende à un tiers du montant de l'impôt soustrait et le montant maximal au triple de ce montant. Lorsque le contribuable dénonce spontanément la soustraction, l'amende est réduite au cinquième de l'impôt soustrait (art. 175, al. 2 et 3, LIFD; art. 56, al. 1, LHID). Ainsi, il apparaît qu'il est éminemment important de fixer précisément le montant de l'impôt soustrait (rappel d'impôt).

L'introduction d'une procédure en soustraction d'impôt va donc de pair avec l'introduction d'une procédure de rappel d'impôt (art. 152, al. 2, LIFD). Comme c'est le cas dans la pratique, les deux procédures peuvent être menées conjointement. Il ne faut cependant pas perdre de vue qu'il s'agit de deux procédures distinc-

3846

tes6. Lorsqu'un contribuable dépose un recours contre la décision en matière du rappel d'impôt et contre l'amende pour soustraction fiscale, la procédure de rappel d'impôt est traitée en premier. Ce n'est qu'ensuite que l'amende est traitée.

2.2.2

Relation entre la procédure de rappel d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt

La «Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale» (nommée ci-après «Commission d'experts») a étudié la relation entre la procédure de rappel d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt7. Dans le cadre de la procédure de rappel d'impôt, le contribuable a les mêmes droits et les mêmes devoirs que dans le cadre de la procédure de taxation ordinaire. Il a l'obligation de collaborer avec l'Administration afin de déterminer le montant de l'impôt dû. Cette dernière a le droit d'exiger, sous peine d'amende, des informations du contribuable (cf. art. 174 LIFD, art. 55, LHID ainsi que les législations cantonales qui s'y rapportent). Cependant, l'Administration n'a pas le droit d'employer des moyens de coercition tels que des perquisitions ou des confiscations.

En revanche, en raison du caractère pénal de la sanction découlant d'une procédure en soustraction d'impôt, le contribuable peut exercer son droit de défense en faisant valoir la CEDH, en vertu de laquelle il n'est pas tenu de fournir des renseignements qui pourraient nuire à ses propres intérêts. En effet, le fisc n'a pas le droit d'exiger des renseignements en menaçant le contribuable de poursuite pénale. Contrairement aux véritables procédures pénales, il n'est pas légal d'appliquer des mesures de coercition dans le cadre des procédures en soustraction d'impôt.

Dans le domaine des impôts sur le revenu et sur la fortune, la procédure de rappel d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt sont introduites par la même autorité fiscale que la taxation ordinaire. Il apparaît dès lors qu'en Suisse, la procédure en soustraction d'impôt est, dans le cadre des impôts sur le revenu et sur la fortune, davantage une procédure administrative prévoyant des sanctions à caractère pénal qu'une véritable procédure pénale.

2.2.3

Respect de l'art. 6 § 1 CEDH (Droit à un procès équitable) dans le droit fiscal suisse

Conformément à l'art. 6 § 1 CEDH, «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en 6

7

Cf. Circulaire de l'AFC no 21 du 7 avril 1995, p. 4: «Comme innovation la plus importante on relève qu'en présence d'une soustraction d'impôt consommée le montant d'impôt soustrait doit être fixé par une décision particulière émanant d'une procédure de rappel d'impôt et être perçu en tant que rappel d'impôt. Les amendes sont des peines au sens de la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH).» Cf. Rapport de la «Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale», Berne 2004, p. 13 ss et 21 ss.

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matière pénale dirigée contre elle». On peut déduire de cette prescription le principe selon lequel personne ne peut être obligé à s'autoaccuser.

Dans son rapport, la Commission d'experts8 conclut que l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 3 mai 2001 en la cause J. B. contre la Suisse ne remet pas en question l'existence du rappel d'impôt, ni l'existence de la procédure en soustraction d'impôt, ni la possibilité de l'autorité fiscale d'exiger du contribuable qu'il participe à la détermination de l'impôt en le menaçant de conséquences pénales. La Commission d'experts a conclu en revanche qu'il ressort de cet arrêt qu'une amende infligée à un contribuable parce qu'il refuse de fournir des documents qui pourraient l'incriminer est contraire au droit à un procès équitable (art. 6 § 1 CEDH) du moment qu'il peut raisonnablement craindre que son comportement contribue à l'incriminer dans le cadre de la procédure en soustraction, et ce, même s'il existe une procédure de rappel d'impôt dans laquelle le contribuable est tenu de coopérer.

La Commission d'experts a étudié quelles étaient les modifications législatives nécessaires pour corriger cette contradiction avec la CEDH. Il est apparu d'une manière générale que la procédure en matière de soustraction n'était réglementée que sommairement dans la LIFD9. La Commission d'experts a notamment attiré l'attention sur la réglementation générale de la procédure de taxation et de la procédure de recours, qui s'appliquent par analogie. A la lumière des griefs de la Cour européenne des droits de l'homme, cette réglementation apparaît lacunaire en ce qui concerne les sanctions pour non-collaboration et la garantie des droits de la défense pour le contribuable suspecté de soustraction.

Si les deux procédures (en rappel d'impôt et en soustraction) sont maintenues, comme le préconise la Commission d'experts, il faut: ­

veiller à ce que l'obtention et l'utilisation des informations qui auraient été fournies par le contribuable en vue de l'établissement de l'impôt ne se heurtent pas à la jurisprudence précitée de la CEDH;

­

s'assurer que, dans le cadre de ces deux procédures, le fisc soit non seulement en mesure d'établir l'impôt dû, mais encore qu'il dispose d'assez de moyens pour poursuivre les soustractions.

Selon la Commission d'experts, il n'est donc, à l'heure actuelle, ni nécessaire ni approprié de modifier les principes de ces procédures fondamentales en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur la fortune10.

Dans pratiquement toutes les procédures en soustraction accompagnées d'un rappel d'impôt, le jugement est prononcé avant tout sur la base de documents. En général, le fisc prend connaissance des revenus ou de la fortune non déclarés grâce à des documents que des tiers lui ont remis. Il ouvre ensuite la procédure en rappel d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt sur la base de ces documents. Très rares sont les cas dans lesquels le contribuable, par ses déclarations ou par la remise d'autres documents, collabore véritablement (c'est-à-dire au-delà de ce qui est déjà

8 9 10

Rapport de la «Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale», Berne 2004, p. 25 s.

Art. 182 et 183 LIFD; cf. également Circulaire de l'AFC no 21 du 7 avril 1995.

Rapport de la «Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale», Berne 2004, p. 25.

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établi ou déterminable par recoupements d'informations): en général le contribuable se limite à expliquer ce que le fisc a déjà constaté.

La Commission d'experts s'est donc prononcée contre l'ajout de mesures coercitives dans la procédure en soustraction d'impôt11. Elle estime en effet que le fait d'appliquer de telles mesures chaque fois qu'il y a soupçon de soustraction d'impôt n'apporterait aucune amélioration du point de vue du rapport entre la charge administrative et le résultat par rapport à la procédure actuelle, dans laquelle on se fonde surtout sur des documents (cf. paragraphe précédent). Le but n'est pas de muer la procédure en soustraction d'impôt dans le cadre des impôts sur le revenu et sur la fortune en véritable procédure pénale. La procédure devrait rester une procédure administrative prévoyant des sanctions à caractère pénal et, ainsi, rester dans le domaine de compétence des administrations et des tribunaux administratifs.

Dans son rapport, la Commission d'experts a conclu qu'il fallait notamment adapter la LIFD et la LHID aux exigences de l'art. 6 § 1 CEDH en apportant les modifications suivantes12: ­

il doit apparaître clairement que le contribuable a le droit de refuser sa coopération dans le cadre de la procédure en soustraction et ce droit doit lui être communiqué à l'ouverture de la procédure (art. 183, al. 1, LIFD et 57a, al. 1, LHID, cf. ch. 3);

­

l'utilisation des renseignements recueillis avec la libre collaboration du contribuable pour l'établissement de l'impôt ne doit pas être contraire à l'art. 6 § 1 CEDH (art. 153, al. 1bis et 183, al. 1bis, LIFD et art. 53, al. 4 et 57a, al. 2, LHID, cf. ch. 3);

­

il ne peut y avoir de sanctions pour non coopération dans le cadre d'une procédure en soustraction d'impôt (cf. art. 183, al. 1bis, LIFD et art. 57a, al. 2, LHID, cf. ch. 3).

Ces modifications permettront d'adapter la procédure en soustraction d'impôt aux exigences en matière d'équité découlant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme13.

La Commission d'experts a étudié par ailleurs le modèle bernois14: en général, l'administration fiscale du canton de Berne applique elle-aussi conjointement la procédure de rappel d'impôt et la procédure pénale en matière fiscale. A l'ouverture de la procédure, le contribuable incriminé est informé sur le fait qu'il a le droit de demander à être jugé par un juge indépendant15. Les deux procédures ne sont donc menées conjointement que si le contribuable incriminé l'admet. Si ce dernier choisit 11 12 13 14 15

Rapport de la «Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale», Berne 2004, p. 26 s.

Rapport de la «Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale», Berne 2004, p. 28.

Cf. explications sur les dispositions proposées, ch. 3.1.

Cf. proposition commune du Conseil d'Etat et de la Commission du 17/2 mars 1999 concernant la loi fiscale 2001.

Art. 225, al. 1 de la loi sur les impôts du canton de Berne: «La procédure en soustraction d'impôts, la procédure en violation des obligations en procédure et la procédure contre des contraventions en matière d'inventaire sont généralement menées conjointement à une procédure de taxation, une procédure de rappel d'impôts ou une procédure de recours conformément à la présente loi. Jusqu'à l'échéance du délai de recours, la personne contribuable et les tierces personnes au sens de l'article 219 peuvent demander que l'affaire soit portée devant le ou la juge conformément au code de procédure pénale».

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la procédure devant le juge pénal, font foi les moyens de preuve et les droits de partie fixés dans le code de procédure pénale bernois16. Le fait de choisir le juge pénal permet d'éviter l'obligation de coopérer (autoaccusation) dans le cadre de la procédure administrative. Si un contribuable qui a accepté que soient menées conjointement la procédure de rappel d'impôt et la procédure en soustraction d'impôt refuse de coopérer, l'administration fiscale cantonale peut ordonner la séparation des procédures17. Dans ce cas, la soustraction fiscale est définitivement jugée par un tribunal pénal.

Selon la Commission d'experts, le modèle bernois n'est pas idéal parce qu'il impose un choix cornélien au contribuable. D'un côté, ce dernier peut collaborer de manière illimitée avec l'autorité de taxation en lui soumettant tous les renseignements et tous les documents dont elle a besoin dans le cadre de la procédure en soustraction. De l'autre, il peut refuser de collaborer, ce qui éveille automatiquement les soupçons qu'il a quelque chose à cacher au fisc. C'est pourquoi il n'est jamais clair si le contribuable collabore de son plein gré ou s'il le fait dans la crainte d'une procédure pénale. Pour la Commission d'experts, il n'est par conséquent pas certain que le modèle bernois soit parfaitement conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme18.

2.2.4

Respect de l'art. 6 § 2 CEDH (présomption d'innocence) dans le droit fiscal suisse

Selon l'art. 6 § 2 CEDH, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

Or, en matière de responsabilité des époux en cas de soustraction d'impôt, les art. 180, al. 2, LIFD et art. 57, al. 4, LHID disposent ce qui suit: «Chacun des époux peut apporter la preuve que la soustraction de ses propres éléments imposables a été commise à son insu par son conjoint ou qu'il n'était pas en mesure d'empêcher la soustraction. S'il y parvient, l'autre époux sera puni comme s'il avait soustrait des éléments imposables lui appartenant.» Conformément à la présomption de culpabilité qui découle de cette disposition, l'autorité fiscale peut partir du principe que, en cas de déclaration incomplète ou fautive, la soustraction fiscale a été commise par l'époux qui détient les éléments imposables concernés. L'époux incriminé ne peut se libérer de la punition fondée sur cette présomption de culpabilité que s'il fournit une preuve libératoire. Contrairement au fardeau de la preuve en droit pénal, ce n'est pas à l'autorité fiscale qu'il incombe de prouver que l'époux a commis une infraction et, par conséquent, qu'il est fautif. C'est l'époux incriminé qui doit convaincre l'autorité fiscale de son innocence.

16 17

18

Il convient de mentionner notamment la publicité des débats et la levée du secret bancaire, cf. code de procédure pénale du 15 mars, RSB 321.1.

L'art. 225, al. 4 de la loi sur les impôts du canton de Berne fixe ceci: «Lorsque la personne contribuable manque à son obligation de coopérer dans la procédure selon le 1er al., l'Intendance cantonale des impôts ou une autorité de recours peut ordonner l'ouverture d'une procédure pénale devant le ou la juge. Cette ordonnance est définitive.» Rapport de la Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale, Berne 2004, p. 28.

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La loi prévoit deux possibilités de décharge. D'un côté, l'époux incriminé peut tenter d'apporter la preuve par l'inverse (ce qui est pratiquement impossible). De l'autre, et c'est la possibilité la plus courante, il peut prouver qu'il a fait tout ce qu'il pouvait pour éviter la soustraction fiscale commise par son conjoint.

Comme il ressort de la doctrine en matière fiscale19 et comme l'a également constaté la Commission d'experts20, cette présomption de culpabilité avec exigence d'apporter une preuve libératoire n'est pas conforme à la présomption d'innocence exigée par l'art. 6 § 2 CEDH. En effet, le fardeau de la preuve n'est manifestement pas attribué selon le principe de droit pénal, qui veut que «le doute profite à l'accusé».

En d'autres termes, pour adapter les dispositions de la LIFD et de la LHID concernant la responsabilité des époux en cas de soustraction aux exigences de la CEDH, il est nécessaire de lever le principe de la présomption de culpabilité.

3

Commentaire des dispositions

3.1

Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct21

Art. 180

Responsabilité des époux en cas de soustraction

Selon l'al. 1, tout contribuable marié qui vit en ménage commun avec son conjoint ne répond que de la soustraction de ses propres éléments imposables. En raison de cette limitation de la responsabilité, le conjoint du contribuable fautif ne peut pas être considéré comme coauteur, complice ou instigateur, et ce, pas même s'il connaissait ou aurait dû connaître le manquement aux devoirs commis par son époux. La limitation de la responsabilité constitue un privilège pour les couples mariés qui n'est pas justifiable objectivement. C'est pourquoi il est nécessaire de reprendre dans l'al. 1 de l'art. 180 la réserve fixée à l'art. 177 LIFD, qui règle les mesures en cas de participation à une tentative de soustraction ou à une soustraction consommée. Il s'ensuit que les époux devront répondre de participation (instigation, complicité, participation) à une soustraction d'impôt commise par leur conjoint, au même titre que n'importe quel contribuable.

La présomption de culpabilité (avec obligation de fournir une preuve libératoire) qui ressort de l'al. 2, en vertu de laquelle chacun des époux peut apporter la preuve que la soustraction de ses propres éléments imposables a été commise à son insu par son conjoint ou qu'il n'était pas en mesure d'empêcher la soustraction, est contraire à la présomption d'innocence fixée à l'art. 6 § 2 CEDH22. Par conséquent, cette inversion du fardeau de la preuve doit être définitivement abrogée.

19

20 21 22

Cf. notamment Behnisch Urs R., Das Steuerstrafrecht im Recht der direkten Bundessteuer, Berne 1991, p. 360, note de bas de page no 60; Böckli Peter, Eintracht und Hader mit Steuerfolgen. Die Einkommenssteuer unter dem Einfluss des Neuen Eherechts, Revue fiscale 46, p. 246; Behnisch Brigitte, Die Stellung der Ehegatten im Veranlagungs-, Rechtsmittel-, Bezugs- und Steuerstrafverfahren, Thèse de doctorat, Berne 1992, p. 229; Rapport de la Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale, Berne 2004, p. 31.

Rapport de la Commission d'experts pour une loi fédérale sur le droit pénal fiscal et sur l'entraide administrative internationale en matière fiscale, Berne 2004, p. 31.

RS 642.11 Cf. commentaires du ch. 2.2.4.

3851

Art. 153, al. 1bis et 183, al. 1 et 1bis La disposition doit être modifiée en ce sens que, au moment de l'ouverture d'une procédure pénale pour soustraction d'impôt, le contribuable doit être informé qu'il n'est pas tenu de présenter des faits qui l'incrimineraient. Il faut prévoir en outre que les moyens de preuve rassemblés dans le cadre d'une procédure de rappel d'impôt ne peuvent être réutilisés dans le cadre d'une procédure en soustraction d'impôt que lorsque ces moyens de preuve n'ont été rassemblés ni dans le cadre d'une taxation d'office avec inversion du fardeau de la preuve ni sous la menace d'une amende en cas de violation d'obligations de procédure. Cette modification permet d'établir la parfaite conformité avec les droits procéduraux garantis par la CEDH.

Lorsqu'une procédure de rappel d'impôt n'est pas introduite conjointement avec une procédure en soustraction d'impôt, l'art. 153, al. 1bis doit obliger l'Administration fiscale à avertir le contribuable concerné du risque d'introduction d'une procédure en soustraction ultérieure. Par conséquent, l'Administration doit également lui expliquer ses droits découlant de l'art. 183, al. 1 modifié, en vertu duquel il n'est pas tenu de présenter des faits qui l'incrimineraient dans le cadre de la procédure en soustraction d'impôt.

Pour les cas dans lesquels il est évident dès le départ qu'aucune procédure en soustraction d'impôt ne sera introduite, par exemple dans le cas des héritiers, il va de soi qu'il n'est pas nécessaire de donner ces informations au contribuable.

Selon le droit actuel, les preuves rassemblées dans le cadre d'une procédure de rappel d'impôt, durant laquelle le contribuable est obligé de collaborer, peuvent être utilisées dans le cadre de la procédure en soustraction d'impôt. C'est pourquoi l'art. 183, al. 1bis doit préciser que les moyens de preuve ne peuvent pas être utilisés dans le cadre de la procédure en soustraction d'impôt s'ils ont été rassemblés dans le cadre d'une procédure de rappel d'impôt sous la menace d'une amende en cas de violation d'obligations de procédure ou d'une taxation d'office avec inversion du fardeau de la preuve.

Si la protection de la CEDH ne porte pas sur la procédure de rappel d'impôt (que le contribuable collabore ou non), elle porte en revanche sur la procédure en soustraction d'impôt,
qui sert uniquement à fixer l'ampleur de la peine23. Dans le cadre d'une procédure en soustraction, le contribuable incriminé a le droit de refuser de collaborer en vertu de l'art. 6 § 1 CEDH, dans la mesure où il n'est pas tenu de s'autoaccuser. Les informations que le contribuable incriminé a fournies dans le cadre d'une procédure de rappel d'impôt sous la menace d'une amende en cas de violation d'obligations de procédure ou d'une taxation d'office avec inversion du fardeau de la preuve ne peuvent pas être utilisées ensuite dans le cadre d'une procédure en soustraction d'impôt. L'utilisation de telles informations constituerait, d'une part, une violation de l'art. 6 § 1 CEDH (Droit à un procès équitable) et, d'autre part, une violation de l'art. 6 § 2 CEDH (Présomption d'innocence). Par ailleurs, une taxation d'office oblige le contribuable concerné de fournir lui-même les preuves que la taxation n'est pas correcte (inversion du fardeau de la preuve). Dans ce domaine, il convient de souligner ce qui suit:

23

Cf. commentaires du ch. 2.2.2.

3852

Conformément aux art. 130, al. 2, LIFD et 46, al. 3, LHID, l'autorité de taxation effectue la taxation d'office sur la base d'une appréciation consciencieuse si, malgré sommation, le contribuable n'a pas satisfait à ses obligations de procédure ou si les éléments imposables ne peuvent être déterminés avec toute la précision voulue en l'absence de données suffisantes. Le contribuable qui a été taxé d'office peut déposer une réclamation contre cette taxation uniquement pour le motif qu'elle est manifestement inexacte (art. 132, al. 3, LIFD et art. 48, al. 2, LHID). En réalité, le contribuable peut faire valoir, d'un côté, que les conditions de la taxation d'office ne sont pas réunies et, de l'autre, que la base de calcul de l'impôt est manifestement fausse.

Dans ce cas, le contribuable doit prouver que l'estimation de l'autorité de taxation est fautive. En d'autres termes, il doit présenter les informations et les documents qui auraient permis d'éviter la taxation d'office. Il doit être en mesure de prouver tout au moins que l'estimation de l'autorité de taxation est manifestement trop élevée. Or, cette inversion du fardeau de la preuve n'est pas conforme à la présomption d'innocence inhérente à la procédure en soustraction d'impôt.

La Commission d'experts a proposé d'introduire la phrase suivante dans la loi: «Les moyens de preuve exigés sous la menace d'une estimation librement contrôlable peuvent être utilisés».

Dans son commentaire sur cette disposition, la Commission d'experts a précisé que les autorités fiscales peuvent estimer le revenu non déclaré sur la base d'une appréciation consciencieuse (qui peut être contrôlée librement), et ce également dans le cadre d'une procédure en soustraction d'impôt. Le cas échéant, le fardeau de la preuve incombe aux autorités fiscales. Comme le montre l'expérience et la pratique, la preuve doit être présentée au moyen d'un faisceau d'indices, c'est-à-dire indirectement. D'après la Commission d'experts, cette pratique n'est pas contraire à l'art. 6, § 1 et 2, CEDH. C'est pourquoi les moyens de preuve exigés sous la menace d'une estimation librement contrôlable peuvent être utilisés.

Cependant, la notion d'«estimation librement contrôlable» n'est actuellement contenue ni dans la LIFD ni dans la LHID. Si cette notion devait être introduite à titre de solution
de remplacement de la taxation ordinaire et de la taxation d'office, elle devrait figurer déjà dans les dispositions en matière de taxation (art. 130 s., LIFD et art. 46 LHID) et en matière de réclamation (art. 132 ss., LIFD et art. 48 LHID), et pas seulement dans les dispositions pénales fiscales. Il faudrait notamment délimiter clairement cette notion de la taxation d'office, qui entraîne une inversion du fardeau de la preuve en cas de réclamation. L'art. 183, al. 1bis contient une liste exhaustive des cas dans lesquels un moyen de preuve ne peut pas être utilisé dans le cadre d'une procédure en soustraction d'impôt. A contrario, les moyens de preuve peuvent être utilisés dans tous les autres cas. C'est pourquoi on peut renoncer au supplément que propose la Commission d'experts.

3853

3.2

Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes24

Art. 57, al. 4 Afin que la LHID soit conforme aux exigences de la CEDH, la présomption de culpabilité (avec obligation de fournir une preuve libératoire) frappant les époux dans le cadre de la soustraction fiscale, fixée à l'al. 4, doit être abrogée définitivement. Cf. commentaire concernant l'art. 180 LIFD, ch. 3.1.

Art. 53, al. 4 et 57a (nouveau)

Ouverture d'une procédure en soustraction d'impôt

Le droit en vigueur ne contient aucune disposition réglant la procédure en cas de soustraction d'impôt. Comme dans la LIFD, il est donc nécessaire d'introduire un article obligeant l'autorité de taxation à avertir le contribuable concerné qu'en cas d'introduction d'une procédure en soustraction, il n'est pas tenu de dévoiler les faits qui pourraient l'incriminer. Cf. commentaire concernant l'art. 153, al. 1bis et 183, al. 1 et 1bis, LIFD, ch. 3.1.

Pour assurer la conformité avec les garanties en matière de procédure de la CEDH, la prescription selon laquelle les moyens de preuve rassemblés dans le cadre d'une procédure de rappel d'impôt sous la menace d'une amende pour violation d'obligations de procédure ou d'une taxation d'office avec inversion du fardeau de la preuve ne peuvent pas être utilisés dans une procédure en soustraction d'impôt doit également être introduite dans la LHID. Afin que les procédures soient harmonisées, cette prescription correspond à celle de la LIFD. Cf. commentaire concernant l'art. 153, al. 1bis et 183, al. 1 et 1bis, LIFD, ch. 3.1.

Art. 72f

Adaptation des législations cantonales à la modification

La nouvelle disposition transitoire octroie aux cantons un délai de deux ans pour qu'ils adaptent leur législation. Comme dans d'autres dispositions sur l'harmonisation des législations cantonales, chaque modification est énumérée séparément.

4

Conséquences financières et personnelles

Les modifications proposées n'entraîneront des coûts ou des charges administratives supplémentaires ni pour la Confédération, ni pour les cantons et les communes.

24

RS 642.14

3854

5

Conformité avec le droit européen

Les modifications proposées permettront d'établir la conformité entre la LIFD, la LHID et les garanties en matière de procédure fixées à l'art. 6 CEDH.

6

Constitutionnalité et légalité

La compétence de la Confédération pour fixer les principes de l'imposition et de l'harmonisation fiscale est fondée sur les art. 127 et 129 de la Constitution fédérale.

3855

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