06.084 Message concernant la garantie de la Constitution révisée du canton de Genève du 18 octobre 2006

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, Nous vous soumettons ci-après un projet d'arrêté fédéral simple concernant la garantie de la Constitution révisée du canton de Genève, en vous proposant de l'adopter.

Nous vous prions d'agréer, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

18 octobre 2006

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Moritz Leuenberger La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2006-1998

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Condensé En vertu de l'art. 51, al. 1, de la Constitution fédérale, chaque canton doit se doter d'une constitution démocratique. Celle-ci doit avoir été acceptée par le peuple et doit pouvoir être révisée si la majorité du corps électoral le demande. Selon l'al. 2 de cet article, les constitutions cantonales doivent être garanties par la Confédération. Cette garantie est accordée si elles ne sont pas contraires au droit fédéral. Si une disposition constitutionnelle cantonale remplit ces conditions, la garantie fédérale doit lui être accordée; sinon, elle lui est refusée.

En l'espèce, les modifications de la Constitution du canton de Genève ont pour objet la création de la Cour des comptes.

La modification constitutionnelle est, dans son ensemble, conforme à l'art. 51 de la Constitution fédérale; aussi la garantie fédérale doit-elle lui être accordée. Toutefois, l'exigence de laïcité imposée aux magistrats de la Cour des comptes est contraire au droit supérieur, de sorte que l'art. 141, al. 3, de la Constitution cantonale ne peut être que partiellement garanti.

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Message 1

Votation populaire cantonale

Lors de la votation populaire du 27 novembre 2005, le corps électoral du canton de Genève a accepté de modifier les art. 47, al. 1, 49, al. 1, et 74, al. 1, de la Constitution cantonale et de la compléter par l'adoption des art. 50, al. 6, et 141, par 85 605 oui contre 14 038 non. Cette modification a pour effet de créer un nouvel organe étatique, la Cour des comptes.

Par lettre du 8 mars 2006, le Conseil d'Etat du canton de Genève demande la garantie fédérale. Invité à s'exprimer sur la conformité au droit supérieur de l'art. 141, al. 3, de la Constitution cantonale, le canton de Genève a répondu, le 31 mai 2006, que cette disposition respectait les droits fondamentaux.

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Ancien et nouveau texte

Ancien texte Art. 47, al. 1 1 Le Conseil général nomme directement le pouvoir exécutif.

Art. 49, al. 1 Les députés au Grand Conseil, les membres du Conseil d'Etat, les magistrats du pouvoir judiciaire, les conseillers municipaux et les magistrats communaux entrent en fonction après avoir prêté serment. La prestation de serment a lieu au plus tard dans les trente jours qui suivent la date de leur élection, sauf en cas d'impossibilité justifiée.

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Art. 74, al. 1 1 Sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions: a. de conseiller d'Etat et de chancelier d'Etat; b. de collaborateur de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat et du chancelier d'Etat; c. de collaborateur du service du Grand Conseil; d. de cadre supérieur de la fonction publique; e. de magistrat du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges suppléants et des juges prud'hommes.

Nouveau texte Art. 47, al. 1 1 Le Conseil général élit directement le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire et la Cour des comptes.

Art. 49, al. 1 Les députés au Grand Conseil, les membres du Conseil d'Etat, les magistrats du pouvoir judiciaire, les magistrats de la Cour des comptes, les conseillers municipaux et les magistrats communaux entrent en fonctions après avoir prêté serment. La prestation de serment a lieu au plus tard dans les 30 jours qui suivent la date de leur élection, sauf en cas d'impossibilité justifiée.

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Art. 50, al. 6 (nouveau) 6 Lors de l'élection de la Cour des comptes, si le nombre des candidats inscrits ne dépasse pas celui des magistrats à élire, l'élection est tacite. Le Conseil d'Etat proclame tous ces candidats élus sans scrutin. En cas de vacance dans l'intervalle de la prochaine élection, il est procédé dans les trois mois à une élection partielle.

Art. 74, al. 1 1 Sont incompatibles avec le mandat de député les fonctions: a. de conseiller d'Etat et de chancelier d'Etat; b. de collaborateur de l'entourage immédiat des conseillers d'Etat et du chancelier d'Etat; c. de collaborateur du service du Grand Conseil; d. de cadre supérieur de la fonction publique; e. de magistrat du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges suppléants et des juges prud'hommes; f. de magistrat de la Cour des comptes.

Art. 141 Cour des comptes (nouveau) Un contrôle indépendant et autonome de l'administration cantonale, des institutions cantonales de droit public et des organismes subventionnés est confié à une Cour des comptes. Les contrôles qu'elle opère relèvent du libre choix de la Cour et font l'objet de rapports rendus publics, pouvant comporter des recommandations, qui sont communiqués au Conseil d'Etat, au Grand Conseil ainsi qu'à l'entité contrôlée.

2 La Cour des comptes est élue par le Conseil général en un seul collège, selon le système majoritaire.

3 Sont éligibles à la Cour des comptes les électeurs laïques, jouissant de leurs droits civiques et âgés de 27 ans accomplis. Les autres conditions d'éligibilité sont fixées dans la loi.

4 La Cour des comptes est renouvelée intégralement tous les 6 ans. Les magistrats sortant de charge sont immédiatement rééligibles. Ils entrent en fonctions sitôt après avoir prêté serment devant le Grand Conseil.

5 La Cour des comptes établit chaque année son budget de fonctionnement, inscrit au budget de l'Etat dans une rubrique spécifique à cet effet, ainsi que ses comptes et un rapport de gestion qui sont soumis à l'approbation du Grand Conseil.

6 Le Grand Conseil exerce la haute surveillance de la Cour des comptes.

7 La loi fixe les compétences et le nombre des membres de la Cour des comptes, qui est composée d'au moins trois magistrats à plein temps et d'au moins un suppléant. Elle règle l'exécution du présent article.

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Examen de conformité au droit supérieur

3.1

L'autonomie constitutionnelle des cantons

Selon l'art. 51, al. 1, de la Constitution fédérale (Cst.)1, les cantons jouissent d'une grande autonomie constitutionnelle, en particulier dans leur organisation politique.

Ils sont notamment libres de créer, en sus des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, des organes de contrôle et d'en arrêter la composition et le mode de désignation de leurs membres. Ils disposent également d'une marge de manoeuvre substantielle pour déterminer les conditions d'éligibilité et les incompatibilités. Ce faisant, ils doivent néanmoins respecter les droits fondamentaux, justifier toute restriction à un droit fondamental par un intérêt public ou par un droit fondamental d'autrui,

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respecter le principe de proportionnalité et ne pas violer l'essence des droits fondamentaux (art. 36 Cst.).

Les nouvelles dispositions constitutionnelles genevoises instaurent une Cour des comptes. Celle-ci est en particulier chargée d'assurer un contrôle indépendant et autonome de l'administration cantonale, des institutions cantonales de droit public et des organismes subventionnés (art. 141, al. 1, de la Constitution du canton de Genève).

Les modifications soumises à la garantie de l'Assemblée fédérale respectent dans leur ensemble le droit supérieur. Il n'en va toutefois pas ainsi de l'art. 141, al. 3, de la Constitution du canton de Genève, dans la mesure où il réserve aux laïques l'accès à la Cour des comptes.

3.2

La laïcité comme condition d'accès à la Cour des comptes

L'examen de la constitutionnalité de l'art. 141, al. 3, de la Constitution du canton de Genève nécessite la compréhension préalable de la notion de laïcité. Celle-ci n'est définie ni par la Constitution du canton de Genève, ni par la Loi sur la Cour des comptes2.

Un laïque n'est pas un ecclésiastique et un ecclésiastique n'est pas un laïque: ces notions sont des contraires. Si une charge publique est réservée à un laïque, cela signifie qu'elle est interdite à un ecclésiastique. La doctrine a défini l'état d'ecclésiastique dans le contexte de l'art. 75 de l'ancienne Constitution fédérale (aCst.), qui réservait aux seuls laïques l'accès au Conseil national. Un ecclésiastique est ainsi une personne qui appartient à une communauté religieuse durablement organisée et jouit au sein de celle-ci d'une position particulière; point n'est toutefois besoin qu'il justifie d'une formation spéciale et d'une certaine durée. La majorité de la doctrine ajoute à ces critères un élément fonctionnel, en ce sens que l'activité religieuse doit s'exercer à temps principal, c'est-à-dire au moins à mi-temps.

3.3

Interdiction de la discrimination

L'art. 8, al. 2, de la Constitution fédérale interdit les discriminations, qui consistent à traiter différemment une personne sur la base de certains critères, avec pour but ou pour effet de la déprécier ou de la disqualifier. Cela ne signifie pas que l'usage de ces critères est interdit. L'autorité qui y recourt doit toutefois démontrer que la mesure est justifiée par des motifs particuliers et sérieux.

Invité à s'exprimer sur cette question, le canton de Genève ne s'est pas expliqué sur les motifs qui l'ont conduit, en 2005, à interdire aux ecclésiastiques l'accès à la Cour des comptes. On peut supposer que le refus de voir des ecclésiastiques siéger à ce nouvel organe vise leurs convictions religieuses qui font précisément partie des critères dits suspects, énumérés à titre d'exemple par l'art. 8, al. 2, Cst. Or, on ne voit pas en quoi les convictions religieuses d'un ecclésiastique pourraient influencer négativement la charge de magistrat à la Cour des comptes. Elles ne sont en effet pas 2

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plus susceptibles d'influencer cette activité que l'idéologie politique dont se réclame un syndicaliste ou les conceptions économiques d'un directeur de multinationale. Si, par ailleurs, l'idée est d'écarter d'un organe de l'Etat une «élite» religieuse, c'est à la situation sociale du candidat que le constituant s'en prend, soit à un autre des critères suspects envisagés par l'art. 8, al. 2, Cst.

Dans les deux hypothèses, la distinction effectuée va à l'encontre de la tendance au pluralisme, qui empreint aujourd'hui notre société et se traduit dans la composition des autorités. Elle conduit à disqualifier les ecclésiastiques par rapport aux autres citoyens, à les stigmatiser sans motif valable. La clause de laïcité prévue à l'art. 141, al. 3, de la Constitution genevoise constitue une discrimination au sens de l'art. 8, al. 2, Cst.

3.4

Liberté religieuse et droits politiques

La clause de laïcité discutée est susceptible de toucher tant la liberté religieuse que les droits politiques.

La liberté religieuse est garantie par les art. 15 Cst., 9 CEDH3 et 18 du Pacte des Nations Unies no II4, qui ont une même portée. Elle garantit la liberté de conscience et de croyance et notamment le droit d'adhérer à la religion de son choix, de la pratiquer et d'exprimer ses convictions religieuses. Elle protège le particulier contre toute contrainte étatique d'origine religieuse. Refuser dans une norme constitutionnelle l'accès d'un ecclésiastique à un organe élu, ceci vraisemblablement en raison de ses convictions religieuses ou de sa position dans sa communauté, porte atteinte à sa liberté religieuse.

Les art. 34 Cst. et 25, let. a et b, du Pacte des Nations Unies no II garantissent dans une même mesure les droits politiques. Ils protègent le droit des citoyens d'élire les personnes de leur choix et celui d'être élus eux-mêmes dans un organe étatique. Les droits politiques couvrent la liberté de tout ecclésiastique d'être élu à une fonction étatique, aussi bien que le droit de tout citoyen de voter en faveur d'un ecclésiastique. La voix et la candidature de chacun doivent en effet avoir le même poids.

Ces droits fondamentaux ne sont certes pas absolus; ils peuvent être restreints si un intérêt public l'exige. Quel motif de cet ordre justifierait-t-il d'exclure l'accès des ecclésiastiques à la Cour des comptes? Au 19e siècle, on pouvait certes penser qu'il fallait permettre aux institutions d'évoluer vers une laïcisation. Celle-ci était alors considérée comme une prémisse de la démocratie républicaine et de la volonté d'assurer la construction d'un Etat démocratique et libéral, à l'abri de l'ingérence de l'Eglise catholique dans l'exercice du pouvoir politique (ATF 114 Ia 395, consid. 8b). Aujourd'hui, cette attitude n'a plus de fondement rationnel. L'ordre et la paix publics ne peuvent désormais justifier une telle atteinte à la liberté de vote et d'éligibilité. Ces mêmes raisons ont d'ailleurs conduit le constituant fédéral à ne pas reprendre, dans la nouvelle Constitution fédérale, la disposition qui ne permettait pas aux ecclésiastiques de siéger au Conseil national (art. 75 aCst.; FF 1997 I 379 et III 259).

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RS 0.101 RS 0.103.2

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Si, autre hypothèse, l'Etat poursuit le but de prévenir un engagement insuffisant de ses élus dans leurs charges publiques, il est admis qu'il restreigne les droits politiques des citoyens par divers moyens. Il peut par exemple instaurer des fonctions à plein temps, ce qu'il a fait, s'agissant des magistrats titulaires à la Cour des comptes (art. 141, al. 7, de la Constitution cantonale). Il peut aussi décréter des règles d'incompatibilité, voire d'inéligibilité. Mais celles-ci doivent alors frapper tout type d'activité économique et non pas seulement les charges ecclésiastiques, lesquelles ne sont d'ailleurs pas forcément rémunérées. Précisément, l'art. 4, al. 3, let. c, de la Loi (8448) du 10 juin 2005 instituant une Cour des comptes instaure une incompatibilité destinée à parer ce risque. Le fait de frapper de surcroît les seuls ecclésiastiques d'une inéligibilité ou d'une incompatibilité supplémentaire viole le principe de proportionnalité, plus spécifiquement la règle de l'aptitude qui veut que le moyen mis en oeuvre par l'autorité soit propre à atteindre l'objectif d'intérêt public qu'elle s'est fixé. En d'autres termes, cette règle, discriminatoire, est superflue.

La clause de laïcité prévue à l'art. 141, al. 3, de la Constitution cantonale viole donc la liberté religieuse et les droits politiques.

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Constitutionnalité

L'examen effectué démontre que toutes les dispositions modifiées de la Constitution du canton de Genève remplissent les conditions posées par l'art. 51 Cst., à l'exception de son art. 141, al. 3, dans la mesure où il limite l'accès à la Cour des comptes aux seuls laïques.

Sous cette réserve, les nouvelles dispositions peuvent recevoir la garantie fédérale, laquelle relève de la compétence de l'Assemblée fédérale en vertu des art. 51 et 172, al. 2, Cst.

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