Aspects de la surveillance des fondations à l'exemple des fondations du docteur Gustav Rau Rapport de la Commission de gestion du Conseil des Etats du 7 avril 2006

2006-1043

7305

Liste des abréviations al.

art.

ATF CC CdG CdG-E CdG-N ch.

ChF consid.

DETEC DFF DFI DFJP FF let.

LParl OCDE OFJ Org DFI PA p. ex.

RS s.

7306

alinéa article Arrêt du Tribunal fédéral Code civil suisse du 10 décembre 1907 (RS 210) Commissions de gestion des Chambres fédérales Commission de gestion du Conseil des Etats Commission de gestion du Conseil national chiffre Chancellerie fédérale considérant Département fédéral de l'environnement, des transports, de l'énergie et de la communication Département fédéral des finances Département fédéral de l'intérieur Département fédéral de justice et police Feuille fédérale lettre Loi fédérale du 13 décembre 2002 sur l'Assemblée fédérale (loi sur le Parlement; RS 171.10) Organisation de coopération et de développement économiques Office fédéral de la justice Ordonnance du 28 juin 2000 sur l'organisation du DFI (RS 172.212.1) Loi fédérale du 20 décembre 1968 sur la procédure administrative (RS 172.021) par exemple Recueil systématique du droit fédéral suivant

Rapport 1

Introduction

A l'exception des fondations de famille et des fondations religieuses, toute fondation d'utilité publique est placée sous la surveillance de l'Etat. Celle-ci est exercée, selon les cas, par une autorité communale, cantonale ou fédérale. Les fondations d'importance nationale ou internationale sont en principe assujetties à la surveillance de la Confédération. C'est le secrétariat général du Département fédéral de l'intérieur (DFI)1 qui en est chargé, respectivement l'autorité fédérale de surveillance des fondations qui lui est subordonnée. Sur les quelque 10 000 fondations que compte la Suisse actuellement, un peu plus de 2500 fondations sont soumises à la surveillance du DFI2. Il s'agit pour leur grande majorité de fondations dotées d'un capital peu élevé. On estime que le capital total des dix plus grosses fondations représente 80 % du capital total des fondations surveillées au niveau fédéral; environ 40 fondations ont un capital supérieur à 50 millions de francs.

La surveillance fédérale des fondations est fondée sur les art. 80 ss du Code civil3 ainsi que sur la jurisprudence du Tribunal fédéral. L'autorité de surveillance doit en particulier pourvoir à ce que les biens des fondations soient employés conformément à leur destination et à ce que les organes ne prennent aucune décision contraire à l'acte constitutif de la fondation, à son règlement, à la loi ou aux bonnes moeurs. Si la fondation enfreint la loi, l'autorité de surveillance est autorisée à édicter des directives contraignantes à l'attention des organes de la fondation et à prendre des sanctions en cas de non-respect de ces dernières.

Ces dernières années, les Commissions de gestion des Chambres fédérales (CdG) se sont penchées à plusieurs reprises sur la surveillance fédérale des fondations4. Leurs travaux sont étroitement liés à l'examen du rôle joué par la Confédération dans un cas particulier, à savoir la surveillance exercée par le DFI sur trois fondations créées par le célèbre collectionneur d'art Gustav Rau.

L'affaire en question est très complexe et comprend des ramifications au plan juridique international. Le présent rapport examine les points les plus contestés de ce dossier et apprécie l'action du DFI sous l'angle de la haute surveillance parlementaire. Si les CdG ont porté une attention particulière aux fondations du
docteur Rau, c'est que les constats effectués dans ce cas renvoient à une problématique générale.

Le but de l'investigation de la Commission de gestion du Conseil des Etats (CdG-E) était donc de tirer, sur la base de cet exemple, des conclusions valables pour l'exercice de la surveillance fédérale des fondations dans son ensemble.

1 2 3 4

Voir art. 3, al. 2, let. a, de l'ordonnance du 28.6.2000 sur l'organisation du DFI (Org DFI; RS 172.212.1).

La surveillance ne porte pas sur les fondations de prévoyance professionnelle, qui sont soumises à un autre régime de contrôle.

Code civil suisse du 10.12.1907 (CC; RS 210).

Voir le rapport annuel 2001/2002 des Commissions de gestion et de la Délégation des Commissions de gestion des Chambres fédérales, du 17.5.2002 (FF 2002 5540 ss), ainsi que leur rapport annuel 2002/2003, du 23.1.2004 (FF 2004 1568 ss) et leur rapport annuel 2005, du 20.1.2006 (FF 2006 4186).

7307

2

Bref rappel des faits

Gustav Rau était un important collectionneur allemand. Riche héritier d'une famille d'industriels de la région de Stuttgart, Rau décide à l'âge de 48 ans de se défaire de l'entreprise familiale. Il vient alors d'achever des études de médecine. Il consacrera les vingt années qui suivront à l'exercice de la médecine en Afrique, fondant notamment une clinique de brousse au Congo-Zaïre. Le docteur Rau mène une vie très parcimonieuse, investissant sa fortune dans la constitution d'une importante collection d'art. La légende veut qu'il ne possédait que deux paires de pantalons et qu'il se rendait à pied en ville pour économiser le prix des transports publics. Il bâtit luimême sa collection d'art, se rendant régulièrement en Europe pour participer aux grandes ventes aux enchères. Composée de plus de 800 oeuvres, la «collection Rau» est estimée à plusieurs centaines de millions de francs.

La fortune du docteur Rau devait toutefois servir, en dernier lieu, des objectifs charitables. Entre 1971 et 1986, le docteur Rau crée plusieurs fondations de droit suisse auxquelles il fait don, au total, de deux millions de francs. Il s'agit de la Fondation d'art du docteur Rau, de la Fondation Rau pour le Tiers Monde et de la Fondation médicale du docteur Rau. Outre des liquidités, il dote la Fondation d'art de plus d'une trentaine d'oeuvres d'art. Ces oeuvres, ainsi que le reste de la collection, sont entreposées sous la garde de la Fondation d'art au port franc d'Embrach, dans le canton de Zurich.

Au début des années 1990, la santé du docteur Rau se détériore et l'oblige à s'installer en Europe. Fin juin 1997, en résidence à Monaco, il subit une attaque cérébrale. Peu après, différents incidents liés à son comportement éveillent des doutes sur ses capacités mentales et conduisent le Tribunal de Grande Instance de Monaco à appointer, en mars 1998, un administrateur judiciaire pour gérer ses biens.

C'est à peu près à cette époque qu'éclate un conflit entre B., un avocat et exécuteur testamentaire du docteur Rau, et l'entourage du docteur Rau ­ on entend par là son secrétaire personnel et sa dame de confiance. Le docteur Rau révoque l'ensemble des mandats de B.; celui-ci accuse en retour l'entourage de Rau d'abuser de sa présumée faiblesse mentale pour détourner sa fortune à leur profit personnel. Ce conflit est à
l'origine des innombrables batailles judiciaires à venir. A noter que le docteur Rau avait attribué, dès 1981, une procuration générale à sa dame de confiance, en précisant expressement que la procuration restait valable s'il venait à perdre sa capacité de discernement ou à décéder.

Le 4 juillet 1997, le docteur Rau signe un contrat de donation, dans lequel il s'engage à offrir sa collection à la Fondation Crelona, qui est une fondation de famille de droit liechtensteinois. Il est prévu à l'époque que la totalité du patrimoine donné à la Fondation Crelona revienne à la Fondation pour le Tiers Monde au décès du docteur Rau. Les oeuvres d'art ne seront toutefois jamais remises à la Fondation Crelona.

Début juillet 1998, le docteur Rau désigne la Fondation médicale comme héritière unique de ses biens. Le 17 juillet 1998, B. ­ qui est membre du conseil de la Fondation pour le Tiers-Monde et membre du conseil de la Fondation Crelona ­ alerte le DFI en sa qualité d'autorité de surveillance des fondations. Il invite le département à prendre des mesures de protection sur les fondations suisses du docteur Rau en raison du comportement présumé douteux de l'entourage du collectionneur et d'incertitudes sur ses facultés mentales. Le DFI décide, le même jour, de faire mettre 7308

sous scellés l'ensemble des oeuvres déposées au port franc d'Embrach et de faire procéder à un inventaire des oeuvres. Le DFI enjoint également les autorités tutélaires compétentes d'instituer une curatelle de gestion sur les fondations suisses. Un curateur est nommé pour la Fondation du Tiers-Monde fin juillet 1998, un autre pour la Fondation d'art et la Fondation médicale fin mai 1999. Ces curatelles ont été confirmées par le Tribunal fédéral.

Le 24 septembre 1999, le DFI autorise l'exposition au Japon d'une centaine de tableaux malgré le refus de la Fondation Crelona et du curateur de la Fondation d'Art. Il donne son autorisation à la condition que les oeuvres reviennent immédiatement en Suisse à l'issue de l'exposition, sans passer par l'Allemagne. Le DFI veut éviter que l'Allemagne puisse faire valoir des prétentions à l'égard de la collection si le docteur Rau venait à décéder. Les conditions fixées par le département ne sont en partie pas respectées. Onze tableaux appartenant à la Fondation d'art rentrent en Suisse, mais 95 tableaux sont envoyés directement à Paris pour être exposés au Musée du Luxembourg, puis à Rotterdam, Cologne ou encore Bergame.

En septembre 2000, un jugement du Tribunal de première instance (Amtsgericht) de Baden-Baden (Allemagne) marque un tournant dans l'affaire. Le tribunal rejette une requête visant à la nomination d'un tuteur pour le docteur Rau, après avoir constaté à titre préjudiciel que ce dernier avait la capacité de gérer ses affaires et qu'il était pour le surplus assisté de nombreuses personnes dont sa dame de confiance et un avocat. La portée de ce jugement pour la Suisse est interprétée très diversement par les différents acteurs impliqués. Cette question fait l'objet de plusieurs expertises contradictoires et d'interventions diplomatiques de la part de l'Allemagne. Fin 2000, le DFI estime finalement sur la base de deux avis de droit de l'Office fédéral de la justice (OFJ) que le jugement de Baden-Baden doit être reconnu en Suisse et, partant, que le docteur Rau doit être considéré comme étant capable de discernement.

A ce moment-là, les relations entre le DFI et les curateurs des fondations se détériorent gravement. Les curateurs font recours systématiquement contre les décisions du département. En décembre 2000, le curateur de la Fondation d'art
ouvre une procédure de saisie des tableaux exposés au Sénat français. Le DFI la fait suspendre quelques semaines plus tard.

Dans des décisions datées du 22 décembre 2000 et du 26 février 2001, le DFI accède à une requête du docteur Rau et remplace les membres des conseils des fondations par trois nouvelles personnes, à savoir un avocat du docteur Rau et deux employés d'une société d'audit renommée, société qui sera par ailleurs mandatée plus tard par l'Unicef allemande. Invoquant la rupture de confiance avec les curateurs, et estimant que la nouvelle composition des conseils de fondation garantit leur bon fonctionnement, le DFI enjoint aussi les autorités tutélaires compétentes de lever les curatelles sur les fondations. Ces décisions ont été confirmées par le Tribunal fédéral les 22 mai, 10 et 23 juillet 2001 et les curatelles levées.

En août 2001, un accord conclu entre le DFI, le docteur Rau (représenté par son avocat, par ailleurs également mandaté par l'Unicef allemande) et la Fondation d'art (représenté par son président) permet au docteur Rau d'obtenir la restitution de sa collection. Le docteur Rau s'engage à ne pas ouvrir d'action en dommages-intérêts pour d'éventuels dommages qui auraient été occasionés à sa collection. Il confirme en outre que sa collection est complète. A noter que le Conseil fédéral a été informé au préalable de l'état du dossier et des démarches entreprises par le DFI. En septembre 2001, les oeuvres encore déposées en Suisse sont transportées en Allemagne, à 7309

l'exception des oeuvres d'art données préalablement à la Fondation d'art. Le docteur Rau fait donation le 5 septembre 2001 de 622 oeuvres à l'Unicef allemande. A ce moment, la décision de la surveillance des fondations consistant à lever la curatelle sur la Fondation d'art avait force de chose jugée, mais le curateur était encore inscrit au registre du commerce sans droit de signature.

Le docteur Rau est décédé en janvier 2002. A l'heure actuelle, sa succession n'est toujours pas réglée. La question est de savoir si l'un des deux contrats d'héritage est valable. Si les tribunaux allemands compétents devaient conclure à l'incapacité de Rau au moment de signer ou à l'invalidité de la procuration générale de sa dame de confiance, la collection reviendrait soit à la Fondation médicale, soit à la Fondation Rau pour le Tiers-Monde.

Dès début 2003, une nouvelle série de batailles judiciaires s'engage en Suisse, au centre desquelles se trouvent moins le DFI que les autorités tutélaires zurichoises.

Les litiges portent essentiellement sur la défense des intérêts des fondations du docteur Rau dans les procédures ouvertes en Allemagne. Schématiquement, le problème est le suivant. Le président des fondations du docteur Rau d'alors, avocat de profession, appartient au même groupement de cabinets que les avocats de l'Unicef. Estimant qu'un conflit d'intérêts ne peut être exclu, l'autorité tutélaire de la ville de Zurich charge les anciens curateurs des fondations de défendre les intérêts de la Fondation du Tiers-Monde et de la Fondation médicale dans différents procédures en Allemagne. Le conflit d'intérêts a été confirmé par l'autorité de surveillance du barreau zurichois.

Peu après l'institution de ces curatelles partielles, le DFI révoque le président des conseils des fondations et nomme à sa place l'ancien chef de la surveillance des fondations du canton de Zurich5. Considérant que le risque de conflits d'intérêts est écarté, l'autorité tutélaire décide, sur demande du DFI, la levée des curatelles. Les curateurs déposent un recours contre cette décision auprès du Conseil de district de Zurich (Bezirksrat Zürich). Le président du conseil estime alors que la décision de l'autorité tutélaire n'a pas force de chose jugée; en d'autres termes, dans l'attente du jugement du Conseil de district, les curatelles
restent en vigueur. Le 20 octobre 2005, soit plus de deux ans plus tard, le Conseil de district rend sa décision, dans laquelle il institue des curatelles complètes sur les trois fondations Rau. Les curateurs ne sont pas seulement chargés de défendre les intérêts des fondations dans les procédures liées la succession du docteur Rau, mais également d'établir ce que possédaient réellement les fondations et d'entreprendre toute démarche nécessaire pour faire valoir leurs droits à ce sujet. En effet, selon le Conseil de district, certains indices laissent à penser que la collection avait été donnée aux fondations par le docteur Rau et qu'elle n'était donc plus sa propriété privée au moment des faits. Si c'était le cas, le docteur Rau n'aurait plus pu en disposer et ce, indépendamment de la question de sa capacité. Les biens donnés à une fondation ne peuvent en effet plus être repris par le fondateur.

Par décision du 24 mars 2006, le Tribunal supérieur de Zurich a admis le recours des fondations et confirmé la levée des curatelles ordonnée par l'autorité tutélaire. La voie est ouverte à un recours des curateurs auprès du Tribunal fédéral.

5

A l'heure actuelle, ce dernier est toujours président des trois fondations du docteur Rau.

7310

3

Travaux de la CdG-E

3.1

Objet de l'enquête et limites

Le résumé succinct qui précède permet d'entrevoir l'extraordinaire complexité de ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler «l'affaire Rau». Il ne s'agit en aucun cas d'un dossier ordinaire de l'autorité fédérale de surveillance des fondations.

La quasi-totalité de la fortune des fondations a été engloutie dans des frais liés aux disputes judiciaires; les destinataires réels de cette fortune ­ les déshérités du Tiersmonde ­ n'en ont nullement bénéficié. Cette affaire a aussi occasionné des coûts importants à la Confédération en termes d'image et de capital de confiance, et ce, particulièrement à l'étranger.

Au cours de ses travaux, la CdG-E a pu se convaincre que le chef du DFI est informé des enjeux de ce dossier et qu'il assume la responsabilité politique des décisions prises depuis son arrivée à la tête du département. La commission a également pu se rendre compte que le DFI a reconnu certaines erreurs faites dans ce dossier et que des mesures ont été prises en conséquence. La CdG-E se félicite de cette démarche autocritique. Elle estime cependant que toutes les leçons n'ont pas été tirées de l'affaire Rau.

La CdG-E souhaite que les constatations et recommandations du présent rapport contribuent à améliorer le système fédéral de surveillance des fondations. Une surveillance efficace et crédible participe à rendre la Suisse attractive pour des personnes désireuses de créer ou de léguer une partie de leur fortune à des fondations. Pour la commission, il est d'autant plus important d'agir que l'on dénote, depuis plusieurs années, une forte croissance du nombre de fondations et du capital qu'elles gèrent. Cette tendance devrait être renforcée par la révision récente du droit des fondations et des dispositions fiscales qui leur sont applicables. Si réjouissante qu'elle soit, cette évolution place l'autorité fédérale de surveillance des fondations devant des défis importants en termes de risques et de volume de travail.

L'appréciation de l'ensemble des événements, des décisions et des mesures prises dans le cadre du dossier des fondations Rau dépasserait de loin le mandat et les ressources de la haute surveillance parlementaire. La commission s'est donné pour mandat d'examiner les points les plus contestés de ce dossier sous l'angle des critères de légalité, d'opportunité et d'efficacité (art. 26,
al. 3 en relation avec art. 52, al. 2, LParl6). Conformément à sa mission de haute surveillance, la CdG-E a restreint son examen à l'action du DFI et de l'autorité fédérale de surveillance des fondations. Il s'agit notamment d'apprécier si l'autorité fédérale de surveillance des fondations a fait un bon usage de sa marge d'appréciation, étant entendu que la commission n'a pas la compétence d'annuler ou de modifier une décision, et ce, indépendamment des conclusions auxquelles elle pourrait aboutir (art. 26, al. 4, LParl).

La CdG-E a en particulier exclu de son champ d'examen les agissements des conseils de fondation et d'autres particuliers impliqués dans ce dossier. Nul doute que la conduite de certaines personnes a été peu conforme aux préceptes de la bonne foi et que cela a nui à l'intérêt public. La CdG-E le déplore profondément.

6

Loi fédérale sur l'Assemblée fédérale, du 13.12.2002 (loi sur le Parlement, LParl; RS 171.10).

7311

Cependant, dans la mesure où ces personnes n'accomplissaient pas de tâches de la Confédération, la commission n'a pas à juger plus en détail de l'opportunité de leurs actes.

3.2

Démarche

C'est en prenant connaissance d'une demande en dommages-intérêts adressée au Département fédéral des finances (DFF) le 23 novembre 2000, puis d'une plainte pénale déposée en février 2001 à l'encontre du DFI que les CdG ont d'abord été amenées à intervenir auprès du Conseil fédéral.

Dans une lettre du 30 mars 2001, la Commission de gestion du Conseil national (CdG-N) estimait que, sur la base des éléments dont elle disposait, il y avait péril en la demeure et elle s'inquiétait du fait que les départements concernés ne soient plus en mesure de continuer à gérer ce dossier. Toutefois, après avoir entendu plusieurs membres du Conseil fédéral et collaborateurs de l'administration fédérale, la CdG-N a estimé que la Confédération avait correctement joué son rôle de surveillance des fondations. Pour la commission, cette affaire relevait des tribunaux et la haute surveillance parlementaire n'avait pas à intervenir dans des procédures judiciaires en cours.

A la fin de l'année 2002, les CdG ont à nouveau été interpellées au sujet de cette affaire. Le 17 janvier 2003, après avoir examiné la requête d'un membre du Conseil national, la CdG-N a choisi de ne pas rouvrir le dossier, considérant toujours que l'affaire relevait de la justice. La CdG-E, en revanche, a estimé que le cas des fondations Rau renvoyait à une problématique générale et elle a chargé la sous-commission DFI/DETEC d'examiner le fonctionnement de la surveillance fédérale des fondations à l'exemple de la surveillance exercée sur les fondations du docteur Rau.

Au cours de son enquête, la sous-commission a mené six séries d'auditions (voir liste des personnes entendues en annexe) et elle a pris connaissance d'un nombre très important de documents7. Le chef du DFI a notamment fait parvenir à la CdG-E un exemplaire d'un avis de droit rédigé par le professeur Hans Peter Walter, ancien juge fédéral, sur mandat du DFI. La sous-commission a aussi pris connaissance de conclusions de l'OFJ, qui avait été chargé par le chef du Département fédéral de justice et police (DFJP) d'examiner l'action de la Confédération en relation avec la collection d'art du docteur Rau. A plusieurs reprises, la sous-commission a demandé des prises de position et des compléments d'information, par écrit, au chef du DFI.

En outre, elle a demandé aux curateurs des fondations
suisses du docteur Rau de décrire les problèmes qu'ils avaient observés en relation avec la surveillance fédérale des fondations.

La CdG-E souhaite relever à des fins de transparence que les CdG et leurs membres ont été approchés, à de très nombreuses reprises et par différents canaux, par certains acteurs impliqués dans ce dossier. Devant ces sollicitations variées et insistantes, la CdG-E a constamment accordé la plus haute attention à la nécessité de rester indépendante et objective.

7

A titre d'illustration, les documents concernant cette affaire occupent pas moins de cinq classeurs fédéraux ­ une quantité toutefois modeste en regard de la trentaine de classeurs que recense l'autorité fédérale de surveillance des fondations.

7312

Le 16 février 2006, la sous-commission a consigné ses constats dans un projet de rapport. Ce projet a été transmis au chef du DFI qui a été prié d'examiner si le rapport contenait des erreurs formelles ou matérielles qui devaient être corrigées et si des intérêts dignes de protection s'opposaient à une publication. Un exemplaire du projet de rapport a également été transmis à l'ancienne cheffe du DFI. Le 7 avril 2006, la CdG-E a pris connaissance de l'avis du chef du DFI et, après avoir procédé aux modifications qui lui paraissaient nécessaires, a décidé d'adopter le présent rapport final à l'unanimité moins une abstention et d'en autoriser la publication.

3.3

Avis de droit du professeur Walter

Sur mandat du DFI, le professeur Hans Peter Walter, ancien juge fédéral, a analysé la manière dont le DFI, respectivement l'autorité fédérale de surveillance des fondations, a exercé la surveillance sur les fondations suisses du docteur Rau depuis juillet 19988. Pour ce faire, il a pu consulter à sa guise l'ensemble des documents en possession du DFI. Il a également posé quelques questions complémentaires au chef de l'autorité de surveillance et à son adjoint.

La CdG-E a examiné attentivement l'avis de droit du professeur Walter et s'en est entretenue longuement avec lui. A l'issue de cet examen, la CdG-E considère que l'analyse du professeur Walter est convaincante et fondée. C'est d'ailleurs également l'avis du directeur de l'OFJ, qui a qualifié l'avis de droit de «juridiquement irréfutable». Contrairement à certaines affirmations, la commission n'a pas trouvé d'indice tendant à attester qu'il s'agisse d'une expertise de complaisance ou que le professeur Walter ait fait preuve de partialité dans ses appréciations. Pour la CdG-E, le simple fait que le professeur Walter ait été président du Tribunal fédéral au moment du rendu de certains arrêts dans cette affaire ne prouve en rien un quelconque parti pris de sa part. Le directeur de l'OFJ est arrivé à la même conclusion après avoir soumis la question à un spécialiste. Le professeur Walter n'a jamais été membre de la cour compétente et ne s'est jamais exprimé publiquement sur ce dossier. Il n'avait d'ailleurs pas à commenter les décisions du Tribunal fédéral, mais à les prendre comme un état de fait, que la surveillance des fondations devait respecter dans ses décisions. Qui plus est, au moment de rédiger l'avis de droit, le professeur Walter avait quitté le Tribunal fédéral et enseignait déjà à temps plein à l'université.

Il va sans dire que la CdG-E accorde également crédit à l'intégrité d'un ancien magistrat et président de la jurisdiction suprême de la Confédération. La commission s'appuye par conséquent, en partie, sur l'avis de droit du professeur Walter pour tirer ses propres conclusions.

A noter que l'avis de droit du professeur Walter, qui est daté du 26 juillet 2004, se restreint à analyser la légalité de la surveillance exercée sur les fondations Rau; il exclut explicitement les aspects politiques du champ d'expertise.

Un membre de
la CdG-E a toutefois émis les plus extrêmes réserves sur l'avis du professeur Walter. En outre, ce membre considère comme très insuffisant l'examen de la légalité des décisions prises par le DFI.

8

Prof. Hans Peter Walter, Gutachtliche Stellungnahme in Sachen Aufsicht über die Rau-Stiftungen, du 26.7.2004.

7313

4

Quelques principes de la surveillance des fondations9

Une fondation est une personne morale de droit privé qui a pour objet l'affectation de biens en faveur d'un but spécial. L'acte de fondation (testament ou acte authentique) détermine le but, le nom, le capital de dotation, l'organisation ou encore le mode d'administration de la fondation. Une fondation n'a ni membres ni partenaires, mais uniquement des bénéficiaires. Elle ne compte d'ailleurs qu'un organe imposé: le conseil de fondation.

Toute personne est libre de constituer une fondation; une autorisation étatique n'est pas nécessaire. En revanche, chaque fondation est soumise, dès sa constitution, à la surveillance de l'Etat (art. 84, al. 1, CC). Cette surveillance a plusieurs raisons d'être. Elle doit, d'une part, compenser l'absence de membres ou d'actionnaires qui, chez les autres personnes juridiques de droit privé, assurent la surveillance des organes dirigeants. L'autorité défend ainsi les intérêts des destinataires, qui n'ont pas la possibilité de participer à la prise de décision au sein de la fondation. Il est d'autre part dans l'intérêt général que la volonté du fondateur soit perpétuée, parfois à l'encontre des intérêts personnels des organes de fondation; ceci d'autant plus lorsque la fondation poursuit, comme souvent, des buts d'utilité publique. La surveillance étatique permet enfin d'exercer un contrôle de légalité sur les actes des organes de fondation.

Si la surveillance des fondations est d'intérêt public, elle doit toutefois s'exercer à l'aune de la volonté du fondateur. La tâche principale de l'autorité de surveillance est de pourvoir à ce que les biens des fondations soient employés conformément à leur but (art. 84, al. 2, CC). Elle doit veiller à ce que les organes ne prennent aucune décision contraire à l'acte constitutif de la fondation, à son règlement, à la loi ou aux bonnes moeurs. Elle doit également faire attention à ce que les organes de fondation défendent les intérêts de la fondation et agissent selon les principes généraux de l'activité administrative.

On relèvera que la surveillance porte uniquement sur la fondation et ses organes, mais pas sur le fondateur, les destinataires ou d'autres personnes ou instances ­ à moins que celles-ci ne remplissent des tâches de la fondation. De la même manière, l'autorité de surveillance ne peut rendre des décisions que
concernant la fondation et son patrimoine; les demandes litigieuses de tiers vis-à-vis des fondations relèvent exclusivement de la compétence des tribunaux civils.

Si la loi attribue des pouvoirs relativement étendus à la surveillance des fondations, l'autorité n'en est pas pour autant un organe de la fondation, son représentant ou encore son tuteur. En d'autres termes, l'autorité doit se limiter à des fonctions de contrôle et de surveillance; elle n'est généralement pas habilitée à agir en lieu et place des fondations sur lesquelles elle exerce sa surveillance. Plutôt, elle doit respecter l'autonomie de la fondation et n'intervenir qu'en cas d'abus ou excès du pouvoir d'appréciation de ses organes. Cette autonomie doit être interprétée très librement. De par la loi, la fondation est une personne morale capable de discernement, qui peut et doit agir par le truchement de ses organes et des représentants qu'elle a désignés. Il en va toutefois autrement lorsqu'elle ne dispose pas d'organes ni de représentants désignés par elle ou lorsque ces organes ou représentants ne veulent ou ne peuvent agir ou agissent contre les buts de la fondation. C'est unique-

9

L'ensemble de ce chapitre s'appuie sur l'avis de droit du professeur Walter.

7314

ment dans ce cadre relativement restreint que l'autorité de surveillance a la compétence de se substituer à eux.

La fondation a une très large liberté de décision dans les limites du but et des statuts qu'elle s'est fixée. L'autorité de surveillance doit donc faire preuve de réserve et ne pas restreindre inutilement la liberté d'appréciation et de décision des organes de la fondation. Elle ne doit intervenir que lorsque ­ et seulement dans la mesure où ­ le but de la fondation est menacé ou lorsque les moyens de la fondation ne sont plus affectés à son but. L'examen détaillé de la gestion de la fondation dépasse les compétences de l'autorité et, d'une manière plus générale, ses possibilités. La surveillance des fondations consiste donc en un contrôle subsidiaire et distancié de la réalisation de la volonté du fondateur. Dans la plupart des cas, le DFI n'exerce ainsi qu'un contrôle ponctuel sur la base du rapport de l'organe de révision de la fondation. La surveillance est plus étroite s'agissant de fondations financièrement plus importantes, mais rares sont les dossiers complexes exigeant une intervention rapide ou par voie de décision formelle10.

Bien que la surveillance des fondations trouve sa base légale dans l'art. 84 CC, les relations qui lient les fondations à l'autorité de surveillance relèvent avant tout du droit public11. La surveillance des fondations est donc assujettie à certains principes du droit administratif, notamment les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

En particulier, une ingérence dans l'autonomie de la fondation ne peut pas être plus importante que nécessaire pour atteindre un but donné. Elle est donc illicite même si elle est minime et qu'elle atteint son but. Si l'autorité de surveillance constate par exemple qu'une décision d'un organe de fondation n'est pas conforme à la loi, elle doit annuler la décision illicite, mais elle ne doit pas prononcer elle-même une autre décision correcte à la place.

Pour accomplir sa mission, l'autorité de surveillance dispose de vastes compétences et d'une palette de moyens de surveillance préventifs et répressifs. Parmi les mesures préventives figurent l'obligation de présenter un rapport annuel et les comptes (y compris, depuis le 1er janvier 2006, le rapport d'un organe de révision) et celui de soumettre le règlement
de la fondation. Les mesures de répression sont nombreuses (p. ex. rappels, avertissements, réprimandes, charges, exécution par substitution, etc.).

En principe, la fondation nomme elle-même les organes en vertu des statuts autonomes qu'elle s'est donnée et conformément à la volonté du fondateur. Cependant, lorsque le fonctionnement d'un organe de fondation risque objectivement de léser ou de mettre en danger l'utilisation du patrimoine, l'autorité de surveillance peut ordonner des mesures touchant à l'organisation de la fondation. L'autorité est notamment habilitée à intervenir dans la composition du conseil de fondation. Si le conseil n'a pas lui-même déjà décidé d'exclure un membre, l'autorité a le droit de le faire.

S'il existe des raisons suffisantes, le fondateur lui-même peut être révoqué. De même, si le conseil ne peut pas procéder à la nomination de nouveaux membres de manière conforme aux statuts, l'autorité peut le faire à sa place. En outre, l'autorité peut suspendre l'exécution de décisions des organes de la fondation. Conformément

10 11

Au sens de l'art. 5 de la loi fédérale du 20.12.1968 sur la procédure administrative (PA; RS 172.021).

ATF 107 II 385 consid. 2.

7315

au principe de proportionalité, ces mesures peuvent toutes être ordonnées à titre provisoire, notamment lorsqu'une mesure définitive n'est pas nécessaire ou ne peut pas encore être prise.

5

Conclusions de la commission

5.1

Surveillance exercée par le DFI sur les fondations du docteur Rau

Dans le dossier des fondations du docteur Rau, les décisions prises par le DFI ou par les autorités cantonales ont presque systématiquement fait l'objet d'un recours à l'instance supérieure. Les arrêts rendus par le Tribunal fédéral et par le Tribunal supérieur (Obergericht) du canton de Zurich se comptent par dizaines. A quelques exceptions près12, ces arrêts ont toujours confirmé le point de vue du DFI, respectivement de l'autorité fédérale de surveillance des fondations. Il peut ainsi être constaté que cette dernière a, de manière générale, rempli ses tâches conformément à la loi. Pour le professeur Walter, l'autorité de surveillance a défendu de manière conséquente ­ dans la mesure de ses compétences et de ses attributions ­ la volonté du fondateur et l'intérêt public.

Au début de l'affaire, soit environ jusqu'au jugement de Baden-Baden, l'autorité de surveillance en a même trop fait, usant très largement de ses attributions. A l'époque, le DFI estimait en effet qu'il était urgent d'agir: une collection d'art de grande valeur risquait d'échapper à des fondations suisses et, partant, à la Suisse. En outre, différentes interventions du monde politique et une médiatisation rapide de l'affaire ont sans aucun doute contribué à l'empressement du département. Il s'agissait de protéger la réputation de la Suisse comme place attrayante pour l'implantation de fondations.

Ce n'est ainsi que quelques heures après avoir été informé de problèmes liés aux fondations du docteur Rau que le DFI a pris la première décision dans ce dossier (décision incidente du 17 juillet 1998). En l'occurrence, le DFI a ordonné des mesures particulièrement limitatives (institution de curatelles, mise sous scellés des oeuvres, réalisation d'un inventaire) sur la seule base des affirmations d'un avocat du docteur Rau. Le fondateur lui-même n'a pas été consulté. Le DFI se fonde sur la mesure d'administration judiciaire des biens ordonnée à Monaco pour considérer que Rau n'était pas capable de discernement, sans toutefois clarifier la portée du jugement monegasque au préalable avec des spécialistes (p. ex. l'OFJ). Pour la CdG-E, l'urgence de la situation a été surestimée. Le DFI a agi de manière précipitée et peu critique, ne clarifiant pas tous les éléments nécessaires à la prise de décision. En outre, étant donné que la situation
de fait n'avait pas pu être précisément établie, des mesures plus prudentes et moins coûteuses auraient dû prévaloir.

Un mois plus tard, le DFI concédait d'ailleurs que les mesures de protection ordonnées étaient excessives (décision incidente du 28 août 1998). Il corrigeait également sa position concernant la capacité de Rau et laissait la question de l'interprétation du jugement monegasque ouverte.

12

Voir ATF 5A.13/2000, ATF 5A.14/2000, ATF 5A.17/2000 et ATF 5A.18/2000.

7316

La situation était un peu différente lors de l'institution des curatelles sur la Fondation d'art et la Fondation médicale, le 19 mai 1999. A plusieures reprises, les conseils de fondations n'avaient pas respecté les directives de l'autorité; ils avaient également offert l'ensemble des biens des fondations à l'Unicef allemande.

De manière générale, le DFI n'a pas prêté suffisamment attention au fait que l'institution d'une curatelle est une ingérence importante dans l'autonomie d'une fondation et qu'elle a par conséquent un caractère provisoire et subsidiaire. Il s'est écoulé en moyenne deux ans entre l'institution des curatelles et leur levée. Le DFI aurait dû entreprendre de modifier plus rapidement la composition des conseils de fondation pour permettre la levée des curatelles.

En diverses circonstances, l'autorité de surveillance a dépassé le cadre de ses attributions. C'était le cas lorsqu'elle a menacé de poursuites pénales toute personne interférant dans le retour en Suisse des tableaux envoyés au Japon (décision incidente du 24 mai 2000). Il s'agissait en réalité de contraindre l'entourage du docteur Rau à coopérer au retour des tableaux et d'empêcher ainsi que ceux-ci ne tombent dans l'escarcelle allemande. Cette décision est l'une des rares où le Tribunal fédéral a donné tort au DFI, rappelant que le pouvoir d'instruction de l'autorité de surveillance se limite aux personnes directement soumises à sa surveillance, c'est-à-dire aux organes des fondations et non à des tiers. Quand bien même le DFI a pris ces décisions dans le but de protéger les oeuvres dont les fondations espéraient hériter, il s'agissait d'une transgression de ses compétences.

De même, le pouvoir d'instruction du DFI se limitait au patrimoine des fondations et ne s'étendait pas à la collection d'art privée du docteur Rau. Les dispositions testamentaires de celui-ci en faveur des fondations suisses ne changeaient rien à cet état de fait. Le docteur Rau restait libre de disposer à sa guise de sa collection ou de changer sa volonté testamentaire (art. 494, al. 2, CC). Il pouvait choisir d'exposer les tableaux, de les vendre ou de les déplacer sans avoir de compte à rendre ni au DFI, ni aux fondations; les prétentions successorales de ces dernières ne leur ouvraient aucun droit à disposer de la collection ou à exiger des
mesures de protection y relatives. Il en allait de même pour l'autorité de surveillance. Aussi, lorsque le DFI se prévalait des prétentions successorales des fondations pour ordonner des mesures de protection sur la collection Rau, il outrepassait ses compétences. C'était notamment le cas de la mise sous scellés des oeuvres entreposées à Embrach. Outre la trentaine de pièces données à la Fondation d'art lors de sa création en 1971, les oeuvres déposées à Embrach relevaient en effet de la propriété privée du docteur Rau. Si une mise sous scellés se justifiait, ce n'était probablement qu'à titre provisoire, afin de réaliser un inventaire des oeuvres et d'éviter ainsi toute méprise entre les oeuvres de la collection privée de Rau et celles de la Fondation d'art. A noter que le Tribunal fédéral n'a jamais pris position sur la mise sous scellés de la collection privée.

A plusieurs occasions, le DFI s'est aussi prévalu du statut de dépositaire de la Fondation d'art pour ordonner des mesures de protection à l'endroit de la collection d'art (p. ex. conditions posées à l'exposition d'oeuvres). C'était toutefois ignorer le fait que, même dans sa qualité de dépositaire, la Fondation d'art ­ et donc l'autorité de surveillance ou le curateur de la fondation ­ restait liée aux mots d'ordre du docteur Rau ou de son mandataire. L'autorisation donnée, le 24 septembre 1999, au prêt de 106 tableaux pour une exposition itinérante au Japon relevait d'un tel cas de figure.

7317

L'envoi des oeuvres au Japon demeure l'une des décisions les plus controversées du DFI, puique les 95 tableaux de la collection Rau ne sont plus revenus en Suisse. Une grande part de la confusion concernant cette décision ­ aussi bien que l'ensemble du dossier ­ est liée au fait que la capacité de discernement du docteur Rau et les rapports de propriété sur la collection d'art étaient (et sont encore) farouchement contestés par les différentes parties impliquées. Il doit être souligné que le DFI n'était compétent pour trancher ni l'une ni l'autre question: il avait uniquement à se conformer aux décisions prises par les cours civiles compétentes.

A l'époque, la propriété de la collection Rau était disputée entre la Fondation Crelona et le docteur Rau dans le cadre d'une procédure à Vaduz. Rappelons que le docteur Rau avait signé un contrat de donation, dans lequel il s'engageait à offrir sa collection à la Fondation Crelona. Les oeuvres d'art n'ont toutefois jamais été remises à la Fondation Crelona. Contrairement au droit français, le droit suisse prévoit que les biens ne changent de propriétaire que lorsqu'ils sont effectivement transmis et non pas déjà au moment de la conclusion du contrat de donation. Le DFI devait donc partir du principe que le docteur Rau était toujours le propriétaire de la collection d'art, nonobstant la procédure au Liechtenstein. Alors que le Tribunal fédéral estimait déjà dans son arrêt du 18 octobre 1999 que les oeuvres étaient la propriété privée du docteur Rau, le DFI a préféré laisser la question en suspens, craignant de prendre des décisions contre lesquelles la Fondation Crelona pourrait ensuite se retourner. En fait, si la Fondation Crelona était venue à gagner le litige, elle aurait dû faire valoir ses prétentions non contre la Confédération, mais contre le docteur Rau devant une cour civile.

La question des capacités du docteur Rau ne jouait un rôle pour le DFI que dans la mesure où celui-ci recevait des instructions du fondateur, comme lors du prêt de tableaux au Japon. Le DFI n'avait à suivre les instructions du docteur Rau que dans la mesure où celui-ci était capable de discernement. Ici aussi, l'autorité de surveillance ne pouvait en décider elle-même (p. ex. sur la base d'expertises médicales), mais devait se reposer sur les jugements des cours civiles. Ils
étaient, en l'occurrence, trois: le Tribunal de Grande Instance de Monaco a placé Rau, le 23 mars 1998, sous administration judiciaire des biens; le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion, le 18 octobre 1999, que Rau n'était pas capable d'exercer ses droits civils depuis fin juillet 1998 au moins; enfin, le Tribunal de Première Instance de Baden-Baden a constaté, le 20 septembre 2000, que Rau n'avait pas besoin d'un tuteur. Le DFI devait en outre tenir compte du fait que le docteur Rau avait établi une procuration générale en faveur de sa dame de confiance, en stipulant bien que la délégation des pouvoirs restait valable s'il venait à perdre ses capacités. Contestée dans un premier temps par le DFI, la validité de la procuration a été confirmée par le Tribunal fédéral le 17 février 2000.

Dans la mesure du possible, le DFI a évité de se prononcer sur la propriété des oeuvres et de reconnaître la capacité de discernement de Rau, ce qui lui a permis de justifier les mesures de protection prises à l'endroit de la collection et ainsi de faire un usage maximal de ses attributions. Le fait que les 95 tableaux ne soient plus rentrés en Suisse malgré des instructions contraires du DFI peut paraître, à première vue, choquant. Il en va de même de la disparition présumée d'oeuvres ou de la vente de tableaux de la collection sans l'autorisation du DFI. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que le DFI n'avait aucune compétence en la matière; le DFI n'avait un pouvoir d'instruction que sur les tableaux de la Fondation d'art. Pour le reste, il ne s'agissait que de l'exercice légitime par le docteur Rau, respectivement par son 7318

mandataire, des droits de propriété sur la collection. Il est possible que l'entourage du docteur Rau ait, ce faisant, profité de l'affaiblissement du docteur Rau pour user à son profit personnel des droits qu'il lui avait accordés. Aussi répréhensible que cela ait pu lui paraître, le DFI n'avait toutefois aucun moyen légal de l'en empêcher.

L'arrêt de Baden-Baden du 20 septembre 2000 a marqué un tournant dans l'affaire.

Rappelons que le tribunal avait à décider, sur requête de l'un des anciens curateurs des fondations Rau, si un tuteur devait être nommé pour gérer les affaires du docteur Rau. Le tribunal a rejetté cette requête, non sans avoir constaté, sur la base d'expertises médicales, que Rau avait la capacité de gérer ses affaires.

La portée de ce jugement pour la Suisse a été très diversement interprétée par les différents acteurs impliqués. D'un côté, certains argumentaient que le jugement de Baden-Baden ne pouvait pas être reconnu en Suisse, car le docteur Rau ne se serait pas rendu de son plein gré en Allemagne. Et, argumentaient ces mêmes personnes, si le jugement était reconnu en Suisse, seul le dispositif du jugement devait entrer en force. Or, le dispositif mentionnait que Rau n'avait pas besoin de tuteur (la capacité n'était évoquée que dans les considérants du jugement).

Deux avis de droit de l'OFJ datés du 7 et du 23 novembre 2000 réfutaient ces arguments. Le DFI en a tiré les conclusions suivantes: ­

Suivant le droit allemand ­ applicable en l'occurrence ­ le docteur Rau est entièrement capable de discernement.

­

L'arrêt de Baden-Baden doit être reconnu en Suisse, respectivement a force de chose jugée. Il prime notamment sur l'arrêt du Tribunal fédéral du 18 octobre 1999.

­

Toutes les procurations du docteur Rau sont valables.

­

Toutes les mesures de protection doivent être levées.

Dans une décision datée du 22 décembre 2000, le DFI a ainsi admis pour la première fois que le docteur Rau était capable de discernement et que la collection d'art était sa propriété privée. Dans cette décision, le département accèdait à une requête du docteur Rau et prenait une série de mesures importantes dans ce dossier: la composition du conseil de la Fondation d'art est modifiée et la levée de la curatelle ordonnée. Deux mois plus tard, le DFI prend les mêmes mesures pour les deux autres fondations. L'accord d'août 2001 permettant au docteur Rau de transporter la collection d'art en Allemagne en a été la suite logique.

Pour la CdG-E, le DFI devait se conformer aux avis de droit de l'OFJ. La CdG-E est d'avis qu'il était plausible ­ mais non nécessaire ­ de conclure sur cette base à la capacité de discernement du docteur Rau. Il s'agit là d'une délicate question de droit international privé, qui aurait pu être interprétée d'une autre manière ­ le droit n'est pas une science exacte. Cela dit, le fait que le Tribunal supérieur de Zurich et le tribunal monegasque compétent13 aient également désigné le docteur Rau comme étant entièrement capable de discernement tend à démontrer que l'appréciation du DFI était conforme. L'argument selon lequel la capacité de Rau ne devait pas être reconnue car elle n'apparaissait pas dans le dispositif ne convainc au demeurant guère. Le tribunal de Baden-Baden a renoncé à placer le docteur Rau sous tutelle

13

Le 22 mars 2001, les mesures tutélaires ont par conséquence été levées et l'administrateur judiciaire des biens relevé de ses fonctions.

7319

parce qu'il était capable14. Dans l'arrêt du Tribunal fédéral du 19 octobre 1999, le constat d'incapacité de Rau ne faisait pas non plus partie du dispositif; pourtant, personne n'a alors contesté son incapacité. Nul doute, d'ailleurs, que si l'issue du jugement de Baden-Baden avait été différente, les parties qui s'opposaient à la reconnaissance de la capacité de Rau auraient été les premières à demander la reconnaissance du jugement.

Si la CdG-E peut se rallier aux suites qu'a finalement donné le DFI à l'arrêt de Baden-Baden, force est de constater qu'elle n'a pas pu, au cours de ses travaux, reconstruire de manière convaincante le processus de prise de décision du DFI.

Lors d'une réunion suivant le premier avis de droit de l'OFJ, le chef de l'autorité fédérale de surveillance des fondations avait constaté que la situation était «tout sauf claire» et que l'arrêt de Baden-Baden ne permettait pas de porter un jugement sur l'état de santé du docteur Rau. Une contre-expertise médicale avait d'ailleurs été demandée à un médecin qui s'était déjà prononcé dans l'affaire. Lors d'une réunion suivant le deuxième avis de droit de l'OFJ, la situation ne semblait toujours pas claire. Il y avait, au mieux, «des raisons de penser que le DFI reconnaîtrait la capacité de discernement du docteur Rau et que la propriété de la collection d'art en découlerait.» Plus tard dans la journée, le chef adjoint de la surveillance des fondations informait au contraire le représentant du docteur Rau que la question des rapports de propriété devait être réglée par les tribunaux compétents. Quelques semaines plus tard, ces incertitudes n'avaient apparemment plus lieu d'être. L'autorité de surveillance a agi avec une rapidité surprenante en édictant la décision du 22 décembre 2000.

Pour la CdG-E, l'autorité de surveillance a manqué de cohérence et de transparence dans sa prise de décision suivant l'arrêt de Baden-Baden. Le changement radical d'attitude du DFI et la soudaineté avec laquelle il a agi sont difficilement compréhensibles (voir ch. 5.2 ci-dessous). La commission estime d'ailleurs que le DFI a généralement manqué de transparence et d'une ligne claire dans ce dossier. En outre, à différentes occasions, les informations données par le DFI aux autres autorités fédérales n'étaient pas suffisantes, tant qualitativement
que quantitativement.

Un membre de la CdG-E ne peut pas se rallier aux conclusions exposées dans ce chapitre. Il estime que le DFI ne pouvait pas décider de la propriété de la collection Rau en lieu et place d'un tribunal civil, ce qu'il a, d'après le membre en question, fait. Par ailleurs, ce membre considère que le DFI ne pouvait pas décider de la sortie des oeuvres de leur dépôt à Embrach. Seul le curateur de la Fondation d'art ­ en tant que dépositaire de la collection ­ pouvait en décider. L'envoi de certaines oeuvres au Japon ou la remise de la collection au docteur Rau auraient donc été illégales. Le membre considère en outre que l'arrêt de Baden-Baden ne permettait pas au DFI de conclure à la capacité du docteur Rau. Seul le dispositif du jugement aurait dû être reconnu, qui ne mentionne pas la capacité de Rau. Pour le membre de la CdG-E, le DFI a cédé à des pressions exercées par les autorités allemandes en reconnaissant de manière illégitime la capacité du docteur Rau et sa propriété sur la collection d'art.

Une plainte en dommages et intérêts de la Fondation Crelona aurait également incité le DFI à se défaire rapidement de la collection. Le membre de la CdG-E ne peut accepter la teneur du chapitre 5.1, qui n'est pas conforme selon lui au mandat de la CdG-E, à savoir contrôler la légalité, l'opportunité et l'efficacité de l'action des 14

Le jugement aurait été absurde s'il avait considéré le docteur Rau incapable, mais malgré tout renoncé à des mesures de protection.

7320

autorités fédérales. Il estime que le DFI ne disposait pas d'une base légale pour autoriser l'exposition au Japon; en décidant, en lieu et place des tribunaux civils, de la propriété des oeuvres dans l'ordonnance superprovisoire du 22 décembre 2000; en souscrivant un accord privé en août 2001, nul de plein droit; en remettant le reste des collections à un avocat du docteur Rau à l'insu du curateur de la Fondation d'art.

Quant au principe d'opportunité, le membre de la commission considère que le Conseil fédéral a cédé aux pressions allemandes qui, se superposant à la demande de dommages et intérêts de 266 millions, ont entraîné un changement radical de la part du DFI. Quant au principe d'efficacité, ce membre estime que le résultat est connu.

Pour lui, les fondations, placées sous la sauvegarde de la Confédération, ont été vidées de tout leur patrimoine. A cela s'ajoute le fait que, toujours selon ce membre, les notes adressées au Conseil fédéral par le DFI étaient lacunaires, voire fausses.

5.2

Indépendance de l'autorité de surveillance

L'affaire Rau a eu un retentissement considérable dans les médias et dans le monde politique, les différentes parties impliquées s'étant affairées à propager leur version des événements. De très nombreux reportages y ont été consacrés dans les médias suisses, français, allemands et internationaux. Certaines autorités cantonales ont pris ce dossier très à coeur et rares sont les membres des Chambres fédérales qui n'ont pas été abordés et documentés par l'une ou l'autre partie. Le Conseil fédéral a été informé à quatre reprises par le DFI de l'état du dossier et il a été interpellé deux fois au Conseil national. Enfin, des contacts ont eu lieu à de nombreuses reprises entre les autorités suisses et des autorités étrangères.

Cet intérêt était lié moins aux fondations elles-mêmes qu'à l'intérêt d'abriter une collection d'art de la valeur de celle du docteur Rau. Du fait de cet enjeu, l'autorité de surveillance a été soumise à des pressions importantes de la part de divers milieux. Du point de vue de la haute surveillance parlementaire, il faut se demander si ces pressions ont eu des répercussions sur la prise de décision de l'autorité de surveillance des fondations. En principe, les considérations d'ordre politique n'ont pas leur place dans l'exercice de la surveillance des fondations; celle-ci doit avant tout veiller à ce que les biens des fondations soient employés conformément à leur destination et à ce que la volonté autonome du fondateur soit respectée. Or, lors de ses travaux, la commission n'a pas pu se défaire de l'impression que l'autorité de surveillance est allée à plusieurs reprises au devant de certaines exigences.

L'autorité de surveillance donne l'impression de s'être trouvée parfois dans un conflit de loyauté entre, d'une part, la volonté politique de protéger la collection Rau et, d'autre part, le respect de l'autonomie des fondations et du fondateur. Abriter une telle collection était incontestablement dans l'intérêt public; reste que l'autorité de surveillance a outrepassé ses compétences en ordonnant des mesures conservatoires sur la collection. Dans ce cadre, le fait que l'autorité de surveillance était directement subordonné à la direction du département chargé de la culture n'a peut-être pas joué un rôle anodin dans la pondération des intérêts.

De nombreux domaines d'activité
du DFI sont aussi des domaines d'activité classiques pour les fondations d'utilité publique: recherche et formation, promotion de la culture, solidarité sociale, santé publique, etc. Afin que l'autorité de surveillance puisse exercer ses tâches de manière la plus indépendante possible, la CdG-E estime qu'il serait opportun de transférer la surveillance des fondations dans un départe7321

ment ou un service dont la mission a des liens moins étroits avec les activités usuelles des fondations d'utilité publique. La commission pense ici en particulier à l'OFJ, voire à la Chancellerie fédérale.

En 1995, les CdG avaient d'ailleurs déjà fait pareille recommandation dans un rapport consacré au rôle et à la fonction des secrétariats généraux des départements15. Dans leurs conclusions, les CdG estimaient que l'attribution aux secrétariats généraux de tâches de ligne16 doivent rester l'exception; ces activités grèvent la structure et les moyens des secrétariats généraux et ne participent en aucune manière à décharger les chefs des départements. C'est pourquoi les CdG étaient d'avis que bien des tâches de ligne prises en charge par les secrétariats généraux pouvaient sans autre être assumées par d'autres services, et ce en vertu du principe de subsidiarité administrative. Les CdG proposaient différentes solutions, parmi lesquelles le transfert de la surveillance fédérale des fondations à l'OFJ.

Motion

Transfert de la surveillance fédérale des fondations

La Commission de gestion du Conseil des Etats charge le Conseil fédéral de procéder sans délai au transfert de la surveillance des fondations dans un service dont la mission n'a pas de lien étroit avec les domaines d'activité usuels des fondations d'utilité publique.

La CdG-E a déjà dit plus haut son incrédulité concernant le processus qui a mené le DFI à reconnaître la capacité de discernement du docteur Rau suite à l'arrêt de Baden-Baden. Face au manque de transparence et de cohérence du DFI, la commission a dû se demander dans quelle mesure des interventions des autorités allemandes ont joué un rôle dans la prise de décision du département. En effet, la commission a pris connaissance de plusieurs documents qui laissent subsister peu de doutes quant à l'existence d'interventions répétées auprès de la Confédération et ce, au plus haut niveau. Dans une réponse à une interpellation parlementaire, le Conseil fédéral évoque ainsi une «collaboration entre les autorités suisses, françaises et allemandes» qui avait pour objectif «de restituer ses droits au docteur Rau, qui dispose à nouveau de ses pleines capacités.»17 Citons également à titre d'exemple un rapport (public) du Ministère allemand des affaires étrangères, dans lequel celui-ci se targue d'avoir joué un rôle considérable dans le transfert en Allemagne de la collection d'art du docteur Rau. Le Ministère aurait effectué des démarches réitérées auprès des autorités fédérales par l'entremise de son ambassadeur à Berne et une fois lors d'une consultation entre secrétaires d'Etat.

La CdG-E a demandé au chef du DFI de bien vouloir décrire de manière exhaustive à quelles occasions, sous quelle forme et dans quel but les autorités allemandes sont intervenues auprès de la Confédération, ainsi que les réponses données et les mesures prises suite à ces interventions. La commission a également souhaité savoir si le Conseil fédéral avait été informé de ces interventions et, le cas échéant, quelles positions ou mesures avaient été décidées. La réponse du chef du DFI s'est révélée 15

16 17

Voir le rapport des CdG des Chambres fédérales à l'intention du Conseil fédéral intitulé «Inspection relative au rôle et à la fonction des secrétariats généraux des départements», du 22.5.1995 (FF 1995 IV 1101 s.).

Tâches opérationnelles, par opposition aux tâches strictes d'état-major.

00.3660 Ip. «Collection Rau», du 12.12.2000.

7322

très sommaire. La commission est convaincue de ne pas avoir reçu toutes les réponses à ses questions, de telle sorte qu'elle n'a pas pu se convaincre que le DFI avait toujours agi avec toute l'indépendance requise. La CdG-E regrette vivement cet état de fait qui ne contribue pas à rendre crédible l'action de l'autorité de surveillance.

5.3

Coopération avec les parties impliquées dans un dossier

Au cours de ses travaux, la CdG-E a pris connaissance de factures d'un cabinet d'avocats représentant le docteur Rau. Il peut être déduit de ces factures que les représentants légaux du docteur Rau ont collaboré étroitement, aux frais du fondateur, à la rédaction des décisions de l'autorité de surveillance de décembre 200018.

Le chef du DFI a confirmé cet état de fait et l'a justifié par une situation d'urgence.

Mi-décembre 2000, le curateur de la Fondation d'art avait fait ouvrir une procédure de saisie des tableaux exposés au Sénat français. L'autorité de surveillance aurait collaboré avec les avocats du docteur Rau afin que ses décisions soient publiées «à temps», c'est-à-dire assez rapidement pour que la saisie des tableaux soit empêchée.

Le chef du DFI a estimé que, dans le cas contraire, la surveillance des fondations aurait couru le risque de devoir assumer la responsabilité civile. Cette collaboration ne permettrait cependant pas de conclure à un manque d'indépendance et à un parti pris de l'autorité de surveillance.

La CdG-E conçoit qu'il y avait une certaine urgence d'agir. Il n'est pas difficile d'imaginer que la saisie de tableaux dans l'enceinte même du Sénat français n'aurait pas facilité les relations franco-suisses. Nonobstant, la CdG-E considère que la coopération avec les avocats de Rau était inopportune et problématique. Ce d'autant plus que cette décision consistait notamment à nommer un de ces avocats à la présidence du conseil de la Fondation d'art.

L'autorité de surveillance doit être en mesure de rédiger ses décisions de manière autonome; les acteurs directement impliqués dans un conflit ne doivent pas prendre un rôle actif dans le processus de décision de l'autorité de surveillance ou dans la rédaction de décisions formelles. Pour la CdG-E, il en va de la crédibilité et de l'autorité des décisions, mais aussi de la confiance publique en une procédure administrative intègre. Le fait qu'il s'agissait ­ au moins pour l'une d'entre elles ­ de décisions centrales dans cette affaire ne rend cet état de fait que plus regrettable encore. De l'avis de la commission, la surveillance des fondations s'est, ici aussi, laissée mettre sous pression par l'une des parties impliquées.

De manière générale, la CdG-E a été frappée par la recherche du dialogue et du consensus qui caractérise
le système libéral de surveillance des fondations en Suisse.

Pour la grande majorité des cas traités par l'autorité de surveillance, cette approche pragmatique se révèle efficace et doit être saluée. A la lumière de l'affaire Rau, la

18

Par décision du 20 décembre 2000, le DFI donnait instruction au curateur de la Fondation d'art de signer un contrat avec le Sénat français, puis de remettre onze oeuvres de la fondation pour une exposition. Le DFI enjoignait également les autorité tutélaires d'autoriser le prêt de ces oeuvres. Par décision du 22 décembre 2000, le DFI ordonnait la modification de la composition du conseil de la Fondation d'art et la levée subséquente de la curatelle. Les deux décisions ont été prises à titre préprovisionnel, ce qui présuppose qu'il y avait péril en la demeure. Elles seront toutes deux confirmées par le Tribunal fédéral.

7323

CdG-E se demande toutefois si cette approche est aussi efficace et adéquate dans des cas plus complexes.

En effet, un cas comme celui des fondations du docteur Rau soumet l'autorité de surveillance à une observation publique étroite. Certes, la justice administrative ne peut et ne doit pas offrir les mêmes garanties de procédure que les tribunaux indépendants. Il est toutefois capital que l'autorité fédérale de surveillance des fondations projette une image d'impartialité. Il en va, ici aussi, de sa crédibilité et de la confiance publique en la procédure administrative.

Pour ces raisons, la commission demande au DFI d'établir des directives claires régissant la collaboration avec des acteurs externes à l'autorité de surveillance.

Recommandation 1

Relations avec les parties concernées

La CdG-E demande au DFI d'examiner les règles de comportement et de procédure que doit adopter l'autorité fédérale de surveillance des fondations lors de ses contacts avec les parties impliquées dans un dossier, afin d'assurer la transparence et la crédibilité de son action pour tous les acteurs concernés et ce, particulièrement lors de cas complexes. La participation de personnes directement impliquées dans une affaire dans le processus de décision de l'autorité de surveillance doit être explicitement interdite.

5.4

Surveillance de fondations et curatelles

A l'heure actuelle, le Code civil prévoit encore la possibilité d'instituer une curatelle sur une fondation (art. 392 et 393 CC). Selon le droit en vigueur, une curatelle peut être instituée lorsque l'organisation d'une fondation n'est pas complète et qu'il n'est pas pourvu d'une autre manière à son administration ou lorsque des intérêts publics importants sont mis en péril par une gestion insuffisante de la fondation. L'institution d'une curatelle est toutefois une mesure subsidiaire; l'autorité de surveillance doit donner priorité à ses autres attributions et instruments de surveillance. Une curatelle est une solution provisoire qui doit permettre à l'autorité de surveillance de prendre les mesures nécessaires pour rétablir une gestion conforme de la fondation.

Elle ne doit pas devenir un état permanent. Lorsqu'il est pourvu au bon fonctionnement des organes de gestion, la curatelle doit être levée dans des délais raisonnables.

Le cas des fondations du docteur Rau a toutefois mis en évidence plusieurs problèmes liés à la répartition des compétences entre autorité de surveillance et autorité tutélaire lors de l'instauration de curatelles. En principe, l'autorité de surveillance de la fondation formule une demande de mise sous curatelle, mais c'est l'autorité tutélaire compétente qui en décide et, le cas échéant, nomme un curateur. Le curateur est donc soumis à la surveillance des autorités tutélaires, la fondation à celle de l'autorité de surveillance des fondations. Leurs compétences respectives ne sont toutefois, en large partie, pas clairement définies19. Grosso modo, les questions qui ont trait au droit des fondations, à la défense de l'intérêt public et à l'exécution conforme de la volonté du fondateur reviennent à l'autorité de surveillance des 19

Voir l'avis de droit du professeur Walter, p. 52.

7324

fondations; l'autorité tutélaire est en revanche compétente dans le domaine du droit tutélaire et pour le contrôle du curateur dans l'accomplissement de son mandat.

La configuration actuelle ­ compétence partagée des autorités tutélaires et de l'autorité de surveillance ­ ne pose pas de problème en temps ordinaire. Tout au plus peut-on se demander si l'implication des autorités tutélaires est efficace, étant donné qu'elles se contentent en principe de mettre en oeuvre des requêtes de l'autorité de surveillance. En cas de conflit en revanche, cette configuration présente un potentiel élevé de tensions. C'est ce qu'a démontré le cas des fondations Rau.

Dans cette affaire en effet, des autorités tutélaires se sont référées à leur compétence en matière de droit tutélaire (art. 393, al. 4, CC) pour instituer des curatelles contre l'avis de l'autorité fédérale de surveillance des fondations qui s'y était opposée. De même, les curatelles ont été systématiquement confiées aux anciens curateurs, malgré le souhait contraire du DFI, qui est en rupture de confiance complète avec eux depuis mi-2000 environ (le département avait été jusqu'à qualifier leurs actes «d'obstruction»).

L'acceptabilité juridique de cette mesure est disputée. Selon les autorités tutélaires entendues par la commission, leur intervention était devenue nécessaire en raison de la passivité du DFI et d'une sorte de collusion entre les conseils de fondation et le DFI, qui nuisait aux intérêts des fondations. Il s'agissait d'une mesure salvatrice et indispensable. Dans ses arrêts du 3 mars 2003 et du 24 mars 2006, le Tribunal supérieur de Zurich a toutefois estimé qu'il revient exclusivement à la surveillance des fondations d'examiner la nécessité d'une mise sous curatelle. Le professeur Hans Michael Riemer a défendu le même point de vue, ajoutant que si quelqu'un voulait s'opposer à l'action de l'autorité fédérale de surveillance, il ne devait pas passer par les autorités tutélaires, mais faire valoir son point de vue par la voie de droit ordinaire, c'est-à-dire sous forme de recours auprès du Tribunal fédéral. Admettre le droit pour les autorités tutélaires d'agir à l'encontre de l'avis de l'autorité de surveillance reviendrait à placer l'autorité de surveillance elle-même sous curatelle.

La commission constate que les désaccords entre
le DFI et les curateurs ont abouti, dans le cas des fondations Rau, à une situation extrêmement difficile ­ et très coûteuse. Les décisions des uns étaient régulièrement attaquées par les autres, les procédures menant souvent jusqu'au Tribunal fédéral, et dans deux cas jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme. Plainte pénale a été déposée contre les responsables du DFI auprès du Ministère public de la Confédération. Dans ces conditions, il est manifeste que la collaboration entre l'autorité de surveillance et les curateurs n'était pour ainsi dire plus possible.

Suite aux problèmes apparus dans le dossier Rau, le DFI a renoncé, par principe, à instituer des curatelles sur les fondations soumises à sa surveillace (à une exception près). De l'avis de la CdG-E, cette retenue est compréhensible, mais elle estime aussi que c'était se priver d'une mesure qui garde tout son sens dans certains cas. Du point de vue de la haute surveillance parlementaire, il s'agit plutôt de résoudre les problèmes du système actuel afin que l'instrument des curatelles ­ ou un instrument similaire ­ puisse être utilisé efficacement.

7325

A ce titre, la CdG-E salue la décision de l'Assemblée fédérale du 16 décembre 2005 consistant à abroger l'art. 393, al. 4, CC et, partant, à supprimer la faculté de désigner un curateur pour une fondation20. Cette décision n'est certes pas encore entrée en vigueur; depuis la récente révision du droit des fondations21, l'autorité de surveillance peut toutefois déjà nommer un commissaire22 en cas de carences graves dans l'organisation d'une fondation. Ce nouvel instrument remplit une fonction similaire à la mise sous curatelle, mais il permet de répondre aux difficultés observées dans le cas des fondations du docteur Rau. L'autorité de surveillance agit d'office et, sous réserve des voies de droit ordinaire, elle est compétente pour décider de la nomination d'un commissaire, fixer ses compétences et contrôler l'accomplissement de ses tâches. Les problèmes liés à la répartition des compétences entre autorité de surveillance et autorité tutélaires ne se posent ainsi pas.

Au vu de ce qui précède, la CdG-E estime qu'il n'y a plus besoin d'intervenir du point de vue de la haute surveillance parlementaire.

5.5

Ressources, organisation et compétences de la surveillance des fondations

La CdG-E reconnaît l'examen critique auquel s'est livré le DFI sur différents points de son action. La commission se réjouit notamment que le DFI ait admis la nécessité d'impliquer dès le début les services compétents de l'administration. La commission estime toutefois que le DFI n'a pas entamé une réflexion suffisamment approfondie sur les faiblesses du système actuel de surveillance fédérale des fondations. La CdGE est convaincue que, en l'état, l'autorité fédérale de surveillance des fondations ne serait pas en mesure de bien gérer un cas d'une complexité similaire à l'affaire Rau.

A ce propos, la CdG-E relève que la gestion du dossier des fondations du docteur Rau a impliqué une dépense considérable en ressources personnelles et a soumis les collaborateurs de l'autorité fédérale de surveillance des fondations à des pressions importantes. Le chef du DFI a indiqué que le manque de ressources personnelles de l'autorité de surveillance pourrait être compensé, à l'avenir, par l'engagement ponctuel d'experts externes. La commission a déjà relevé la forte croissance, ces dernières années, du nombre de fondations et du capital qu'elles gèrent. Eu égard à cette évolution, la CdG-E est d'avis que l'engagement d'experts est un pas dans la bonne direction, mais que des mesures moins ponctuelles doivent aussi être examinées.

20

21 22

Modification du Code civil dans le cadre de la modification du Code des obligations du 16.12.2005 (Droit de la société à responsabilité limitée; adaptation des droits de la société anonyme, de la société coopérative, du registre du commerce et des raisons de commerce).

Modification du 8.10.2004 du Code civil suisse (droit des fondations) (FF 2004 5095).

Actuellement: art. 83, al. 2, ch. 2. Après entrée en vigueur de la modification du Code des obligations: art. 83d CC.

7326

Recommandation 2

Ressources de l'autorité fédérale de surveillance des fondations

La CdG-E demande au Conseil fédéral de soumettre à un examen critique les ressources financières et en personnel de l'autorité fédérale de surveillance des fondations, ainsi que les compétences nécessaires à l'accomplissement de ses tâches. La CdG-E prie notamment le Conseil fédéral d'étudier toutes les options possibles concernant le financement de la surveillance fédérale des fondations (hausse du montant des émoluments pour les prestations de surveillance, etc.).

La surveillance des fondations et les conditions de son exercice sont essentiellement fondées sur la jurisprudence et sur la pratique. Pour la commission, cette situation n'est pas satisfaisante du point de vue du principe de la légalité et de la garantie de prévisibilité. La CdG-E demande donc au Conseil fédéral de codifier les principes de la surveillance des fondations, les mesures de surveillance les plus importantes ainsi que les conditions de leur exercice.

La surveillance étatique des fondations trouve sa raison d'être dans un déséquilibre interne lié à l'absence d'organisation de la base de la fondation. L'Etat doit en quelque sorte jouer le rôle de l'assemblée générale afin de défendre les intérêts des destinataires et contrôler le respect de la volonté du fondateur. Dans cette perspective, la CdG-E se demande si l'interprétation actuelle du rôle des autorités de surveillance va assez loin. Selon la loi et la jurisprudence en vigueur, l'autorité de surveillance doit en effet laisser une très grande marge d'autonomie aux organes de fondation, n'intervenant qu'en cas d'abus ou d'erreur d'appréciation et en cas de comportements illégaux. Pour la CdG-E, il faut se demander si l'autorité de surveillance ne devrait pas aussi être habilitée à intervenir en cas de mauvaise gestion avérée de la fondation par ses organes.

De manière générale, la complexité du dossier des fondations Rau a montré les limites de la surveillance des fondations. La commission estime qu'il serait judicieux de procéder à une évaluation approfondie du système de surveillance des fondations. Cette étude devrait notamment évaluer d'autres formes d'organisation de la surveillance des fondations (p. ex. commission indépendante à pouvoir décisionnel, établissement autonome de droit public23). Elle devra également tenir compte des développements internationaux en
matière de droit des sociétés (notamment au sein de l'OCDE) et anticiper les conséquences de ceux-ci sur le droit suisse des fondations. La CdG-E estime qu'une telle évaluation pourrait être l'occasion d'élaborer un concept plus général concernant la surveillance des fondations et des associations.

23

C'est p. ex. la forme qu'ont choisie les cantons de Lucerne, Uri, Schwytz, Obwald, Nidwald et Zoug pour leur nouvelle autorité commune de surveillance des fondations.

7327

Recommandation 3

Evaluation systématique de la surveillance des fondations

La CdG-E demande au Conseil fédéral de soumettre le système actuel de surveillance des fondations à une évaluation approfondie. Celle-ci devra notamment examiner différentes formes possibles d'organisation de la surveillance fédérale des fondations et tenir compte des développements internationaux en matière de droit des sociétés. En outre, les principes de la surveillance des fondations, les mesures de surveillance les plus importantes ainsi que les conditions de leur exercice doivent être ancrés dans une base légale au sens formel.

5.6

Mesures à prendre dans le cas des fondations du docteur Rau

A l'heure actuelle, la question principale à laquelle sont confrontées les fondations du docteur Rau est celle de savoir si elles veulent défendre leurs intérêts en relation avec la succession du docteur Rau.

En outre, les curateurs des fondations affirment que certaines oeuvres de la collection avaient bel et bien été données aux fondations par le docteur Rau et ne lui appartenaient donc plus en propre au moment de son décès. Dans son arrêt du 20 octobre 2005, le Conseil de district de Zurich a estimé que les indices tendant à démontrer cela étaient substantiels et qu'il était donc indispensable de clarifier les rapports de propriété sur les oeuvres de la collection. Pour ce faire, une curatelle a été instituée sur chacune des fondations.

Ces deux questions ne concernent toutefois pas directement la surveillance fédérale des fondations. La CdG-E a pu se convaincre que les rapports de propriété sur les oeuvres de la collection Rau n'ont pas à être clarifiés dans le cadre d'une mesure de surveillance, mais par les tribunaux civils compétents. C'était déjà le cas du vivant du docteur Rau. Seul le tribunal civil compétent pourra confirmer ­ ou infirmer ­ la propriété des fondations sur une partie (ou l'ensemble) de la collection Rau. En l'occurrence, il s'agirait d'une part de défendre les intérêts des fondations devant les tribunaux compétents pour régler la succession du docteur Rau, d'autre part d'ouvrir une procédure auprès du tribunal compétent pour le siège de l'Unicef allemande (pour les oeuvres qui auraient été données aux fondations du vivant du docteur Rau).

Dans les deux cas, la décision d'entamer des démarches judiciaires relèvent du domaine d'autonomie des fondations. De fait, les conseils des fondations ont décidé de renoncer à entreprendre de telles démarches. A première vue, cela peut apparaître déconcertant et nécessiter une intervention du DFI. Rappelons toutefois que l'autorité de surveillance des fondations ne peut intervenir qu'en cas d'abus ou de faute d'appréciation. Dans ce cas, une telle faute ne paraît pas donnée.

Les fondations auraient certes un intérêt évident à se voir attribuer la propriété de toutes (ou de certaines) oeuvres de la collection Rau. Cet avantage doit toutefois être mis en regard des coûts élevés liés aux procédures judiciaires nécessaires. En particulier les procès liés à la succession du docteur Rau pourraient engendrer des dépenses

7328

considérables24. La décision de s'engager ou non dans des procédures en Allemagne doit donc faire l'objet d'un calcul coûts-bénéfices qui tienne compte de la probabilité de gagner. Dans le cas présent, les conseils des fondations en ont conclu qu'il ne valait pas la peine d'entreprendre des démarches. D'après les éléments dont dispose la CdG-E, une telle conclusion n'est certainement pas dénuée de tout fondement.

Les coûts en question doivent également être rapprochés du but des fondations: l'aide aux personnes défavorisées du Tiers-monde. Si la propriété d'oeuvres est sans aucun doute dans l'intérêt des fondations, elle ne constitue en aucun cas leur but.

Pour la CdG-E, il est donc tout à fait défendable d'investir la fortune qui reste aux fondations dans la réalisation de leur véritable objectif, plutôt que dans des procédures judiciaires à l'issue incertaine. Ce d'autant plus que l'Unicef poursuit des objectifs similaires que les fondations suisses. Son conseil d'administration aurait d'ores et déjà décidé de consacrer l'héritage du docteur Rau au financement de projets dans le Tiers-Monde (éducation des filles, garde d'enfants entre 0 et 8 ans, programmes de vaccination, lutte contre le sida et lutte contre la traite d'enfants).

La décision de renoncer à contester les droits successoraux de l'Unicef est une question d'appréciation. On peut défendre l'opinion contraire. Cela ne signifie toutefois pas qu'il y a eu abus ou faute d'appréciation de la part des conseils de fondation. La CdG-E estime donc qu'il n'y a pas lieu pour le DFI d'intervenir.

Comme le professeur Walter, la CdG-E arrive à la conclusion que l'autorité fédérale de surveillance doit désormais se concentrer sur la liquidation de la Fondation d'art.

Ses statuts prévoient en effet qu'elle soit liquidée à la mort du docteur Rau et sa fortune versée à la Fondation médicale. Pour la CdG-E, il est temps que la fortune des fondations bénéficie à ceux à qui elle est destinée. La commission invite le DFI à prendre toutes les mesures utiles dans ce sens.

La CdG-E est consciente que le DFI fait face à certains impondérables, tels que les procédures encore pendantes. Le DFI doit tout entreprendre pour ne pas prolonger inutilement ces procédures. En outre, il faut éviter de provoquer tout nouveau litige; dans la mesure du possible,
la surveillance des fondations doit donc s'abstenir de prendre des décisions susceptibles de recours.

Il est en revanche urgent d'agir pour apaiser les relations entre la surveillance fédérale des fondations et les autorités tutélaires zurichoises. Du point de vue de la haute surveillance parlementaire, la situation de conflit actuelle n'est pas satisfaisante.

Elle contribue au blocage du dossier et occasionne des coûts financiers élevés et des problèmes humains. Elle n'est pas favorable à l'image et à la crédibilité de la Confédération dans les cantons et elle nuit aux relations confédérales. Pour la commission, le Conseil fédéral doit se montrer apaisant et essayer de rétablir un climat de confiance. A court ou moyen terme, le but doit être d'aboutir à une conciliation entre les parties en conflit. Parmi les mesures possibles, la commission propose notamment au Conseil fédéral de transmettre la responsabilité de la surveillance sur les fondations Rau à un expert externe. Dans son esprit, il s'agit de débloquer la situation et de faire un geste d'ouverture envers les autorités tutélaires zurichoises et les curateurs des fondations. Aux termes de l'art. 3, al. 2, let. a, Org DFI, la surveillance des fondations d'utilité publique incombe au secrétariat général du département.

Rien n'empêche de la confier à une personne externe, tant que celle-ci est subordonnée au secrétariat général.

24

Les frais judiciaires sont en partie liés au montant de la succession concernée.

7329

Recommandation 4

Gestion future du dossier des fondations Rau

A court et moyen termes, la CdG-E recommande au Conseil fédéral d'adopter le comportement suivant en rapport avec les fondations du docteur Rau: ­

Toutes les mesures utiles doivent être prises afin que la fortune des fondations bénéficie à ceux à qui elle est destinée. Dans la mesure du possible, la fortune des fondations ne doit pas être réduite inutilement. En outre, une solution globale doit être recherchée, qui permette de résoudre les procédures encore en cours et de mettre un terme définitif aux litiges judiciaires.

­

La situation de conflit entre l'autorité fédérale de surveillance des fondations et les autorités tutélaires zurichoises doit être résolue dans les meilleurs délais. Le Conseil fédéral doit se montrer conciliant et prendre toutes les mesures utiles au rétablissement d'un climat de confiance. Dans cet esprit, il faut examiner la possibilité de transmettre la responsabilité de la surveillance des fondations Rau à un expert externe. D'ici au transfert de l'autorité fédérale de surveillance des fondations (voir motion), celle-ci devra être subordonnée au secrétaire général du DFI, conformément à l'art. 3, al. 2, let. a, Org DFI.

Ces mesures doivent être coordonnées avec la demande de la CdG-E visant à transférer la surveillance des fondations dans un service dont la mission n'a pas de lien étroit avec les domaines d'activité usuels des fondations d'utilité publique (voir motion).

6

Conclusion et suite des travaux

En guise de conclusion, rappelons, en quelques mots, les circonstances de l'affaire Rau.

­

Un nombre considérable de procédures judiciaires avec des ramifications au plan international (Suisse, Allemagne, France, Monaco, Liechtenstein, Strasbourg) impliquant dans chaque pays plusieurs instances judiciaires.

­

Des événements ayant pris place ­ outre les pays déjà cités ­ en Israël, au Japon, au Zaïre, aux Pays-Bas, etc.

­

Une très grande quantité de personnes impliquées, qui n'avaient pas seulement des intérêts personnels et matériels dans l'affaire, mais aussi les moyens de les défendre; parmi elles, de nombreux cabinets d'avocats de renommée internationale.

­

D'innombrables reportages dans les médias européens, souvent à caractère sensationnaliste et avec un parti pris clair.

­

L'intervention régulière d'autorités politiques au plus haut niveau.

Il n'est dès lors pas étonnant que la surveillance fédérale des fondations se soit sentie sous pression et qu'elle ait cherché à (trop) bien faire. Le dossier a débuté par quelques mesures de protection trop rapidement et trop légèrement décidées, qui ont mis en marche une mécanique judiciaire difficilement maîtrisable. Parfois, l'autorité de surveillance des fondations a donné l'impression de n'être plus qu'un terrain 7330

d'affrontement entre des parties opposées, chacune cherchant à l'instrumentaliser à son avantage et à la pousser aux limites de ses compétences ­ et au-delà. Face à ces pressions, face aux incertitudes juridiques et aux différents enjeux politiques du dossier, l'autorité de surveillance n'a pas toujours eu une ligne claire et n'a pas fait preuve de la transparence requise. C'était notamment le cas lors du revirement abrupt suivant l'arrêt de Baden-Baden ou lors de la conclusion de l'accord de restitution de la collection. Dans ce cadre, un des mérites de l'avis de droit du professeur Walter a été de dresser un état des lieux et de proposer une stratégie claire.

Les comptes annuels des fondations indiquent que, entre 1998 et 2004, au moins quatre millions de francs suisses ont été pris ou réservés sur la fortune des fondations pour payer les conseils de fondations, les curateurs et leurs avocats respectifs.

Ce montant s'est encore accru en 2005 en raison des procédures ouvertes à Zurich et en Allemagne. Des tableaux de la Fondation d'art ont dû être vendus pour couvrir ces frais. Le DFI n'avait aucun moyen d'intervenir; tout au plus aurait-il pu être plus avare en décisions formelles, qui ont systématiquement fait l'objet de recours. Reste que cet état de fait est extrêmement regrettable. Pour la commission, la priorité doit maintenant être de faire en sorte que la fortune restante des fondations puisse être affectée à l'aide aux personnes défavorisées du Tiers-Monde.

Des cas tels que l'affaire des fondations du docteur Rau ne doivent plus se répéter.

La CdG-E souhaite vivement que le présent rapport y contribuera.

La CdG-E sait gré au Conseil fédéral de l'informer sur les suites qu'il compte donner aux considérations et recommandations qui précèdent d'ici à fin août 2006, afin que la commission puisse mettre un terme à son travail.

7 avril 2006

Au nom de la Commission de gestion du Conseil des Etats: Le président de la commission, Hansruedi Stadler, député au Conseil des Etats Le président de la sous-commission DFI/DETEC, Alex Kuprecht, député au Conseil des Etats Pour le secrétariat, Sarah Scholberg

7331

Annexe

Liste des personnes entendues par la CdG-E Par ordre alphabétique (de mai 2003 à novembre 2005): ­

Baumann Alexander J., conseiller national

­

Couchepin Pascal, conseiller fédéral, chef du DFI

­

Dürsteler Peter, greffier du Conseil de district de Bulach

­

Ferrari-Visca Bruno, secrétaire général adjoint du DFI, chef de l'autorité fédérale de surveillance des fondations

­

Graf Bruno, président du Conseil de district de Zurich

­

Koller Heinrich, directeur de l'OFJ

­

Schüepp Renzo, 1er vice-président du Conseil de district de Bulach

­

Spring Alvar, chef adjoint de l'autorité fédérale de surveillance des fondations

­

Strupler Pascal, secrétaire général du DFI

­

Walter Hans Peter, ancien juge fédéral, auteur d'un avis de droit sur la surveillance exercée par le DFI sur les fondations du docteur Rau

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