ad 96.464 Initiative parlementaire Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence commis sur des femmes Révision de l'art. 123 CP

ad 96.465 Initiative parlementaire Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence à caractère sexuel commis sur un conjoint. Modification des art. 189 et 190 CP Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil national du 28 octobre 2002 Avis du Conseil fédéral du 19 février 2003

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, Conformément à l'art. 21quater, al. 4, de la loi sur les rapports entre les conseils, nous vous soumettons ci-après notre avis sur le rapport et la proposition du 28 octobre 2002 de la Commission des affaires juridiques du Conseil national concernant les initiatives parlementaires «Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence commis sur des femmes. Révision de l'art. 123 CP» et «Classification parmi les infractions poursuivies d'office des actes de violence à caractère sexuel commis sur un conjoint. Modification des art. 189 et 190 CP».

Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, l'assurance de notre haute considération.

19 février 2003

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, Pascal Couchepin La chancelière de la Confédération, Annemarie Huber-Hotz

2002-2764

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Avis 1

Situation initiale

Pour la plupart des actes de violence commis dans le cadre domestique, le code pénal (CP; RS 311.0) en vigueur prévoit la poursuite sur plainte (lésions corporelles simples selon l'art. 123 CP, voies de fait selon l'art. 126 CP et menaces selon l'art. 180 CP, ainsi que contrainte sexuelle et viol entre époux selon les art. 189, al. 2, et 190, al. 2, CP). Cela signifie que ces infractions ne font l'objet de poursuite que si la victime dépose une plainte pénale.

Le 13 décembre 1996, la conseillère nationale Margrith von Felten a déposé deux initiatives parlementaires visant à réviser le code pénal. Ces initiatives proposent que les lésions corporelles simples (art. 123 CP) soient poursuivies d'office lorsque l'auteur est le conjoint de la victime ou qu'il vit avec celle-ci en union consensuelle non maritale. Par ailleurs, la contrainte sexuelle et le viol entre époux (art. 189, al. 2, et 190, al. 2, CP) seraient poursuivis d'office.

Le 15 décembre 1997, le Conseil national a chargé sa Commission des affaires juridiques (ci-après la commission) d'élaborer un projet de loi.

Dans son rapport du 28 octobre 2002, la commission propose de procéder, dans le code pénal et dans le code pénal militaire (CPM; RS 321.0), aux modifications suivantes: ­

Les lésions corporelles simples, les voies de fait réitérées, la menace, la contrainte sexuelle et le viol sont poursuivis d'office lorsque l'auteur est ou était le conjoint ou le partenaire hétérosexuel ou homosexuel de la victime et que l'infraction a été commise durant le mariage ou la vie commune ou dans l'année qui a suivi le divorce ou la séparation.

­

L'autorité chargée de l'administration de la justice pénale peut cependant suspendre provisoirement la procédure lorsque la victime de lésions corporelles simples, de voies de fait réitérées, de menace ou de contrainte le requiert ou donne son accord. La victime peut, toutefois, révoquer son accord dans les six mois qui suivent la suspension provisoire et réactiver ainsi la procédure; si elle ne le fait pas, l'autorité compétente, à l'issue des six mois, rend une ordonnance de non-lieu définitive.

­

Contrairement au code pénal, le code pénal militaire permet déjà de poursuivre d'office les délits relevant de la violence domestique. Sa révision se limitera donc, pour l'essentiel, à l'introduction d'une disposition permettant de suspendre la procédure.

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2

Avis du Conseil fédéral

2.1

Modifications du code pénal

2.1.1

Poursuite d'office

Tout comme la commission, le Conseil fédéral estime que la poursuite systématique des délits relevant de la violence domestique est en harmonie avec le changement de perception de ce problème au sein de la société: il n'est plus admissible que la violence physique ou sexuelle infligée à un conjoint ou à un partenaire soit tolérée sous prétexte qu'elle ne serait que d'importance mineure ou qu'elle relèverait de la sphère privée. La protection du couple et de la famille ne signifie pas que la relation de couple est de facto un espace en marge du droit, parce que la victime hésite à porter plainte par scrupule moral, par résignation, mais aussi parce qu'elle est dépendante de son partenaire ou qu'elle en a peur. Les victimes qui, pour toutes ces raisons, renoncent à engager une procédure pénale et qui, de plus, ne parviennent pas à se soustraire à l'influence de leur agresseur, restent prisonnières d'une relation marquée du sceau de la violence. La poursuite d'office tient compte du besoin de protection particulier de ces victimes.

Le Conseil fédéral approuve ainsi la proposition de la commission selon laquelle les actes de violence les plus fréquents commis au sein du couple marié ou de l'union non maritale de deux partenaires hétérosexuels ou homosexuels doivent être poursuivis d'office. Il estime également approprié de prévoir que la poursuite d'office puisse avoir lieu dans le délai maximal d'une année à compter du divorce (couples mariés) ou de la dissolution de la vie commune (partenaires non mariés). La qualification de délit poursuivi d'office met en évidence le caractère criminel de la violence domestique et permet de faire sortir ces conflits de la sphère privée. Le Conseil fédéral est cependant conscient du fait que le droit pénal ne saurait, à lui seul, résoudre le problème de la violence domestique. C'est la raison pour laquelle il se félicite des mesures d'accompagnement prises par les cantons, telles que les campagnes de prévention, les projets d'intervention, les structures de médiation, les unités de police spécialisées, ainsi que les efforts permanents de formation continue et de mise en réseau de tous les acteurs concernés par le problème de la violence domestique (police, autorités de poursuite pénale, tribunaux, centres de consultation destinés aux victimes ou aux agresseurs). Le
Conseil fédéral salue également la possibilité, introduite dans le canton de St-Gall, d'éloigner pendant quelque temps du domicile commun les auteurs d'actes de violence commis dans le cadre domestique. L'initiative parlementaire Vermot (00.419; Protection contre la violence dans la famille et dans le couple), sur laquelle le Conseil fédéral se prononcera ultérieurement, vise des objectifs analogues.

2.1.2

Possibilité de suspendre la procédure (art. 66ter P-CP)

La commission ne se contente pas d'instituer la poursuite d'office des délits relevant de la violence domestique. Aux termes de l'art. 66ter P-CP, elle veut aussi donner aux victimes la possibilité de requérir une suspension de la procédure. A première vue, cet instrument semble remettre en question la poursuite d'office et l'amélio1781

ration du statut des victimes par rapport au droit actuel. A y regarder de plus près, la solution de la commission se révèle être appropriée et équilibrée: elle permet d'intensifier la poursuite des auteurs des actes de violence domestique tout en laissant la possibilité de mettre un terme à l'intervention pénale lorsque celle-ci est contraire aux intérêts d'une victime informée de ses droits et libre dans sa décision.

Dans le détail, le projet de la commission inspire au Conseil fédéral les réflexions suivantes:

2.1.2.1

Intervenir dans les conflits le plus tôt possible

Contrairement à ce qui est le cas selon le droit actuel, la procédure sera ouverte d'office ­ en cas de soupçons d'acte de violence ­ sans qu'il soit tenu compte de la volonté de la victime. Les actes de violence domestique cesseront ainsi d'être considérés comme des délits de peu d'importance et ne bénéficieront plus de la protection dont jouit la sphère familiale. La police, lorsqu'elle interviendra, ne pourra plus se contenter de jouer un rôle de médiateur mais sera tenue d'ouvrir une enquête. Si la personne concernée est aussi une victime au sens de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l'aide aux victimes d'infractions (art. 2, al. 1, LAVI; RS 312.5), la police devra par ailleurs l'informer de l'existence des centres de consultation et ­ à moins que la victime ne s'y oppose ­ prendre contact avec un de ces centres (art. 6 LAVI).

Ainsi, même si la procédure devait ultérieurement être suspendue comme le permettra le nouvel art. 66ter P-CP, l'ouverture d'une enquête donne à l'auteur de l'infraction le signal clair que l'Etat ne considère plus la violence domestique comme relevant de la sphère privée.

2.1.2.2

Pas de poursuite d'office à tout prix

C'est cependant à juste titre que la commission fait valoir qu'il n'est pas nécessaire dans tous les cas que la procédure pénale engagée aboutisse à un jugement au fond.

Il faut, en effet, tenir compte des victimes qui, pour de bonnes raisons et libres de toute influence exercée par l'auteur de l'infraction, n'ont pas d'intérêt à voir ce dernier condamné. La suspension de la procédure avec l'approbation de la victime peut, par exemple, se justifier lorsque l'infraction est à mettre sur le compte d'un dérapage unique d'une personne par ailleurs raisonnable, ou lorsque l'auteur et la victime ont trouvé, d'un commun accord, une solution durable à leur conflit.

2.1.2.3

Liste des délits pour lesquels la suspension de la procédure est possible

La majorité de la commission propose que la suspension de la procédure selon l'art. 66ter, al. 1, P-CP ne soit possible que pour les lésions corporelles simples, les voies de fait réitérées, les menaces et la contrainte, mais pas pour la contrainte sexuelle et le viol.

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En revanche, la minorité I de la commission souhaite que cette possibilité existe également en cas de contrainte sexuelle ou de viol. A ses yeux, la volonté de la victime doit aussi être prise en compte dans ce genre de délits, en raison notamment des répercussions financières que peut avoir une procédure pénale et parce que le risque de fausses accusations ne peut être totalement écarté lorsque la dénonciation est le fait de tiers.

Les avis peuvent diverger sur la question de savoir si la contrainte sexuelle et le viol doivent être intégrés dans la liste des délits pour lesquels une suspension de la procédure est possible. Il existe, certes, de bonnes raisons de ne pas inclure dans cette liste ces délits graves ­ qui peuvent valoir à leur auteur jusqu'à dix ans de réclusion.

Mais, dans certains cas, une enquête pénale pour viol ou contrainte sexuelle qui est menée contre la volonté des personnes concernées peut constituer une intrusion dans la sphère intime du couple, qui nuit à la victime plus qu'elle ne la sert. Le Conseil fédéral estime toutefois que cette question n'est pas primordiale dans le cadre du présent projet de révision. L'introduction de la poursuite d'office pour les délits relevant de la violence domestique est bien plus importante, puisqu'elle signalera clairement que les délits commis entre conjoints ou partenaires ne seront plus tolérés au motif qu'ils ne seraient que de peu d'importance ou qu'ils relèveraient de la sphère privée.

2.1.2.4

Suspension de la procédure selon l'appréciation de l'autorité

En vertu de l'art. 66ter, al. 1, P-CP, la décision de suspendre ou de poursuivre la procédure est du ressort de l'autorité chargée de l'administration de la justice pénale, et non pas seulement de la victime. Aux yeux du Conseil fédéral, ce point constitue également une amélioration décisive par rapport au droit actuel. L'intérêt déclaré de la victime à une suspension de la procédure est certes une condition indispensable, mais elle n'est pas, à elle seule, déterminante pour la décision de l'autorité (formulation potestative). Cette dernière doit, pour chaque cas, mettre, notamment, en balance l'intérêt de la poursuite pénale et l'intérêt de la victime. Ce faisant, elle doit être convaincue que la victime a pris sa décision en toute autonomie, en d'autres termes qu'elle n'a pas été influencée par la violence, par la tromperie ou par la menace, et qu'elle a été dûment informée des possibilités d'aide qu'elle pouvait solliciter et des autres options s'offrant à elle.

La minorité II de la commission souhaite, pour sa part, prévoir comme condition supplémentaire que la suspension de la poursuite ne soit possible que «s'il y a lieu d'admettre que l'auteur ne commettra pas de nouvelles infractions du même genre parce qu'il a entrepris une démarche pour changer son comportement». Le Conseil fédéral est certes un partisan convaincu des mesures destinées aux auteurs d'infraction, telles que la participation à des programmes visant à induire un changement de comportement social, mais il ne partage pas l'avis de la minorité II de la commission selon laquelle une participation à de telles mesures devrait être une condition sine qua non de la suspension de la procédure. Tout comme la majorité de la commission, le Conseil fédéral estime qu'en raison de la présomption d'innocence, il est hautement problématique, à un stade de la procédure où aucune décision n'a encore été prise quant à la culpabilité ou à l'innocence du prévenu, de demander à une auto-

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rité d'émettre un pronostic sur le risque de récidive. Cela équivaudrait en quelque sorte à prononcer par anticipation une condamnation de l'accusé.

La conception de la majorité de la commission tient cependant compte, à divers égards, du problème de la récidive: ­

Le fait que la décision de suspendre la procédure soit laissée à l'appréciation de l'autorité chargée de l'administration de la justice pénale devrait, à lui seul, suffire à garantir que les auteurs d'infractions qui ne se montrent pas raisonnables et qui continuent de manquer de respect à leur victime ne bénéficient pas d'une suspension de la procédure.

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De plus, la décision de suspendre la procédure prise par l'autorité compétente n'est d'abord que provisoire. Conformément à l'art. 66ter, al. 2, P-CP, la victime a six mois pour juger les promesses de l'auteur à l'aune de son comportement. La procédure est immédiatement reprise si la victime révoque son accord dans ce délai, parce que l'auteur ne s'amende pas comme elle l'avait espéré. Durant ce temps, la victime n'est pas non plus livrée à elle-même. Elle connaît les interlocuteurs auxquels elle peut s'adresser. Elle peut aussi demander de l'aide à des centres de consultation et ­ si elle répond à la définition de l'art. 2, al. 1, LAVI ­ s'adresser aux centres de consultation prévus à l'art. 3 de cette loi. Le délai de révocation du consentement de la victime équivaut ainsi de facto à une période de mise à l'épreuve de six mois, durant laquelle la victime, dûment informée de ses droits et de ses possibilités, peut décider elle-même du succès de cette mise à l'épreuve. Elle peut révoquer son accord à la suspension de la procédure au premier signe négatif émis par l'auteur de l'infraction. A cet égard, la durée du délai de révocation joue un rôle important. Plus elle est longue, plus il sera difficile à l'auteur d'une infraction qui ne fait que feindre d'être raisonnable de dissimuler son comportement véritable. C'est la raison pour laquelle le Conseil fédéral s'oppose à une réduction de ce délai à trois mois, comme le propose la minorité III de la commission.

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Enfin, l'autorité chargée de l'administration de la justice pénale tient également compte du risque de récidive en prenant en considération, lorsqu'elle est amenée à statuer, des circonstances négatives telles qu'une condamnation précédente pour une infraction similaire. Selon les cas, elle peut accorder plus de poids à l'intérêt public à la poursuite qu'à l'intérêt de la victime à la suspension de la procédure. En pareille occurrence, elle renoncera à suspendre la procédure pénale.

2.2

Modifications analogues du droit pénal militaire

Il est possible que des actes relevant de la violence domestique soient commis par des personnes qui doivent être jugées d'après le droit pénal militaire (p. ex. lorsqu'une personne astreinte au service militaire retrouve son ou sa partenaire pendant une permission et qu'un conflit surgit). Contrairement au CP, le code pénal militaire (CPM) ne connaît pas de délits punissables sur plainte. Les infractions relevant de la violence domestique (lésions corporelles simples, voies de fait, menaces, contrainte, contrainte sexuelle et viol) sont donc déjà poursuivies d'office en vertu du droit pénal militaire actuel et aucune modification n'est nécessaire sur ce plan. La révision 1784

du CP rend cependant l'art. 155a CPM superflu. En effet, comme le viol et la contrainte sexuelle, selon la proposition de la commission, deviendront aussi des délits poursuivis d'office dans le code pénal ordinaire, il n'est plus nécessaire de prévoir dans le CPM que le droit pénal ordinaire s'applique à ces infractions. La commission propose donc, à juste titre, d'abroger cette disposition. Par analogie avec la révision du CP, l'art. 47b P-CPM introduit, dans le droit pénal militaire, la possibilité de suspendre la procédure. La majorité de la commission propose que la suspension de la procédure ne soit possible que pour les lésions corporelles simples, les voies de fait, les menaces et la contrainte, mais pas pour la contrainte sexuelle et le viol, comme l'exige la minorité IV de la commission. La proposition de la minorité IV est analogue, quant au fond, à celle de la minorité I. Pour les motifs exposés au ch. 2.1.2.3, les avis peuvent diverger quant à l'opportunité de ces propositions, également en ce qui concerne le CPM.

3

Conclusion

Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, le Conseil fédéral approuve le rapport et la proposition de la commission. Faire des actes de violence commis entre conjoints ou partenaires des délits poursuivis d'office permettra à la fois d'intensifier la poursuite des auteurs de ces délits, et de mettre un terme à l'intervention des autorités de poursuite pénale lorsque celle-ci est contraire à l'intérêt bien compris d'une victime dûment informée de ses droits et libre dans sa décision.

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