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FEUILLE FÉDÉRALE 98e année

Berne, le 24 octobre 1946

Volume TTT

Paraît, en règle générale, une semaine sur deux.

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RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la demande d'initiative concernant la réforme économique et les droits du travail.

(Du 14 octobre 1946.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous soumettre notre rapport sur la demande d'initiative concernant « la réforme économique et les droits du travail ».

1. Le parti socialiste suisse a déposé, le 10 septembre 1943, à la chancellerie fédérale une demande d'initiative munie de 161,477 signatures valables et rédigée comme suit: Les citoyens suisses soussignés, ayant le droit de vote, déposent, conformément à l'article 121 de la constitution fédérale et à la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiatiye populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, l'initiative suivante : L'article 31, alinéa premier, de la constitution fédérale est remplacé par les dispositions suivantes : 1. L'économie nationale est l'affaire du peuple entier.

2. Le capital doit être mis au service du travail, de l'essor économique général et du bien-être du peuple.

3. La Confédération a le droit de prendre les mesures nécessaires à cet effet en intervenant dans la structure et l'organisation de l'économie nationale.

4. La situation matérielle des citoyens et de leurs familles doit être assurée.

5. Le droit au travail et la juste rémunération du travail sont garantis.

6. Le travail doit être protégé dans toutes les branches de l'économie.

7. En vue d'assurer l'application de ces principes et d'empêcher les crises et le chômage, la Confédération édictera des dispositions en particulier au sujet de la coopération de l'Etat et de l'économie.

8. Il sera fait appel à la collaboration des cantons et des organismes économiques.

Nous conformant à l'article 5 de la loi du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations Feuille fédérale. 98e année. Vol. III.

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relatives à la revision de la constitution fédérale, nous avons informé l'Assemblée fédérale, par rapport du 23 septembre 1943 (*), que cette demande avait abouti. Le Conseil national a décidé le 29 septembre 1943 et le Conseil des Etats, le 30 septembre 1943, de nous inviter à présenter un rapport et à formuler nos conclusions.

2. Quelques mois auparavant -- le 6 mai 1943 -- l'alliance des indépendants avait déposé une demande d'initiative concernant le « droit au travail », qui a fait l'objet de notre rapport du 24 juin 1946 ( 2 ). Les deux demandes d'initiative étant susceptibles d'être retirées, nous vous avons soumis tout d'abord un projet de revision des articles économiques, accompagné de notre message complémentaire du 3 août 1945. Nous estimions que les promoteurs des deux initiatives verraient s'ils voulaient les retirer après que le projet -- que vous avez accepté le 4 avril 1945 -- eut été définitivement mis au point. Les demandes d'initiative ayant été maintenues, le peuple sera appelé à se prononcer à leur endroit avant d'être saisi des nouveaux articles économiques.

3. L'article 121, 3e alinéa, de la constitution dispose que, lorsque par la voie de l'initiative populaire, plusieurs dispositions différentes sont présentées pour être revisées ou pour être introduites dans la constitution, chacune d'elles doit former l'objet d'une demande d'initiative distincte.

On peut se demander si la présente demande d'initiative répond au principe de l'unité des matières car elle contient toute une série de revendications successives qui ne paraissent pas étroitement liées entre elles. Certaines, par exemple celles du 4e alinéa (qui veut que soit assurée la situation matérielle des citoyens et de leurs familles) et du 6e alinéa (qui veut que le travail soit protégé dans toutes les branches de l'économie) pourraient faire l'objet d'une demande d'initiative distincte et être réalisées isolément. La même remarque s'adresse au droit au travail (5e alinéa) qui a fait à lui seul l'objet d'une demande d'initiative de la part de l'alliance des indépendants. En revanche, il faut reconnaître que l'initiative tend à une réforme générale de notre économie d'après les conceptions socialistes et que sans une pareille réforme, les différents buts envisagés par les promoteurs de l'initiative ne pourraient pas
du tout être atteints. Nous ne voudrions pas nous montrer trop stricts, d'autant moins que la pratique suivie jusqu'à maintenant a toujours été plutôt libérale. Par exemple, l'initiative de crise, dont l'objet était analogue, a été soumise au peuple sans avoir été divisée.

4. L'initiative se propose de remplacer par de nouvelles dispositions l'article 31, 1er alinéa, de la constitution fédérale, qui garantit la liberté du commerce et de l'industrie. Il est clair que cet alinéa doit être abrogé, (!)

FF 1943 p. 908.

( 2 ) FF 1946 II p. 757.

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bien que l'initiative ne le dise pas expressément. Toutefois, on peut s'étonner que seul le premier alinéa soit supprimé, et que le deuxième -- qui énonce les dérogations à la liberté du commerce et de l'industrie -- soit maintenu.

Il s'ensuit que la lettre e de l'alinéa 2 resterait applicable et, par conséquent, que des dispositions touchant l'exercice des professions commerciales et industrielles pourront être prises à condition de ne rien renfermer de contraire au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Cette réserve vaut pour la Confédération comme pour les cantons, en tant que la constitution fédérale ne permet pas expressément de déroger à la liberté du commerce et de l'industrie. En conséquence, la Confédération se trouverait liée par la liberté du commerce et de l'industrie lorsqu'elle voudra légiférer en se fondant sur les alinéas 3 et 7 de l'initiative. Cet état de choses serait manifestement contraire à l'esprit de l'initiative; ses auteurs paraissent ne s'être pas rendu compte qu'en abrogeant la règle, ils devaient aussi abroger les exceptions. Il y aurait lieu, pour les mêmes motifs, de biffer au 2e alinéa de l'article 32quater, relatif à l'exercice de la profession d'aubergiste et au commerce de détail des boissons spiritueuses, le renvoi à l'article 31, lettre 2 et au 5e alinéa, la réserve de la liberté du commerce et de l'industrie. En outre, la revision de l'article 31 devrait fournir l'occasion d'abroger l'article 32, qui se réfère à l'article 31, lettre a, et autorise les cantons à percevoir des droits d'entrée sur les boissons spiritueuses, cet article étant devenu sans objet depuis le 1er septembre 1887. Notre remarque s'applique également à l'article 6 des dispositions transitoires, qui se rapporte à l'article 32 de la constitution. Enfin, on peut se demander si l'article 34 ter actuellement en vigueur aurait encore quelque valeur, attendu que le droit de statuer des prescriptions uniformes dans le domaine des arts et métiers se trouverait sans doute compris dans la compétence générale que l'initiative attribue à la Confédération. L'article 34ter devrait donc, pour la bonne forme, être aussi abrogé.

Pour éviter toute contradiction ou autres inconvénients qui risqueraient de se produire si l'initiative était adoptée, il serait peut-être opportun de prévoir une
disposition spéciale. On pourrait ajouter à l'article 2 du projet d'arrêté ci-joint un deuxième alinéa ainsi conçu: Au cas où la demande d'initiative serait acceptée, les articles 31, 2e alinéa, 32 et 34te?- de la constitution fédérale, ainsi que l'article 6 des dispositions transitoires, seront abrogés. L'expression « . . . dans les limites de l'article 31, lettre e . . . » de l'article 32guater, 2e alinéa et la deuxième phrase du 5e alinéa dudit article (« Les prescriptions qu'elle édicté ne doivent rien renfermer de contraire au principe de la liberté de commerce et d'industrie ») sont biffées.

Nous avons renoncé à .insérer ce complément pour tenir compte de l'article 8 de la loi fédérale du 27 janvier 1892, qui dispose expressément que les chambres fédérales décident « si elles adhérent au projet d'initiative, tel qu'il est formulé, ou si elles le rejettent ».

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I. CARACTÈRE GÉNÉRAL DE L'INITIATIVE 1. De prime abord, on pourrait croire que l'ordre dans lequel se succèdent les huit alinéas de l'article proposé est indifférent. Il ressort cependant d'un examen plus attentif qu'ils se répartissent en deux, sinon même trois groupes distincts. Le premier alinéa, qui déclare que l'économie nationale est « l'affaire du peuple entier », et le second, qui veut que le capital soit mis « au service du travail, de l'essor économique et du bien-être du peuple », ont pour corollaire le troisième, qui donne à la Confédération le droit de prendre « les mesures nécessaires ... en intervenant dans la structure et l'organisation de l'économie nationale ». Ces alinéas visent évidemment la « réforme économique », premier élément du titre de l'initiative. Le deuxième groupe -- également désigné en second dans le titre par le terme de « droits du travail » -- se compose des alinéas 4 à 7, qui tendent à assurer la situation matérielle des citoyens et de leurs familles, à garantir le droit au travail et la juste rémunération du travail, ainsi qu'à protéger le travail dans toutes les branches de l'économie et à déléguer à la Confédération le soin d'édicter des dispositions «en vue d'assurer l'application de ces principes et d'empêcher les crises et le chômage ». On pourrait considérer le 8e alinéa comme un troisième élément de l'initiative du fait qu'il se rapporte à la fois au premier et au second groupe. Sans doute faut-il lui adjoindre aussi la mention faite à la fin du 7e alinéa, aux termes de laquelle la Confédération devra prendre des dispositions « en particulier au sujet de la coopération de l'Etat et de l'économie ». En effet, cette question vise non seulement les alinéas 4 à 6, comme le texte pourrait le faire croire, mais également les alinéas 1 et 2. Si l'on se réfère au titre « réforme économique et droits du travail », il est préférable de repartir les dispositions de l'initiative en deux groupes, en considérant que le troisième ne constitue que le complément des deux autres.

Bien qu'ils ne soient mentionnés qu'en second lieu, les « droits du travail » représentent l'élément primordial de l'initiative en tant que but de la « réforme économique ». Les mesures qui seront prises en vertu des alinéas 1 et 2 devront manifestement assurer les « droits du travail ». Or,
selon la portée qu'il y a lieu d'attribuer aux formules qui s'y rapportent, ces « droits du travail » pourraient, le cas échéant, être réalisés en même temps que la réforme économique ou même avant. Puisqu'il est question tout d'abord d'une « réforme économique », il vaut mieux cependant admettre que ce sont les « droits du travail » tels que les conçoivent les promoteurs de l'initiative qui doivent entraîner la «réforme économique».

2. L'initiative se borne, dans une large mesure, à énoncer des formules générales. Ce reproche s'adresse en particulier aux deux premiers alinéas, qui résument certainement les principes fondamentaux de l'initiative.

En les considérant isolément et sans idée préconçue, on doit reconnaître qu'elles expriment les objectifs indiscutés de l'orientation économique

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actuelle. Les personnes dont les opinions divergent de celles des auteurs de l'initiative sur toutes les questions essentielles pourraient pour la plupart se rallier sans réserve à ces deux alinéas. On peut formuler la même remarque à propos des alinéas 4, 6 et 7, et même de l'alinéa 5, si l'on pouvait garantir le droit au travail et la juste rémunération du travail en déclarant que l'Etat doit s'assurer qu'il y ait du travail en suffisance et que ce travail soit équitablement rémunéré.

Il se peut que bien des lecteurs s'en tiennent à ce caractère d'évidente légitimité des dispositions proposées, qui, toutefois, ne résiste pas à une analyse plus rigoureuse. Du fait que les auteurs de l'initiative estiment nécessaire d'insérer dans un texte constitutionnel des déclarations de principe qui semblent aller de soi, on peut présumer qu'ils entendent quelque chose de plus. Cette hypothèse se trouve vérifiée notamment au 3e alinéa ; il mentionne l'intervention de l'Etat dans « la structure et l'organisation de l'économie nationale », ce qui évoque l'idée de profonds changements à apporter à la structure de notre « économie nationale », II est plus significatif encore que l'initiative ne veut pas simplement restreindre la liberté du commerce et de l'industrie mais la supprimer complètement. Nous aurons l'occasion de traiter ce point en détail (chiffre 3). A ce propos, nous examinerons de manière approfondie le rôle que réserve aux cantons (chiffre 4) et aux organismes économiques (chiffre 5) le 8e alinéa de la réforme économique préconisée. Enfin, nous consacrerons une étude particulière à l'analyse du 5e alinéa consacré au droit au travail (chiffre 6), pour être mieux en mesure de définir les caractéristiques de l'initiative (chiffre 7) et de déterminer les courants de l'économie politique qui s'y rattachent (chiffre 8).

3. L'initiative est plus précise par le côté négatif que positif de son objet, en ce sens qu'elle s'en prend à la liberté du commerce et de l'industrie.

Les dispositions proposées doivent se substituer à l'article 31, 1er alinéa, de la constitution fédérale, qui doit être abrogé. Il pourrait alors ne plus s'agir seulement d'une « réforme économique » -- selon le titre de l'initiative -- mais d'une transformation radicale et révolutionnaire de notre constitution économique fondée sur la
liberté du commerce et de l'industrie et sa contre-partie de droit privé, la liberté des contrats. La Confédération, non seulement ne serait plus tenue de respecter la liberté du commerce et de l'industrie dans les domaines où elle peut déjà légiférer (elle aurait le droit, par exemple, de légiférer librement dans le domaine des arts et métiers en vertu de l'article 34ter de la constitution), mais elle n'aurait pas besoin d'en tenir compte si elle voulait faire usage des dispositions de l'initiative qui lui délèguent une compétence générale (cf. alinéas 3 et 7 notamment). Il s'agit encore de savoir, à vrai dire, de quelle manière et dans quelle mesure la Confédération fera usage de cette compétence générale.

Toutefois, l'essentiel est de savoir qu'en invoquant les dispositions proposées et en raison de leur imprécision -- nous faisons allusion en particulier

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aux alinéas 1 et 2 -- la Confédération pourra instaurer un régime économique étatiste rigoureusement dirigé. La porte serait ouverte ainsi à un bouleversement complet de notre système économique.

4. Le 8e alinéa de l'initiative contient une disposition en faveur des cantons en prévoyant que ceux-ci -- ainsi que les organismes économiques -- seront appelés à collaborer. On serait tenté d'en conclure que le fédéralisme sera sauvegardé bien qu'il s'agisse simplement d'une allusion à une collaboration concevable même en dépit d'une diminution sensible de l'autonomie cantonale. Nous constaterons ici -- comme nous l'avons déjà fait au chiffre 3 -- qu'il n'est pas précisé si les mesures préconisées entraîneront en réalité -- et jusqu'à quel point -- des changements dans la structure de notre Etat fédératif. Comme dans le cas relevé au chiffre 3, il s'agit de connaître les effets possibles de l'initiative. En confiant à la Confédération des attributions très étendues, on risque d'éliminer les cantons dans une large mesure.

La délimitation des compétences de la Confédération et des cantons est fixée, on le sait, par la constitution, en ce sens que les cantons sont souverains et que la compétence législative de la Confédération se borne aux domaines expressément prévus par la constitution. Ce principe exige que les attributions de la Confédération soient nettement définies. C'est à cette condition que l'on peut être au clair quant aux domaines respectifs de la Confédération et des cantons. Or, si la Confédération a le droit de prendre les mesures nécessaires «en intervenant dans la structure et l'organisation de l'économie nationale», elle sera libre, en vérité, d'entreprendre tout ce qu'elle jugera à propos pour atteindre le but de l'initiative et faire en sorte que l'économie nationale devienne l'affaire du peuple entier et que le capital soit mis au service du travail. Les lois d'exécution révéleront l'étendue de ces mesures.

Mais rien n'empêcherait la Confédération de s'immiscer dans des domaines qui, de tout temps et de manière indiscutée, ont été réservés aux cantons.

En lieu et place de la nette démarcation des compétences, fondement de notre Etat fédératif, nous n'aurons qu'une limite imprécise, de sorte que la Confédération pourra en principe étendre sa législation sur l'économie tout entière. La
collaboration des cantons se résumera principalement à assurer l'exécution des prescriptions fédérales.

Même si la Confédération ne faisait pas usage de ses nouvelles attributions, l'initiative n'en entraînerait pas moins de singulières conséquences quant à la situation des cantons. Ceux-ci, en raison de l'abrogation de l'article 31, jouiraient d'une compétence qu'ils n'avaient pas jusqu'à maintenant. L'article 31 de la constitution fixe à la législation des cantons des limites infranchissables. En garantissant à chacun la liberté du commerce et de l'industrie, cet article ne permet aux cantons d'édicter des dispositions d'ordre économique que si celles-ci revêtent purement un caractère de police, toute loi cantonale qui déroge à la liberté du commerce et de l'industrie pouvant faire l'objet d'un recours de droit public auprès du Tribunal

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fédéral. Par conséquent, l'article 31 garantit indirectement l'unité de la politique économique de la Confédération, qui peut seule déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Si, comme l'initiative le demande, cet article est abrogé, les restrictions apportées à la politique économique des cantons tomberont du même coup. Les cantons auront alors la faculté de légiférer librement en la matière, tant que la Confédération n'aura pas fait elle-même emploi de sa compétence nouvelle. Ils pourront se livrer de leur propre chef à des expériences d'économie dirigée; us seront libres d'interdire l'ouverture de grands magasins ou de succursales (y compris celles de sociétés coopératives) et de prescrire un titre de capacité dans l'artisanat ou le commerce de détail. On servirait mal de la sorte les intérêts de l'économie générale et l'on ne faciliterait pas la tâche du pouvoir central dans l'établissement d'une économie planifiée. Cependant, la faculté qu'auraient les cantons de légiférer sans avoir à tenir compte du principe de la liberté du commerce et de l'industrie ne favoriserait nullement les intérêts du fédéralisme, car il manquerait le contrepoids d'une centralisation toujours possible, contrepoids auquel se substituerait le danger d'un redoutable conflit. Pour éviter un véritable chaos économique, la Confédération se verrait contrainte d'intervenir en arrêtant des mesures complètes lors même qu'elle eût préféré s'en abstenir. Elle serait forcée de faire immédiatement emploi de sa compétence générale pour ne pas être devancée par les cantons. Ces brèves considérations montrent à quel point notre constitution fédérale actuelle représente un système soigneusement balancé. On ne saurait donc toucher aux attributions des cantons et de la Confédération, comme l'initiative l'exigerait, sans risquer de rompre dangereusement cet équilibre. Nous sommes "persuadés que tel n'est pas le but que les auteurs de l'initiative se sont proposé. Toutefois, il est de notre devoir de tirer toutes les conséquences qui se révèlent possibles à l'analyse rigoureuse du texte qui nous est soumis.

5. En ce qui a trait aux « organismes économiques » mentionnés au 8e alinéa, on peut affirmer que la situation et la fonction des associations selon les dispositions constitutionnelles proposées correspond
entièrement aux tendances de ces dernières, telles que nous les avons mises en évidence.

L'initiative fait mention des associations en même temps que des cantons comme s'il s'agissait d'autorités du même ordre. Ce point fait ressortir, d'une part, le caractère centralisateur de l'initiative qui tend à enlever aux cantons leur souveraineté et, d'autre part, l'importance excessive attribuée au rôle des associations. Celles-ci -- qui devront obligatoirement être appelées à collaborer --· pourront être chargées de tâches publiques considérables. Cet état de choses contribuerait à ce bouleversement complet de notre système économique sur lequel nous avons déjà insisté tout à l'heure.

Par exemple, l'article 8, en prévoyant sans réserves ni restrictions, que les organismes économiques seront appelés à collaborer, autorise le transfert aux associations d'une partie des attributions de l'Etat. La déclaration

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d'application generale obligatoire des décisions d'associations -- qui s'est heurtée à une opposition croissante au cours des débats sur les articles économiques -- pourrait être librement établie par la voie législative. On risquerait -de favoriser ainsi une évolution qui finirait par anéantir la position des cantons -- déjà mal affermie dans l'initiative -- et qui devront céder le. pas aux associations. Point n'est besoin de rappeler qu'il s'agit d'envisager ici ce qui pourrait arriver par l'effet des dispositions préconisées. Nous renoncerons à rechercher si les effets que, par prudence, l'on doit prévoir en envisageant toutes les hypothèses, se produiront réellement.

6. Dans notre rapport du 24 juin 1946 sur l'initiative pour le « droit au travail », nous avons eu l'occasion d'exposer d'une manière circonstanciée à quel point la réalisation du « droit au travail » -- que garantit le 5e alinéa 5 de l'initiative -- aboutirait à une étatisation complète si les termes en étaient appliqués dans leur acception rigoureuse. Sans revenir sur cette question, nous nous bornerons à rappeler que cet alinéa n'ouvre pas seulement la voie à l'ingérence de l'Etat mais qu'il l'exige. Cette constatation fait apparaître sous un nouveau jour les autres dispositions de l'initiative, en particulier celles des alinéas 3 et 7. En effet, il faut admettre que la Confédération devra, pour tenir compte des exigences du 5e alinéa, faire un emploi complet des attributions que lui confèrent les alinéas 3 et 7 pour réaliser une économie dirigée. On pourra interpréter dans le même sens les alinéas 1 et 2, qui sont imprécis, de sorte qu'il faut se demander si ces deux premiers alinéas n'ont pas en réalité pour objectif une étatisation sinon totale, du moins profonde, de nos institutions.

7. A première vue et pour des esprits peu critiques, l'initiative paraît se prêter aux interprétations les plus diverses. Toutefois, à un examen plus attentif, il ressort que les dispositions proposées, considérées dans leur ensemble, constituent, comme nous l'avons montré, une arme propre à révolutionner tout notre système économique en instaurant une économie planifiée intégrale. Examinées isolément, certaines dispositions tendent manifestement à une «réforme économique» au sens que nous avons relevé.

Nous ne nous prononcerons pas quant à
l'étendue de l'économie dirigée dont il s'agit. Pour les motifs que nous avons déjà énoncés, il est sans importance à cet égard que l'article constitutionnel proposé puisse servir de base à des réformes moins profondes qui seraient parfaitement compatibles avec notre système économique actuel. Il va de soi que la faculté de prendre des mesures rigoureuses implique celle d'en arrêter qui le seraient moins.

Nous nous dispenserons de passer en revue tous les aspects d'une planification de notre économie. Nous n'en citerons que les éléments les plus caractéristiques: suppression totale de la liberté du commerce et de l'industrie, diminution profonde de la liberté des contrats, abolition de notre régime fédératif, risque d'hégémonie de la part des associations. En re-

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vanche, il ne serait pas superflu de rechercher quelles seront les répercussions sur nos institutions démocratiques d'une économie dirigée telle que la conçoivent les auteurs de l'initiative. Ceux-ci ne se sont peut-être pas rendu compte des conséquences qu'auraient sur notre droit public l'application des idées qu'ils défendent dans le domaine économique. C'est apparemment pour cela qu'ils ne proposent pas de modifier simultanément notre système politique. En effet, le 3e alinéa parle simplement d'une intervention de la Confédération dans la structure et l'organisation de l'économie nationale. On ne saurait voir dans ces termes le dessein de transformer le statut politique. Les promoteurs de l'initiative nous paraissent avoir ignoré qu'une économie planifiée modifierait complètement les rapports juridiques entre le Conseil fédéral, les conseils législatifs et le peuple, et aboutirait logiquement à concentrer d'une manière générale les pouvoirs entre les mains du Conseil fédéral et de l'administration fédérale. Nous aurons l'occasion de revenir plus longuement sur cette question (chapitre II, chiffre 4).

On pourrait se demander si l'absence de dispositions tendant à modifier la structure de l'Etat ne prive pas l'initiative -- dont nous avons relevé l'orientation très nette vers une économie dirigée -- de son élément principal. Nous ne le croyons pas, car il serait aisé, une fois les nouvelles dispositions constitutionnelles adoptées, de préparer les voies de l'économie dirigée à la faveur d'arrêtés fédéraux munis de la clause d'urgence et même d'arrêtés pris par le Conseil fédéral en vertu de ses pouvoirs extraordinaires, attendu que les considérations de droit public auxquelles se heurtent les dispositions en question sont d'ordre plutôt formel. Quant aux tendances de l'initiative à une économie planifiée, nous croyons les avoir exposées avec toute la clarté désirable.

8. Ce qui compte en l'espèce, nous ne l'ignorons pas, ce sont les termes de l'initiative et non les intentions probables des auteurs. C'est pour cette raison que nous avons voulu tout d'abord procéder à l'analyse du texte proposé. Cependant, il pourrait être indiqué de relever qu'il y a sans aucun doute derrière l'initiative le ptrogramme de « La Suisse nouvelle ». Ce programme a été établi au mois de décembre 1942 par le parti
socialiste suisse et propage l'idée de l'économie dirigée (de même, derrière l'initiative de crise de 1935 -- que la présente initiative rappelle dans une certaine mesure -- il y avait le « plan du travail »). On peut s'étonner de ne trouver aucune allusion à la « Suisse nouvelle » dans le « commentaire » de l'initiative édité par l'union syndicale suisse et le parti socialiste suisse. Ce commentaire se borne à exposer le but de mesures économiques dont on ne saurait d'ailleurs contester l'utilité, mais ne s'attarde pas à considérer leur réalisation, tandis que la « Suisse nouvelle » est plus explicite sur ce point. Toutefois, la comparaison de l'initiative et de la « Suisse nouvelle » -- celle-ci demande notamment la revision de la constitution -- révèle une grande concordance, de sorte que l'on pourrait, dans une certaine mesure, considérer

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l'initiative comme un abrégé des « directives pour la revision de la constitution fédérale » énoncées dans la « Suisse nouvelle ». Les alinéas 1 et 2 figurent textuellement dans la « Suisse nouvelle » (*); d'autres dispositions sont rédigées d'une manière différente mais rappellent nettement leur modèle ( 2 ). Il ne faut pas oublier que l'initiative a été lancée quelques mois après la publication de la « Suisse nouvelle » et qu'elle émane du même parti politique. Ces remarques permettent de voir en elle l'instrument politique qui doit assurer la réalisation des « directives pour la revision de la constitution fédérale » formulées dans la « Suisse nouvelle ».

En dépit de cette relation, nous ne croyons pas avoir à traiter dans notre rapport sur l'initiative socialiste le programme de la « Suisse nouvelle ». Comme ce n'est pas ce programme mais le texte de l'initiative qui sera soumis au vote du peuple et des cantons, nous nous contenterons d'en parler occasionnellement. Nous renoncerons en particulier à rechercher si les dispositions proposées constituent effectivement l'instrument propre à réaliser le programme de « La Suisse nouvelle » (ce dont il est permis de douter, car l'initiative ne garantit nullement le « principe de la coopération dans la liberté » sur laquelle la « Suisse nouvelle » insiste au même titre que sur l'établissement d'une économie dirigée, de sorte que certains principes de la « Suisse nouvelle » pourraient être finalement mis en échec par une application intégrale du texte de l'initiative). En revanche, nous voudrions compléter notre analyse de l'initiative en relevant les conceptions fondamentales de la « Suisse nouvelle » pour mieux donner une image concrète des dispositions proposées. Nous référant à ce que nous avons dit, nous tenons à rappeler que le texte de l'initiative permettrait de prendre des mesures beaucoup plus rigoureuses encore que celles que préconise la « Suisse nouvelle », bien que le programme de cette dernière tende déjà nettement à instaurer une économie dirigée et s'attaque à la liberté du commerce et de l'industrie comme à la liberté des contrats.

La « Suisse nouvelle » déclare avoir pour but « une réforme économique et sociale de la Suisse, fondée sur le principe de la coopération dans la liberté ». Elle veut « assurer au peuple suisse bien-être et
culture, en le libérant de la domination du capital ». A cette fin, elle fixe douze directives pour la revision de la constitution, directives dont l'initiative représente une sorte d'abrégé. D'après la « Suisse nouvelle » la production, la répartition et la consommation doivent être dirigées selon un plan d'ensemble.

Le crédit, considéré comme un service public, sera soumis au contrôle de (*) Cf. chiffre II, 1er alinéa, des directives de la «Suisse nouvelle»: «l'économie nationale est l'affaire du peuple entier. Elle ne doit pas servir les intérêts particuliers de ceux qui ne recherchent qu'enrichissement et puissance. La propriété est garantie, en tant qu'elle sert l'instrument de travail»; il est dit au chiffre X, 1er alinéa: «le capital est mis au service du travail ».

(') A comparer le 5e alinéa avec le chiffre III, 1er alinéa qui dit: « le droit au travail est garanti, l'obligation de travailler est instituée ».

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l'Etat. La banque nationale sera chargée de la direction centralisée de la politique du crédit, de l'intérêt et de la monnaie. Elle possédera la majorité des actions des grandes banques. Celles-ci, de même que les sociétés d'assurance, deviendront propriété de la communauté. Les industries qui ont un caractère prononcé de monopole ou sont groupées déjà en trust, deviendront aussi propriété de l'Etat. Il en ira de même des chemins de fer privés, des entreprises de transport ou d'énergie jouant un rôle important dans l'économie nationale, ainsi que des richesses naturelles, des forces hydrauliques et d'une partie des hôtels. Les entreprises qui deviendront propriété de la collectivité seront exploitées, suivant le cas, sous forme d'entreprises fédérales, cantonales ou communales, sous forme de collectivités autonomes de droit public ou de coopératives.

Les industries qui ne deviendront pas propriété commune se grouperont en fédérations industrielles, organes de gestion autonomes. Chaque fédération sera dirigée par un directoire composé de représentants des associations professionnelles, des ouvriers et employés, des consommateurs et de l'Etat.

Les agriculteurs, les artisans et commerçants se grouperont également en associations et en coopératives. Leur propriété, instrument de travail, est garantie. Les coopératives artisanales et commerciales fixeront les prix de vente d'entente avec un office des arts et métiers ou un office du commerce institué par l'Etat. Une autorisation sera nécessaire tant pour l'ouverture de nouvelles entreprises que pour l'extension des entreprises existantes. Les entreprises du bâtiment devront aussi se grouper en une coopérative, et un directoire du bâtiment dirigera l'activité en matière de constructions nouvelles. Enfin, l'importation et l'exportation sont réglementées par la Confédération et mises au service de l'économie générale.

L'importation incombera en principe à des coopératives d'importation tandis que l'exportation appartiendra aux fédérations industrielles, artisanales ou agricoles.

L'organe central de la politique économique suisse sera constitué par une direction fédérale de l'économie nationale, à laquelle seront adjoints un conseil économique supérieur et une chambre du travail. La direction de l'économie nationale, s'inspirant des directives arrêtées
par le Conseil fédéral et ses départements économiques, coordonnera l'activité déployée par les collectivités économiques autonomes dans les différentes branches de l'économie et la mettra au service de la direction planifiée de l'ensemble de l'économie.

Cet aperçu des points principaux du programme de la « Suisse nouvelle » qui traitent de l'organisation économique en illustrent la préoccupation d'établir une économie entièrement dirigée et centralisée. · L'instauration d'un « ordre socialiste de l'économie et de l'Etat » a effectivement pour condition préalable, comme la « Suisse nouvelle » le dit expressément, la « prise du pouvoir politique par le peuple travailleur ».

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II. RÉFORME ÉCONOMIQUE 1. Il ressort de notre analyse que les dispositions proposées devraient constituer l'instrument propre à l'établissement d'un système économique planifié, appelé à se substituer au régime actuel. Une réforme économique de cette envergure serait incompatible avec les conditions particulières de la Suisse. Aussi ne saurions-nous y souscrire. Il est nécessaire de maintenir notre régime fondé sur une liberté bien comprise, qui peut tenir compte pleinement -- nous aurons l'occasion de le prouver -- des besoins d'une démocratie éminemment sociale.

Le droit sur lequel se fonde notre système économique est d'essence individualiste. Le Tribunal fédéral l'a rappelé dans l'un de ses arrêts: « Partant de l'idée qu'en principe le libre déploiement des forces économiques individuelles et la concurrence qui en résulte constituent la meilleure façon d'organiser la vie économique, si l'on se place au point de vue du bien-être public, l'article 31 de la constitution fédérale accorde à l'individu la faculté de mettre librement en valeur, sur le terrain économique, ses capacités personnelles et ses ressources matérielles. Cette liberté individuelle n'est limitée que par les intérêts supérieurs de la communauté » (ATF 45,1, 357).

En fait, tout notre droit privé est pénétré de l'idée de la liberté individuelle. Dans notre système juridique, chacun peut régler ses rapports avec autrui par un accord de volonté déterminant des effets juridiques.

Cette faculté est consacrée par la liberté des contrats (art. 19 CO), qui constitue le fondement de notre droit privé. A cette liberté s'ajoute celle dont les individus jouissent comme travailleurs et comme consommateurs, ainsi que la liberté d'association qui englobe la liberté de coalition. Le fait que la liberté individuelle n'est pas illimitée et que le législateur peut lui fixer des bornes au moyen de dispositions imperatives nécessaires a la sauvegarde de l'ordre public et à la protection de la personnalité, n'affecte en rien sa valeur en tant que principe dominant tout notre droit privé.

La liberté des contrats, qui relève du droit privé, a pour contre-partie, en droit public, la liberté du commerce et de l'industrie. Celle-ci régit les rapports entre l'Etat et les individus selon le principe de la non-intervention de l'Etat. Notre système économique
actuel est caractérisé par l'absence de tout « dirigisme ». L'Etat ne régit pas la production et la répartition des biens d'après un plan préétabli. Il s'en remet à l'initiative privée et, partant, laisse aux citoyens le soin d'assurer dans la mesure du possible leurs moyens d'existence. Il appartient en premier lieu à chacun de pourvoir à ses propres besoins et de veiller à son avenir. L'Etat ne saurait décharger les individus de ce soin en garantissant leur situation matérielle. C'est pour cette raison qu'il laisse en principe les particuliers disposer librement des moyens de production et leur réserve la liberté d'action nécessaire. C'est ce que la constitution désigne par les termes de liberté du commerce et de l'industrie. En voulant restreindre et même supprimer cette liberté, on attaquerait dans

809 sa substance notre système politique et juridique. Toute planification de notre économie, telle que la préconise l'initiative, apporterait des limitations arbitraires à la liberté individuelle. Voudrait-on nous donner l'assurance qu'il ne sera pas porté atteinte à la liberté individuelle, il n'est pas certain que cette assurance pourrait être respectée en raison des tendances de l'initiative que nous nous sommes efforcés de mettre en relief.

Non seulement l'initiative ne contient aucune disposition reconnaissant la liberté individuelle mais elle ne fait même pas mention de la liberté.

Dans le « commentaire » comme dans la « Suisse nouvelle », il est moins question de la liberté individuelle que des « libertés et des droits populaires » (commentaire, p. 3) ou du « principe de la coopération dans la liberté » (<( La Suisse nouvelle, p. 4 et 6). Sans doute faut-il entendre par ces expressions autre chose que la garantie de la liberté individuelle. On se sent d'autant plus porté à le faire lorsqu'on considère que « La Suisse nouvelle » pose comme condition préalable à la réalisation de ce programme la « prise du pouvoir par le peuple travailleur ». On pourrait inférer de ce qui précède que l'établissement des « libertés et des droits populaires » résulterait de la « prise du pouvoir politique par le peuple ».

2. Il devrait être superflu de rappeler ici que nous ne saurions nous ériger en défenseurs d'une liberté individuelle illimitée. Toutefois, comme le commentaire pourrait porter à faire croire qu'il n'existe que cette alternative : économie planifiée telle que la conçoivent les auteurs de l'initiative ou « liberté économique absolue » (op. cit. p. 2), nous ne pouvons nous dispenser de formuler quelques remarques.

La faculté que la liberté individuelle donne à chacun de « mettre librement en valeur, sur le terrain économique, ses capacités personnelles et ses ressources matérielles », comme dit l'arrêt précité du Tribunal fédéral, est toutefois « limitée par les intérêts supérieurs de la communauté ».

Il s'ensuit que la liberté des contrats ne saurait déborder les limites fixées par le législateur pour sauvegarder l'intérêt général. De même, la liberté du commerce et de l'industrie est circonscrite par les exigences de l'intérêt général. Il n'est personne aujourd'hui pour croire encore en
l'idole de la « liberté économique absolue », qui sert de cible aux auteurs du « commentaire » de l'initiative.

Le projet du 4 avril 1946 concernant les nouveaux articles de la constitution., -- nous aurons l'occasion de nous y référer à plusieurs reprises au cours de notre exposé -- ne se fonde nullement sur une liberté économique illimitée. Certes, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a été maintenu en tête des nouveaux articles économiques, mais cela ne signifie pas qu'il s'impose à l'exclusion de tout autre. Il ne saurait empêcher l'Etat de restreindre la liberté individuelle si l'intérêt général l'exige.

En outre, non seulement il n'exclut pas mais il commande que l'Etat veille au bon fonctionnement de l'économie et qu'il prenne les mesures propres

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à favoriser une économie prospère. Sans déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie, l'Etat peut encore exercer une influence sur l'économie dans le domaine politique, commercial, monétaire, financier et du marché du travail. En revanche, il doit s'abstenir de régler lui-même le mécanisme de l'économie pour n'intervenir que lorsque des intérêts généraux sont en jeu, intérêts que les particuliers ne peuvent sauvegarder ou lorsque les mesures de prévoyance des individus seraient insuffisantes.

Abstraction faite de cette influence exercée par l'Etat, c'est le fonctionnement de -réc.onomie qui a donné naissance, en cours d'évolution, à ces liens puissants qui canalisent et régularisent le libre jeu des forces économiques. En dépit de ces limitations d'ordre public ou privé, notre régime économique a conservé son caractère d'économie libre.

Les nouveaux articles économiques de la constitution tiennent pleinement compte de ces considérations. L'article 31, 1er alinéa, ne garantit la liberté du commerce et de l'industrie que « sous réserve des dispositions restrictives de la constitution et de la législation qui en découle ». Aux termes de l'article 31 bis, 3e alinéa, la Confédération a le droit, pour parvenir à certaines fins, de déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie « lorsque l'intérêt général le justifie ». Quant aux abus de la puissance économique que les auteurs de l'initiative paraissent redouter tout particulièrement, nous rappellerons que la lettre d de l'article en question permet à la Confédération d'édicter des dispositions pour remédier aux conséquences nuisibles, d'ordre économique ou social, des cartels ou des groupements analogues. La question des cartels a été évoquée à maintes reprises devant les chambres fédérales, en dernier lieu à l'occasion de la motion Feldmann du 23 septembre 1936, qui demande une réglementation légale de ces institutions pour protéger les intérêts publics contre les abus des concentrations d'entreprises. Personne, au cours des délibérations sur les articles économiques, n'a contesté qu'il fût nécessaire de légiférer dans ce domaine. Sans nous prononcer dès à présent sur la teneur d'une législation future sur les cartels, nous voudrions toutefois rappeler que les articles économiques, s'ils étaient acceptés, permettraient
à la Confédération d'intervenir par voie législative contre les cartels et les groupements analogues -- c'est-à-dire contre les organismes revêtant la forme de trusts -- si la concentration de la puissance économique opérée sous cette forme faisait apparaître des conséquences nuisibles, d'ordre économique ou social.

3. La structure démocratique et federative de la Suisse est étroitement liée à une économie libre. Il faut donc s'opposer aussi à tout déplacement -- conséquence nécessaire d'une économie planifiée -- qui ferait passer au Conseil fédéral les prérogatives et la puissance politique dont les représentants du peuple sont dans notre système démocratique les seuls détenteurs. Cette considération s'applique aussi à tout bouleversement

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de notre structure federative qui serait amorcée par les dispositions proposées. Enfin la domination des associations, telle que l'initiative la favoriserait, n'est pas conciliable avec la liberté individuelle.

Les auteurs du commentaire se disent, il est vrai, adversaires déclarés d'une « centralisation à outrance ». S'il n'existe pas de solution aux grands problèmes économiques sur le plan cantonal, il faut tout au moins s'efforcer de réaliser un fédéralisme sain, qui réserve aux cantons dans la mesure du possible, le soin de régler l'exécution en tenant compte de leurs conditions particulières. Il est évident que la législation économique et sociale souhaitée par les promoteurs de l'initiative ne laisse pas grand chose aux cantons. Tout au plus seraient-ils appelés a collaborer en matière d'exécution. Leur rôle se réduirait à celui de simples agents d'exécution des dispositions fédérales.

Or, à l'inverse de ce qu'ont fait les auteurs de l'initiative, il a été tenu entièrement compte de ces circonstances lors de l'élaboration des articles économiques. Il nous paraît opportun de nous étendre quelque peu' sur le rôle des cantons et des associations.

Point n'est besoin de rappeler que notre territoire économique -- de toute façon très exigu -- doit demeurer un tout et qu'il appartient à la Confédération de prendre les mesures importantes concernant nos relations commerciales avec l'étranger, notre politique monétaire et notre politique des prix, ainsi que les mesures destinées à créer des possibilités de travail ou à influencer la conjoncture économique. En effet, la Confédération seule est en mesure de fixer l'objet et l'orientation générale de notre politique économique. Il ne faut pas toutefois conclure de ce qiii précède que les cantons devront être privés de leur propre compétence. Les nouveaux articles économiques, tout au contraire, veulent sauvegarder leur situation dans une large mesure et même l'affermir à certains égards. Ainsi garantissent-ils aux cantons leur souveraineté dans tous les domaines où les attributions de la Confédération ne sont pas expressément désignées.

D'ailleurs, la Confédération pourra, dans les limites de ses attributions législatives, autoriser les cantons à édicter des prescriptions dans des matières qui ne nécessitent pas une réglementation fédérale et pour
lesquelles ils ne sont pas déjà compétents. En outre, aux termes de l'article 32 des nouveaux articles économiques, les cantons seront consultés lors de l'élaboration des lois d'exécution et, en règle générale, ils seront chargés d'exécuter les dispositions fédérales. Ces dispositions tendent à établir un équilibre en attribuant à la Confédération la compétence qui lui est nécessaire dans les circonstances actuelles pour orienter notre politique économique tout en réservant aux cantons un domaine où ils pourront exercer leur activité avec succès.

Nous avons eu l'occasion d'exposer dans notre message du 10 septembre 1937 concernant la revision des articles économiques le rôle important

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qui incombait aux associations économiques et professionnelles dans l'exécution des actes législatifs. Aux termes de l'article 32, 3e alinéa, des articles économiques, les groupements économiques eux aussi seront consultés lors de l'élaboration des lois d'exécution; en outre, ils pourront être appelés à coopérer à leur exécution. Contrairement aux cantons, qui seront, en règle générale, chargés d'assurer l'exécution de la législation économique, la collaboration des associations revêtira un caractère facultatif, attendu qu'il y aura lieu de décider à l'occasion de chacune des lois d'exécution quelles seront les associations appelées à coopérer et quelle sera l'ampleur de leur collaboration.

Si l'on se réfère au commentaire de l'initiative, on peut se rendre compte qu'il est certainement dans l'esprit des promoteurs de celle-ci de tirer parti de toutes les possibilités qu'elle offre pour incorporer les associations dans l'économie planifiée; leur rôle pourrait même prendre en fait plus d'importance que celui des cantons. Ces « organismes économiques » deviendraient les piliers du nouvel édifice. La collaboration des associations professionnelles revêtirait une importance vitale et, pour éviter toute solution de caractère bureaucratique, l'Etat devrait se décharger de ses propres attributions essentiellement sur ces organismes et leur confier l'exécution des mesures qu'il prendra. La Confédération pourrait par conséquent transférer purement et simplement aux associations la compétence générale que l'initiative veut lui conférer. Elle pourrait les autoriser à prendre des décisions revêtant un caractère obligatoire pour l'ensemble d'une branche économique donnée, « outsiders » y compris, et leur permettre de fixer les prix et les salaires dans leur domaine.

4. A ce propos, nous voudrions examiner ici un point qui n'a été touché ni par l'initiative, ni par la « Suisse nouvelle ». La réforme économique préconisée par les auteurs de l'initiative a une portée si étendue qu'elle ne pourrait être opérée sans affecter 'a structure poétique de notre pays.

Abstraction faite des rapports entre la Confédération et les cantons, qui subiraient une modification profonde, il serait nécessaire, comme nous l'avons dit, de reviser les rapports existant entre le Conseil fédéral, les conseils législatifs et le peuple.
L'organisation de l'économie est étroitement liée à l'appareil législatif et aux rapports entre parlement et gouvernement. Notre constitution fédérale correspond à une conception libérale de l'Etat, qui veut que celui-ci intervienne le moins possible dans le domaine économique et se borne à arrêter des règles d'ordre général s'adressant à l'ensemble des citoyens.

Si l'Etat doit diriger l'économie entière et en régler le processus jusque dans ses détails -- comme pendant les années de guerre -- notre système législatif actuel serait insuffisant, car il est indispensable que les directions interviennent avec rapidité, souplesse et prudence. L'Etat devrait être en mesure d'intervenir à tout moment en recourant largement aux pou-

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voirs extraordinaires, ou au système de la délégation de pouvoirs (pouvoirs extraordinaires, de guerre, du 3 août 1914, arrêté fédéral du 23 décembre 1931 limitant les importations, arrêté fédéral du 14 octobre 1933 concernant les mesures de défense contre l'étranger, arrêté fédéral du 19 septembre 1936 sur les mesures extraordinaires d'ordre économique, pouvoirs extraordinaires de guerre, du 30 août 1939).

Cet état de choses entraînerait aussi une modification des rapports entre le parlement et le peuple, étant donné que le referendum ne fonctionne pas dans les domaines où s'exercent les pouvoirs extraordinaires. D'ailleurs, son emploi est pratiquement exclu, car on n'imagine pas que la direction responsable de l'Etat puisse exposer les mesures nécessaires au risque de les voir annuler par le peuple agissant à l'instigation des milieux intéressés.

Le parlement ne serait pas à même, avec ses méthodes de travail actuelles, de faire face aux innombrables mesures particulières qui devraient être prises dans de brefs délais, il devrait se borner à donner des directions générales, c'est-à-dire à fixer les traits essentiels du plan général de l'économie et à déléguer ses pouvoirs au gouvernement pour lui laisser régler toutes les questions spéciales. Une économie véritablement dirigée par l'Etat obligerait de confier au Conseil fédéral le soin de prendre toutes les ·décisions. Le parlement devrait se contenter d'examiner les plans que lui .soumettrait le gouvernement et d'en surveiller l'exécution. On pourrait, il est vrai, demander au peuple de se prononcer sur les lois déléguant des pouvoirs, mais il n'aurait plus rien à dire ensuite. A cet égard, l'initiative de crise du 6 mars 1935 faisait preuve de plus de logique en voulant ·charger l'Assemblée fédérale de l'exécution des mesures nécessaires, mais en les soustrayant définitivement au referendum. Le Conseil fédéral aurait été tenu de présenter à chaque session ordinaire un rapport sur les mesures prises. La « ligue du Gothard » dans son programme d'avril 1945 qui préconise le plein emploi dans un régime de liberté a prévu -- tout en se bornant à des mesures indirectes de la part de l'Etat -- une transformation simultanée de l'Etat en vue d'augmenter les pouvoirs du gouvernement.

L'initiative élude cette question par le silence. Cependant, il est
de toute évidence que l'on ne saurait charger l'Etat de diriger l'économie entière sans qu'il soit nécessaire de modifier simultanément les rapports entre la Confédération et les cantons, d'une part, entre le pouvoir exécutif, les conseils législatifs et le peuple, d'autre part, et d'adapter ces rapports aux tâches nouvelles de l'Etat. Reste à savoir si le peuple suisse donnerait son consentement, mais ceci est une autre affaire. Ce n'est cependant point l'effet du hasard que l'on réclame actuellement, tout à la fois, non seulement l'abrogation des prescriptions de l'économie de guerre et l'établissement d'une liberté économique plus étendue, mais encore l'abolition complète des pouvoirs extraordinaires et le retour à la démocratie Feuille fédérale. 98« année. Vol. III.

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pure et au rétablissement des droits populaires. Une demande d'initiative à cet effet a maintenant abouti.

Les nouveaux articles économiques de la constitution recherchent un juste milieu. L'article 32 du projet déclare que les dispositions d'exécution ne pourront être établies que sous forme de lois ou d'arrêtés soumis au vote du peuple. Il n'est prévu qu'une exception pour les cas d'urgence survenant en période de perturbations économiques. En pareil cas seulement, il sera possible de recourir à un arrêté muni de la clause d'urgence.

5. Le commentaire de l'initiative précise que cette dernière voudrait « créer la démocratie sociale », et « en tout premier lieu, le droit à la sécurité de l'existence et le droit à une juste part du produit du travail » (op. cit.

p. 2). La démocratie politique réalisée par la Révolution française doit être complétée par la démocratie sociale qui devra parachever dans la mesure du possible l'égalité politique par une égalité d'ordre économique et sociale, laquelle procurera à chacun la sécurité de son existence matérielle. En principe, nous pourrions souscrire à cette formule à condition toutefois que la liberté individuelle soit sauvegardée et qu'elle ne subisse que les seules restrictions requises par l'intérêt général. A cet égard, nous nous référons à l'article 316is, 1er alinéa, des nouveaux articles économiques, qui dit que « la Confédération prend des mesures propres à augmenter le bien-être général et à procurer la sécurité économique des citoyens ».

Toutefois, elle ne pourra le faire que « dans les limites de ses attributions constitutionnelles », ce qui signifie en particulier que le principe de la liberté du commerce et de l'industrie devra être respecté. Comme nous l'avons déjà dit, les promoteurs de l'initiative eux-mêmes ne paraissent pas vouloir exclure la liberté -- « les libertés et les droits populaires » -- de leur démocratie sociale. Ils oublient toutefois que les mesures d'économie dirigée qu'ils préconisent ou qu'ils provoquent ne peuvent se concilier avec la garantie de la liberté individuelle, telle que le peuple suisse l'a entendue jusqu'à maintenant.

En fait, le but de la politique économique de l'Etat tend à la fois àassurer la sécurité matérielle des citoyens -- qui est liée à un nivellement croissant des conditions économiques et
sociales -- et à sauvegarder la liberté économique individuelle. Ni la sécurité matérielle, objet de la démocratie sociale, ni la liberté, objet de la démocratie libérale, ne peuvent toutefois être poussées jusqu'en leurs conséquences extrêmes. Liberté et sécurité sont en réalité opposées et s'excluent réciproquement. La liberté absolue ne s'acquiert qu'au prix du risque et de l'insécurité. Tous les maux dont on fait grief à notre régime économique (fluctuations de la conjoncture, crises, chômage, insécurité de l'existence) ne sont en fait que l'envers de la liberté. D'autre part, il n'est possible de réaliser de sécurité absolue qu'en recourant à un régime planifié et en limitant cette liberté. Ni la liberté, ni la sécurité ne peuvent se réaliser intégralement si nous ne

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voulons pas tomber dans l'anarchie, ni étouffer sous une rigide réglementation.

Le besoin de liberté et de sécurité sont deux agents moteurs de la vie sociale. Actuellement se fait sentir le besoin de plus de sécurité matérielle, en particulier dans les milieux ouvriers. Indépendamment de cette aspiration fort légitime en soi, il se manifeste également un besoin de liberté et, depuis la guerre tout spécialement, de plus grande liberté. Cette dualité apparaît aussi dans les milieux ouvriers qui, tout en voulant plus de sécurité, réclament l'abrogation de toutes les restrictions imposées par l'économie de guerre.

Le conflit entre la liberté et la sécurité se résume en somme à une question de proportion. Il faut se rendre à l'évidence que toute mesure tendant à procurer la sécurité matérielle restreint la liberté économique et qu'il n'est de sécurité complète qu'au prix de la liberté. Ce dualisme caractéristique de toute politique économique actuelle implique une tension intérieure qu'il s'agit de ne pas laisser atteindre son point de rupture mais de retenir à un état d'équilibre respectant le principe des deux objectifs opposés.

Il n'est par conséquent pas désirable d'opérer une « réforme économique » qui rompe brutalement avec le présent. C'est néanmoins ce que proposent les auteurs de l'initiative, car les dispositions qu'ils voudraient insérer dans la constitution sont un instrument propre à opérer une réforme qu'il serait plus exact de qualifier de « révolution économique ». De notre côté, nous voudrions préconiser une véritable « réforme économique » qui, sans rien briser, réponde et satisfasse aux exigences des temps actuels.

Il est long le chemin parcouru depuis la revision de la constitution fédérale, en 1874, et la proclamation de la liberté -- combien étendue alors -- du commerce et de l'industrie. Nous sommes convaincus qu'il reste encore beaucoup à faire et d'utiles «réformes économiques» à opérer. Les nouveaux articles économiques se proposent précisément d'y pourvoir en apportant des solutions acceptables dans l'état de choses actuel et qui se concilient avec les exigences d'une démocratie à la fois sociale et libérale.

Les délibérations qui ont porté sur les nouveaux articles économiques ont mis en évidence à quel point les mesures d'ordre économique ou social prises au cours de
ces dernières années s'inspiraient de la volonté d'accroître la sécurité matérielle des individus. C'est dans cet esprit et pour déférer aux voeux des promoteurs de l'initiative que les conseils législatifs ont adopté une disposition spéciale fixant pour tâche à la politique économique de la Confédération d'augmenter le bien-être général et de procurer la sécurité économique des citoyens (art. 316is, 1er al.). Cet article n'attribue, il est vrai, pas de compétence nouvelle à la Confédération. Il ne crée aucun droit personnel que pourrait invoquer quiconque verra sa sécurité économique atteinte ou menacée. Il se borne à tracer à la, Confédération la ligne générale qu'elle devra suivre dans le domaine économique et social.

Notre législation future en la matière devra s'efforcer de créer un état de

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sécurité matérielle aussi complet que possible sans sacrifier le principe d'une économie libre. Les nouveaux articles économiques doivent donner à cette politique bien balancée la base constitutionnelle dont elle a besoin. Ils maintiennent le principe de la liberté économique tout en confiant à la Confédération d'importantes fonctions d'organisation et en l'autorisant à déroger au principe de la liberté du commerce et de l'industrie lorsque l'intérêt général le commande. Nous examinerons de manière plus approfondie dans les chapitres suivants les solutions concrètes qui ont été apportées dans cet esprit et celles qui pourraient l'être dans l'avenir.

6. Aux personnes qui, ayant foi dans les mérites d'une économie rigoureusement dirigée, ne croient pas pouvoir se désolidariser de cette idée, nous voudrions demander s'il ne vaudrait pas mieux chercher à collaborer sur le terrain de notre système économique actuel, plutôt que de se livrer à des luttes passionnées dans l'espoir de renverser le régime existant, alors que l'économie mondiale dont nous sommes étroitement solidaires est loin ·d'être affermie. Sans manquer de modestie ni vouloir contester des insuffisances certaines, nous devons néanmoins reconnaître que notre condition économique et sociale supporte avantageusement la comparaison avec celle de l'étranger.

De même qu'il n'est personne qui préconise la liberté absolue, il n'est également personne de raisonnable qui voudrait d'une sécurité absolue au prix de la liberté. Il doit donc être possible de trouver à la faveur de la collaboration une solution pratique qui convienne à la situation présente et qui se trouve en un point quelconque situé entre les extrêmes. Il faudra bien .se rendre à l'évidence de part et d'autre que les programmes n'ont de signification que par rapport aux tâches à remplir. Les discussions étrangères aux réalités ne sauraient être que stériles, en tendant à faire croire à des antagonismes irréductibles tandis qu'une collaboration de fait serait parfaitement possible, si même elle n'existe déjà. On est trop enclin à ·exagérer l'importance des programmes. Les auteurs de notre constitution actuelle, qui avaient érigé la liberté du commerce et de l'industrie en un ·dogme n'auraient pu concevoir les multiples dérogations qu'il a fallu y apporter au cours des années. Il
pourrait fort bien se faire qu'en fin de compte, il ne reste de l'économie dirigée qui nous est proposée que les éléments pouvant parfaitement s'intégrer dans notre régime de liberté économique sans en ·compromettre les fondements.

7. Nous avons fait ressortir la portée véritable de l'initiative et qualifié en conséquence celle-ci d'inacceptable. Nous voulons maintenant la considérer encore entant qu'énoncé de toute une série de revendications d'ordre économique ou social, en particulier dans le domaine du droit du travail.

H se peut que des personnes, ne s'arrêtant pas à la planification de notre économie, veuillent en revanche considérer dans l'initiative la base de nombreuses réformes désirables et s'y rallient pour ce motif. Elles pourraient

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être d'autant plus poussées à le faire que le commentaire ne met pas en évidence les tendances à l'économie dirigée de l'initiative, ou, en tout cas, le fait plus modérément que la « Suisse nouvelle ». Nous ne voulons évidemment pas dire que les auteurs ont, avec intention, masqué le caractère véritable de l'initiative. H est toutefois certain --- nous l'avons rappelé maintes fois -- que les intentions des promoteurs de l'initiative importent peu. Il s'agit seulement de déterminer les mesures que les dispositions proposées pourraient autoriser. Il ne faut pas se dissimuler qu'au cas où le peuple et les Etats accepteraient l'initiative, on en devrait conclure à juste titre que le peuple suisse a également voulu en approuver les autres objectifs et qu'il s'est prononcé en faveur d'une économie planifiée.

Quant à approuver l'initiative en raison de certaines réformes heureuses et réalisables qu'elle permettrait d'opérer, nous devons nous y opposer avec une énergie égale à celle que nous avons mise pour rejeter l'initiative considérée en tant qu'instrument de planification économique. Il serait inadmissible d'insérer dans la constitution des dispositions autorisant lés mesures les plus rigoureuses si celles que l'on se propose de prendre le sont moins. En pareil cas, il serait nécessaire d'établir un projet plus modéré.

Toutefois, un projet de ce genre nous paraît superflu du moment que les nouveaux articles constitutionnels ont déjà fait l'objet des délibérations du parlement et qu'ils seront prochainement soumis au peuple. Ces articles constituent notamment une base suffisante pour prendre toutes les mesures entrant en considération dans les circonstances actuelles et qui tiennent compte des conditions particulières de la Suisse.

Nous nous proposons de relever dans les chapitres suivants les mesures qui ont été déjà prises dans le sens de l'initiative et celles qui pourront l'être dans l'avenir à la faveur des nouveaux articles économiques. Nous aurons ainsi l'occasion d'illustrer ce que nous avons dit au chiffre 6 à propos des réalisations pratiques qui ont été opérées sans nous laisser arrêter par des discussions de caractère par trop théorique. Au chapitre III nous fixerons notre attention sur l'expression des « droits du travail » qui figure dans le titre de l'initiative et sur les alinéas 4
à 7 de celle-ci, qui s'y rapportent.

L'initiative créant la base d'une socialisation étendue qu'elle se propose effectivement de réaliser, nous traiterons au chapitre IV de la situation de l'économie publique et des sociétés coopératives en Suisse, tout en donnant un aperçu des mesures de socialisation prises à l'étranger. Enfin, au chapitre V, nous ajouterons quelques remarques sur l'établissement d'un plan économique et la coordination des mesures à prendre dans notre régime économique fondé sur le principe de la liberté de l'industrie et du commerce et de la liberté des contrats. Nous estimerons alors avoir exposé comme il convenait notre opinion en la matière.

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III. LES « DROITS DU TRAVAIL »> 1. On ne discerne pas d'emblée quelle est la relation entre les dispositions nos 4 à 7 de l'initiative, qui définissent les « droits du travau », et les dispositions nos 1 et 2, qui fixent le but général de l'initiative. Certains de ces « droits du travail », tels que la sécurité de la situation matérielle et la protection du travail, peuvent aussi trouver leur réalisation dans l'ordre économique actuel, étant d'ailleurs entendu qu'il y aura toujours divergence d'opinions sur le point de savoir jusqu'où doit aller la sécurité de la situation matérielle. Il en est autrement du droit au travail, qui, comme le reconnaît implicitement le commentaire de l'initiative, ne pourrait devenir effectif que dans le cadre d'un ordre économique socialiste; c'est dire que ce droit sous-entend l'abolition de l'ordre économique actuel.

En revanche, l'obligation de prévenir des crises économiques que l'article Slquinquies du projet de revision des articles constitutionnels d'ordre économique impose à la Confédération pourra s'exécuter, du moins jusqu'à un certain point, dans le cadre de l'ordre économique actuel. Les partisans de l'initiative estiment, il est vrai, que les crises économiques sont inévitables dans une organisation qui procède du libéralisme économique et que, pour les prévenir, il faudrait au préalable abolir cette organisation. Les « droits du travail » constituent donc en partie le but de la réforme économique, puisque de leur adoption dépend la réalisation de cette réforme. Encore que certains de ces droits, tels que la sécurité de la situation matérielle et la protection du travail, soient déjà reconnus par l'ordre économique actuel, ils ne pourront, selon la pensée des auteurs de l'initiative, produire leur plein effet que dans un nouvel ordre économique. Etant donnée l'attitude que nous adoptons, dans le précédent chapitre, en face de l'initiative envisagée dans son principe, nous ne saurions admettre, parce que cela nous introduirait dans un régime d'économie planifiée, que la Confédération ait un pouvoir général et indéterminé de sanctionner l'ensemble de prérogatives que nous nommons ici « droits du travail ». Ainsi que le prévoient les articles 34ter et Slquinquiea des nouvelles dispositions constitutionnelles d'ordre économique, la Confédération ne doit
disposer d'une compétence générale que pour légiférer sur la protection et la lutte contre le chômage.

On pourrait, à vrai dire, être tenté de ne voir dans les dispositions nos 4 à 7 de l'initiative que l'énoncé de principes généraux à observer par l'autorité législative et l'autorité administrative fédérales, c'est-à-dire de ne pas attribuer à ces dispositions la valeur de règles de compétence à l'intention de la Confédération. Ainsi, la disposition n° 4 signifierait seulement que la Confédération devrait être chargée d'assurer la situation matérielle des citoyens et de leurs familles dans les domaines qui relèvent déjà de sa compétence. Cette disposition n'emporterait donc pas l'attribution à la Confédération d'une compétence nouvelle en matière de politique économique et sociale. Elle ne conférerait pas, par exemple, le pouvoir

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d'assurer l'existence matérielle des travailleurs en recourant à une mesure que la constitution ne sanctionne pas encore; elle ne ferait que prescrire au législateur fédéral de prêter un intérêt particulier, dans l'exercice de ses attributions, à la garantie de cette existence matérielle. Ainsi, pour ce qui a trait à la protection de la famille, la Confédération ne pourrait pas aller au delà des mesures prévues au nouvel article Siquinquies.

Après oe que nous avons dit (chapitre I) du caractère général de l'initiative, il n'est toutefois pas possible de s'arrêter à cette interprétation.

C'est la conclusion qui s'impose en particulier pour le droit au travail, pour la lutte contre les crises et le chômage, ainsi .que pour la protection du travail, qui, d'après le texte de l'initiative, devrait s'étendre à toutes les branches de l'économie. Or la Confédération ne disposait jusqu'ici en ce domaine que d'une compétence limitée. Les dispositions n°B 4, 5 et 6 de l'initiative tendent, effectivement, en liaison avec la disposition n° 7, à conférer à la Confédération des attributions nouvelles lui permettant de mettre tout en oeuvre pour atteindre les objectifs visés, sans égard aux autres dispositions de la constitution, ni aux droits des cantons.

Il semblerait que les auteurs de l'initiative, à s'en tenir aux termes qu'ils ont employés, veuillent attribuer aux « droits du travail » la valeur de droits constitutionnels au vrai sens du terme, si bien que le citoyen qui s'estimerait lésé de ce chef pourrait, en vertu de l'article 113, chiffre 3, de la constitution, former un recours de droit public devant le Tribunal fédéral. Cette question se pose en particulier relativement à la disposition n° 5 de l'initiative qui prévoit expressément la garantie d'un droit au travail. Les auteurs de l'initiative se servent des termes consacrés par la constitution pour garantir les libertés individuelles (par exemple, à l'art. 31 : la liberté du commerce et de l'industrie est garantie ... ; à l'art. 55 : la liberté de la presse est garantie). Maie elle se pose également au sujet des dispositions 4 et 6 qui tendent à assurer l'existence matérielle du citoyen et à protéger le travail. D'après la jurisprudence du Tribunal fédéral, le recours de droit public est en effet recevable, non seulement lorsqu'il y a atteinte à
un droit subjectif expressément garanti par la constitution, mais aussi dans certains cas où il y a uniquement violation d'une disposition légale appelée à protéger des libertés individuelles. Après avoir considéré les choses de plus près, on arrive toutefois à la conclusion que, dans ces cas, le recours de droit public n'aurait pas sa raison d'être et devrait être remplacé par d'autres voies de recours ( x ).

( x ) A la différence des libertés individuelles pour la garantie desquelles le recours de droit public répond vraiment à son objet, les « droits du travail » demandés par l'initiative constituent des revendications positives exigeant de l'Etat l'accomplissement d'une prestation. La constitution ne connaît qu'un exemple de cette nature; £'est le droit à l'instruction primaire gratuite qui est inscrit à l'article 27. Or, dans ce <5ae où il s'agît précisément d'une prestation positive exigée de l'Etat, le législateur a exclu le recours de droit public; il a conféré la compétence juridictionnelle à l'autorité

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Ainsi que le montrent ci-après nos remarques sur les différents points de l'initiative, les « droits du travail » ne sont pas, au vu de la constitution, actuelle et, surtout, des nouveaux articles d'ordre économique, ai sacrifiés qu'on serait porté à lé croire d'après le commentaire de l'initiative. Celle-ci, en tant qu'elle ne cherche pas à ouvrir la voie à l'économie planifiée, enfonce des portes ouvertes, ainsi qu'on le verra par la suite.

2. Remarques relatives à la disposition n° 4 : « La situation matérielle des citoyens et de leurs familles doit être assurée. » D'après lé commentaire de l'initiative, cette assurance implique, outre lé droit au travail et le droit à un juste salaire, tout un corps d'assurances sociales destinées à protéger le citoyen « du berceau à la tombe ». Sont énumérées dans ce commentaire, comme assurances principales à perfectionner ou à instituer, l'assurance en cas de maladie et d'accident (accidents professionnels et non professionnels), laquelle devrait s'étendre à, tous les membres de la famille, F assurance-maternité, l'assurance-vieillesse et survivants, ainsi que l'assurance-chômage obligatoire pour tous les.

métiers et professions, cette dernière ne devant d'ailleurs jouer qu'un rôle subsidiaire, puisque l'essentiel serait constitué par la garantie d'un travail régulier.

Toutes ces branches d'assurance peuvent aujourd'hui déjà s'appuyer sur une base constitutionnelle, en sorte que l'insertion dans la constitution des dispositions proposées par l'initiative apparaît superflue. C'est en 1890 déjà que fut adopté l'article 346ts, qui conférait à la Confédération la compétence d'introduire l'assurance en cas d'accident et de maladie et de déclarer la participation à ces assurances obligatoire en général ou pour certaines catégories déterminées de citoyens. Le premier projet de loi tendant à déclarer l'assurahce-maladie obligatoire sur l'ensemble du territoire suisse pour de larges couches de la population salariée remonte à l'année 1900; il fut, on s'en souvient, rejeté par le peuple. C'est pourquoi le principe de l'obligation fut abandonné dans la loi (actuellement en vigueur) du 13 juin 1911. En vertu de cette loi, les cantons ont toutefois la faculté de déclarer l'assurance en cas de maladie obligatoire pour certaines catégories de personnes et de créer des
caisses publiques. A l'heure actuelle, l'assurance est obligatoire dans 8 cantons; dans 3 autres, le prinexécutive, c'est-à-dire au Conseil fédéral (art. 125 de la loi d'organisation judiciaire du 16 décembre 1943). Il a estimé, en effet, que les droits à des prestations ne s'accommodaient pas d'un prononcé de l'autorité judiciaire; cette autorité est qualifiée pour constater une violation de la constitution, mais elle ne l'est guère pour décider de l'accomplissement d'une prestation. Les lois d'exécution devraient donc prévoir les voies juridiques ordinaires pour assurer le respect de ces « droits du travail ». Le recours de droit public serait de ce fait sans objet à leur égard, puisque la nouvelle loi fédérale d'organisation judiciaire ne l'admet qu'à défaut d'un autre moyen juridique à disposition (art. 84, 2° al.).

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cipe de l'obligation est limite aux enfants, pu plus exactement aux écoliers p dans 9, le droit d'introduire le principe de l'obligation est délégué aux communes ou à d'autres organismes. Les caisses-maladie ont pris, depuisl'entrée en vigueur de là loi, un essor considérable; le nombre des assurés, a triplé depuis la fin de la première guerre mondiale. Le 31 décembre 1944, on comptait environ 2 436 000 personnes assurées se répartissant entre 1150 caisses reconnues. 38 pour cent de ces assurés avaient droit à la foia au remboursement des frais médicaux et pharmaceutiques et aux indemnités de chômage, 47 pour cent au remboursement des frais médicaux et pharmaceutiques sans plus et 15 pour cent seulement à une indemnité de< chômage.

La revision des dispositions légales sur l'assurance-maladie est à l'étude.

Cette revision tendra ayant tout à appliquer le principe de l'obligation,, sur l'ensemble du territoire suisse, à toutes les personnes de condition, modeste, ainsi qu'à parfaire les prestations d'assurance.

De plus, la loi fédérale du 13 juin 1928 sur la lutte contre la tuberculose a permis d'instituer l'assurance contre la tuberculose. Cette loi autorise le Conseil fédéral à allouer des subsides spéciaux aux caisses-maladie dont les statuts prévoient, pour le traitement et les soins de sociétaires tuberculeux, des prestations qui dépassent les prestations légales d'assurance,, A fin 1944, l'assurance contre la tuberculose englobait environ 1,7 million, de personnes ou 72 pour cent de la totalité des membres des caisses-maladie.

L!assurance-accident, par la loi prérappelée du 13 juin 1911, a été déclarée obligatoire pour les exploitations soumises à la loi fédérale sur le travail dans les fabriques, pour les entreprises de chemin de fer, de bateaux, à vapeur et de la poste, ainsi que pour toutes les autres exploitations et entreprises dont l'activité comporte des risques d'accident. Le principe d& l'obligation s'applique aux accidents d'origine professionnelle, auxquels sont assimilées certaines maladies dues à un travail professionnel. Quantaux accidents d'origine non professionnelle, ils ne sont que facultativement couverts par l'assurance. A fin 1943, plus de 52 000 exploitations et entreprises étaient englobées dans l'assurance-accident; le montant des salairesassurés atteignait 2,87
milliards de francs. Rappelons à ce propos que l'avant-projet d'une loi fédérale sur le travail dans le commerce et les arts et métiers prescrit de mettre dans une mesure suffisante au bénéfice d'une assurance contre les accidents professionnels les travailleurs qui ne sont pas englobés dans l'assurance-accident obligatoire instituée par la loi du 13 juin 1911.

~L'a88urànce-cMmage, en tant qu'elle déborde le domaine des arts et> métiers au sens de l'article Séter, ne pouvait pas jusqu'ici se fonder sur unedisposition expresse de la constitution. La Confédération a dû en conséquence se borner pour l'essentiel à édicter des prescriptions tendant à.

régler l'allocation de subventions et à servir de cadre aux prescription»

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cantonales. Au vu de l'expérience acquise pendant la première guerre mondiale a été édictée la loi fédérale du 17 octobre 1924 concernant l'allocation de subventions pour l'assurance-chômage. Pendant la crise économique qui prit -- on s'en souvient.-- une extension mondiale, cette loi a été complétée par l'arrêté fédéral du 23 décembre 1931 accordant une aide extraordinaire aux chômeurs.

Ainsi que le relatait notre récent rapport sur la demande d'initiative concernant le « droit au travail », environ 533 000 travailleurs étaient, à fin 1945, membres d'une caisse-chômage. La majorité des cantons (15) ont institué le régime de l'assurance obligatoire pour les salariés appartenant à certaines professions; 4 cantons ont délégué aux communes le pouvoir de déclarer l'assurance obligatoire.

L'application de l'aide aux chômeurs dans la gêne, qui a pris la place ·de l'aide extraordinaire aux chômeurs, est abandonnée à la compétence des cantons. C'est une aide dont bénéficient les chômeurs assurés après avoir épuisé leur droit aux prestations de l'assurance, ainsi que les chômeurs qui ne sont pas assurés. A la différence de l'assurance-chômage, l'aide aux ·chômeurs dans la gêne n'entre en jeu, ainsi que l'indique son appellation, ·que lorsqu'il y a état de gêne. Abstraction faite des quelques cantons à caractère agricole prédominant qui n'ont pas encore fait application de cette mesure de secours, on peut dire que tous les chômeurs, qu'ils soient assurés ou non, peuvent actuellement en bénéficier.

Pour asseoir à l'avenir sur une base constitutionnelle suffisamment large la législation à édictèr dans cet important domaine, une disposition a été introduite dans l'article 34 ter des nouveaux articles d'ordre économique, disposition qui donne à la Confédération le pouvoir de légiférer sur l'assurance-chômage et l'aide aux chômeurs. Pour des raisons analogues à celles qui ont prévalu dans l'assurance-maladie, on laissera toutefois comme jusqu'ici aux cantons le droit de déclarer l'assurance-chômage obligatoire et d'instituer des caisses publiques.

La Confédération est également compétente, et cela en vertu de l'article Siquater (qui remonte à l'année 1925), pour instituer Yassurance·uieillesse et survivants. Le projet de loi d'exécution ayant été rejeté par le peuple en l'année 1931, la Confédération a organisé
une aide aux vieillards *t survivants qui devait suppléer temporairement à l'absence de l'assurance.

.Aux termes de l'arrêté fédéral du 13 octobre 1933, elle a, à cet effet, alloué chaque année des subventions aux cantons. Cette aide aux vieillards, veuves et orphelins indigents, dont la réalisation était en principe abandonnée aux cantons dans le cadre des prescriptions fédérales, fut progressivement développée dans les années suivantes. En 1945, la Confédération a payé ·de ce chef, en vertu de nos arrêtés des 24 décembre 1941 et 21 avril 1944, 27 millions de francs en chiffre rond; y sont compris 4 millions qui, en vertu du dernier de ces deux arrêtés, devaient s'additionner d'une allocation égale des cantons.

823

En outre, par arrêté fédéral du 2l juin 1939, fut instituée l'aide aux chômeurs âgés, dont nous avons remanié la réglementation par nos arrêtés des 24 décembre 1941 et 30 novembre 1945, Cette aide est accordée aux personnes qui sont réduites à un chômage prolongé pour des raisons économiques et qui, par suite de l'évolution générale de la situation, ne sont plus que partiellement, voire plus du tout, en état d'être placées. Elle s'intercale entre l'assurance-chômage ordinaire et l'aide aux vieillards comme moyen d'empêcher que les personnes qui entrent ici en cause ne soient réduites à la condition d'assistés dans le sens complet du terme.

En 1944, la Confédération a payé de ce chef 4,3 raillions de francs correspondant à 80 pour cent des prestations cantonales. Aux ternies de notre arrêté du 30 novembre 1945, cette aide est supportée à égalité, dès le 1er janvier 1946, par la Confédération et les cantons.

En mars 1944, les conseils législatifs nous ont, par un vote unanime, donné mandat de leur soumettre un projet de loi sur l'assurance-vieillesse et survivants. Les travaux préliminaires furent immédiatement entrepris.

Ils aboutirent à l'élaboration du projet de loi que nous avons récemment soumis à vos délibérations. Pour hâter la substitution des rentes vieillesse et survivants aux allocations de l'aide aux vieillards, nous avons, par arrêté du 9 octobre 1945, réglé le versement provisoire des rentes (régime transitoire). Pendant cette période intermédiaire, l'aide aux vieillards doit ·être développée et considérablement étendue, grâce à des allocations qui se monteront à 100 minions de francs par année.

L''assurance en cas d'invalidité n'est jusqu'ici réalisée que dans le cadre de la loi sur l'assurance-maladie et accident pour les cas d'invalidité causée par des accidents ou des maladies d'origine professionnelle. Une assurance générale en cas d'invalidité pourra être instituée en vertu de l'article 34 ter, mais seulement après l'entrée en vigueur de l'assurance-vieillesse et survivants.

Depuis le dépôt de la demande d'initiative dont il s'agit, un nouvel article Siquinquies concernant la protection de la famille a été inscrit dans la constitution. Dans notre rapport du 10 octobre 1944 sur la demande d'initiative pour la famille, nous avons donné d'amples explications qui montrent que
les pouvoirs publics se sont préoccupés depuis longtemps de la prospérité de la famille et ont déjà pris, en vertu des dispositions constitutionnelles en vigueur, des mesures fort diverses en faveur de la famille. C'est dire que l'idée de la protection de la famille ne représente, en elle-même, rien de nouveau. La nouvelle disposition constitutionnelle, qui a été acceptée à une grande majorité par le peuple et les cantons le 25 novembre 1945, confère à la Confédération la compétence de légiférer en matière de caisses de compensation familiales, l'autorise à appuyer des mesures pour la construction de logements et la colonisation intérieure et lui prescrit d'instituer l'assurance-maternité.

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Bien dès cantons, notamment des cantons romands, ont fondé de» caisses publiques de compensation pour allocations familiales. Il existe aussi nombre de caisses privées qui ont vu le jour dans le cadre des associations professionnelles. Dans maints cantons, l'adhésion à une caisse privée ou publique est obligatoire. Ces caisses constituent un moyen particulièrement propre à consolider la situation matérielle des familles nombreuses. La Confédération ne saurait évidemment envisager de fonder elle-même de telles caisses. Sa tâche devra se limiter à soutenir et à coordonner les efforts des cantons et des associations professionnelles. S'il le fallait, elle mettrait sur pied une caisse centrale de compensation pour assurer la péréquation des charges des différentes caisses régionales et professionnelles. Dans ce domaine, comme dans celui de l'assurance-maternité, les travaux législatifs préliminaires sont déjà en cours, de sorte que la lacune qui subsiste dans notre législation sociale pourra être comblée dans un avenir prochain.

Quant aux mesures prises en matière de politique sociale pour répondre aux nécessités issues de la guerre, mesures qui portaient, entre autres objets, sur l'assistance, l'atténuation de renchérissement de la vie, l'atténuation de la pénurie de logements, et qui ont également servi à garantir la sécurité des moyens d'existence de larges couches de la population, nous ne nous y arrêterons pas, puisqu'elles avaient un caractère temporaire.

Nous ne saurions toutefois, à ce propos, passer sous silence les régimes des allocations pour perte- de salaire et de gain, institués dans l'intérêt des militaires, car ce fut là.sans doute la mesure la plus vaste qui ait été jusqu'à présent mise en oeuvre par la Confédération pour procurer la sécurité sociale. C'est d'ailleurs pour une bonne part cette mesure qui est à la base du projet de loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants. Pour que cette bienfaisante institution puisse continuer à déployer ses effets en temps de paix, la base constitutionnelle nécessaire a été posée à l'article 34 ter des nouveaux articles d'ordre économique.

Les explications qui précèdent n'ont pas pour but de dresser le tableau complet des assurances sociales de la Suisse en leur état actuel et dans leur évolution. Elles doivent simplement montrer que
les assurances sociales ont atteint en Suisse un niveau remarquable et qu'elles suffisent dans une large mesure à procurer la sécurité contre les aléas de la vie. L'institution et le développement des différentes branches d'assurance ont eu lieu dans notre pays par étapes, au fur et a mesure des besoins sociaux et des possibilités économiques. Les bases constitutionnelles nécessaires à la réalisation, des assurances sociales ont été posées au long de plusieurs dizaines d'années.

Les lois d'exécution se sont suivies au cours des ans, de façon que les lacunes se sont comblées peu à peu. La Confédération s'est vue plus d'une fois devancée par les cantons et les communes, voire par des organismes privés.

Lorsque tel fut le cas, elle a eu soin de conserver les réalisations qui avaient fait leurs preuves et de les incorporer à sa propre législation. C'est la voie

825 qui a été suivie dans l'assurance-maladie et dans l'assurance-chômage. Il «st également tenu compte de ce qui a été fait jusqu'ici dans l'édification ·de l'assurance-vieillesse, qui va couronner l'oeuvre accomplie en Suisse dans le domaine des assurances sociales. Nous avons d'ailleurs fait remarquer, dans notre rapport du 1er avril 1946 sur la vingt-sixième conférence internationale du travail (FF 1946, 785 s.) qu'il ne~ nous est pas possible d'envisager pour le moment une assurance sociale générale, où toutes les branches seraient coordonnées, administrées uniformément et contrôlées.

Avec la souplesse qui le caractérise, le système en vigueur en Suisse laisse une suffisante liberté de mouvement aux cantons et aux particuliers.

·Ce système est approprié à la structure federative de la Confédération suisse, qui doit tenir compte des différences dé conceptions et d'habitudes, parfois profondes, entre la ville et la campagne, les régions de montagne et la plaine, ainsi qu'entre la Suisse allemande et la Suisse romande. C'est pourquoi également nous tenons pour impossible d'adapter à nôtre pays le plan Beveridge, qui prévoit des primes et des prestations d'assurance largement centralisées. La méthode que nous avons suivie jusqu'ici dans l'organisation et le développement de nos institutions sociales -- méthode qui procède par étapes -- nous paraît mieux répondre à nos nécessités.

Cette méthode s'est révélée satisfaisante, à telle enseigne que nos institutions peuvent nettement soutenir la comparaison avec les institutions similaires de l'étranger. Grâce à cette marche graduelle, tout progrès qui se réalise chez nous en politique sociale passe d'abord parle creuset populaire.

Cette marche nous paraît la bonne; c'est celle que nous continuerons à suivre. L'évolution ne s'est d'ailleurs pas arrêtée pendant la guerre; au contraire,* les événements lui ont imprimé une forte impulsion, même si l'on fait abstraction des mesures nécessitées par les contingences de l'heure, libre aux auteurs de l'initiative, s'ils veulent le développement et l'amélioration de notre système actuel d'assurances sociales, de faire valoir leurs desiderata devant le parlement par la voie ordinaire. Mais une revision constitutionnelle n'est pas nécessaire à cet effet, puisque la Confédération -- ainsi que nous l'avons montré
-- possède depuis des années déjà la compétence législative et que les lacunes qui restent à combler dans la constitution le seront par l'adoption des nouveaux articles d'ordre économique.

S. Remarques relatives à la disposition n° 5: «Le droit au travail et la juste rémunération du travail sont garantis ».

a. Le droit au travail forme l'objet d'une demande d'initiative déposée à la chancellerie fédérale le 6 mai 1943 par l'alliance des indépendants. Du moment que nous vous avons déjà soumis un rapport sur cette initiative, nous pouvons ici traiter le sujet brièvement. D'après leur commentaire, les auteurs de l'initiative présentement en cause visent apparemment moins l'inscription d'un nouveau droit individuel dans la constitution que la solution à donner au problème du chômage « par une intervention dèli-

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bérée de l'Etat ». Le droit au travail -- toujours d'après le commentaire -- fait à l'Etat une obligation de créer des occasions de travail en cas de besoin.

Mais ceci ne devrait être envisagé que comme un palliatif nécessaire dan» le régime actuel. Une fois la réforme économique opérée, il n'y aurait plus besoin d'y recourir, si ce n'est d'une façon accidentelle et passagère.

Les auteurs de l'initiative montrent ainsi clairement que leur but est une transformation radicale de notre régime économique, us se rendent compte qu'un droit au travail au vrai sens du terme est irréalisable dans la structure économique actuelle. Sur ce point, ils sont plus conséquents que l'alliance des indépendants, laquelle voudrait créer le droit au travail tout en maintenant la liberté économique.

Qu'on exige de l'Etat qu'il procure à tout citoyen pouvant et voulant travailler la possibilité de trouver un emploi lui permettant de vivre décemment, ainsi que de fonder un foyer et d'élever des enfants, c'est assurément une exigence d'ordre élémentaire. Aucun Etat ne peut s'y soustraire sans compromettre sa propre existence. Mais cette exigence ne saurait être envisagée que comme un objectif de politique économique. Dès l'instant où elle tend à imposer à l'Etat une obligation légale et à conférer au citoyen un droit positif au travail et à la sécurité matérielle, elle suppose que l'Etat décharge le citoyen de la responsabilité qui lui incombe en dernier ressort de pourvoir lui-même à son entretien et qu'il prend en main toute l'économie nationale. Pour ce faire, il faudrait que l'Etat disposât non seulement des moyens de production, mais encore de toutes les forces de travail. Cela n'irait pas sans la nécessité de sacrifier aussi bien la liberté du commerce et de l'industrie que la liberté du travail. Or, c'est précisément ce que ne veulent pas la majorité des travailleurs. Ce qu'ils veulent, ce sont des salaires suffisants, une plus grande marge de loisirs, des vacances payées, et le droit de participer à la gestion de l'entreprise; mais précisément parce qu'ils se considèrent comme de libres citoyens, ils doivent disposer euxmêmes de leur force de travail. Ils veulent choisir librement leur profession et être libres de passer selon leurs possibilités d'un lieu de travail à un autre.

Tout cela ne peut se faire que
dans une économie foncièrement libre. H en découle immédiatement pour le travailleur un certain risque, que l'Etat peut atténuer, mais non pas écarter entièrement. Indirectement par sa politique économique et directement par des mesures destinées à procurer de l'ouvrage, l'Etat peut tâcher d'assurer des possibilités de travail en suffisance, mais il ne saurait garantir à chacun son emploi et ses moyens d'existence en dépit de toutes les circonstances contraires.

b. Pour ce qui est de la juste rémunération du travail que la Confédération aurait à garantir conjointement avec le droit au travail, la conception que s'en font les milieux dont émane l'initiative est mise en lumière par les passages qui sont consacrés à ce sujet dans l'appel lancé au peuple suisse sous le nom de « La Suisse nouvelle ». Selon cet appel, un office fédéral

827 des salaires aurait à fixer des salaires minimums pour l'ensemble du pays et pour chaque métier. Un fonds de solidarité nationale groupant toutes les entreprises pourvoirait à la compensation des salaires et des charges sociales entre les différentes branches économiques et entre les différentes entreprises. Ce fonds serait alimenté par les excédents obtenus par les entreprises privées ou publiques dont le bénéfice net dépasserait un montant déterminé.

Les autorités fédérales ont constamment voué la plus grande attention à l'évolution des salaires, notamment pendant les années de guerre. Rappelons.

ici l'activité de la commission consultative pour les questions de salaires, dont les directives ont largement passé dans la pratique et ont sans doute pour beaucoup contribué à assurer aux travailleurs un équitable ajustement des salaires au coût de la vie. D'autre part, des développements et dea perfectionnements ont été apportés à la statistique des salaires. En outre, partout où la nécessité s'en faisait sentir, la Confédération a affecté de& sommes élevées à des mesures tendant à venir en aide aux catégories les, moins favorisées de la population et à réduire à leur benèfice le coût de la* vie. En revanche, les cas exceptionnels mis à part, nous nous sommes toujours abstenus d'agir directement sur la fixation des prix parce que pareille intervention eût été incompatible avec la nature de notre régime économique.

Aussi nous sommes-nous opposés à l'institution d'offices des salaires ayant qualité pour fixer les salaires, ainsi que le demandait, par exemple, le postulat Baumgartner du 21 septembre 1942. La détermination des salaires doit demeurer en principe subordonnée au libre accord des employeurs et de» travailleurs. La Confédération s'est bornée à donner force obligatoire générale aux contrats collectifs contenant des tarifs de salaires librement débattus par les parties. Elle n'a fixé des salaires minimums qu'exceptionnellement, là où une circonstance particulière le justifiait, telle que dan& le travail à domicile.

Nous croyons que le peuple suisse, dans sa grande majorité, ne désire pas non plus que les salaires soient fixés par décision de l'autorité. Sans doute préfère-t-on, surtout dans les milieux syndicalistes, traiter directement d'égal à égal avec les patrons, plutôt que de devoir
se soumettre à un ukase de l'Etat qui ne saurait guère se concilier avec le droit de faire grève.

Ces questions de principe mises à part, l'obligation qu'auraient les autorités de déterminer le « juste salaire » les placerait devant un problème quasiment insoluble. Elle donnerait lieu à des divergences de vues qui ne pourraient en définitive être dissipées que par un prononcé impératif d& l'office des salaires.

4, Remarques relatives à la disposition n° 6: «Le travail doit être protégé dans toutes les branches de l'économie ».

Pour ce qui est de la protection des travailleurs, la Confédération, d'après les dispositions actuelles de la constitution, a le droit de statuer

«28 ·des prescriptions uniformes sur le travail des enfants dans les fabriques, sur la durée du travail qui pourra y être imposé aux adultes, ainsi que sur la protection à accorder aux ouvriers contre l'exercice des industries insalubres et dangereuses (art. 34 Cst.). En outre, par l'article 34
La protection des travailleurs pe saurait plus se suffire de dispositions légales portant sur la durée du travail, le contrat de travail, les salaires et les conditions d'hygiène, telles qu'elles furent introduites par la loi fédérale de 1877 sur les fabriques, puis développées par nombre de lois postérieures.

·Cette phase de l'évolution est maintenant dépassée. Le droit du travail .a subi ces dernières années des transformations profondes que la constitution ne peut plus ignorer. Qu'on songe seulement a la paix du travail, au contrat collectif de travail, à la déclaration conférant force obligatoire générale à ce contrat, ainsi qu'à la communauté d'entreprise et à la communauté professionnelle. Toute l'évolution actuelle tend à donner aux rapports entre employeurs et travailleurs une structure nouvelle qui affermira et renforcera la position du travailleur dans l'exploitation. Si ce
désir de voir placer les classes laborieuses au centre de l'armature économique n'est ^>às entièrement nouveau et avait déjà été exprimé avant la guerre, c'est seulement au cours de ces dernières années que ces idées ont trouvé une puissante résonance, par suite des efforts incessants, qui ont été exigés des travailleurs de toutes catégories dans les pays belligérants. C'est ce qui leur a donné cette large créance qui est nécessaire à l'élaboration d'institutions juridiques nouvelles.

Dans sa teneur originaire du 21 septembre 1939, l'article 34ter des nouvelles dispositions constitutionnelles d'ordre économique conférait à la Confédération le droit de légiférer « sur la protection des travailleurs, le service de placement, l'assurance-chômage, ainsi que sur la formation professionnelle dans le commerce, l'industrie et les arts et métiers ». Dans sa teneur définitive du 4 avril 1946, l'article 34£er s'attache au contraire

829 à répondre aux tendances qui se font maintenant jour dans la législation du travail. La Confédération aura dès lors le droit de légiférer: a. Sur la protection des employés et ouvriers; b. Sur les rapports entro employeurs et employés ou ouvriers, notamment sur la réglementation en commun des questions intéressant l'entreprise et la profession; c. Sur la force obligatoire générale de contrats collectifs de travail ou d'autres accords entre associations d'employeurs et d'employés ou ouvriers en vue de favoriser la paix du travail; d. Sur une compensation appropriée du salaire ou du gain perdu par suite du service militaire; e. Sur le service de placement; /. Sur l'assurance-chômage et l'aide aux chômeurs; g. Sur la formation professionnelle dans l'industrie, les arts et métiers, le commerce, l'agriculture et le service de maison.

Ainsi que le montre ce parallèle, le nouvel article 34 fer offre, pour l'édification d'un nouveau droit du travail, une base bien plus large que les quelques mots qui forment la disposition n° 6 de l'initiative.

5. Remarques relatives à la disposition n° 7 : « En vue d'assurer l'application de ces principes et d'empêcher les crises et le chômage, la Confédération édictera des dispositions, en particulier au sujet de la coopération de l'Etat et de l'économie ».

Ce point de l'initiative correspond à l'article Slquinquies des nouvelles dispositions constitutionnelles d'ordre économique. L'article Slquinquies prévoit, en effet, que la Confédération prendra, conjointement avec les cantons et l'économie privée, des mesures tendant à prévenir des crises économiques et, au besoin, à combattre le chômage. Elle édictera des dispositions sur les moyens de procurer du travail. En formulant cette disposition, les conseils législatifs ont eu soin de tenir compte des deux initiatives en instance. A vrai dire, la disposition n° 7 dont il s'agit diffère de l'article 'olquinquies -- et cette différence est fondamentale -- en ce qu'elle laisse la Confédération absolument libre de décider des mesures à prendre, sans tenir compte ni de la liberté du commerce et de l'industrie ni des prérogatives des cantons. Au contraire, l'article 31 quinquies limite la compétence législative de la Confédération aus mesures se conciliant avec les autres dispositions constitutionnelles.

Sur les possibilités
dont dispose la Confédération, en vertu de l'article Slquinquies, de prendre des mesures pour prévenir des crises économiques et combattre le chômage, qu'il nous soit permis de renvoyer aux amples explications que nous avons données à ce sujet dans notre rapport sur la demande d'initiative déposée par l'alliance des indépendants.

Feuille federale, 98e année. Vol. III.

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IV. A PROPOS DE SOCIALISATION 1. L'économie planifiée, préconisée par les auteurs de l'initiative, implique l'appropriation par la collectivité de certaines positions-clé de l'économie.

L'énoncé fort vague et imprécis des dispositions n08 l et 2 de l'initiative permettrait sans doute de transférer à la collectivité les moyens de production qui sont encore en mains privées. Il pourrait s'agir là d'étatisation au sens strict, c'est-à-dire de la translation à l'Etat de la propriété sur les moyens de production, comme aussi de l'organisation de la production et de la répartition du revenu sous la surveillance de la collectivité, c'est-à-dire de socialisation ou, comme on dit aujourd'hui, de nationalisation de l'économie. Il serait également concevable de confier à des sociétés coopératives l'exploitation des branches socialisées. « La Suisse nouvelle » laisse la voie ouverte à toutes ces solutions. Elle prévoit, par exemple, que les industries du secteur public seront exploitées, selon les circonstances, sous forme d'entreprises fédérales, cantonales ou communales, sous forme de corporations autonomes de droit public ou de coopératives. Sans doute l'Etat exercerait-il, dans le cadre de l'économie planifiée, une influence déterminante sur ces coopératives. Il ne pourrait pas, sans se détourner de son but, leur accorder la liberté dont jouit chacun en régime de libéralisme économique. C'est dire que l'organisation coopérative de l'économie se ramène au fond, en régime d'économie planifiée, à une variété de socialisation.

H en est tout autrement des coopératives, qui se constituent sur la base du droit privé et déploient leur activité comme entités de l'économie privée. Les sociétés coopératives, c'est-à-dire les réunions de personnes organisées corporativement, qui ont pour objet de favoriser, par une action commune, les intérêts économiques de leurs adhérents (art. 828 CO), se substituent, il est vrai, à l'entreprise à but lucratif, où l'exploitant travaille à son compte et à ses risques, pour la remplacer par une entreprise à but coopératif, autrement dit une entreprise « de service ». Elles ne poursuivent pas un but lucratif au sens propre du terme, mais emploient leurs bénéfices dans l'intérêt de leurs membres, soit qu'elles les répartissent entre eux, soit qu'elles les fassent servir à abaisser
les prix ou à d'autres avantages, soit qu'elles les affectent au renforcement de l'entreprise commune. Vues sous cet angle, les sociétés coopératives peuvent aussi être considérées comme une forme d'entreprise collective. Elles n'en demeurent pas moins des entités du droit privé qui échappent, comme telles, à la conduite centrale que se réserve l'Etat dans l'économie planifiée.

Nous exposerons brièvement ci-après (chiffres 3 et 4) quelle est aujourd'hui la portion de l'économie suisse qui appartient respectivement au secteur public et au secteur coopératif. On constatera, à la lecture de nos explications, que la sphère collective a pris une place considérable dans notre régime économique à base libérale. Cela ressort à l'évidence d'une comparaison avec l'étranger. Jetons donc d'abord un coup d'oeu sur les

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efforts accomplis à l'étranger en matière de socialisation; c'est d'autant plus indiqué que ces efforts nous sont souvent présentés comme un exemple dont il faudrait absolument s'inspirer (chiffre 2).

2. Jusqu'à la première guerre mondiale, la socialisation avait uniquement fait l'objet d'études théoriques. Elle n'a commencé à pénétrer dans le domaine de la réalisation que sous la poussée des transformations économiques et sociales entraînées par la première guerre mondiale. Si nous faisons abstraction de la Russie, qui a nettement rompu avec le passé en s'engageant dans un régime collectiviste, nous relevons en Allemagne et en Autriche un acheminement vers la socialisation qui n'alla toutefois pas au delà de la constitution de commissions et de la promulgation de lois restées lettre morte. C'est seulement après la seconde guerre mondiale qu'une impulsion nouvelle a été donnée à l'idée de socialisation, faisant passer d'importantes branches économiques sous le pouvoir de la collectivité et, qui plus est, étendant l'empire de l'économie planifiée en dehors même des territoires qui subissent l'influence russe et où est projeté, voire réalisé, un étatisme massif; des efforts de socialisation sont à l'oeuvre dans de nombreux pays de l'occident européen.

En Angleterre, peu de temps après la victoire du parti travailliste, s'effectua la nationalisation de la banque d'Angleterre, cependant qu'était abordée la nationalisation des mines de charbon. Le programme des nationalisations porte encore sur l'aviation civile, le service télégraphique, los industries de l'électricité et du gaz, les chemins de fer, ainsi que les branches connexes de la navigation intérieure et de l'exploitation des ports maritimes.

D'une récente déclaration du gouvernement, il ressort que bon nombre des aciéries seront également englobées dans le programme des nationalisations. En revanche, il n'est pas prévu de nationaliser les transports maritimes et les assurances.

En France, l'Etat a nationalisé, en 1944 déjà, les usines Renault et les charbonnages du nord. En décembre 1945 fut promulguée une loi sur la nationalisation de la banque de France et des grandes banques françaises, ainsi que sur l'organisation du crédit. Tandis que les quatre principales banques de dépôts devenaient ainsi, en même temps que la banque de France,
propriété de la collectivité, les banques commerciales étaient soumises à un contrôle étendu. En outre, un projet a été établi qui tend à la nationalisation des industries de l'électricité et du gaz.

La mainmise de l'Etat est allée bien plus loin dans les pays de l'est européen. En Yougoslavie a été dressé un plan de socialisation qui ne laisse en mains privées que la petite propriété rurale, l'artisanat et le petit commerce. En Hongrie, l'économie collective s'étend aux mines de charbon, ainsi qu'aux entreprises d'extraction d'huile minérale et de bauxite. En outre, il est prévu de placer sous gestion officielle, pour une durée de cinq ans, c'est-à-dire pour aussi longtemps que la Hongrie aura à s'acquitterde réparations, les trois grands cartels de l'industrie du fer et des machines.

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En Tchécoslovaquie, l'économie collective englobe non seulement les mines et les sources diverses d'énergie, mais encore des portions considérables des branches métallurgiques, chimiques et textiles, ainsi qu'une bonne partie des industries de transformation et des industries alimentaires. En Pologne aussi, une loi du début de cette année prévoyait la translation à l'Etat de la propriété des principales branches de l'économie nationale. Cette loi s'appliquera aux grandes entreprises, lesquelles seront exploitées soit par l'Etat en régie directe, soit par un organisme public de caractère autonome ou par une coopérative. En même temps a été édictée une loi tendant à favoriser l'introduction d'industries nouvelles, ainsi que l'initiative privée dans l'artisanat et le commerce.

Bien plus réservés sont les plans de socialisation des Etats nordiques.

Ainsi, en Norvège, on envisage avant tout de transférer à l'Etat les entreprises de transport, notamment la navigation côtière. Au contraire, la navigation maritime, qui avait été organisée pendant la guerre comme service public, a déjà fait retour aux armateurs privés. Récemment, le parlement a été appelé à envisager la nationalisation de l'industrie productrice des métaux légers. Il en est de même en Suède, où des commissions diverses ont été instituées par le gouvernement à l'effet de se prononcer sur la possibilité et l'opportunité de socialiser certaines branches économiques.

En Autriche aussi il se manifeste actuellement un vaste mouvement en faveur de la socialisation. En revanche, ni le Danemark, ni la Belgique n'ont encore rien fait connaître ayant rapport à des projets de socialisation.

Les mesures prises à l'étranger en matière de socialisation procèdent de considérations diverses qui n'ont pas d'emblée pour la Suisse une valeur déterminante. Il va de soi que, dans des pays gravement éprouvés par la guerre et l'occupation, l'économie doit être soumise à un contrôle sévère pour assurer la production des objets les plus indispensables à l'industrie et à la consommation domestique. Dans certains cas, la socialisation revêtait le caractère d'une pénalité ou d'une réparation. Ainsi en fut-il, par exemple, de l'étatisation sans droit à indemnité des usines Renault et de l'expropriation des entreprises polonaises qui avaient été la propriété de
ressortissants allemands. La plupart de ces ingérences étatistes procèdent de considérations déterminées qui s'inspirent d'un plan d'organisation économique tendant à accroître, dans l'intérêt de la collectivité, l'influence de l'Etat sur la vie économique. Il se peut aussi que des raisons politiques ne soient pas étrangères à l'amplitude et à la cadence de ces interventions.

Il est vrai que, en France et en Angleterre, des programmes d'assez grande envergure ont été élaborés en matière de nationalisation, mais ils n'ont jusqu'ici été mis à exécution que dans une mesure restreinte. Pour ce qui est de la nationalisation des charbonnages anglais, l'on a surtout fait valoir que ce serait là le seul moyen de moderniser une importante branche de la production qui a perdu sa capacité de concurrence parce qu'elle s'est

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laissée devancer par les progrès de la technique. A cette fin, une somme de 150 millions de livres sterling (environ 2,5 milliards de francs suisses) doit être affectée au rééquipement des mines au cours des cinq années qui suivront leur transfert à la collectivité. Une somme de cette importance ne saurait guère être fournie par l'économie privée; elle ne peut l'être que par l'Etat. Des considérations analogues sont mises en avant pour la socialisation des industries françaises de l'électricité et du gaz. Les entreprises productrices et distributrices d'électricité et de gaz sont loin d'avoir progressé, eri France, à proportion de la consommation. Elles sont donc encore susceptibles de développements considérables qui s'opéreront par voie dé socialisation.

Reste à voir si toute cette ingérence de l'Etat dans l'économie donnera les résultats escomptés. De toute façon, nous n'avons aucune raison à voir dans ces plans d'autres pays une indication pour la marche à suivre en Suisse; d'autant moins que l'économie collective a déjà atteint chez nous -- nous le montrerons ci-après -- un développement remarquable.

3, L'économie collective s'est développée en Suisse bien avant et sur une bien plus grande échelle que dans maints autres pays; et il s'agit là de branches d'activité de première importance. Significative est, à ce sujet, l'extension prise dans notre pays par les collectivités de droit public et les organismes similaires qui se livrent à des opérations bancaires (banque nationale, caisse fédérale de prêts, banques cantonales et de nombreuses caisses d'épargne appartenant à des communes et à des institutions d'utilité publique). Particulièrement importante est aussi la place qu'occupé l'économie collective dans le service des communications et des transports (postes, télégraphes et téléphones, chemins de fer, tramways), ainsi que dans l'approvisionnement en électricité, gaz et eau. A quoi s'ajoutent l'économie forestière, la régale du sel et la régie des alcools, ainsi qu'une partie notable des assurances (assurance des immeubles, assurance mobilière et les diverses branches des assurances sociales). Ce ne sont là d'ailleurs que les principaux secteurs de l'économie collective au sens strict.

Bien que l'opinion ne soit pas systématiquement opposée à l'économie collective, l'industrie proprement
dite est restée en dehors de sa sphère, pour des raisons inhérentes à la structure particulière de l'économie suisse.

Etant donnée la pauvreté de son sous-sol, la Suisse ne pouvait trouver des possibilités de développement économique que dans l'expansion des industries de transformation au sens propre du terme. Ces industries comprennent en général des entreprises de moindre grandeur que les industries de base. C'est ce qui explique que l'organisme industriel suisse compte un grand nombre d'entreprises de faible importance qui ne se prêteraient guère à une exploitation collective. La seule matière première que la Suisse ait en grande quantité est l'énergie hydro-électrique. Or, ainsi qu'il a déjà été dit, l'économie collective occupe ici une grande place. Il n'est guère de pays où elle joue un rôle aussi important.

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Grâce à l'activité considérable qu3 déploient les pouvoirs publics dans le domaine bancaire, grâce aussi à la nationalisation des chemins de fer et au développement des entreprises publiques d'électricité, l'Etat détient des positions-clé essentielles pour la vie économique du pays. Remarquons à ce propos que, depuis quelques dizaines d'années, apparaissent de plus en plus, à côté des entreprises communales et cantonales, des entreprises fédérales, intercantonales et mixtes.

Voici, à grands traits, comment se présente, dans les différents secteurs, l'importance de l'économie collective et son extension progressive. Dans le secteur de la banque, mentionnons tout d'abord la banque nationale, dont les actions sont dans la proportion de 54 pour cent la propriété des cantons et des banques cantonales. Ce fait et aussi la compétence étendue dévolue à la Confédération relativement à la surveillance et à la gestion de notre établissement d'émission -- ainsi, la Confédération nomme 25 des 40 membres du conseil de banque --- réduisent sensiblement l'influence que peuvent exercer les actionnaires privés. A preuve que le bénéfice de la dévaluation fut attribué entièrement à la Confédération et aux cantons, sans que les actionnaires privés aient trouvé quoi que ce soit à y redire.

A côté de la banque nationale, les banques cantonales, qui sont presque toutes des organismes d'Etat, occupent la première place dans notre système bancaire. Si l'on y ajoute les établissements communaux de crédit et si l'on tient compte du fait que la Confédération, les cantons et les communes ont fourni partie du capital de 21 banques privées (par ex., la Confédération possède plus de la moitié du capital social de la banque populaire suisse), on arrive à la constatation que l'influence des pouvoirs publics, d'après les données statistiques de 1944, s'étend sur 51,9 pour cent des fonds étrangers et 51,4 pour cent du total du bilan des établissements soumis à la loi fédérale sur les banques. Si les banques dont il s'agit ici limitent presque toutes leur cbamp d'activité en laissant dans une large mesure aux établissements privés les risques de perte que comporte le financement d.e l'économie, par exemple le commerce extérieur, elles le font avant tout afin de protéger les capitaux qui leur sont confiés (par ex., les dépôts
d'épargne). Il convient de remarquer, en outre, que la caisse de prêts de la Confédération, ainsi que les centrales des lettres de gage des banques cantonales et des établissements du crédit hypothécaire, reposent sur des dispositions particulières du droit fédéral et que la loi sur les banques du 8 novembre 1934 ne laisse pas d'influencer indirectement toute l'activité bancaire.

L'activité qu'exercent les organismes publics dans le secteur des communications et transports est si apparente qu'il est inutile de s'y arrêter, Les postes, télégraphes et téléphones, ainsi que la plupart des grandes lignes de chemins de fer, ont passé depuis des dizaines d'années aux mains de la Confédération. Indépendamment des chemins de fer fédéraux, il y a aussi les entreprises mixtes ou privées (dont les plus importantes sont la compagnie

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du chemin de fer du Lötschberg, les chemins de fer rhétiques et les chemins de fer du lac de Constance et du Toggenbourg) qui, à raison de la participation prépondérante des cantons et des communes intéressés à la constitution de leur capital, ont réellement le caractère d'entreprises d'Etat.

Quant aux lignes de tramways, omnibus et trolleybus des villes, si presque toutes avaient été à l'origine financées et exploitées par des compagnies privées, elles sont maintenant en majeure partie des entreprises communales ou des entreprises mixtes sur lesquelles les communes exercent une influence déterminante à raison de leur participation financière. Les tramways exploités par des communes (Bàie, Berne, Bienne, Lugano, Lucerne, St-Gall, Schaffhouse, Winterthour, Zurich) englobent à peu près trois quarts de l'ensemble du trafic des tramways de la Suisse. -- Dans le même ordre d'idées, rappelons encore la participation de l'Etat, et le pouvoir qu'il exerce, dans les secteurs de la navigation intérieure et de la navigation aérienne. Ainsi, la Confédération a non seulement accordé des subventions pour l'agrandissement des installations du port de Baie, mais a également participé à la constitution de la compagnie bâloise de navigation S. A.

En ce qui concerne la navigation aérienne, l'Etat s'est jusqu'ici borné, surtout par l'allocation de subventions, à favoriser dans l'intérêt général le développement de ce mode de transport. L'aide financière de la ConT fédération en faveur de l'aménagement des aérodromes civils a fait l'objet de nouvelles dispositions légales édictées par arrêtés fédéraux des 22 juin 1945 et 13 juin 1946, En vertu de l'article 37 ter de la constitution, qui confère à la Confédération le droit de légiférer sur la navigation aérienne, la Confédération peut influer sur la structure que doit recevoir le trafic aérien suisse, et non seulement en établissant un programme pour l'aménagement d'aérodromes. Ainsi que le relevait notre message du 13 février 1945 sur le développement des aérodromes civils (FF 1945, I, 173), elle peut également, si elle estime que la navigation aérienne est une nécessité pour l'Etat, l'exploiter elle-même ou veiller, par le moyen d'une participation .financière, à ce que son exercice rapporte le plus d'avantages possible à la collectivité. Des préparatifs sont
actuellement en cours en vue de grouper en une seule société nationale, avec la participation de la Confédération et des cantons, les entreprises suisses d'aviation.

En Suisse, la plus grande partie de l'énergie électrique est produite au moyen des forces hydrauliques. La Confédération et les cantons exercent de ce fait une influence indirecte sur l'économie électrique et l'utilisation des forces hydrauliques en délivrant les concessions, conformément à la constitution fédérale (art. 2-ibis). Les pouvoirs publics jouent, d'autre part, un rôle direct dans la production et la fourniture d'énergie électrique en créant eux-mêmes des entreprises électriques ou en y engageant des capitaux.

Les entreprises communales se sont développées les premières. On en compte aujourd'hui six cents environ, qui approvisionnent plus de la moitié de la population suisse. Dans la suite, les grandes entreprises canto-

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nales ou intercantonales ont pris un essor considérable (nous citerons 'à .titre d'exemple, les entreprises électriques fribourgeoises, les forces motrices bernoises, les «St-Gallisch-Appenzellischen Kraftwerke », les forces motriefes du nord-est suisse, l'énergie électrique de l'ouest-suissé. En outre, les chemins de fer fédéraux possèdent leurs propres usines (Ritom, Amsteg, Göschenen, Vernayaz, Barberine, Trient et Wasserboden). Par conséquent, l'électricité elle-même, -- l'une de nos matières premières les plus importantes -- est soumise dans une mesure déterminante à l'influence des pouvoirs publics ; les entreprises dépendant des pouvoirs publics assurent l'approvisionnement en énergie électrique des trois quarts de la population. 70 pour cent des capitaux engagés dans les usines électriques qui alimentent la collectivité ont été fournis par les pouvoirs publics (en 1943: 693 millions de francs sur un total de 1118 millions). Au début, notamment, les entreprises privées ont accompli un magnifique travail de pionnier. Actuellement, elles consacrent leur activité moins à l'approvisionnement (leurs livraisons se bornent à 13% de la population) qu'à la production (destinée en général à couvrir leurs propres besoins comme dans le cas des entreprises électrochimiques) et à l'exportation d'énergie électrique. : Les usines à gaz -- dont la création est due essentiellement à l'initiative privée -- ont passé peu à peu aux mains des communes. On peut considérer qu'elles sont aujourd'hui sous contrôle public; ce sont en effet des entreprises communales qui assurent 90 pour cent de la production du gaz. L'approvisionnement en eau est presque entièrement l'affaire de communes. On rencontre quelques entreprises privées à la campagne.

Elles ont en général une base communautaire.

Nous mentionnerons aussi l'encouragement, surtout au cours des dernières années, de la construction de logements au moyen de subventions des pouvoirs publics. Alors que, immédiatement avant la guerre, à peu près 100 pour cent des nouveaux logements étaient bâtis sans l'aide des pouvoirs publics, le nombre des constructions subventionnées atteignait déjà, en 1945, 64 pour cent. Sous l'influence du renchérissement des frais de construction, ce chiffre tend à augmenter considérablement. Les dépenses des pouvoirs publics ne cessent
par conséquent de s'accroître. Pendant la seule année 1946, les subventions allouées par la Confédération, les cantons et les communes sont évaluées à une somme de 80 à 100 millions de francs.

L'intervention de l'Etat est importante dans tout ce qui a trait à l'exploitation du sol et du sous-sol, notamment dans le domaine de la sylviculture. Sur 1 004 000 hectares de forêts, 720 000 environ -- soit 72% -- sont aux mains des pouvoirs publics (67% sont la propriété de communes ou d'autres collectivités de droit public). D'autre part, l'approvisionnement en sel de la Suisse est assuré par une entreprise publique intercantonalé, les « Vereinigte Schweizerischen Rheinsalinen », dont les actions sont la propriété exclusive des cantons. Le canton de Vaud fait seul exception en

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confiant à la société concessionnaire des mines et sab'nee de Bex la tâche de pourvoir à sa consommation. Les cantons ont ainsi rattaché à leur monopole très ancien du commerce du sel le droit exclusif d'extraire te sel.

·Nous ferons mention encore de la législation fédérale sur les alcools (art. 326ia, 32fej- et SZqvater Cst; loi fédérale du 21 janvier 1932 sur l'alcool), dont le but ne consiste pas seulement à diminuer la consommation de l'alcool, mais aussi à mettre en valeur, d'une manière judicieuse, la récolte des fruits et des pommes de terre.

L'intervention de l'Etat est également considérable en matière d'assurance. Outre les assurances sociales (assurance maladie et accidents, assurance-chômage, assurance-vieillesse, invalidité et survivants) que nous avons traitées au chapitre III, il existe 18 établissements cantonaux d'assurance contre l'incendie et même, dans quelques cantons (Unterwaldle-Bas, Glaris et Vaud), une assurance mobilière de l'Etat, Nous mentionnerons aussi le contrôle que l'Etat exerce dans le domaine de l'assurance privée en vertu de la loi fédérale du 25 juin 1885 concernant la surveillance des entreprises privées en matière d'assurance.

Ce bref aperçu donne une idée du développement constant de notre économie publique, dont -le champ d'activité s'est étendu, au cours des dix dernières années, aux domaines les plus divers, à tel point que l'on n'y prête même plus d'attention, tant l'intervention de l'Etat paraît aujourd'hui naturelle. Cette évolution -- qui n'est sans doute pas encore achevée -- A contribué non seulement à établir un heureux équilibre entre l'économie publique et l'économie privée mais aussi à répartir rationnellement les tâches qui incombent à la Confédération, aux cantons et aux communes. Ces dernières exploitent de préférence les entreprises dont l'intérêt se borne au territoire communal (usines à gaz, usines hydrauliques, usines électriques de caractère local, services de tramways, caisses d'épargne locales) ; en revanche, la Confédération et les cantons exercent leur activité dans les domaines de la banque, des transports et de l'économie électrique qui dépassent l'intérêt purement local.

Les formes que revêtent les entreprises publiques sont tout aussi variées.

Outre les entreprises administrées directement par les pouvoirs publics et les
entreprises publiques autonomes, il existe aussi des entreprises publiques organisées d'après les règles du droit civil et des entreprises mixtes.

Le nouveau droit des obligations tient compte de l'importance croissante qu'est appelée à prendre l'économie publique. Ainsi, lorsqu'une collectivité de droit public, telle que la Confédération, un canton, un district ou une commune, a un intérêt public dans une entreprise revêtant la forme d'une société anonyme ou d'une société coopérative, les statuts peuvent lui conférer le droit de déléguer des représentants dans les organes de l'administration et du contrôle, même si elle n'est pas actionnaire (cf. art. 762 et 926 CO). D'autre part, les dispositions concernant les sociétés anonymes ne sont pas applicables, sous certaines conditions, aux sociétés

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ou établissements tels que banques, caisses d'assurance, entreprises électriques créées par des lois cantonales spéciales, encore que la totalité ou .une fraction du capital soit divisée en actions et fournie par des particuliers (art. 763 CO). Ces dispositions font ressortir combien le droit privé lui-même tient compte des intérêts de l'économie publique pour en favoriser l'essor.

Pour résumer notre pensée, nous dirons que les pays dont la situation présente une certaine analogie avec la Suisse sont loin de posséder un régime économique comportant une intervention de l'Etat aussi poussée que chez nous. Il ne pourrait être question de confier à la collectivité de nouvelles branches de notre économie sans que l'intérêt général l'exige absolument.

Il faudrait commencer par établir, dans chaque cas, la nécessité de cette opération en apportant la preuve que l'économie privée n'est pas capable --ou ne l'est pas suffisamment -- de satisfaire les besoins de la population.

Les promoteurs de l'initiative n'ont pas cherché à démontrer la nécessité de confier à l'Etat telle ou telle branche de notre économie. Ils se bornent à réclamer des mesures de nationalisation en invoquant une théorie d'après laquelle il ne serait possible de remédier à certaines défaillances de notre système économique qu'en abolissant le système tout entier.

Nous ne saurions en aucun cas nous prêter à un jeu qui tendrait à donner à la Confédération une sorte de blanc-seing lui permettant de prendre n'importe quelle mesure de socialisation. La portée de l'initiative dépasse de beaucoup à cet égard les mesures prises à l'étranger où les catégories d'entreprises à nationaliser ont été nettement définies. Le commentaire de l'initiative donne l'impression qu'il ne s'agira tout d'abord que de la nationalisation des grandes banques, des compagnies d'assurance et de la grande industrie. Pour apprécier la portée de l'article constitutionnel, il ne s'agit cependant pas simplement de savon- ce que dit ce commentaire. En effet, nous l'avons répété maintes fois, ce qu'il importe de considérer, c'est la portée effective des dispositions contenues dans l'initiative et non les intentions que ses auteurs ont eues ou qu'ils prétendent avoir. Or, en invoquant les chiffres 1 et 2 de l'initiative, la Confédération pourrait nationaliser chaque branche
de notre économie par voie législative ou simplement au moyen d'un arrêté muni de la clause d'urgence. Pareil risque ne manquerait de paralyser l'initiative privée, car tout chef d'entreprise pourrait se demander quand son tour viendra d'être frappé par une mesure de nationalisation, ce qui l'engagerait certainement à renoncer à améliorer son équipement ou à engager de nouveaux capitaux. Enfin, si ces mesures étatistes n'ont pas seulement pour objet de transférer à la collectivité les moyens de production, mais également de garantir le droit au travail, la sécurité matérielle des individus et leur assurer un « salaire suffisant », il ne faut pas se dissimuler que l'augmentation des salaires s'accompagnerait d'une moindre rétribution du travail qualifié, car en définitive l'Etat ne peut fixer à son gré le revenu réel de l'ensemble dés travailleurs, attendu que ce revenu dépend, dans une largo mesure, de l'évolution de l'économie. Toute sociali-

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sation, en tant qu'elle implique un nivellement des salaires, exercerait une influence préjudiciable au travail qualifié, qui revêt une si grande importance pour l'avenir de notre pays.

4. Les sociétés coopératives ont pris aussi un essor remarquable dans les domaines les plus divers. A la fin de 1945, il y en avait près de 12 000 d'inscrites sur le registre du commerce. Les coopératives agricoles sont les plus nombreuses: 7000 environ. Elles se répartissent comme suit: 3000 coopératives de laiterie groupant plus de 100 000 membres ; 1600 syndicats d'élevage réunissant 60 000 membres ; quelque 1000 coopératives d'achat ·ou de vente qui totalisent approximativement 90 000 membres ; 805 caisses Raiffeisen qui comptent 79000 membres et dont le bilan atteint un total de 920 millions (y compris la caisse centrale) ; 900 coopératives agricoles diverses.

Les coopératives de, consommation forment un second groupe très important. Le registre du commerce en comptait à la fin de 1945 plus de 900, dont 550 environ -- réunissant quelque 480 000 membres -- sont affiliées à l'union suisse des coopératives de consommation. Les livraisons opérées par l'union aux sociétés qui lui sont affiliées ont atteint la valeur de 289 millions de francs, en 1945, et le chiffre d'affaires enregistré par ces dernières, 470 millions. Le bénéfice s'est élevé à 30 millions environ et les ristournes versées aux consommateurs à 28 millions. Ces coopératives membres de l'union exploitent environ 2500 magasins, qui sont répartis sur plus de mille communes et occupent quelque 10 000 employés. L'union s'est efforcée d'organiser elle-même certains secteurs de la production.

Toutefois, elle a renoncé à la production, massive pour la confier à des organismes juridiquement autonomes -- c'est-à-dire à des sociétés créées pour un but déterminé -- qui lui sont étroitement liés tant au point de vue financier que par les personnes qui en assument l'administration. Nous citerons: la minoterie coopérative des sociétés coopératives suisses de consommation, la minoterie coopérative du Léman, la « Schuh-Coop », la banque centrale coopérative, la coopérative du meuble, Baie, la fabrique de cigares de Menziken, la fabrique coopérative de pâtes alimentaires de Noiraigue, là « St-Jean », société d'entrepôts et de navigation, Baie, la société coopérative
suisse pour la culture maraîchère, la coopérative laitière des sociétés suisses de consommation, le « Versicherungsanstalt schweizerischer Konsumvereine » et la société coopérative d'assurance sur la yie. Nous ajouterons la « Bell S. A. », dans laquelle l'union suisse de coopératives de consommation a d'importants intérêts financiers. Nous citerons aussi le « Verband ostschweizerischer landwirtschaftlicher Genossenschaften », autre association coopérative très importante qui assume la défense des intérêts des producteurs agricoles comme ceux des consommateurs. Elle groupait en 1945 336 coopératives réunissant 26 000 membres.

Ce chiffre de 336 comprend 247 coopératives de consommation exploitant

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469 magasins de vente. Le chiffre d'affaires du « Verband » a atteint 127 millions de francs environ (1945) et celui des coopératives affiliées, 95 millions environ (1943). Nous mentionnerons en outre les 43 coopératives affiliées à l'association catholique dite « Verband der Genossenschaften Konkordia der Schweiz », qui exploitent 110 magasins de vente et enregistrent un chiffre d'affaires de 10 millions de francs environ. Mentionnons enfin le « Migros-Genossenschaft-Bund », qui comptait à fin 1945 11 coopératives groupant quelque 133 000 membres et enregistrant un chiffre d'affaires de 85 millions de francs. Bien qu'il ne soit pas possible de déterminer avec exactitude la contribution des coopératives de consommation au chiffre d'affaires global de commerce de détail, on peut inférer des chiffres cités que leur influence est considérable.

Outre les coopératives agricoles et les coopératives de consommation, il nous faut encore mentionner les coopératives de construction et de logement, au nombre de plus de 500. 150 d'entre elles sont affiliées à l'union suisse pour l'amélioration du logement, qui administre actuellement quelque 21 000 appartements. Elles revêtent une importance particulière en raison de leur caractère d'utilité publique. 24 autres coopératives se sont groupées eh association sous le nom de « Schweizerische Verband Sozialer Baubetriebe ». Nous nous bornerons à mentionner encore les groupements les plus importants tant en regard de l'intérêt collectif que du nombre de leurs membres, à savoir les coopératives pour l'approvisionnement en eau, eh gaz ou en électricité, les coopératives d'assurance (par ex., la société suisse pour l'assurance du mobilier) et, outre les caisses Eaiffeisen déjà citées, les caisses coopératives d'épargne et de crédit (le bilan de la plus importante d'entre elles, la banque populaire suisse, atteint un total de 792 millions en 1945).

Il ressort de cet aperçu que les sociétés coopératives ont trouvé dans notre pays un terrain particulièrement favorable. Leur essor -- surtout celui des coopératives agricoles -- a son origine dans l'idée de communauté qui inspirait l'ancienne Confédération. Il a trouvé toute son ampleur dans la suite à la faveur du caractère individualiste de notre constitution économique.

On pourrait imaginer que la diffusion de l'idée
coopérative aboutisse à un système économique où les sociétés coopératives, en se développant librement, viendraient à représenter la forme sinon exclusive, du moins la plus générale des entreprises. Il existe effectivement un certain mouvement préconisant une sorte de « socialisme coopératif », La constitution, en vertu de l'article 31, ne saurait y faire obstacle; d'ailleurs, l'article Slbis, 5e alinéa, des nouveaux articles économiques garantit expressément le libre développement des sociétés coopératives. Toutefois, nous ne croyons pas qu'elles puissent répondre à tous les besoins, notamment dans le domaine du marché du travail et des relations économiques avec l'étranger, car leur expansion -- l'expérience le prouve --· a ses limites naturelles.

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V. DÉTERMINATION ET COORDINATION DES MESURES A PRENDRE DANS L'ORDRE ÉCONOMIQUE 7. Nous avons vu qu'une économie rigoureusement dirigée no pouvait se concilier avec la structure de notre système économique et social actuel.

Cette constatation ne signifie nullement que l'Etat -- dans les domaines où il intervient soit pour soutenir l'économie privée, soit pour en régulariser le fonctionnement -- ne puisse partir de concepts généraux et adapter à ces concepts les mesures qu'il est appelé à prendre. Il y a bien des années que se fait sentir le besoin de davantage de méthode et d'une collaboration plus étroite entre l'Etat et l'économie privée, en vue d'assurer une meilleure coordination des mesures prises dans les différents secteurs de l'économie.

Le Conseil fédéral a toujours eu soin, lorsqu'il s'est agi de prendre une mesure importante d'ordre économique ou social, de se mettre en rapport étroit avec les représentants du monde économique. Les moyens employés furent notamment l'institution de commissions d'experts pour l'examen de projets de lois déterminées et la convocation de conférences auxquelles ont été invités les représentants des associations centrales. Par arrêté du 21 juin 1934, le Conseil fédéral, déférant au désir exprimé par le département de l'économie publique, autorisa expressément ce dernier à convoquer des conférences et des commissions d'experts pour discuter de questions actuelles intéressant la politique économique et prendre régulièrement contact avec les milieux intéressés. Nous songeons en particulier à la commission consultativo pour une nouvelle législation économique, instituée en octobre 1936. Cette commission élabora un programme complet tendant à la refonte de notre économie après la dévaluation et formula des propositions quant à la revision des articles économiques de la constitution, propositions qui forment la base du projet du 10 septembre 1937 en la matière. Le département de l'économie publique créa d'autres commissions consultatives encore.

Nous citerons la commission d'étude des prix et la commission de recherches économiques, auxquelles vinrent s'ajouter dans la suite la commission pour le contrôle des prix, la commission des arts et métiers et la commission consultative pour les questions de salaire.

2. Comme nous l'avons relevé dans notre message du 12
novembre 1935 sur les mesures extraordinaires d'ordre économique (1), ce système présente certains inconvénients. En raison de leur caractère spécialisé, les commissions d'experts ne peuvent délibérer que sur un objet déterminé et n'ont entre elles aucun lien organique. Cette remarque s'adresse également aux conférences économiques, dont la composition varie d'un cas à l'autre et qui ne traitent aussi, en règle générale, que des questions isolées. De là est née l'idée de créer un conseil ou une commission économique qui pourrait suivre le déroulement de la situation économique et se prononcer (') FF 1935, II, 535 s.

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sur les questions les plus importantes. Cette idée a trouvé son expression dans la motion Schmid-Zurich, du 3 octobre 1930, que le Conseil national adopta, sous la forme d'un postulat, le 15 juin 1932 dans la teneur suivante : Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il ne devrait pas préparer la création d'un petit conseil économique qui, en qualité d'organe préconsultatif do la Coufédération, devrait être saisi par les autorités compétentes de tous les projets importants d'ordre économique. Ce conseil servirait d'organe directeur à l'économie privée et devrait organiser une coopération rationnelle dos professions.

Pour donner suite à ce postulat, le Conseil fédéral prévit, dans son message du 12 novembre 1935 sur les mesures extraordinaires d'ordre économique, l'institution d'une commission économique fédérale avec caractère consultatif. Cette commission devait se composer de 17 à 21 membres nommés par le Conseil fédéral et choisis dans l'industrie, l'artisanat, l'agriculture, le commerce, les transports, la banque, ainsi que dans le monde des consommateurs et de la science. Elle aurait eu à donner son avis sur les questions d'ordre économique dont l'aurait saisie le Conseil fédéral ou son département de l'économie publique. Bien que le Conseil fédéral eût déclaré qu'il s'agissait d'un organisme -- destiné à fonctionner surtout en période de crise -- dont la création devait avoir un caractère purement provisoire et ne pas engager l'avenir, les chambres rejetèrent cette proposition (1).

L'idée en fut reprise pendant la guerre par les motions et postulats ci-après : Motion Wey, du 2 juin 1942, acceptée par le Conseil national le 9 décembre 1942 sous la forme d'un postulat ainsi conçu: Le Conseil fédéral est invité à examiner s'il n'y aurait pas lieu d'user de ses pouvoirs extraordinaires : 1° Pour créer un office de coordination économique et une commission fédérale d'économie publique qui lui servirait d'organisme consultatif; 2° Pour charger cet office de dresser un programme général d'économie de guerre et de préparer la solution des problèmes économiques et sociaux de l'après-guerre.

Postulat Gut, du 31 mars 1943, accepté par le Conseil national le 7 avril 1943 : II importe de préparer les esprits aux problèmes qui se poseront lors du passage du régime de guerre à l'état de paix, ainsi que dans l'apros-.guerre. Il s'agira notamment de s'entendre sur l'ordre d'importance et d'urgence des questions à étudier, ordre qui a déjà donné lieu à de vives discussions dans le public, et ensuite sur la possibilité de financer les projets envisagés.

Il paraît donc souhaitable d'examiner avant tout les tâches d'importance primordiale du prochain avenir dans leurs rapports avec les questions générales d'ordre économique, financier et social.

En conséquence, le Conseil fédéral est invité à vouloir bien exposer oralement, au cours de la prochaine session, son attitude à l'égard des problèmes qui selon lui doivent être abordés en premier lieu.

(!) Bulletin sténographique, Conseil national 1936, p. 1213, Conseil des Etats 1036, p. 326.

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Postulat Weber, du 9 juin 1943, accepté par le Conseil national le 22 juin 1943: Les forces productives de notre économie nationale ont considérablement augmenté au coure des dernières années. Tino organisation économique rationnelle doit permettre d'éviter les complications qui peuvent se produire lorsque cessera la production pour les besoins de l'armée et que se rétabliront les relations économiques avec l'étranger après la guerre. Il sera possible aussi d'augmenter sensiblement notre production de façon que, avec l'aide d'une répartition équitable, on puisse élever le standard de vie de notre peuple.

Le Conseil fédéral est invité à faire rapport -- s'il y a lieu après avoir consulté une commission d'experts -- sur les mesures susceptibles d'otre prises : 1° Pour assurer dans des conditions aussi harmonieuses que possible le passage de l'économiu de guerre à l'économie de paix par une collaboration entre les milieux économiques intéressés et les autorités ; 2° Pour poursuivre le développement des forces productives du pays; 3° Pour procurer, par une économie dirigée, un travail approprié aux forces disponibles.

Postulat Weber, du 21 mars 1945, accepté par le Conseil national le 6 juin

1946.

Les difficultés que rencontreront après la guerre notre ravitaillement en denrées alimentaires et matières premières, ainsi que l'occupation de la maind'oeuvre, nécessitent une concentration et une coordination systématique de toutes les forces économiques. La plupart des autres pays ont déjà entrepris des travaux préparatoires dans ce sons et dressé des plans. La Suisse ne saurait demeurer en arrière, si elle entend maintenir et affermir sa position dans l'économie mondiale.

Le Conseil fédéral est en conséquence invité à examiner les questions suivantes, qui devront, le cas échéant, faire l'objet de mesures du gouvernement ou de propositions à l'Assemblée fédérale: 1" Etablissement d'une statistique périodique de la production, 2" Désignation d'une commission économique générale tenant heu de commission d'experts pour les autorités, qui s'occuperait notamment de coordonner les intérêts économiques et de centraliser la direction de notre économie.

4° Adaptation de l'économie de guerre à l'économie de paix.

3" Etablissement d'un plan pour le développement des forces productives de notre pays.

Ces postulats, qui ont été déposés pendant la guerre, ont trait surtout au passage de l'économie de guerre à celle d'après-guerre. Ils ont pour objet commun l'établissement d'un plan qui donnerait une solution aux problèmes économiques et sociaux de l'après-guerre. La motion Wcy, du 9 décembre 1942, et le postulat Weber, du 6 juin 1946, demandent expressément l'institution, d'une commission économique qui jouerait le rôle d'organe consultatif chargé d'établir un programme général et de coordonner les mesures à prendre dans l'ordre économique.

Nous ne possédons actuellement qu'un seul plan de cette espèce -- dans un domaine restreint ---, celui que le délégué aux possibilités de travail a élaboré en vertu de l'arrêté du Conseil fédéral du 29 juillet 1942 en la

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matière. Ce plan voue un soin particulier à assurer la coordination des mesures qui seront prises au sein de l'administration fédérale et la collaboration entre les services fédéraux chargés de procurer du travail et l'économie privée d'une part, les cantons, d'autre part. Ce plan peut servir également de modèle à l'établissement d'un système général dont la réalisation respectera la souveraineté des cantons, l'autonomie des communes et la liberté du commerce et de l'industrie, en faisant appel à la bonne volonté et à l'esprit de collaboration de tous les intéressés.

Rien ne s'oppose à ce que l'on procède de la même manière dans d'autres domaines, en particulier dans l'agriculture et le commerce de détail. L'idée d'une commission économique générale que nous avions préconisée en 1935 peut aussi être reprise en considération. Tant qu'il ne s'agit que d'un organe consultatif, point n'est besoin d'une nouvelle disposition constitutionnelle; en effet, l'article 104 de la constitution (cette disposition existait déjà dans la constitution de 1848) autorise le Conseil fédéral et ses départements à appeler des experts pour des objets spéciaux. II est hors de doute que cet article implique le droit de recourir régulièrement aux lumières d'un collège d'experts. Sans doute ne faut-il pas se dissimuler que la détermination et la coordination des mesures à prendre soulèvent dans notre Etat fédératif, aux conditions si complexes, des difficultés incomparablement plus grandes que dans un Etat unitaire et centralisé.

VI. CONCLUSIONS Nous ne saurions affirmer que notre régime économique actuel ne présente pas certains défauts. Les auteurs de l'initiative n'estiment pas qu'il soit possible de les éliminer sans abolir le système actuel en entier pour lui substituer une économie planifiée étatiste. Nous ne croyons pas que le régime préconisé constitue un remède efficace. Même s'il devait l'être, les avantages en seraient trop chèrement payés par le sacrifice de notre liberté. En revanche, notre constitution économique permet déjà d'écarter sinon complètement, du moins dans une large mesure, les défauts que nous lui reconnaissons, A l'expérience, la direction suivie par notre politique économique et sociale jusqu'à maintenant ne s'est pas révélée si mauvaise. Il est prouvé que les salaires réels payés en Suisse ont,
avant la guerre, suivi constamment une marche ascendante et qu'après un fléchissement passager durant les hostilités, ils ont retrouvé leur cote d'avantguerre ou l'ont même dépassée. Considéré par rapport à l'étranger, le niveau de vie que le peuple suisse a atteint sous le régime économique actuel peut être considéré comme satisfaisant. Au cours des 50 années qui ont suivi la première demande d'initiative du parti socialiste suisse tendant à assurer le droit au travail -- en 1893 -- d'immenses progrès ont été accomplis tant sur le plan social que sur le plan culturel. Le commentaire le reconnaît d'ailleurs. Nous ne voyons, dans ces conditions, aucun motif de quitter le

845 chemin que nous avons suivi jusqu'à maintenant pour nous engager dans une voie qui conduirait, si l'on voulait appliquer l'initiative à la lettre, à un bouleversement complet de la structure économique du pays. Si louables que puissent être les intentions des promoteurs, la revision constitutionnelle préconisée pourrait facilement se révéler comme une dé ces ·mesures qui engendrent le mal tout en tendant vers le bien.

Dans la mesure où ses buts peuvent être atteints dans notre régime actuel, l'initiative est superflue, du moment que les bases constitutionnelles nécessaires existent déjà. En tant qu'elle exige davantage, il faut la rejeter résolument. Pour les motifs que nous avons exposés, nous n'estimons pas nécessaire d'établir un contre-projet. Les nouveaux articles économiques permettent amplement d'apporter à notre régime économique tous les changements souhaitables et de mener à chef, sans nous embarrasser de pures questions de programmés, les tâches que nous avons décidé d'entreprendre.

Nous vous proposons, en conséquence, de rejeter la demande d'initiative et joignons au présent rapport un projet d'arrêté dans ce sens.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 14 octobre 1946.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, KOBELT.

M

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Le chancelier de la Confédération, LEIMGRUBER.

Feuille fédérale. 98e année. Vol. III.

55

846

(Projet.)

Arrêté fédéral la demande d'initiative concernant « la réforme économique et les droits du travail ».

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE, vu la demande d'initiative concernant « la réforme économique et les droits du travail » et le rapport du Conseil fédéral du 14 octobre 1946 ; vu les articles 121 et suivants de la constitution fédérale et les articles 8 et suivants de la loi fédérale du 27 janvier 1892 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, arrête :

Article premier.

La demande d'initiative concernant « la réforms économique et les droits du travail » sera soumise à la votation du peuple suisse et des cantons..

Elle a la teneur suivante : « L'article 31, alinéa premier, de la constitution fédérale est remplacé par les dispositions suivantes: 1. L'économie nationale est l'affaire du peuple entier.

2. Le capital doit être mis au service du travail, de l'essor économique général et du bien-être du peuple.

3. La Confédération a le droit de prendre les mesures nécessaires à cet effet en intervenant dans la structure et l'organisation de l'économie nationale.

4. La situation matérielle des citoyens et de leurs familles doit être assurée.

5. Le droit au travail et la juste rémunération du travail sont garantis, 6. Le travail doit être protégé dans toutes les branches de l'économie, 7. En vue d'assurer l'application de ces principes et d'empêcher les crises et le chômage, la Confédération édictera des dispositions, en particulier au sujet de la coopération de l'Etat et de l'économie.

8. Il sera fait appel à la collaboration des cantons et des organismes, économiques ».

Art. 2.

Le peuple et les cantons sont invités à rejeter la demande d'initiative.

Art. 3.

Le Conseil fédéral est chargé d'assurer l'exécution du présent arrêté, 5938

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur la demande d'initiative concernant la réforme économique et les droits du travail. (Du 14 octobre 1946.)

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24.10.1946

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