903

# S T #

5074

MESSAGE du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'encouragement des recherches dans le domaine de l'énergie atomique.

(Du 17 juillet 1946.)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous présenter, avec message à l'appui, un projet d'arrêté encourageant les recherches dans le domaine de l'énergie atomique.

I.

Les physiciens savent, depuis des années, que les atomes recèlent d'énormes quantités d'énergie que la technique n'a réussi à capter que tout récemment. Il s'agit de l'énergie qui est libérée par la transmutation artificielle des atomes.

On a réussi, il y a quelque temps, à transmuter des atomes et à en produire artificiellement maintes variétés inconnues jusqu'alors. Mais il s'agissait seulement de quantités minimes, obtenues en laboratoire et mesurées au moyen d'appareils très sensibles décelant les réactions atomiques individuelles.

Pendant la guerre, les grandes puissances, concentrant tous les moyens scientifiques et techniques disponibles, ont fait à grands frais de nouvelles découvertes dans le domaine de la physique nucléaire. Les physiciens arrivèrent à mettre d'énormes quantités d'énergie atomique à la disposition de la technique. Le résultat de ces recherches s'est manifesté pour la première fois dans la bombe atomique, dont la puissance de destruction a précipité la fin de la guerre dans le Pacifique. Indépendamment de la fabrication de cette arme, les Etats-Unis se sont également efforcés de mettre l'énergie atomique au service de l'industrie. Des générateurs d'énergie atomique y fonctionnent déjà, dont la production de chaleur est à peu près égale à la consommation totale de la Suisse, Les installations seront certainement développées. Précisons toutefois que les machines atomiques

904

ne peuvent produire que de la chaleur, les physiciens ne connaissant actuellement aucun moyen de tirer directement de l'énergie électrique des transmutations atomiques.

II.

En Suisse également, le problème de l'énergie atomique est depuis quelque temps à l'étude. Les questions de physique nucléaire et de transmutation d'atomes ont été étudiées en particulier dans les instituts de physique de l'école polytechnique fédérale, des universités de Baie, Genève, Lausanne et Neuchâtel. C'est ainsi que l'on a installé, à l'institut de physique de l'école polytechnique un cyclotron, un multiplicateur de tension (tensator) et un générateur de van de Graaf de 550 kilovolts, appareils précieux pour la poursuite des recherches.

Jusqu'à présent, les recherches en Suisse se sont heurtées à deux obstacles : d'abord, le manque de ressources financières pour les faire sur une échelle suffisante, puis le manque de coordination entre les divers instituts. Faute de crédits, les instituts ont été dans l'impossibilité de former un nombre suffisant de collaborateurs et de les engager avec un salaire raisonnable.

Des physiciens, spécialistes des questions de physique nucléaire, ont été contraints d'offrir leurs services à l'étranger, qui s'est empressé de les accepter.

Pour faciliter les recherches urgentes en physique nucléaire, le Conseil fédéral a institué, en 1945, une commission de recherches scientifiques.

Des crédits, prélevés sur ceux qui avaient été ouverts le 16 mars 1945 pour la création de possibilités de travail, ont été alloués à quelques savants.

En outre, des bourses ont été accordées à un certain nombre de physiciens et de mathématiciens pour leur permettre de poursuivre leurs études.

L'importance exceptionnelle que l'énergie atomique revêt pour notre défense nationale et notre industrie exige toutefois que la Suisse, elle aussi, poursuive ses propres recherches pour mettre au plus tôt son économie au bénéfice de cette nouvelle source d'énergie. Il n'est pas impossible que l'exploitation de l'énergie atomique, indépendamment de ses effets dans le domaine militaire, révolutionne certaines branches de notre industrie et pose surtout de graves problèmes aux entreprises spécialisées dans l'installation de grandes usines de force motrice. Il ne s'agit pas seulement de rattraper l'avance de l'étranger; il faut encore trouver de nouvelles voies. Jusqu'à présent, la technique n'a pu utiliser les réactions en chaîne qu'en employant l'uranium, matière qu'on ne trouve pas chez nous
ou qu'en infimes quantités et dont l'importation est des plus difficiles. Des physiciens connus pensent toutefois qu'il n'est pas impossible d'obtenir des réactions en chaîne avec d'autres éléments que l'uranium et d'en tirer parti.

Lss savants suisses devront donc travailler surtout dans cette direction.

905

Pour coordonner les recherches sur l'énergie atomique, le Conseil fédéral a institué le 5 novembre 1945, sur la proposition du département militaire, une commission composée de physiciens, chimistes, physiologistes et autres spécialistes éminents, ainsi que de représentants de l'autorité fédérale.

III.

Cette commission, dont l'activité est réglée par une ordonnance du Conseil fédéral du 8 juin 1946, a arrêté, pour l'année 1946, un programme de travail qui a été approuvé par le département militaire. Ce programme répartit les différentes tâches entre nos instituts et détermine les recherches les plus urgentes. Outre la poursuite de travaux en cours, il s'agit surtout d'études sur les ressources suisses en uranium et en thorium, de recherches d'autres éléments existant en Suisse et se prêtant aux réactions en chaîne, ainsi que de projets pour l'installation, au besoin, d'une centrale suisse des recherches atomiques. Il faudra probablement concentrer le travail dans un institut central pourvu des moyens nécessaires. Mais pareille création serait prématurée, vu que les questions techniques et scientifiques doivent d'abord être éclaircies et que nous ne disposons pas d'un personnel scientifique spécialisé.

IV.

Le 1er février 1946, le Conseil fédéral a fixé à 500 000 francs le crédit à mettre en 1946 à disposition de la commission d'étude de l'énergie atomique. Il l'a prélevé sur le crédit ouvert pour l'avancement des recherches scientifiques, au titre de mesure pour la création d'occasions de travail.

Si la création d'un institut central de recherches se révèle nécessaire et s'il faut installer en particulier un générateur à haute tension d'au moins 100 millions de volts, la construction et l'installation nécessiteront une dépense de plusieurs millions de francs en sus des dépenses annuelles courantes.

On peut se demander s'il incombe bien à la Confédération de financer les recherches atomiques et de verser des subsides qui sont destinés aux instituts de physique des universités cantonales. Notons cependant que ces recherches intéressent dans une large mesure la défense nationale. Il faut admettre que les cantons ne pourront guère fournir à leurs universités les ressources nécessaires aux recherches atomiques. Aussi la Confédération devra-t-elle assumer les frais de ces recherches complémentaires.

On s'est également demandé si l'industrie privée ne pourrait pas, elle aussi, être amenée à fournir des fonds. Nous reviendrons sur ce sujet au chapitre VIII.

V.

Vu l'importance militaire et le coût élevé des recherches atomiques, il nous parait indiqué de prévoir des crédits spéciaux et de ne pas mettre ces

906

recherches sur le même pied que celles qui sont faites pour assurer du travail et soutenir l'économie au moyen des fonds réservés à cet effet. Les autorités fédérales seraient ainsi en mesure d'exercer une influence déterminante sur le cours des travaux et d'assurer l'action combinée de toutes les forces.

Elles auraient l'avantage d'être constamment renseignées sur les progrès accomplis, de pouvoir, suivant la situation, appliquer rapidement, au profit de la Confédération, les résultats qui intéressent la défense nationale et en assurer le secret, Des efforts sont faits à l'étranger pour placer sous le contrôle de l'Etat l'étude des problèmes en rapport avec l'énergie atomique et même pour conclure des conventions internationales. Des projets semblables ont déjà été faits en Amérique. S'ils aboutissent, il y aurait également avantage à ce que la Confédération ne soit liée par aucune obligation interne et qu'elle ait les mains libres pour participer à des réglementations internationales.

VI.

Il est très difficile d'établir un budget pour les recherches des prochaines années, car on ne peut, dans ce domarne entièrement nouveau, prévoir l'étendue des travaux. On ignore encore si le trafic international de l'uranium restera indéfiniment bloqué ou s'il sera libéré en vertu d'une entente internationale. Dans ce dernier cas, il faudrait construire une station d'essais, qui coûterait quelque 8 millions de francs. Une somme à peu près égale serait nécessaire si, au cours des recherches, on découvrait un élément désintégrable autre que l'uranium permettant de construire une machine atomique. On ne saurait affirmer que des réactions en chaîne soient impossibles avec les mésons.

Il est trop tôt pour dire si nous aurons besoin d'un institut central des recherches atomiques, pourvu des installations nécessaires -- cyclotron -- bétatron -- synchroton. La construction et l'aménagement d'un tel institut (sans l'installation de transformation nucléaire) coûterait environ 3 millions clé francs. Le dispositif pour les transformations nucléaires reviendrait à quelque 2 millions.

En ce qui concerne les dépenses annuelles courantes, notons que les équipes formées actuellement par la commission pour l'étude de l'énergie atomique dans les villes de Baie, Genève, Lausanne, Neuchâtel et Zurich nécessitent un crédit de 500 000 francs par année. Ces frais augmenteront vraisemblablement si les résultats sont positifs. Il faut prévoir, croyons nous, une dépense annuelle d'un million de francs en chiffre rond.

En résumé, disons qu'une somme de 18 millions de francs doit être prévue pour les cinq prochaines années (1947 à 1951), dans le cas où il serait possible d'installer une station d'essais. Comparée aux crédits accordés à l'étranger pour les recherches atomiques, cette somme est modeste. Il est

907

clair que des résultats ne pourront être obtenus en temps utile que si l'étude des problèmes peut être entreprise avec des moyens suffisants.

Si ces installations doivent être créées, les chambres seront saisies, le moment venu, d'une demande de crédits.

VII.

On sait qu'aux Etats-Unis d'Amérique, l'emploi de l'énergie atomique est fondé sur l'uranium. Les Américains ont tout d'abord essayé, à des fins militaires, d'extraire du mélange naturel d'uranium, l'isotope de masse atomique 235, qui se prête bien à la réaction en chaîne. Comme les différents isotopes d'un même élément ont les mêmes propriétés chimiques, la séparation ne peut être obtenue que par des méthodes physiques, extraordinairement coûteuses et dont le rendement est relativement faible.

D'autres recherches ont permis de créer des éléments nouveaux, que l'on ne trouve pas dans la nature.

Ces éléments transuraniens (neptunium et plutonium) ont été obtenus également à partir de l'uranium, dont il sont chimiquement distincts. Leur séparation par des méthodes chimiques est relativement facile et d'un bon rendement. Le plutonium, qui constitue l'élément principal de la bombe atomique, est un sous-produit de la machine atomique. Une circonstance particulièrement malheureuse veut que la machine atomique et la bombe soient ainsi associées dans leur emploi industriel et militaire. C'est pourquoi le trafic international de l'uranium est partout interdit, même pour l'usage civil.

Nous sommes dès lors contraints d'étudier d'autres éléments quant à leur valeur comme source d'énergie atomique. Pour être utilisable, l'élément doit avoir la propriété que la scission nucléaire amorcée par des neutrons, des protons, des deutérons ou d'autres particules, se poursuive d'ellemême en une réaction en chaîne. Mais il est absolument nécessaire que le développement de cette réaction en chaîne puisse être contrôlé par un moyen restant à déterminer. Telles sont les conditions nécessaires à l'emploi industriel de l'énergie atomique. En outre, cet élément devrait pouvoir être trouvé en Suisse.

La découverte de tels éléments nécessite des études systématiques complètes et détaillées, longues aussi, sans parler de la construction des appareils nécessaires. Le but est de déterminer la « section efficace » des différents noyaux d'atomes. Il s'agit ici non seulement des éléments actuellement connus, mélanges d'isotopes pour la plupart, mais encore des isotopes eux-mêmes, qui doivent être séparés d'abord. Une autre difficulté réside dans la haute température nécessaire pour entretenir la réaction en chaîne.

Avec l'uranium, cette réaction se produit à la température ambiante normale. Pour la transformation hydrogène-hélium, qui se produit dans le

908

soleil, il faut, pour qu'elle s'amorce, une température d'environ 20 millions de degrés.

Une fois déterminé en laboratoire l'élément qui se prête à une réaction en chaîne, il faut l'essayer dans une installation plus vaste. L'essai est dangereux et doit être fait dans une région éloignée, loin de toute habitation. Les installations nécessaires à cet effet et dont l'importance n'est pas encore déterminée devront être étudiées encore en détail.

Ces brèves considérations montrent les difficultés du problème.

VIII.

Nous avons vu, au chapitre V, qu'on essaie aux Etats-Unis de placer sous contrôle international tous les travaux relatifs à l'énergie atomique.

Ainsi se pose une série de problèmes, que nous ne ferons qu'esquisser.

Indépendamment des recherches encouragées par la Confédération, certains instituts de recherches de l'industrie privée s'occupent également des problèmes atomiques, et l'on peut se demander si des recherches officielles et privées sont opportunes ou même admissibles eu égard au contrôle international.

Un contrôle international obligerait certainement la Confédération à contrôler à son tour les travaux officiels et privés.

Sans contrôle international, des recherches privées seraient souhaitables. On ne saurait dire, pour l'instant, dans quelle mesure l'industrie sera intéressée à l'énergie atomique et quelles entreprises auront un intérêt particulier à poursuivre les recherches. Les grandes entreprises de l'industrie des machines se sont toutefois déclarées prêtes, le cas échéant, à examiner la question de leur participation aux frais. La question sera discutée, le moment venu, avec les associations économiques intéressées.

Si les recherches encouragées par la Confédération ou entreprises par des particuliers sont couronnées de succès, il faudra, indépendamment d'une éventuelle réglementation internationale, étudier la question du droit d'utilisation de l'énergie atomique. On devra examiner si les pouvoirs publics doivent se réserver ce droit (comme pour la régale des postes ou des poudres), si la Confédération doit accorder des licences ou si l'industrie devra avoir les mains entièrement libres en ce qui concerne les résultats qu'elle aura obtenus indépendamment des travaux financés par la Confédération.

Ces problèmes seront traités ultérieurement dans un rapport spécial.

IX.

Nous avons l'honneur de vous recommander d'adopter le projet d'arrêté fédéral ci-joint.

:

909

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 17 juillet 1946.

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le vice-président, ETTER.

5909

Le. chancelier de la Confédération, LEIMGRUBEB.

(Projet.)

Arrêté fédéral encourageant

les recherches dans le domaine de l'énergie atomique.

L'ASSEMBLÉE FÉDÉRALE DE LA

CONFÉDÉRATION SUISSE, vu le message du Conseil fédéral du 17 juillet 1946, arrête : Article premier.

La Confédération encourage les recherches dans le domaine de l'énergie atomique.

Art. 2.

Les crédits nécessaires seront inscrits chaque année au budget.

Art. 3.

Le Conseil fédéral arrête les prescriptions d'exécution nécessaires.

Art. 4.

Lé présent arrêté, qui n'est pas d'une portée générale, entre immédiatement en vigueur.

B909

Schweizerisches Bundesarchiv, Digitale Amtsdruckschriften Archives fédérales suisses, Publications officielles numérisées Archivio federale svizzero, Pubblicazioni ufficiali digitali

MESSAGE du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale concernant l'encouragement des recherches dans le domaine de l'énergie atomique. (Du 17 juillet 1946.)

In

Bundesblatt

Dans

Feuille fédérale

In

Foglio federale

Jahr

1946

Année Anno Band

2

Volume Volume Heft

15

Cahier Numero Geschäftsnummer

5074

Numéro d'affaire Numero dell'oggetto Datum

18.07.1946

Date Data Seite

903-909

Page Pagina Ref. No

10 090 507

Das Dokument wurde durch das Schweizerische Bundesarchiv digitalisiert.

Le document a été digitalisé par les. Archives Fédérales Suisses.

Il documento è stato digitalizzato dell'Archivio federale svizzero.