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FEUILLE FÉDÉRALE 112e année

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Berne, le 4 février 1960

Volume I

RAPPORT du

Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire tendant à instituer l'initiative législative en matière fédérale (Du 29 décembre 1959)

Monsieur le Président et Messieurs, Nous avons l'honneur de vous adresser notre rapport sur l'initiative populaire tendant à instituer l'initiative législative en matière fédérale.

Cette intiative populaire a été déposée à la chancellerie fédérale le 22 décembre 1958 par le parti socialiste suisse. Elle porte 101 891 signatures valables et a la teneur suivante: Les citoyens suisses soussignés, ayant le droit de vote, demandent conformément à l'article 121 de la constitution fédérale que les dispositions suivantes soient insérées dans là constitution fédérale: Article 93bïs Cinquante mille citoyens actifs ou huit cantons ont le droit de demander l'adoption, la modification ou l'abrogation d'une loi fédérale ou d'un arrêté fédéral de portée générale.

Une telle demande n'est valable et ne doit être soumise au peuple que si elle n'est contraire ni à la constitution fédérale ni aux obligations que des traités imposent à la Confédération. Elle ne doit pas non plus demander la modification ou l'abrogation d'actes administratifs ou de jugements.

Une initiative ne doit pas porter sur plus d'un objet.

L'initiative doit revêtir la formo d'un projet rédigé de toutes pièces

Sa validité est examinée par l'Assemblée fédérale, Feuille fédérale. 112e année. Vol. I

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370 Si l'Assemblée fédérale approuve l'initiative, elle acquiert force de loi, sous réserve de l'article 89, 2e alinéa. Si elle n'est pas approuvée par les deux conseils, elle doit être soumise au peuple.

L'Assemblée fédérale peut proposer au peuple de la rejeter; elle peut lui soumettre en même temps un contre-projet.

Art. 93ter Une loi fédérale réglera les formalités à observer pour les initiatives législatives.

II

L'art. 89, 1" al.

est complété comme suit: «L'article SSbia demeure toutefois réservé.» III

Art. 113, 39 al.

Leg mote «les lois votées par l'Assemblée fédérale et les arrêtés de cette assemblée» sont remplacés par les mots «les lois et les arrêtés fédéraux».

Le texte allemand est déterminant pour l'aboutissement de l'initiative.

L'initiative populaire contient une clause de retrait en faveur d'un contre-projet de l'Assemblée fédérale.

Le Conseil des Etats et le Conseil national ont pris acte les 12 et 20 mars 1959 de notre rapport du 22 janvier 1959 (FF 1959, I, 79) sur l'aboutissement de l'initiative, en nous invitant à nous exprimer sur le fond. Comme il s'agit d'une initiative populaire formulée, les chambres fédérales doivent décider dans le délai de trois ans, c'est-à-dire jusqu'au 21 décembre 1961, si elles approuvent ou non l'initiative.

I. Tentatives précédentes d'instituer l'initiative législative en matière fédérale Comme nous l'avons rappelé dans notre rapport du 8 décembre 1952 sur un postulat du Conseil national concernant l'institution de l'initiative populaire en matière législative (FF 1952, III, 773), les chambres fédérales ont eu à s'occuper plusieurs fois du problème de l'initiative législative.

Ce droit populaire était déjà prévu dans le projet de constitution fédérale qui fut rejeté dans la votation du 12 mai 1872. Repris en 1873 dans le nouveau projet de revision, la disposition dont il s'agit fut ensuite abandonnée. Une motion déposée au Conseil national en décembre 1893 souleva de nouveau la question de l'initiative législative, mais cette motion fut retirée en 1896 et classée sans discussion. En 1904, les cantons de Zurich et de Soleure avaient présenté une initiative cantonale tendant à introduire l'initiative législative dans la constitution fédérale. Après avoir examiné la proposition de ces deux cantons, le Conseil fédéral proposa à l'Assemblée fédérale d'insérer un nouvel article 93 bis dans la constitution, mais le projet du Conseil fédéral ne trouva pas grâce devant les chambres.

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La question de l'initiative législative fut de nouveau évoquée à propos d'une motion Scherrer-Fullemann déposée au Conseil national en 1918 et tendant à la revision totale de la constitution. Mais cette motion fut classée en 1947. Le même sort fut réservé en 1932 à une motion von Arx, déposée au Conseil national en 1930, qui tendait à inviter le Conseil fédéral à présenter le message complémentaire qui lui avait été demandé lors de la discussion de l'initiative des cantons de Zurich, et Soleure.

Mentionnons enfin le postulat Arthur Schmid, adopté le 4 octobre 1950, qui soulevait encore une fois le problème de l'initiative législative en matière fédérale. Dans notre rapport précité du 8 décembre 1952, nous avons démontré que les inconvénients de cette innovation l'emporteraient sur ses avantages et que nous ne pouvions dès lors pas recommander d'instituer ce droit populaire. Notre rapport fut ensuite approuvé le 26 mars 1953 par le Conseil national et le 4 juin de la même année par le Conseil des Etats.

H. L'initiative législative contribuerait-elle à protéger la pureté de la constitution ?

Des groupes de citoyens qui ne se soucient aucunement de voir modi. fier la constitution ou développer le droit constitutionnel et cherchent simplement à faire adopter ou modifier des dispositions ressortissant à la législation ordinaire recourent parfois à l'initiative constitutionnelle, alléguant qu'ils ne disposent pas de l'initiative législative pour arriver à leurs fins. Si une initiative constitutionnelle lancée dans ces conditions est acceptée, la constitution est encombrée de dispositions qui relèvent de la législation ordinaire et qui ne devraient pas trouver place dans la constitution considérée comme loi fondamentale de la Confédération.

On cite souvent l'exemple de l'article 35 sur les maisons de jeu et de l'article 25bis sur l'interdiction de saigner les animaux. Notons cependant que l'article sur les jeux dans les kursaals, dans sa rédaction du 7 décembre 1958, résulte non plus d'une initiative, mais d'un projet voté par l'Assemblée fédérale.

Qu'en est-il de cette critique ? Il convient à ce propos de tenir compte des deux faits ci-après, sinon on risquerait de tomber dans l'exagération.

1. Les articles constitutionnels que l'Assemblée fédérale a arrêtés elle-même sous la forme de revisions
partielles contiennent parfois des dispositions qui ne posent pas de principes fondamentaux et sont de simples règles légales qui n'ont pas le rang du droit constitutionnel. L'institution de l'initiative législative ne remédierait pas à cet inconvénient.

2. Si l'on allègue souvent que la constitution est dégradée, voire profanée, c'est surtout en raison de dispositions qui règlent une compétence d'une manière particulièrement détaillée, tels les articles 23 fris sur

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le ravitaillement du pays en céréales panifiables et 32bis sur les boissons distillées. Ces dispositions ont généralement pour but d'imposer toute sorte d'obligations au législateur fédéral dans l'exercice d'une compétence nouvelle, de façon qu'il soit tenu compte, par exemple, de l'intérêt des groupements économiques souvent opposés. En vérité, les critiques formulées à propos de dispositions sur la compétence concernent moins des textes issus d'initiatives populaires que des projets de l'Assemblée fédérale. Ces dispositions sont très souvent insérées pour gagner la faveur du citoyen, et c'est pourquoi elles sont presque toujours inévitables. Le fait que la voie de l'initiative législative n'est pas ouverte n'y est pour rien. Si les nouvelles attributions du législateur n'étaient pas soigneusement délimitées, maint projet risquerait d'être rejeté dans la votation du peuple et des cantons, en raison du peu de confiance que pourrait inspirer la législation ordinaire.

Le Conseil fédéral n'hésite cependant pas à déclarer que cette insertion dans la constitution de normes ressortissant à la législation ordinaire est contraire à la notion du droit constitutionnel et au caractère de notre constitution fédérale. Elle peut même nuire aux valeurs fondamentales incorporées dans la constitution, que la conscience populaire ravale alors au rang d'une loi quelconque à laquelle elle reconnaît moins d'autorité et pour laquelle elle a moins de respect. On peut penser que la création de l'initiative législative remédierait au moins partiellement à cette situation.

Le Conseil fédéral est cependant persuadé que les raisons qui peuvent être invoquées contre cette création l'emportent. Elles sont exposées dans ce rapport.

L'instauration de l'initiative législative pourrait d'ailleurs susciter l'inconvénient inverse. Du fait que l'approbation par la majorité des cantons ne serait plus nécessaire, on verrait déposer des initiatives législatives dont l'objet serait de nature constitutionnelle. La présente initiative populaire a tenu compte de cette éventualité. L'article QSbia, 2e alinéa, entend autoriser l'Assemblée fédérale à déclarer nulles les initiatives législatives contraires à la constitution. Les adversaires d'une initiative législative pourraient ainsi soulever assez fréquemment le problème de sa constitutionnalité,
problème dont la solution serait souvent délicate et provoquerait de nombreuses controverses dans les conseils.

Il pourrait bien se faire que l'institution de l'initiative législative ne produise pas toujours l'effet escompté et que l'on recoure comme jusqu'ici à l'initiative constitutionnelle pour des objets ressortissant à la législation ordinaire, dans l'idée qu'un article constitutionnel serait ensuite plus difficile à modifier. Le cas se produirait lorsque les promoteurs voudraient mettre les dispositions qu'ils proposent à l'abri de ceux mêmes qui en seraient les adversaires dès le début. Ce ne serait pas la première fois dans l'histoire de la constitution qu'on assisterait à un tel va et vient d'initiatives. L'ar-

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ticle sur les jeux dans les kursaals en est un exemple. L'initiative du parti;i socialiste ne prévoit cependant pas que les initiatives constitutionnelles ayant le contenu d'initiatives législatives devraient être déclarées nulles, ainsi que l'a soutenu, en 1956, le rapporteur de langue allemande, lors des délibérations de la société suisse des juristes (Prof. Werner Kägi, Rechtsfragen der Volksinitiative auf Partialrevision, Zeitschrift für Schweizerisches Hecht, fascicule 75, p. 75, 880a).

III. Le point de vue fédéraliste Suivant le droit constitutionnel en vigueur, l'adoption d'une loi fédérale ou d'un arrêté fédéral de portée générale dans la procédure référendaire ne requiert pas la majorité des cantons. C'est pour cela, semble-t-il, que les promoteurs de l'initiative qui nous occupe ici ont pensé que la seule majorité du peuple doit suffire pour l'adoption d'une initiative législative.

La règle de la double majorité du peuple et des cantons cependant n'est pas le seul élément fédéraliste dans la structure de notre Etat federati!

Le système bicaméral est encore plus important. Si l'on a pu, sans porter atteinte au fédéralisme, renoncer à exiger aussi la majorité des cantons dans les votations populaires sur des dispositions arrêtées par l'Assemblée fédérale à l'échelon de la loi, c'est notamment parce que le Conseil des Etats est mis sur le même pied que le Conseil national lors de l'élaboration de ces dispositions. La législation issue de l'initiative législative en revanche se ferait sans la participation de l'Assemblée fédérale et, dès lors, du Conseil des Etats, comme le prévoit la présente initiative. Cette seconde garantie en faveur du fédéralisme serait ainsi également supprimée dans cette nouvelle forme de procédure législative. L'Assemblée fédérale ne pourrait pas se déterminer sur le contenu d'une loi proposée, ni l'amender ou l'améliorer, et le Conseil des Etats ne serait pas en mesure d'exprimer l'avis des cantons.

Même celui qui ne surestime pas l'influence fédéraliste du Conseil des Etats conviendra que les auteurs de la constitution ont trouvé une solution bien équilibrée en instituant le système bieaméral. Ce système cherche à concilier le besoin de concentration et d'unité nationale avec la nécessité de sauvegarder la diversité du pays, l'autonomie des cantons et la
protection des minorités. Il assure également un équilibre entre grands et petits cantons. Or l'initiative législative pourrait rompre cette stabilité et exercer une influence centralisatrice et unitaire ; elle pourrait léser les droits et les besoins légitimes des minorités et des petits cantons, qui ne seraient plus protégés par des dispositions tendant à faire respecter les principes fédéralistes. Ces principes sont déjà menacés actuellement. Il suffit de mentionner les tâches nouvelles qu'imposent à l'Etat les progrès extrêmement rapides de la technique et de l'industrialisation, l'augmentation du trafic, comme aussi l'accroissement de la population et leurs conséquences sociales, Les dispositions édictées dans ces domaines marquent souvent une

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tendance inévitable à la centralisation. De plus, la mentalité actuelle, résolument rationaliste, favorise la propagation de l'idée qu'il ne faut plus vouloir se cramponner au fédéralisme traditionnel, dépassé par les événements.

On ne pourra pas objecter que les craintes des fédéralistes rencontrent, lors de la quête des signatures pour une initiative populaire, un tel écho dans le public qu'il n'est pas nécessaire dé prévoir la discussion par le Conseil des Etats, ni d'exiger la double majorité du peuple et des cantons dans la votation populaire. Les expériences faites en matière fédérale avec 'LHnitia.ti.ve constitutionnelle démontrent que les critiques ne prennent vraiment corps'que _plus tard, lors de la campagne qui précède la votation.

D'ailleurs, le texte de' l'initiative est déjà rédigé lors de la quête des signatures, de sorte que des objections fédéralistes soulevées dans le public ne pourraient plus rien changer.

IV. L'initiative législative dans les cantons 1. Les expériences faites dans les cantons Tous les cantons connaissent aujourd'hui l'initiative législative, bien que la constitution fédérale ne la leur prescrive pas comme elle le fait pour l'initiative constitutionnelle (Cst. art. 6, 2e al., lettre c). Les formes de l'initiative législative sont toutefois fort différentes. Dans plusieurs cantons, les dispositions constitutionnelles qui la règlent s'écartent résolument de celles que l'on propose maintenant en matière fédérale. Quelques cantons n'admettent que l'initiative rédigée en termes généraux. D'autres laissent le choix entre cette forme et l'initiative formulée. L'initiative populaire socialiste ne vise qu'à l'instauration de l'initiative législative rédigée de toutes pièces. Dans la majorité des cantons, lorsqu'une initiative législative a été acceptée par le Grand conseil, elle doit encore être soumise à la votation populaire; l'initiative socialiste prévoit en revanche qu'en matière fédérale une initiative législative pourrait, le cas échéant, devenir une loi et entrer en vigueur sans votation populaire. Etant donnée cette diversité des dispositions et de la pratique dans les cantons, on généralise par trop en disant que la Confédération n'a qu'à suivre l'exemple des cantons.

Leurs régimes sont en effet fort divers.

L'usage que les citoyens font du droit d'initiative
législative diffère également suivant les cantons. Au vu des rapports rédigés par les cantons pour répondre à l'enquête du Conseil fédéral, le professeur Walther Burckhardt concluait, en 1912 déjà, que l'on avait, durant des décennies, pour ainsi dire jamais recouru à l'initiative législative dans certains cantons (Politische* Jahrbuch far Eid/jp.nafiftfin8chaft 1912, vol. 20). La situation ne s'est pas modifiée depuis lors. On a écrit récemment que le canton de Zurich est le seul à connaître l'initiative législative en tant qu'institution vivante

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(E. Utzinger: Die Gesetzinitiative als Postulat der praktischen Politik, dans l'ouvrage: Grenzen der direkten Demokratie, p. 22). Les tâches cantonales ne stimulent guère le lancement d'initiatives législatives. Et si le Grand conseil décide lui-même d'adopter, d'abroger ou de modifier des lois, il est en mesure de représenter le peuple et de discerner ses voeux et ses besoins. B est permis de considérer aussi que ceux qui seraient tentés de lancer des initiatives cantonales en matière législative reculent souvent devant les frais. Sur le plan cantonal, les initiatives législatives ne sont donc pas très nombreuses, ni d'une grande portée matérielle. Elles n'animent et n'alimentent pas la vie politique au point qu'on puisse considérer cette institution comme jouissant particulièrement de la faveur populaire, comme une pièce maîtresse de la démocratie dans les cantons. La participation aux votations, même si elle n'est pas la même partout, montre également que les citoyens ne se préoccupent que médiocrement de l'objet d'initiatives législatives. C'est pourquoi il serait téméraire de prétendre que l'existence de l'initiative législative stimule particulièrement la législation des cantons, ou qu'elle serait un complément important et un contrôle de l'activité des parlements cantonaux. Loin de vouloir contester, dans son principe, la valeur de l'initiative législative sur le plan cantonal, le Conseil fédéral tient à considérer les choses comme elles sont.

Sur le plan fédéral toutefois, il se pourrait qu'on ait plus fréquemment recours à l'initiative législative. Le nombre des initiatives constitutionnelles déposées ces dernières années pourrait bien faire augurer toute une série d'initiatives législatives. Les attributions du législateur fédéral dépassent aujourd'hui, et de loin, celles des cantons dans les domaines de l'économie et de la vie sociale; elles créent en outre, sans qu'on le veuille, de nouvelles occasions de frictions entre l'Etat et les particuliers ou entre les particuliers eux-mêmes; elles concernent à tel point des problèmes vitaux qu'il en résulte une quantité de voeux, de requêtes, de critiques et de divergences d'opinions. L'initiative législative augmenterait le nombre des dimanches consacrés à une votation et des projets sur lesquels le peuple aurait à se prononcer. Cette plus
forte mise à contribution du citoyen serait-elle supportable? Serait-elle concihable avec le maintien d'un sage esprit démocratique ? C'est là un grave problème dont nous nous occuperons dans un autre chapitre.

Il ressort de l'enquête analysée par le professeur Burckhardt que dans les cantons les initiatives législatives sont généralement dues à la mauvaise humeur manifestée envers une autorité lors d'une affaire déterminée, à l'émoi qu'un crime soulève dans la population, à un mécontentement général plus ou moins diffus, à l'influence d'un démagogue. Ces conditions donnent aisément naissance à des lois de nature occasionnelle que l'on considère habituellement, à raison, comme mauvaises. Les réponses données par les cantons indiquent en outre que l'on recourt pour ainsi dire

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exclusivement à l'initiative législative pour s'opposer à la législation en vigueur, et non pour la développer ou la perfectionner. Le véritable travail législatif ne se fait donc pas de cette manière. Certes, les dispositions légales qui n'ont pas donné ou ne donnent plus satisfaction devraient pouvoir être éliminées à temps, mais la représentation populaire peut y pourvoir tout aussi bien.

2. Différences sur le plan fédéral et cantonal

Durant le siècle dernier, les cantons ont généralement précédé la Confédération dans la voie de la démocratie semi-directe. La Confédération leur a emprunté en 1874 le referendum législatif (facultatif) et en 1892 l'initiative populaire concernant la revision partielle de la constitution. Il semble donc, à première vue, que la Confédération doive, pour l'initiative législative également, suivre cette voie tracée par l'histoire.

Mais il est aussi vrai que ces institutions démocratiques fonctionnent mieux dans les cantons et les communes, où les choses se prêtent mieux à une vue d'ensemble; on aurait pu difficilement les implanter en matière fédérale s'il n'y avait pas l'expérience faite dans les cantons et les communes. Pour que les citoyens usent judicieusement du referendum et de l'initiative constitutionnelle en matière fédérale, il est d'ailleurs très utile qu'ils aient fait l'apprentissage de la démocratie dans les cantons et les communes.

Il existe toutefois des différences fondamentales entre la Confédération et les cantons. La Confédération a renoncé sciemment à reprendre divers droits populaires importants, connus dans un certain nombre de cantons. Pour les lois, elle n'a institué que le referendum facultatif, quoique la plupart des cantons connaissent le referendum obligatoire. Elle n'a instauré ni le referendum en matière de dépenses ni le referendum financier en général, qui jouent, dans le domaine des institutions publiques et de la politique, un rôle bien plus important que l'initiative législative. Le 30 septembre 1956, donc récemment encore, le peuple et les cantons ont repoussé le contre-projet opposé à une initiative constitutionnelle (retirée) qui tendait à instituer le referendum financier. H y a d'autres droits politiques -- moins importants -- que les cantons sont seuls à connaître. Nous pensons en particulier à l'initiative populaire concernant la révocation du Grand conseil et du gouvernement.

Dans les cantons, au moins dans ceux qui connaissent le referendum législatif obligatoire, la procédure à suivre pour l'adoption de dispositions constitutionnelles et la procédure législative sont fort semblables. La revision constitutionnelle exige, au Grand conseil, une lecture de plus que l'adoption d'ntift loi. Telle est en général la différence, A l'inverse de la constitution fédérale, les constitutions cantonales rie spécifient ni ne limitent

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les attributions du législateur. Dans les domaines réservés aux cantons, l'activité du législateur n'est pas restreinte aux seuls objets indiqués dans la constitution. La constitution et la loi étant mises à peu près sur le même pied (bien que la constitution jouisse dans les cantons aussi d'une plus grande autorité), l'existence de l'initiative législative à côté de l'initiative constitutionnelle s'explique aisément. On pourrait ainsi plutôt considérer comme une lacune l'absence de l'initiative législative dans les cantons.

Ce n'est pas l'effet du hasard si, dans maints cantons, l'initiative législative ressemble à l'initiative constitutionnelle, comme la loi ordinaire à la constitution; dans 11 cantons il n'y a, par exemple, que le nombre des signatures qui soit moins élevé, et encore la différence est-elle parfois minime. Sur le plan fédéral, la différence entre la constitution et la loi se manifeste lorsqu'il s'agit des problèmes fondamentaux de l'Etat, de la compétence du législateur, de la garantie des libertés individuelles, comme aussi du recours au referendum obligatoire ou simplement facultatif. Cela explique pourquoi l'institution de l'initiative législative en matière fédérale rencontre plus d'obstacles de droit public.

D'importantes différences matérielles et certaines répercussions font enfin que la création de l'initiative législative n'apparaît pas aussi indiquée pour la Confédération que pour les cantons. Le travail législatif est généralement plus simple dans les cantons que dans la Confédération. Les promoteurs d'une initiative ont aussi plus de facilité à concevoir et à rédiger des propositions utilisables et le citoyen est mieux à même d'apprécier leur sens et leur portée. L'étendue plus faible du territoire dans la plupart des cantons, la possibilité d'apprécier plus facilement les affaires politiques, l'homogénéité plus grande de la population et des intérêts font en outre que le danger de ne pas respecter des minorités dignes de protection est moins à craindre que dans la Confédération. Sur le plan fédéral, des initiatives législatives isolées pourraient nuire à la situation et au crédit de la Suisse dans le monde sans être vraiment contraires à la constitution ou à des conventions internationales. En matière cantonale un tel danger paraît peu probable.

V. L'initiative
législative et la démocratie La démocratie est moins une forme de l'Etat qu'un mode de vivre.

Comme mode de vivre, elle est vieille de plusieurs siècles dans notre pays.

Elle repose en définitive sur la foi en l'homme. Elle admet que les membres majeurs d'un peuple intellectuellement et politiquement mûr sont capables de prendre leurs décisions en commun, avec la conscience de leurs responsabilités envers la collectivité dans son ensemble et ses parties. Elle ne perd toutefois pas le, sens de la mesure et de ses limites. Les citoyens savent que la loyauté envers la communauté et le respect des autorités constituées sont

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indispensables. La base d'une telle démocratie est un certain équilibre social, l'absence de grandes différences entre les classes. Lorsque la démocratie est demeurée véritablement un mode de vivre, son esprit pénètre largement la vie quotidienne du peuple et lui imprime son empreinte, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte.

Nous sommes souvent enclins, en Suisse, à identifier la démocratie avec les institutions qui servent à former la volonté de l'Etat, notamment avec le referendum et l'initiative et, dans une certaine mesure, aussi avec l'exercice des droits politiques. C'est là une conception étroite de la démocratie. La démocratie a d'ailleurs précédé le referendum et l'initiative dans la Confédération et les cantons. Nonobstant l'existence de ces deux institutions, notre démocratie est largement représentative, de sorte qu'elle apparaît plutôt comme une démocratie semi-directe que directe, si l'on fait abstraction des cantons à landsgemeinde.

Nous devons également nous garder de voir d'emblée un perfectionnement de la démocratie dans chaque nouveau droit populaire. Toute proposition dans ce sens doit d'abord être l'objet d'un examen critique. Dans son rapport à l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire visant à instituer le referendum contre l'octroi de concessions hydrauliques, par exemple, le Conseil fédéral a, non sans raison, attiré l'attention sur le danger d'étendre le referendum aux actes administratifs (FF 1955, II, 657). Il avait même rejeté une fois l'idée d'une extension du referendum aux traités internationaux (FF 1914, III, 451). Plus tard, après la première guerre mondiale, il n'avait voulu l'admettre qu'avec des restrictions (FF 1919, II, 208).

Personne n'oserait prétendre que le referendum concernant les traités internationaux ait jamais constitué le couronnement de nos institutions démocratiques. Des gens compétents, dont l'attachement aux idées démocratiques ne fait pas de doute, le considèrent comme discutable et sans importance pratique, en raison de la rareté des traités internationaux de longue durée. On y a déjà vu une concession à l'idéologie démocratique d'une certaine époque (Burckhardt, Kommentar, 3e édition, p. 703).

Nous n'allons assurément pas prétendre que le perfectionnement de la forme démocratique de notre Etat par l'institution de
nouveaux droits populaires soit historiquement achevé. Eu égard aux conditions sociales de notre temps, il se pourrait, à tout prendre, que l'extension excessive de la démocratie compromette son existence ou son bon fonctionnement.

Vue sous l'angle d'une conception dogmatique de la souveraineté populaire, l'institution de l'initiative législative signifierait que le peuple serait appelé non seulement à opposer son veto à des lois par la voie du referendum, mais aussi à les élaborer et à les adopter de lui-même, le cas échéant, contre la volonté des représentants du peuple et des cantons. Il est curieux de constater que l'on cherche rarement à légitimer l'institution de l'initiative législative en invoquant ce principe fondamental. On entend

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souvent dire que la voie de l'initiative législative est dans la ligne de l'évolution et qu'elle est une utile «soupape de sûreté». C'est ainsi que le professeur Kägi a pu écrire sous le titre: Ein Postulat ohne Begeisterung que le feu sacré qui anime habituellement ceux qui défendent des projets de revision de la constitution, considérés comme fondamentaux ou même nécessaires pour l'avenir de la démocratie, manquait dans le cas de l'initiative législative (Werner Kägi, Die Gesetzesinitiatim -- eine Notwendigkeit dans l'ouvrage: Grenzen der direkten Demokratie, pages 56 et 58). Les promoteurs et les signataires d'une initiative ne sont pas le peuple. Ils ne sont que des citoyens, des groupes de citoyens. C'est pourquoi il est exagéré de dire que le peuple est encore privé d'un droit essentiel de la démocratie.

La statistique des initiatives fédérales qui ont été rejetées (trois sur quatre) montre que les promoteurs des initiatives ne connaissent pas toujours mieux que l'Assemblée fédérale et le Conseil fédéral les désirs, les idées, les besoins et l'état d'esprit du peuple, quand bien même ils sont fort enclins à se prétendre les interprètes du peuple et à s'identifier avec lui.

Pour justifier l'idée de l'initiative législative, on a affirmé, précédemment, que «la représentation populaire n'a pas le monopole de la sagesse législative et que cette sagesse se rencontre tout autant dans de larges couches de la population» (Meiner) ou que «chaque citoyen peut être un collaborateur précieux» (Burckhardt). Aujourd'hui encore, on peut partager cette confiance placée dans les aptitudes de larges couches de la population, lorsqu'il ne s'agit pas de travaux législatifs qui sont rendus plus difficiles par les conditions sociales et économiques et qui exigent des connaissances techniques très étendues et une prudence particulière. Mais les propositions intéressantes d'un citoyen peuvent se frayer un chemin aujourd'hui mieux qu'autrefois, même sans l'initiative législative. Depuis que le système de la représentation proportionnelle a été instauré en 1919 pour l'élection du Conseil national, les groupes dont les voeux en matière législative n'avaient jusqu'alors peut-être pas rencontré beaucoup d'écho peuvent mieux se faire entendre, au sein même de cette assemblée. Nous relevons aussi que, dans les circonstances
actuelles, les parlementaires prêtent habituellement une oreille plus attentive aux propositions émanant du peuple et les transforment en motions et postulats. Les citoyens ou les divers groupements qui désirent faire des propositions ou des suggestions au législateur peuvent chercher à influencer l'opinion publique par le moyen d'une presse parvenue à un haut degré de développement, par des conférences, par des réunions publiques et par la radio. Il faut cependant reconnaître qu'on se fait quelques illusions et voit les choses un peu en rosé quand on se figure le citoyen comme un homme désireux de collaborer de façon désintéressée à l'oeuvre législative et qui, si la voie de l'initiative législative était ouverte, rallierait spontanément le groupe de ceux qui partagent ses idées. Pour lancer avec succès une initiative fédérale en matière législative, il faudrait disposer aujourd'hui du concours d'organi-

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sations bien exercées et comptant de nombreux membres. Il faudrait aussi y consacrer de l'argent et du travail.

Le Conseil fédéral ne peut partager la manière de voir selon laquelle, dans une démocratie, l'initiative législative serait au moins une «soupape» absolument nécessaire. Ceux qui considèrent les choses de cette façon pensent, vraisemblablement, qu'il faudrait donner un exutoire au mécontentement populaire. Mais nous ne voyons pas bien comment des projets de loi pourraient précisément servir d'exutoire, surtout lorsque l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions se ferait attendre ou que les projets seraient pour la plupart rejetés. Cette comparaison avec un dispositif technique, la soupape, est d'ailleurs quelque peu boiteuse. Lorsque règne, dans un pays, un mécontentement dont on connaît les causes, il ne suffit pas de «lâcher de la vapeur». Le mieux est de prévenir le mécontentement, mais l'initiative législative n'est point pour cela le moyen approprié.

VI. L'initiative législative et les particularités du travail législatif Faire de bonnes lois a toujours été un art difficile. Les lois doivent être justes et appropriées à leur but. Elles doivent garantir la sécurité du droit et l'accroître. Il faut que nos lois respectent la constitution fédérale, notamment les droits individuels et les limites de la compétence fédérale.

Une loi est un ensemble de règles de droit dont le nombre varie selon l'objet et le but. Le législateur doit se préoccuper de beaucoup de choses. Il doit, par exemple, respecter les limites tracées à la compétence de la Confédération et régler la portée de la loi dans l'espace et dans le temps. Il a aussi le devoir de veiller à ce que les institutions qu'il crée soient judicieuses et à ce que les droits et les obligations des individus touchés soient indiqués clairement. H ne doit pas non plus oublier de régler l'organisation et la compétence des autorités, d'assurer l'exécution des obligations légales, la protection juridique des citoyens, le financement des dépenses nécessaires, II doit aussi penser, le cas échéant, aux conventions et aux organisations internationales, au cas particulier de tel ou tel Etat étranger et à l'application de la loi aux étrangers. Une loi devrait aussi être systématiquement ordonnée, de façon que les tribunaux et les autorités
administratives mais aussi et surtout les citoyens saisissent facilement son contenu. Nous avons déjà fait remarquer, dans le présent rapport, que ces obligations du législateur sont devenues plus compliquées et plus lourdes de responsabilité dans les temps que nous vivons, notamment en ce qui concerne les nouvelles tâches que le souci de la prospérité des particuliers impose à l'Etat moderne.

En deux mots, nous croyons pouvoir dire que l'art difficile de la législation consiste principalement dans une étude appropriée des questions et

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dans un travail soigné, ce qui présuppose que le premier projet soit soumis à un large débat. Ce débat donnera l'occaaion de défendre l'ensemble des idées et intérêts entrant en considération, de convaincre ceux qui ne sont pas encore d'accord, d'entendre l'avis des gens de savoir et d'expérience, de sonder l'opinion publique. Le premier projet doit être ainsi soumis à des examens multiples.

Les comités d'initiative ne sont d'ordinaire pas.en mesure de faire ce travail. Ce n'est pas un reproche que nous leur adressons. Nous nous bornons à constater qu'ils ne peuvent pas suffire. Ne disposant pas du temps nécessaire, ils s'efforcent d'établir rapidement et définitivement le texte de leurs projets au cours de séances aussi peu nombreuses que possible. Une partie de ceux qui participent à cette oeuvre manquent d'ailleurs d'expérience en matière législative et connaissent mal l'aspect juridique du problème ainsi que les conditions particulières à d'autres professions, d'autres milieux sociaux ou d'autres régions du pays. Ces comités d'initiative sont composés de gens appartenant aux mêmes milieux, de sorte que le texte issu de leurs délibérations n'est pas le fruit d'une discussion véritable où se sont confrontés les avis et les intérêts opposés.

Dès qu'un comité d'initiative a arrêté les termes de son projet et fait imprimer les feuilles destinées à recevoir les signatures, le contenu de la future loi est définitivement établi. D ne peut plus être ténu compte d'objections ou d'avis émanant d'autres milieux ou des promoteurs eux-mêmes.

Il n'y a plus possibilité de discuter, de faire des concessions, car l'initiative est «lâcbée» et ne peut plus être amendée, même si ses auteurs reconnaissent qu'une amélioration serait désirable. Les promoteurs doivent maintenant défendre leur projet, vaille que vaille. Il n'y a plus que les possibilités suivantes: Le nombre requis de signatures sera obtenu ou ne le sera pas, l'initiative qui a abouti sera acceptée ou rejetée, la préférence sera donnée à un contre-projet, l'initiative sera retirée. Le lancement de l'initiative législative est ainsi plus un acte politique qu'un acte ressortissant à la législation proprement dite, avec délibération adéquate du projet. Si le projet des promoteurs devient néanmoins texte légal, l'insuffisance des soins dont il a été
l'objet peut causer de grands dommages au peuple suisse et à son ordre juridique. Quand bien même une telle loi peut être abolie dans la suite, la procédure que nous avons décrite a quelque chose d'improvisé qui, en dernière analyse, est contraire à la législation.

La procédure législative actuelle demande souvent un grand appareil et un grand travail de réflexion: séances de petites et grandes commissions d'experts avec participation de fonctionnaires spécialisés, enquêtes particulières faites par des services ou des statisticiens, vaste consultation des cantons et des associations,, nouvelles délibérations des experts, séances des commissions parlementaires, débats des conseils législatifs, le cas échéant procédure laborieuse pour aplanir les divergences. A tout cela s'ajoutent

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les nombreuses délibérations du Conseil fédéral et les discussions entre le chef de département et ses collaborateurs ou d'autres personnes. H n'y a pas de relation de cause à effet entre cette procédure et l'inflation législative dont on se plaint. L'institution de l'initiative législative pourrait d'ailleurs provoquer ou favoriser cette inflation. Nous ne voulons pas traiter dans le présent rapport la question de savoir si la procédure que nous avons décrite ne pourrait pas être simplifiée. Mais il est manifeste que si nous acceptions malgré tout d'instaurer l'initiative législative, nous reconnaîtrions que l'on peut fort bien établir des textes de lois au cours d'une ou deux soirées de délibérations. Ce serait là un désaveu infligé à notre procédure traditionnelle en matière de législation, à cette procédure qui exige du temps, de l'expérience, des efforts, un travail intellectuel souvent ardu et de longue haleine et qui demande aussi que les avis contraires soient entendus et que l'on cherche inlassablement la conciliation des thèses opposées. Qui plus est, nous mettrions jusqu'à un certain point en question la vocation de l'autorité à laquelle la constitution a confié le soin de légiférer et qui fonctionne selon des règles établies avec beaucoup de soin, soit l'Assemblée fédérale. Déterminer le contenu d'une loi est une chose. Accepter ou rejeter une loi lorsqu'il y a eu appel au peuple sous la forme d'une demande de referendum en est une autre. Les auteurs de la constitution re visée de 1874 n'ont pas été mal inspirés et ont au contraire montré qu'ils appré-.

ciaient sagement la nature et les limites des attributions législatives quand ils ont conféré au peuple la possibilité de donner sa sanction à une loi issue des délibérations des chambres, mais non pas celle de prendre part à la rédaction et à la discussion du projet. Après avoir pesé soigneusement le pour et le contre, le Conseil fédéral pense qu'il n'y a pas heu de changer quoi que ce soit à la répartition des attributions entre le peuple et le parlement. Cette répartition a donné satisfaction, On alléguera peut-être que les termes d'une initiative constitutionnelle sont aussi discutés, hors du parlement, par un comité. Bien que la constitution ait une valeur juridique supérieure à celle de la loi, l'art de légiférer est en général
plus difficile que celui de formuler un article constitutionnel.

Lors des délibérations relatives à la motion Arthur Schmid, il a été affirmé qu'un comité d'initiative doit savoir prêter la main à un compromis politique et se garder de toute solution unilatérale s'il veut que son initiative rencontre la faveur populaire. Il y a assurément quelque chose de juste dans cet argument. Mais on peut craindre que les auteurs d'une initiative législative n'écartent les solutions unilatérales que pour obéir à des considérations tactiques et s'assurer le succès. La procédure législative que nous connaissons aujourd'hui, avec toutes les délibérations qu'elle comporte, est plus judicieuse. Elle répond à l'idée, foncièrement démocratique, selon laquelle tous les avis, besoins et intérêts qui se rencontrent dans le peuple doivent pouvoir être examinés déjà au moment où se discute le contenu d'une loi.

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Pour défendre l'idée de l'initiative législative, on a aussi allégué qu'il fallait briser le pouvoir exercé par l'administration sur l'oeuvre du législateur, n est clair que l'influence exercée par les services compétents sur le contenu des lois s'accroît à mesure qu'augmenté la spécialisation. Ce phénomène est cependant inévitable. Il est même désirable, car il protège toute oeuvre législative un peu délicate contre l'action des gens peu compétents, contre une façon de traiter superficiellement les problèmes. On ne saurait parler d'un pouvoir de l'administration qu'il s'agirait de briser.

Là où les propositions de l'administration sont mal équilibrées ou mal fondées, là où elles révèlent une influence excessive des bureaux, il appartient au Conseil fédéral et à l'Assemblée fédérale, comme aussi aux cantons, aux associations et aux personnes compétentes étrangères à l'administration, d'apporter les correctifs dictés par des raisons politiques ou pratiques.

Il est pour le moins douteux que les initiatives législatives eussent un meilleur effet.

Le Conseil fédéral n'est pas non plus convaincu que l'initiative législative puisse assurer, comme on l'a prétendu, un contact plus étroit entre les autorités et le peuple dans le domaine de la législation. Certes, une critique objective et constructive peut renforcer la confiance. Dans les temps agités et troublés que nous vivons, il y a cependant aussi une critique stérile et purement négative qui nuit à cette confiance. L'expérience faite avec l'initiative constitutionnelle montre en outre qu'on se sert plus souvent qu'autrefois de cet instrument aux seules fins d'exercer une pression sur le législateur, de faire de l'opposition, de contre-attaquer, d'imprimer une direction nouvelle aux travaux législatifs en cours. Que l'on considère qu'il y a là un abus du droit d'initiative ou un phénomène politique qui est dans l'ordre des choses, on ne pourra jamais admettre que le contact entre le peuple et les autorités sera ainsi rendu plus étroit.

On tente parfois de justifier l'initiative législative en disant qu'elle est un «moteur social», qu'elle est un moyen de hâter la réalisation de voeux de nature sociale. Le Conseil fédéral a aussi examiné avec soin cet argument. Nous devons reconnaître que l'institution de rassurance-invalidité a, chez nous, quelque
peu traîné en comparaison de l'allure des travaux dans les Etats voisins. La base constitutionnelle qui, d'ailleurs, a pour origine une proposition du Conseil national, ne date-t-elle pas de 1925 ?

Après l'échec d'une première tentative de légiférer en matière d'assurancevieillesse et survivants, un temps d'arrêt était cependant inévitable. Ce temps d'arrêt ne doit certes pas être attribué à la simple inertie des autorités fédérales. H avait pour causes la crise économique, la seconde guerre mondiale et une certaine incertitude quant à la façon d'organiser et de financer cette assurance populaire générale (Burckhardt, Kommentar der Bundesverfassung, 3e édition, p. 297). Ceux qui, plus tard, lancèrent une initiative dans le domaine des assurances sociales n'intervinrent d'ailleurs pas de

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manière particulièrement énergique dans le public en faveur d'une accélération dea travaux concernant l'assurance-invalidité. Or ils auraient fort bien pu le faire. Dans notre Etat démocratique, il arrive parfois qu'on doive, même pour une loi urgente, attendre le temps de la maturité. Si la voie de l'initiative législative avait été à disposition, il est bien peu probable que les promoteurs d'une initiative eussent été à même d'élaborer eux-mêmes un projet de loi réglant l'institution de l'assurance-invalidité d'une façon approfondie et judicieuse. L'élaboration d'une loi en cette matière exige en effet des travaux qu'ils n'auraient pas été en mesure de mener à chef. Il y a lieu de considérer aussi que la position du parlement, en Suisse comme ailleurs, s'est profondément modifiée. Un «moteur social» est certainement moins nécessaire aujourd'hui qu'autrefois, car les membres du parlement prennent spontanément des initiatives dans les questions de politique sociale. Un esprit non prévenu peut même penser que les parlementaires rivalisent de zèle et qu'il ne s'agit aucunement de mesures d'ordre social difficiles à «arracher» au parlement. La Confédération étant devenue toujours plus un Etat qui veille au bien-être général (cf. par exemple l'art. Slbis, 1er al., Cst.), l'élu du peuple ne manque pas de faire siennes les revendications de ses électeurs et d'agir pour qu'elles soient satisfaites.

Il prend même parfois les devants. Cette évolution apparaît aussi dans le vote des dépenses, la discussion du budget et à d'autres occasions encore.

Durant des siècles, les constitutions des Etats libéraux démocratiques ont confié au parlement le soin de protéger les citoyens contre la prodigalité du gouvernement. Dérogeant partiellement au principe de la séparation des pouvoirs, elles donnaient par conséquent au parlement le droit d'autoriser ou de refuser les dépenses que le gouvernement entendait faire.

L'accroissement des dépenses entraîne en effet habituellement l'accroissement des impôts. Les choses ont changé aujourd'hui. Depuis que l'Etat s'acquitte de toute sorte de prestations dans l'intérêt de la sécurité sociale, le député s'emploie surtout à faire accroître ces prestations. Mettre en garde contre la prodigalité est devenu un rôle plus ingrat que jadis. Il appartient maintenant plutôt au gouvernement
qu'au parlement. Nous n'avons pas à traiter dans le présent rapport des questions de régime financier et de politique des dépenses. Notre propos est simplement de signaler la tournure qu'ont prise les rapports entre les autorités suprêmes et les facteurs politiques, tournure qui permet de conclure qu'il n'est pas nécessaire de créer un nouveau «moteur social». Enfin, nous devons mettre en garde contre l'institution d'une initiative législative si elle ne devait servir qu'à engendrer une certaine agitation ou à alimenter la propagande électorale.

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VII. La question de l'institution de l'initiative législative telle qu'elle se pose actuellement 1. On a reproché au Conseil fédéral d'avoir, depuis 1906, changé d'avis au sujet de l'initiative législative.

Constatons tout d'abord que si le Conseil fédéral de 1906 s'était prononcé pour l'institution de l'initiative législative, c'est probablement sous l'influence de Ludwig Forrer, alors président de la Confédération. Porrer était un Zurichois. Il avait appartenu au parti démocratique de Winterthour, qui attachait beaucoup de prix à l'extension des droits populaires.

En faisant cette remarque, nous ne voulons pas contester que le Conseil fédéral lui-même eût adopté une attitude positive, comme nous ne voulons pas non plus accuser le conseiller fédéral Forrer d'avoir agi en Zurichois et homme de parti, au lieu de se laisser guider par des considérations de politique générale. Ce sont cependant les personnalités marquantes qui font l'histoire politique, et il n'y a rien de déshonorant pour notre forme de gouvernement si l'un ou l'autre des conseillers fédéraux fait prévaloir son opinion et donne à des décisions l'empreinte de son esprit. Plus d'un demisiècle s'est écoulé depuis 1906. On a enregistré dans l'intervalle des changements d'ordre politique et social, dont certains sont extrêmement profonds et jettent une nouvelle lumière sur la question de l'initiative législative.

Les inventions de ces derniers temps rendent encore plus manifeste le caractère révolutionnaire de notre époque. Le Conseil fédéral croit qu'on l'aurait plutôt blâmé s'il avait simplement confirmé son attitude, sans la soumettre à un nouvel examen.

2. Déjà lors de la discussion du rapport sur le postulat Schmid et de la motion déposée par la minorité de la commission du Conseil national, le représentant du Conseil fédéral contesta que celui-ci fût devenu indécis et pusillanime et qu'il eût perdu confiance dans les forces qui animent la démocratie suisse. On peut rejeter aujourd'hui l'idée de l'initiative législative, déclarait le conseiller fédéral Feldmann, sans cesser d'être un bon démocrate (Bull. stén. 1953, CN p. 312).

Les changements que nous avons vécus nous paraissent commander que le gouvernement, s'il veut examiner avec soin la question d'une modification si profonde de nos institutions, ne se borne pas à s'inspirer
uniquement de considérations fondées sur les idées de liberté et de démocratie.

Se libérant de tout préjugé, il doit aussi tenir compte des faits observés dans la vie politique. Il doit examiner dans un esprit réaliste et à la lumière des données de la science les conditions dans lesquelles s'exercerait aujourd'hui un nouveau droit populaire.

Dans notre ère industrielle, l'individu est certainement devenu plus vulnérable, plus dépendant à bien des égards, moins apte à vivre à sa guise.

Certains sociologues considèrent qu'il est devenu un «homme situé», c'estFeuilU fédérale. 112« année. Vol. I

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à-dire un homme soumis étroitement à certaines conditions de vie. Des théologiens de différentes croyances remarquent une peur de vivre très répandue. Nous ne développerons pas ces considérations. Nous n'y avons touché que pour montrer que l'esprit de notre temps est déjà défavorable à la présentation de dispositions légales claires, libérales et judicieuses sous la forme d'initiatives législatives. Nous avons déjà signalé le danger d'une complication croissante de la législation.

H faut cependant constater que la participation moyenne aux votations populaires fédérales a diminué depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Le citoyen semble moins se soucier de l'accomplissement de son devoir civique. La raison en est que l'homme moderne, comme l'ont aussi montré des enquêtes faites à l'étranger, ne s'intéresse souvent plus qu'à ce qui touche directement son avenir et celui de sa famille (revenu, vacances, emploi de loisirs, éducation des enfants, etc.). Ce manque d'intérêt n'est pas sans danger pour la démocratie. La faible participation aux votations conduit à des décisions de hasard, dans lesquelles la passivité joue un grand rôle. De telles décisions manquent souvent de l'autorité nécessaire et nuisent à l'épanouissement de l'idée démocratique dans la conscience populaire. Ceux qui ont vu rejeter le projet qu'ils avaient soutenu peuvent être aisément tentés de faire bientôt annuler ce résultat. On n'a pas encore trouvé de remède à l'abstentionnisme. C'est, semble-t-il, un mal qu'on ne guérira jamais par des moyens extérieurs. Un changement de mentalité est nécessaire. A une époque où la participation aux votations est si faible, peut-on prendre la responsabilité de développer les droits populaires ? Ce serait une erreur de croire que l'initiative législative serait précisément un moyen de ramener un plus grand nombre de citoyens aux urnes.

3. Dans une certaine mesure, on pourrait craindre aussi que l'initiative législative ne devienne une arme entre les seules mains d'organismes puissants ou de personnages bien pourvus d'argent, parce que ce sont en général ces milieux-la qui disposent des ressources et des influences personnelles habituellement nécessaires pour mener à bonne fin une initiative populaire. Il pourrait en résulter, dans certaines circonstances, une intrusion inacceptable de
la force dans notre vie politique et sociale. Le Conseil fédéral est d'avis qu'il y a assez d'autres moyens à disposition pour soutenir d'une manière légitime et avec une retenue suffisante les intérêts dés branches de l'économie et des groupements professionnels ou autres. Ceux qui défendent les intérêts de ces milieux dans les conseils législatifs sont d'ailleurs nombreux.

L'institution de l'initiative législative toucherait, à n'en pas douter, les rapports entre les partis politiques et les associations à but économique ou social. Le Conseil fédéral n'ignore pas que ces rapports ont déjà, d'une façon générale, subi certaines modifications. Dans un Etat démocratique,

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il ne faudrait cependant pas que des innovations diminuent sans nécessité le rôle des partis politiques et, par là, exercent une influence défavorable sur la politique générale.

Y111. Les difficultés que l'initiative législative entraînerait pour la fixation de la date des votatioms On s'accorde, sans doute, à reconnaître qu'il n'est pas bon d'avoir^ au cours de l'année, trop de dimanches consacrés à une votation et qu'il n'est pas bon non plus de soumettre trop de projets en même temps à la votation. L'art de garder le juste milieu serait encore plus difficile si l'on instaurait l'initiative législative, car le nombre absolu des projets augmenterait. Notons que les cantons et les communes doivent organiser aussi nombre de votations et que maints dimanches ne conviennent pas, par exemple parce qu'ils sont jours de fête ou parce que c'est l'époque des vacances, des moissons ou des cours de répétition d'importants corps de troupes. Il est en outre souvent difficile de décider quels projets peuvent être soumis ensemble à la votation. Même si la maturité politique et la capacité de discernement du citoyen permettent de ne pas attacher beaucoup de poids à cette question, on sait cependant par expérience que les chances d'acceptation de tel projet peuvent parfois augmenter ou diminuer suivant que ce projet est soumis à la votation en même temps que tel autre.

Si l'initiative législative était introduite en matière fédérale, il serait encore plus difficile qu'à présent de réfuter le reproche que le Conseil fédéral combinerait deux votations pour augmenter ou diminuer les chances d'acceptation de l'un des projets. Il y a lieu de considérer aussi que les initiatives doivent être traitées et soumises à la votation dans un certain délai légal. On aurait parfois de la peine à concilier ces deux exigences contraires qui sont: respecter des délais et ne pas trop charger le programme des votations.

De nouvelles difficultés et controverses sont encore apparues ces derniers temps. Il arrive que deux partis ou groupements politiques lancent et déposent des initiatives concurrentes. Le cas s'est produit, par exemple, pour l'assurance-invalidité et la réduction de l'impôt pour la défense nationale. La constitution et la loi du 27 janvier 1892/5 octobre 1950 sur le mode de procéder pour les demandes d'initiative
populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale ne permettent pas d'opposer une de ces initiatives à l'autre, comme on oppose un projet à un contre-projet. L'Assemblée fédérale peut d'ailleurs elle-mênie opposer un contre-projet. Car l'ordre adopté pour les votations peut avoir une influence décisive sur le sort des initiatives. L'article 15 de la loi susmentionnée dispose que l'initiative déposée en premier lieu sera soumise la première à la votation. Une antériorité fortuite confère ainsi la priorité. Si le peuple accepte l'initiative déposée la première puis la seconde, celle-ci est considé-

388 rèe corame modification de la première. Cette façon de régler les choses n'est pas satisfaisante, étant donné que les deux initiatives entendent modifier l'ordre juridique existant et que le texte de l'une ne tend pas à modifier le texte de l'autre. H ne serait pas non plus judicieux de soumettre le même jour à la votation les deux initiatives, séparément (et non pas comme propositions alternatives), car le peuple pourrait ainsi adopter des dispositions contradictoires. Tous ces inconvénients augmenteraient probablement encore avec l'initiative législative. La sécurité du droit pâtirait notamment du fait que deux initiatives législatives concurrentes seraient adoptées l'une après l'autre, à bref intervalle, par l'effet de règles analogues à celles qui valent aujourd'hui pour les initiatives constitutionnelles concurrentes.

Nous devons considérer aussi qu'une initiative peut perdre son objet déjà avant la votation. L'autorité aurait-elle le droit de la classer, si elle n'est pas retirée ?

Si l'on voulait, contrairement à notre avis, instituer l'initiative législative en matière fédérale, il serait nécessaire de prévoir une réforme générale du droit d'initiative, c'est-à-dire aussi de l'initiative constitutionnelle.

Une telle réforme est recommandée notamment par le professeur Max Imboden, qui est partisan de l'initiative législative, mais n'accepte pas la forme actuellement proposée (cf. l'ouvrage: Grenzen der direkten Demokratie, p. 15s.). On doit reprocher à l'initiative qui nous occupe ici de ne pas remplir la condition requise et même de l'ignorer.

IX. Critique de l'article 93bis de la constitution, tel qu'il est proposé par l'initiative 1. L'initiative législative déposée par huit cantons au moins (1er alinéa) Le dépôt d'une demande de referendum législatif par huit cantons au moins (art. 89, 2e al., Cst.) s'est révélé chose peu pratique, puisqu'il n'est encore jamais arrivé, depuis 1874, que des cantons aient demandé un referendum. Néanmoins, les promoteurs de l'initiative dont nous nous occupons proposent une disposition (art. 93 bis, 1er al.) disant que huit cantons doivent pouvoir aussi déposer une initiative législative. Nous ne voyons pas pourquoi ils ont voulu voir établir la même règle pour le referendum et l'initiative. La disposition autorisant huit cantons à déposer une
initiative législative serait peu pratique, elle aussi. Ces mouvements prennent habituellement naissance dans le peuple, et non pas au sein des autorités cantonales.

Il est vraisemblable que les cantons ne s'accorderaient pas non plus facilement sur la teneur du texte législatif et auraient de la peine à trouver le temps et les ressources qu'exigé une initiative. Il faut cependant reconnaître que les initiatives législatives émanant de cantons seraient mieux préparées.

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Si le peuple et les cantons acceptaient l'initiative dont il s'agit ici, les cantons devraient également reviser leur constitution pour désigner l'autorité (Grand conseil seul ou Grand conseil avec participation obligatoire ou facultative du peuple) habilitée à décider le dépôt d'une initiative législative, avec le concours de sept autres cantons. Les constitutions cantonales règlent aujourd'hui de façons fort diverses la procédure à suivre lorsqu'il s'agit, pour huit cantons, de déposer une demande de referendum législatif en matière fédérale. Et cette diversité rend encore plus problématique la collaboration des cantons à la formation de la volonté générale dans les affaires de la Confédération. Nous renvoyons ici à l'article 6 de la loi du 17 juin 1874 concernant les votations populaires sur les lois et arrêtés fédéraux. Cet article réserve le droit que la constitution cantonale peut conférer au peuple en ce qui concerne la décision du Grand conseil de demander le referendum législatif en matière fédérale. Les revisions auxquelles il faudrait soumettre les constitutions cantonales nécessiteraient ainsi un travail bien considérable, sans juste rapport avec le résultat pratique qu'on peut attendre d'une disposition autorisant les cantons à se grouper pour exercer le droit d'initiative législative en matière fédérale. Quelques cantons seulement seraient peut-être en mesure de désigner, par la voie de l'interprétation, l'autorité habilitée à décider la participation au dépôt d'une initiative législative en matière fédérale.

On aurait pu aussi se demander sérieusement si le droit d'initiative (Vorachlagsrecht) que l'article 93, 2e alinéa, de la constitution accorde à chaque canton ne suffirait pas aux besoins des cantons.

2. L'initiative visant l'adoption, la modification ou l'abrogation d'arrêtés fédéraux de portée générale (1er alinéa) L'initiative que nous traitons ici voudrait que l'initiative législative fût étendue aux arrêtés fédéraux de portée générale. Cette extension de la nouvelle institution n'est pas illogique, mais susciterait de grandes difficultés juridiques et pratiques. La ligne de démarcation entre les arrêtés fédéraux de portée générale et les lois d'une part et les arrêtés fédéraux simples d'autre part est un peu flottante. Les discussions qui ont eu lieu ces derniers temps
n'ont pas jeté beaucoup de lumière sur la question.

Une complication de plus résulte du fait qu'on a muni de la clause référendaire des arrêtés fédéraux qui, par leur contenu, étaient des arrêtés simples. Ajoutons que les avis sont profondément divisés sur la question de la notion de portée générale, les uns disant que ce sont les règles de droit contenues dans l'arrêté qui comptent, les autres soutenant qu'il faut considérer la portée, par exemple la portée financière. La différence entre les textes allemand et français de l'article 89 de la constitution accroît encore les divergences d'opinions. On pourrait même se demander s'il n'y aurait pas lieu de renoncer à la forme de l'arrêté fédéral de portée générale.

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Or si une initiative populaire doit pouvoir proposer également des arrêtés de portée générale (et non pas des arrêtés simples), l'insécurité et la confusion ne feraient que croître. Il ne semble pas que les promoteurs d'une initiative verraient plus clair que l'Assemblée fédérale dans ces questions.

Comme celle-ci devrait déclarer nulles les initiatives qui concerneraient en réalité un arrêté fédéral simple, il faudrait s'attendre que la différence à faire entre les arrêtés de portée générale et les arrêtés simples susciterait encore plus souvent que maintenant des divergences et des discussions dans les conseils législatifs. On pourrait même concevoir des cas où l'Assemblée fédérale prendrait des décisions différentes selon qu'il s'agirait pour elle de se prononcer sur la validité d'une initiative ou d'adopter elle-même un arrêté.

Il resterait encore une question à éclaircir: celle de savoir si l'arrêté proposé par une initiative pourrait être muni de la clause d'urgence, ce qui permettrait de le mettre en vigueur immédiatement, conformément à l'article 896*s de la constitution. Cela signifie qu'on ne serait pas au clair sur les rapports entre le droit d'initiative et la clause d'urgence.

3. Le nombre des signatures (1er alinéa) Selon les intentions des promoteurs, il faudrait, pour qu'une initiative législative aboutisse, qu'elle ait recueilli au moins 50 000 signatures valables, c'est-à-dire autant que pour une initiative constitutionnelle. Il faut reconnaître que le Conseil fédéral avait proposé le même chiffre en 1906. On peut cependant se demander s'il ne conviendrait pas de faire, à l'instar de la plupart des cantons, une différence entre l'initiative constitutionnelle et l'initiative législative en n'exigeant pas le même nombre de signatures pour les deux. Il y a une certaine contradiction entre le désir de protéger désormais la pureté de la constitution en instaurant l'initiative législative et le fait que le nombre de signatures requis pour une initiative constitutionnelle ne serait pas plus élevé que pour une initiative législative, On peut d'ailleurs se demander s'il ne faudrait pas relever tous les chiffres de signatures, eu égard à l'accroissement de la population, et tenir compte, par les chiffres, de l'importance et du rang des différents droits populaires. Lors des délibérations
sur l'institution du suffrage féminin, les conseils législatifs s'étaient opposés à une augmentation du chiffre minimum de signatures pour les initiatives constitutionnelles, bien que cette augmentation se fût particulièrement imposée en l'occurrence.

4. Les clauses de nullité selon le 2e alinéa L'initiative que nous traitons aujourd'hui prévoit qu'une initiative législative n'est valable que si elle n'est pas en contradiction avec la constitution ou avec des obligations résultant pour la Confédération de traités internationaux. Une telle initiative ne peut pas non plus demander la modification ou l'annulation d'actes administratifs ou de jugements.

391 L'idée d'imposer de telles limites à l'initiative législative est louable, car elles sont nécessaires au respect de la constitution, du droit des gens et des principes sur lesquels est fondé un Etat régi par le droit. Les termes du 2e alinéa sont cependant trop étroits. Une initiative devrait respecter non seulement les engagements imposés à la Confédération par des traités internationaux, mais aussi ceux qui découlent du droit des gens en général.

Dans les autres constitutions adoptées après la guerre, ce respect et cette reconnaissance des obligations internationales ne reposant pas sur des traités sont proclamés solennellement. La Suisse ne doit pas les négliger.

Ajoutons qu'une initiative ne devrait pas pouvoir avoir pour objet l'adoption, la modification ou l'abolition d'un arrêté fédéral simple.

5. L'unité de la matière (3e alinéa) Aux termes du 3e alinéa, une initiative législative ne doit pas avoir plus d'une matière pour objet. Cette idée est empruntée à l'article 121, 3e alinéa, de la constitution, qui l'a mise en pratique pour les initiatives tendant à la revision partielle de la constitution. Le but est de garantir au citoyen sa liberté de décision. La jonction de matières différentes ne doit pas le mettre dans l'obligation d'accepter ou de rejeter le tout.

L'idée de transposer ce principe dans le domaine de l'initiative législative est louable, mais elle néglige le fait que l'unité de la matière ne peut pas être respectée au même degré dans le domaine législatif que dans le domaine constitutionnel. Il y a des lois qui, pour être complètes et répondre aux buts du législateur, doivent forcément porter sur plusieurs matières ou au moins toucher à plusieurs matières. On ne peut donc pas toujours faire des lois pour des matières nettement déterminées. Pour prendre un exemple dans un passé tout récent, nous rappellerons que la loi sur la protection des eaux contre la pollution concerne également l'expropriation, la juridiction administrative, la lutte contre les parasites, etc. Au cas où la présente initiative serait acceptée, avec son article 93 ois, 3e alinéa, l'Assemblée fédérale verrait sans cesse s'ouvrir un débat sur la question de savoir si une initiative législative respecte ou non le principe de l'unité de la matière.

G. L'interdiction des initiatives conçues en termes
généraux (4e alinéa) L'initiative du parti socialiste suisse n'entend pas qu'une initiative législative puisse revêtir la forme d'un projet conçu en termes généraux.

Une initiative législative devrait donc, pour être valable, toujours être un projet rédigé de toutes pièces. La proposition du Conseil fédéral de 1906, qui s'inspirait des propositions des cantons de Zurich et de Soleure, entendait ouvrir également la porte à l'initiative conçue en termes généraux.

Cette interdiction de l'initiative conçue en termes généraux ne serait pas satisfaisante, supposé que la Confédération adopte le principe de l'initia-

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tive législative. On pourrait même se demander sérieusement s'il ne vaudrait pas mieux se borner à instituer l'initiative conçue en termes généraux.

Dans le domaine de la législation ordinaire encore plus que dans celui du droit constitutionnel, il importerait que le citoyen pût proposer l'adoption de dispositions sans qu'elles soient d'emblée formulées et que l'autorité législative pût accepter la proposition et mettre sur pied les dispositions qu'elle comporte. L'autorité législative sait d'ailleurs mieux si et comment des mesures ont déjà été prises qui répondent aux voeux des promoteurs de l'initiative et tout ce qu'il faut considérer par ailleurs. Si l'initiative législative devait être conçue en termes généraux, l'Assemblée fédérale serait notamment en mesure de rédiger des dispositions légales qui ne contiendraient rien de contraire à la constitution ou au droit des gens, et l'initiative ne risquerait pas d'être déclarée nulle pour quelque autre raison de ce genre.

Le Conseil fédéral a l'impression que les promoteurs, en ne proposant que la forme de l'initiative rédigée de toutes pièces, se sont laissés guider par un sentiment de méfiance non justifié envers l'Assemblée fédérale.

7. L'examen de la validité par l'Assemblée fédérale (5e alinéa)

II convient de se rendre compte que l'obligation que l'initiative du parti socialiste suisse entend imposer à l'Assemblée fédérale -- examiner la validité des initiatives législatives -- susciterait de délicats problèmes d'ordre constitutionnel et parfois de droit des gens. Ce pouvoir de décision conféré à l'Assemblée fédérale répond à notre tradition suisse et présente certains avantages. Mais il est au moins permis de se demander si l'Assemblée fédérale serait l'organe adéquat, étant donnée la complexité des questions de droit. Chaque initiative législative exprimerait aux autorités fédérales tacitement ou ouvertement le reproche de n'avoir pas agi jusqu'à présent. Mais il faudrait aussi craindre que l'Assemblée fédérale ne donne parfois un sens politique à des questions de droit. Il y aura lieu par conséquent d'examiner lors de la revision des dispositions applicables à l'initiative constitutionnelle si l'examen de ces questions de validité ne pourrait pas être confié d'une manière ou d'une autre au Tribunal fédéral ou à un autre organe indépendant, spécialement qualifié pour traiter les questions de droit constitutionnel et de droit des gens.

Il convient de noter aussi que presque tous les Etats voisins, et d'autres Etats encore, ont fortement développé la juridiction constitutionnelle ces derniers temps. Il est vrai que la question de l'extension de cette juridiction doit être traitée dans un cadre plus large, et pas seulement en liaison avec l'initiative législative.

L'article QSbis, 5e alinéa, proposé par l'initiative socialiste entend ne donner un droit de décision à l'Assemblée fédérale qu'en ce qui concerne la validité des initiatives législatives. Or on n'a pas oublié que la compé-

393 tence de l'Assemblée fédérale et son étendue avaient donné lieu à discussions à propos des initiatives constitutionnelles dites de «Rheinau» et pour la réduction des armements. L'initiative qui nous occupe aujourd'hui ne résout pas la question. Cela montre, ici également, que si l'on voulait instaurer l'initiative législative, il faudrait réformer complètement le droit d'initiative en matière fédérale, 8. La force de loi acquise sans votation populaire (6e alinéa) L'initiative du parti socialiste prévoit que si l'Assemblée fédérale accepte une initiative législative, la loi proposée acquerrait force de loi sans votation populaire, sous réserve du referendum facultatif. Le projet de loi deviendrait ainsi, en quelque sorte, un projet de l'Assemblée fédérale.

Cette solution suscite des appréhensions. Ce qui a commencé par être une initiative ne devrait pas devenir, pour finir, un acte du législateur, car il en résulterait une confusion des responsabilités. H faut aussi considérer -- c'est encore plus important -- qu'une initiative populaire devrait toujours être soumise à la décision populaire avant de devenir une loi, car une initiative n'est en somme qu'un appel adressé par un groupe de citoyens au peuple et non pas à l'Assemblée fédérale. Si le referendum facultatif était seul réservé, on aurait cet inconvénient que la balle serait renvoyée aux adversaires du projet qui, pour le combattre, devraient lancer une demande de referendum.

A vrai dire, il n'arriverait probablement pas souvent que l'Assemblée fédérale approuve un projet de loi proposée par une initiative législative et que la loi entre en vigueur sans votation. Mais il y aurait lieu de craindre que l'Assemblée fédérale, en pareille occurrence, ne prête trop l'oreille à des considérations dites tactiques. Elle pourrait attacher une importance excessive à la question de savoir qui aurait les plus grandes chances de succès: les auteurs de l'initiative ou leurs futurs adversaires dans la campagne référendaire. La confiance qui doit régner dans les affaires publiques, tant entre les partis et les groupes qu'entre le peuple et ses autorités, pâtirait du fait que la constitution elle-même induirait l'Assemblée fédérale dans la tentation de «jouer» une partie du peuple contre une autre.

X. Le texte de l'initiative concorde-t-il dans les
trois langues ?

L'initiative formulée du parti socialiste suisse a été présentée dans les trois langues officielles, le texte allemand étant déterminant. II y a heu par conséquent d'examiner si ces trois textes concordent et de fixer la teneur qui devrait figurer dans la constitution au cas où, contre notre avis, l'initiative populaire serait acceptée par le peuple et les cantons.

En ce qui concerne le texte français, les quelques modifications rédactionnelles suivantes devraient être apportées: «Au 2e alinéa de l'article ftîbis

394

le mot «demande» serait remplacé par «initiative» à la lre phrase et à la lTe et à la seconde phrases le terme «doit» par «peut». De même au 3e alinéa, il faut dire «une initiative ne «peut» (au lieu de «doit») pas porter sur plus d'un objet». Le 6e alinéa devrait être rédigé comme il suit. «Si l'Assemblée fédérale approuve l'initiative, «celle-ci» (au lieu de «elle») acquiert force de loi, sous réserve de l'article 89, 2e alinéa. Si «l'initiative» (au lieu de «elle») n'est pas approuvée par les deux conseils, elle doit être soumise au peuple. » Le 7e alinéa devrait aussi être modifié: «L'Assemblée fédérale peut «recommander» (au lieu de «proposer») au peuple de «rejeter l'initiative» (au lieu de «la rejeter»); elle peut lui soumettre en même temps un contre-projet.» ÎJarticle 113, 3e alinéa, lre phrase, devrait être rédigé comme il suit, pour éviter toute équivoque: «Dans tous les cas prémentionnés, le Tribunal fédéral appliquera les «lois fédérales et les arrêtés fédéraux déportée générale» (au lieu de «lois et arrêtés fédéraux»).

Quant au texte italien, il doit aussi être modifié: A l'article 93bis, les 5e et 3e alinéas doivent être soudés ensemble, le 3e alinéa étant la 2e phrase du 2e alinéa, comme dans les textes allemand et français, les alinéas 4 à 8 devenant ainsi les alinéas 3 à 7. Dans la seconde phrase, du 2e alinéa, il faut en outre remplacer decisioni amministrative par atti amministrativi, Aux alinéas 2, 3, 4, 6 et 7 les mots domanda d'iniziativa seront remplacés par iniziativa. A la 2e phrase du 6e alinéa il faut supprimer les mots e degli Stati, puisqu'il n'y aurait pas de vote des cantons en matière d'initiative législative. Enfin, comme dans le texte français, il faut ajouter à l'article 113, 3e alinéa, l'adjectif federali après le mot leggi.

Le texte déterminant allemand lui-même doit être modifié en ce qui concerne l'article 113,' 3e alinéa, Beschlüsse devant être remplacé par Sundesbeschlüsse et ihr par der Bundesversammlung.

Ces discordances entre les trois textes de la présente initiative constitutionnelle confirment ce que nous avons déjà relevé, à savoir que les comités d'initiatives seraient peu aptes à mettre sur pied des projets de lois satisfaisants.

Pour ces motifs, nous vous proposons de soumettre l'initiative du 22 décembre 1958 à la votationdu peuple et des
cantons avec une recommandation de rejet, et sans contre-projet.

Veuillez agréer, Monsieur le Président et Messieurs, les assurances de notre haute considération.

Berne, le 29 décembre 1959.

12948

Au nom du Conseil fédéral suisse: Le président de la Confédération, P. Chaudct Le chancelier de la Confédération, Ch. Oser

395 (Projet)

ARRÊTÉ FÉDÉRAL sur

l'initiative populaire tendant à l'institution de l'initiative législative en matière fédérale

L'Assemblée fédérale de la Confédération suisse,

vu l'initiative populaire du 22 décembre 1958 tendant à l'institution de l'initiative législative en matière fédérale ; vu le rapport du Conseil fédéral du 29 décembre 1959; vu les articles 121 et suivants de la constitution et les articles 8 et suivants de la loi du 27 janvier 1892/5 octobre 1950 concernant le mode de procéder pour les demandes d'initiative populaire et les votations relatives à la revision de la constitution fédérale, arrête:

Article premier L'initiative populaire tendant à l'institution de l'initiative législative en matière fédérale sera soumise au vote du peuple et des cantons. Les dispositions proposées par cette initiative ont la teneur suivante, compte tenu des modifications apportées au texte français pour l'adapter au texte allemand déterminant: Art. 89, 1" al.: Les lois fédérales et les arrêtésfédéraux ce peuvent être rendus qu'avec l'accord des deux conseils. L'article 93bis demeure toutefois réservé.

Art. 93bis: Cinquante mille citoyens actifs ou huit cantons ont le droit de demander l'adoption, la modification on l'abrogation d'une loi fédérale ou d'un arrêté fédéral de portée générale.

Une telle initiative n'est valable et ne peut être sonmise au peuple que si elle n'est pas contraire à la constitution fédérale, ni aux obligations 'que des traités imposent à la Confédération. Elle ne peut pas non plus demander la modification ou l'abrogation d'actes administratifs ou de jugements.

Une initiative ne peut pas porter sur plus d'un objet.

L'initiative doit revêtir la forme d'un projet rédigé de toutes pièces.

Sa validité est examinée par l'Assemblée fédérale.

396 Si l'Assemblée fédérale approuve l'initiative, celle-ci acquiert force de loi, sous réserve de l'article 89, 2e alinéa. Si l'initiative n'est pas approuvée par les deux couseils, elle doit être soumise au peuple.

L'Assemblée fédérale peut recommander au peuple de rejeter l'initiative, elle peut aussi lui soumettre en même temps un contre-projet.

Art. 93ter: Une loi fédérale réglera les formalités à observer pour les initiatives législatives.

Art. 113, 3e al.: Dans tous les cas prémentionnés, le Tribunal fédéral appliquer» les lois fédérales et les arrêtés fédéraux de portée générale. Il se conformera également aus traités que l'Assemblée fédérale aura ratifiée.

Art. 2 Le peuple et les cantons sont invités à rejeter l'initiative.

Art. 3 Le Conseil fédéral est chargé d'exécuter le présent arrêté.

13948

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RAPPORT du Conseil fédéral à l'Assemblée fédérale sur l'initiative populaire tendant à instituer l'initiative législative en matière fédérale (Du 29 décembre 1959)

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1960

Année Anno Band

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7978

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04.02.1960

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369-396

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